20160520_160055Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thèque de Dinard. Il a obtenu un coup de cœur. Traduit de l’italien par Elsa Damien.

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Le cœur de ce roman bat au rythme d’une ville italienne emblématique : Naples. Elena Ferrante nous plonge dans un quartier populaire et nous vivons l’amitié de deux petites filles : Elena et Lila. Évidemment (nous sommes en Italie du Sud), tout le monde est plus ou moins sous la domination des malfrats. Ils sont une des composantes du récit et de la vie des Napolitains, ils font partie des personnalités du quartier au même titre que tous les artisans nécessaires à la vie quotidienne. Une famille de cordonniers : celle de Lila, un menuisier, un épicier, un employé de la mairie : la famille de la narratrice : Elena.

Loin du regard folklorique ou tragique de la misère de l’Italie d’après guerre, nous sommes avec ceux qui s’arrangent pour vivre et se débrouillent pour s’en sortir. Le roman se situe dans les années 50 et on sent que l’économie redémarre, on voit l’arrivée des voitures de la télévision, des loisirs à travers des moments passés à la plage. L’aisance ne supprime en rien l’organisation traditionnelle de la société de l’Italie du Sud et le poids des traditions, en particulier pour les mœurs entre filles et garçons. L’auteure explique très bien la façon très compliquée dont les jeunes, dans ses années là, ont essayé de sortir des codes parentaux tout en s’y conformant, car cela peut être si grave de ne pas le faire.

Les deux petites filles sont soudées par une amitié faite d’admiration et de domination. Lila est la révoltée « la méchante » dit Elena qui sait, elle, se faire aimer de son entourage. Mais Lila est d’une intelligence redoutable. C’est le second aspect passionnant : l’analyse d’une amitié : Elena sent tout ce qu’elle doit à son amie. C’est Elena qui fait des études et se dirigera plus tard vers l’écriture, mais son développement intellectuel doit tout ou presque à l’intelligence et la pertinence de Lila, alors que celle-ci refuse d’aller au lycée, pour se marier à 16 ans. Elle va délaisser l’instruction et la culture et cela met le doute dans la tête d’Elena qui sait que son amie est capable de réussir, bien mieux qu’elle même. Cet aspect de leur relation est très troublant, on se demande, alors, si Lila n’est pas davantage dans le vrai que son amie. Puisque réussir par la voie scolaire signifie se couper définitivement de tous les liens sociaux dans lesquels les jeunes filles ont vécu jusqu’à présent.

Mais finalement on arrive au dernier aspect de ce roman, celui qui est si bien traité par Annie Ernaux : les études amènent Elena à sortir de cette société et de son propre monde, c’est évidemment très douloureux. En plus, pour elle, il s’agit d’un abandon de sa langue maternelle car le dialecte italien de Naples n’a rien à voir avec l’italien du lycée. C’est un voyage sans retour et cela ressemble à un exil qu’elle hésitera à faire. Lila qui a décidé de faire changer les rapports dans son quartier est-elle dans le vrai ? Une histoire de chaussures nous prouvera que sa tâche est loin d’être gagnée d’avance.

La construction du roman ne dit presque rien de la vie d’adulte de ses deux petites filles devenues femmes et j’avoue que cela m’a manqué. Je comprends bien le choix de l’écrivaine, qui laisse une porte ouverte mais j’aime bien qu’on m’en dise un peu plus.

Citations

Dureté de la vie des enfants à Naples dans les années 50

Je ne suis pas nostalgique de notre enfance : elle était pleine de violence. Il nous arrivait toutes sortes d’histoires, chez nous et à l’extérieur, jour après jour : mais je ne crois pas avoir jamais pensé que la vie qui nous était échue fût particulièrement mauvaise. C’était la vie, un point c’est tout : et nous grandissions avec l’obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile.

Trait de caractère de sa mère

Ma mère voyait toujours le mal, où, à mon grand agacement, on découvrait tôt ou tard que le mal, en effet, se trouvait, et son regard tordu semblait fait tout exprès pour deviner les mouvements secrets du quartier.

La relation entre Elena et Lila et les succès scolaires

– C’est quoi, pour toi, « une ville sans amour » ?
– Une population qui ne connaît pas le bonheur.
– Donne-moi un exemple.

Je songeai aux discussions que j’avais eues avec Lila et Pasquale pendant tout le mois de septembre et senti tout à coup que cela avait été une véritable école, plus vraie que celle où j’allais tous les jours.

– L’Italie pendant le fascisme, l’Allemagne pendant le nazisme, nous tous, les êtres humains, dans le monde d’aujourd’hui.

Se croire au-dessus des conventions

Ainsi Stefano avait continué à travailler sans défendre l’honneur de sa future épouse, Lila avait continué sa vie de fiancée sans avoir recours ni au tranchet ni à rien d’autre, et les Solara avaient continué à faire courir les rumeurs obscènes… Ils déployaient gentillesse et politesse avec tout le monde, comme s’ils étaient John et Jacqueline Kennedy dans un quartier de pouilleux… Lila voulait quitter le quartier tout en restant dans le quartier ? Elle voulait nous faire sortir de nous-mêmes, arracher notre vieille peau et nous en imposer une nouvelle, adaptée à celle qu’elle était en train d’inventer elle-même ?

25 Thoughts on “L’amie prodigieuse – Elena FERRANTE

  1. Elena Ferrante semble être l’objet d’un culte en Italie et ce livre m’intéresse beaucoup.

  2. La suite existe, je crois. Tu auras, je pense, la vie adulte des deux personnages. Mais celles et ceux qui ont lu les livres te le diront mieux que moi. Je le vois sur tous les blogs ce livre et pourtant, je ne suis pas attirée, peut-être parce que c’est autobiographique ?

  3. je ne me suis pas lancée encore, peur de rester sur ma faim après le premier volume

  4. Voilà un billet plus que tentant. Tout m’intéresse, le lieu, la thématique de l’exil (même s’il est ici plutôt intérieur) et le reste. En plus, si tu fais un lien avec Annie Ernaux, forcément… Merci pour cette découverte !

  5. J’ai beaucoup aimé ce livre ! J’ai acheté le deuxième tome (il y en a au moins 3), mais je le garde pour plus tard – toujours peur d’être déçue par la suite.

  6. J’ai lu beaucoup d’avis positif, je me laisserai peut-être tenter. tu dis qu’il n’y pas tout dans la vie adulte des personnages mais je crois qu’il y a une suite…

  7. Parmi mes lectures récentes, ce roman m’a laissé un excellent souvenir. Je ne me suis pas encore mise en quête de la suite, mais cela ne tardera pas…

  8. Fransoaz on 4 juillet 2016 at 18:27 said:

    Vous pouvez courir chercher L’autre nom, vous ne serez certainement pas déçues! La suite est vraiment dans la continuité de L’amie prodigieuse, aucune rupture et un vrai bonheur de retrouver le quotidien de Lila et de Elena, un souffle puissant sur cette amitié hors normes…

  9. Que d’éloges pour cette auteure et sa trilogie. Un incontournable auquel je vais devoir me frotter un jour ou l’autre, pas possible autrement.

  10. … Bonjour Luocine ! Mais, qu’est ce que j’ai raté, avec la forme visuelle de ce blog ? C’est toi qui a changé quelque chose, mes yeux, ou mon ordinateur, qui élargit ta surface d’écriture ?! En tout cas, pour celui-ci, je vais passer mon tour je crois, les récits d’enfance j’ai du mal ! Par contre, je regrette, parce que j’aurais aimé ce fond napolitain dont tu parles… On ne peut pas tout avoir ! Bises, Luocine ! Et merci pour ces rendez-vous bloguesques !

  11. je n’ai rien changé depuis longtemps… mystère mystère!
    tu as tort pour ce roman, ce n’est pas qu’un livre sur l’enfance, c’est un livre sur l’Italie de cette époque .

  12. Tu en sauras beaucoup plus si tu lis la suite (Le nouveau nom)… Que j’ai préféré car je voulais en savoir plus justement !

  13. Un roman que je vois beaucoup en ce moment, il faudrait vraiment que je le lise ! :)

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