Éditions J’ai lu, 406 pages, juillet 2025.

J’avais adoré « l’art de perdre« , et je n’ai donc pas hésité à choisir ce roman. Je me suis accrochée de toutes mes forces à ce récit, et puis quand je suis arrivée au moment où une re-visitation du passé de ce territoire à travers une expérience magique qui permet au personnage principal de retrouver tous ses ancêtres , l’auteure m’a complètement perdue. Je pense que pour comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et écrire un roman sur ce sujet, il ne suffit pas de travailler sérieusement sur la partie historique. Il faut pour cela comprendre de l’intérieur ce pays, et sans doute, on attend encore le grand écrivain Kanak, qui réveillerait la mauvaise conscience française. Pour la Nouvelle Calédonie, la colonisation se double de la présence du bagne. Et à ce moment là je me suis sentie une nouvelle fois flouée : Alice se sert de son origine Kabyle, pour s’approprier l’histoire de la Nouvelle Calédonie. En effet, des rebelles arabes ont été déportés sur cette île au bagne qui a existé de 1864 jusqu’en 1924.

 

Tass le personnage principal est à la recherche d’elle même et se remet difficilement d’une rupture amoureuse en France. En retournant vers ces racines, elle cherche à comprendre les Kanaks et leur volonté de s’approprier leur territoire. Au bout de 200 pages assez laborieuses, elle part enfin à la recherche de deux de ses élèves jumeaux qui ont disparu. Et c’est là qu’elle rencontre un petit groupe qui cherche à faire prendre conscience aux Blancs de Nouvelle Calédonie qu’ils leur ont volé leur île et leur façon de vivre en harmonie avec la nature. C’est dans cette démarche qu’elle retrouvera ses racines « arabes » et que le personnage principal du roman rejoint la vie de l’auteure. J’ai déjà dit en introduction ce que j’en pensais.

Bref, ce roman ne m’a pas appris grand chose sur ce pays et la façon dont l’auteure le raconte m’a vraiment déçue.

Extraits

Début.

 C’est une distance qui ne s’avale pas. D’ailleurs aucune distance ne s’avale. Il faudrait qu’elle arrête d’utiliser cette expression, elle ne sait pas d’où elle vient, elle ne sait pas à qui elle l’emprunte quand elle pense dans ces termes – peut-elle même prétendre qu’elle pense ? Au mieux, elle fait du patchwork avec des vieux chiffons de mots qui lui traînent dans les coins du crâne.

La nouvelle Calédonie et la destruction de la nature.

Quand son père racontait la vie de la Grande Terre, elle paraissait inépuisable. Tass est persuadée qu’il n’aurait pas supporté de la découvrir si fragile, menacée, au bord de l’extinction. La lenteur nécessaire à l’écosystème ne s’est révélé que récemment, elle a été lente à se montrer où peut-être que les humains ont été lents à comprendre  :
pour qu’une tortue atteigne la maturité sexuelle, il lui faut trente ou trente-cinq ans,
pour qu’une forêt repousse, ces forêts-là, celles qui peuvent croître dans des sols saturés de fer et de métaux lourds, il faut sept cent cinquante ans,
pour qu’une espèce évolue de manière à se défendre contre des prédateurs, il faut un temps si long et si aléatoire que personne ne peut vraiment l’estimer. 

Les grands immeubles peu adaptés au pays.

 L’état français a répondu au problème local de manière automatique, comme chaque fois qu’il a fallu traiter en urgence une question de logement social depuis la Seconde Guerre mondiale : avec des tours (il aurait aussi pu proposer des barres, bien sûr, mais pour des raisons que Tass ignore la Calédonie n’a hérité que des tours). Les immeubles de Magenta beiges ou gris en fonction de la lumière, ressemblent à un petit morceau de banlieue française qu’on aurait planté là, tout seul, en rase campagne, en ignorant qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un mode de vie océanien. Les premières années, les tours avaient au moins le charme de la modernité, l’attrait du neuf. Mais depuis des décennies, les associations d’habitants se plaignent de leur dégradation, les jeunes désœuvrés qui y mettent le bazar et des appartements vacants dont les balcons sont pris d’assaut par des oiseaux diarrhéiques et bruyants.

Introduction de l’écrivain dans son propre roman.

 Imaginons ici que Tass, en tombant dans le trou d’eau, soit non seulement entrée dans une version du temps qui lui permette de voir ses ancêtres, mais qu’elle soit aussi entrée dans une dimension qui lui permette de basculer hors de ce roman. Imaginons que, chaussures mouillées et peau fripé, elle puise entrevoir les raisons pour lesquelles le livre qui la raconte, elle, a été écrit.
 Elle me verrait alors, moi, à Bouraï ou à Nouméa, en 2019, rencontrant à plusieurs reprises des hommes ou des femmes qui me disent  : nous sommes peut-être cousins. Elle me verrait rire de façon un peu embarrassée trop aiguë ou trop fort, comme une personne qui n’est pas sûre de comprendre la blague. J’ai appris, deux jours avant seulement, que des Kabyles avaient été déportés, transportés et relégués en Nouvelle-Calédonie.
 Mais la question est posée est-ce que nous pourrions être cousin ?

Éditions Philippe Rey, 205 pages, août 2025.

J’ai entendu cet écrivain à la radio, et sa façon de parler de son roman m’a donné très envie de lire son livre. Et je le remercie de me faire renouer avec un grand plaisir de lecture.

Le personnage principal, Salmane a 36 ans, il vit encore chez ses parents dans une cité de banlieue qu’il appelle la « caverne, son père Hédi est à la retraite et a été toute sa vie un ouvrier courageux et sa mère Amani a fait une carrière dans les ménages. Un jour les deux hommes de la maison se réveillent et Amani n’est plus là. Commence alors une recherche où chacun devra se retrouver. Et le voyage promet d’être long car tous les trois se sont perdus dans les méandres d’une vie qu’ils ont subie plus que choisie.

Salmane a eu une enfance heureuse et a fait de brillantes études, pour finir au RSA et travailler à temps partiel dans un restaurant marocain tenu par un Chinois et qui vend des sushis et des merguez, il traîne avec ses amis dans son quartier en particulier avec son copain de toujours Archie, qui est toujours là pour lui, l’inverse est moins vrai. Son père Hédi est l’ouvrier parfait qui a toujours soutenu son fils et qui ne comprend pas pourquoi celui-ci n’est pas allé jusqu’au bout de sa réussite scolaire et donc sociale. Il n’exige qu’une chose pour sa présence dans la maison : 500 euros par mois, on verra à la fin l’importance de ce loyer et le projet de ses parents. Enfin Amani, la femme et mère, qui fait tout dans la maison et que ni son mari ni son fils ne semblent voir. C’est son départ qui va provoquer une tempête qui met les deux hommes de la maison face à leurs insuffisances. J’allais oublier un personnage important de ce récit : La caverne. Ce quartier de banlieue et ses tours qui sont des endroits qui peuvent faire peur. On parle souvent de ce genre de quartiers aux actualités pour des histoires de violences, de drogues et misère sociale. Assez loin de ces clichés, la galerie de portraits de cette banlieue est un vrai régal d’humanité, Archie le copain au grand cœur, les amis du père d’Hédi qui fréquentent tous le café le Mascara, et qui se soutiennent en cas de coups durs.

On comprend dès le début qu’Amani a eu bien raison de partir pour réveiller ces deux égoïstes qui profitent d’elle sans lui rendre la pareille, ils ne l’ont pas aidée à rechercher son chat et ont même oublié son anniversaire.

Lors de la recherche de sa mère, Salmane revient sur sa vie et découvre les raisons des silences de ses parents sur leurs origines tunisiennes. Et on sent qu’il va reprendre sa vie en main avec le tout début d’un amour.

Un vrai beau roman qui soulève tant de problèmes de notre société, problèmes et richesses humaine aussi. Je dois aussi parler de la langue, au début le langage « jeune » m’a agacée et puis finalement je l’ai accepté mais surtout grâce à l’humour qui m’a souvent fait sourire .

Extraits

Début (pas mal)

Quatre heures se sont écoulées entre le moment où Hédi a raccroché et celui où il est venu m’avertir du coup de téléphone vers minuit. Mon père sait où me trouver. Après le turbin, je m’amuse au même endroit lugubre, dernière escale avant la forêt. Sa peau couleur pain d’épice a viré blanc, comme si un fantôme scandinave le possédait. La surprise réchauffe mon corps. Lui ? Ici ? Mes fesses sont aplaties sur le capot d’une voiture déglinguée, dont le toit sert de comptoir. Café, jus d’orange, Coca vodka. Hédi s’approche, mais pas trop. Avec sa paume, il m’ordonne de me redresser. Des noix de cajou m’échappe chape des mains. J’essuie mes doigts salés sur mon jeans et ma veste en cuir qui ne se ferme plus.

Première soirée de retraite de sa mère. Et humour triste de son fils.

Amani était restée devant la télé, jambes croisées sous une couette, avec son pull à capuche violet.
– Fils, on a le DVD du film de Clint Eastwood, quand l’autre blond allume une cigarette sur le dos d’un bossu ?
– Il est dans ma chambre…
– Ramène-le, je prépare deux cafés et on le regarde ?
Si c’était à refaire, j’aurais dit oui. Au lieu de ça, j’avais rejoint Archie et deux pote dans une voiture. On avait fumé et bu jusqu’au petit matin en écoutant les génériques des dessins animés du Club Dorothée.
Je suis un sous-fils.

Les ragots du quartier.

 À la minute où il est passé à table au Mascara le café du quartier) Hédi s’est téléporté dans ce qu’il a toujours dépeint comme son enfer sur terre : devenir le personnage principal des cancans, un objet de pitié, plaint, épié et moqué. C’est pour ça qu’il est si méconnaissable au milieu de tous nos meubles démontés. Mon père est en enfer et, une certaine façon, il a disparu aussi.

Un fils adulte dont la mère a toujours tout fait pour lui.

 Je classe mes affaires pour le voyage en suivant les consignes d’un tuto sur YouTube : je ne sais pas plier des sapes. Pour cinq cents euros par mois, j’étais épargné de toutes les responsabilités et de toutes les tâches. Je ne fais pas la vaisselle et j’ignore comment fonctionne une machine à laver. Je ne cuisine pas, ne fais ni mon lit ni les courses, ne repasse pas. Pendant cinq minutes j’ai essayé de plier un pull. Mais rien à faire les manches sont toujours de travers. De dépit, j’envoie un coup de coude dans le matelas. Je regarde mon bureau, mon lit et mes Schtroumpfs sur le sur le papier peint. Même si je revenais habiter ici pour toujours, rien ne serait comme avant. Reconstruire ma bulle serait impossible après tout ça – c’était un modèle unique. Le parfum de ma mère s’est dissipé. Je n’ai jamais connu ma chambre sans la mandarine. La nature à horreur du vide l’odeur de renfermée et de tabac l’a remplacée.

Je vois la scène.

 Archi prépare le gueuleton de nuit à base de pain grillé, de Chaussée aux Moine et de noix.


Éditions Pocket, 369 pages, février 2024 (première édition Éditions Escales 16 mars 2023)

 

Femme de marin, femme de chagrin.

J’ai décidé qu’une fois par mois je mettrai sur Luocine un livre pioché dans ma très, très longue liste noté sur la blogosphère. Le 22 juin 2024, j’avais dit à Athalie que je mettais ce roman dans ma liste suite à son billet. Voilà, je vais pouvoir le retirer de ma liste.

Ce livre raconte la tragédie des femmes, veuves ou orphelines qui ont vu leur père ou (et) leur fils périr en mer. Le début est prenant et la façon dont Perrine va injurier la mer de toutes ses forces, lorsque son fils meurt en mer est terrible. Elle a perdu son père, son mari puis son fils. Le début du roman voit comment Perrine a élevé son fils dans l’espoir qu’il ne prenne jamais la mer, lui, Jean ce petit si bon à l’école et qui écrit si bien. Il partira cependant et écrira le plus souvent qu’il le peut à sa mère ce qui permet au lecteur de suivre ses difficultés et ses voyages. Pendant la guerre 39/45, comme si la mer n’était pas assez dangereuse se rajoutent les avions anglais qui tirent sur les bateaux des pêcheurs. Puis, les Allemands qui laissent des mines et qui chassent les résistants. L’approche de la collaboration et de la résistance est bien imaginée, on est loin des récits héroïques où tout le monde trouve immédiatement le bon chemin à suivre. La résistance, c’est plus un hasard et aussi l’atrocité des nazis qui y conduit.

Ensuite, on suit le destin de Paulette la fille d’un homme qui s’est enrichi car il a su travailler avec les « Boches » pour construire le mur de l’atlantique. Cette Paulette au caractère bien trempé ne voudra pas empêcher Jean de partir en mer, hélas pour elle. L’immédiate après guerre est bien racontée et la différence entre Perrine la mère de Jean et Paulette en rivalité pour le même homme est bien vu

La dernière partie est pour moi beaucoup plus faible. Nous suivons Pierre le fils de Paulette et Jean, tous les deux vivent dans le Jura le plus loin possible de la mer qui, évidemment, va se venger et rattraper cette lignée.

Dans ce roman, il est presque dit que si les Bretons n’arrivent pas à vivre leur besoin d’aventures sur l’eau alors, il leur reste l’alcool comme « ptit Louis » le beau frère de Jean. Et les femmes  ?,elles ne peuvent que subir. Ce n’est vraiment pas l’image que j’ai des femmes autour de moi.

Bref j’ai aimé les deux tiers du livre et j’aurais imaginé une fin très différente, que Pierre gagne le « Vendée des globe » par exemple .

Je me sens un peu sévère avec mes trois coquillages mais en ce moment j’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour un roman, j’ai trouvé celui-ci un peu « gentillet » si j’étais plus positives je dirai tout en nuances.

 

Extraits.

 

Début (beau début).

 Perrine a juré en breton des mots qu’elle ne connaissait pas en français. Elle, si belle dans le temps, était laide pour la première fois, le visage tordu par la colère et par la peine. Elle avait vieilli d’un coup de vingt ans, ou de trente ans, ou même davantage, on ne sait pas. Elle aurait voulu faire plus de mal à la mer, avec ses galets qu’elle lui jetait de toutes ses forces comme on lapide une bête. Parce qu’elle lui en avait encore volé un qu’elle aimait, la salope.
 Cette fois, c’était son fils, elle n’en avait qu’un, dont le curé accompagné du maire avait dit le prénom : Jean.

Les superstitions.

 Les superstitions rassuraient Perrine autant qu’elles lui gâchaient la vie. Tout ty passait, la consternation devant une miche de pain à l’envers, la peur des chats noirs, l’épouvante après le bris d’un miroir, l’agacement à la vue d’un parapluie ouvert à l’intérieur d’une maison, mais aussi les échelles qu’elle évitait soigneusement, la couleur verte qu’elle ne portait pas, le nombre treize qu’elle ne prononçait jamais ni en breton ni en français, les grains de sel qu’elle balançait par-dessus l’épaule à tous les repas, le bois qu’elle touchait dix fois par jour et la quête des trèfles à quatre feuilles pour lesquels elle se cassait le dos à chaque printemps.

Le plaisir des mots spécifiques de la voile.

Monsieur Tournellec m’a expliqué comment construire l’abri de la nuit. Il tenait la technique d’un vieux terre-neuvas. Il faut accrocher un aviron à la drisse et le hisser à la verticale du grand bau. Quand l’aviron est bien calé sur l’amorce de pontage, on y tend la misaine. On fait contrepoids à l’aide de la vergues et ça donne un refuge superbe.

L’après guerre.

Tes raisons, je les sais même s’il ne les dis pas. Il a un peu les chocottes des questions qu’on va bien finir par venir lui poser pour ce qui est du béton qu’il a vendu aux Bosches et des machines qu’il leur a mis à disposition. Alors se mettre bien avec des gens qui vont se pavaner dans le bourg comme s’ils étaient des cousins à de Gaulle et qui ont leur entrée chez les résistants , ça vaut facile le prix d’une charpente et de quelques ardoises. 


Éditions aux forges du Vulcain, 424 pages, mai 2025

Traduit de l’anglais (États Unis) par Élisabeth L. Guillerm

 

Je maudis deux fois la jeune vendeuse de la FNAC de Dinard qui m’a fait acheter ce roman ! Deux fois car je cherchais un titre pour ma sœur, qui apprécie toujours de lire des aspects peu connus de la deuxième guerre mondiale, et qu’elle s’est beaucoup ennuyée à cette lecture, et une autre fois pour moi qui s’est encore plus ennuyée qu’elle.

J’ai au moins revisité le mythe de Cassandre, qui comme la mythologie nous l’apprend est affublée de ce curieux pouvoir de prédire la vérité mais que personne ne veut entendre et qui se rend malade à force d’annoncer des malheurs qui n’intéressent personne.

Mildred Groves a ce don et elle est embauchée dans une énorme base américaine en 1940 à Handford , où tout le monde contribue à mettre au point un mystérieux produit . Elle est envahie par ses visions et voudrait arrêter le processus inévitable qui mettrait fin à l’humanité. On n’apprend rien ou presque sur cette base et il faut désespérément se raccrocher aux divagations de Mildred pour avancer dans le roman.

J’essaie de vous raconter mais je n’y arrive pas tant ce roman m’est tombé des mains. Il faudrait sans doute que j’évoque les rapports hommes femmes et le mépris pour les compétences féminines, sans oublier la destruction, et pour longtemps, de la nature autour de la base .. mais tout ce qui me reste c’est une impression d’avoir raté mon cadeau avec un livre sans intérêt.

Extraits

Début .

 J’étais à la merci de l’homme assis derrière le bureau. Il fallait qu’ils voie mon avenir aussi clairement que moi. Il leva quatre doigts roses, son annulaire orné d’une grosse alliance dorée, et énuméra les les qualités de la femme active idéale :
– Chaste. Volontaire. Intelligente. Silencieuse.
 J’avalais ses mots et me forçaient à les intégrer dans ma chair et dans mon sang. Je croisai mes chevilles et joignis mes genoux, me transformant en femme parfaite.

Les hommes.

 Les hommes nous remarquaient lorsque nous les approchions trop. Il levait la tête de leurs assiettes comme des pumas sentant une biche. Quand ils se tournaient et m’observaient avec leurs sourires de prédateurs, je trébuchais maladroitement où hâtais le pas, me disant qu’aucun n’était aussi cruel qu’ils le paraissaient, que leurs mères, leurs sœurs, leurs femmes leur manquaient sûrement. Certains vivaient sur le camp avec leur épouse et leurs enfants, d’autres étaient des hommes de famille intègres, je le savais, des chrétiens qui allaient à l’église du complexe tous les dimanches. C’était de la fascination, pas de la convoitise. Et s’il y en avait un qui me convoitait, qu’est-ce que cela pouvait faire ? N’était-il pas possible que sous cette attitude rugueuse se cache un mari doux et attentionné qui n’attendait que d’être percé à jour ? Les hommes réagissaient à ma nervosité comme s’il s’agissait d’une blessure ensanglantée. Ils me suivaient des yeux, certains que je serais une proie facile.

 

 


Éditions Albin Michel, 186 pages, mars 2025.

 

Le temps vient à bout de toute chose , excepté l’enfance. 

Victoria Mas m’avait déçue avec « le Bal des folles », et pour des raisons différentes celui-ci n’est pas une lecture qui a soulevé mon enthousiasme. Sur le plan historique, c’est assez réussi : on apprend de façon détaillée ce qui fut le sort des enfants de Marie-Antoinette et Marie-Thérèse et Louis -Charles qui mourut faute de soin approprié dans la prison du Temple, le 10 juin 1705 à l’âge de 10 ans. Sa sœur survivra et partira en exil .

Pour donner vie à ces tragiques épisodes , Victoria Mas imagine un gardien révolutionnaire convaincu en 1794, gardien au Temple et qui aurait écrit des lettres pour raconter à sa tante ce qu’il s’est passé pour ces deux enfants. Et pour corsé un peu le roman, elle a créé une histoire d’amour entre ce gardien et la jeune captive. Sur le plan historique , mais Wikipédia vous en apprend autant, c’est la façon dont ont été gardé ces deux enfants est une pure horreur. Le sort du plus jeune s’apparente à la torture, il est dans une pièce sans éclairage survivant sur un grabat, la pièce jamais nettoyée rempli d’immondices ou vivent aussi rats et cafards. La mort de Robespierre, va soulager leur rétention, Louis XVII mourra avec un peu de confort, et Marie Thérèse aura une femme de chambre et vie plus agréable.

Ce que raconte bien ce roman, c’est le retournement de l’opinion publique, de symboles de la monarchie avec tous les privilèges et donc détesté et dont on souhaitait la mort sans vouloir la donner, Marie-Thérèse et Louis sont passés au rang de victime et la mort de l’enfant a poussé les autorités à prendre des mesures plus humaines. Peu à peu, les parisiens se sont entichés de « la princesse du temple » au point de guetter le moindre de ses sorties à partir d’un immeuble donnant en face de la prison du Temple .

Ce roman se lit facilement et rapidement et un petit coup de rafraichissement de mémoire sur les côtés peu glorieux de la révolution peut faire du bien. La mise en page fait que ce qui tiendrait en une petite centaine s’étale en 180 pages. Le style est fluide et le point de vue du gardien crédible.

Extraits

Préface

« Voici deux jours que la princesse s’en est allée du Temple … »
 C’est par ces mots que je découvris les lettres de mon père. Je crus d’abord que celles-ci m’avaient été destinées par erreur, qu’elles s’adressaient à une autre Marie Herbelin qui elle aussi, depuis peu, pleurait devant une pierre tombale au milieu d’un cimetière. L’enveloppe mentionnait pourtant mon adresse. L’écriture m’était inconnue, tout comme le prénom de celle qui me faisait parvenir ces écrits : une certaine Françoise, vivant en Provence bien au fait de mon existence, tandis que j’ignorais parfaitement la sienne.

Début du roman première lettre

Lettre du 21 décembre 1795
Ma chère tante,
 Voici deux jours que la princesse s’en est allée du Temple. D’après les rumeurs, le convoi n’a pas encore atteint la frontière. Tout Paris demeure dans l’attente de ses nouvelles. Une étrange amertume a succédé ici à la joie de sa libération. Sa présence dans cette forteresse nous était finalement devenue coutumière.

 


Édition Métailié, 187 pages, janvier 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

 

Il est des livres qui se refusent à ma lecture, celui-ci je l’ai commencé au moins dix fois, et puis, des circonstances de salle d’attente m’ont permis de le finir. On suit pendant ce roman, à la fois, le destin d’une jeune Islandaise Sigurlina, fille du conservateur du musée des objets anciens , et d’une boucle précieuse. Ces deux fils se croisent, car la jeune Sigurlina, un soir de déception amoureuse et aussi, un peu lasse de servir de bonne à tout faire à son père et son frère, s’enfuit sur un bateau en partance pour l’Écosse. Elle subit un viol, et à sa grande surprise trouve la boucle ancienne dans les vêtements de son violeur.

L’honnêteté l’obligerait à revenir chez elle pour rendre cet objet, mais continuant son « coup de tête », elle part en Amérique. De multiples aventures l’attendent et l’objet aura la fâcheuse habitude de disparaître au mauvais moment.

L’intérêt de ce roman vient, sans doute, de l’évocation du passé de l’Islande, entre légendes et réalité, comme souvent quand on a peu de traces écrites de civilisations préhistoriques.

Je me suis perdue dans cette histoire rocambolesque, le style ne m’a pas aidée : les phrases trop courtes et hachées. Les personnages sont comme des idées donc, très peu incarnés, je n’ai ressenti aucune émotion et beaucoup de confusion. La confusion vient certainement de moi : au bout d’un moment, je me suis détachée de cette histoire, un peu comme la raconte cette écrivaine qui semble s’amuser à faire « comme si » elle écrivait un roman d’aventure mais n’y croit pas elle même.
Si quelqu’un d’entre vous l’a lu, j’aimerais bien qu’on m’explique le prologue : cette histoire de carte de Noël qui s’anime.

 

Extraits.

 

Début du prologue.

 Le bruit montait du salon. Des sonorités étranges un. Un instant, ne comprenant pas un mot des paroles échangées. je crus que je rêvais. Puis j’entendis les ronflements discrets de grand-mère à mon côté et je compris que j’étais éveillée.

Début du chapitre 1.

 Fin de la réception à Reykjavik mars 1897. 
– Quand à cette boucle de ceinture finement ornementée, elle a souhaité l’acquérir pour la somme de quinze mille dollars américains. Auprès de sa propriétaire une jeune islandaise dénommée Branson. Miss Selena Branson..

Travail d’une femme en Islande en 1890.

 Est-elle sûre de n’avoir rien oublié ? Vers midi, elle se tenait sur le seuil de la maison, prête à sortir. Elle hésitait. Elle avait fait les trois lits, balayé les chambres, reprisé une chaussette, préparé la pâte à pain, humecté le fromage en le malaxant pour éviter qu’il ne durcisse, lavé le linge qui était à tremper, l’avait essoré et mis à sécher au Soleil du matin avait trier le linge sale et l’avait mis à tremper – en séparant les sous-vêtements de son père-, elle avait mis à dessaler du poisson, mis à tremper des amandes, des pruneaux et des raisins secs, mis à tremper du chou, mis à tremper tout ce qu’on pouvait mettre à tremper dans cette petite maison, puis, pour finir elle avait plongé ses mains mouillées et ses doigts tout fripé dans l’eau chaude et savonneuse. Non elle n’avait rien oublié, pensa-t-elle en claquant la porte avant de se mettre en route d’un pas résolu.

L’industrie fin 19° aux USA.

 Les machines fonctionnaient ainsi dix heures par jour, six heures par semaine dans l’usine de sous-vêtements « Werner and Son » au quatrième étage d’un immeuble en brique de Woster Street en bas de Manhattan. L’entreprise fabriquait un millier de culottes par jour dans un air alourdi par les chutes et la poussière de tissu, dans le bruit assourdissant des machines, sous la présence insupportable du contremaître et des patrons. Des cris permanents et des réprimandes, chacun devant respecter la cadence. La pose de midi se déroulait dans le brouhaha des conversations. Autour d’elle, Sigurlina entendait une kyrielle de langues étrangères. Ses voisines de table étaient originaires d’Ukraine, et, lorsqu’elles se décidèrent enfin à lui adresser la parole dans leur anglais rudimentaire, elle comprit qu’elles n’étaient pas venues en Amérique pour y chercher l’aventure, le dépaysement ou la sophistication. Dina, Marina et Irina étaient arrivées avec leur mère et travaillaient pour gagner de l’argent qu’elles envoyaient dans leur village. Aux parents très âgés de leur maman. Elles lui parlèrent des émeutes, des famines 0et des calamités qui ravageaient leur terre d’origine , ce qui étonnait parfois l’islandaise car ces jeunes femmes s’exprimaient avec une franchise dénuée de misérabilisme. Certaines de leurs histoires étaient à peine croyables : un soir, il y avait bien longtemps une horde de paysans et de villageois s’étaient rués dans l’auberge de leurs parents et y avait tout saccagé en hurlant :  » À bas les Juifs  ! Ce sont eux qui ont assassiné notre tsar » . Puis ils avaient pris ce qui les intéressait, volant toutes les réserves de vodka. Le père des jeunes filles, propriétaire de l’auberge, avait perdu la vie dans la bataille sa hache à la main. 


Éditions Acte Sud, 412 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

 

S’embarquer dans un roman de Richard Powers, c’est toujours un moment de lecture exigeant, je le savais depuis la lecture que je n’ai jamais oubliée  » Le temps où nous chantions » . L’auteur a besoin de temps pour installer son sujet mais aussi à l’image de la vie, de complexité , mais quand on se laisse prendre alors tout s’éclaire et on vogue avec lui sur tant de questions qui traversent notre actualité.

Ici, nous sommes avec trois voix, une est en italique , celle d’un homme immensément riche grâce aux nouvelles performances des technologies connectées, à chaque fois qu’il prend la parole le texte est en italique : Todd Keane est atteint d’une maladie dégénérative du cerveau et il raconte sa réussite dans le monde de l’intelligence artificielle, son enfance, son amitié avec Rafi un jeune noir surdoué et les ravages de sa maladie actuelle.

Rafi ce jeune noir a été élevé dans une famille qu’on dit aujourd’hui « dysfonctionnelle » : son père qui certainement était très intelligent pousse de façon violente son fils à dépasser tout le monde à l’école, ses parents se séparent et sa mère se remarie avec un homme qui la frappe et sera à l’origine de la mort de sa sœur. Rafi ne vivra que, par et pour, la littérature. Il rencontre Todd au lycée puis à l’université, leur amitié se renforce grâce à leur passion pour les jeux de stratégie, les échecs d’abord puis le jeu de Go. Il tombera amoureux d’une artiste extraordinaire polynésienne qui cherchera à l’aider à écrire sa thèse.

Je pense qu’un lecteur plus attentif que moi pourrait lire ce roman comme une illustration des différents coups du jeu de Go. Il se termine par un vote de pierres blanches et de pierres noires qui y fait beaucoup penser.

Il y a aussi une troisième voix très importante, celle de l’Océan, portée par une femme d’exception, Evie, plongeuse émérite qui est à la fois émerveillée par l’océan et effrayée par ce qui lui arrive aujourd’hui.

Tous se retrouvent à Makatea, île de la Polynésie française . Les compagnies minières française y ont exploité le phosphate sans se soucier du bien être de la population ni de la préservation de la nature.

Nous sommes donc au cœur de la littérature et de la poésie grâce à Rafi, au centre de la création de l’IA et toutes ses dérives avec Todd , bouleversés par les révélations sur le mal être de la planète, tout cela sur un petit rocher au milieu du Pacifique, avec une population qui a toujours accueilli les étrangers avec des colliers de fleurs, même ceux qui, comme les français en 1917 , ont exploité les hommes et les ressources naturelles de façon éhontées .

J’ai beaucoup aimé ce roman , mais j’ai vraiment eu du mal au début à m’immerger dans cette histoire : trop de personnages, trop de temporalités , comme je le disais au début, partir dans un roman de cet auteur c’est vraiment faire un effort de concentration que je n’ai pas réussi à faire au début. Mais le dernier tiers du roman, quand j’ai compris ou Richard Powers voulait m’embarquer, m’a complètement séduite.

Extraits.

Début.

Ina Aroita un descendit à la plage un samedi matin enquête de jolis matériaux. Elle emmena avec elle Hariti, sa fille de sept ans
 Elles laissèrent à la maison Afa et Rafi qui jouaient à même le sol avec des robots transformables. La plage n’était pas loin à pied de leur bungalow voisin du hameau de Moummu, sur la petite colline coincée entre falaises et mer de la côte est de l’île de Makatea dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, aussi loin de tout continent qu’une terre habitable pouvait l’être -une poignée de confettis verts, comme les français qualifiaient ces atolls, perdus dans un champ de bleu sans fin.

Un couple parental peu sympathique !

 Mais c’est un jeu de guerre ininterrompu entre eux deux qui a dominé toute mon enfance. Un tournoi mû par le désir autant que la haine, où chacun engageait ses superpouvoirs respectifs. Mon père : la force du maniaque. Ma mère : la ruse de l’opprimée. Enfant précoce je n’avais que quatre ans quand j’ai compris que mes parents étaient pris dans une lutte pour se faire mutuellement autant de mal que possible sans franchir la ligne fatale : juste infliger assez de pures souffrances pour produire cette excitation que seule la rage peut engendrer. Une sorte d’étranglement de l’âme, réciproque et masturbatoire, où les deux parties donnaient généreusement et recevait bienheureusement.

Le sexe et la religion.

 Il y a cent ans, les Makatéens avaient envers le sexe l’attitude la plus saine qui soit. C’était comme l’escalade, la course ou le bodysurf, mais pimenté d’amour. La possession n’était pas un enjeu. On ne pouvait pas plus posséder une personne qu’on ne pouvait posséder la terre, ou le ciel au-dessus de la terre, ou l’océan au-delà du rivage.
Et puis les « Popa’ā » étaient arrivés. Et à présent Didier se signait et s’agenouillait sur le prie-Dieu d’une des deux églises de l’île. Deux églises pour quatrz-vingt-deux habitants ! Une catholique, une mormone, et c’est dans la première que se trouvait le maire, la tête inclinée, priant les anges (parce qu’il n’osait pas croiser le regard de la Vierge Marie dont la perfection l’embarrassait) en disant  : » Ça reste de l’adultère n’est-ce pas ? même si ma femme est d’accord ? »
À sa grande stupéfaction, les anges répondirent :  » C’est de l’adultère de survie ».

Une femme dans un univers d’hommes.

 Evelyne Beaulieu entra à Duke en 1953 , première femme jamais admise en études océanographiques. Elle survécut à quatre ans de cours à Durham et à trois étés de travail de terrain en déployant des trésors de camouflage toujours plus inventifs. Elle dissimulait l’étendue de son expérience de plongeuse, s’abstenait de corriger de nombreuses erreurs de ses professeurs, et riait aux blagues de soudard de ses condisciples mâles. Ce n’était pas si difficile de se faire passer pour ce que les américains appelaient une « bonne camarade ».

En 1957 !

On était en l’an 1957. Pepsi proposait d’aider la ménagère moderne dans la lourde tâche de rester mince. Alcoa lançait un bouchon de bouteille que même une femme pouvait ouvrir « – sans couteau, sans tire-bouchon, sans même un mari ! »

Jusqu’à quand ?

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

La révolution internet.

 On n’a rien vu venir. Ni Rafi, ni moi, ni personne. Prédire que les ordinateurs allaient envahir nos vies ? OK. Mais prévoir qu’ils allaient faire de nous des êtres différents ? Saisir dans toute son ampleur la conversion de nos cœurs et de nos âmes ? Même les plus éclairés de mes collègues programmant « RESI » ne pouvaient s’en douter. Bien sûr, ils prophétisaient les versions portatives de l’Encyclopédia Britannica, les téléconférences en temps réel, les assistants personnels qui pourraient vous apprendre à écrire mieux. Mais imaginer, Facebook, WhatsApp, TikTok, le bitcoin, QAnon, Alexa, Google Maps, Les publicités ciblées fondées sur des mots-clés espionné dans vos mails, les likes qu’on vérifie même aux toilettes publiques, le shopping qu’on peut faire tout nu, les jeux de farming abrutissants mais addictif qui bousillent tant de carrières, et tous les autres parasites neuronaux qui aujourd’hui m’empêchent de me rappeler comment c’était de réfléchir, de ressentir, d’exister à l’époque ? On était loin du compte.

 

 


Éditions « le bruit du monde », 352 pages, janvier 2025

 

Parfois je me dis que 5 coquillages, c’est bien pauvre à côté du plaisir que j’ai éprouvé en lisant un livre. J’ai savouré cette lecture , proposée par ma sœur, et j’ai ralenti le rythme de ma lecture pour ne pas quitter trop vite la famille de Philippe Manevy. J’ai hâte de savoir ce que Dominique la blogueuse lyonnaise a pensé de ce livre. Car en effet pour tous ceux et celles qui connaissent Lyon le plaisir doit être encore plus fort. L’auteur décrit les différents quartiers de cette ville en particulier les quartiers qui autrefois étaient habités par les ouvriers : la croix rousse et ses « traboules ».

Cet auteur vit au Québec , où il enseigne la littérature, cet éloignement a créé en lui une rupture qui lui a permis de se plonger dans sa vie familiale avec le recul nécessaire pour la faire revivre pour nous. Mais plus qu’un roman familial, cet auteur sait aussi expliquer l’acte d’écrire, et c’est absolument passionnant. Sa famille est-elle plus importante qu’une autre ? non. Est- elle pire ou meilleure qu’une autre ? Non . Peut-elle intéresser un lecteur aujourd’hui ? Oui . Parce que nous nous retrouvons dans l’évocation des différentes personnalité des composantes de cette famille. Bien sûr on ne peut pas dire « c’est bien moi ça » , mais on sent que cet éclairage permet de mieux retrouver en nous ce qui a constitué notre vie. Un peu à l’image de l’œuvre si importante pour lui d’Annie Ernaux, cette grande auteure aujourd’hui prix Nobel a permis de cerner ce qu’était un transfuge de classe sociale, Philippe Manevy à travers une famille d’origine ouvrière à Lyon, construit la généalogie de beaucoup de français : sa grand mère Alice a travaillé dans un des dernier atelier de tissage de la soie toute sa vie, et son grand père était imprimeur. Tout en ne faisant pas un livre sur la condition ouvrière, la présentation de ces deux personnalités ont construit une famille dans laquelle chacun peut reconnaître un bout de la sienne. Chaque chapitre est l’objet à la fois d’une évocation d’un personnage de sa généalogie mais aussi d’une réflexion qui entraîne le lecteur dans des remarques intéressantes. C’est encore plus vrai quand il parle des gens qu’il a, personnellement, connus, les sentiments de ce petit fils avec son grand père sont touchants et finement analysés. Par exemple , pour faire le bonheur de ses parents, sa mère a privé son père du seul endroit où il était pleinement heureux (un chalet dans le cantal, « Mordon ») , Alice la grand-mère qui peut sembler insupportable a toujours tendrement aimé de son mari et réciproquement. L’humanité de l’auteur lui permet d’aller toujours un peu plus loin que les apparences.

Mais si j’ai tant aimé ce livre, c’est bien évidemment pour la qualité de son écriture. Il a un style alerte qui se lit bien et qui fait du bien . J’aime ses phrases et les anecdotes qui parsèment son livre , à vous de juger à travers tous les extraits que j’ai recopiés. J’en ai mis beaucoup mais j’aurais parfois eu envie de recopier des chapitres entiers.

Patrice a bien aimé, peut-être moins enthousiaste que moi.

Extraits.

 

Début.

 Nous avons tous pensé que cette tentative serait la bonne.
 Pendant près de dix ans elle avait tout essayé : la volonté d’abord, puis les timbres de nicotine, la médecine douce, l’hypnose, l’acupuncture et les traitements miraculeux qui arrivaient régulièrement sur le marché. Elle avait tenu quelques jours, quelques semaines parfois durant lesquelles elle perdait patiences au moindre incident se supportait à peine, devenait injuste avec nous et plus encore avec elle-même. Puis elle replongeait et c’était presque un soulagement. Bien sûr, que nous savions que la cigarette risquait de la tuer, qu’il n’était pas raisonnable de continuer ainsi au-delà de quarante ans, mais nous avions aussi le sentiment étrange de la retrouver lorsqu’elle déchirait l’enveloppe plastifiée de son paquet de Peter Stuyvesant, puis fouillait avec fracas les tiroirs de la cuisine pour dénicher le briquet qu’elle avait caché quelque part, jamais très loin.

Oral/écrit.

 Je parle trop, trop vite. Je parle mal. À l’oral, j’ai souvent été maladroit, parfois blessant sans le vouloir : les mots m’échappent et s’éloignent de mon intention première au point qu’il devient impossible de les rattraper sans créer de nouveaux dégâts. Quand j’écris, quand je parviens après de longs efforts à construire une phrase qui me semble sonner juste, j’ai l’impression d’atteindre une vérité intérieure qui depuis longtemps, attendait d’être fixée pour exister vraiment.

J’adore ce passage.

 Quand j’ai publié mon premier livre, j’ai connu le sort de bien des écrivains débutants. Ma mère a acheté des dizaines d’exemplaires pour les distribuer autour d’elle. J’ai reçu des encouragements de la part de membres de ma famille, d’amis, de collègues. Mon nom est apparu dans le journal, avec une faute qui le rendait difficilement reconnaissable. Et comme il y avait aussi une erreur sur le titre, c’était fichu pour la postérité. Je n’étais ni surpris ni franchement déçu, car je vis avec une écrivaine depuis près de vingt ans. Je sais donc que les chemins de la littérature sont défoncés, encombrés de ronces, qu’ils relèvent du marathon plus que de la promenade de santé.

La famille source d’écriture.

 Ordinaires, toutes les familles le sont, pourtant. Les rois et les reines, les héros et les tyrans ont des souvenirs d’enfance qui n’ont d’intérêt que pour eux. S’ennuient lors des déjeuners du dimanche. Disent à leurs parents des paroles blessantes qu’ils ne regretteront pas vraiment. Disent à leurs enfants des paroles anodines qui leur seront reprochées des décennies plus tard. Sont en rivalité avec leurs frères et sœurs pour des motifs futiles et insurmontables. Ne seront jamais suffisamment aimés par ceux qui les connaissent le mieux. Ou jamais de la bonne manière, avec les mots qu’il faudrait. Ou bien ces mots tend attendu arrive trop tard, lorsque tout est depuis longtemps déjà, irréparable.
D’un autre côté, les familles les plus banales peuvent dissimuler des secrets dignes des Atrides, des blessures et des haines qui se transmettent d’une génération à l’autre comme une maladie héréditaire c’est bien que, soudain, la violence explose comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu, que l’on se surprend à vouloir tout détruire dans un mouvement de rage. On est prêt à mettre le feu à cette somme de petits bonheurs patiemment accumulés, trop bien rangés trop propres.

Le poids du passé de la collaboration.

 Ainsi, dans le village de mon enfance, qui avait été une zone de maquis, certains de mes camarades payaient encore pour les actions de leurs ancêtres. Une réprobation muette entourait leurs familles : ils étaient les descendants de ceux qui avaient tiré profitent de la guerre, collaboré avec l’ennemi, ou pire dénoncé. On ne parlait jamais de ces actes, mais ils étaient dans toutes les mémoires, et les petits enfants, les arrière-petits enfants, portaient encore le poids de la honte. Les descendants des héros, eux, affichaient une tranquillité supériorité morale ou croulaient sous le poids d’une couronne trop lourde. À certains, on avait légué la haine, comme cet ami qui refusait d’apprendre d’allemand parce que les boches avaient tué son arrière-grand-mère. (…)
 Moi je suis convaincu d’une chose : notre sens moral n’existe pas dans l’absolu, en dehors des circonstances particulières où nous devrons en faire usage, lorsque la réalité cessera d’être ce milieu invisible dans lequel nous nous déplaçons avec une illusoire facilité, et qu’elle deviendra un mur en apparence infranchissable.

Retour des expatriés.

 Tous ceux qui ont mis des océans entre eux et leurs proches le savent : les retours au pays ne sont pas seulement l’occasion de joyeuses retrouvailles. Ils impliquent aussi une comptabilité impossible : combien de temps consacré à la famille, aux amis ? Dans quel ordre classer oncles et tantes ? Combien de kilomètres suis-je prêt à parcourir pour rejoindre Untel ? Puis-je me dispenser de retrouver cette année ceux que j’avais vus l’été dernier ? Un ami d’enfance cela vaut-il autant qu’un cousin ? Et autant, cela veut dire quoi, exactement : un café ? un après-midi ? un repas ? un week-end entier, plusieurs jours, une semaine ?
 Les expatriés doivent quantifier leurs affections.

Sa mère.

 En faisant les études qui lui ont donné une « bonne situation », en épousant mon père, ma mère est entrée en bourgeoisie. Elle garde pourtant de ses origines une méfiance instinctive pour tout ce qui relève du snobisme ou de l’entre-soi. Elle préfère les brasseries aux restaurants gastronomiques, les simples hôtels aux quatre étoiles, les plages bondées aux domaines privés, et une élégance ostentatoire provoquera invariablement de sa part, ce commentaire assassin :  : C’est m’as-tu-vu ».
Elle fait partie de plusieurs associations caritatives mais a toujours fui les clubs, les dîners mondains, les cercles de notables, tous les lieux inventés par l’élite sociale pour se rassembler à l’écart du monde. Elle aime mieux les repas de famille et les fêtes de village, les réunions enflammées.

Le Québec et la France.

 La glorification de la classe moyenne n’a pas de sente dans mon pays d’origine, alors qu’elle est frappante ici, au Québec, où rien n’est si recherché que de paraître commun, dans la norme : ni plus riche, ni plus intelligent, ni plus cultivé, surtout que les autres. La familiarité vaut même comme stratégie politique : souvenir du « Bonjour tout le monde ! » par lequel François legault ouvrait ses conférences de presque quotidienne au temps de la Covid, comme s’il arrivait à un party de famille, tandis qu’Emmanuel Macron semblait à chacune de ses rares apparitions, rejouer l’appel du 18 juin 1940.

Les films super 8.

 Je n’ai aucun souvenir personnel de « Mordon ». Tout ce que je raconte ici provient de photographies qui commencent à jaunir et de films en super-huit, ces séquences qui, par leur brièveté l’absence de son et le tressautement de l’image, sont la nostalgie même, matérialisée. La bobine est précaire – la plupart des nôtres ont d’ailleurs été détruites, brûlées par le projecteur dans des autodafés involontaires, et nous n’osons plus les regarder. Et il faut imaginer ce qui précède le film, ce qui le suit, ce qui s’y dit : l’image reste, mystérieuse, nimbée d’une lumière jaune et diffuse, mais les voix chères se tues. Le super-huit est de l’ordre du rêve, plus que de la trace.

Son grand père et la conduite .

 Faire des courses avec lui, par exemple, était une véritable épreuve qui commençait sur la route, où il fallait accepter sans broncher son interprétation toute personnelle de la signalisation. II considérait que les flèches dessinées au sol avaient une vocation décorative. Aussi passait-il librement d’une voie à l’autre gratifiant d’un puissant « couillon de la lune » tous ceux qui osaient se mettre sur son chemin.


Éditions Actes Sud, 258 pages, mars 2025.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une déception pour cet auteur dont j’ai tant aimé « La Rivière » et un peu moins « La constellation du Chien » . Ce roman raconte l’enfance de Firth élevée par sa mère une traductrice de poètes Chinois anciens et qui s’est réfugiée avec sa fille de 6 ans dans une maison, à peine plus confortable qu’une cabane au bord d’un lac dans le Vermont. La narratrice est cette Firth maintenant adulte qui se souvient au gré des poèmes traduits ou écrits par sa mère de son enfance. Elle même attend un enfant et c’est ce qui la pousse à revenir sur son passé. Les revenus de cette étrange famille vient des pommes (d’où le titre) et la récolte du sirop d’érable. Sa mère se lie d’amitié avec une artiste locale Rose, qui gardera la petite fille au décès de sa mère.

Plusieurs fils tissent ce roman, celui auquel j’ai été le moins sensible : les poèmes de la poétesse chinoise des temps anciens, je n’ai pas pu déceler si c’est un personnage réel ou une création littéraire du romancier. J’ai trouvé les poèmes d’une platitude totale, mais je suis rarement sensible à la poésie traduite. Grâce au métier de sa mère on découvre une des raisons de leur installation dans cet endroit reculé. Hayley est une traductrice reconnue et encore célèbre dans le monde universitaire, elle accepte une invitation à un colloque et se fait descendre en flamme par la « féministe » de service qui trouve que cette poète chinoise de la dynastie des Tangs est l’incarnation de la soumission de la femme. Elle se promet de ne plus jamais répondre à aucune invitation. L’autre raison de cette fuite, elles le doivent au père de Firth, un homme qu’elles ont dû fuir car il était de venu violent à cause de la drogue.
Mais le thème principal c’est le retour vers la vie « naturelle » et l’amour qui lie cette mère à sa fille.

Adulte la fille aura du mal à aimer mais elle est enceinte d’un homme qui s’épile entièrement … vous vous demandez pourquoi je vous donne ce détail, la raison en est simple , je me suis demandé pourquoi l’auteur nous a donné ce détail.
C’est un roman « gentil » qui ne fait pas de mal mais que je n’ai pas trouvé très intéressant.

 

Extraits

 

Début

Début du prologue

 Le dossier se trouve dans un petit coffre en bois d’érable qui, pendant des années a servi de soc à une lampe dans l’angle de ma bibliothèque. Le coffre appartenait à ma mère. Hayley. Je me souviens que la boîte avec son assemblage à queue d’aronde contient d’autres souvenirs : le titre de propriété donne cabane dans le Vermont ; un ruban pour attacher les cheveux ainsi qu’un petit bouquet de fleurs de mariage en soie qui n’est pas celui de son mariage ; de la cire pour planches de surf ; un stylo plume ; un bracelet tout simple en jade. Un. petit rouleau de papier avec la silhouette d’un héron au milieu de bambous et quelques mots en chinois tracés à l’encre dans un coin.

Début du roman

 Ma mère faisait partie du mouvement des néoruraux. Elle avait cette idée : s’installer avec moi, sa fille de six ans , dans une cabane au milieu d’une pommeraie en déshérence à quelques kilomètres d’une large rivière du Vermont.

Le sirop d’érable.

La saison boueuse, mi-mars, qui est aussi la saison des sucres, quand les nuits sont glaciales et que les arbres font des bruits grinçants de vieux gonds, avant le dégel, avant que les ruisseaux ne grossissent, que la neige ne fonde et que la sève n’irrigue les érables. Comme nos voisins nous avons procédé à l’entaillage. Nous avons entrepris de récolter l’eau légèrement sucrée en accrochant des seaux aux troncs, à l’ancienne. Nos voisins, eux, utilisaient des tubulures en plastique courant d’un arbre à l’autre et formant une horrible toile 

Le féminisme totalitaire dans les universités américaines.

 – À l’heure du féminisme, pourquoi devrait-on lire d’anciens poèmes chinois qui mettent en avant le regard masculin ?
– Quoi ?
– Je sais a murmuré maman. J’étais abasourdie. J’ai répondu :  » Ils ne mettent pas en avant le regard masculin. Li Xue est une femme. À tous les égards. Ces poèmes sont écrits par une femme, l’une des plus grandes poétesses de la dynastie Tang. Elle a rétorqué :  » Bien sûr mais ne pensez-vous pas que malgré ses grands talents de styliste, elle ne fait que représenter et renforcer un fantasme masculin ? À savoir : se tenir à la fenêtre et pleurer en attendant que son homme rentre à la maison  ?  » Un truc comme ça je n’en revenais pas. Je voyais que tout ça était préparé que c’était le but de cet entretien elle m’a mené à cet endroit et vlan. »

Extrait du poème : Nuages noirs.

Les nuages noirs s’accumulent sur la montagne Tsu
Les vagues blanches déferlent sur la rivière. 
Une paire d’ailes de cormorans filent vers l’aval,
Font la course aux ténèbres. 
….

 

 


Éditions Albin Michel, 490 pages, avril 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Le bandeau le dit « une grande histoire d’amour qui a fait chavirer l’Italie » et aussi qu’il a reçu le prix des libraires italiens. Je me suis interrogée sur ces deux phrases , pour le prix des libraires, j’ai la réponse, ce roman se vendra bien et aidera peut-être les librairies à augmenter leurs ventes cet été. Pour l’Italie qui « chavire », j’ai plus de doutes, disons que ce n’est certainement pas l’Italie qui lit les livres qui me plaisent tellement quand les auteurs savent à la fois parler d’amour et de la réalité sociale.

Et pourtant, il y avait matière à nous parler de la réalité sociale et historique de ce pays, car l’histoire s’étale de 1930 à 1952 , il me semble qu’il s’en est passé des évènements dans ce pays. Mussolini et le fascisme sont évoqués en deux phrases, une photo dans une maison et un salut qui gêne le personnage principal. La guerre ? on voit qu’à la fin les napolitains sont heureux d’en fêter la fin le 8 mai 1945. La différence de classes sociales ? ce n’est pas le sujet. La mafia non plus , pourtant on est bien à Naples

Le seul ancrage sociologique est porté par Anna l’héroïne factrice et communiste qui veut lutter pour l’émancipation des femmes.

Le sujet, c’est donc l’amour, celui d’Anna pour son mari et son beau frère, celui de son beau frère pour elle, celui de la fille de son beau frère pour un jeune qui est en réalité son cousin germain mais elle ne le savait pas. Carlo le mari d’Anna a eu en effet un fils d’un premier amour .

J’ai eu bien du mal à finir ce roman , mon cœur de midinette doit être définitivement fermé à ce genre d’histoire (quand j’avais 11 ou 12 ans, j’adorais aller chez le coiffeur pour lire des romans photos, et ce livre m’a ramené en enfance mais sans le plaisir !) et c’est vraiment peut dire que je n’ai pas du tout chaviré.

Extraits

 

Début du prologue

Lizzanello (Lecce)
– La postière est morte !
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans chaque rue et chaque venelle du village.
– Figure-toi qu’elle est crevée pour de vrai , celle-là, commenta donna Carmela en passant une tête par la porte d’un air endormi.

Début du chapitre 1

Luzzanello (Lecce)
Juin 1934
L’autocar bleu, brinquebalant et rouillé, s’arrêta dans un crissement de freins sur l’asphalte brûlant en cette après-midi. La chaleur était étouffante, et un vent chargé d’humidité agitait les feuilles du grand palmier au centre de la place déserte.

Un récit que je trouve plat sans bien expliquer pourquoi, voici un exemple.

Nous voici !
 Carlo entra dans la cuisine, Roberto endormi sur son épaule.
– Les effets de la messe ? ironisa Anna.
Carlo éclata de rire, s’approcha et l’embrassa dans le cou. Anna, amusée lui dit d’arrêter qu’il allait réveiller le petit. Mais une fois qu’il l’eût déposé dans son berceau, ce fut elle qui se colla à lui dans un de ses longs baisers qu’elle seule savait lui donner.
Les « trofies » au pesto qui fumaient encore dans la marmite posée sur la table, ils les mangèrent froides, ce dimanche-là.

Un mariage de « réparation  » quand la femme est enceinte.

Et quand elle avait laissé échapper une larmes à la pensée d’épouser un homme à ce point plus âgé qu’elle, Gina s’était approchée et lui avait posé une main sur l’épaule :  » Celui-là en vaut un autre, la fille. Parce qu’à la fin, ils deviennent tous pareils les « masculini » « .

Scène érotico-amoureuse.

 Daniel hocha la tête. Puis il se pencha lentement en arrière jusqu’à apercevoir Lorenza par la porte entrouverte : il entrevit la ligne sinueuse de ses hanches et la courbe ronde d’un sein, sur lequel tombaient ses longs cheveux cuivrés et lisses.
Il sentit un trouble soudain dans son ventre, et un désir instinctif de la posséder. Il se leva d’un bond et remplit un verre d’eau qu’il avala d’un trait. Puis s’en versa un autre qu’il expédia tout aussi vite, comme s’il cherchait à éteindre un feu en lui