Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny Édition Globe 

 

Je dois à Keisha (encore elle ! -encore ?… comme si je me plaignais !) ce livre merveilleux et instructif à tant de point de vue. Je l’ai lu depuis un moment mais je n’ai rien oublié de mon intérêt pour cette fabuleuse enquête. Il est sur mon sur Kindle et le gros avantage c’est de pouvoir faire des notes très facilement et de les récupérer tout aussi facilement comme vous pourrez le voir. Peut-être, en ai-je mis un peu trop mais c’est pour moi une bonne façon de retenir précisément le contenu d’un livre.

Jessica Bruder a suivi pendant deux ans des Américains qui ont tout perdu suite à la crise des « subprimes » , toutes leurs économies ont fondu dans des malversations bancaires. Ils n’ont plus rien mais n’ont pas perdu les traits de caractère de la culture américaine. Ils essaient par tous les moyens de s’en sortir. Ceux et celles qui intéressent cette journaliste ont choisi de s’acheter un camping-car et de partir sur les routes, à la recherche des petits boulots. Vous ne serez pas étonnés d’apprendre qu’Amazon a vu là une main d’oeuvre facile à capter. Donc avant Thanksgiving et Noël leurs terrain de camping se remplissent de caravanes venant des quatre coins du pays. Cela nous vaut des pages passionnantes sur ceux et celles qui travaillent dans les énormes hangars d’Amazon . La principale difficulté de ses nouveaux migrants de l’intérieur, c’est de trouver des endroits où laisser leur camping, en effet aux États-unis tous les stationnement sont privés et peuvent coûter très cher. Amazon propose donc des parking gratuits pour que ces gens viennent travailler chez eux. Le livre fourmille de petites astuces pour s’en sortir ? Ces gens forment une communauté et se refilent les adresses des supermarché qui ne vous chasseront pas de leur parking, des terrain de camping où vous pourrez laisser votre véhicule à condition de faire du gardiennage. En réalité, l’Amérique offre une foule de petits boulots peu payés, qui conviennent assez bien à des jeunes , mais qui sont très fatigants pour des personnes âgées et qui surtout supposent un logement.

Les personnes que suit Jessica Bruder sont souvent très intéressantes et différentes des unes et des autres mais sa préférée et la nôtre évidemment c’est Linda qui veut absolument se construire une maison avec des matériaux recyclés. J’espère qu’elle vit bien maintenant Linda au grand cœur, elle le mérite pour oublier toutes ses galères. Je l’imagine bien dans une maison comme ça, pour faire un joli pied de nez à l’alcool qui a tellement perturbée sa vie.

 

Cela fait longtemps qu’une partie de la population américaine vit dans des terrains de camping où on retrouve des « homes » pas du tout mobiles. La nouveauté de ce phénomène , c’est qu’il s’agit ici de gens qui voyagent, qui ne veulent pas vivre parqués et qui veulent retrouver un travail stable. On voit aussi à quel point cette crise a été violente pour une partie importante de la population, si la maladie, un divorce ou l’alcool s’en mêlent alors, ces gens perdent tout en très peu de temps. Mais ils sont Américains et gardent malgré tout une envie de s’en sortir assez étonnante et un esprit communautaire qui brise leur solitude .

 

Citations

Le début

Les mensonges et la folle cupidité des banquiers (autrement nommé « crise des subprimes ») les ont
jetés à la rue. En, 2008, ils ont perdu leur travail, leur maison, tout l’argent patiemment mis de côté pour leur retraite. Ils auraient pu rester sur place, à tourner en rond, en attendant des jours meilleurs. Ils ont préféré investir leurs derniers dollars et toute leur énergie dans l’aménagement d’un van, et les voilà partis ;

Survivre en Amérique

Les workampers sont des travailleurs mobiles modernes qui acceptent des jobs temporaires aux quatre coins des États-Unis en échange d’une place de stationnement gratuite (généralement avec accès à l’électricité, à l’eau courante et évacuation des eaux usées), voire parfois d’une obole. On pourrait penser que le travailleur-campeur est une figure contemporaine, mais nous appartenons en réalité à une tradition très ancienne. Nous avons suivi les légions romaines, aiguisé leurs épées et réparé leurs armes. Nous avons sillonné les villes nouvelles des États-Unis, réparé les horloges et les machines, les batteries de cuisine, bâti des murs en pierre en échange d’un penny les trente centimètres et de tout le cidre qu’on pouvait avaler.
Nous avons suivi les vagues d’émigration vers l’ouest à bord de nos chariots, munis de nos outils et de nos savoir-faire, aiguisé des couteaux, réparé tout ce qui pouvait l’être, aidé à défricher la terre, à construire des cabanes, à labourer les champs et à rentrer les récoltes en échange d’un repas et d’un peu d’argent de poche, avant de repartir vers le prochain boulot. Nos ancêtres sont les romanichels. Nous avons troqué leurs roulottes contre de confortables autocars et autres camping-cars semi-remorques. À la retraite pour la plupart, nous avons complété notre éventail de compétences d’une carrière dans l’entreprise. Nous pouvons vous aider à gérer un business, assurer la vente en magasin ou la logistique dans l’arrière-boutique, conduire vos camions et vos grues, sélectionner et emballer vos produits à expédier, réparer vos machines, bichonner vos ordinateurs et vos réseaux informatiques, optimiser votre récolte, remodeler vos jardins ou récurer vos toilettes. Nous sommes les technoromanichels.

Bismark inventeur de la retraite

Les Américains l’ignorèrent largement, et il s’écoula plus d’un siècle avant qu’Otto von Bismarck instaure en
Allemagne la toute première assurance vieillesse au monde. Adopté en 1889, le plan de Bismarck récompensait les travailleurs atteignant leur soixante-dixième anniversaire par le versement d’une pension. L’idée était surtout de contrer l’agitation marxiste – et de le faire à peu de frais, puisque les Allemands vivaient rarement au-delà de cet âge canonique. Bismarck, bâtisseur d’empire et homme de droite surnommé le Chancelier de fer, se retrouva aussitôt dans le collimateur des conservateurs qui l’accusèrent de mollesse. Mais il repoussait déjà leurs critiques depuis des années.
Appelez cela socialisme, ou tout autre terme qui vous plaira : pour moi, c’est la même chose », avait-il déclaré au Reichstag en 1881, lors d’un débat préliminaire sur l’assurance sociale.

Travail peu valorisant

Dans le chariot, il pouvait y avoir quatorze paniers de cochonneries fabriquées en Chine. L’un des trucs qui me déprimaient le plus, c’était de savoir que tous ces machins finiraient à la benne. » Cet aspect-là des choses la démoralisait particulièrement. « Quand on pense à toutes les ressources mobilisées pour en arriver là ! On nous incite à utiliser ces trucs, puis à les jeter. » Le travail était éreintant. Non seulement elle parcourait des kilomètres dans des allées de rayonnages sans fin, mais elle devait se pencher, soulever, s’accroupir, tendre le bras, grimper et descendre des marches, le tout en traversant un hangar dont la superficie faisait grosso modo la taille de treize stades de football.

L’alcool

Linda décida d’arrêter de boire avec une détermination nouvelle. Et cette fois, elle y parvint. Lorsqu’elle avait peur de replonger, entre deux réunions, elle appelait sa marraine des Alcooliques anonymes. Étrangement, c’est là qu’elle apprit les techniques qui lui permettraient plus tard de survivre aux cadences infernales d’Amazon. Elle devint experte dans l’art de se concentrer sur les difficultés immédiates et de subdiviser les gros problèmes en petites bouchées plus faciles à digérer jusqu’à ce que la situation paraisse sous contrôle. « Tu as fait la vaisselle ? OK. Va d’abord faire la vaisselle, et rappelle-moi après », lui ordonnait sa marraine. Linda allait récurer les verres et les assiettes jusqu’à ce qu’ils soient propres, puis elle rappelait. « Tu as fait ton lit ? » lui demandait alors son amie. Linda s’exécutait. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’envie de boire passe. * * *

Trucs bizarres chez Amazon

Elle notait dans sa liste de souhaits Amazon « tous les trucs les plus dingues qu’on voyait passer » : des vers de cire, un ourson en gélatine de deux kilos et demi, un fusil de plongée sous-marine, un livre intitulé Vénus aux biceps. Une histoire illustrée des femmes musclées, un plug anal en forme de queue de renard, un stock d’anciennes pièces de monnaie américaines, un assortiment de sous-vêtements en coton avec quatre trous pour les jambes baptisé « petites culottes pour deux », et un godemiché Batman.

Personnage haut en couleur

Le propriétaire, Paul Winer, un nudiste septuagénaire au cuir tanné comme un vieux livre, arpente les allées de sa librairie vêtu en tout et pour tout d’un cache-sexe en laine tricotée. Par temps froid, il enfile quand même un pull. Si Paul a pu garder sa librairie, c’est parce que, techniquement, c’est un commerce temporaire et qu’il a donc droit à des réductions d’impôt. La boutique n’a pas vraiment de murs, c’est juste une pergola dressée audessus d’une dalle en béton. Des bâches relient les deux. Des containers et un mobile home font office d’annexes. 

Il y a aussi un rayon de livres chrétiens, mais il est installé tout au fond et Paul doit le montrer aux clients qui le cherchent. « Ils suivent mes fesses nues pour aller voir la Bible », s’amuse-t-il.

 

Humour les musées américains

Le lieu fut ensuite reconverti en un relais de diligences, Tyson’s Wells, dont les ruines abritent aujourd’hui un tout petit musée situé à côté de la pizzeria Silly Al’s. (La ville comprend deux autres musées : l’un expose une collection de chewing-gums du monde entier, et l’autre des accessoires militaires. Mais ils semblent moins attirer les foules que leur minuscule rival.) En 1875, l’écrivaine Martha Summerhayes passa une nuit à Tyson’s Wells et décrivit l’endroit comme « particulièrement mélancolique et inhospitalier. Tout y refoule la saleté, tant sur le plan moral que physique ». Quand le relais finit par être abandonné, le site devint une ville fantôme. En 1897, il fut ressuscité par un boom minier ; le bureau de poste rouvrit, et la municipalité choisit un nouveau nom : Quartzsite. (À l’origine, ce devait être « Quartzite », en hommage au minéral, mais le « s » s’invita par erreur et resta définitivement.) L’unique figure historique de la ville est un chamelier syrien, Hadji Ali, enterré
sur place en 1902 et plus connu sous le surnom « Hi Jolly », version américanisée de son nom. Ali avait été recruté en 1856 au sein du tout nouveau corps de chameliers de l’US Army : l’expérience, de courte durée, visait à utiliser ces animaux notoirement irascibles pour transporter du matériel vers le sud-est des États-Unis.

 

Honte

Mike m’explique que les personnes âgées et en situation de précarité affluent à Quartzsite parce que c’est une « ville idéale pour les retraités peu fortunés » et « un endroit pas cher où se planquer ». Mais se planquer de quoi, au juste ?
Réponse : de la honte, de pauvreté et du froid. « Dans le désert, dit-il, ils n’ont pas peur de crever de froid. Ils disent à leurs enfants que tout va bien. »

Optimisme américain

Comme l’a souligné Rebecca Solnit dans son ouvrage Un paradis construit en enfer. Ces formidables
communautés qui naissent au milieu du désastre, les gens ne se contentent pas de relever la tête dans les
moments de crise ; ils le font avec une « joie vive et surprenante ». Il est possible de traverser des épreuves tout en ressentant de la joie dans les moments de partage, comme quand on se retrouve autour d’un feu de camp avec ses compagnons d’infortune sous un immense ciel étoilé.

Pourquoi si peu d’afro-américains ?

 À ce stade, j’avais rencontré des centaines de personnes qui avaient adopté ce mode de vie :
travailleurs itinérants, vagabonds de l’asphalte et camping-caristes, de la côte Est à la côte Ouest du pays. Certes, il y avait parmi eux des gens de couleur, mais ils représentaient une exception au sein de cette communauté.
Pourquoi la sous-culture nomade était-elle majoritairement blanche ? Certains de ses membres se sont posé la même question. Sur la page Facebook officielle du programme CamperForce, un camping-cariste noir a eu ces mots devant la succession de photos montrant surtout des ouvriers blancs : « Je suis sûr que des Afro-Américains ont postulé à ces emplois, faisait-il observer. Pourtant, je n’en vois au postées par Amazon. »

Imaginez-vous coincé en pleine forêt sans électricité, sans eau courante ou sans voiture : vous aurez tendance à décrire cette situation comme un « cauchemar » ou le « pire scénario possible après un crash aérien ou une catastrophe dans le genre ». Les Blancs, eux, appellent ça « camper ».

 

Le trafic de drogue

Au fil de ses lectures, Linda a tout appris sur le plus célèbre coup de filet antidrogue du coin, dans les années 1990, quand des policiers ont découvert l’existence d’une galerie de neuf kilomètres de long sous la frontière. Utilisé par le cartel de Sinaloa pour la contrebande de cocaïne, le large tunnel, renforcé par des parois en ciment, reposait à une dizaine de mètres au-dessous du sol, avait pour point de départ une maison anodine d’Agua Prieta ; son entrée était savamment cachée. En ouvrant un robinet, on actionnait un monte-charge hydraulique qui faisait remonter une table de billard – et la dalle du sol sur laquelle elle reposait – pour révéler un trou équipé d’une échelle. À l’intérieur, le tunnel mesurait un mètre cinquante de haut ; il était climatisé, éclairé et protégé des risques d’inondation grâce à une pompe et un puisard. Des rails métalliques permettaient de déplacer un chariot jusqu’à Douglas, sous un grand hangar camouflé en station de lavage pour camions. Là, une poulie faisait remonter les cargaisons de cocaïne à la surface, où elles étaient réceptionnées par des manutentionnaires
pour être chargées dans des semi-remorques. Stupéfaits, les policiers avaient comparé le tunnel, surnommé « Chemin de la cocaïne », à un truc « digne d’un film de James Bond ». Le pilier du cartel de Sinaloa, El Chapo, Joaquin Guzman de son vrai nom, était carrément allé plus loin dans le superlatif en affirmant que son équipe avait construit un « putain de tunnel super-cool ».

Tout ce qu’a lu Linda concernant le trafic de drogue local est vrai. Les mules peuvent gagner davantage en une nuit qu’un ouvrier de maquiladora en un mois. Il n’est donc guère étonnant que la police des frontières de Douglas retrouve souvent des paquets de marijuana dissimulés dans les jantes et les pneus de rechange des véhicules en provenance du Mexique. (On y trouve aussi de la meth, de l’héroïne ou de la cocaïne, mais plus rarement.) Lors d’un récent coup de filet, ils ont surpris un jeune de seize ans en train de descendre eb rappel le long de la clôture à l’aide d’une ceinture de sécurité ….Pour ce travail on lui avait promis 400 dolars. Chez lui, il fabriquait des courroies de distribution dans une « maquiladora » pour 42 dolars la semaine.

Traduit de l’allemand par Rose Labourie ; édition Acte Sud

Encore une fois un livre que je dois à la blogosphère mais en ayant oublié de noter précisément l’auteur du blog heureusement Keisha s’est rappelée à mon bon souvenir !. Je dois dire que j’ai failli passer à côté de cet essai, parce que cet homme m’a énervée au début de son récit. Il a de tels moyens financiers et ceci grâce aux prébendes que l’ONU distribue de façon écœurante à tous les membres de cette administration, et de voir les participants recevoir en plus de leur très confortable salaire de grosses enveloppes de liquides pour aller aux quatre coins du monde parler du sous-développement ou de l’écologie est absolument révoltant. Que ce soit de cette façon là que Wolf Küper ait réussi à mettre assez d’argent de côté pour passer deux années à ne rien faire d’autre que s’occuper de sa petite fille atteinte d’une maladie mentale qui l’empêche de se développer normalement a failli me faire refermer le livre. Et puis, le charme incroyable de cette petite fille m’a conquise moi aussi et j’ai donc suivi le parcours en camping car de cette famille à travers les plus beaux endroits de la planète.

Aucune famille avec un enfant handicapé ne peut prendre exemple sur cette famille, mais eux ont réussi à donner deux années de bonheur à leur petite fille qui est peut être plus armée maintenant pour affronter la vie qui, sans doute, ne sera pas très facile.

Citations

Un père face au handicap de sa fille

Je m’en souviens comme si c’était hier, peu avant notre départ, Nina avait fait la course avec d’autres enfants sur une grande pelouse. Évidemment, ils ne pouvaient pas se contenter de jouer tranquillement. Les enfants, en particulier les garçons, ont la compétition dans le sang. Ils ont besoin de se mesurer pour savoir qui court le plus vite, grimpe le plus haut, plonge le plus profond, saute le plus loin, et ainsi de suite. Et au milieu : Nina qui voulait absolument participer. Mrs. Lonte en en personne, qui m’avait fait blackbouler de toutes les courses de ma vie. Je n’arrivais pas à comprendre. Pourquoi s’obstinait-elle ? Pourquoi se mettait-elle sans arrêt en position de perdre contre les autres ? J’ai dit : « Y en a marre de toujours faire la course, venez, on va jouer à un autre jeu », et ce genre de choses. Dans le feu de l’action, les enfants ne m’ont même pas entendu, mais ce sont tous plus ou moins alignés, non sans que les garçons échangent quelques insultes – forcément. Mon cœur battait la chamade, ils se sont élancés en poussant des cris perçants.
En moins de trois secondes, Nina était déjà la dernière, alors qu’il y avait aussi des enfants bien plus petits qu’elle. À la moitié du trajet, elle était loin derrière. On aurait dit qu’elle allait disputer cette course tout seul. Presque en solitaire. Elle chancelait sur la pelouse, penchée en avant, les bras tendus sur les côtés, et elle tanguait tellement que je n’arrêtais pas de me dire : Cette fois, elle va tomber. J’arrivais à peine à la regarder. Quand elle est arrivée au bout, les autres avaient déjà repris leur jeu. J’ai vu Nina zigzaguer entre eux, hors d’haleine. Si je me souviens aussi précisément de cette scène, une parmi les centaines d’autres, c’est parce que ce moment-là, j’ai eu terriblement mal pour elle, mal pour un autre que moi.

Un bel endroit le lac Tepako et un beau moment dans les étoiles

L’illumination était donc venu lors de notre première nuit ici, au lac Tekapo, trois décennies plus tard, en montant sur un rocher, je m’étais rendu compte que les étoiles ne se trouvaient pas « au-dessus » mais tout autour de moi. Il y en avait même qui scintillaient en dessous de moi à l’horizon, et alors que mon vertige semblait se dissiper j’avais aperçu l’éblouissante Voie Lactée, tellement gigantesque que j’en avais eu le souffle coupé, brillant de milliards de feu, des centaines de milliers d’années lumière d’un horizon à l’autre, toute la folie de l’univers en 3D. Et en couleur. Et oui, il y a des étoiles bleues et vertes et rouges, et violette aussi, certaines clignotent frénétiquement, d’autres pulsent lentement, partout, des étoiles filantes zébraient le ciel tandis que les satellites traçaient paresseusement leur route. En Nouvelle-Zélande, il est impossible de croire que la terre est au centre de quoique ce soit, parce que rien qu’à l’oeil nu, on voit bien que nous ne sommes qu’une poussière perdue dans un coin de l’univers.

Je me demande si c’est vrai

Et avec les gens importants, il faut toujours garder son sérieux, ne jamais être de meilleure humeur que le client, c’est la règle numéro 1 quand on fait du conseil, surtout auprès d’hommes politiques.

Là où, ce livre m’a tellement écœuré que j’ai failli le laisser tomber.

Depuis que j’avais commencé à travailler régulièrement comme expert pour les Nations Unies, j’ai gagné pour la première fois beaucoup d’argent. Vraiment beaucoup. Rien que les indemnités de défraiement qu’on vous verse chaque semaine correspondent au revenu mensuel net d’un post doc avec douze années de formation universitaire en Allemagne. Le tout non imposable. Au Nations Unies, on vous remet sans ciller d’épaisses enveloppe marron avec des liasses de billets de cinquante dollars, presque comme dans un film de mafieux. Ça ne rentre même pas dans le porte-monnaie. Les billets sont soigneusement attachés par vingt à l’aide d’un trombone. Officiellement, ces indemnités exorbitantes servent à voyager dans des conditions « appropriées et représentatives ». Soudain, j’avais, ce qu’on appelle un niveau de vie élevé, accès aux lounges VIP et vol en première classe. Programme grand voyageur et ainsi de suite…..

Jusqu’à l’écœurement des réunions à l’ONU des ONG sur l’environnement

Le genre de chose qui ne mérite pas qu’on s’y attarde une seconde, sans même parler d’enfer débattre plusieurs milliers de délégués sur payer venu du monde entier.
Une civilisation qui se prend pour le fleuron de la création célèbre ici sa propre déchéance. Je fais un rapide calcul : le paragraphe comporte environ 70 mots. Au cours des 95 minutes que dure ce cirque, il y a 22 objections et 19 correction. Ça doit être incroyablement difficile de formuler le rien.

 

Traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin

Edition poche Folio

En lisant le billet de Dominique je m’étais fait une promesse, mettre ce livre dans ma liste, puis dans ma pile à côté de mon lit, et puis finalement de le lire. Promesse tenue. J’ai bien aimé cette lecture dont un bon tiers est occupé par le récit de la guerre 14/18 vu du côté des Belges. Stefan Hertmans a voulu redonner vie à un grand-père très digne et très pieux. Il a voulu aller plus loin que son apparence d’homme sévère habillé en costume et portant tous les jours une lavallière noire et un borsalino. Il a trouvé un homme meurtri par la guerre et qui ne s’est jamais remis des souffrances qu’il a ressenties dans son corps et celles qui ont blessé et tué de façon horrible ses compagnons. La force avec laquelle sont racontés ces combats m’ont permis de me rendre compte de l’héroïsme de cette armée dont je savais si peu de chose avant de lire ce roman. Un autre aspect que j’ai découvert, c’est la domination à l’époque du français sur le flamand (les temps ont bien changé !). Les pauvres soldats flamands non gradés devaient donc obéir à des ordres parfois absurdes et qui, surtout, pouvaient les emmener à la mort donnés par des officiers qui ne s’exprimaient qu’en français d’un ton le plus souvent méprisant. Plusieurs fois, dans ce récit on ressent la langue française comme une façon de dominer les flamands. Comme ce lieutenant qu’il entend dire derrière son dos

Ils ne comprennent rien, ces cons de Flamands

 

Au delà des récits de guerre, on découvre un homme Urbain Martien (prononcez Martine) qui a aimé et a été aimé par ses parents. Son père, grand asthmatique, lui a donné le gout du dessin mais malheureusement, il laissera trop tôt sa femme veuve avec ses quatre enfants. Urbain connaîtra la misère celle où on a faim et froid et pour aider sa mère il travaillera dans une fonderie sans aucune protection et dans des conditions effroyables. Finalement il s’engagera à l’armée et sera formé au combat ce qui le conduira à être un cadre sous officier pendant la guerre.
Il connaîtra l’amour et sera passionnément amoureux d’une jeune femme qui ne survivra pas à la grippe espagnole ; il épousera sa sœur et ensemble, ils formeront un couple raisonnable.

J’ai eu quelques réserves à la lecture de cette biographie, autant le récit de la guerre m’a passionnée car on sent à quel point il est authentique : nous sommes avec lui sous les balles et les des canons ennemis, on patauge dans la boue et on entend les rats courir dans les tranchées. Autant la vie amoureuse de son grand-père m’a laissée indifférente. En revanche, sa jeunesse permet de comprendre cet homme et explique pourquoi la religion tient tant de place dans sa vie. Pour la peinture puisque c’est l’autre partie du titre disons que le talent d’un copiste même merveilleux n’est pas non plus très passionnant, la seule question que je me suis posée c’est pourquoi il n’a que copié des tableaux et n’a pas cherché exprimer ses propres émotions.

Quand je suis étonnée d’apprendre que la ville où j’habite se situe dans le Nord de la France :

Blessé une deuxième fois sur le front de l’Yser, touché par une balle à la cuisse, juste en dessous de l’aine, il avait été évacué ; pour sa rééducation, il avait été envoyé dans la ville côtière de Dinard, dans le nord de la France. Depuis la ville voisine de Saint-Malo, il avait fait la traversée, avec quelques compagnon en rééducation, vers Southampton, pour rendre visite au fils de son beau-père, mais à peine était-il en haute mer une tempête s’était levée, qui avait duré un jours et demi.

Et voici la photo de la foule qui attend l’arrivée des blessés de la guerre 14/18 qui vont être soignés à Dinard dont a fait partie Urbain Martien .

 

Citations

 

Pourquoi cette référence à Proust

Le tailleur l’envoie d’un ton bourru chercher à l’école le fils de cette famille bourgeoise. Au bout d’un certain temps, il est chargé chaque jour de cette tâche et doit porter le cartable rempli de livres du jeune monsieur en prenant garde de rester deux pas derrière lui, pour éviter de recevoir un coup de canne que ce garçon de douze ans manie déjà avec une suffisance proustienne.

Le couple de ses grand-parents

Son mariage avec Gabrielle était sans nuages pour quiconque n’était pas plus avisé.Enchevêtrés comme deux vieux arbres qui, pendant des décennies, ont dû pousser à travers leurs cimes respectives, luttant contre la rareté de la lumière, ils vivaient leur journée simple, uniquement entrecoupées par la gaieté apparemment frivole de leur fille, leur unique enfant. Les journées disparaissaient dans les répliques du temps diffus. Il peignait.

Le 20 siècle

Il a consigné ses souvenirs ; il me les a donnés quelques,mois avant sa mort en 1981. Il était né en 1891, sa vie semblait se résumer à l’inversion de deux chiffres dans une date. Entre ces deux dates étaient survenus deux guerres, de lamentables massacres à grande échelle, le siècle plus impitoyable de toute l’histoire de l’humanité, la naissance et le déclin de l’art moderne, l’expansion mondiale de l’industrie automobile, la guerre froide, l’apparition et la chute des grandes idéologies, la découverte de la bakélite, du téléphone et du saxophone, l’industrialisation, l’industrie cinématographique, le plastique, le jazz, l’industrie aéronautique, l’atterrissage sur la lune, l’extinction d’innombrables espèces animales, les premières grandes catastrophes écologiques, le développement de la pénicilline et les antibiotiques, Mai 68, le premier rapport du club du club de Rome, la musique pop, la découverte de la pilule, l’émancipation des femmes, l’avènement de la télévision, des premiers ordinateurs – et s’était écoulé sa longue vie de héros oublié de la guerre.

Les goûts musicaux

En revanche, il éprouvait du dégoût et de la colère en entendant Wagner et faisait ainsi sans le savoir le même choix que le grand philosophe au marteau : Nietzsche écrivit en effet à la fin de sa vie qu’il préférait la légèreté méridionale, l’affirmation de la vie et de l’amour chez Bizet, au fumerie d’opium teutonnes des ténèbres mystique de Wagner. Offenbach rendait mon grand-père joyeux, et quand il entendait les marches militaires, il se ranimait . Il connaissait par cœur la pastorale de Beethoven surtout le mouvement où le coucou lance son appel dans la fraîche forêt viennoise.

L’accent français en Belgique

En face, dans la boutique d’allure viennoise du boulanger juif Bloch, les femmes de la bonne société prenaient un café servi dans une petite cafetière en argent accompagné d’un croissant beurré, tandis qu’elle lisait un livre acheté chez Herckenrath, le papier d’emballage soigneusement plié en quatre à côté de leur main baguée. Elles étaient tellement chics qu’elle affectaient une pointe d’accent français en parlant flamand.

Avancées techniques allemande 1914

Le fort de Loncin est mis hors de combat par un tir de plein fouet sur la poudrière. Le béton n’était pas encore armée, ce qui fut fatal au vieux mastodonte, dernier vestige d’une époque candide. (…..) En chemin nous apprenons que presque tous les forts sont tombés et que toute résistance est devenue vaine. Les Allemands utilisent des mortiers lourds d’un calibre de 420 millimètres dont nous ignorions totalement l’existence. Leurs tirs ont ouvert des brèches dans tous les forts liégeois ; ces citadelles désuètes peuvent tout au plus résister un calibre 210 millimètres.

Les troupes allemandes en Belgique

Un matin, une semaine plus tard, nous entendîmes pleurer un enfant. Un garçonnet d’une dizaine d’années était debout sur l’autre rive. Le commandant nous interdit d’aller le chercher. Carlier dit que c’était une honte, il retira son uniforme, sauta dans l’eau et nagea jusqu’à l’autre côté. Au moment où il voulut tendre la main à l’enfant, celui-ci détala . Les Allemands se mirent à tirer avec toutes leur bouches de feu, nous n’avions aucune idée d’où provenaient les tirs. Carlier tomba à la renverse, roula sur la berge jusque dans l’eau, plongea en profondeur, ne ressortit que lorsqu’il fut arrivé de notre côté. Tout le monde avait suivi la scène en retenant son souffle ; Carlier fut hissé à terre, le commandant dit qu’il méritait en réalité une lourde sanction, mais en voyant à quel point le procédé des Allemands nous avait indignés, il en resta là.
Nous prîmes conscience que nous avions en face de nous ennemi sans le moindre scrupule. Ce genre de tactique de guerre psychologique était nouveau pour nous, nous avions été éduqués avec un sens rigoureux de l’honneur militaire, de la morale et de l’art de la guerre, nous avions appris à faire élégamment de l’escrime et à réaliser des opérations de sauvetage, nous avions appris à réfléchir à l’honneur du soldat et de la patrie. Ce que nous voyons ici et était d’un autre ordre. Cela bouleversant nos pensées et nos sentiments, nous ressentions, le cœur rempli d’angoisse, que nous revenions d’autres hommes prêts à tout ce que nous avions évité auparavant.

Les atrocités de la première guerre ont-elles entraîné celles de la seconde ?

Toutes ses vertus d’une autre époque furent réduites en cendres dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale. On enivrait sciemment les soldats avant de les amener jusqu’à la ligne de feu (un des plus grands tabous pour les historiens patriotiques, mais les récits de mon grand-père sont clairs à ce sujet) ; les bouis-bouis, comme les appelait mon grand-père, se multipliaient, on en voyait pour ainsi dire partout à la fin de la guerre, de ces lieux où l’on encourageait les soldats à apaiser leurs frustrations sexuelles pas toujours en douceur -une nouveauté en soi, sous cette forme organisée. Les cruautés les massacres transformèrent définitivement l’éthique , la conception de la vie, les mentalités et les mœurs de cette génération. Des champs de bataille à l’odeur de prés piétinés, des mourants comme au garde-à-vous jusqu’à l’heure de leur mort, des scènes picturales militaires avec en toile de fond la campagne du dix-huitième siècle remplie de collines et de boqueteaux , il ne resta que des décombres mentaux asphyxiés par le gaz moutarde, des champs remplis de membres arrachés , une espèce humaine d’un autre âge qui fut littéralement déchiquetée.

Toutes les après-guerres se ressemblent

Partout surgissent de véhéments patriotes, qui pendant la guerre se livraient à un commerce clandestin mais intensif avec les Allemands. Partout des traces et des témoignages sont fiévreusement effacés. Partout j’assiste à des querelles, de l’animosité, des ragots, des trahisons, des lâchetés et des pillages, tandis que les journaux exultent en évoquant une paix bienheureuse. Nous, les soldats qui revenons du front, nous sommes mieux informés. Nous nous taisons, luttons contre nos cauchemars, éclatant parfois en sanglots en sentant l’odeur du linge fraîchement repassé ou d’une tasse de lait chaud.

Explication du titre, et fin du livre

Ainsi, ce paradoxe fut une constante dans sa vie : ce ballottement entre le militaire qu’il avait été par la force des choses et l’artiste qu’il aurait voulu être. Guerre et térébenthine. La paix de ces dernières années lui permit de prendre peu à peu congé de ses traumatisme. En priant Notre-Dame des Sept Douleurs, il trouva la sérénité. Le soir avant sa mort, il est parti se coucher en prononçant ces mots : je me suis senti si heureux aujourd’hui, Maria.

 

Édition Actes Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Avec 68 pages Éric Vuillard, exprime toute sa rage et son désespoir face aux révoltes qui ont traversé le XVI° siècle. On est loin de la vision de l’histoire dont j’ai gardé quelques souvenirs de mes années lycée. Les conditions d’extrême pauvreté engendrent des révoltes très violentes. Et quand en plus, les populations sont soumises à une religion qui dans les textes d’origine demande à ses disciples de reconnaître son frère dans le plus pauvre des humains on comprend que certains se demandent : « Où est le vœu de pauvreté dans l’opulence de l’église de leur époque ? ». Et puis, Gutemberg invente l’imprimerie, alors tout le monde pourra lire la Bible dans le texte et constatera que l’église les trompe lourdement. Il n’est plus besoin alors de se soumettre mais bien plutôt de se révolter et de revenir aux sources du christianisme. Livre incandescent et soutenu par un style incantatoire. Il se lit très vite, mais ne s’oublie pas de sitôt. Si l’imprimerie a permis le schisme protestant, c’est bien l’arrivée de l’internet qui soutient les révoltes actuelles. La soumission et la pauvreté engendrent toujours des mouvements violents, ils sont souvent réprimées énergiquement également mais beaucoup moins qu’au XVI° siècle.

Citations

Un homme révolté

John Wyclif eu l’idée qu’il existe une relation directe entre les hommes et Dieu. De cette première idée découle, logiquement, que chacun peut se guider lui-même grâce aux Écritures. Et de cette deuxième idée en découle une troisième ;,les prélats ne sont plus nécessaires. Conséquence : il faut traduire la Bible en anglais. Wyclif – qui n’était pas, comme on le voit, à court d’idées – eut encore deux ou trois autres pensées terribles : ainsi, il proposa qu’on désigne les papes par tirage au sort. Dans son élan, il n’était plus à une folie prêt, il déclara que l’esclavage est un péché. Puis il affirma que le clergé devait vivre désormais selon la pauvreté évangélique. Enfin, pour vraiment emmerder le monde, il répudia la transsubstantiation, comme une aberration mentale. Et, pour finir, il eut sa plus terrible idée, et prôna l’égalité des hommes.

La haine de l’église

Bien sûr, Rome condamna John Wyclif, et, malgré sa parole profonde et sincère, il mourut isolé. Et plus de quarante ans après sa mort, condamné par le concile de Constance, on exhuma son cadavre, on brûla ses ossements. On avait contre lui la haine tenace.

 Édition Actes Sud,Traduit du turc par Julien Lapeyre Cabanes

 

Chaque œil qui lit les phrases que j’écris, chaque voix qui répète mon nom est comme un petit nuage qui me prend par la main et m’emporte dans le ciel pour survoler les plaines, les sources et les forêts, les rues, les fleuves et les mers. Et je m’invite sans un bruit dans les maisons, les chambres, les salons. 

Je parcours le monde depuis une cellule de prison.

C’est sur Facebook que j’ai vu passer ce livre, (comme quoi il s’y passe parfois des choses intéressantes !). Pour une fois je vais être impérative et claire : lisez ce livre et faites le lire autour de vous. D’abord parce qu’il faut savoir ce qui se passe sous Erdogan en Turquie, mais aussi parce que c’est l’oeuvre d’un grand écrivain qui sait nous toucher au plus profond de nous. Ahmet Altan est, avant tout, écrivain et il sait qu’aucun mur aussi épais soit-il ne peut tarir sa source d’inspiration et que si ses geôliers, suppôts du régime d’Erdogan, emprisonnent et cherchent à l’humilier l’homme, ils ne pourront jamais éteindre l’écrivain qui est en lui. Il sait, aussi, l’importance pour lui d’être lu par un large public, c’est pour cela que j’ai commencé de cette façon ce billet. Les hasards faisaient que je lisais en même temps un numéro de la revue « Histoire » sur le goulag. Et je me suis fait la réflexion suivante : certes la Turquie va mal, certes cet homme est privé de sa liberté mais ils n’est pas torturé, il peut faire de multiples recours judiciaires, il a pu écrire et peut-être, finalement sortira-t-il de prison, mais c’est loin d’être fait. En attendant il s’est trouvé des avocats assez courageux pour l’aider à faire découvrir ses textes à un très large public international ( partout, sauf en Turquie) . Feuillets après feuillets, mêlés entre les écrits de procédure, les conclusions et les documents de défense de ses avocats, Ahmet Altan a fait sortir son livre de prison, par pièces détachées, avant qu’elles ne soient rassemblées au dehors. Lisez les extraits que j’ai notés pour vous et j’espère que cela vous donnera envie de lire son essai en entier qui est un petit chef d’oeuvre sur l’enfermement, le pouvoir de l’écrivain, et la force de la littérature.

Citations

La prison à vie

À instant où la portière s’est refermée, j’ai senti ma tête cogner contre le couvercle de mon cercueil.

Je ne pouvais plus ouvrir cette portière, je ne pouvais plus redescendre.
Je ne pouvais plus rentrer chez moi.
Je ne pourrai plus embrasser la femme que j’aime, ni éteindre mes enfants, ni retrouver mes amis, ni marcher dans la rue, je n’aurai plus de bureau, ni de machine à écrire, ni de bibliothèque vers laquelle étendre la main pour prendre un livre, je n’entendrai plus de concerto pour violon, je ne partirai plus en voyage, je ne ferai plus le tour des librairies, je ne sortirai plus un seul plat du four, je ne verrai plus la mer, je ne pourrai plus contempler un arbre, je ne respirerai plus le parfum des fleurs, de l’herbe, de la pluie, ni de la terre, je n’irai
plus au cinéma, je ne mangerai plus d’œufs au plat au saucisson à l’ail, je ne boirai plus un verre d’alcool, je ne commanderai plus de poisson au restaurant, je ne verrai plus le soleil se lever, je ne téléphonerai plus à personne, personne ne me téléphonera plus, je n’ouvrirai plus jamais une porte moi-même, je ne me réveillerai plus jamais dans une chambre avec des rideaux.

Dieu et Saint Augustin

Mais cette fois, la lecture de Saint-Augustin m’a mis en rage.
Car il m’est apparu qu’il donnait raison à ce Dieu d’avoir créé la torture, la cruauté, la souffrance, le crime, la cage où j’étais enfermé, autant que les hommes qui m’y avait jeté.
Si je résume grossièrement, dans les limites de mon ignorance, la cause de tous ces mots était le « libre arbitre  » qu’Adam, le premier homme, avait pour ainsi dire inventé en mangeant la pomme.
J’étais donc en prison parce qu’un homme avait mangé une pomme.
C’était Adam créé par Dieu de ses « propres mains », qui l’avait mangée, c’était moi qui me retrouvais en prison.
 Il fallait en plus que je rende grâce au philosophe ?
 J’ai grommelé comme si le vénérable chauve était devant moi il me souriait, avec sa longue barbe, ses vêtements dépenaillés et son air doucereux.
« Dis donc toi, lui ai-je dit, quel est le plus grand pêché : manger une pomme ou mettre toute l’humanité au supplice à cause d’un type qui a mangé une pomme ?
 Puis j’ai ajouté plein de rage :
 « Ton Dieu est un pêcheur.

Les prisonniers

Dans le genre tableau de l’être humain en misérables repris de justice, rien ne valait sans doute cette pathétique procession d’hommes hirsutes et ébouriffés, avec leurs chaussons informes, leurs débardeurs crasseux et leurs pantalons froissés.
Au milieu de cet embouteillages que causait la confusion entre les ordres de marche qu’on nous hurlait dessus et notre maladresse à y obéir, tout ce qui faisait la personnalité extérieure de chacun disparaissait dans une sorte de bouillie humaine sans identité, et personne n’avait plus rien en propre, ni mimique, ni gestes, ni voix, ni démarche.
Dans cette espèce de brouillard grisâtre, la fortune lamentable de notre sort m’apparaissait au grand jour.

les médecins en prison

Et j’ai pensé : Si tu réussi à garder ta dignité même déculotté devant cette femme médecin, alors tu n’auras plus rien à craindre.
Puis elle m’a autorisé à remonter mon pantalon.
En sortant, je lui ai demandé : « Et vous, c’est quoi votre spécialité ? »
La réponse, du genre impérissable :
« Sage-femme. »

Motif de la condamnation à la prison à vie

Dès le début de l’audition nous avons demandé au juge.

« On nous arrêté à cause d’un message subliminal, et maintenant ce chef d’accusation a disparu. Qu’en est-il et pourquoi ? »
La réponse que nous a donné le juge avec un large sourire ironique mérite d’ores et déjà de figurer dans tous les manuels de jurisprudence et d’histoire du droit :
« Disons que nos procureurs aiment employer des termes qu’ils ne comprennent pas. »
En résumé, si nous croupissions depuis douze jours dans les cachots de la police, c’était à cause d’un procureur qui avait pris plaisir à employer un mot qu’il ne connaissait pas ! Le juge ne disait pas autre chose.

Description si vraie d’Istanbul mais de Paris aussi

J’habite dans un quartier où les sultans ottomans, jadis, avaient leur villa d’été, sises au milieu de grand jardin, et qui maintenant n’a plus que de gros immeubles avec de petits jardins… Dans ses jardinets attenants aux immeubles, on peut encore trouver des orangers, des grenadiers, des pruniers et des massifs de rose vestiges d’âge passé… Les descendants des sultans habitent toujours ici.

En prison de haute sécurité totalement isolé

L’unique fenêtre de la pièce, elle est aussi munie de barreaux, donnait sur une minuscule cour de pierre.
Je me suis allongé.
Silence.
Un silence profond, extrême.
Pas un bruit, pas un mouvement. La vie soudainement c’était figé. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
 La vie était morte.
 Morte tout d’un coup.
J’étais vivant et la vie était morte.
 Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.

Souffrance du prisonnier

Il est impossible de décrire cette nostalgie qu’on éprouve en prison. Elle est tellement profonde, tellement nue, tellement pure qu’aucun mot ne saurait être aussi nu, aussi pur. Ce sentiment que les mots sont impuissants à exprimer, ce sont encore les gémissements, les jappements d’un chien battu qui le dirait le mieux.

 Il faudrait, pour comprendre cette peine, que vous puissiez entendre la plainte intérieur des hommes emprisonnés, or vous ne l’entendrez jamais.
 Ceux qui portent cette douleur en eux ne peuvent la montrer, même a l’être qui leur manque le plus, pire, il l’a dissimule avec un peu de honte.

Encore Dieu

Nous vivons sur une planète où les vivants mangent les vivants. Les hommes ne se contentent pas de tuer d’autres créatures, ils s’assassinent aussi entre eux, constamment. Les montagnes crachent du feu, la terre s’ouvre, engloutit hommes et bêtes, les eaux se déchaînent, détruisent tout sur leur passage, les éclairs tombent du ciel.

Ici me semble résider l’un des paradoxes les plus curieux du genre humain, capable de concevoir que la terre, ce lieu affreux, puisse être l’oeuvre d’une puissance parfaitement bonne, et ainsi démontrer que les hommes sont dotés malgré la barbarie constitutive de leur existence, d’une imagination exagérément optimiste.
Il croit qu’une force à créer tout cela, mais au lieu de s’en plaindre et de la détester, il l’adule plein de gratitude et de reconnaissance.

Les puissants en prison

Je constatais que face à des coups de cette violence là, les gens habitué au pouvoir et à l’immunité sont bien moins résistants que les autres. Pour ces gens-là que le destin a toujours fait graviter dans les hautes sphères, la chute est plus brutale, l’atterrissage plus douloureux. Psychologiquement, la violence du choc les détruit.

 

Je sais que je dois cette lecture à un blog, mais j’ai hélas oublié de noter son nom . Si je le retrouve, je mettrai immédiatement un lien.

Ce livre est un essai du fils du « sauvé », Georges Heisbourg pour cerner la personnalité de son « sauveur » le baron von Hoiningen. C’est une plongée très intéressante dans la deuxième guerre mondiale et en particulier dans le nazisme. L’auteur s’attelle à une tâche rendue complexe par la personnalité du baron qui n’a jamais raconté ce qu’il a fait pendant la guerre et qui ne s’est jamais glorifié de quoi que ce soit. « Un taiseux » et un « hyper » discret nous est donc présenté par quelqu’un qui ne veut surtout pas romancer cette histoire. Au passage, je me suis demandé si ce n’était pas là un trait de la haute société luxembourgeoise, car le père de l’auteur n’a pas raconté grand chose non plus. Et si l’auteur se plaint de n’avoir qu’une photo du baron, il ne met aucune photo de son père dans ce livre. Les sources d’archives proviennent surtout de l’Allemagne, car la Gestapo avait la manie de tout écrire pour faire des dossiers sur tout le monde et ce militaire haut gradé et noble avait tout pour finir pendu. Il n’a dû son salut qu’à sa fuite au dernier moment de la guerre, alors que l’armée allemande reculait sur tous les fronts. Mais cela n’empêchait pas la Gestapo de lancer ses sbires à la recherche du fugitif soupçonné à juste titre d’avoir des accointances avec les conjurés qui ont essayés en vain d’assassiner Hitler. Tout ce qu’a fait ce baron est bien analysé et s’appuie sur des témoignages de ceux qui ont profité de son engagement. Tous le décrivent comme un homme « bien ». Mais alors pourquoi sa propre famille ne veut pas témoigner ? Par pudeur ? De crainte de révéler un secret ? L’auteur comme le lecteur en est réduit aux hypothèses. Enfin, le livre se termine sur une réflexion à propos du bien . C’est intéressant de voir que même dans le pire système, il y a des individus qui ne feront pas exactement ce que des tortionnaires au pouvoir attendent d’eux. C’est ce que l’auteur définit comme ‘la banalité du bien » qui est en chacun de nous . Alors que » la banalité du mal » expression si mal comprise d’ Hannah Arendt est le fait d’êtres sadiques et dépravés qui se cachent derrière des êtres dont l’apparence et la vie sont banales.

Citations

Le recrutement nazi

L’une des forces du Nazisme sera hélas d’avoir su recruter aux deux extrêmes du spectre des compétences : d’un côté les brutes menacées de déclassement , profil largement répandu chez les Gauleiter, de l’autre les surdiplômés, notamment dans les disciplines juridiques, qui aurait réussi dans n’importe quel système et que l’on trouvera souvent chez les SS, spécialement dans les Einsatzkommandos exterminateurs sur le front de l’Est.

Je ne savais pas ça !

Un pasteur proche de la branche national-socialiste du protestantisme, les tenant du « Deutscher-Christ » (un Jésus non pas juif mais aryen)

Cet étrange Nazi

En ligne de résultats : Franz von Hoiningen a contribué à tirer au moins 574 Juifs, (964 avec « le dernier convoi ») des griffes des nazis au Luxembourg, dont de l’ordre de 470 vers un naufrage définitif hors d’Europe. Les recherches les plus récentes estime à 890 le nombre total des Juifs du Luxembourg qui ont pu quitter l’Europe occupée pendant la guerre : plus de la moitié de ces sauvetages définitifs doivent être attribués, au moins entre autres, au baron.

Un luxembourgeois conservateur : son père.

Un conservateur luxembourgeois, c’est d’abord quelqu’un qui soutient l’existence même du grand-duché et de la dynastie grand-ducale. Nonobstant l’influence culturelle allemande et la langue allemande dans le pays, et spécialement à travers une église alors puissante, ce nationalisme est davantage antiprussien et antiallemand qu’antifrançais ou qu’antibelge. L’épisode de 1914/1918 avait eu pour effet de conforter ce positionnement. Mon père avait par ailleurs pris goût pour la culture et la langue françaises, d’où son choix d’entamer ses études supérieures à Grenoble et à la Sorbonne, à à l’époque, il n’y avait pas d’université au grand-duché, et les bacheliers pouvaient choisir de poursuivre leurs études en Belgique, en France ou en Allemagne. Réactionnaire, il l’était, mais démocrate aussi et affichera donc ses sentiments pro-Alliés pendant la drôle de guerre.

La banalité du bien

Pourtant, ils sont mis par une combinaison assez similaire d’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Ce ne sont pas des cyniques. La formule « noblesse oblige » ne s’applique pas au pied de la lettre, puisque seul Hoiningen fait partie de cette confrérie là : pourtant elle paraît résumer leur approche de la situation exceptionnelle dans ces années de feu. Aussi, on ne manquera pas de souligner l’importance capitale de la transmission éthique dans nos sociétés, transmission qui implique aussi une certaine compréhension de notre passé.

le cas de la Pologne et de la Hongrie

Des pays comme la Pologne où la Hongrie ne parviennent pas à apaiser leur relation au passé de la guerre froide en partie parce qu’ils n’ont fait que très imparfaitement leur travail de mémoire par rapport aux drames de la Seconde Guerre mondiale.

Appel au témoignage

Il y a une immense noblesse à faire le bien, surtout si cela implique de tourner le dos au système de croyances de son clan, de sa tribu. Cependant, l’action doit être prolongée par sa narration. Le taiseux baron, mais pas seulement lui, n’y était pas porté. Il est temps d’en parler. Et, en parlant, peut-être susciterons- nous d’autres vocations : des langues de proches se délieront, des archives familiales ou publiques s’ouvriront. En d’autres mots, et en retournant l’adage familier : pas seulement des actes mais aussi des paroles. Telle est la condition d’une transmission durable.

 Homère, pour autant qu’il est réellement existé, paraît avoir été de cet avis. Qui lui donnerait tort trois mille ans plus tard ?

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ce livre n’est pas pour moi, et je dois faire un aveu qui me coûte encore plus : je le mets sur Luocine alors que je ne l’ai pas terminé et que je ne le terminerai jamais. Je me demande si les habituelles amoureuses de la nature iront jusqu’au bout de ce livre très étrange. Monsieur Henri dont on ne sait rien se réveille un jour ; se réveille de quoi ? de sa nuit ? d’une maladie ? avec l’envie de découvrir le monde. Il est aidé par une gouvernante, un médecin et un nouveau voisin, qui ont comme rôle de l’aider dans ses entreprises de découvertes. Le roman n’a rien de réaliste, il évoque tout ce que l’on peut faire si on ouvre les yeux et que l’on sait s’émerveiller d’être en vie. Monsieur Henri ira de plus en plus loin mais sans moi car au bout des deux tiers du livre, j’étais agacée puis je me suis ennuyée à ces évocations sorties de tout contexte. Aucun paysage n’apparaît vraiment tout passe par les sensations de ce Monsieur et les plus beaux paysages vus par le plus petit des détails ne m’ont à aucun moment transportée mais peut-être comme je l’ai dit en commençant ce livre n’est pas pour moi tout simplement.

Citations

Les mots

Monsieur Henri s’engage sans difficultés  : il reconnaît un adjectif, trouve une famille d’articles qui lui manquait, évite un inconnu, tombe dans un trou, se perd, fait machine arrière, débroussaille un tunnel, découvre une pépite (adverbe infundibuliformément long, achéiropoïètement imprononçable, oryctognosriquement rare) coûte que coûte cherche à poursuivre.

Un des charmes de ce livre mais qui finit par lasser : les mots rares.

Vers midi le docteur a souhaité déjeuner, par contre si je déjeune je ne conduis pas : , les vapeurs postprandiales m’endorment.
L’espace interdidal ….
Ni ne s’enfoncera vers l’intérieur des terres à la recherche de l’orobranche améthyste ou de l’inule fausse criste par exemple.

Le voyage

On n’avait pas avancé, tourner en rond pour des raisons de préparation mais tourner en rond est une façon d’avancer, le docteur regardant sur la carte, le nouveau voisin comptant pour progresser sur les indications du docteur qui ne savait pas lire une carte et finissait par avoir mal au cœur à défaut de dormir. Un GPS eût été fort utile même si le docteur on a connu un qui proposait systématiquement de faire le tour de la terre puis de tourner à gauche. C’est un peu ce qu’ils avaient l’impression d’entreprendre.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

Cela faisait un moment que mes lectures ne me menaient pas vers un plaisir total. J’adore, quand je lis retrouver tout ce qui a enchanté mon enfance :

  • Une langue qui fonctionne bien et qui, ici, est très belle.
  •  Une histoire qui me bouleverse.
  • Partir dans des contrées que je ne connais pas très bien
  • Me retrouver dans les sentiments décrits par l’auteur.

Il y a tous ces ingrédients dans cette histoire et plus encore. L’auteur a voulu retrouver qui était Jacob, cet oncle qui est mort en Alsace en libérant la France de l’occupant Nazi. Comment ce jeune juif de 19 ans, n’ayant vécu qu’à Constantine s’est-il retrouvé dans l’armée de de Lattre de Tassigny ? Valéry Zenatty a cherché, elle peut ainsi nous faire vibrer aux souffrances de ces familles juives algériennes plus proches des arabes que des français. Pétain leur retirera la nationalité et leur interdira même d’aller à l’école, mais lors de l’indépendance de l’Algérie, toute sa famille et sans doute tous les juifs viendront vivre en France. Cette famille est très pauvre et dominée par des hommes violents et rudes. L’amour des femmes pour leurs enfants passe par la cuisine, des petits plats qu’elles préparent pour eux, plus que par des paroles ou des gestes. Cette auteure sait décrire l’atmosphère de cette maison si pauvre où la famille s’entasse dans une seule pièce. Jacob peut survivre grâce à la culture qui ne lui servira à rien dans l’armée, mais lui, simple soldat de seconde classe fera le malheur de sa mère en décédant sur le front. Une jeune femme écrivaine de sa descendance lui aura rendu toute son âme et aurait permis à sa mère, si elle avait été encore en vie, d’être fière de son dernier né tant aimé. Dans ce roman, Victor Hugo est cité et ces quelques vers correspondent exactement à ce que l’on ressent :

« Vous qui ne savez pas combien l’enfance est belle
Enfant ! N’enviez point notre âge de douleur,
Où le cœur est tour à tour esclave et rebelle,
 Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs. »

 

 

Citations

 

Chez lui

Ce serait comme à la maison depuis le jour où il avait découvert que personne ne pouvait deviner ce qu’il pensait, il y avait une voix qu’il était le seul à entendre. Elle avait commencé par dire je n’aime pas le ragoût de cardes, les chardons, c’est bon pour les mulets, puis je n’aime pas les grimaces stupides de la tante Yvette, sa façon de rouler des yeux comme une chouette folle, je n’aime pas les cris de mon père, sa main qui s’abat sur qui le contrarie, qui le provoque, qui ose le contredire, je n’aime pas la peur que je vois parfois sur le visage de ma mère, je n’aime pas cet appartement où il y a du monde, tout le temps, du bruit, tout le temps, la voix avait ajouté je préfère l’école, monsieur Bensaid est plus gentil que papa, mademoiselle Rouvier est plus jolie que maman, il ne se passait rien de grave, il n’était pas puni, ça restait dans sa tête, c’était des mots de silence, il faisait ce qu’on attendait de lui, m’interrompait pas les adultes, les contredisaient encore moins, aidait sa mère à porter les paniers au marché, suivait son père et Abraham à la synagogue, faisait les mêmes gestes qu’eux, ils lui caressaient la tête parfois en disant qu’il était un bon garçon, il jouait avec la poussière qui dansait dans les rayons du soleil, s’interrogeant sur ce que l’ œil voit, mais que la main ne parvient jamais à saisir.

L’armée et la poésie

Pourtant Monsieur Baumert leur avait dit que la poésie résiste à tout, au temps, à la maladie, à la pauvreté, à la mémoire qui boîte, elle s’inscrit en nous comme une encoche que l’on aime caresser, mais les vers, ici, ne trouvent pas leur place, ils jurent avec les uniformes, sont réduits au silence par les armes et le nouveau langage aux phrases brèves et criées qui est le leur. Monsieur Baumert leur a menti, ou s’est trompé, les heures passées à mémoriser des poèmes n’ont servi qu’à obtenir de bonnes notes, et le sergent-chef se fiche de leurs notes, il aurait même tendance à humilier un peu plus ceux qu’il appelle les fortes têtes et qui était au paravent des élève studieux. Il préfère les soldats qui truffent leurs phrases de fautes, sauf ceux qui sont musulmans et qu’il appelle les bougnoules, et il les corrige en éclatant de rire, les affublant de surnoms qui le ravisse, Fatima, Bourricot, Bab-el-Oued, et quand il perçoit un rougissement déferler sous la peau brune, il pose sa main sur l’épaule du soldat humilié pour dire, je rigole, parce que je sais que tu as le sens de l’humour, tu es un bon gars, tu te bats pour la France, et la France te le rendra.

 

Traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic avec la collaboration de Karine Louedon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a une façon de raconter un peu agaçante, il écrit tous ses états d’âme sur la difficulté d’écrire sur le sujet de son roman. J’ai eu plus d’une fois envie de lui dire : « fais- le ou ne le fais pas mais n’encombre pas le lecteur avec tes états d’âme du style » (oui je tutoies les auteurs quand ils m’énervent) :

Voilà la décision que je pris : ne pas écrire l’histoire de Manuel Mena, continuer à ne pas écrire l’histoire de Manuel Mena.

Quand on tient un roman de plus de 300 pages dans les mains consacré au dit Manuel Mena, ce genre de propos est pour le moins, peu intéressant. En revanche, ce qui l’est beaucoup plus, c’est l’analyse minutieuse des prises de positions des différentes parties de la population d’Ibahernando un petit village d’Estrémadure en 1936. La population est très pauvre, les terres appartiennent à de riches nobles castillans qui habitent Madrid, mais quelques paysans ont réussi à avoir un peu de terre, ils sont tout aussi pauvres mais leur pauvreté leur appartient. Il seront très choqués de voir des gens plus misérables brûler des récoltes et des bâtiments religieux, ils défendront le retour à l’ordre, personnifié par Franco. La famille de Javier Cercas faisait partie des « nantis » du village et son oncle, Manuel Mena, choisira à 19 ans de s’engager dans les phalanges. Les raisons pour lesquelles il a fait ce choix sont peu évidentes, il était idéaliste et très déçu par la trop jeune et trop fragile république, il voulait quelque chose de nouveau. Il est mort dans la bataille de l’Èrbre épisode sanglant de la guerre d’Espagne.

De statut de héros tant que le franquisme dominait l’Espagne, il est passé au statut de paria par la suite, et Javier Cercas est donc le neveu d’un phalangiste convaincu. Convaincu ? peut être pas tant que ça mais qui peut être certain d’avoir les bons choix à cette époque et dans ce contexte précis ? Roman, difficile à lire car très précis sur le déroulement de la guerre elle-même, je n’ai pas trouvé qu’il remplissait la fonction que j’attendais de lui : qu’est ce qui fait que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre lors d’une guerre civile ? En revanche, il rappelle bien l’horreur que représente la guerre civile.

 

Citations

La mémoire de la guerre d’Espagne

 Quoi que tu écrives, les uns vont t’accuser d’idéaliser les républicains parce que tu ne dénonces pas leurs crimes, et les autres d’être révisionnistes ou de farder le franquisme parce que tu ne présentes pas les franquistes comme des monstres mais comme des personnes ordinaires normales. C’est comme ça, la vérité n’intéresse personne, t’as pas encore pigé ça ? Il y a quelques années, on avait l’impression que ça intéressait les gens, mais c’était une illusion. Les gens n’aiment pas la vérité : ils aiment les mensonges, et je ne te parle même pas des intellectuels et des politiciens. Les uns s’irritent dès qu’on met le sujet sur la table parce qu’ils pensent encore que le coup d’État de Franco était nécessaire où en tout cas inévitable, même s’ils n’osent pas le dire, et les autres ont décidé que refuser de considérer tous les républicains comme démocrate il comprit Durruti et la Pasionaria, et admettre que des putains de curés ont été assassinés des putains d’églises brûlées, c’est faire le jeu de la droite. Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais la guerre, c’est passé de mode.

Qu’est ce que la phalange ?

La phalange était un parti qui, avec sa vocation antisystème, son prestige exaltant de nouveautés absolue, son irrésistible aura de semi-clandestinité, son refus de la distinction traditionnelle entre droite et gauche, sa proposition d’une synthèse qui dépasserait les deux, sont impeccable chaos idéologique, son pari simultané et impossible sur le nationalisme patriotique et la révolution égalitaire et sa démagogie captivante, semblait être fait sur mesure pour séduire un étudiant fraîchement sorti de son village qui a seize ans à peine, rêverait à l’occasion de ce mouvement historique décisif dessiner un coup brutal et libérateur à la peur et à la pauvreté qui tourmentait sa famille et à la faim, l’humiliation et l’injustice qu’il voyait quotidiennement dans les rues de son enfance et son adolescence, et cela sans compromettre l’ordre social, lui permettant qui plus est de s’identifier à l’élitisme aristocratique.

La guerre d Espagne.

À l’époque, on tuait pour un oui ou pour un non, continue-t-il. Disputes. Jalousie. Parce qu’un tel a dit quelque chose à un tel point pour n’importe quoi. La guerre a été comme ça. Les gens disent maintenant que c’était la politique, mais c’était pas la politique. Pas seulement. Quelqu’un disait qu’on devait régler son compte à quelqu’un et on s’en chargeait. Un point c’est tout. C’est comme je te dis et pas autrement. C’est pourquoi il y a tant de gens qui sont partis du village au début de la guerre.

Le cœur du livre

D’ailleurs, peut-on être un jeune homme noble et pur et en même temps lutter pour une mauvaise cause ?
 David réfléchit un moment (….) . C’est possible, répondit-il. Et tu sais pourquoi ? 
 – Pourquoi ?
– Parce que nous ne sommes pas omniscients. Parce que nous ne savons pas tout. Quatre vingt cinq ans se sont écoulés depuis la guerre, et toi et moi on a dépassé la quarantaine, alors pour nous c’est du tout cuit, on sait que la cause pour laquelle Manuel Mena est mort n’était pas juste. Mais est-ce qu’il pouvait le savoir à l’époque, lui, un gamin sans aucun recul et qui, en plus, était à peine sorti de son village ?

Raison de la guerre civile

C’est une situation d’extrême nécessité qui fait s’opposer ceux qui n’ont rien à manger et ceux qui ont de quoi manger ; ces derniers ont très peu, juste ce qu’il faut, mais ils ont quelque chose. Et en effet, ici, ça commence à prendre l’allure d’une tragédie, parce que ceux qui ont faim ont raison de haïr ceux qui peuvent manger et ceux qui peuvent manger en raison d’avoir peur de ceux qui ont faim. Et c’est comme ça qu’ils arrivent tous à une conclusion terrifiante : c’est soit eux, soit nous. Si eux gagnent ; ils nous tuent, si nous, on gagne, on doit les tuer. Voilà la situation impossible à laquelle les responsables du pays on conduit ces pauvres gens.

Explication du titre

J’étais déjà devenu un autre, une sorte d’Ulysse vieux et médiocre et heureux, qui, grâce à cette expédition à la recherche du monarque des ombres dans les ténèbres de cette grande maison vide, venait de découvrir le secret le plus élémentaire et le plus caché, le plus refoulé et le plus visible, qui est qu’on ne meurt pas, que Manuel Menna n’était pas mort.

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

 

Un livre qui m’a davantage étonnée que plu. Il y a deux livres en un, d’abord le récit de formation de Pol Pot du temps où il s’appelait Saloth Sâr . C’est dans toutes les faiblesses de cet enfant, puis du jeune homme que Nancy Houston traque tout ce qui a pu faire de cet homme qui a tant raté, ses études, ses amours, un tyran parmi les plus sanguinaires. Il ne réussit pas à obtenir ses diplômes, il fera tuer tous les intellectuels. Il puisera dans les discours révolutionnaires français, de 1789 à 1968, le goût des têtes qui doivent tomber ! Les chiffres parlent d’eux mêmes, Pol Pot est responsable de 1,7 million de morts, soit plus de 20 % de la population de l’époque. L’article de Wikipédia, en apprend presque autant que ce livre, mais l’émotion de l’écrivaine rend plus palpable l’horreur de ce moment de l’histoire du Cambodge.

Et puis nous voyons la très jeune narratrice, qui doit avoir plus d’un point commun avec l’auteure, passer une enfance et adolescence très marquée par le mouvement hippie pendant son enfance et mai 68 à Paris pendant sa jeunesse. Le but de ces deux histoires, est de montrer les points communs entre cet horrible Pol Pot et la narratrice. Je pense qu’il n’y a qu’elle qui voit les ressemblances. En revanche, le passage par Paris et la description des intellectuels , Jean-Paul Sartre en tête qui soutiennent les Khmers Rouges est terrible pour l’intelligentsia française. La seule excuse à cet aveuglement volontaire, c’est de ne pas vouloir prendre partie pour les américains qui ont envoyé sur le Cambodge plus de bombes que pendant la deuxième guerre mondiale sur toute l’Europe. Et voilà toujours le même dilemme  : comment dénoncer les bombardements américains sans soutenir le communiste sanguinaire, Pol Pot.

 

 

Citations

l’écriture

De toute façon, elle a appris depuis l’enfance à neutraliser par l’écriture tout ce qui la blesse. Les mots réparent tout, cachent tout, tissent un habit à l’événement cru et nu . Dorit ne vit pas les choses en direct mais en différé : d’abord en réfléchissant à la manière dont elle pourra les écrire, ensuite en les écrivant. Protégée quelle est par la maille des mots, une vraie armure, les agressions ne l’atteignent pas vraiment.

 

Mai 68

Un jour Gérard vient l’écouter jouer du piano dans l’appartement de la rue L’homond. Au bout d’une sonate et demie de Scarlatti, il pousse un soupir d’ennui : » C’est bien joli, tout ça dit-il, mais je n’y entends pas la lutte des classes. »

 

Les Khmers rouges

 

Le 9 janvier 1979, les troupes nord-vietnamienne se déploient à Phnom Penh, révélant au monde la réalité du Kampuchéa démocratique, la capitale désertée, dévastée… Les champs stériles… Les monceaux de squelettes et de crânes… De façon directe ou indirecte, au cours de ces quarante cinq mois au pouvoir, le régime de Pol Pot aura entraîné la mort de plus d’un million de personnes, soit environ un cinquième de la population du pays. Le Cambodge gît inerte, tel un corps vidé de tout son sang .