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Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre étonnant loin de beaucoup d’idées préconçues auxquelles on pourrait facilement penser, puisque cette écrivaine a choisi de mettre le drame dont elle a été victime au cœur du récit et pourtant il n’y a ni voyeurisme ni détails sensationnels donc racoleurs dans ce roman. D’abord, c’est très bien écrit, j’ai lu le souffle court ce récit ou deux êtres vont finir par se rencontrer, l’une est écrivaine, l’autre est l’assassin de sa mère. Elle se sert de tout son talent pour fouiller la conscience de cet homme, elle le suppose après ses années de prison devenu jardinier à Nogent Rotrou. C’est le personnage principal du roman, que pense-t-il aujourd’hui de l’horreur de son geste ? Est-ce que sa conscience le tourmente ? Ou arrive-t-il à oublier complètement en vivant le quotidien le plus intensément possible ? Cela nous vaut de très beaux passages sur le travail des jardiniers d’une petite ville et une approche réaliste de la vie en province. Et puis il y a la deuxième voix, celle de l’écrivaine qui explique au lecteur qu’elle se donne le droit d’inventer une conscience et une personnalité à celui qui vit quelque part sur terre avec le souvenir de ce qu’il a fait. Il n’y a pas de rancœurs dans ce roman, sauf une et elle est forte, il existe un reportage qui avait été fait à l’époque sur l’assassin de sa mère. Et les journalistes avaient construit une théorie sur l’homosexualité de l’assassin et en avait fait une sorte de victime de la misère sexuelle. Cela, elle le trouve très injuste et décrit très bien la façon dont les journaliste de télévision font accoucher les gens de propos auxquels ils n’avaient même pas penser. La force du roman, c’est la montée dans l’intensité de la rencontre de ces deux êtres, on est vraiment saisi par ce roman. Je pense que l’écriture aura permis à cette auteure de regarder en face tout ce qui était enfoui au plus profond d’elle même. Quand on sait que cette femme a, aussi, dû vivre la mort tragique de sa fille, le lecteur espère très fort que l’écriture permet de survivre aux plus terribles des souffrances quand on a ce talent : celui d’être écrivaine et à mon goût une excellente écrivaine.

Citations

La façon d’interroger dans les médias

Ce qu’ils voulaient entendre, ils te l’arrachaient de la bouche. Ils avaient une façon de t’interroger, de te poser les questions en suggérant les réponses, d’orienter l’entretien, de manipuler ton discours, de t’amener là où t’avais pas prévu, avec des « Vous voulez donc dire que, » et des « On pourrait donc en conclure que … » Et toi, t’es comme un con, tu sens que c’est pas exactement comme ça que tu penses, mais comme il faut pas laisser de blancs trop longs, à cause du ronron de la caméra qui tourne, tu dis  » Oui oui, c’est ça  » sans trop réfléchir, et ton destin est changé. 

Portraits de deux paumés style SDF

 Gilbert et moi restions collés l’un à l’autre comme un naufragé à son rondin, tous les deux étrangement oppressés, comme si le délabrement de nos vies se lisait sur nos visages, comme si l’odeur de défaite qui émanait de nos parkas défraîchis dressait un cordon sanitaire autour de nous.

La culture en prison

Les seules fois de ma vie où j’ai vu des spectacles, c’était en taule. Les premières années c’était vraiment une fête, un truc rarissime. On était tous volontaires pour aménager le réfectoire, pousser les tables et les chaises, accrocher aux fenêtres de vieilles couvertures pour faire un semblant d’obscurité. Et puis au milieu des années 90 c’est devenu monnaie courante, un truc banal. Toutes les semaines un nouveau pack culturel bien démago, session de rap, de slam ; impromptus théâtraux, sur le racisme, les ravages de la drogue, l’injustice sociale et autres calamités du monde moderne. Plus personne y allait, blasés on était… À la fin, c’était presque les concert de musique classique qui finissaient par avoir plus de succès. Moi, en bon fayot, j’ai assisté à tout, ça faisait des points, je me faisais bien voir, je multipliais les distinctions sur mon costume de bagnard. Converties en année de remise de peine, ça faisait un beau pactole.

14 Thoughts on “Au grand lavoir – Sophie DAULL

  1. keisha on 18 mars 2019 at 14:09 said:

    J’hésite toujours un peu avec ces histoires un poil autobiographiques…

    • je ne savais pas que c’était autobiographique avant de lire ce roman, l’écriture de cette écrivaine est superbe. Et le fait que je sache que c’était autobiographique ensuite, n’a rien enlevé au choc positif et effrayant à la fois de cette lecture.

  2. Pour ma part, j’ai trouvé l’écriture pas très naturelle , travaillée en somme et ça se ressent

    • Je crois que j’aime beaucoup les écritures travaillées,le contraire les écritures relâchées me gênent souvent. Ce n’est pas « naturel » de perdre sa mère de cette façon là .

  3. Je trouve que les parutions sont saturées d’histoires personnelles cette année. Je préfère les romans d’imagination.

    • C’est vrai et je ne suis venue à ce roman que par hasard , je ne l’aurais pas choisi mais j’ai découvert un vrai talent littéraire.

  4. comme les copines je préfère le roman complet qui s’appuie souvent sur la vie de l’auteur d’une certaine façon mais qui est enrichi de l’imagination

  5. Des morts prématurées dans la vie de cette auteure. Il semble que des livres soient écrits parce qu’il y ait un compte à régler avec le passé. Dans le but de l’apaisement, peut-être, de l’acceptation.

  6. Je le pense aussi. J’espère qu’elle y parvient. Mais ce n’est pas le seul intérêt de son roman.

  7. Sujet terrible qui pourrait facilement devenir racoleur mais apparemment ce n’est pas le cas. Tant mieux !

    • Ce n’est pas racoleur mais je dois avouer que si j’avais su avant que c’était sa vie qu’elle avait mis en scène je ne l’aurais pas lu et j’aurais eu tort.

  8. Je sais que ce livre, comme son précédent, n’est pas pour moi. Je fuis les autobiographies.

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