Category Archives: Rapports Parents Enfants

Édition j’ai lu

Je le dis tout de suite : n’attendez pas un billet objectif. J’aime cet auteur et je vais ne dire que du bien de ce livre que j’ai refermé à regret, j’aurais voulu rester encore un peu avec ces personnages. Laurent Seksik a été élevé par des parents aimants et, en retour, il éprouve pour eux une grande affection. On peut alors imaginer un livre guimauve dégoulinant de bons sentiments. Et bien non, on peut parler d’amour et de respect filial sans ennuyer personne. Laurent Seksik décrit ici la disparition de son père et l’énorme difficulté qu’il éprouve à se remettre de ce deuil. Dans une famille juive, cela dure officiellement un an et comme il nous le dit, il aurait aimé que cela dure encore plus longtemps. Il nous manque aussi à nous, ce père qui a si bien su raconter à son fils l’histoire de sa famille. Le roman se situe au moment où Laurent Seksik retourne en Israël, un an après l’enterrement de son père pour célébrer, justement, la fin du deuil. Dans l’avion, il rencontre une jeune Sandra, qui lui donne la réplique et cherche à comprendre pourquoi il aime tant son père, elle, qui semble avoir toutes les raisons de détester le sien ! Elle est comme le négatif de l’amour ensoleillé de Laurent pour son père et leur conversation nous permet de mieux cerner la personnalité de ce père tant aimé. Comme souvent dans les familles juives, l’amour dont les parents entourent leurs enfants est à la fois constructif et étouffant, il se mêle de tout, ce père, du choix des études de son fils et de ses fréquentations féminines. La scène dans l’aéroport de Nice est digne d’un film de Woody Allen, je vous la laisse découvrir. Mais son père, c’est aussi, un homme généreux qui est aimé des gens simples, qui se donnent du mal pour faire un beau discours pour des enterrements de gens sans famille. Et c’est certainement la personne qui a le plus compté dans la vie de l’écrivain Laurent Seksik, médecin pour plaire à sa mère écrivain pour que son père soit fier de lui : un fils obéissant donc..

 

Citations

Son père

– Papa, tu me jures que cette histoire est vraie ?
– Si cette histoire n’était pas vraie, pourquoi l’aurais-je inventée ?

L épisode Derrida

« Tu te souviens qu’enfant, à Alger, j’étais dans la classe de Jacques Derrida. Mais t’ai-je raconté qu’en sixième je l’ai aidé à plusieurs reprises à résoudre des problèmes de mathématiques ? »
Je ne voyais pas où il voulait en venir.
« Si Jacques Derrida en est là aujourd’hui, c’est grâce à ceux qui l’ont aidé et peut-être ai-je été l’un des premiers avec ces devoirs de mathématiques. Peut-être que Derrida me doit une fière chandelle et peut-être même que la philosophie française nous en doit une aussi ! Je me suis renseigné. Le frère de Jacques Derrida vis à Nice, il possède une pharmacie à Cimiez. Tu vas aller le trouver, lui rappeler l’épisode du devoir de mathématiques. Il transmettra. Le Jacques que j’ai connu était un garçon d’honneur. Il saura faire pour toi ce que j’ai accompli hier pour lui. »
Je bataillai ferme durant quelques semaines, mais on ne refusait rien très longtemps à mon père.
Un samedi après-midi, après qu’il m’eut déposé au volant de sa nouvelle Lancia sur le trottoir de l’officine, j’en franchis le seuil et avançait d’un pas hésitant et inquiet à l’intérieur de la pharmacie déserte en ce début d’après-midi, avec le secret espoir qu’aucun membre de la famille Derrida ne s’y trouvât ce jour-là. Derrière le comptoir, un homme à l’imposante tignasse brune et frisée qui n’était pas sans rappeler celle du philosophe me suivait d’un regard où luisait une pointe d’ironie. Il me demanda ce dont j’avais besoin. Devant mon silence il sourit d’un air entendu. « Je comprends, jeune homme, je suis passé par là. » Il se rendit dans un coin de la boutique et avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit pour le retenir, revint avec une boîte de préservatifs. « C’est la première fois je suppose ? » poursuivit-il d’un ton enjoué et complice. J’acquiesçait du menton, cherchant dans mes poches de quoi payer. « Laisse fit-il avec un geste de mansuétude, cette fois là, elle est pour moi. » Il glissa la boîte au creux de ma main, me donna, en se penchant au-dessus du comptoir, une petite tape sur le coude comme un dernier encouragements.
 Je remontai dans la voiture, la boîte de préservatifs au fond de ma poche, l’air le plus assuré possible. Mon père demanda si cela s’était bien passé. J’ai eu un hochement de tête approbateur en réprimant un sentiment de honte. Je préférerais qu’il croie à l’ingratitude un ancien camarade plutôt qu’à la lâcheté de son fils.

 Le philosophe Jacques Derrida ne fut en rien dans la publication, des années plus tard, de mon premier roman. Je lui dois en revanche mon premier rapport protégé.

Juif et gentil

Je crains que Samuel ne soit pas prêt à succomber aux sirènes d’une Gentille, comme certains disent chez vous. Même si je suis convaincue qu’il n’est pas insensible à mes charmes, les hommes sont prévisibles, vous savez. Mais dès qu’il se sent céder aux visées qu’il a sur mon décolleté, je suis sûr qu’il doit entendre la voix de sa mère : »Samuel, cette fille n’est pas pour toi. Elle va t’égarer hors du droit chemin ! Tes grands-parents, tes arrières grands-parents n’ont pas vécu et ne sont pas morts en bons juifs pour que tu fêtes Noël autour du sapin ! »

Dialogue père fils

 – Moi, je l’ai vu, cette Élodie, elle est splendide.
– Oui, elle est splendide mais surtout… Elle est juive, n’est-ce pas ?
– Et qu’est-ce que tu as contre les Juifs ?
– Absolument rien.
– Je suis heureux d’apprendre que nous ne logeons pas un antisémite à la maison… Mais laisse-moi te dire aussi que tu as tort de ne pas accorder une petite chance au destin !
– D’abord, je ne vois pas en quoi Élodie Tolila serait une chance et, et deuxièmement, je ne crois pas au destin.
– Il me semble qu’en ce moment tu ne crois plus en grand-chose, fiston…
J’allais déclarer que je croyais en « l’amour », mais je me retins prudemment d’ajouter quoi que ce soit.

Petite leçon d’histoire donnée par le père du narrateur

L’archiduc François-Ferdinand avait été assassiné à Sarajevo par un groupe de nationaliste serbe. Son oncle, l’empereur austro-hongrois, y a vu une perte irréparable pour l’humanité tout entière et a trouvé ce prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie qui, depuis des lustres, refusait son annexion en exerçant là une atteinte insupportable à l’intégrité de son territoire, même si l’empereur n’avait jamais foutu les pieds à Sarajevo puisque le soleil ne se couchait jamais sur son empire et que ces gens-là n’ont pas que ça à faire. Tout ce beau monde a sonné la mobilisation générale depuis les salons des châteaux où ils vivaient en paix afin que la morale soit sauf. C’était compter sans les Russes, qui ont toujours envie d’en découdre et décidèrent de venir au secours des Serbes par affinité naturelle puisque les uns et les autres sont de la même obédience orthodoxe et qu’il est plus commode de mourir fraternellement en priant le même seigneur qu’avec un type qui croit prier le bon Dieu alors qu’il implore le mauvais. Le Kaiser Guillaume a très mal pris la chose, parce que les Allemands sont très à cheval sur les principes, et jamais à un million de morts près. Le Kaiser a donc déclaré la guerre aux Russes même si le tsar était aussi son cousin, parce que c’est chez ces gens-là, Laurent, l’esprit de famille se résume à jouer aux petits soldats à l’heure du thé mais avec de vrais gens et à balles réelles. Comme les Français ont le sens de l’honneur, on ne nous enlèvera pas ça, et qu’on ne laisse pas attaquer un Russe sans réagir vu qu’on aurait des accointances depuis toujours même si je n’ai jamais rien ressenti de particulier, la France a déclaré la guerre aux Boches… Et voilà pourquoi, fiston j’ai perdu mon père a sept ans et la Nation a fait de moi son pupille, sans que je lui aie rien demandé.

 

 

Traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz. Collection 10/18

 

Ne vous étonnez pas de trouver dans ce roman un petit air de « Downton Abbey » , Julian Fellowes en est le scénariste. Il connaît bien le milieu de l’aristocratie britannique pour l’avoir beaucoup fréquenté dans sa jeunesse. Mais il est né en 1949, et les heures de gloire des Crawley et de toutes les familles nobles britanniques sont bien terminées. Pourtant, certains rites existent encore et le narrateur assure que dans les années 60, il y avait, encore en Grande-Bretagne ce qu’on appelait « la saison » . Cela ressemble un peu aux rallye d’aujourd’hui en France, dans les milieux riches de la capitale. Il s’agissait de bals donnés par les mères de jeunes filles pour leur faire rencontrer des partis fréquentables. Tous les châtelains des alentours recevaient dans leur demeure, ce Weekend là, les jeunes adolescents invités qui n’avaient pas pu dormir chez la jeune-fille, cela nous vaut des récit autour de la cuisine britannique qui bien que servie avec avec tout le décorum possible est répétitive, fade et sans aucun intérêt, comme la mousse au saumon que la narrateur a consommé tant de fois, cette année là. La construction du roman rappelle celle d’une série. (Je gage que ce roman sera un jour repris pour la télévision). En six épisodes (6 est le nombre des épisodes des mini-séries), notre narrateur doit retrouver les six jeunes filles qu’il a rencontrées lors de cette « saison » des années soixantes. Pourquoi ? parce que Damian Baxter, l’étudiant qui est devenu plus que millionnaire – on peut imaginer un Bill Gates ou un Steve Job, britannique- va mourir. Il fait appel au narrateur pour retrouver son enfant illégitime. Il est forcément l’enfant d’une de ses six jeunes filles. On repart donc dans la vie de six couples qui quarante ans plus tard ont parfois bien du mal à être encore heureux. Une catastrophe qui s’est produite en 1970 au Portugal annoncée dès le premier chapitre est le fil conducteur de l’inimitié farouche qui sépare Damian et le narrateur, il ne sera dévoilé qu’à la fin du roman mais elle est rappelée à tous les épisodes :

Je pouvais leur faire confiance d’avoir gardé en mémoire ce fameux repas car il y a peu de gens qui en ont vécu d’aussi effroyable, Dieu merci. J’avais aussi une autre excuse, plus fragile, pour ne rien dire, il se pouvait qu’ils aient tout oublié, à la fois de cet épisode et de ma personne….. Même si mon aventure avec les Gresham s’était terminée par une catastrophe j’aime à penser que j’avais fait partie de leur existence à une époque lointaine, à une période où il avait fait partie de la mienne de manière si vitale. Et même si la simple logique me disait qu’il y avait peu de chances que cette illusion ait encore la moindre réalité, j’avais réussi à la conserver intacte jusqu’ici et j’aurais aimé retourner à la voiture à la fin de la soirée avec cette chimère encore en bon état.

Effectivement tout tourne autour de cette sixième famille les Gresham, et de Joanna dont Damian Baxter et le narrateur ont été follement amoureux, On sait dès le début que le suspens de l’enfant illégitime ne peut se résoudre qu’à la fin, mais cela ne procure aucun ennuie car chaque famille procure son lot de surprises. La difficulté de s’insérer dans le monde étroit de la coterie des gens « biens » en grande Bretagne est décrite sans œillères et cela ne la rend pas très sympathique. Le personnage principal Damian Baxter, malgré son intelligence ne fera jamais partie de ces gens là et le narrateur éprouvera toute sa vie une forme de culpabilité d’être celui qui l’a fait entrer dans ce monde. C’est le ressort principal du roman dont l’autre intérêt est la peinture de la société britannique dans les années soixantes et le déclin de l’aristocratie. Même s’il y a quelques longueurs,ce roman se lit très facilement et fait partie, pour moi,des romans qui « font du bien » . Un peu comme la célèbre série dont il est l’auteur Julian Fellowes sait nous raconter cette société à laquelle il est attaché tout en voyant très exactement les limites.

 

PS Blogart (La comtesse) avait parlé de ce roman le 3 septembre 2015, merci de me l’avoir fait remarquer.

 

 

Citations

Regard de sa mère.

Ma mère n’aurait certes pas approuvé, mais ma mère était décédée et donc, théoriquement, peu concernée par la question, même si je ne suis pas convaincu que nous puissions nous défaire du regard critique de nos parents, qu’ils soient morts ou pas.

Snobisme et argent en Grande Bretagne.

Il est très curieux de constater qu’aujourd’hui encore il existe en Grande-Bretagne une forme de snobisme envers l’argent fraîchement acquis. J’imagine que la droite traditionnelle est censée tordre le nez face à ces gens-là mais, paradoxalement, ce sont souvent les intellectuels de gauche qui montrent tout leur mépris pour ceux qui se sont fait tout seul. Je n’oserais essayer de comprendre comment une telle attitude peut-être compatible avec la croyance à l’égalité des chances.

La cuisine.

On peut et on doit réfléchir sérieusement aux changements qui ont touché notre société ces quarante dernières années, mais il y a un certain consensus sur les progrès qu’a faits la cuisine britannique, au moins jusqu’à l’arrivée du poisson cru et du manque de cuisson imposé par des chefs-vedettes au début de ce nouveau millénaire. Personne ne conteste que, quand j’étais enfant, ce qu’on mangeait en Grande-Bretagne était horrible et consistait essentiellement en repas de cantine sans aucun goût, avec des légumes qu’on semblait avoir mis à bouillir depuis la guerre. On trouvait parfois des choses meilleures chez certains particuliers, mais même les restaurants chics vous servaient des plats compliqués et prétendument raffinés, décorés entre autres de mayonnaise verte présentée sous forme de fleur, et qui ne valaient pas vraiment qu’on se donne la peine de les ingurgiter.

Le snobisme britannique.

Être duc !

De fait, les frères Tremayne allaient connaître une certaine popularité, passant même pour des personnalités frondeuses, ce qu’ils n’étaient absolument pas. Mais leur père était duc et même si, dans la vraie vie, cet homme aurait été incapable d’occuper les fonctions de gardien de parking, son statut suffisait à leur garantir d’être invités.

Être comte !

Nous pouvions être absolument certain que, jamais en cinquante huit ans, personne ne s’était adressé à l’ordre Claremont de cette manière. Comme tous les riches aristocrates dans le monde, il n’avait aucune idée réelle de sa propre valeur puisque, depuis sa naissance, il recevait des compliments sur des qualités imaginaires et il n’était pas vraiment surprenant qu’il n’ait jamais remis en question les flatteries qu’une armée de lèche-botte lui avait servies depuis un demi-siècle. Il n’avait pas l’intelligence de se dire qu’on lui racontait n’importe quoi qu’il n’avait rien de concret à offrir sur le marché du monde réel. C’était un choc, un horrible choc de découvrir qu’il n’était pas la personnalité digne, élégante et admirable qu’il croyait être, mais un pauvre imbécile.

L’apparence

Ces gens-là obéissaient à des rituels vestimentaires pénibles pour une simple raison : ils savaient parfaitement que le jour où ils cesseraient de ressembler à une élite, ils cesseraient d’être une élite. Nos hommes politiques viennent tout juste d’apprendre ce que nos aristo savaient depuis des millénaires – tout est dans l’apparence.

Dans les années 60

Malgré cette laideur, personne ne fut épargné. Les jupes de la reine remontèrent au-dessus du genou, et lors de l’intronisation du prince de Galles à Caernarfon Castle, Lord Snowdon s’était affiché avec ce qui ressemblait férocement au costume d’un steward d’une compagnie polonaise. Mais, à partir des années 1980, les aristo se fatiguèrent de déguisements aussi intenables. Ils voulaient reprendre l’apparence qui était la leur.

Perte d’une fortune en moins d’une génération

Elle s’était également rendu compte d’un imprévu, c’est-à-dire l’amputation permanente de son capital du fait d’un époux qui entendait bien vivre « en prince » mais qui n’avait pas l’intention de travailler un seul jour dans sa vie ni de gagner le moindre penny. C’était une fille du Nord avec la tête sur les épaules et elle avait bien conscience qu’aucune fortune ne peut espérer survivre à partir du moment où les dépenses sont sans limites et les revenus équivalents à zéro.

Relations de couples

Quand on se retrouve dans une relation qui bat de l’aile, on a tendance à l’aggraver en lui en lui injectant une dose de mélodrame, obtenu en devenant lunatique et mordant, et en montrant en permanence sont insatisfaction. Cela passe par des répliques comme « Mais pourquoi tu fais tout le temps ça ? » Ou  » Bon, tu m’écoutes oui ? Parce qu’en général tu ne comprends rien quand je t’explique. » ou bien « Me dis pas que tu as encore oublié ? »

le prix des grandes propriétés

Hélas, c’est palais étaient à l’origine censés être le centre de centaines d’hectares de production agricole et la vitrine d’immenses fortunes fondées sur le commerce et d’industrie – cela ne se voyait peut-être pas mais, à l’instar des taupes creusant sans cesse dans galerie, c’était des capitaux qui travaillaient dans l’ombre. Car ces demeures sont de grandes dévoreuses de fortune. Elles avalent l’argent comme les terribles ogre des frères Grimm dévorent les enfants et tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.

Observation qui sonne juste

Une marque certaines de l’étroitesse d’esprit des gens, c’est quand on ne supporte pas de voir ses amis devenir amis avec d’autres amis à soi. Malheureusement, c’est très fréquent, et on constate souvent avec cette petite grimace lorsque l’on se rend compte que deux couples se sont vus sans vous inviter alors que c’est vous qui les aviez présentés.

L’importance de la beauté

Il faut avoir été laid dans sa jeunesse pour comprendre ce que cela signifie. On peut toujours dire que les apparences sont superficielles et parler de « beauté intérieure » ou autre niaiserie que les adolescents moches doivent supporter quand leur mère leur soutien que « c’est merveilleux d’être différent ». La réalité, c’est que la beauté est la seule unité monétaire qui vaille question séduction, et dans ce domaine, votre compte en banque est à zéro.

 

 

 

 

Traduit de l’allemand par Rose Labourie ; édition Acte Sud

Encore une fois un livre que je dois à la blogosphère mais en ayant oublié de noter précisément l’auteur du blog heureusement Keisha s’est rappelée à mon bon souvenir !. Je dois dire que j’ai failli passer à côté de cet essai, parce que cet homme m’a énervée au début de son récit. Il a de tels moyens financiers et ceci grâce aux prébendes que l’ONU distribue de façon écœurante à tous les membres de cette administration, et de voir les participants recevoir en plus de leur très confortable salaire de grosses enveloppes de liquides pour aller aux quatre coins du monde parler du sous-développement ou de l’écologie est absolument révoltant. Que ce soit de cette façon là que Wolf Küper ait réussi à mettre assez d’argent de côté pour passer deux années à ne rien faire d’autre que s’occuper de sa petite fille atteinte d’une maladie mentale qui l’empêche de se développer normalement a failli me faire refermer le livre. Et puis, le charme incroyable de cette petite fille m’a conquise moi aussi et j’ai donc suivi le parcours en camping car de cette famille à travers les plus beaux endroits de la planète.

Aucune famille avec un enfant handicapé ne peut prendre exemple sur cette famille, mais eux ont réussi à donner deux années de bonheur à leur petite fille qui est peut être plus armée maintenant pour affronter la vie qui, sans doute, ne sera pas très facile.

Citations

Un père face au handicap de sa fille

Je m’en souviens comme si c’était hier, peu avant notre départ, Nina avait fait la course avec d’autres enfants sur une grande pelouse. Évidemment, ils ne pouvaient pas se contenter de jouer tranquillement. Les enfants, en particulier les garçons, ont la compétition dans le sang. Ils ont besoin de se mesurer pour savoir qui court le plus vite, grimpe le plus haut, plonge le plus profond, saute le plus loin, et ainsi de suite. Et au milieu : Nina qui voulait absolument participer. Mrs. Lonte en en personne, qui m’avait fait blackbouler de toutes les courses de ma vie. Je n’arrivais pas à comprendre. Pourquoi s’obstinait-elle ? Pourquoi se mettait-elle sans arrêt en position de perdre contre les autres ? J’ai dit : « Y en a marre de toujours faire la course, venez, on va jouer à un autre jeu », et ce genre de choses. Dans le feu de l’action, les enfants ne m’ont même pas entendu, mais ce sont tous plus ou moins alignés, non sans que les garçons échangent quelques insultes – forcément. Mon cœur battait la chamade, ils se sont élancés en poussant des cris perçants.
En moins de trois secondes, Nina était déjà la dernière, alors qu’il y avait aussi des enfants bien plus petits qu’elle. À la moitié du trajet, elle était loin derrière. On aurait dit qu’elle allait disputer cette course tout seul. Presque en solitaire. Elle chancelait sur la pelouse, penchée en avant, les bras tendus sur les côtés, et elle tanguait tellement que je n’arrêtais pas de me dire : Cette fois, elle va tomber. J’arrivais à peine à la regarder. Quand elle est arrivée au bout, les autres avaient déjà repris leur jeu. J’ai vu Nina zigzaguer entre eux, hors d’haleine. Si je me souviens aussi précisément de cette scène, une parmi les centaines d’autres, c’est parce que ce moment-là, j’ai eu terriblement mal pour elle, mal pour un autre que moi.

Un bel endroit le lac Tepako et un beau moment dans les étoiles

L’illumination était donc venu lors de notre première nuit ici, au lac Tekapo, trois décennies plus tard, en montant sur un rocher, je m’étais rendu compte que les étoiles ne se trouvaient pas « au-dessus » mais tout autour de moi. Il y en avait même qui scintillaient en dessous de moi à l’horizon, et alors que mon vertige semblait se dissiper j’avais aperçu l’éblouissante Voie Lactée, tellement gigantesque que j’en avais eu le souffle coupé, brillant de milliards de feu, des centaines de milliers d’années lumière d’un horizon à l’autre, toute la folie de l’univers en 3D. Et en couleur. Et oui, il y a des étoiles bleues et vertes et rouges, et violette aussi, certaines clignotent frénétiquement, d’autres pulsent lentement, partout, des étoiles filantes zébraient le ciel tandis que les satellites traçaient paresseusement leur route. En Nouvelle-Zélande, il est impossible de croire que la terre est au centre de quoique ce soit, parce que rien qu’à l’oeil nu, on voit bien que nous ne sommes qu’une poussière perdue dans un coin de l’univers.

Je me demande si c’est vrai

Et avec les gens importants, il faut toujours garder son sérieux, ne jamais être de meilleure humeur que le client, c’est la règle numéro 1 quand on fait du conseil, surtout auprès d’hommes politiques.

Là où, ce livre m’a tellement écœuré que j’ai failli le laisser tomber.

Depuis que j’avais commencé à travailler régulièrement comme expert pour les Nations Unies, j’ai gagné pour la première fois beaucoup d’argent. Vraiment beaucoup. Rien que les indemnités de défraiement qu’on vous verse chaque semaine correspondent au revenu mensuel net d’un post doc avec douze années de formation universitaire en Allemagne. Le tout non imposable. Au Nations Unies, on vous remet sans ciller d’épaisses enveloppe marron avec des liasses de billets de cinquante dollars, presque comme dans un film de mafieux. Ça ne rentre même pas dans le porte-monnaie. Les billets sont soigneusement attachés par vingt à l’aide d’un trombone. Officiellement, ces indemnités exorbitantes servent à voyager dans des conditions « appropriées et représentatives ». Soudain, j’avais, ce qu’on appelle un niveau de vie élevé, accès aux lounges VIP et vol en première classe. Programme grand voyageur et ainsi de suite…..

Jusqu’à l’écœurement des réunions à l’ONU des ONG sur l’environnement

Le genre de chose qui ne mérite pas qu’on s’y attarde une seconde, sans même parler d’enfer débattre plusieurs milliers de délégués sur payer venu du monde entier.
Une civilisation qui se prend pour le fleuron de la création célèbre ici sa propre déchéance. Je fais un rapide calcul : le paragraphe comporte environ 70 mots. Au cours des 95 minutes que dure ce cirque, il y a 22 objections et 19 correction. Ça doit être incroyablement difficile de formuler le rien.

Édition Slatkine&compagnie. Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Voici donc ma troisième et dernière participation au challenge d’Éva. Un livre de langue allemande que j’ai lu grâce à la traduction d’Isabelle Liber. Mes trois coquillages prouvent que je n’ai pas été complètement conquise. Pourtant je suis sûre de l’avoir acheté après une recommandation lue sur le blogosphère. Ce roman m’a permis de me remettre en mémoire l’horrible accident du ferry Estonia entre l’Estonie et la Suède, accident qui a causé la mort de 852 personnes en 1994. Mais si ce naufrage est bien le point central du roman, celui-ci raconte surtout la difficulté de rapports entre un fils et ses parents. Laurits Simonsen rêvait d’être pianiste, mais son père d’une sévérité et d’un égoïsme à toute épreuve l’a forcé à devenir médecin. Le jour où Laurits comprendra l’ampleur des manœuvres de son père, il fuira s’installer en Estonie.
De ruptures en ruptures, de drames en drames, il est, à la fin de sa vie, redevenu pianiste sous l’identité de Lawrence Alexander, loin d’être un virtuose, il anime les croisières et tient le piano-bar. C’est ainsi que nous le trouvons au deuxième chapitre du roman, le premier étant consacré à l’appel au secours de l’Estonia le 28 septembre 1994. Les difficultés dans lesquelles dès l’enfance le narrateur s’est trouvé englué à cause de l’égo surdimensionné d’un père tyrannique nous apparaît peu à peu avec de fréquents aller et retour entre le temps du récit et le passé du narrateur.

Le récit est implacable et très bien mené mais alors pourquoi ai-je quelques réserves, j’ai trouvé le récit un peu lourd, très lent et trop démonstratif pour moi. J’ai vraiment du mal à croire au personnage du père mais peut-être ai-je tort ! Il existe, sans doute des êtres incapables à ce point d’empathie ! Je pense, aussi, que je lis beaucoup de livres et que j’en demande peut être trop à chacun d’entre eux. Mais, à vous, donc de vous faire une idée de ces quelques « feuilles allemandes ».

 

 

Citations

l’alcool et le chagrin

J’ai vidé dans le lavabo ce qui restait de la bouteille de whisky. Ce truc n’a fait qu’empirer les choses. Ça n’avait que le goût du chagrin.

 

Le titre

J’étais heureux d’arriver dans le port de Venise après un long voyage -cette ville est la seule que j’arrive à supporter plus de trois jours, elle est un entre deux, ni terre, ni mer.

 

Le naufrage

1h48. Au plus noir de la nuit, dans les lotissements de la tempête, le bateau bleu et blanc dressa une dernière fois sa proue vers le ciel et, moins d’une heure après son appel de détresse, disparut dans les eaux avec un profond soupir. Avec lui sombraient les rêves et les espoirs, les désirs, les inquiétudes, les peurs et les lendemains de tout ceux qui était restés à bord.

Édition Stock

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

Autant je n’avais pas apprécié la précédente lecture de Laurence Tardieu, « Un temps fou » , autant celle là m’a intéressée. Pourtant ça commençait assez mal, car encore l’univers de cette femme et de sa famille que sa fille a fui me semblait bien loin de mes centres d’intérêt. Et puis peu à peu , le roman s’est densifié et le récit de cette journée pendant laquelle Hannah pense atteindre l’apogée de la souffrance et qui verra aussi Lydie sa meilleure amie souffrir à son tour, a été beaucoup plus riche que je ne m’y attendais. Cette belle amitié entre ces deux femmes donne un ton plus optimiste au roman et en fait un des charmes pour moi. Le drame d’Hannah , tient en peu de mots : sa fille Lorette a décidé de rompre sans aucune explication avec sa famille. Ce deuil qui n’en est pas un, est d’une violence qui depuis sept ans ronge Hannah, artiste peintre qui n’arrive même plus à peindre. En remontant dans le temps, on comprend à la fois l’histoire de sa famille dont les grands parents ont été exécutés en 1942 parce qu’ils étaient juifs et de l’actualité du monde de 1989 à aujourd’hui. Hannah a vécu dans la liesse (comme nous tous) l’effondrement du mur de Berlin, puis a été terrifiée par la guerre en Bosnie. Sa fille qu’elle aime d’un amour fusionnel, perd peu à peu confiance dans cette mère qui est une véritable écorchée vive et qui s’intéresse trop aux malheurs du monde. Le roman se déroule, donc, sur une journée , le matin Hannah croit voire ou voit réellement Lorette sur le trottoir d’en face, toute sa journée elle revit les moments de crise de sa famille et elle sait qu’elle doit téléphoner à Lydie qui l’a invitée à dîner avec des amis, elle se sent incapable de retrouver son amie. Finalement, elles se retrouveront mais pas exactement comme l’avait prévue Lydie. Hannah va sans doute recommencer à peindre ce qui est la fin la plus optimiste qu’on puisse imaginer. Je ne peux en dire plus sans divulgâcher l’intrigue. Les deux ressorts du roman sont le mélange de l’actualité et de la vie personnelle, et l’hérédité du malheur des gens qui ont été touchés par la Shoa, la souffrance de cette mère privée de sa fille sert de cadre à ces deux fils conducteurs. Un bon roman, bien meilleur en tout cas que mes premières impressions.

 

Citations

 

Description si banale des couples qui s’usent.

Tout s’était délité sans qu’il s’en aperçoive. Il se rappelait pourtant avoir été très amoureux lorsqu’il l’avait rencontrée, à trente ans. Elle, sociologue, jeune femme rousse à la peau pâle, au rire presque silencieux, au regard obsédant (enchantement dont il avait fini, après plusieurs mois, par identifier l’origine : un très léger strabisme, dont on pouvait difficilement se rendre compte à moins de fixer longtemps les deux yeux, et à l’instant même où il avait compris ce qui depuis des mois le rendait fou, le regard gris-vert avait perdu de sa magie) et que tous ses copains lui envoyaient. Lui, jeune cancérologue passionné par son métier, promis à un brillante à venir. Oui, la vie avait été belle, et joyeuse, et sexuelle,avec Claire. Que s’était-il passé pour qu’aujourd’hui les rares paroles qu’ils échangent concernent des pots de yaourt, le chauffagiste à faire venir, la litière du chat ? Que s’était-il passé, d’atrocement banal, qu’il n’avait pas vu se former, et contre quoi aujourd’hui il ne pouvait plus lutter, comme si Claire et lui avaient commencé, il y a bien longtemps, et alors même qu’ils ne le savaient pas encore, à glisser le long d’une pente, et qu’il n’y avait aujourd’hui plus de retour en arrière possible, plus de possibilité de bonheur ?

Le drame de la famille

Hannah, alors tout jeune adolescente, avait soudain vu, effarée, le visage de cette tante d’ordinaire silencieuse et discrète se tordre, comme si la peau devenait du chiffon, et les larmes rouler sur ses joues, et elle avait entendu, ils avaient tous entendu, la brève phrase demeurée depuis comme un coup de tonnerre dans la nuit, dont Hannah se demandait parfois, à force de l’avoir répétée mentalement pendant des années, si elle ne l’avait pas inventée : « De toute façon, s’ils avaient pu tous nous faire disparaître, ils l’auraient fait. On est restés là David et moi cachés dans notre trou, à les regarder partir pour la mort comme des chiens, on est restés là, impuissants, à les regarder partir. »

La mort

Tu vois, ce qu’il y a de très violent lorsque meurt quelqu’un qu’on a beaucoup aimé, c’est qu’au début, on a le sentiment de perdre cette personne, de la perdre réellement. On ne peut plus lui parler, on ne peut plus la toucher, on ne peut plus la regarder, se dire que cette couleur lui va bien, qu’elle a le visage reposé… On ne peut plus l’entendre rire… Mais ensuite, avec le temps, si on se souvient d’elle, si on se souvient d’elle vraiment, je veux dire si on se concentre pour se rappeler le grain exact de sa peau, la façon qu’elle avait de sourire, de parler, l’expression de son visage lorsqu’elle vous écoutait , la manière qu’elle avait de poser une main sur votre épaule, d’enfiler un manteau, de découvrir un cadeau, de piquer un fou rire, alors c’est comme si on parvenait à faire revenir cette personne du royaume des morts, à la faire revenir doucement parmi nous, mais cette fois : en nous. Elle ne fait plus partie des vivants, elle ne déambulera plus parmi nous, mais elle occupe désormais notre cœur, notre mémoire. Notre âme. C’est un petit miracle, une victoire acquise sur la disparition.

Son père lui parle

Ce qui est arrivé un jour de printemps 1942 et qui s’est produit sous mes yeux n’en finit pas de nous faire sombrer, de nous aspirer, on croit que c’est arrivé à mes parents un jour de l’année 1942 et ça continue à nous arriver, ça continue à nous arriver à nous tous, Hannah, à moi, à toi, à Lorette, comme si la déflagration ne s’était jamais arrêtée … Ce jour-là la nuit est entrée dans toutes les vies de notre famille, les vies présentes et celles à venir. Je crois, Hannah, je crois que nos corps se souviennent de ce qu’ils n’ont pas vécu, de ce qui a assiégé ceux qui nous ont mis au monde, nos corps se souviennent de la peur, ils se souviennent de l’effroi..

 

 

 

Édition livre de poche Folio

J’avais noté le nom de cette auteure à propos d’un autre livre « J’irai danser si je veux » chez Cuné d’abord, puis chez Aifelle. Voilà une tentation que je ne regrette absolument pas et je vais certainement lire les autres romans de Marie-Renée Lavoie. J’ai commencé par son enfance, car ce livre est paru en poche et que les deux amies blogueuses en disaient du bien. Je vous le recommande sans aucune réserve. J’ai beaucoup ri et souvent retenu mes larmes. J’étais rarement à l’unisson avec Joe-Hélène qui pleure comme une madeleine lorsque son héroïne Oscar du dessin animé qui va enchanter toute son enfance, mourra dans un dernier combat pendant la révolution française. Au contraire quand Joe-Hélène reste digne en nous racontant les souffrances ordinaires des habitants de son quartier, je me suis sentie très émue, les portraits de ces vieux sortis de l’asile qui ont tout perdu sont presque tragiques, même s’ils sont « ordinaires » pour la petite fille qui a toujours vécu parmi eux. « Le vieux » Roger qui veille sur elle à sa façon lui sera d’un précieux secours lors d’une agression où le courage et la beauté de l’enfance ont failli se flétrir définitivement sur un trottoir. La galerie de portraits des habitants du quartiers est inoubliable, cela va de la famille des obèses, à ceux confits en religion, et ce Roger (c’est lui « le vieux ») qui ne dévoilera jamais son secret à la petite fille pour qui il a tant de tendresse, et qui jure dès qu’il ouvre la bouche. J’ai encore oublié ce détail, la langue ! Le québécois a pour moi des charmes qui me forcent à sourire et les « Ostie » « Jériboire » « Face de Bine » « Calvaire » « Crisse » »En Maudit » chantent dans ma tête. J’ai toujours eu des coups de cœur pour les livres qui savent raconter l’enfance. Ce n’est pas si facile : il faut, à la fois, retrouver la naïveté de cet âge-là et en même temps faire comprendre à l’adulte lecteur la réalité du monde dans lequel vivait cette enfant. Joe-Hélène est une petite fille d’un courage incroyable et si elle se trouve bien banale à côté de son modèle « Oscar » jeune fille déguisée en soldat pour servir Marie-Antoinette, elle va faire l’admiration de tous ceux qui, enfants, qui n’ont jamais eu à se lever deux heures avant tout le monde pour distribuer des journaux, afin de gagner quelques sous pour aider la famille. Sa famille est tenue de main de maître par une mère courage. Tout aurait pu se passer à peu près normalement si son père, enseignant, ne trouvait pas dans l’alcool et le tabac des compensations naturelles à un métier où il souffre de ne pas pouvoir imposer son autorité. D’ailleurs de l’autorité, il n’en a pas, il est seulement gentil et profondément humain. Sa femme heureusement tient la famille et grâce à elle cette bande de cinq petites va sans doute s’en sortir. Oui, ils n’ont n’a eu que des filles ! mais quand on voit le portrait des hommes dans ce roman , on se dit que c’est mieux d’être une fille, elles ont plus de courage et sont moins portées sur l’alcool.

Citations

Portrait des voisins

L’énorme fille unique de nos voisins portait, à seize ans à peine, une petite centaine de kilos, une permanente bouclée serrée et une humeur adaptée à sa condition de victime injustement traitée par des légions de médecins incompétents qui osaient prétendre qu’elle était responsable, en grande partie, de son sort. Gargantua Simard, son père, cardiaque de profession, toujours vêtu d’un maillot de corps jauni au travers duquel perçaient des mamelons dont la texture et le mouvement imitaient la pâte à gâteau pas cuite, promenait sont imposantes panse sur le balcon en maudissant à peu près tout. La pauvre mère, la sainte femme, faisait des ménages en plus d’assumer à elle seule toutes les tâches de la maison. Comme elle se mouvait presque normalement, quand ses tâches le lui permettaient, c’est sur elle qu’ils déversaient leur fiel bien macéré. Plus on s’en prenait à elle, plus elle souriait. Elle opérait comme une photosynthèse de l’humeur qui rendait l’atmosphère à peu près respirable. Les deux ventrus – jambus, fessus, doublementonus, têtus- avaient des visages de plâtre plantés sur décor de gargouilles obèses, et jamais l’idée de se rendre sympathique ne leur était passée par la tête.

Deux expériences à ne pas tenter

Je n’avais pas peur de ma mère, je savais seulement qu’il n’était pas possible de tailler, ne serait-ce qu’une toute petite brèche, dans son imprenable personnage. Pas la peine de se plaindre, de pleurnicher, d’argumenter, de se monter un plaidoyer. Insister ne pouvait que condamner à une abdication des plus humiliantes. Je le savais pour m’être quelquefois frottée à son opiniâtreté. Chercher à gagner sur cette femme relevait de la même témérimbécilité que de se coller- avec la même intention de voir ce que ça fait vraiment- la langue sur une rampe de fer forgé bien glacé. Mais bon, j’avais mis un certain temps à le comprendre. Dans les deux cas.

La mort et les jeunes

 Je comprenais ça parce que j’étais à l’âge où la mort n’avait encore aucune prise sur moi. Je n’allais jamais mourir , moi , je n’avais même pas dix ans . Et, à cet âge-là, on accepte d’emblée que les vieux doivent mourir, ça semble même dans l’ordre des choses. Après, le temps coule et ça se complique parce que ça se met à nous concerner. C’est là qu’on a besoin de concepts philosophiques dérangeants, comme celui de l’absurdité, ou d’abstractions humanoïdes réconfortantes, comme la plupart des Dieux.

L’adolescence

De toute façon, les crises d’adolescence ne sont pas à la portée de tous : ça prend avec les parents qui ont de l’énergie pour tenter de discuter, s’énerver, crier et faire des scènes ou encore pour lire des bouquins de psychologie de comptoir et traîner les jeunes ingrats chez des spécialistes. Aucun adolescent ne prend la peine de se farcir une crise sérieuse sans avoir la conviction de susciter la colère d’au moins un petit quelqu’un en bout de ligne. Tous ces petits arrogants en mal de vivre, qui se faisaient les dents sur le dos des professeurs un peu mou, comme mon père, avant de jouer leur grand « Fuck the world » à leurs parents pas payés cette fois pour les endurer, usaient mon père prématurément.

L’obésité et la télécommande

L’emplacement qu’avait choisi mon père était le seul que la télécommande occuperait jamais : sur le téléviseur. Même si le raisonnement qui justifiait cette règle relevait d’un syllogisme des plus fallacieux ( Badaboum utilisait toujours à distance la télécommande, or Badaboum est obèse, donc les télécommandes rendent obèse), le caractère imposant du contre-exemple qu’elle représentait suffisait à nous convaincre de son bien-fondé. L’énormité de l’argument permettait à mon père de faire de petites entorses au sens commun.

Découvertes qui font grandir

Plus jeune, j’avais fait quelques découvertes qui m’avaient arraché un bout de naïveté, mais jamais rien d’aussi grave. Durant l’année de mes six ans, par exemple, j’avais dans la même semaine découvert tous les cadeaux du Père Noël entassés au fond du congélateur désaffecté et le petit Jésus, pas encore né, dans la boîte à fusibles placée dans l’armoire au-dessus du sèche-linge. Ça faisait tout un tas de croyances qui tombaient d’un coup. Mais la peine alors ressentie avait rapidement laissé place au bonheur de partager tous ces secrets avec mes parents qui tenaient à ce qu’on soit complices pour que mes petite sœur bénéficient du droit sacré de croire à n’importe quoi. Ce n’était au fond qu’une autre forme du même jeu. Seule l’image de mes parents, que je suspecterai désormais de tout, c’était trouver altérée par ce mensonge pieux

Le feuilleton télévisé qui a rythmé sa vie d’enfant

Et puis, je suis morte dans l’épisode suivant celui de la mort d’André. Un vendredi soir, à 16h17, sur Canal Famille. Les morts télévisuels sont toujours précis, comme les naissances de la réalité. Ça m’a semblé tout naturel, même si j’avais secrètement souhaité quelques grandes scènes encore pour pouvoir engranger dans ma mémoire des hauts faits d’armes de dernière minute. Pour ma postérité. Mais voilà, comme tous les destins étaient liés, Oscar ne devait pas survivre longtemps à la mort d’André, de son beau cheval blanc et de la vieille France. L’effet domino.

Les toilettes uniques dans une famille nombreuse

Je me suis réfugiée dans la salle de bain, le seul endroit où il était possible d’échapper aux poursuites de la bienveillance familiale. Assis sur le carrelage gelé,me suis pleuré pendant des heures.
Et comme il n’y avait toujours qu’un seul WC dans l’appartement, il s’est passé peu de temps avant qu’on ne se mette à piétiner devant la porte. Les plus grands drames de l’histoire n’ont jamais eu d’emprise sur les plus petits besoins de l’homme. Ça contrecarrait un peu mes plans, je voulais mourir là, par terre, misérable, seul, au moins jusqu’au dîner.

 

Comme vous le voyez, il a obtenu un coup de cœur au club de la médiathèque de Dinard

Je comprends très bien ce coup de cœur, car au-delà de l’humour qui m’a fait sourire, il s’y installe peu à peu une profonde tristesse que l’on sent sincère. Ce roman se construit, en de courts chapitres, autour d’événements de cette génération qu’elle appelle « millénium », celle de l’auteur qui grandit avec la coupe du monde de 1998, et la défaite de Jospin au premier tour des élections de 2002. Mais le fil conducteur de ces courts chapitres, c’est aussi son amitié avec Carmen, jeune femme dynamique qui n’a peur de rien, jusqu’au 11 août 2003, date à laquelle une erreur de conduite la rendra responsable d’un accident mortel. Carmen ne pourra pas surmonter sa culpabilité, ni « refaire sa vie » – expression que la narratrice trouve particulièrement vide de sens . Et tout cela au rythme des chansons du groupe ABBA dont l’auteur a la gentillesse de nous traduire les textes. Je ne connaissais pas, mais je trouve une belle nostalgie dans ces paroles.

 

Un roman vite lu, comme les SMS d’aujourd’hui mais qui laisse une trace dans notre mémoire et qui permet de mieux comprendre une génération, dans laquelle les hommes n’ont vraiment pas le beau rôle. Il faut dire qu’enfant son prince charmant était Charles Ingall qu’elle a eu du mal à rencontrer dans sa vie de parisienne de tous les jours ….

 

 

Citations

 

Son père

Quand j’étais petite, je disais à mon père que je voulais devenir « docteur des bébés ». Et lui, au lieu de prendre ça en compte, de me dire quelque chose d’encourageant, genre : « C’est bien », il répondait. « T’es pas assez intelligente pour ça. Toi, il faudrait que tu travailles dans une boulangerie. » Il avait des idées louches. Comme si tous les boulangers étaient bêtes.

Sa mère

Si j’avais le culot de contester une de ses décisions, si j’exprimais un désaccord, j’avais droit à un interminable monologue culpabilisant qui commençait par : « Je te rappelle que j’ai passé vingt huit heures trente sur la table d’accouchement ! Vingt huit heures trente ! » Elle finissait par : « Je me suis battue pour avoir ta garde et je me sacrifie pour t’élever ! Il est où ton père, hein ? Il est où là ? » Elle disait ça en regardant autour d’elle ou en levant les yeux au ciel. Comme si elle le cherchait. »Hein ? Il est où ?. Tu le vois quelque part toi. » 

 (J’en ai rêvé des dizaines de milliers de fois, qu’il sorte de derrière le canapé, ou qu’il rentre par la fenêtre en mode Jean-Paul Belmondo pour lui fermer son clapet. « Abracadabra ! Top top badaboum. Coucou c’est moi ! »)

Sa mère sarkozyste

Entre son divorce, son remariage avec une chanteuse et les affaires dans lesquelles il avait trempé, le nouveau président était au centre de toutes les discussions. 
« On peut pas changer de sujet maman ? J’en fais une overdose !
– T’avoueras qu’il a un certain charisme, il est viril…. Je dis pas qu’il est beau, mais il a un truc… 
-T’es sérieuse ?
– Nan, mais attends, c’est tout de même autre chose que le père Chirac et son pantalon remonté jusqu’aux tétons… »

Art de la formule

C’était étrange, mais elle regardait mon menton. Il fait s’y faire, Sylvia, la mère de Carmen, parle aux gens en les regardant droit dans le menton.

Humour de Carmen son amie

En ce temps-là, mon père était en couple avec Nadine : une Corse qui travaillait dans un bar PMU et louait le studio meublé juste au-dessus de chez lui. 
Elle faisait des permanentes pour se friser les cheveux et les teignait en blond platine. Carmen se moquait tout le temps :  » Ça va ton père ?… Et son caniche ça va ? » Des fois elle demandait : « Ça te fait pas bizarre que ton père il sorte avec Michel Polnareff ? »

La séparation

C’était une punition injuste. Je l’avais quitté, mais il m’y avait poussé avec tant d’ardeur. Ce n’était pas faute d’avoir fermé les yeux, d’avoir résisté. Voilà pourquoi j’ai eu longtemps le sentiment d’avoir « subi » cette séparation. 

Lui, je ne l’aimais plus. 
Mais j’aimais tant ce rêve d’avoir une famille. J’aimais tant l’idée de donner des frères et des sœur à ma fille. J’avais tellement peur qu’une fois de plus on dissocie aussi Papa ET Maman. 
Je me réconcilie à présent avec l’idée que le divorce n’est pas la fin. Il conclut simplement une histoire qui se brise depuis longtemps déjà.

Les musiques de téléphone

L’annonce sur sa messagerie vocale , je m’en souviens très bien , c’était un extrait de mauvaise qualité de »novembre Rain » des Guns N’Roses. Eddy adorait ce groupe de musiciens crasseux et chevelus. Moi, je trouvais qu’il avait l’air de sentir la pisse.
 » De quoi tu parles ? Tu connais rien à la musique !Tu écoutes de la merde ! Abba, sérieux ? Quelle genre de meuf et écoute cette merde ? »
J’ai toujours pensé que les gens qui n’aimaient pas Abba ont le cœur aride, ils n’aiment pas la vie. Les membres du groupe ABBA, eux, au moins, portaient des vêtements propres et pailletés, et donnaient l’impression de sentir la lavande. J’ai toujours pensé aussi que mettre un extrait pourri d’une chanson sur son répondeur, c’est le summum du ringard. (Tout ce que l’on veut entendre sur une messagerie c’est le bip, putain, que ce soit bien clair une fois pour toutes.)

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

Depuis « Touriste » découvert grâce à la blogosphère, je me laisse facilement tenté par cet auteur. En plus il était au programme de notre club de lecture … On retrouve bien l’humour et le sens de l’observation un peu décalé de l’auteur qui aime autant regarder une feuille qui plane jusqu’à son trottoir du quartier de Belleville, que les réactions des Parisiens après les attentats du 13 novembre 2015.

Julien Blanc-Gras est « PAPA » et nous décrit avec humour les premières années de la vie de son enfant, avec en toile de fond, la quarantaine pour lui, la montée de l’intolérance islamiste, les attentats, toutes ces violences le poussent à savoir ce que ses propres grands parents ont vécu à savoir : la guerre 39/45. Mélangeant les époques et les réactions des Parisiens d’aujourd’hui, il veut se forger une conduite personnelle face aux événements qui ensanglantent la capitale. Mais pas plus qu’il ne trouve les réactions adéquates pour éduquer son fils avec les valeurs qui sont les siennes, il ne trouvera pas non plus des lignes de conduite dans les réactions de ses aïeux : s’il y a une morale ou un enseignement à ce livre c’est qu’en matière d’éducation, comme en matière de conduite en matière de guerre, chacun fait ce qu’il peut et ne se trouvera jamais à la hauteur de la situation.
Cela nous vaut un livre agréable souvent drôle et parfois profond. Un livre de Julien Blanc-Gras en somme.

Citations

Si vrai ….

Amina faisait preuve d’un professionnalisme sans faille. J’ai slalomé entre des bébés prénommés Madeleine, Gaspard Marianne, salué des assistantes maternelles prénommées Fatou, Yuma et Chipo, et j’ai descendu l’escalier en tenant mon fils contre moi un peu plus fort que d’habitude …

Le père parle à son fils d’un an après le massacre de Charlie hebdo

Je m’imaginais en train de lui exposer la situation. « Des abrutis ont massacré des gens parce qu’ils qu’ils faisaient des dessin. »

 Tout compte fait, ce n’est pas facile à comprendre pour un adulte non plus.

Autre époque

Ça veut dire quoi, protéger ? J’étais porteur d’une inquiétude nécessaire que je voulais maintenir dans des proportions raisonnables, suffisantes pour conserver une vigilance sans toutefois diffuser une angoisse contre-productive. Où se trouve l’équilibre entre sécurité et confiance ? Le périmètre de liberté laissé aux enfants c’était affreusement réduit en une génération. Mes parents me laissaient rentrer de l’école tout seul à six ans. Impensable de nos jours. Le monde n’est pas devenu plus dangereux, notre conscience du danger s’est accrue. On ne lâche plus ses gamins des yeux. Réduction de l’autonomie géographique. Les blousons munis de balise GPS existent déjà et il n’est pas insensé d’imaginer une géolocalisation généralisée des enfants dans un futur proche. On ne lâche plus nos gamins des yeux et ils collent le leurs aux écrans, espace de liberté affranchi de la surveillance des adultes.

Autre horreur !

Un fait divers récent avait retenu mon attention, deux employés d’une crèche du New Jersey avait eu l’idée d’organiser des combats de bébé. Une sorte de Fight Club pour les tout-petits, qu’elles invitaient à se mettre des mandales pour les filmer et les poster sur snapchat. Il faut reconnaître que cela aurait pu faire un bon programme de télé réalité. Il faut aussi reconnaître que cela ne renforce pas notre foi en l’être humain.

Paroles de petit garçon deux ans et demi

– Non Madeleine, toi tu peux pas dessiner un avion parce que tu es une fille. Tant pis pour toi. 
J’étais atterré comment était-il possible qu’il soit déjà aussi phallocrate ? Quand il me demandait comment volaient les avions, je prenais pourtant bien soin de lui expliquer que c’était des messieurs ou des dames qui pilotaient.

Début de scène très drôle à la poste

Je suis allé chercher un colis à la poste. J’admets que cette phrase est sans doute la plus ennuyeuse de l’histoire de la littérature mais je ne pouvais pas y couper pour raconter l’épisode qui suit. À ma grande surprise, j’avais développé une sorte de plaisir pervers à me rendre à la poste. Le service public offrait des interstices où l’on pouvait établir une relation verbale avec des gens vieux, gros ou moche, salutaire injection de chair réel dans nos quotidien s’effrite en dans la dématérialisation marchande.

 

Vous connaissez l’auteur des bandes dessinées, (Fabcaro) Zaï Zaï Zaï et de Et si l’amour c’était d’aimer vous devez faire connaissance avec l’auteur de roman Fabrice Caro. Heu ! oui, c’est le même auteur et avec un humour toujours aussi fabuleux. Lisez le premier chapitre et je suis certaine que vous ne pourrez plus vous arrêter . Le sujet est simple, le père du narrateur qui a certainement quelques points communs avec l’auteur lui demande de faire un discours au mariage de sa sœur. Seulement voilà, lui il est totalement obnubilé par son téléphone portable car il aimerait tant que Sonia réponde à son SMS, et puis est-ce qu’il a vraiment bien fait de le lui en envoyer un ? et était-ce une bonne idée de mettre un point d’exclamation après bisous ? bref il n’a pas trop la tête à ce discours et cela nous vaut des scènes toutes plus drôles les unes que les autres sur la vie familiale . Un bon moment de détente, merci Monsieur Caro, vos livres me font tant de bien !

Citations

Très drôle

Isabelle appartenait à cette génération d’étudiante qui voulait partir en Afrique, à cette époque c’était une fatalité qui s’abattait sans prévenir sur une certaine frange de la population féminine, on y échappait pas, l’acné à douze ans, l’Afrique à dix neuf , elles attrapaient l’Afrique comme on attrape la varicelle. On les voyait, du jour au lendemain, transfigurées, transmutées , déambuler vêtues de sarouels informes, le vêtement le moins sexy qui soit, transformant le campus en immense course en sac.

Le narrateur doit faire un discours pour le mariage de sa sœur qui lui offre tous les ans des encyclopédies

Attends attends attends, je crois que tu n’as pas bien compris là, ton discours je ne vais pas le faire tu entends, je n’ai d’ordre à recevoir de personne, tu crois qu’elle passe beaucoup de temps, elle, à se demander quel est le plus beau cadeau qu’elle pourrait faire à son frère ? Tu les as lues mes encyclopédies, Ludovic ? Tu as lu  » les plus beaux sommets d’Europe » ? Tu as lu  » Reptiles et batraciens » ? Tu as lu « Bébés du monde » ? Et je fixe, dépité, le gratin dauphinois, et je suis sûr qu’il existe quelque part, chez un quelconque éditeur une encyclopédie sur le gratin dauphinois.

Chagrin d amour

D’ailleurs, il y a de moins en moins de soirées, on est jamais aussi seul que lorsqu’on se retrouve seul, le vide attire le vide. Un seul être vous manque et tous les autres prennent la fuite.

Envie de fugues

Quand j’avais treize ans, j’étais une vraie chipie, en constante rébellion, toujours à me friter avec mes parents au point d’être obnubilée du matin au soir par l’idée de fuguer, c’était devenu obsessionnel… Et chaque fois que j’étais sur le point de le faire, une chose, une seule chose m’en empêchait , et sais-tu laquelle ? J’avais une trouille monstre que mes parents, pour la photo d’avis de recherche, en choisissent une sur laquelle j’étais moche. Imaginer qu’une photo mal choisie, une photo de moi avec un sourire forcé ou une coiffure débile ou un énorme bouton sur le front, bref imaginer qu’une telle photo sera diffusée partout dans la région, voir dans le pays, me tétanisait pour moi c’était la honte suprême… J’avais envisagé de laisser sur mon lit, avant de fuguer, un petit message d’adieu avec une photo minutieusement sélectionnée posée à côté, comme une dernière image que je leur aurais confiée, mais le risque qu’ils en choisissent une autre pour l’avis de recherche était trop grand… Voilà à quoi à quoi tient une grande décision à treize ans…

 

Quelle traversée du 20° siècle et même du début du 21° ! Nous suivons les destinées des membres d’une famille bourgeoise parisienne bien ancrée dans les valeurs chrétiennes et du patriotisme. Les hommes se donnent corps et âmes à leur vocation militaire ou autres et font des enfants à leurs femmes qui élèvent la nombreuse tribu. Tout le talent d’Alice Ferney, c’est de ne pas juger avec nos yeux d’aujourd’hui les engagements d’hier. Elle rend cette famille très vivante et les personnalités des uns et des autres sont crédibles, on s’attache à ces hommes et ces femmes d’une autre époque et pour moi d’un autre monde. On comprend leur destinée, et son but est atteint, on ne peut plus les juger avec nos mentalités d’aujourd’hui. Je reste quand même un peu hésitante sur les guerres coloniales, certes ceux qui n’ont pas accepté la colonisation ont utilisé des façon de faire peu recommandables mais beaucoup en France n’acceptaient pas le colonialisme. Sans doute étaient-ils plus nombreux que ceux qui ont tout de suite compris que Pétain faisait fausse route. Mais peu importe ces détails, cette famille et tous ces membres ont captivé mon attention (comme le prouvent les nombreux passages que j’ai recopiés). Nous passons donc doucement d’une famille attachée aux valeurs royalistes parce que le roi était chrétien à une famille républicaine patriote. Les enfants se bousculent dans des familles nombreuses et pour Alice Ferney c’est de ce nombre que vient une de leur force. On sent qu’elle a un faible que son lecteur partage volontiers pour le cancre de la tribu, Claude, qui finalement avait des talents cachés que le système scolaire n’avait pas su mettre en valeur. Ce roman a été, pour moi, un excellent moment de lecture, sauf les 50 dernières pages, qui sont répétitives et qui ne rajoutent rien au roman. On sent qu’il y a à la fois trop de personnages et que l’auteur n’a plus grand chose à ajouter puisqu’elle n’a pas voulu faire entrer cette famille dans le 21° siècle. Cette époque où la réussite des femmes ne se mesure plus au nombre de leurs enfants ni à la réussite de ces derniers, mais plutôt à leur épanouissement qui passe aujourd’hui par une carrière et un rôle social en dehors de la famille.

 

Citations

 

Le café du mort

Jérôme Bourgeois n’était plus. Sa tasse pleine fumait encore et il ne la boirai pas. Peut-on boire le café d’un mort, si on le fait pense-t-on ce qu’on pense habituellement d’un café ( il est froid, il est trop sucré, trop fort, il est bon) et si on ne le fait pas, que pense-t-on au moment de le jeter dans l’évier ? Je me le demanderais en songeant à ce détail, parce que je connais cette éducation qui interdit de gâcher et que la génération de Jérôme l’avait reçue. Mais non, penserais-je, dans l’instant où quelqu’un vient de mourir personne alors ne boit plus, le temps de la vie se suspend, le trépas accapare l’attention, l’aspire comme un trou noir la matière cosmique,et tout le café de ce jour funeste est jeté. 
 

Un beau portrait 

 
Jérôme fut résolument français et provincial. Il ne fut pas médecin du monde, il fut médecin de son monde : il soigna les gens du coin. C’était peut-être moins glorieux, personne d’ailleurs ne lui remit de décoration, mais ce fut bon pour ceux qui étaient là. Généraliste, Jérôme recevait tous ceux qui le demandait : les personnes âgées solitaires et les nourrissons avec leur mère, les enfants qui était à l’école avec « ceux du docteur » et venait se faire soigner en même temps que jouer chez lui, les ouvriers, les derniers agriculteurs, les commerçants, les notables. Il n’en n’avait jamais assez des gens, ils disaient oui je vous attends. Parfois on le payait en nature, un pain, une poule, un lapin. Clarisse embarquait l’animal à la cuisine. Jérôme avait accepté le suivi médical des détenus de la prison voisine. C’était le temps Michel Foucault militait. Jérôme ne lisait pas le théoricien des châtiments, il pénétrait dans la détention. Pas un appel d’autrui qu’il n’entendît . Quand on se donne à dévorer aux autres, on n’a jamais le temps de s’inquiéter pour soi. Jérôme était une énergie en mouvement.
 

Les familles nombreuses 

 
 
Être dix, c’était avancer dans la vie comme une étrave avec derrière soi le tonnage d’une énorme famille. C’était une force inouïe, la force du nombre. C’était se présenter devant le père avec l’encouragement des autres, et s’agglutiner autour de la mère dans la chair des autres, et goûter à la table des autres. C’était ne se sentir jamais seul mais aussi être heureux quand par miracle on l’était, séparé soudain de l’essaim, dans un silence éblouissant auprès d’une mère disponible. C’était exister dans dix au lieu de n’être qu’en soi. C’était avoir grandi à la source de la vie, dans sa division cellulaire, spectateur de l’apparition d’autrui. Je n’ai connu maman enceinte, remarque souvent Claude.
 

Tellement vrai

 
 
Ils seraient les représentants d’une époque et d’un milieu typiquement bourgeois, parisien,catholique,très « Action française  » comme on le dit maintenant, avec la sévérité de ceux qui viennent après et n’ont guère de mérite, puisqu’ils savent où mènent certaine idées et que l’Histoire a jugé. 
 

Henry Bourgeois né en 1895

À l’âge adulte, Henri fut toujours du côté de l’église plutôt que de celui de l’état. Il répétait ces préventions à qui voulait l’entendre :  » En affaires il y a une personne à qui il ne faut pas faire confiance, c’est l’état ». Entrepreneur, chef de famille qui avait l’ élan d’un chef de bande, Henri avait la haine de cette puissance changeante. Sa préférence allait à un guide spirituel plutôt que politique. En En somme, laïcisé, le monstre froid ne l’intéressait plus.
 

Collaborer résister 

Le sens exacerber de la discipline et une chose concrète et la condition sine qua none du métier militaire. Aucun Bourgeois ne l’ignorait. On ne transige pas avec l’obéissance sauf si elle réclamait des actes contraires à l’honneur. L’honneur était une grande valeur. Or à cette aune qu’est-ce que c’était qu’émigrer ? S’enfuir comme un malpropre ? Abandonner le pays et le peuple dans un désastre ? Ainsi pensait Jean à l’âge de 19 ans. Mers-el-Kébir ne fit qu’aviver son amour pour la France, sa défiance de l’Angleterre, sa confiance dans la légitimité de Vichy. Il est possible de le comprendre si l’on parvient à ne pas lire juillet 1940 à la lumière d’août 1945.
 

Le sport

 
Le sport n’était pas encore une pratique répandue chez les Bourgeois. On appréciait pas tout ce qui allait avec : les tenues décontractées, la sueur, les vestiaires collectifs et la promiscuité. La préférence était donnée aux rites sacrés ou anciens, comme la messe, le déjeuner dominical et les partie de campagne à Saint-Martin. On y restait entre soi, dans une société choisie et connue, alors que les associations sportives mêlaient des populations hétérogène. En un mot, le sport c’était populaire. C’était le Tour de France. C’était plouc ! C’était rustre. Cette opinion effarouchée c’était évidemment formée en vase clos et à distance .
 

Portrait et révélation d’une personnalité 

 
Claude accompagnait le président partout. Il était ses yeux. Il lui décrivait tout ce qu’il voyait, ce qui est aussi une manière d’accroître sa propre attention. 
– Dites-moi un peu plus sur ses déchets, demandait le président. 
Et Claude décrivait les déchets. Au fond et sans le savoir, il pratique et le difficile exercice qu’on appelle en grec « ekphrasis ». Quoi de plus formateur pour apprendre à regarder, à connaître et à exprimer ? Claude trouva en lui quelque chose qu’il ignorait, le talent.
Chez le président, il trouva l’expérience. Un jour, dans l’avion pour Casablanca, Claude lui lisait le journal. Quels sont les titres aujourd’hui ? demandait Jean Émile Gugenheim. Puis informé de tout : lisez moi tel et tel l’article. Un entrefilet ce jour-là raconter comment un fonctionnaire soudoyé pour l’obtention d’un contrat avait rendu l’argent. Le journaliste vantait l’honnêteté et se réjouissait de sa persistance. Claude fit de même. Jean Émile Guggenheim s’amusa de ses naïvetés.
– Pourquoi riez-vous ? demanda Claude
– Il n’y avait pas assez dans l’enveloppe !
. Le président connaissait la nature humaine. Il n’en concevait ni désolation, ni épouvante, mais composait , et parfois il se divertissait de ce qu’elle fût si immuable et prévisible.