20160331_1910263

Je ne parle pas souvent des maisons d’édition car je trouve, le plus souvent, qu’elles font seulement leur travail (ce qui n’est pas si mal, évidemment !). Or, grâce à ce roman, j’ai découvert la maison de Joëlle Losfeld et ses qualités méritent d’être soulignées. En plus du texte parfaitement présenté, et donc, agréable à lire, d’une couverture utilisant une photo de statut de l’antiquité égyptienne où l’on croit reconnaître le sourire énigmatique de Gohar (le personnage principal, ex-philosophe), l’éditeur a enrichi ce livre d’une série de documents nous permettant de mieux connaître Albert Cossery. Cet auteur célèbre dans les années 50 dans le petit monde de Saint Germain-des-Prés est quelque peu oublié aujourd’hui. Cette maison d’édition sait le faire revivre et j’aurais plaisir à garder ce bel objet-livre qui dans ma bibliothèque.

Je dois cette lecture à Goran un nouveau venu dans ma blogosphère, et je me suis rendu compte en allant chercher ce titre dans une bonne librairie parisienne, que cet auteur était pour de nombreux lecteurs une référence indispensable pour la littérature égyptienne. Égyptienne ? écrit par un homme ayant surtout vécu en France, il a d’ailleurs reçu le prix de la Francophonie en 1992, et visiblement très influencé par la littérature française. On pense tout de suite à un autre Albert, Camus celui-là. Le mendiant le plus intéressant, Gohar, est un super Meursault, il a encore moins que lui de raison de tuer et il est autrement plus puissant car il entraîne celui qui aurait dû le punir dans son sillage du monde de l’absurde ou la notion du bien et du mal disparaît. Un mendiant de plus, un ancien policier, hantera les rues du Caire dans des lieux consacrés uniquement à la survie, et où le plus important c’est de respecter un code de l’honneur fondé surtout sur l’esprit de dérision. Ce n’est ni cet aspect, ni l’enquête policière assez mal menée qui a fait pour moi l’intérêt de ce livre, c’est la découverte de ce monde et de toutes les petites ficelles pour survivre. Le crime gratuit me révulse, et le côté philosophique du dépassement du bien et du mal est tellement daté que cela ne m’intéresse plus. En revanche, la vie de ces êtres qui n’ont plus rien est très bien décrite.

Je doute totalement de la véracité des personnages car ils sont décrit par un intellectuel à l’abri du besoin et résidant en France. Je pense que c’est toujours plus facile d’imaginer les très pauvres dans une forme de bonheur et refusant les facilités de notre société que comme des exclus du système et qui aimerait bien en profiter un peu. Mais là n’est pas du tout le propos du roman et je rajoute que c’est un livre qui se lit facilement et agréablement, j’ai tort d’avoir un jugement moral sur son propos car c’est justement ce que dénonce Albert Cossery : cette morale occidentale qui fait fi de l’énorme misère des pauvres en Égypte, ce que nous dit cet auteur c’est que puisqu’on ne peut rien y changer le meilleur moyen c’est encore de vivre comme les mendiants du Caire. Une absence de volonté de posséder quoique ce soit est, pour lui, beaucoup plus dangereuse pour l’équilibre de la société qu’une quelconque révolte. On peut le penser comme une première pierre à l’édifice de la compréhension de ce pays, mais je pense que des roman comme « Taxi » de Kaled Khamissi ou « L’immeuble Yakoubian » de Alaa El Aswani mettent en scène une Égypte beaucoup plus contemporaine et les auteurs ne sont plus encombrés par le poids des idées des intellectuels français (marxisme, existentialisme et autres structuralisme).

Citations

L’ironie

Peut-être était-il atteint d’une maladie contagieuse.  » Les microbes ! » se dit-il avec angoisse. Mais presque aussitôt la peur des microbes lui parut risible. Si l’on devait mourir des microbes, pensa-t-il, il y a longtemps que nous serions tous morts. Dans un monde aussi dérisoire, même les microbes perdaient de leur virulence.

Le pays paradisiaque (ça a bien changé ! mais peut-être pas pour ce détail)

En Syrie, la drogue n’était l’objet d’aucune interdiction. Le haschisch y poussait librement dans les champs, comme du véritable trèfle ; on pouvait le cultiver soi-même.

Une putain heureuse de l’être

« Pourquoi irais-je à l’école, dit Arnaba d’un ton méprisant . Je suis une putain, moi. Quand on a un beau derrière, on n’a pas besoin de savoir écrire. »

La ville européenne

L’avenue Fouad s’ouvrit au centre de la ville européenne comme un fleuve de lumière. El Kordi remontait l’avenue, d’un pas de flâneur, avec le sentiment inquiétant d’être dans une ville étrange. Il avait beau se dire qu’il se trouvait dans son pays natal, il n’arrivait pas à y croire… Quelque chose manquait à cette cohue bruyante : le détail humoristique par quoi se reconnaît la nature de l’humain.

29 Thoughts on “Mendiants et Orgueilleux – Albert Cossery

  1. Je connais la maison d’édition, avec ses éditions de romans anglo saxons introuvables sinon…

    • C’est agréable de souligner un travail original et bien fait. Pour ce roman , faire connaître son auteur quelque peu oublié , c’était une bonne idée.

  2. Merci de me citer… Seulement trois coquillages, c’est mon préféré de Cossery, j’en aurais mis 6. :-) Bon week-end ! J’espère que mon prochain conseil te plaira plus ;-)

    • Je suis absolument ravie d’avoir lu ce livre, j’explique mes réserves dans mon billet. Mais cela n’enlève rien au talent littéraire d’Albert Cossery. Merci de me l’avoir fait connaître.

  3. Voilà bien longtemps que je souhaite découvrir cet auteur, de même que Alaa El Aswani. Tous deux figurent donc sur ma liste « Lire le monde », en vue de découvrir diverses facettes de cette littérature égyptienne. Je me souviens d’un documentaire sur Cossery, tourné de son vivant : il était très parisien, très aristocratique, un peu d’un autre monde…

    • Voilà pourquoi, je crois qu’il a plus sa place comme auteur français d’origine égyptienne que comme auteur égyptien. Et mes réserves viennent de là et aussi, donner des lettres de noblesse à l’extrême pauvreté me dérange quand l’auteur vit lui même à Saint Germain-des-Prés. Je le redis cet auteur écrit très bien et mes propos moralisateurs sont déplacés, il dénonce très bien la bonne conscience des nantis comme moi.

  4. C’est une maison d’édition qui publie souvent des auteurs oubliés ! J’aime bien aussi et merci pour le lien vers ce blog que je ne connaissais pas…

    • Je connais ce blog depuis peu mais j’aime bien ce qu’il propose, il pense que je suis déçue de ce livre, mais il a tort, mes réserves sont personnelles et je crois qu’il faut lire Cossery cest un auteur important .

  5. J’en ai beaucoup entendu parler de cet auteur, mais ne l’ai pas lu. Je ne désespère pas d’y arriver un jour ..

    • Tenir un blog, lire les blogs des autres , c’est apprendre l’humilité, on n’a jamais tout lu et on ne pourra jamais tout lire, même des auteurs importants comme celui-ci. J’éprouve cela si souvent en lisant vos articles.

  6. Une curiosité… tu donnes envie de partir à la découverte de ce roman et de cet auteur !

    • je suis contente de ce que tu dis , je craignais que mes 3 coquillages ne freinent les ardeurs, on peut avoir des réserves sur un auteur et pourtant être très contente de l’avoir lu.

  7. Auteur totalement inconnu de moi. J’aime découvrir de nouveaux auteurs grâce aux blogs.

  8. Un bon roman d’un écrivain très plaisant à lire mais tellement discret dans le paysage littéraire, même de son vivant, qu’on oublie d’y revenir pour mieux explorer son oeuvre… Mea culpa !

  9. J’ai lu qasi tout Albetrt Cossery (Joelle Losfeld a publié son oeuvre complète en deux tomes), il m’amuse beaucoup !

    • C’est vrai qu’en y repensant il y a une forme d’humour , plutôt de dérision , je n’aurais jamais pensé qu’on puisse s’amuser en le lisant mais pourquoi pas!

  10. Je me suis promis de lire  » L’immeuble Yakou­bian » depuis tellement longtemps. Je commencerai ma découverte d’auteurs égyptiens avec ce roman je pense.

  11. lu il y a longtemps je n’en garde pas un souvenir impérissable, je suis un peu d’accord avec toi sur le côté légèrement artificiel

    • Disons que c’est un peu gênant de penser les misérables heureux quand on a le ventre plein , mais c’est aussi un roman qui présente très bien la débrouille et le renversement des valeurs lorsqu’on vit dans la plus grandes des misères.

  12. Vu tes réserves, je passe. Tant pis, je passe peut-être à côté d’un auteur important mais je sais que la posture d’intello parlant de la beauté de la misère, ça va m’énerver ! « L’immeuble Yacoubian » est un très beau livre, et j’en profite pour noter « Taxi », dont j’avais entendu parler en très bien.

  13. J’avais beaucoup aimé ce roman, sa galerie de personnages hauts en couleurs. Et c’est vrai que le fait de poursuivre la lecture en découvrant le dossier imagé sur l’auteur est très plaisant.

  14. J’ai lu un seul livre de cet auteur. Ce ne fut pas un franc coup de cœur même si j’ai bien aimé. Mais dis-moi, c’est un coussin de lecture sur lequel le livre est posé ? Cela me semble bien confortable…

  15. Je pense que c’est un auteur qu’il faut avoir lu même si on partage pas toutes ses idées. Son style est excellent.
    PS autre sujet , oui je pratique beaucoup le bookseat c’est parfait pour lire et regarder la tablette !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation