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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Quelle autre place pour ce livre que dans ma bibliothèque au milieu des livres de Camus ? Je me souviens très bien avoir demandé en classe de première, pourquoi « l’Arabe » de « L’étranger » n’avait pas de nom, je crois me rappeler que le professeur avait expliqué le caractère détaché de Meursault et que donner une identité à sa victime aurait affadi le propos de l’auteur. Peut-être, mais voilà qu’avec un talent complètement différent Kamel Daoud pose autrement la question et il nous entraîne dans le destin de l’Algérie. Cela le fait souffrir qu’un des livres les plus lus au monde soit un chef d’œuvre mais dont l’événement central soit le meurtre d’un homme dont on ne sait rien de plus sinon qu’il est « Arabe ».

Toute la première partie du roman, il voit dans cette absence d’identité un des malheurs de la colonisation, puis il nous entraîne dans les autres tragédies de l’Algérie dues le plus souvent à la religion. Mais tout cela ne dit rien du talent de cet auteur qui reprend à son compte le roman d’Albert Camus au point d’en faire un véritable pastiche. On retrouve tous les moments de « l’étranger » et on sent l’homme révolté poindre à travers tout ce long monologue. La colère de Meursault contre le prêtre qui veut le ramener vers Dieu avant sa mort , rejoint celle de cet Algérien qui veut vivre libre chez lui en s’affichant non croyant. On pense également à « La chute » à cause du monologue dans un café, et la mauvaise conscience du narrateur qu’il veut faire partager à son lecteur.

C’est un superbe hommage à Camus et à la littérature française. Pourquoi ne suis-je pas aussi enthousiaste que d’autres lecteurs de ce livre ? parce qu’il m’a rendu profondément triste. L’auteur réussi par la colère à transcender ses contradictions. Mais pour moi, sa colère a un une odeur de meurtre ; même si je comprends qu’elle lui a été nécessaire pour renaître.

Citations

 L’argument essentiel du livre

 Songes-y, c’est l’un des livres les plus lus au monde, mon frère aurait pu être célèbre si ton auteur avait seulement daigné lui attribué un prénom, H’med ou Kaddour, juste un prénom, bon sang.

Contradiction de l’Islam

L ‘autre jour un producteur de vin me racontait ses misères . Impossible de trouver des ouvriers, l’activité est considéré comme « haram », illicite. Même les banques du pays s’y mettent et refusent de lui accorder des crédits ! Ha, ha ! Je me suis toujours demandé : pourquoi ce rapport compliqué au vin ? Pourquoi diabolise-t-on ce breuvage quand il est censé couler à profusion au paradis ? Pourquoi est-il interdit ici-bas, et promis là-haut ?

 Un verset du coran, (malheureusement il y en a tant d’autres !)

Si vous tuez une seule âme, c’est comme si vous aviez tué l’humanité entière.

Les femmes

Elle appartient à un genre de femmes qui, aujourd’hui , a disparu dans ce pays : libre, conquérante, insoumise et vivant son corps comme un don, non comme un péché ou une honte.

On en parle

Quelques belles critiques sur Babelio.

13 Thoughts on “Meursault contre-enquête – Kamel Daoud

  1. Je ne suis tentée ni par « l’étranger », ni par la contre enquête. Il y a de fortes chances qu’il ait le Goncourt aujourd’hui.

  2. Moi aussi j’adore Camus. Et si je ne suis pas tout à fait enthousiaste, c’est surtout parce que l’on ne s’arrête pas vraiment sur l’existence et l’identité de « l’arabe » mais bien davantage sur celle de son frère. J’aurais préféré l’inverse en fait.

    • moi ce qui me bouleverse c’est le meurtre du « pied noir » nécessaire sans doute, mais je n’arrive pas à adhérer aux dettes de sang et je préfère la deuxième partie sur l’Algérie actuelle ,un effet, peut-être, de ma mauvaise conscience française.

  3. je dois être un peu tordue mais « l’étranger » est le seul écrit de Camus que je n’aime pas du tout voire même que je déteste …alors je ne lirai sans doute pas ce livre mais je comprends fort bien le questionnement de cet auteur car le roman m’a toujours mis très très mal à l’aise

    • En te lisant je retrouve ma question de ma classe de première: pourquoi « l’Arabe » n’a pas de nom.
      Moi ce qui m’avait encore plus énervée (réflexion d’une ado amoureuse…) c’est quand il répond à Marie avec qui il vient de faire l’amour que cela lui est égal de se marier ou pas.
      Quand on a 16 ans les priorités ne sont pas celles qu’imagine la prof de français (qui en plus était une ex-pied-noir). Et oui je préfère « La Chute » de beaucoup, et je trouve qu’on ne souligne pas assez que ce roman y ressemble beaucoup aussi.

  4. Alors là, je sais que je lirai ce roman, parce que comme toi et comme Dominique, j’ai toujours eu un problème avec : « L’étranger », le terme d’arabe, et c’est tout, le meurtre à cause du soleil ???? L’adolescente que j’étais n’y comprenais rien, juste parce que le héros est détaché ? Comme toi encore, je préfère « La chute » et surtout, surtout, les nouvelles de « L’ exil et le royaume ».
    Ce roman sera peut-être ? l’occasion de sortir des discours convenus sur le chef d’oeuvre de Camus.

    • ah oui , j’avais oublié « l’exil et le royaume », moi aussi j’aime beaucoup; alors comme ça on est plusieurs à ne pas mettre « l’étranger » dans ses meilleures œuvres!

  5. finalement j’ai cédé et j’ai ce livre sur mon étagère, on verra bien

  6. C’est drôle, je me retrouve dans les commentaires ! J’ai lu l’Etranger au lycée parce que nos professeurs nous assuraient qu’il faaaallait lire les existentialistes, Jean-Saul Partre et tout (Foucault ‘n’existait’ pas encore, je suppose qu’aujourd’hui tout lycéen de Terminale L qui n’a pas lu Surveiller et punir à 18 ans a raté sa vie…). Livre vite lu car court mais sans enthousiasme débordant (alors que la Chute en terminale, ce fut un plaisir !). L’anonymat de l’arabe tué au début ne m’avait pas choqué puisqu’il est traité avec la même froideur que la mère, la femme de la piscine (Marie, donc), la vie en général et même Dieu en généralissime, mais c’est une très bonne idée d’avoir écrit ce point de vue complémentaire. A lire, donc. Je me souviens qu’il y avait eu une polémique sur la publication d’une suite des Misérables, qui créait un précédent dangereux. Maintenant la question est de savoir si Daoud va créer une mode où vont fleurir une tripotée de contre-points de vue, genre féministes : « Le journal intime de Mme de Rênal », « Ellénore dit tout », la Pénélopade, etc. Personnellement, si ça se fait, je prends le créneau sur un Créon qui commencerait par « La petite merdeuse que je vais devoir mettre à mort, là… »

    • une bonne idée .. une collection vient de naître…..
      moi j’écris Anna Karénine du point de vue du conducteur de la locomotive sous laquelle elle s’est jetée.. ça va être court!
      Ma première phrase:
      « quand je pense que j’avais promis à ma Katia que je serai à l’heure pour souper ce soir!! »

      • Pinault Santiago on 30 mai 2015 at 01:14 said:

        Katia ?
        Aaaaaaah, vous voulez dire Katia Fiodavna Kuruchine, mariée à Piotr Illivitch Sakarov, fille de Boris Kuruchivitch et de Svetlana Idrivna Ljoabov, que vous appellerez tantôt Titi, tantôt d’un nom, tantôt Fiod, tantôt de l’autre, de sorte que si le lecteur n’est pas obligé au bout de trois pages de tenir un кто есть кто exhaustif avec toute la généalogie de sa famille – tant en Oural du côté de sa mère qu’à Moscou du côté de son père – il ne sait plus de quoi ça s’agit ?

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