Éditions Bayard, 290 pages, avril 2025

 

Je mets cet essai dans le mois des feuilles allemandes alors qu’il est écrit par une française, mais c’est un sujet qui concerne au premier chef l’Allemagne. Comme moi peut-être, le mot « sudètes » était englobé dans cette phrase :  » Annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie dirigée par Hitler en 1938″.

Un tel livre ne pouvait que plaire à Patrice. Je suis moins enthousiaste que lui car cette l’enquête de cette auteure est laborieuse ce qui ne l’empêche pas d’être très intéressante. Pour bien comprendre la façon dont Alexandra Saemmer essaie de retrouver tous les membres de sa famille et leur mode de pensée pendant l’annexion en 1938 puis leur expulsion en 1945 de Tchécoslovaquie, il faut comprendre la notion de ‘boîte miroir », notion qu’elle utilise souvent et que j’ai eu du mal à cerner. Si j’ai bien compris, il s’agit de comprendre une situation et des personnages à l’aulne de son vécu personnel et de ses connaissances sans pour autant être certain que ce soit la vérité.

Elle sait et peut vérifier un certain nombre de choses sur sa famille, ses grands parents vivaient dans une région à majorité Sudète dans une petite ville rurale Auspitz qui est rayée de la carte aujourd’hui, parce que tous les Sudètes ont été en 1945, expulsés vers l’Allemagne.( Les chiffres officiels disent que sur 3,2 millions d’Allemands des Sudètes plus de 3 millions ont été déportés.)

Comme dans toutes les familles qui ont connu de tels bouleversements beaucoup de zones d’ombres hantent la mémoire des survivant, mais ces zones deviennent grises quand il s’agit de rechercher des ancêtres qui ont été des Nazis convaincus et actifs, ou passifs et malgré eux. L’écrivaine est très honnête dans sa démarche et voit bien que son grand-père disparu sur le front de l’est portait la médaille nazie au revers de son veston. Mais évidemment, plus personne après guerre n’est capable de lui expliquer ce qu’il ressentait vraiment. Sa mère se souvient d’un homme très doux et comme tous les Allemandes, déclare ne rien savoir de ce qui est arrivé aux juifs, ce qui est certain c’est qu’il n’est pas revenu du front de l’Est et que l’on n’a retrouvé aucune trace de lui. Sa grand mère a donc été expulsée en Bavière où elle n’a pas été bien accueillie, les Bavoirois supportaient mal ces réfugiés qui leur semblaient plus slaves qu’Allemands (les théorie racistes avaient laissé des traces solides dans les mentalités allemandes) . Le malheur de cette famille de trois enfants est aggravé par la mort en couche de la grand mère de l’auteur, les trois enfants sont séparés et le pauvre petit garçon Hermann se retrouvera dans une ferme comme petit valet et se perd dans les méandres de l’histoire de jeunes délinquants de l’après guerre. Les deux sœurs seront élevées dans deux familles différentes et aimantes et resteront en contact. La recherche de l’auteur lui permettra de se rendre compte que sa mère n’est pas née d’un viol par un soldat Russe car sa mère était enceinte au départ de son père pour le front de l’Est. Les scènes de viols ont été nombreuses dans les régions des Sudètes comme dans toutes les régions libérées par l’armée russe.

La dernière partie de la recherche de l’auteure est consacrée à ses contacts avec différents réseaux de parole des Sudètes, et l’on voit que certains n’hésitent pas à parler de Génocide pour leur expulsion et à prétendre que leur sort a été pire que celui des Juifs. Ce n’est absolument pas ce que pense l’auteure qui explique sans cesse que la déportation des Sudètes n’a jamais voulu dire « extermination » : ils avaient choisi l’Allemagne Nazie en 1938 , les Tchèques ont été très contents, en 1945, de les renvoyer vers leur patrie de « cœur » et de langue si ce n’est d’origine . En effet la présence d’Allemands dans ces régions est attestée depuis le Moyen-Age.

Tous les malheurs des Sudètes viennent du traité de Saint Germain, qui acte la fin de l’empire Austro-Hongrois et qui trace des frontières à travers des régions qui avaient l’habitude de se sentir l’autorité d’un lointain empire sans se poser la question de la nationalité. Les peuples étaient définis plus par leur langue que par leur nationalité, les Sudètes se sont retrouvés en Tchécoslovaquie sans pour autant perdre leur langue. Et la catastrophe du Nazisme les a précipités dans les bras d’Hitler : là ils ont vraiment tout perdu et n’ont trouvé aucun soutien dans la conscience internationale après la guerre 39/45.

Je trouve que cette auteure sait très bien nous l’expliquer à travers sa famille, et si ce sujet vous intéresse, à votre tour de découvrir un peuple bien malmené par l’Histoire.

 

 

Extraits.

Début.

 Décembre 2023, ma mère m’a tendu une pochette et elle m’a dit : « Voilà ton héritage. Prends en soin. » À l’intérieur il y avait parmi d’autres documents, le titre de propriété d’une ferme à Auspitz : une maison en brique de 135 mètres carrés comportant trois chambres, une cuisine, une buanderie, une grange et une étable de 80 mètres mètre carrés abritant 25 cochons, 20 oies, ; un hectare de terrain destiné à la culture de la pomme de terre, du maïs et du fenouil ; un jardinet ; des arbres fruitiers, un étang.
 La liste des biens était précise.
 Or, la ville d’Auspitz ne figure plus sur aucune carte.
 Je suis une descente du peuple des Sudètes : une minorité germanophone installée dans les régions frontalières de la Tchécoslovaquie depuis le Moyen Âge, qui a été expulsée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour avoir voté, quelques années plus tôt en faveur de son intégration dans l’Allemagne nazie.

La boîte-miroir.

 Pour saisir ce qui obstinément m’échappait, j’ai actionné la boîte-miroir : je me suis appuyée sur l’histoire de Wegscheid, village frontalier entre l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque, où ma mère a été déplacée après les l’expulsion et où j’ai moi-même grandi. Reculé et également « sans histoire » si l’on en croit les chroniques officielles, Wegscheid a en vérité joué un rôle stratégique à la fin de la Seconde Guerre mondiale  : l’une des dernières batailles s’y est déroulée, et la population, malgré la défaite de la Wehrmacht sur tous les fronts, à « résisté » de façon absurde, criminelle.

Difficultés de la recherche sur les opinions de sa propre famille.

 Je veux croire que mon grand-père a rejoint le parti national-socialiste pour garder son poste de facteur. Sa carte de membre vierge de toute mention, montre qu’il n’a pas été un membre assidu. Et puis, en 1938, peut-être était-il encore possible, au moment de l’annexion de passer à côté de certains signes on fermant les yeux avec obstination.
 Je dois néanmoins résister à la tentation de laver ma famille sudète de toute responsabilité. En enquêtant dans les archives en ligne, j’apprends qu’une fois les territoires sudètes annexés, la résistance de la population tchèque contre cette annexion a été réprimée sans merci. Certains opposants politiques ont été acheminés à Dresde. 850 ont été guillotinés publiquement sur le Münchner Platz.

Tous les réfugiés se ressemblent.

(Point de vue de Josef, un paysan tchèque dont le frère a été fusillé par les nazis sudètes.)
 En regardant passer la foule ocre et grise, Josef constate à quel point tous les pauvres se ressemblent. Les femmes pleurent quémandent un bout de pain. Un vieux gémit. Une petite blonde boîte. Ils l’ont bien cherché.
(…)
 Hier, ces gens applaudissaient Heydrich, le vice gouverneur du Reich en Bohême-Moravie. Aujourd’hui, ils implorent la grâce du simple paysan qu’il est. Ils n’ont aucune fierté. Ils ressemblent aux ballots qu’ils traînent. Certains les préfèrent même à la vie : ils les défendent coûte que coûte, quitte à se faire fusiller pour une paire de bottes et des bijoux en toc. Josef boit une gorgée de slivovitz dans la gourde de Václav. Ces gens ont mérité ce qui leur arrive

La langue comme marqueur d’exil.

 L’un des stigmates qui les désignait immédiatement comme impurs était leur langue, gangrenée par le tchèque comme malgré eux. Ma mère m’a souvent raconté les moqueries qu’elle subissait, tout juste arriver en Bavière, de la part des villageois qui faisaient semblant de ne pas comprendre ce qu’elle disait.
 Que j’ai moi-même fui un malaise dans la langue en quittant l’Allemagne il, y a bientôt 30 ans est un fait même si je suis partie à l’époque sans trop y réfléchir.
 En France, je serais jusqu’à la fin de ma vie considérée comme une étrangère à cause de mon accent. J’ai beau avoir publié beaucoup, en français et faire cours à l’université dans cette langue, rien n’y fera. Rien ne fera disparaître la lueur d’impatience dans le regard de l’autre dès que j’ouvre la bouche. Même si elle s’accompagne souvent de compliments sur ma « belle maîtrise » du français, elle me fait comprendre que celle-ci restera marquée d’étrangeté.

Propos de militants Sudètes.

 Aucun accord international valable ne donnerait un fondement juridique à l' »annexion » des territoires sud-par la Tchécoslovaquie après la guerre. L’Histoire était donc à refaire, selon Hildebrandt – le « peuple sudète » n’était coupable de rien.
 À l’instar d’association militante identitaire comme le Witikobund, Hildebrand œuvrait pour la vengeance. Une reconnaissance de l’expulsion comme injustice ne lui suffisait pas : pour Hildebrand, il s’agissait d’un « génocide » dont l’atrocité dépassait celui des Juifs, et demandait réparation.

L’histoire : un éternel recommencement.

Bien de fois ai-je entendu lors de mon enfance en Basse-Bavière : « Un nouveau petit Hitler ne serait pas si mal. »


Éditions Gallmeister, 354 pages, mars 2025

Traduit de l’allemand par Justine Coquel

Il n’y a que les très jeunes et les très vieux pour croire à l’éternité

J’ai, cette année peu lu de romans venant d’Allemagne et ma participation aux feuilles allemandes était bien compromise, mais j’ai trouvé ce titre chez Eva et son billet m’a tentée.

J’ai vraiment adoré la première partie du récit, lorsque Billie raconte sa vie avec sa mère Marika. Les portraits de la mère et de la fille sont très vivants et l’autrice a un sens de l’humour et de l’à propos drôle et tendre à la fois. Elles vivent dans un immeuble social, où la débrouille et l’entraide permettent de vivre dans la gaieté. Sa mère fait partie de cette classe pauvre en Allemagne qui a bien du mal à s’en sortir malgré ses deux boulots. Après avoir gagné un peu d’argent à un jeu télévisé, elles se préparent à partir en vacances quand une catastrophe s’annonce : la mère de Marika arrive chez elle car elle est malade. C’est une femme âgée, hongroise pays d’origine des héroïnes qui juge sévèrement la vie de sa fille. Elle sera responsable involontairement de l’accident de sa fille qui tombe sur la table basse sur la tête et meurt. Cette mort, on l’apprend dès les premiers mots du roman(donc je ne dilvugâche rien !) . La première partie est un retour en arrière et la tendresse moqueuse qui lie les deux personnages est très agréable à lire : on est bien avec elles, le point de vue de l’adolescente, Billie donne une saveur particulière au récit . Dans cette première partie, elle raconte aussi son amitié avec Léa une jeune fille d’un milieu aisé, Billie décrit fort justement le mépris de classe qui les séparera.

Billie est trop malheureuse pour rester vivre avec sa grand-mère qu’elle juge responsable de la mort de sa mère, alors, au volant de leur vieille voiture, elle part à la recherche de son père dans le nord de l’Allemagne. Le voyage est compliqué car elle a peu d’argent , elle cherche les solutions pour rester propre dormir et se nourrir, tout en ayant peur de se faire rattraper par la police.

Enfin, dans la troisième partie elle arrive dans le nord de l’Allemagne chez celui qu’elle croit être son père. Elle y retrouve une vie proche de la nature. La description de l’île, des différents paysages de la mer du Nord et du paysan taiseux sont agréables : on sent que Billy va pouvoir vivre là si elle le décide. Il fallait une fin positive au roman, et c’est sans doute ce qui m’a un peu déçue. Je ne crois pas trop au happy end même en douceur comme ici , mais cela ne pas empêcher de mettre cinq coquillages car rien que pour le début, j’aimerais bien que vous lisiez ce roman et me donniez votre avis.

Extraits

 Début.

Ma mère est morte cet été.

Une chanson à la radio n’était plus qu’un bruit et pas une invitation à chanter, même si aucune de nous ne connaissait les paroles.
 Une averse n’était plus que la météo et pas une occasion de se précipiter dehors et de danser pieds nus dans une flaque.
 Ça paraît poétique, mais seulement sur le papier. Quatorze ans, c’est un âge de merde pour perdre sa mère. Le deuil va et vient comme le flux et le reflux, mais il est toujours là.

Prodige de la traduction .

Billie, c’est le diminutif d’Erzébeth, dit ma mère. 
 Sa prononciation était impeccable j’avais beau comprendre le hongrois, tout ce que j’entendais c’était « air bébête ».

Cette écrivaine a vraiment l’art de la suggestion à travers ses descriptions.

Ta mère avait deux boulots.
 le matin elle travaillait dans un grand cube vitré divisé en plein de petits cubes vitrés. Elle faisait le ménage pour les employés qui portaient des costumes chers et des cravates. Et puis elle leur apportait des trombones, des enveloppes et des surligneurs -et parfois même une poche de froid. Ça n’était pas rare que quelqu’un se cogne dans une porte ou à un mur. Le soir, ma mère était serveuse dans un bar.
– Le job au bar met certes du baume au cœur, disait-elle quand elle comptait ses pourboires après le service, mais c’est celui de femme de ménage qui met du beurre dans les épinards

J’adore ce portrait.

 Louna était sortie de chez elle. Ses pas faisaient un bruit de succion sur le carrelage à cause de ses tongs. Elle les avait trouvées sur Internet, la paire aux prix d’une boule de glace. Comme les frais ports étaient quatre fois plus élevés, Luna en avait commandé toute une cargaison. Désormais, elle possédait des tongs dans toutes les couleurs de l’univers. Elles étaient fabriquées en Chine et en plastique. Ma mère disait que Luna finirait par attraper un cancer de la peau des pieds à cause de ça. Ce n’était qu’une question de temps.

Humour.

Je repensais à ce que ma mère m’avait expliqué un jour au sujet des ascenseurs :

– Quand tu habites au dix-septième étage l’abonnement en salle de sport est inclus.

 

 

 


Éditions Acte Sud Babel, 600 pages, mars 2022

Traduction de l’Allemand par Rose Labourie

 Bien entendu, il y avait des réticences. Car au fond, tout le monde était pour l’énergie éolienne, pas vrai -mais tant qu’à faire, pas sur le pas de sa porte.

 

 

S’il y a une chose que j’ai apprise à Unterlruten, c’est que chacun habite son propre univers dans lequel il a raison du matin au soir

 

C’est chez Keisha que j’avais noté ce titre mais comme il faisait déjà partie du mois de littérature allemande de l’an dernier , je suppose déjà que vous êtes nombreux comme Sacha,et Je lis je blogue, à l’avoir apprécié. À mon tour, je vais essayer de vous tenter, car ce roman est devenu au fil de ma lecture un véritable coup de cœur, même si, au début, j’ai eu un peu de mal à suivre le fil narratif à cause du nombre de personnages. (J’avais un peu oublié la lecture de Nouvel an de cette auteure, j’avais bien aimé mais moins que ce celui-ci.)

Rappel du propos de ce roman : il se passe à notre époque, dans un village rural de l’ex-RDA. Le village doit prendre position à propos d’un champ d’éoliennes. C’est bien connu, tout le monde, ou presque, est pour les énergies renouvelables, mais de là, à voir de son jardin un parc d’éoliennes, il y a de la place pour une belle tragédie à la sauce des rancœurs rancies d’un village de campagne. L’auteure utilise un procédé qui a déçu certains lecteurs, elle passe d’un habitant à un autre, en reprenant à chaque fois, le fil de son histoire. Cela donne l’impression que le récit n’avance pas, et qu’elle se répète. Il faut aussi faire un effort pour retrouver qui est qui dans cette histoire, mais le schéma du village avec les noms des propriétaires de chaque maison que l’on trouve au début du roman aide bien à se repérer. Le fait d’aller de personnage en personnage ne permet pas, vraiment, de mieux comprendre l’intrigue mais de se rendre compte qu’aucun protagoniste de ce conflit n’est exactement ce que les rumeurs pensent de lui. Tout tourne autour d’un antagonisme violent et très ancien entre Gombrowsky, dont la famille possédait une grande ferme avant qu’elle soit transformée en une sorte de kolkhoze par le régime communiste. Ce personnage n’oubliera jamais le rôle de l’autre antagoniste : Kron, qui est venu brûler la ferme de ses parents en 1946. Gombrowsky réussira à devenir le principal acteur de la coopérative d’état, puis, lors de la réunification à faire revivre la coopérative à son profit. Kron continue à le poursuivre de sa haine alors qu’il fait vivre toute la région. Il faut maintenant savoir où sera implanté le parc éolien.

Ce village se trouve assez proche de Berlin, et donc des gens qui ne comprennent vraiment rien aux luttes ancestrales du village, fuient la ville pour effectuer un retour vers la nature, ils viennent troubler les disputes haineuses des habitués de Unterleuten (nom bien trouvé « parmi les gens ») Il y a d’abord le défenseur des oiseaux avec sa jeune femme uniquement occupée à allaiter et bercer un bébé qui l’épuise. Lui, il a toujours tout faux, ne doute jamais, et se trompe toujours. Ensuite il y a Linda, une femme énergique qui n’a peur de rien et qui sans le vouloir va être une actrice importante du drame qui va se jouer. Enfin il y a un homme très riche qui a acheté les terres que convoitait Kron. Chaque personnage tire sur les liens qui étouffent toute vie sereine possible jusqu’au drame final qui ne résoudra rien : les nouveaux arrivants repartiront et le village continuera avec des éoliennes mais sans les deux principaux ennemis. On peut faire confiance à leur génie pour s’en créer d’autres. On est au cœur même de l’âme humaine dans un moment très précis : l’adaptation d’un pays ex-communiste aux lois du marché capitaliste. En particulier dans la détestation des habitants d’un village de celui qui était « le riche » et qui ensuite a toujours réussi à rester « le riche ». Il va le payer très cher. Car finalement il avait fait le vide autour de lui, c’est une sorte de tyran domestique et sa vie familiale est une catastrophe et malgré (ou à cause de) sa réussite professionnelle, il n’aura que des obligés et aucun ami sur qui compter.

Pour moi, ce livre est à l’échelle d’un village, une illustration de beaucoup des comportements de nos sociétés. Je dois aussi dire qu’il y a beaucoup de remarques très bien vues, vous n’en trouverez qu’une partie dans mes extraits, il vous reste donc à lire ce roman pour profiter du grand talent de cette auteure.

Extraits.

Début.

 « L’animal nous tient à sa merci. C’est encore pire que la chaleur et les odeurs. » Jule leva les yeux. « Je n’en peux plus.
– Ça ne sert à rien de s’énerver chérie. » Gerhard s’efforçait de donner à sa voix un ton assuré. Plus Jule cédait à l’hystérie, plus il se cramponnait à la raison. « Quand on déteste quelqu’un, tout ce qu’il fait nous dérange.
– Tu veux dire qu’il faudrait que j’essaie d’aimer l’animal ?.Et que comme ça, ça ne poserait pas de problème qu’il détruise notre vie ?
– Je veux dire que tu ne dois pas te faire des nœuds au cerveau. En t’énervant, tu ne fais de tort qu’à toi-même.
C’était un combat perdu d’avance Jule s’était recroquevillée sur elle-même et mise à pleurer, si bien qu’il ne lui resta plus qu’à s’asseoir près d’elle et à passer un bras autour de ses épaules.

Courrier administratif.

 Linda sentit sa bonne humeur retomber, une chute de température interne. Les courriers administratifs ne signifiaient jamais rien de bon. L’État n’envoyait pas de lettres pour remercier ses citoyens de respecter la loi, de bien payer leurs impôts, ou de se passer d’aides sociales L’État était comme un faux ami qui se manifestait uniquement quand il voulait quelque chose. Encaisser de l’argent, infliger des sanctions, prononcer des interdictions. La vue de la lettre lui est nouait l’estomac, mais Linda n’était pas du genre à fuir l’adversité.

Phrase intéressante.

 Les chasseurs focalisent, les proies ont une vision panoramique.

L’art du portrait

 Il avait trimé toute sa vie pour que sa femme et sa fille vivent confortablement. En guise de remerciement, Elena lui donnait l’impression d’être un mauvais époux. Et Püppi n’avait attendu qu’une chose : que le mur tombe pour pouvoir enfin quitter « ce trou perdu d’Unterleuten ». Elle habitait Freiburg, où elle avait fait, aux frais de Gombrowski, des études aussi longues que pédantes à « l’université la plus loin de vous de tout le pays ». Comme avec son doctorat en « je sais tout sur tout » elle n’avait décroché qu’un poste d’assistante à mi-temps, Gombrowski lui avait acheté un appartement. Malgré tout, elle avait le culot de tordre du nez à l’idée Elle avait le culot de tendre du nez à l’idée que cet argent était gagné par des moissonneuses batteuses et des machines à traire.

Le marxisme et l’agriculture.

Les campagnards le savaient depuis le début la RDA était un régime qui ne tenait pas la route. Le parti auquel il fallait soudain obéir aux doigts et à l’œil venait des villes. Les cadres dirigeants formés à Moscou, ne connaissaient rien à la vie rurale et encore moins à l’agriculture. Ulbricht et consorts tentaient de compenser leurs lacunes par l’application des théories marxistes léninistes. Mais la nature n’était guère réceptive aux idées communistes. Elle avait ses règles propres. De génération en génération, les paysans avaient appris à extorquer ces fruits à la terre sableuse. Ils vivaient à la campagne, avec la campagne, et pour la campagne. Les slogans politiques, ils s’en lavaient les mains. Le vieux Gombrowski n’était pas aimé partout. Mais si son exploitation devait être engloutie dans une coopérative agricole gérée par des crétins finis, autant être avec lui plutôt qu’avec ses politicards des villes qui n’était pas capable de faire la différence entre le blé et l’orge.

Les pères écolo modernes.

 Gerhard se promettait d’être un père moderne qui, au restaurant, s’indignerait à voix haute que la table à langer se trouve dans les toilettes des femmes.

La météo et les paysans.

D’ici une bonne heure Gombrowski regarderait le toit de la cabane à outils par la fenêtre de sa chambre pour voir si la pluie était tombée. Si les tuiles étaient rouges claires comme ce jour-là, il jurait parce que le blé serait trop sec. Si pour une fois il avait plu, les pommes de terre seraient trempées, ce qui était aussi une raison pour jurer. Depuis que les hommes ne croyaient plus en Dieu, ils se plaignaient constamment du temps qu’il faisait. Et quoi qu’il arrive, la météo ne trouvait jamais grâce aux yeux d’un agriculteur.

L’écologie.

La protection de la nature, c’est un business impitoyable. Subvention de l’Union européenne, emplois, agriculture bio. Sans oublier le tourisme.

Les tableaux dans les salles d’attente.

Aux murs étaient accrochées plusieurs reproductions de Magritte. Meiler n’avait jamais compris pourquoi les médecins et les juristes se sentaient obligés d’imposer leurs goûts artistiques à leur client. Encore récemment, il avait changé de dentiste parce qu’il ne supportait plus, en attendant la consultation, d’avoir sous les yeux des toiles qu’un quelconque barbouilleur amateur, sans doute le dentiste lui-même ou sa femme, avait bombardé de gros pâtés de peinture. En comparaison, Magritte était un moindre mal. Pourtant, Meiler se demandait bien ce que maître Söldner cherchait à dire des achats fonciers, contrats de mariage et ouverture de testaments en accrochant dans sa salle d’attente un homme avec un chapeau melon et dont le visage était caché par une pomme.

Humour et c’est tellement bien observé.

 Quand Meiler pensait à la nouvelle génération, il voyait une armée de jeunes gens au bras droit tendu pas pour faire le salut fasciste, mais pour se prendre en photo avec leur smartphone.


Éditions Alisio Hitoire, 204 pages, septembre 2024

Traduit de l’allemand par Tina Calogirou

 » Dimanche nous étions à Pompéi. Bien des malheurs se sont produits dans le monde mais il en est peu qui aient procuré tant de joies aux générations suivantes. »

Goethe 1787
Un grand merci à Dominique qui a si bien parlé de ce livre, je l’ai immédiatement acheté pour l’offrir, mais je l’ai lu avant et avec quel plaisir !
Et, de plus, cela me permet de participer au mois de la littérature allemande.
Gabriel Zuchtriegel est « Directeur du parc archéologique » de Pompéi , il nous promet « un voyage dans les rues de la cité antique « . Il s’agit bien d’un « voyage » pas d’une « promenade » car son récit nous entraîne dans toutes sortes de réflexions : réflexions sur le métier d’archéologue et sur la vie à Pompéi en 79 avant JC .
Une de ses constatations à propos de l’antiquité est aussi étonnante que vraie. Jusqu’au 20° siècle (inclus) les spécialistes de l’antiquité étaient les êtres les plus érudits et les plus respectés de notre civilisation, aujourd’hui, la disparition dans les lycées du latin et du grec en est la preuve, les archéologues comme lui, sont, au mieux, considérés comme des doux rêveurs au pire, comme des gens inutiles tout justes bon à dépenser l’argent des contribuables pour des projets tellement peu rentables.
On voit aussi combien Pompéi a été , et cela depuis longtemps, un lieu de pillage de façon presque systématique. Même certains musées ( il cite un musée américain) sont peu regardants sur la provenance d’œuvres visiblement pillées.
Et puis … il y a cette catastrophe liée à l’explosion du Vésuve l’auteur le raconte très bien et on comprend pourquoi cette ville est ainsi restée presque momifiée sous son cercueil de cendres.
Grâce à cette catastrophe et l’oubli de cette ville jusqu’au XVII ° siècle, les archéologues ont affiné leur connaissance de l’antiquité romaine.
Pour l’auteur, pour comprendre ce monde ancien, il faut d’abord sortir du nôtre, et aller vers une société du tout religieux. Ce n’est pas si facile, mais sinon on risque de faire des erreurs à propos des différentes statues ou fresques qui sont autant d’intermédiaires entre nous et les Dieux. et souvent n’y voir qu’une incitation à la débauche sexuelle.
L’auteur raconte aussi, combien il faut être patient pour amener devant le public une découverte qui, pour l’archéologue a été extraordinaire, comme ce char conservé presque parfaitement, mais que de temps entre la découverte et son exposition ! On est bien loin de l’immédiateté du monde d’internet.
J’ai été aussi très sensible à ce qu’il dit à propos des découvertes de la réalité des petites gens à Pompéi, évidemment on connaît bien les hommes célèbres de Rome , mais la chambre de 16 mètres carré où vivaient au moins trois esclaves, en apprend beaucoup plus sur la réalité de la société que « la guerre des Gaules » de Jules César.
Bref ce voyage m’a enthousiasmée et je voudrais bien le partager avec vous.

Extraits

 

Début.

Je ne savais pas qu’à Pompéi, des visiteurs étaient régulièrement victimes de crises cardiaques, certaines à l’issue mortelle, jusqu’à ce qu’une collaboratrice expérimentée me le fasse remarquer discrètement, quelques semaines après ma prise de fonction de directeur de ce site de l’unisson, en avril 2011. Depuis le service médical d’urgence de la ville antique a été renforcé. Sur 600 interventions par an en moyenne, environ 20 % sont dues à des problèmes cardio-vasculaires. Si la chaleur est la principale cause invoquée, est-ce la seule raison ?

 

Humour.

 A quelle catégorie Stendhal aurait-il appartenu ? Certainement pas à celle des collectionneurs ; toute sa vie, il fut un nomade instable ne laissant guère la place à l’accumulation – fût-elle matérielle ou spirituelle. Une autre catégorie de visiteurs, assez importante à en croire l’étude, comprend celle et ceux qui vont au musée pour faire plaisir à leur conjoint. À celle-là non plus, Stendhal n’appartient pas, pas plus qu’à celle des visiteurs qui se rendent dans un musée pour en utiliser les toilettes publiques (et qui forment donc eux aussi une catégorie à part entière, très restreinte fort heureusement !)

Cet auteur me fait rire.

 J’ai trouvé fascinant d’imaginer l’Acropole -dont il a été conservé une inscription bannissant les bouses de vache du sanctuaire (on ignore au demeurant comment les ruminants étaient amenés à s’abstenir) comme un îlot à la pureté préservée par toutes sortes d’interdictions, de règles et de barrières architecturales dans une ville débordant d’immondices et de puanteur.

Condition de l’esclave affranchi.

Les Vettii étaient deux esclaves ayant été affranchis, une pratique courante dans l’Empire romain. D’une part, la perspective de la liberté devait inciter les esclaves à servir fidèlement leurs maîtres, seuls décisionnaires en matière d’affranchissement de l’esclavage. D’autre part, avec le temps l’esclave pouvait devenir un fardeau pour son maître qui devait alors subvenir à ses besoins, même si l’esclave ne pouvait plus travailler. L’affranchissement était à double tranchant : les affranchis.  » liberti » en latin, se voyaient offrir une liberté qui pouvait mener à une vie de sans-abri et à mourir de faim. L’esclave « libre » n’ayant plus de maître pour assurer sa subsistance.

La passion des archéologues.

 Aujourd’hui encore, ma femme taquine en me rappelant qu’un jour, après le travail j’ai refait le trajet de Rome à Gabies en Vespa juste pour vérifier le profil d’un seul tesson pour lequel j’avais trouvé un nouvel élément de comparaison. Lorsque notre fille est née. en 2008, nous venions de rentrer à Berlin : tous les soirs, dans notre petit appartement du quartier de Kreuzberg, elle s’endormait au son des clics de la souris de mon ordinateur, sur lequel je transformais les 600 dessins réalisés au crayon en graphiques vectoriels.
 C’est sans doute ce genre d’activité qui valent aux archéologues d’être considérés par le monde entier comme des hurluberlus, des êtres bizarres qui s’enthousiasment pour un tesson de poterie ou qui s’indignent de l’imprécision de la datation d’un collègue. Pourquoi cela nous met il dans cet état ? La réponse est là aussi à chercher dans le « moteur » qui nous anime. Et qui reste souvent inaccessible au monde extérieur – par notre propre faute.

Une clé pour comprendre l’antiquité.

 En réalité, il est impossible de comprendre l’art et la culture antique si on ne les envisage pas comme des éléments d’un monde ou littéralement tous les aspects de l’existence étaient structurés par des rites religieux. Le rite faisait office de langue à part entière, qui structurait tous les domaines de la société dont la grammaire et le vocabulaire étaient indissociables de ce qui est véhiculé au sein de cette société.

 Pour nous ce n’est pas seulement la « langue » du rite antique qui est difficile à déchiffrer ; pour les enfants d’une époque où les rites n’ont plus guère de signification, c’est aussi sa grammaire qui nous fait presque entièrement défaut. Comprendre des rituels antiques, c’est un peu comme apprendre à jouer du piano quand on est sourd et muet.

Le quotidien en archéologie (et humour).

 

Dans la couche de cendres qui a comblé la cour de la villa au-delà des murs de Pompéi, il y avait ce char prêt à être attelé, en ce jour fatidique de 79 après J-C. L’emplacement exact de chaque pièce, aussi petite soit-elle, a donc été documentée avec précision à l’aide d’un scanner laser. C’est important non seulement pour pouvoir ensuite reconstituer et exposer le char, mais aussi pour comprendre comment il fonctionnait exactement, de la suspension jusqu’au rembourrage du siège. Des aspects banals de la vie quotidienne antique, mais qui sont souvent bien plus mystérieux pour nous que la philosophie et l’art de l’époque. Nous savons quantité de choses sur les réflexions philosophiques qui occupaient Sénèque, mais étonnamment peu sur le mécanisme qui l’empêchait de se faire meurtrir le postérieur lors d’un trajet en char.

L’oubli et l’histoire.

 Envisagée ainsi l’histoire de Pompéi et aussi un éloge de l’oubli. Sans oubli, il ne saurait y avoir de redécouverte, sans disparition il n’y a point de magie de la mise au jour de la conservation. Au fond, sans oubli, il n’y a pas non plus d’histoire, car l’histoire revient toujours à choisir ce que l’on raconte et ce que l’on élude, c’est-à-dire que l’on oublie. Imaginons un instant un monde sans oubli : le passé ne serait pas révolu, mais resterait pleinement là, présent, actuel.
 Il me semble que cela ne s’applique pas seulement à Pompéi, mais aussi à chacun et chacune de nous. Personne ne maîtrise ce qui fut et ce qui sera. En revanche, le mélange de souvenirs et d’oubli avec lequel nous envisageons notre histoire dépend de nous 



 


Éditions Passé Composés, 392 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (Royaume- Uni) par Martine Devillers-Argouarc’h

 

Je suis vraiment très contente de contribuer au mois des feuilles allemandes avec cet essai. Cette auteure, bien que d’origine allemande (de l’Est) , écrit et a fait toute sa carrière intellectuelle en Grande Bretagne.

C’est un livre très dense, il se lit cependant très bien mais demande une véritable attention. Chaque chapitre , ou chaque nouvel aspect commence par une anecdote sur un personnage qui a vraiment existé : cela rend la lecture plus vivante et les idées de l’auteure, plus faciles à comprendre en ancrant les conséquences de ce qu’il se passait dans la réalité quotidienne. Le livre couvre tout le passé de l’ex-RDA, depuis sa création jusqu’à sa disparition. Si on a vécu un peu cette période, ou si on a beaucoup lu, ce livre condense tout ce que l’on sait et apporte un éclairage intéressant sur chaque période.

Les dirigeants de ce pays viennent d’URSS, ils faisaient partie de la diaspora allemande qui a fui le Nazisme. Hélas, ce sont les pires d’entre eux, car Staline a « purgé » cette diaspora de tous les éléments qui lui faisaient peur. Donc, ceux qui ont survécu sont les plus vils flatteurs pro staliniens et qui ont, consciencieusement, dénoncé leurs compatriotes pour sauver leur peau (comme Walter Ulbricht par exemple). J’ai appris en lisant ce livre que Staline n’était pas favorable à la création de la RDA, il préférait une Allemagne unie et neutre, il avait peur qu’avec la création de la RDA pro soviétique, la réponse de l’occident serait de réarmer l’autre partie du pays, ce qui s’est avéré exact. Ce sont les dirigeants allemands qui ont imposé la RDA à Staline.

Le début est chaotique car comment faire aimer les soviétiques à une population qui ne s’est pas sentie libérée par les Russes mais pillée et violentée par eux. Ce sera un paradoxe difficile à surmonter. J’ai appris aussi que c’est en RDA que les populations germanophones chassées des pays qui avaient été envahies par l’Allemagne ont été accueillies en arrivant le plus souvent sans rien. Tant que la frontière a été ouverte en particulier à Berlin le nombre d’Allemands de l’Est passant à l’ouest ne cessait d’augmenter. D’où la construction du mur et la répression souvent mortelle de ceux qui voulaient échapper au régime.

Ensuite, cet essai montre que lorsque le régime arrivait tant bien que mal à satisfaire les besoins économiques de la population , les gens étaient assez satisfaits de leur sort. C’est un peu bizarre les points sur lesquels l’auteure insiste : les jeans fabriqués en occident et le café qui visiblement ont coûté très chers à la RDA.

Pour elle, le changement de régime n’est pas venu des Allemands de l’est mais de la Russie qui sous Gorbatchev ne veut plus d’un régime autoritaire sous la coupe d’un seul parti. Elle évoque aussi l’ennui que la jeunesse éprouvait à vivre dans un pays où tout était prévu. Bien sûr, elle parle de la Stasi mais tout son essai semble prouver que l’on pouvait vivre confortablement en RDA , sans trop se soucier des aspects politiques. Elle prend l’exemple d’Angela Merkel qui semble se jouer très facilement de la surveillance policière.

Elle insiste beaucoup aussi, sur la situation des femmes en RDA , qui, bien avant son homologue de l’Ouest avait favorisé l’emploie des femmes dans tous les domaines en s’appuyant sur une politique de la petite enfance très généreuse.

J’ai lu que son livre a été mal accueilli en Allemagne, cela ne m’étonne pas trop car elle est vraiment très critique sur la réunification qui n’a pas su garder les aspects positifs du pays dont elle est originaire (les usines qui donnaient du travail à des ouvriers hautement qualifiés, le statut des femmes) . Elle rend même responsable la réunification d’avoir expulsé des travailleurs étrangers sans leur donner de compensations financières. Je pense que c’est un peu dur à avaler pour un Allemand qui voit qu’elle appartenait à une partie de la population privilégiée de l’ex-RDA (mère enseignante et père officier) et qu’elle a préféré la Grande-Bretagne à l’Allemagne. J’aurais bien aimé aussi qu’elle aborde les réparations pour la spoliation des biens juifs en RDA, pas un mot sur la shoah quand on parle de l’Allemagne de cette période : c’est un peu bizarre , non ?

Le principal reproche que je fais à cet essai c’est de minimiser le rôle de la Stasi, elle dit qu’on s’habitue à être espionné tout le temps si on a, en contre partie, le confort matériel. Je n’en suis pas aussi sûre mais je pense que sa famille a dû accepter cela pour pouvoir vivre en RDA et qu’il s’agit donc de ce qu’elle a ressenti dans sa jeunesse.

Et évidemment Patrice avait déjà lu ce livre. (Eva et Patrice laisse rarement passer des livres intéressant à propos de l’Allemagne).

Extraits

Début.

Chapitre 1
En tenaille entez Hitler et Staline
1918-1945
« Le froid sibérien te clouer le bec »
Les communistes allemands
Sverdlovsk, Sibérie, 6 août 1937. Un jeune Berlinois de 24 ans, Edwin Jöri, atterit ce jour-là dans une petite cellule sombre exhalant la peur. Des cinquante-huit autres prisonniers politiques qui y languissent déjà, seule une petite poignée tourne un visage hagard et las en direction de la porte pour regarder le nouveau venu. Erwin cherche un endroit où s’asseoir mais le sol est trop encombré. Alors il se tient debout près des latrines, le seul espace libre, un grand tonneau avec un couvercle. Il y reste pendant des heures, des jours, des semaines. Ses pieds gonflent, il a la bouche sèche et la gorge qui brûle chaque fois qu’il avale de l’air. Puis un jour, il s’effondre. On le sort de là et on le traîne jusqu’à l’infirmerie, il se tient la poitrine avec ses poings serrés mais sans force. Un médecin jette un coup d’œil et le renvoie dans sa cellule après avoir décrété qu’il feint d’être malade.

La purge contre les communistes allemands.

L’ordre n°00439 fut le point de départ de ce que l’on désigna comme l' »opération allemande » , soit l’arrestation de 55 005 personnes au total, dont 41 898 seraient fusillées et 13 107 condamnées à de lourdes peines. Peu importait la faveur dont ils jouissaient autrefois auprès des autorités soviétiques, personne n’était à l’abri : des familles entières, tours d’immeubles, rues et usines furent littéralement anéanties. Au sein du comité central du parti communiste, les victimes de Staline furent plus nombreuses que celles d’Hitler.

Origine des dirigeants de la RDA.

 Après les purges, le nettoyage interne du KPD et le revirement idéologique ridicule consécutif à la signature du pacte germano-soviétique, le premier cercle de l’enclave communiste à Moscou se trouva réduit à un noyau de fanatiques, un petit groupe qui ferait preuve d’une obéissance aveugle à Staline et couperait tous les liens avec les anciens camarades compatriotes. Au cœur de cette coterie très fermée figurerait Walter Ulbricht et Wilhelm Pieck, qui plus tard auraient pour mission de construire en Allemagne un socialisme à l’image de Staline.

Deux passages qui décrivent la barbarie de la guerre.

 Côté allemand.

 Sur le front de l’est les soldats allemands avaient été responsables d’un véritable carnage, et les atrocités commises à l’encontre des populations civiles lors de l’avance de la Wehrmacht vers Moscou – pillages, viols, mise à feu et massacres- étaient souvent demeurées impunies. À l’inexorable appareil militaire d’Hitler, les hommes de Staline opposèrent le nombre et la force de la volonté. Les soldats de l’Armée rouge qui, confrontés à la malnutrition, à l’hypothermie et à d’autres obstacles insurmontables, se laissaient aller à penser simplement à abandonner couraient le risque d’être fusillés sur ordre de Staline. Quelques 150 000 soldats soviétiques tombèrent ainsi sous les balles de leurs officiers supérieurs. Les autres poursuivirent le combat, et quand finalement le cours des hostilités changea alors sonna l’heure d’une terrible revanche. Ils y furent poussés par leurs commandants et par les acteurs de la propagande soviétique comme l’écrivain Ilya Ehrenbourg, à la côte populaire et qui dans ses pamphlets tristement notoires, clamait que les Allemands n’avaient rien d’humain et que les soldats pouvaient se venger sur chacun d’entre eux, en n’épargnant ni les femmes ni les enfants.
Côté soviétique .
 Ainsi fondirent sur l’est de l’Allemagne, au dernier temps du conflit des colonnes entières de soldats ivrognes et brutaux. Alimenté par les rations d’alcool ou même quand celles-ci venaient à manquer par des produits chimiques dangereux volés dans les stocks restants ou dans les usines, un déferlement de violences s’ensuivit à une échelle sans précédent on estime à deux millions le nombre d’allemandes victimes de viol -environ 100 000 pour la seule ville de Berlin- souvent de façon répétée lors des agressions en bande beaucoup des dernières semaines de l’avance des Rouges sur Berlin. La froideur des statistiques masque l’horreur de ces crimes et les séquelles psychologiques qu’endureront autant les femmes que l’ensemble de la société est-allemande.

Staline ne voulait pas des deux états.

 Et comme si le message n’était pas assez clair, Staline leur interdit formellement de proclamer l’existence d’une « démocratie populaire » dans son secteur. Ils ne pourraient imaginer instaurer un État est-allemand que dans la mesure où l’on ne pourrait plus éviter la création d’un autre à l’ouest.
 Les évènements qui se produisirent ensuite finir par résoudre ces conflits. Le 8 mai 1949, quatre ans jour pour jour après la capitulation allemande, le conseil parlementaire des zones d’occupation occidentales ratifia la nouvelle constitution sur laquelle il travaillait depuis le mois de septembre. Avec la proclamation de cette loi fondamentale, le 23 mai naquit la République fédérale d’Allemagne. Cette fois, Staline n’avait plus le choix. Le 27 septembre à Moscou, il rencontra une délégation du SED – Ulbricht, Pieck et Grôtewohl, , avaient attendu cette entrevue dans l’angoisse pendant dix longues journées. Résigné le « Guide » consentit enfin à la création de la République démocratique allemande.

Début de la Stasi.

Si à sa création en février la Stasi était une petite organisation de 1100 membres, elle allait vite devenir entre les mains de Miellé, l’un des services de police les plus importants et les plus complexes que le monde eût jamais connu.(…) De tous les pays du bloc de l’est, la RDA avait ceci d’unique que son existence n’était jamais assurée. Ulbricht, Mielke et ceux qui œuvraient avec eux ne devaient pas seulement défendre leur État contre l’Ouest, mais aussi contre Staline qui avait toujours une préférence pour une Allemagne unifiée et neutre. Ils avaient le sentiment de devoir prouver que leur État était un avant-poste pur, fidèle et « non corrompu » de l’empire soviétique. Et cela prit un caractère encore plus urgent après que la RFA d’Adenauer eut commencé à vraiment à s’intégrer à l’Ouest, par le biais du réarmement et de son adhésion à l’Otan en 1955.
 En attendant le régime de la République démocratique allemande avait peur de son propre peuple.

Pourquoi le RDA n’a pas réussi à s’enrichir ?

En 1953, pillages personnels et vols mis à part, les Soviétiques avaient officiellement pris à la RDA un excédent de 15 milliards de dollars en guise de réparation et de compensation pour les coûts d’occupation. Ce montant incluait le démantèlement systématique d’usines entières et d’autres actifs immobilisés ainsi que la fourniture de matières premières utiles. Les tuyauteries en plomb étaient arrachées des murs, le métal des portiques volé dans les terrains de jeux les lignes ferroviaires parfois entièrement démontées pour être reconstruites en Union soviétique. La République démocratique allemande aurait pu finir par s’en sortir s’il n’était pas venu s’y ajouter l’ampleur paralysante des réparations en cours, littéralement prélevées sur les lignes d’assemblage allemandes. Cee que Regina Fausrmann a rapporté concernant son usine de pneumatique s’appliquait à tout le secteur manufacturier de la RDA. Les soldats de l’Armée rouge arrivaient, le plus souvent sans s’être annoncés, et ils confisquaient toute la production, ce qui avait des effets dévastateurs sur la planification économique, les filières d’approvisionnement et le moral des travailleurs. Au total entre 1945 et 1953 la jeune république se vit amputée de 60 % de sa production en cours, ce qui ruina ses efforts pour se remettre à flot. Pourtant la population continua à se battre. Dès 1950, le pays retrouva son niveau de production de 1938, alors qu’il avait payé 3 fois plus de réparations que son homologue occidental.

Conclusions après le mur.

 Une fois le clivage idéologique fixé dans le béton le calme s’installa. Les mesures répressives cessèrent et le régime se concentra sur la façon d’améliorer l’économie et le bien-être de la société. Les souvenirs les plus durables que de nombreux Allemands de l’Est ont gardé de cette époque sont les projets de construction à grande échelle, les nouvelles opportunités professionnelles, surtout pour les femmes, la première voiture pour les ménages, les premières vacances en famille et l’emménagement dans leur premier appartement moderne.
 Sans rien enlever au cataclysme national et personnel que fut la partition de Berlin et de l’Allemagne, tout cela donne à l’ensemble un aspect plus complexe. Le début de l’année 1960 fut à la fois une tragédie et un progrès car la République démocratique allemande ne s’est jamais résumée au mur érigé dans sa capitale.

L’importance du jean.

Toutefois, le port d’un Wisent, (jean fabriqué en RDA) n’était en rien comparable à celui d’un original occidental – tant sur le plan matériel que psychologique. Honecker avait beau essayé (vers la fin des années 1980 chaque jeune Allemand de l’est possédait en moyenne deux blue jeans) il ne pouvait rien contre l’attrait que les produits de l’Ouest, interdits, exerçait sur les jeunes de la RDA, pour qui les Levi’s ou Wangler étaient souvent une belle manifestation de la rébellion politique ou personnelle. La jeune Angela Merkel qui n’était encore que Angela Kasner, fille de pasteur, arborait fièrement les jeans et parkas occidentaux que lui envoyait sa famille de Hambourg (en dépit du fait que les jeans est-allemand étaient fabriqués à Templin la ville, où elle vivait avec ses parents) :  » Les jeans que ma tante m’envoyait ou m’apportait à chacune de ses visites était l’expression de nos espoirs. Je n’ai quasiment jamais porté de vêtements fabriqués en RDA. » 

La présence d’ouvriers étrangers, et la réunification.

Au moment de la chute du Mur, lorsqu’avec le processus de réunification, le problème des jeunes Mozambicains chuta dans l’ordre des priorités, il fut décidé de les renvoyer dans leur pays sans soutien, financier ou autre. Au lieu de se voir attribuer des emplois d’ouvriers spécialisés bien rémunérés, comme leur gouvernement le leur avait promis, ils furent confrontés au chômage et à la misère. Ils se sentirent abandonnés à la fois par leur pays, où ils étaient taxés de « Madgermanes » (les fabriqués en Allemagne), et qu’il les avait offerts à la RDA a dans le cadre d’un programme visant à rembourser la dette, et par une Allemagne réunifiée qui les avait renvoyés chez eux sans le moindre scrupule.

La réunification.

L’un des plus gros obstacles à l’unité allemande après 1990 a été le déséquilibre économique entre l’Est et l’Ouest. Lors de la liquidation et de la privatisation des entreprises nationalisées, les observateurs ouest-allemands étaient nombreux à penser qu’un investissement ciblé permettrait de maîtriser le chômage occasionné et le dénuement économique qui en résulterait. En 1991, pour financer la réunification et la modernisation des infrastructures de l’ex-Allemagne de l’Est fut introduite une « contribution additionnelle de solidarité » à hauteur de 5,5 % des impôts sur les plus hauts revenus. Mais pour ceux qui avaient perdu leur emploi, avoir de plus belles routes et des lignes téléphoniques plus performantes n’était pas d’un grand réconfort. En 2005, un Allemand de l’Est sur cinq était chômeur. Si élevés soient-ils ces chiffres masquent encore la véritable ampleur de cette tourmente. Certes, des programmes d’emploi temporaires furent rapidement mis en place mais cela revenait à demander à une main-d’œuvre qualifiée et fière de l’être d’accepter des travaux de nettoyage et d’entretien des espaces publics ou, pire de s’atteler à la tâche déprimante du démantèlement des usines afin d’en accélérer la vente.

La condition des femmes.

 L’un des plus grands défis sociaux soulevés par la réunification concernait la place des femmes qui avaient évoluée d’une manière fondamentalement différente de chaque côté du Mur. En 1989, la RDA avait le taux d’emploi féminin le plus élevé du monde, la quasi totalité des femmes ayant un travail. En République fédérale, seule une femme sur deux travaillait à l’extérieur et à temps partiel pour la plupart. Pour les premières, il était devenu tout à fait normal de mener de front carrière et maternité sans devoir accepter beaucoup de compromis. Dès la naissance de l’enfant des structures d’accueil étaient disponibles et pratiquement gratuites. Ouvertes de six heures à dix-huit heures elles étaient prévues pour couvrir les heures de travail régulières, permettant aux deux parents une activité à plein temps. Si le système ouest-allemand avait beaucoup évolué depuis les années 1950, le mode de garde l’enfant était encore considéré comme un choix personnel requérant un financement et une application des parents et, bien souvent im n’était envisageable que sur une partie de la journée seulement. Au cours des deux années qui suivirent la chute du Mur la moitié des places disponibles en ex-RDA da pour les enfants de moins de trois ans furent supprimées, dans le but de revoir à la baisse le budget faramineux de l’état providence socialiste. Cette tendance se poursuivit jusqu’en 2007 lorsque l’offre de structure d’accueil atteignit son niveau le plus bas avec des places pour seulement 40 % des enfants de cette tranche d’âge. Beaucoup de mamans est-allemandes eurent soudain des difficultés à concilier carrière et maternité déconcertées d’avoir à justifier même leur choix d’avoir les deux. Beaucoup avaient l’impression qu’on les considérait comme de mauvaises mères simplement parce qu’elles essaient de s’arranger. 
Éditions Actes Sud,134 pages, juin 2025.
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux

Je suis souvent à la recherche d’auteurs allemands pour participer au mois de « feuilles allemandes » de novembre, je n’ai donc pas hésité à candidater à Masse critique de Babelio pour ce roman. Mais …

 Voici le fil narratif : un homme d’affaire d’aujourd’hui, très occupé, rencontre à côté de sa maison de campagne, Karl, un homme amoureux de la nature qui vit totalement différemment de lui et du monde moderne, il sait, en effet, profiter de tous les instants que lui offre la vie dans la nature et cultive des pommes de terre à qui il parle pour les aider à combattre les mauvaises herbes !
Les deux hommes éprouvent un fort lien d’amitié, chacun ayant une souffrance à surmonter : le narrateur, quand il était enfant, a été enfermé quelques heures, dans un placard à balais par une animatrice de ski, et Karl le cultivateur de pommes de terre à une maladie auto-immune inguérissable ce qui donne à sa vie un tout autre sens. (Le parallèle entre les deux malheurs ne m’a pas semblé du même ordre !)
Franchement, c’est peu de dire que je n’ai pas adhéré à l’histoire, j’ai même failli lâcher ce court récit de 135 pages, quand Karl explique qu’il parle à ses plants de pommes de terre.
Le retour aux valeurs de la nature avec des personnages si peu incarnés m’a laissée de marbre et parfois frise le ridicule.
Bref, une énorme déception.

Extraits

Début.

5h12. Tous les matins je me réveillais à la même heure. Depuis plusieurs mois, déjà. Peu importait le jour de la semaine. Peu importait l’heure à laquelle j’allais me coucher, ou quelle tisane « nuit tranquille » je buvais. Ce samedi matin de juin n’a pas fait exception. J’étais parti seul à la campagne – ma femme suivait une formation, et nous enfants avaient des plans avec leurs amis.

L’homme moderne très occupé .

 Il y avait tout ce qu’il fallait : la rosée du matin sur les prés verdoyants, le chant d’un merle, le sol souple de la forêt sous mes pas. Mais il y avait aussi ce mur invisible entre moi et le monde.
 Et ainsi, à chaque pas ce n’est pas de la nature que je me rapprochais, de ce sentiment de légèreté auquel j’aspirais, mais de mon bureau mental. Et comme d’habitude, il était bien encombré : la conférence de rédaction de mardi prochain, la discussion d’hier vendredi, cette personne à qui je devais absolument écrire un mail après le petit-déjeuner, cette autre que je devais absolument réussir à joindre. Sans parler du cadeau d’anniversaire de ma tante que je devais encore acheter, si tant est que je trouve une idée.

Description « cucul » (pour moi) de la femme de Karl .

 Une fois la visibilité devenue meilleure la femme de Karl se tenait devant moi. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Heidi, l’héroïne des livres de mon enfance. C’était peut-être ses joues rouges comme deux pommes, ses yeux rieurs, son charme nature. On aurait dit un champ de fleurs. Cette femme respirait la fraîcheur et la joie de vivre. Elle a immédiatement trouvé une place dans mon cœur.

Quand j’ai failli lâcher le livre !

Chaque année, il mettait 77 000 plants en terre, qui donnaient 770 770 pommes de terre. Et son rituel le plus important se déroulait le jour de son anniversaire, le 30 avril. Une fois qu’il avait soufflé ses bougies, il se rendait seul sur son champ, et parcourait chaque rangée en disant un mot gentil mais ferme à chaque plant. Il les exhortait, cette année encore, à ne pas le laisser tomber, à vaillamment lutter, en un combat sacrificiel, végétal contre végétal, contre les mauvaises herbes, mais aussi contre les champignons. Et il leur disait que même s’il les vendait, le cœur gros, juste après leur naissance, il les aimait beaucoup. 


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.


Édition le livre de poche, 279 pages, mai 2024

Traduit de l’allemand par Dominique Autrand

 

Ce roman ira très bien dans le mois de littérature allemande

C’est à travers une rencontre agréable dans une librairie de Dinan que j’ai acheté ce roman. Le très jeune libraire qui venait de le finir m’a dit avoir été séduit par le cheminement de deux femmes qui arrivaient à se réparer mutuellement. C’est le cœur du roman, une jeune fille anorexique de 17 ans qui s’auto-mutile et qui fugue de tous les centres dans lesquels on la place pour « l’aider », rencontre une femme de 50 ans paysanne qui lui offre l’hospitalité. Cette femme ne cherche pas à la retenir, mais peu à peu elles vont s’apprivoiser et se faire confiance. On découvre au fil de la narration le lourd passé de Lizz, la paysanne que tout le village rejette. Dès le début, on sait qu’elle aussi était malheureuse dans sa famille, avec un père tellement strict qu’il enlevait toute joie de vivre aux gens qui vivaient à ses côtés. Elle fuira cette vie avec un garçon qui s’avère violent et peu intéressant. Ensemble ils auront un enfant. Je m’arrête là pour vous laisser découvrir le fil de la narration.

Sally, la jeune révoltée, fuit un milieu familial trop conformiste mais qui voudrait lui redonner le goût de la vie.

Lizz sans vouloir vraiment le faire s’y prend mieux que tous les thérapeutes , car elle n’oblige pas la jeune fille à vivre chez elle, elle peut partir quand elle veut, mais c’est à travers le travail de la ferme que Sally va retrouver le goût de vivre. Et voilà l’autre intérêt du roman, la description minutieuse du travail dans une ferme rhénane : la cueillette des fruits, leur transformation en alcool, le travail de la terre, les vendanges. L’auteur sait rendre les atmosphères humides et fraîches des petits matins dans les vignes. il sait décrire aussi le changement du regard de Sally sur la campagne environnante, et enfin visiblement, il connaît bien les tourments de l’adolescence.

J’ai une réserve sur la crédibilité des personnages, il est rare selon moi qu’une anorexie aussi sévère ne vienne que du côté routinier des parents. Le le secret de Lizz est bien lourd à porter et l’ouverture finale, le rapprochement possible de Lizz et de son fils me semble vraiment difficile à réaliser. Je demande sans doute trop à la création romanesque, alors que, Ewald Arenz, décrit si bien les tourments de l’adolescence et mieux encore une région agricole viticole allemande qu’il connaît visiblement très bien. Si je retourne à Dinan, je féliciterai le jeune libraire pour son conseil. Je sais qu‘Eva avait recommandé cette lecture.

 

Extraits

Début.

 Au sommet de la route étroite qui montait entre chants et vignobles, l’air chaud vibrait sur l’asphalte. Liss, qui grimpait lentement la côte sur son vieux tracteur sans cabine, croyait voir de l’eau, une eau plus fluide que la normale ; plus légère et plus endoyante Une eau qu’on ne buvait qu’avec les yeux.
 Sur les champs moissonné où luisaient les chaumes, le blé était encore présent dans la puissante odeur de paille ; poussiéreuse, jaune, saturée. Le maïs commençait à sécher ; son bruissement dans la brise d’été n’évoquait plus le vert, il se transformait en un chuchotement rauque à la lisière du champ.

Le ressenti de Sally en centre psy.

 On était vendredi, et personne n’avait encore retrouvé Sally, personne ne lui avait parlé longuement, gentiment, sans lui faire de reproches, rempli de compassion mais aussi d’une haine cachée derrière chaque mot gentil. De la haine contre elle, qui ne voulait pas se soumettre, qui fuguait sans arrêt, qui n’écoutait pas leurs voix douces, compatissantes, compréhensives, mais les regardait toujours dans les yeux, longtemps, jusqu’à ce que le faux mur de gentillesse professionnelle, de chaleur et de compréhension s’effrite, laissant transparaître l’ennui, et l’indifférence et la haine.

Toujours Sally, si mal dans sa peau dans sa peau.

La maison. L’école. Les cliniques. On y entrait, et voilà que les ficelles, les chaînes, les cordes et les filets se mettaient à pousser des murs et du plafond, il devenait de plus en plus difficile d’aller et venir à l’intérieur, ils devenaient de plus en plus impossibles de sortir- de la maison, de l’école, des maisons des amies et de partout. C’étaient des chaînes souples, des cordes élastiques et des filets en caoutchouc, mais plus on voulait partir, plus ils vous retenaient, vous tiraient doucement en arrière ; la nuit, ils devenaient collants et lourds et si on ne fermait pas la bouche, si on ne respirait pas par le nez ils pénétraient en vous. Ou bien, ils se collaient à la nourriture et on les avalait par mégarde comme un cheveu, un cheveu qui n’en finissait pas, de plus en plus épais il se liquéfie à l’intérieur jusqu’à vomir. Parfois il vaut mieux ne pas manger.

 


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères. 


Édition Albin Michel . Traduit de l’allemand Dominique Autrand

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Les enfants font naître en toi des sentiments et puis ils s’en vont et te laissent en plan avec tes sentiments 

Un roman très surprenant : je pourrai écrire deux billets différents, je vais commencer par le positif. Je suis partie ailleurs grâce à cette écrivaine et jamais un pays ne m’a semblé plus étranger dans un roman (sauf peut-être le Japon). Elle raconte le parcours d’une femme de cinquante ans qui décide d’aller vivre sur la mer baltique au nord de l’Allemagne. Elle a laissé dans sa ville son mari, Otis, avec qui elle reste en contact, sa fille Ann est partie dans un grand voyage à travers le monde.

Nous sommes dans un pays de Landes, de vent et de paysages infinis. De gens tristes et porteurs de déséquilibres qui les empêchent de bien vivre habitent cet endroit (sans doute la Frise). Son frère qu’elle appelle « un imposteur » est tombé amoureux d’une jeune fille de 20 ans alors que, lui, en a 58. Cette fille est complètement déjantée et lui totalement amoureux ce qu’il n’a jamais été auparavant. Le personnage principal, va commencer une relation avec l’éleveur de 1000 porcs. Alrid est le frère de Mimi une femme fantasque qui sera la relation amicale de la narratrice. Cette Mimi se sent libre de ses choix de vie et elle permet à la narratrice de s’adapter à cet étrange pays .

Le talent de cette auteure c’est de nous embarquer dans un monde étrange de gens habités par des histoires très tristes.

 

J’aurais pu aussi écrire un tout autre billet. Dans un beau décor bien décrit, un monde de vent et de paysages très ouverts sur le grand large , des gens tous plus bizarres les uns que les autres se baladent sans que l’on comprenne bien leurs relations. La narratrice a bien fait de laisser son mari qui remplit son appartement d’objets les plus divers au point de ne garder qu’un lit pour pouvoir dormir. Leur fille Ann ne s’est pas trompée, elle a fui ce couple mortifère. La narratrice a été employée dans une usine de cigarettes, ce qui lui permettait de fumer gratuitement en volant des cigarettes. Elle a été marquée par une proposition de magicien qui voulait la découper tous les soirs dans une boite sur une scène de spectacle. La boîte, on la retrouve avec la petite amie de son frère : elle y aurait été enfermée par une mère maltraitante. Dans une scène de beuverie, on verra la narratrice faire une fellation à l’éleveur de porcs sous les yeux de Mimi sa sœur. Mimi qui se ballade toute nue, soit pour se baigner dans les eaux marronasses du port soit dans son jardin. Elle racontera à la narratrice une horrible histoire mythique d’Ondine violée et massacrée par les gens du village.

On ne comprend jamais la nature des liens des gens entre eux, c’est difficile d’admettre que cette fille de la ville ait une relation avec un éleveur de porcs d’une porcherie industrielle, peut être parce qu’il sait installer des pièges pour attraper une fouine qui l’empêchait de dormir, dans un geste que je n’arrive pas à comprendre elle finira par fermer le piège et le rendre inutilisable , il est vrai qu’elle n’avait attrapé qu’un merle et un chat Son frère semble vraiment amoureux mais d’une fille totalement barge.

Bref trop de bizarreries et aucune explication pour comprendre tous ces gens fou-dingos. Lors de la séance de notre club de lectures deux lectrices ont exprimé leur dégoût total de ce roman, elles ont tout trouvé « laid » c’était leur mot surtout les personnages et elles n’ont même pas été sensibles aux paysages. De plus elles ont souligné les maladresses de style : la répétition des « il me dit …je lui ai dit .. « , que je n’avais pas vraiment repérée.

 

 

Extraits

Début.

 Cet été là, il y a presque trente ans, j’habitais dans l’ouest et très loin de l’eau. J’avais un studio dans les nouveaux quartiers d’une ville moyenne et un travail dans une usine de cigarettes. Le travail était simple, je devais veiller à ce que la tige de tabac se présente bien dans l’axe du module de découpe, c’est tout ; en fait la machine le faisait, elle avait un capteur, la tige de tabac passait en ronronnant et quand elle n’était pas dans l’axe la machine s’arrêtait.

Son lieu de vie aujourd’hui.

 J’ai loué une maison à l’extérieur du village. Elle est isolée, elle est délabré et minuscule, dans une rue non pavée, sablonneuse, qui se termine dans le polder. Devant la maison s’étendent des champs et des pâturages jusqu’à l’horizon, derrière coule un étroit cours d’eau. Un canal. Le canal achemine l’eau de l’intérieur du pays vers le polder, du polder elle rejoint la mer, l’eau est brunâtre et vaseuse, mais il y a toutes sortes d’oiseaux dans les roseaux, il y a des foulques des rats musqués et des libellules

Portrait de son frère.

 Autant que je sache, mon frère ne s’était jamais vraiment intéressée à quoi que ce soit de toute sa vie, il ne s’était jamais investi dans rien, n’avait rien appris, ne savait à peu près rien faire. C’était un imposteur, il était très douée pour faire semblant de savoir tout faire, et la restauration semblait une bonne solution dans ce cas de figure

Son ex mari accumulateur d’objets .

Pourtant il continue à accumuler. De temps en temps il vend ou il donne tel ou tel objet, mais il en trouve beaucoup plus qu’il n’en cède. Il sait exactement ce qu’ils possède. Si tu lui demandes une lampe de poche, ça prendra du temps, mais tu l’auras. Avec des piles, intacte et en état de marche. Si tu lui demandes une bâche pour un bateau, il te la sort de sous son matelas. Tu as besoin d’une canne à pêche. Une hache. Une lampe à pétrole. Une seringue à insuline, une trousse de secours, une boussole et un livre où on dit quels champignons sont comestibles ou pas. Une carte géographique. Du bois de chauffage. Tout ça. Otis l’a, et il te le donne. Et pourtant me dis-je cette accumulation est l’expression du chagrin, et il regarde passer la vie

 

Se baigner en mer baltique.

 Mini me précède à grands pas, elle a hâte d’atteindre l’eau. Elle va nager dans le bassin portuaire à partir du môle, elle dit qu’enfant déjà elle nageait dans le port. En mer il n’y a pas assez de profondeur à son goût, il faut patauger un quart d’heure pour avoir de l’eau au niveau du genou à marée haute.

Élevage de porcs.

Les centaines de cochons dans des box, sur un sol en caillebotis nus et clignant des yeux, ils sont couchés les uns sur les autres, trébuchent les uns sur les autres, grimpent dans les mangeoires, se jettent contre les barreaux en acier des enclos. Des paniers métalliques oscillent au dessus des box. Les cochons sont tous absolument identiques, curieusement on ne dirait pas des cochons c’est qu’il y en a beaucoup trop. Presque tous nous regardent. Nombre d’entre eux n’ont plus de queue, leur dos et leurs flancs sont couverts de griffures, un cochon gît tout seul dans un coin, ses courtes pattes écartées, impossible de voir s »ils respirent. La lumière excite les autres leurs cris stridents enflent, le son est atroce.

Fête chez les parents d’anciens paysans.

Onno est assis en face de nous. Il est nettement plus aimable qu’Alrid, carrément ouvert en comparaison, il est débonnaire. Il a un appareil auditif dans l’oreille gauche, il y porte fréquemment la main, tourne la molette, je le soupçonne de couper le son quand il en a marre.
Il me tend sa grande main chaude par-dessus la table.
Une amie de Mimi est venue aussi, c’est bien.
Ce n’est encore jamais arrivé, explique Alrid. Une amie de Mimi, c’est inhabituel, les amitiés c’est pas trop notre truc dans la famille.