Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Excusez le flou de la photo !

J’ai bien aimé ce roman qui raconte le désespoir d’une enfant qui ne retrouve pas, un soir en revenant de l’école, sa mère, à la maison. « Elle est partie » lui dit son père, et elle n’en saura jamais plus.

Sa mère grande dépressive, était depuis quelques temps devenue mutique et restait allongée sur un lit. Son père et sa fille venaient lui parler sans que jamais elle ne leur réponde. Et puis, trente ans plus tard, un message téléphonique lui apprend où vit sa mère. En abandonnant immédiatement tout, elle part retrouver celle qui lui a tant manqué.

Le roman suit le voyage de cette femme vers sa mère et la lente remontée dans ses propres souvenirs. On comprend sa colère contre son père et ses grands-parents qui l’ont élevée mais qui n’ont jamais voulu lui dire où était sa mère. Le savaient-ils ? Elle a choisi le théâtre pour se reconstruire et cette adolescente blessée a retrouvé dans la personnage d’Antigone un écho à sa propre douleur. Son père va refaire sa vie et la laisse près de ses grand-parents. On a du mal à comprendre pourquoi ce silence qu’elle ne peut interpréter et en conséquence de quoi la prive d’un rapport normal avec eux. Ils n’ont pas su l’aimer mais elle ne s’est pas laissée approcher d’eux. Pourtant, si sa grand-mère est très brusque, son grand-père semble plus tendre. Elle retrouvera sa mère mais n’en saura pas beaucoup plus.
Le lecteur n’aura jamais toutes les clés pour mieux comprendre les personnages de ce roman. La dépression de sa mère, le silence de son père et de ses grands-parents, et pourquoi adulte, elle n’a pas plus cherché où était sa mère. Cela m’a un peu gênée, pour faire de ce roman un vrai coup de cœur.

En remplissant mon abécédaire je me suis aperçue que j’avais déjà lu un livre dette auteure : « Rêves oubliés » (que j’avais bien oublié, il est vrai !)

 

 

Citations

Départ de sa mère

 Elle se souvient du jour où son père, Isidore, lui avait dit : maman est partie.
 Une phrase simple sujet verbe participe passé. Une phrase tout à fait intelligible. Magdalena la comprenait, mais la trouvait trop courte. Il manquait au moins un complément de lieu, ainsi que plusieurs paragraphes d’explications. Une maman ne part pas comme ça.

Le courrier

 Les gens ne s’écrivent plus, disait-il à Appolonia, des courriers électroniques, c’est de l’écrit impalpable, et ce qui ne se touche pas ne compte pas. À la fin, je ne portais plus que des publicités, des factures, des relevés de banque, aucune trace de stylo, d’écriture, une carte postale de temps en temps pour une grande tante parce qu’on sait qu’elle aime ça. Souvenir de Rome, de Budapest.

Métier d’actrice

 Chaque personnage est un manque de plus, un effacement du trait, un détour sur le chemin, un sentier sauvage à défricher, une bifurcation, une excuse, une halte, encore une, pour ne pas s’approcher du cœur, du poumon, et rester en lisière de soi, de son propre désir, se remplir du regard des autres, pour le prendre en embuscade, le séduire, s’en emparer, afin d’éviter toujours d’être soi-même ?

 

 

Édition

Édition de minuit

 

Quel talent cet écrivain et quel pensum de lire un tel roman avec si peu de moyens de supporter la violence. Vers les trois quart du roman je me suis rendu compte que j’en voulais à l’écrivain de décrire avec autant de minutie des faits qui me dégoûtent au plus haut point. Je pense que dans le genre glauque et violent, je préfère les récits rapides qui me permettent de ne pas passer quinze jours avec la peur d’ouvrir encore le roman et savoir que l’on s’enfoncera encore un peu plus dans l’ignominie.

Je ne peux pas avoir un avis objectif sur ce livre, je suis certaine que Laurent Mauvignier écrit de façon remarquable mais pourquoi a-t-il pris ce plaisir à détruire tous les personnages dont il avait patiemment construit la vie pendant la moitié du roman. Il prendra encore autant de temps pour les détruire à petit feu pendant l’autre moitié. Le roman se centre sur une nuit qui au lieu d’être l’anniversaire d’une jeune femme, Marion , maman d’Ida, épouse d’un paysan Patrice et voisine de Christine artiste peintre, sera une nuit de massacre organisé par ceux qui avaient tellement abîmé sa vie d’adolescente : trois frères violents et prêts à tout pour détruire le début d’un bonheur si fragile.

Six cent trente quatre pages pour essayer de comprendre pourquoi quand la vie a mal commencé il est vraiment impossible d’avoir droit au bonheur et pourtant ça a failli réussir. Mais la fatalité , le destin, la malchance, la poisse ce sont vraiment des tentacules d’une pieuvre dont on ne peut se débarrasser qu’en visant la tête, encore faut-il pouvoir l’atteindre !

Un roman qui tient pour son écriture si particulière qui m’a enchantée pendant les trois cents premières pages, et qui n’a pas suffit à me faire supporter la description du drame final.

Citations

Village déserté

Voilà aucun ne resterait, il n’y avait de toute façon rien à foutre à la Bassée, c’est vrai, mais entre d’avoir rien à y foutre et n’en avoir rien à foutre il y avait une nuance que personne ne semblait voir, car personne ne voulait la voir. 

Les lettres anonymes

(Et longueur des phrases j’ai coupé au 2/3 .)

Les lettres anonymes, ils ont beau ironiser, oui, ou jouer la connivence en se disant que c’est malheureusement peut-être une spécialité française, il faudrait voir, toutes les histoires pendant la seconde guerre mondiale, une spécialité campagnarde au même titre que les rillettes et le foie gras dans certaines régions, une détestable tradition, assez pitoyable et heureusement souvent sans conséquence, mais qu’on ne peut pour autant pas prendre à la légère, explique le gendarme comme il l’avait expliqué la dernière fois, avec fatalisme et un peu de lassitude ou de consternation, car, répétait-il, derrière les lettres anonymes il y a presque toujours des aigris et des jaloux, des envieux, qui n’ont rien d’autre à faire que de ressasser leur bile et croit s’en décharger en insultant un ennemi plus ou moins fictif, en l’invectivant, en le menaçant, en crachant sur lui une haine recuite par l’intermédiaire d’une feuille de papier ;

Façon de distiller le suspens procédé un peu répétitif .

Pour l’instant, elle ignore les bruits, n’en n’est pas encore à les surprendre un peu partout autour d’elle, comme elle va le faire dans quelques minutes.
Pour l’instant, elle ne prête aucune attention à ces froissements, ces souffles ou ces pas qu’elle commencera à percevoir seulement quand elle aura fini d’installer sur sa table de cuisine les ingrédients et les ustensiles dont elle va avoir besoin.
Pour l’instant, donc, elle ne fait pas attention aux bruits de l’extérieur, ni au fait que son chien n’est toujours pas revenu auprès d’elle. 

Usine fermée.

Car oui, il arrive qu’on soit soulagé de la fermeture d’une usine, comme celle-ci où on a fabriqué pendant plus de quarante ans des plaques ondulées en fibro-ciment pour les bâtiments agricoles et des raccords de tuyauterie, mais surtout des cancers et, pour ceux qui n’en sont pas morts, des dépressions liées à la peur de l’amiante, de vivre avec cette saloperie en soi.

 

 

Édition 10/18 domaine étranger . Traduit de l’anglais par Delphine et Jean-Louis Chevalier

 

Le 23 janvier 2020 je disais à Aifelle que ce livre me tentait beaucoup. Elle me mettait en garde contre l’aspect très noir du roman, elle avait bien raison mais je ne regrette absolument pas cette lecture même si parfois je l’ai trouvée éprouvante.

Ce n’est pas un roman qui se lit facilement parce qu’il décrit une tension que rien ne semble pouvoir apaiser. Mais il permet de découvrir le sort qui était réservé aux émigrés européens qui, après la guerre, ont voulu rejoindre l’Australie pour fuir les horreurs qu’ils venaient de vivre. Comme à toutes les époques d’après conflits, les populations recherchent un ailleurs plus souriant, mais les pays se referment sur eux mêmes et n’accueillent que difficilement de nouveaux arrivants même dans un pays comme l’Australie qui pourtant, est, en principe, une terre d’immigration.

Le roman se construit sur deux époques, l’enfance de Sonja dans les années 1950, et en 1990 son retour alors qu’elle est enceinte vers son père Bojan Buloh, un ouvrier dur à la tâche et qui noie son mal de vivre dans l’alcool. Avant ces dates, il y a aussi le passé dans les montagnes Slovènes où Bojan et sa femme Maria ont connu l’horreur absolue de la guerre contre les nazis menée par des partisans. Ces horreurs ont modelé des êtres qui renferment alors en eux des bulles de fragilités dont ils n’ont eux-mêmes pas idée et qui peuvent éclater à tout moment. Les chasser loin, au delà de leurs souvenirs, ne leur permettra pas de se débarrasser de leur présence dans leur personnalité.

Marie, disparaît dès le premier chapitre. Disparaît c’est vraiment le mot employé et elle laisse derrière elle, une petite fille de 5 ans qui ne comprend pas et un mari complètement effondré qui ne trouvera que dans l’alcool des oublis qui ne durent que le temps de l’ivresse. La vie des émigrés étaient dures, en effet, avant de devenir australien, ils devaient accepter de travailler pendant deux ans là où on avait besoin d’eux. Pour Bojan, ce sera à construire des barrages hydrauliques en Tasmanie. Si la description du climat est réaliste, cela ne donne guère envie d’y faire du tourisme, il y fait froid, le paysage est noyé sous la brume ou la pluie battante. L’enfant est d’abord retiré à son père et fréquentera deux familles d’accueil absolument horribles, puis elle viendra vivre avec lui. Bojan aime son enfant mais est dépassé par son drame personnel, et lorsqu’il a bu frappe sa fille sans raison. Malgré cela Sonja a bien du mal à le quitter, et c’est vers lui qu’elle revient adulte et enceinte.

Ce roman est donc très sombre et parfois trop pour moi, et il est soutenu par une évocation d’une nature sans pitié qui colore le roman d’une tension supplémentaire. Pendant tout le roman on espère comprendre le pourquoi de tant de malheurs, on sent que la vérité va être insupportable et elle l’est effectivement. Je ne m’attendais pas à cette explication que je me garde bien de vous dévoiler. La fin du roman est un petit moment d’espoir autour d’un bébé qui représente un avenir possible. En tout cas, c’est que j’espère, on croise les doigts pour ce bonheur fragile.

 

Citations

 

Réaction de Soja face à la colère de son père complètement ivre

Il n’était pas grand, Sonja Buloh n’était pas grande non plus et ne possédait pas sa faculté de prendre des proportions gigantesques. Elle, c’était précisément l’inverse. Pour échapper à ce courroux, elle avait appris l’art de la petitesse, l’art de rendre son être si menu qu’il devenait invisible sauf à un examen attentif.

La langue et l’immigration

Il s’arrêta, rassembla ses pensées dans sa tête et essaya de les réarranger en un semblant d’anglais correct. « J’aurais dû écrire à toi, euh, des lettres, mais euh, mon anglais, il va au travail, il va au pub, mais il va pas si bien sur le papier. »
« Il y a des choses qui comptent plus que les mots » dit-elle puis elle s’arrêta. Sa remarque avait toutefois frappé son père . Il devint presque volubile, mais sans colère, pour la réfuter. 
« Peut-être tu dis ça parce que tu as plein de mots, dit-il tu as trouvé une langue. Moi j’ai perdu la mienne. J’ai jamais eu assez de mots pour dire aux gens c’que je pense, c’que je ressens. Jamais assez de mots pour un bon boulot. »

Illusions australiennes .

Pour Sonja la ville de Tullah n’était pas nichée dans la haute vallée entourée de tous côtés par les montagnes sauvages, mais avait plutôt un air de catastrophe industrielle disposée en petit tas réguliers qu’on avait laissés s’enfoncer dans le sol marécageux. Tout être, toute chose était provisoire. Sauf la forêt tropicale et le bois bouton qui repousserait une fois terminé cette brève interruption. Ce n’était pas un lieu où les gens naissaient ou souhaitaient mourir, mais un lieu qu’ils aspiraient simplement à quitter. 
La promesse faite aux travailleurs émigrés, l’offre d’une vie meilleure en Australie dans l’Europe dévastée par la guerre, l’insaisissable arc-en-ciel de la prospérité et e de temps plus paisibles, tout cela s’était amenuisé, éloigné, ce n’était plus une chose réelle mais un kaléidoscope, un rêve à moitié fixé dans la mémoire qu’il valait mieux essayer d’oublier.

Les désespérés

À la fin la seule chose qui comptait, c’était qu’il semblait ne pas y avoir d’issue, vraiment rien d’autre que la mort ou l’alcool. Au bout d’un certain temps tout le reste s’évanouissait, et certains étaient assez contents qu’il en soit ainsi et d’autres non, mais dans un cas comme dans l’autre la plupart finissait par décider que mieux valait ne pas songer sans cesse au joug du destin qui pesait si durement sur eux. Au bout d’un certain temps ils perdaient à peu près tout, famille, argent, espoir. Ils conservaient toutefois une certaine camaraderie de chiens perdus qui valait ce qu’elle valait, généralement pas grand-chose, certaines fois énormément.

Le discours que le père n’a pas pu dire à sa fille

Elle partie, il trouva finalement les mots pour exprimer ce qu’il voulait lui dire depuis longtemps. « Toi et moi, dit-il d’une voix basse au débit hésitant, on a vécu, on a vécu pire que des chiens. Je regrette. Je pense pas qu’tu reviendras. Crois-moi, j’ai jamais voulu tout ça, la boisson, les coups, ces gourbis d’émigrés, des fois des choses t’arrivent dans la vie et malgré tout, malgré c’que t’espères, tu peux pas les changer. »
Sa confession terminée, son éloquence l’abandonna aussi rapidement qu’elle était venue. 
Avant d’aller prendre dans le frigo sa première bouteille de la journée, oublieux de l’heure matinale, il dit seulement une chose à la brise qui s’engouffrait du monde extérieur.
 » On est venus en Australie, dis Bojan Buloh, pour être libres ».

 

 

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carla Lavaste. Édition Pocket

 

Roman reçu en cadeau, et que j’ai lu d’une traite car l’histoire est saisissante et bien racontée. J’aime bien découvrir à travers un roman un fait historique dont je n’avais jamais entendu parler. Aux USA « Terre d’accueil et de liberté » pour des populations européennes chassées par la misère de leur pays, une pratique peu reluisante a vu le jour entre les deux guerres. Une oeuvre chrétienne chargeait à New-York un train avec des orphelins pour leur éviter l’orphelinat. Il arrivaient dans le Midwest et dans les gares les attendaient des couples en mal d’enfants. Une affiche avec cette annonce était collée sur les murs

On recherche
FAMILLES D’ACCUEIL POUR ORPHELINS
Une société de Bienfaisance de la côte Est
Pour enfants sans foyer
Arrivera à la gare de Milwaukee Riad.
Le vendredi 18 octobre
LA DISTRIBUTION AURA LIEU À 10H
ces enfants de tous âges et des deux sexes
sont seuls au monde

Les familles d’accueil faisaient leur choix et signaient une convention : ils devaient les nourrir et les loger contre de menus services et les envoyer à l’école. Les bébés étaient le plus souvent adoptés et les plus grands, surtout les garçons étaient choisis par des fermiers pour l’appoint qu’ils pouvaient apporter au travail de la ferme. Aucun contrôle n’était exercé et donc l’école était une option au bon vouloir des gens qui accueillaient ces enfants.
Le roman a choisi pour raconter cette histoire une petite fille irlandaise qui changera plusieurs fois de prénom, Niamh son prénom irlandais, Dorothy dans l’horrible première famille et Viviane chez les gens qui l’ont aimée et qui ont voulu lui donner le prénom de leur fille morte de la diphtérie . Le seul objet qui la relie à son origine est un médaillon en étain avec le symbole irlandais de l’amour ;  » le cladagh »

Il lui avait été offert par une grand-mère dont elle se souvient avec tendresse. Mais quand elle sera orpheline personne ne cherchera à la récupérer ni sa famille irlandais avec qui elle n’a plus aucun contact ni sa famille(éloignée) américaine qui devait sans doute se battre avec sa propre misère. Elle partira donc dans un de ces trains et connaîtra deux horribles familles avant de rencontrer ceux qui deviendront ses parents adoptifs . Cette histoire nous est racontée au gré des rangements dans un grenier par une autre enfant placée en famille d’accueil, Molly qui a écopé de cinquante heures de travaux d’intérêt général. Ces deux femmes l’une dans l’année de ses 18 ans l’autre dans ses 93 ans finiront par s’entendre. Elles ont en commun de savoir ce que c’est que de vivre dans une famille d’accueil.

J’ai quelques réserves sur la fin trop en happy-end à mon goût , en particulier pour la jeune Molly mais cela n’enlève rien à l’intérêt du roman.

 

Citations

Une jeune placée en famille d’accueil

S’il y a bien une chose qu’elle déteste à propos des familles d’accueil, c’est d’être à la merci de gens qu’elle connaît à peine et de dépendre de leur moindre lubie. Ne rien attendre de qui que ce soit, voilà ce qu’elle a appris. Ses anniversaire sont souvent oubliés et c’est tout juste si elle est invitée à participer aux différentes fêtes qui jalonnent l’année. Elle doit se contenter de ce qu’elle reçoit, et c’est rarement ce qu’elle a demandé.

Le train d orphelins

« Les enfants, vous voici à bord de ce que l’on appelle un train d’orphelins et vous avez la chance d’en faire partie. Vous laissez derrière vous un lieu diabolique où règne l’ignorance, la pauvreté et le vice. À la place, vous allez découvrir la noblesse de la vie à la campagne. »

 

Édition JCLattès . Traduit de l’anglais par Johan Frederik Guedj.

J’ai reçu en cadeau cet essai de Tara Westover et je l’ai lu avec beaucoup d’émotion et d’intérêt. Cette jeune femme diplômée de l’université de Cambridge et de Harvard a commencé sa vie dans des conditions très particulières. Venant d’un milieu mormon, elle a grandi dans l’Idaho près du mont Buck’s Peak.

 

Cette montagne aura une grande importance dans la construction de sa personnalité, son père lui a raconté toutes les légendes qui peuplent ces lieux et elle représentera tout son univers pendant seize ans de sa vie. L’enfance qu’elle raconte dans ce livre est terrible car non seulement les mormons ont tendance à vivre entre eux en respectant des règles strictes mais en plus son père était « le plus mormon des mormons » et surtout c’est un malade mental qui est la proie de crises paranoïaques. Il faudra à Tara, seize longues années pour se défaire des liens qui l’attachaient à cette famille mortifère. Son frère aîné est d’une violence et d’une perversité incontrôlable, elle sera battue, humiliée et en grand danger de mort sans que ses parents n’interviennent. Il faudra une dernière crise de ce frère pour qu’enfin elle abandonne ses réactions de petite dernière de la fratrie des Westover pour aller vers des études qui lui permettront de trouver la femme remarquable qu’elle est vraiment.

Sa description de son enfance est émouvante, si elle n’est pas allée à l’école, elle a croisé des adultes qui savaient lui dire que ce n’était pas normal et cela a dû avoir une certaine importance dans la rupture avec ses parents qu’elle devra assumer. Elle tient beaucoup à ce titre « Éducation » , car oui elle a été éduquée et en particulier à trouver des forces en elle-même, savoir admirer la beauté de la nature mais à part cela c’est vraiment difficile de voir les valeurs que son père lui a données. On sent très bien que la religion n’est qu’un prétexte pour ce père afin de soumettre toute sa famille à des lois et des règles très dures. Les seuls qui se sont sortis de cette domination sont ceux qui n’ont pas accepté de faire partie du clan et qui tous grâce aux études ont pu assumer leur vie. Les autres vivent encore sous cette domination et le succès du livre de Tara n’a pas dû arranger la paranoïa de son père. Elle est définitivement passée du côté du gouvernement, celui qui impose le lavage de cerveau par l’école, qui ruine la santé par les vaccins et les soins à l’hôpital, qui ne croit pas à la fin du monde et donc n’encourage pas les constructions de souterrains pour survivre : bref, le monde de terreur dominé par le patriarche et assiégé par les forces du mal dont sa fille fait maintenant partie.

Le soucis de vérité de Tara Westover et son honnêteté sont très émouvants elle cherche à éviter la culpabilité que sa mère sa sœur et ses frères veulent lui inculquer. On sent tout le travail thérapeutique qu’elle a dû faire pour oser écrire ses souvenirs sans blesser personne et pouvoir retrouver sa famille sur des valeurs d’amour qui ne soient pas fondées sur la manipulation des uns par les autres.

Citations

Le début

Je n’ai que sept ans, mais je comprends que c’est surtout ça qui rend ma famille différentes : nous n’allons pas à l’école.
Papa redoute que le gouvernement ne nous force à y aller, et cela est impossible, parce que les autorités ignorent que nous existons. Quatre des sept enfants de mes parents n’ont pas d’acte de naissance. Nous n’avons pas de dossiers médicaux, parce que nous sommes nés à la maison et n’avons jamais vu un médecin ou une infirmière. Nous n’avons pas de dossier scolaire parce que nous n’avons jamais mis les pieds dans une salle de classe.

La propreté

« N’apprends-tu pas à tes enfants à se laver les mains après être allés aux toilettes ? »
Papa a pas mis le moteur en route. Le pick-up avançait lentement, il a fait un signe de la main. 
« Je leur apprends à ne pas se pisser sur les mains. »

La religion de ses parents

J’avais toujours su que mon père croyait en un Dieu différent. Enfant, j’avais conscience que si ma famille fréquentait la même église que tout le monde dans notre ville, notre religion n’était pas pareil. Les autres croyaient en la décence ; nous, nous la pratiquions . Ils croyaient au pouvoir de guérison de Dieu ; nous remettions nos blessures entre Ses mains. Ils croyaient en la préparation de la Résurrection, nous nous y préparions véritablement. Aussi loin que je me souvienne, j’étais convaincu que les membres de ma famille étaient les seuls vrais mormons que j’ai jamais connus.

Le final

Maintenant que j’y pensais, je me rendais compte que tous mes frères et soeurs exceptés Richard et Tyler, étaient économiquement dépendants de mes parents. Ma famille se scindait en deux -les trois qui avaient quitté la montagne, et les quatre qui étaient restés. Les trois titulaires de doctorat, et les quatre sans diplômes. Un fossé était apparu, et se creusait.

Un petit livre trouvé chez Nouketteet que j’ai lu, moi aussi, en une soirée, ce petit Adrien qui a le mot « rien » dans son nom est bouleversant. Il voudrait être aimé , il voudrait avoir un papa, ou au moins savoir qui est son papa. La vie n’est pour lui qu’une succession de choses qui vont mal, comme ses reins qui sont fichus et qui le mettent en grand danger de mort, comme sa maman qui a un grave accident, comme sa tante – la sorcière- qu’il déteste et qui ne sait pas aimer les enfants. Est-ce qu’un jour la vie lui sera un peu plus douce ? On l’espère mais c’est vraiment mal parti, en attendant, l’auteure a su nous embarquer dans les méandres des pensées des enfants pour qui rien n’est simple. De l’extérieur on peut penser qu’ils s’y prennent très mal ! mais si on savait ! C’est si compliqué pour un enfant de chercher à se faire aimer d’adultes qui n’ont pas résolu leurs conflits. Le regard du petit garçon choisi pour la couverture du livre poche dit bien toute la détresse de ce petit Adrien.

 

Citations

 

le début

Aussi loin que je m’en souvienne, je l’attendais assis, le menton sur les genoux, les bras autour des jambes et le dos appuyé contre la porte du placard.

 

Sa maladie

 

Je lui ai alors expliqué que j’étais malheureux au sixième étage de cet immeuble où nous vivions, que je détestais le sous-sol, que je m’ennuyais avec elle pendant les weekends et sans elle pendant la semaine. Elle n’avait qu’à arrêter de travailler s’occuper de moi, au lieu de m’abandonner à ma sorcière de tante. Bien sûr, il y avait la maladie, cette fichue maladie des reins fichus qui me faisait manquer l’école,

 

Traduit du Roumain par Philippe Loubière . Édition des Syrtes

C’est Inngamic qui m’a donné envie de lire ce roman, mais je crains que le but de Goran, Eva , Patrice pour le mois Europe de l’Est soit un peu raté, car je ne vais pas vous faire découvrir un nouvel auteur, mais simplement confirmer les avis très positifs de l’an dernier, peut-être que, malgré cela, vous ne l’aviez pas encore découvert ? Si vous le lisez je parie que l’an prochain, il sera de nouveau dans le mois de l’Europe de l’Est !

Ce roman est tout à fait à part, tout est dans le style de cette auteure. Chaque phrase est percutante et permet, peu à peu, de reconstruire la vie tragique d’Alesky et de sa mère. L’auteure manie avec une telle dextérité, l’ellipse, que je ne veux pas vous redonner le fil du récit car vous perdriez un des charmes du roman. Comme de petits éclairs dans une vie si sombre, les clé de compréhension viennent éclairer ce récit. On peut, sans rien déflorer, dire que Tatiana Tibuléac, nous met dans la tête d’un adolescent qui a le cerveau dérangé et qui hait sa mère. C’est peu de le dire, il rêve de la tuer dès qu’il pense à elle, il faut dire qu’il n’a reçu que des rejets de sa part depuis la mort de sa petite sœur. Mais ensemble, à la demande express de sa mère, , ils partent en vacances, en France. C’est là le coeur du roman, non seulement cet été là , il découvrira les yeux verts de sa mère, mais, plus encore, il va essayer de la comprendre. Le sujet du roman, c’est donc la progression vers un amour bancal car ni l’un ni l’autre ne vont bien, lui a le cerceau un peu dérangé et sa mère est atteinte d’un cancer « enragé ».

Tout est dans la façon de raconter cette énorme souffrance d’un enfant fragile qui non seulement doit se remettre de la mort de sa petite sœur adorée mais qui est ignoré par son père alcoolique et rejeté par sa mère murée dans sa propre souffrance. Il devient violent et s’enferme derrière un mur de haine qu’il croit indestructible. Les phrases sont percutantes et font mal, à l’image du début que l’on ne peut pas oublier :

Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais maman venait d’avoir trente neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui ont jamais existé.
J’ai souvent eu envie de recopier des phrases de ce roman (il y a donc beaucoup d’extraits) , j’espère que vous les lirez car mieux que ce que je peux en dire, il vous expliqueront pourquoi j’ai aimé ce petit livre malgré la dureté du propos.

 

Citations

L’arrivée dans le village

Il y avait trois jours que je me trouvais dans ce village, sans avoir encore vu personne. Je dormais toute la journée, ou bien je fumais, ou bien je mangeais du pop-corn, ou bien je haïssais maman. Entre-temps, Jim et Kalo étaient partis pour Amsterdam, passer ces fameuses vacances que j’attendais depuis trois ans et pour lesquels j’avais mis de côté les sous que je recevais à l’occasion de chaque fête, plus ceux que j’avais piqués à Grand-Mère.

Sa petite sœur

Il aurait mieux valu que ce fût papa qui mourût, plutôt que Mika. Si la mort tenait compte de notre avis, il mourrait beaucoup de gens bien choisis.
 Notre psychiatre disait que, jusqu’à cinq ans, les enfants ne se souvenaient de rien. Moi, je crois qu’elle déconne et que Mika est morte avec beaucoup de souvenirs, les souvenirs les plus beaux et les plus vrais qui aient jamais existé dans notre maudite famille.
 Je suis sûr que si Dieu avait eu une fille, elle se serait appelée Mika. J’ai tellement le mal d’elle que je m’en arracherais les yeux.

Le monde de l’art

Du monde bigarré et avide qui m’entoure -intermédiaires qui gagnent plus que les artistes, directeurs de galeries prestigieuses ou douteuses, critiques d’art plus fous que moi, oligarques russes et mécènes japonais, milliardaires juifs qui ne reconnaîtraient pour rien au monde qui ne sont ni l’un ni l’autre -, il n’y a que Sacha qui est intérêt à me voir en vie. Si je n’avais pas été là, il aurait continué à travailler comme assistant d’un médecin, avec un salaire d’étudiant. Pour le reste, tout ce ramassis de hyènes serait bien content si je mourais – d’un cancer, de préférence, comme maman, ou de démence-, pour doubler ainsi tant la cote de mes œuvre que leurs profits, déjà gras et immérités.

La transformation de sa mère

Bien qu’elle soit devenue plus belle et plus intelligente, maman s’évanouissait de plus en plus souvent et devenait de plus en plus maigre. Quand elle marchait, ses mains se balançait le long du corps comme celle d’une poupée de chiffon et les commissures de ses lèvres tombaient, la faisant ressembler à un enfant boudeur.
Mais c’était la meilleure maman que j’avais eu jusqu’à présent. Même si je connaissais l’effet de cette maladie sur un humain, j’allais demander pour Noël un cancer pour maman, et non de faire l’amour avec Jude. Quant à papa, je crois qu’aucune maladie ne l’aurait fait changer.

La psychiatrie

Je me suis posé ces questions, dans ma solitude et ma folie, en ramassant mes os éparpillés dans tous les recoins de la chambre avec des mots flottants, allongé sur le divan des dizaines de psychiatres qui ont défilé dans mon cerveau comme dans le couloir d’un hôtel de passe, au cours de dizaines d’interviews et d’émissions sur moi et ma vision si original de la vie.

Les villages français

Aujourd’hui, que j’en suis à aimer les villages français plus que tout autre endroit au monde, tous ces festivals et toutes ces foires sont une partie de moi-même. Je n’en manque aucun, que je rentre à la maison avec une poignée de tomates ou avec un sac plein de laine de mouton. Mais je comprenais mal alors comment des gens sains d’esprit pouvaient avec pouvaient avec tout leur sérieux, organiser « la fête du panais », « la folie des produits à base de pois cassés » ou « le concours régional du meilleur poivron ».

Le voyage de noce de sa mère

Une longue histoire, partiellement inventée, je suppose, sur sa lune de miel avec papa a suivi. Bref, maman voulait voir Venise et papa l’a emmenée à Klaïpeda, un port de Lituanie, où il avait un cousin docker, et pendant quatre semaines ils ont déchargé les sacs d’un bateau.

 

Édition Albin Michel

 

Si vous avez une idée positive de Karl Marx, c’est sûrement que vous avez été sensible aux analyses politico-philosophiques de ce « grand » homme, un peu moins, je suppose, des conséquences de ses « géniales idées ». Mais si vous voulez définitivement vous dégoûter de l’homme, lisez ce livre : Sébastien Spitzer, essaie de retrouver la trace du garçon illégitime de Karl Marx. En exil à Londres, celui-ci « engrosse » la bonne de cette étrange famille d’exilés. Il faut absolument cacher, voire faire disparaître cet enfant. Il vivra, mais aura une vie très misérable comme tous les pauvres anglais de cette époque . Le roman se déroule lors du séjour de la famille Marx en Angleterre, il y arrive en 1850. Nous voyons donc dans cette biographie de Freddy Evans, le fils caché de Marx les deux extrêmes de la société britannique. D’un côte la richesse, dont Engels est un digne représentant et le monde ouvrier qui peut à tout moment tomber dans une misère noire. Au milieu, la famille de Marx une famille d’exilés qui est assez originale, la femme de Marx, Jenny von Westphalen avec laquelle il s’était fiancé étudiant est issue de la noblesse rhénane, son frère aîné deviendra ministre de l’Intérieur de la Prusse au cours d’une des périodes les plus réactionnaires que connut ce pays. Il a un rôle important pour l’intrigue romanesque et dans le destin tragique de l’enfant caché. C’est parfois difficile de démêler la fiction de la réalité. Je pense que l’on peut se fier aux faits historiques, mais l’on sent que l’auteur est dégoûté par son personnage et il en fait un portrait à charge. Il faut dire que pour avoir de l’argent, Karl Marx était peu regardant sur l’origine des finances, peu lui importe par exemple que ce bon argent vienne des plantations esclavagistes du Sud des États-Unis. Derrière le grand homme se cacherait donc un jouisseur peu scrupuleux qui était prêt à tout pour mener une vie confortable sans rien faire d’autre qu’écrire et encore quand il y était poussé par sa femme. Engels est un personnage très ambigu, très riche bourgeois il dirige une usine de filature appartenant à son père, il épouse les thèses révolutionnaires qu’il finance tout en faisant beaucoup d’agent grâce au capitalisme libéral. C’est lui qui sera chargé de faire disparaître le « bâtard » mais il aura quelques difficultés à tuer ou faire tuer un bébé. C’est lui aussi qui entretient à grands frais la famille Marx sans aucune reconnaissance de ce dernier. Le point le plus intéressant du roman, c’est la description de la condition ouvrière en Angleterre, on est en plein dans du Dickens, un rien fait basculer des pans entiers de la population du côté des miséreux et de la famine.

Citations

La misère à Londres 1860

Les tanneurs de Bermondsey exigent une heure de pause. Ils triment quinze heures par jour dans l’odeur méphitique du sang chaud et du jus de tannée. Malte hausse les épaules. Les débats autour des horaires de travail, des temps de pause, de la semaine qui s’arrête le samedi et reprend le dimanche ou des salaires trop bas ne le concernent pas. Il en pâtit seulement. Il habite juste en face. Il les voit qui défilent, vociférant et réclamant. Il sait qu’il s’épuisent a demander l’impossible. Cela fait si longtemps que les injustices existent. Depuis que le monde est monde. Alors à quoi bon s’insurger ? Si seulement ils pouvaient s’écarter de sa route. Il ne peut rien pour eux.

Portrait de Karl Marx par la bonne qu’il a « engrossée »

C’est un vaurien, incapable de mettre un seul penny de côté. L’argent lui brûle les doigts. Il ne sait pas compter. Ni travailler d’ailleurs. Il a bouffé la dot et les dons de sa femme. Il accumule les dettes. C’est tout ce qu’il sait faire, réclamer de l’argent à ses amis. Et quand il refuse, il hurle comme un cochon qu’on saigne. Une bête, je vous dis ! Il fait ça même à sa mère. La pauvre femme. Henriette, qu’elle s’appelle. Il dit que sa mère le vole ! .Vous entendez ! Un homme de son âge qui dit que sa mère le vole ! Saleté de bon à rien ! Et après, c’est moi qui dois faire face au boucher, qui dois le supplier de me faire confiance, comme chez le boulanger ou le marchand de fruits aussi. Ça fait cossu d’avoir une employée. Ah oui ça. Ça fait riche. Mais ils n’ont rien. Que dalle. Que le nom de Madame, usé jusqu’à la corde. Un jour, quand il avait trop faim, il a envoyé une lettre d’embauche à une compagnie des chemins de fer. La première, en 10 ans. Pourtant, il a fait des études. Il est docteur. Faut qu’on l’appelle docteur.

L’argent et la vie d’ Engels et le style lapidaire de l’auteur

Engels paye d’une traite à tirer sur les comptes de l’usine. Le document est signé par lui et par son associé. Peter Ermen était rassuré en le paraphant ce matin. 
L’argent n’a pas d’odeur.
 Tant pis pour les esclaves des plantations du Sud.
Engels voit le document disparaître dans la poche de Dressner. Sa mère est immobile. Ses oiseaux sont figés. Et l’équation de Fourier lui revient à l’esprit, celle qu’il crachait l’été à la face des bourgeois, avec les deux sœurs au bras : deux vices font une vertu. Mary est morte si vite. Le coton le dégoûte. L’argent le dégoûte. Mais c’est un mal nécessaire pour la cause.

Le portrait de Marx (appelé le Maure) lors d’un repas chez Engels

– Je ne sais pas, répond le Maure en s’essuyant les lèvres. La peau de son ventre est tendu. Il a trop mangé. Il ne s’est pas retenu. Il en est incapable. Il a fallu qu’il dévore, tout, très vite comme s’il s’agissait du dernier repas de sa vie.
(Et la fin de la discussion)
-Que faire ? Demande Engels.
– Il faut que je voie avec les autres, ces crétins de choristes, les syndicalistes du Lancashire : Swingkhurst, Mowley et d’autres. 
– Et moi ?
– Toi Engels ? Tu finances ! Débrouille-toi pour trouver de l’argent. Il faudra plus d’argent. Beaucoup plus.

Le pacte sur Le dos de l’enfant illégitime de Karl Marx

. J’ai passé un pacte avec mon frère.
– un pacte ?
– Nous avons passé un accord pour les deux. Si l’existence de ce bâtard était révélé ce serait l’image de mon mari qui serait atteinte. 
Engels acquiesce, sans l’interrompre. 
Elle revient sur ce dîner avec son frère.
 C’était il y a quelques semaines, juste avant qu’ils ne débarquent ici, à Manchester, en famille. Ferdinand avait retrouvé Freddy.
 – Ferdinand est un homme intelligent. Au nom des Westfalen, il a accepté de ne rien dire de l’existence de cet enfant. Pour l’image de notre famille. Pour ma réputation. Il a renoncé ainsi à l’idée de nuire à Carl. Tu sais comme il le hait. Cela n’est pas nouveau. Cette histoire aurais pu lui causer du tort. L’enfant caché de Karl Marx. Son fils caché. Avec la bonne !
. Nous nous sommes mis d’accord, mon frère et moi. Je me suis engagée. Plus d’appel à la grève. Plus de drapeau rouge. Plus de menaces sur Londres ou Berlin ou je ne sais où. J’ai promis qu’il regagnerait son cabinet et se contenterait d’écrire. C’est pour ça que mon frère vous a fait suivre.

Je ne savais pas ça :

Comme des milliers des Irlandais, son oncle s’est engagé comme soldat puis sergent dans l’armée Yankee. Il a suivi les troupes nordistes tout le long de la guerre. Il a cru qu’à l’issue il aurait des terres, lui aussi. De bonnes terres prises aux ennemis sudistes. C’est ce qu’avait promis les colonels, les généraux et surtout le président. Le Nord l’a emporté le Nord a libéré les esclaves. Le Nord a remercié les engagés volontaires pour tout le sang versé. Puis les terres ont été remises aux anciens propriétaires, aux partisans des sudistes. Le Nord a offert quarante acres et une mule a quelques esclave affranchis. Il a offert quarante acres et une mule à ces milliers de conscrits, engagé malgré eux. Et quand il n’y a plus de mule, il a dit à tous les autres, les volontaires, les Irlandais, d’aller se faire foutre.

Édition stock

J’ai lu, sans le chroniquer, « Soudain seuls » de cette écrivaine que je retrouve avec un plaisir de lecture mitigé. Le roman est certes, très bien construit : Iouri brillant chercheur américain qui a passé sa jeunesse en URSS (qui n’était pas encore redevenue la Russie), vient voir son père qui est sur son lit de mort. Rubin, son père a été un véritable tortionnaire afin d’inculquer à son fils les seules valeurs qu’un homme soviétique doit transmettre à son fils : la violence – s’en servir pour ne pas avoir à la subir. Son père, sur son lit de mort, lui demande de partir à la recherche de Klara, sa mère qui a été déportée lors des purges staliniennes. Le roman est construit sur des allées et retour entre le monde d’aujourd’hui et les souvenirs du passé. Nous y trouvons tous les ingrédients classiques des romans se situant dans le monde soviétique. Une mère déportée pour ne pas avoir dénoncé un supérieur juif, un mari lâche qui a essayé de survivre, des hommes violents et alcooliques, la honte de l’homosexualité. Tout cela est bien raconté, la partie la plus intéressante concerne la pêche industrielle, Isabelle Autissier connaît bien la mer et n’a aucun mal à imaginer la violence des rapports entre les marins pêcheurs.
Mais alors pourquoi est ce que je manque d’enthousiasme ? Je trouve que les personnages manquent totalement d’humanité. Le père ultra violent, Rubin, s’est marié avec une femme qui semble là uniquement pour le décor. Iouri ne rencontrera de l’affection qu’auprès d’une femme que son père a violé mais qui finira par s’attacher à lui. C’est un monde d’une cruauté extrême mais quand même crédible. La dernière citation explique ce que j’ai éprouvé oui, c’est une histoire crédible, oui, l’auteure s’est bien renseignée sur ce qui pouvait se passer à cette époque en URSS mais on a l’impression que la famille de Iouri est une éventualité mais n’est pas réelle. Je crois que je préfère lire des témoignages ou des romans d’écrivains qui ont connu ce monde-là.

 

Citations

Le ressort du roman

 Devait-il s’honorer d’avoir pour aïeul cette femme qui avait fait basculer le roman familiale ? Au nom de quoi cette trace indélébile avait-elle été infligée, bouleversant la vie de son père et la sienne ?
Robin resta longtemps silencieux. Puis sembla puiser dans une dernière réserve d’énergie. 
– Je n’ai jamais su. Jamais pu savoir. Et …
Sa voix passa dans un étrange registre, presque enfantin.
Pour un homme dont l’audace avait guidé la vie et qui avait tenté de l’imposer à coups de ceinture à son fils, l’aveu était aussi imprévu qu’incongru. 
Iouri ressentit un vertige. Il savait d’avance ce que son père allait lui demander. Il ne pourrait pas refuser, mais tout, en lui, se dressait contre cette perspective. Il n’aurait jamais dû venir. Rubin le piégeait une dernière fois. Malgré son impossible caractère et sa violence, il devenait une victime qu’il fallait secourir. Iouri s’arc-bouta mentalement pour refuser la proposition qu’il sentait poindre. Mais il y avait Klara, sa grand-mère, il et ce récit qui ne pourrait plus jamais ignorer, un fétu dans le tourbillon de l’Histoire, mais une poutre pour sa propre famille, un nom dans la litanie des sacrifiés, mais le nom qu’il portait. Le regard bleu pâle de Rubin se planta dans ses yeux. 
-Tu dois trouver. Vite, avant que je crève. Au moins que je sache. 
Enfin il lâcha l’inconcevable. 
-Je t’en prie.

La pêche et la souffrance des mousses

À peine le cul du chalut était-il ouvert qu’une marée de bêtes luisantes submergeait le pont, dans un grand chuintement d’écailles. Une masse indistincte s’agitait en tous sens, haletait,se débattait dans un sursaut atavique. Les poissons glissaient les uns sur les autres et s’enchevêtraient. Les queues battaient désespérément, les yeux exorbités, les gueules asphyxiées s’écartelaient, les corps s’arquaient, fouettaient l’air, se tordaient.L’urgences vitales saisissait chaque animal dans un affolement tardif. Les hommes, eux, n’en n’avez cure. Selon un balai bien établi, ils se précipitaient sur les poissons les plus nobles : morues, rares turbots, aiglefin ou perches dorées, hurlant qu’on leur apporte des caisses pour jeter les prises. Les mousses s’activaient, fendant parfois jusqu’aux cuisses la masse grouillante ressemblant à des centaures marin. Puis il leur fallait tirer les caisses alourdies jusqu’au tapis roulant qui convoyait les animaux vers les tables de dépeçage, à l’intérieur. La tâche était rude. Les jeunes, parfois déséquilibrés par une vague, dérapaient sur le mucus. Si la caisse se renversait, il récoltait un torrent d’injures de Serikov ou un coup de pied qui les envoyait la tête la première dans la masse grouillante. Ils aidaient aussi au tri, poussant par-dessus bord les innombrables animalcules raclés en même temps que les poissons comestibles, petits crustacé, méduses, hippocampes, coquillages, bestioles écrasées dans la bataille. Puis ils manœuvraient les lourds manches à eau pour nettoyer le pont.

La famille de Iouri

Il en savait assez pour se représenter les personnages de sa légende familiale : une grand-mère énergique et sensible jusqu’à l’imprudence ; un grand-père aimant , mais faible et veule ; un père tenu de se battre dont la brutalité avait dévoré la vie, une mère inexistante qui s’était dévolue aux objets, puisque les être la des sauvé. Et au final lui, Youri, dont l’enfance avait été imprégnée de ces espoirs, de ces combats, de ces renoncements. Un destin identique à celui de millions de famille tourmentée par les soubresauts de l’histoire, qui cachaient un cadavre dans le placard, croyant ainsi se faciliter la vie.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Albin Michel

 

Dans cette période qui devrait normalement être celle de la fréquentation des cimetières, je vais vous parler d’un roman pour lequel je ne suis pas enthousiaste, même si j’ai eu quelques bons moments pendant la lecture. Violette Toussaint née Trénet est gardienne de cimetière. Quand je dis « née » je ne vous dis pas l’essentiel : Violette est née sous « x » et une sage femme l’a prénommée Violette car à la naissance sa peau violacée l’avait condamnée à ne pas survivre, puis Trénet sans doute parce qu’elle aimait ce chanteur. Violette rencontre son destin sous les traits de Philippe Toussaint un trop beau garçon qui passe son temps à faire l’amour aux femmes, la sienne, celles des autres et toutes les filles qui en ont envie. De cette union mal assortie naîtra une petite fille Léonine et sept ans de bonheur intense pour Violette, même si son mari continue à courir les femmes dans toute la région. Le malheur de Philippe vient d’une mère Chantal Toussaint qui méprise sa belle fille et cherche à transmettre à son fils son propre mépris. Un accident terrible va survenir, mais je ne peux, sans divulgâcher le récit, vous le raconter. Les plaisirs de lecture de ce gros roman, vient des différentes anecdotes liées aux histoires de cimetière. Violette aime son métier et accueille avec respect les malheur des uns et des autres, c’est cet aspect qui m’a le plus intéréssée. J’avoue que l’intrigue autour de la mort de sa petite fille de sept ans, m’a beaucoup moins passionnée et surtout, je ne crois pas du tout aux deux personnages principaux. On est dans la caricature ou dans l’esquisse de personnages mais pas dans la richesse de la complexité de l’humain. L’histoire se tisse lentement au gré d’incessants retour en arrière ou de changements de personnages, on s’y perd un peu. Ce n’est pas ce qui m’a le plus dérangée, mais je ne comprends pas trop cette envie de rendre le roman aussi sinueux . Pour finir par un happy-end très prévisible. Comme je le disais en commençant, il y a de très bonnes petites histoires autour du cimetière, qui rendent ce roman parfois très agréable à lire, mais sinon il faut accepter le côté « romanesque », dans le mauvais sens du terme, des personnages. Cela m’a fait penser aux romans d’Anne Gavalda en plus caricatural.( Et je précise que parfois je prends plaisir à lire Anne Gavalda – comme pour ce roman que je suis loin d’avoir entièrement rejetée.)

 

Citations

Portrait de son mari

Le jour de la parution de l’article, Philippe Toussaint est rentré de la feue ANPE la mort dans l’âme : il venait de réaliser qu’il allait devoir travailler. Il avait pris l’habitude que je fasse tout à sa place. Avec lui, niveau fainéantise, j’avais gagné le gros lot. Les bons numéros et le jackpot qui va avec.

J’aime bien ce genre de remarques

Demain, il y a un enterrement à 16 heures. Un nouveau résident pour mon cimetière. Un homme de cinquante cinq ans, mort d’avoir trop fumé. Enfin, ça, c’est ce qu’on dit les médecins. Ils ne disent jamais qu’un homme de cinquante cinq ans peut mourir de ne pas avoir été aimé, de ne pas avoir été entendu, d’avoir reçu trop de factures, d’avoir contracté trop de crédits à la consommation, d’avoir vu ses enfants grandir et puis partir, sans vraiment dire au revoir. Une vie de reproches, une vie de grimaces. Alors sa petite clope et son petit canon pour noyer la boule au ventre, il les aimait bien.
On ne dit jamais qu’on peut mourir d’en avoir eu trop souvent trop marre.

Une enfance et un couple sans amour.

Je crois que j’ai toujours eu ce réflexe, celui de ne pas déranger. Enfant, dans les familles d’accueil, je me disais : « Ne fais pas de bruit, comme ça cette fois tu resteras, ils te garderont. » Je savais bien que l’amour était passé chez nous il y a longtemps et qu’il était parti ailleurs, entre d’autres mur qui ne seraient plus jamais les nôtres.

Moment d’humour

Maintenant, ma dernière volonté, c’est de me faire incinérer et qu’on jette mes cendres à la mer. 
-Vous ne voulez pas être enterrée près du comte ? 
-Près de mon mari pour l’éternité ?!Jamais ! J’aurais trop peur de mourir d’ennui !
-Mais vous venez de me dire que ce sont les restes qu’on enterre ici. 
-Même mes restes pourraient s’ennuyer près du comte. Il me fichait le bourdon.