Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai été très séduite par le style de cet écrivain marocain qui manie la langue française avec une dextérité que beaucoup d’écrivains et d’écrivaines peuvent lui envier. Comment rendre compte de ce qui a été la vie de l’auteur lui même : la personnalité de son père chargé de divertir le roi Hassan II, alors qu’à la maison, pendant vingt ans toute la famille vit l’absence du brillant frère aîné, officier de l’armée marocaine maintenu vingt ans dans la geôle la plus terrible du Maroc pour avoir eu comme supérieurs des officiers qui ont participé au coup d’État de SkhiratLe bagne de Tazmamart est un lieu d’horreurs comme il en existe dans toutes les tyrannies. Que le père d’une des victimes soit « le fou » auprès de celui qui a créé ce bagne et qui y maintient son fils durant plus de vingt ans, est une situation qui rappelle la perversité de Joseph Staline.

Ce livre ne raconte pas seulement cette horreur là (dont la femme du « fou » ne se remettra jamais), l’auteur explique et nous fait comprendre la personnalité des courtisans. Et finalement on se dit que peu importe la forme du pouvoir, tout puissant doit avoir autour de lui des gens de l’acabit de Mohammed ben Mohammed. On pense à tous ces êtres de pouvoir qui ne veulent voir autour d’eux que le reflet d’eux même dans les yeux des gens qui les entourent. Bien sûr, plus les hommes ont du pouvoir et Sidi (Hassan II) en a beaucoup, plus la cour doit être composée de gens serviles. Peu de résistances peuvent se manifester, mais l’on voit quand même un ministre se faire traiter d’animal et sauver sa vie d’une manière très originale. Tout le monde vit sur la corde raide sans cesse et un rien peut vous plonger au pire dans une geôle ou vous conduire à la mort et au mieux dans l’oubli et disparaître des faveurs du roi.

Si ce roman avait été écrit de façon réaliste, on aurait pu pleurer à toutes les pages, mais il s’agit d’une fable un peu à la manière des conte de Voltaire. Nous ne sommes apparemment pas dans la réalité et pourtant, ce roman fait beaucoup plus pour décrire le régime d’Hassan II, d’ailleurs vivre ainsi comme courtisan d’une cour où le danger de mort vous guette à chaque faux-pas ne donne-il pas à la vie cet aspect d’irréel ? Plusieurs romanciers, et plusieurs cinéastes se sont emparés des derniers jours de Staline pour rendre compte de de cette atmosphère si étrange. Et bien lisez Mahi Binebine pour prendre conscience que les cours autour des tyrans sont, malgré les différences culturelles, partout les mêmes.

Citations

Portrait du fou face au dernier moments de son roi

Tout paraissait normal, mais rien ne l’était pour votre serviteur. Moi, Mohammed ben Mohammed, écume de la lie et du moisi de Marrakech que rien ne prédestinait à côtoyer les élus, moi, le rescapé des troisièmes sous-sols de l’humaine condition, j’étais là en cette soirée de juillet derrière mon maître moribond, ruminant la terrible sentence du médecin : « Plus que deux ou trois jours et nous serons tous orphelins ! »

La cour du roi

Voilà, j’ai commencé par vous dépeindre le meilleur du panier de crabe où j’ai eu à passer une partie substantielle de mon existence. De même que la proximité du pouvoir engendre des monstres, il lui arrive aussi d’enfanter des êtres supérieurs que, dans un autre temps, on aurait qualifiés de Saints. En dehors du musicien Saher et de l’irremplaçable docteur Moura, l’entourage de Sidi comptait une nuée d’individus sans foi ni loi, des créatures d’une intégrité et d’une humanité contestable (…). Cependant pour une question de survie, je devins à mon tour opportuniste. Plus de scrupules à exploiter les impairs de mes confrères pour briller. Et l’offre était conséquente tant ils rivalisaient de sottises (…)Que de fois j’ai voulu me payer le nain féroce qui jouissait les faveurs du souverain… ce reste de pâte noire dont la jalousie mesquine, la malveillance, la mauvaise foi absolue faisait de lui l’élément le plus détestable du groupe. Une peste qui crache son venin partout. Un fagot d’épines qui terrorisait l’Assemblée entière et qu’un simple souffle aurait envoyé au tapis. Pour être honnête, et j’en ai honte, si je nourrissais à son égard une haine cordiale, il m’arrivait aussi de le trouver drôle et même hilarant quand, avec ses crochets de vipère, il s’acharner à dépecer un individu désarmé, penaud, riant jaune. Difficile de se défendre contre la dérision quand on a le public contre soi.

Les ministres

Une information capitale, monnayable à prix d’or, qu’il pouvait divulguer, ou bien taire, c’est selon en quittant les appartements de Sidi sous les regards anxieux des gradés, soit le caïd Moha, souriait en opinant du chef, signifiant qu’on pouvait aborder le roi sans risquer sa peau ou à tout le moins son emploi, soit il levait son index retroussé en queue de scorpion, auquel cas il était fort recommandé à ces messieurs de remballer au plus vite leur paperasse et de remettre au lendemain l’urgence de leur visite. Conscients de leurs propres vulnérabilité et des redoutables atouts du valet, les gradé rivalisaient de gentillesse à son égard, le voyait ostensiblement, affectant à qui mieux mieux des familiarités dont il n’était pas dupe. Tous étaient bien entendu prêt accordé de larges faveurs, pourvu que le caïd Moha daignât lever le petit doigt si besoin !

18 Thoughts on “le fou du roi – Mahi BINEBINE

  1. Cinq coquillages !
    Cela a le mérite d’attirer notre attention pour ce titre qui t’a vraiment convaincue.

  2. C’est très intéressant ce point de vue inhabituel, même si désolant. Merci pour cette ouverture, que je partage sur le groupe Lire le monde qui a justement pour but d’élargir nos horizons.

  3. Une découverte totale pour moi ! A chaque fois que je vois cinq coquillages je m’empresse de noter ;)

    • Le style et le genre font beaucoup pour ce roman. Raconter la tragédie de cette façon secoue parfois plus que de vouloir faire pleurer et cela ne minimise pas les faits pour autant.

  4. Comment ne pas noter ce titre ? Tes coquillages, ce que tu en dis, le sujet, la littérature marocaine, bref ! tout pour me plaire.

    • Je suis presque sûre que tu n’oublieras pas ce roman. L’âme humaine y est décrite de façon détaillée pour le pire comme pour (plus rarement) le meilleur.

  5. Le côté fable à la Voltaire me freine un peu, mais le nombre de coquillages me dit que je vais noter ce titre pour une lecture à découvrir, au format poche !

    • C’est ce que j’ai ressenti tant les personnages jouent des rôles et pourtant rien n’est caricatural. C’est l’humour teinté d’ironie qui m’ont fait penser à Voltaire.

  6. Je n’ai lu que deux écrivains marocains, mais les deux fois les livres étaient très puissants… Tes cinq coquillages donnent vraiment envie…

  7. j’ai lu il y a quelques années un livres sur les geôles marocaines qui ne donnaient pas envie de partir en vacances au Maroc !
    Les témoignages de ce type sont utiles et si en plus c’est bien écrit …

  8. Je ne connais pas du tout les écrivains marocains. Je note même si les fables à la voltaire ( je trouve d’ailleurs, dans les extraits que tu as mis assez peu d’invraisemblance…), je n’en lis plus. Toutefois, le thème m’intéresse…

  9. Toutes les tyrannies se ressemblent hélas .. je note pour l’écriture, parce que les horreurs en tout genre, j’avoue qu’en ce moment je sature.

    • C’est exactement la raison pour laquelle je conseille ce livre, nous sommes dans l’humour tragique et le ton fait passer l’horreur sans pour autant la dissimuler.

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