Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard
Quel livre ! Bravo Alexandre Duyck vous avez su de nouveau m’intéresser, je devrais dire, me passionner pour la guerre 14/18. Encore ce sujet, peut-on dire , oui mais ce roman donnera un éclairage que je crois indispensable à une bonne compréhension de cette guerre. Augustin Trébuchon est déclaré mort le 10 novembre 1918, c’est écrit sur le monument au morts mais c’est un mensonge ! Il est mort en réalité le 11 novembre 1918. L’auteur retrace le parcours de ce berger de l’Ariège qui a choisi de partir à la guerre alors qu’orphelin, il aurait pu être dispensé en tant que soutien de famille. Nous revivons avec lui, l’enthousiasme des premiers jours de 1914. L’auteur remarque que les plus enragés à vouloir tuer les boches sont des gens qui ne la feront pas, cette guerre, mais qui se croient obligés de dire, plus fort que tout le monde, combien ils auraient aimé la faire ! Puis viennent les combats, l’horreur que nous connaissons si bien, mais aussi l’évocation de la dure condition de berger qui n’est pas étrangère à l’engagement d’Augustin . Berger en Ariège, c’est être le plus pauvre des paysans, et le moins considéré des hommes. Au point où, Augustin n’ose même pas aborder la fille qu’il aime ; bien sûr, il aime la faire danser au son de l’accordéon le soir où il y a bal au village, mais ce n’est pas tout à fait suffisant. La vie d’ Augustin est donc remplie par sa connaissance des animaux, ces moutons et les animaux sauvages de la montagne, ainsi qu’une perception très fine de la nature. Ce savoir, si peu valorisé dans son village, va se révéler un précieux atout pour résister aux quatre longues années de guerre, jusqu’au 11 novembre 1918, où il attend avec toute sa compagnie la dernière sonnerie de clairon qui va signifier que l’armistice est signée, elle l’est d’ailleurs depuis quelques heures. Il rêve à ce qu’il va faire , et surtout à l’Argentine où il a prévu de s’exiler. Cette attente est bien longue et l’auteur rend parfaitement l’ambiance de ces derniers instants.
Hélas un gradé , un de ceux que détestent Augustin lui demande d’aller porter de toute urgence un message de la plus haute importance aux troupes postées à l’avant de leur ligne. Il est 1o heures 45, dans un quart d’heure le clairon doit sonner, mais l’urgence du message et l’ imbécillité du gradé ne souffrent d’aucun retard , Augustin tombera sous une balle ennemie avec dans sa poche ce message :
« Rendez-vous à Dom-le-Mesnil pour la soupe à 11h30 »
Citations
Les chefs
Les chefs qui jouent les gentils qui m’appellent « mon petit : alors que j’ai quarante ans, qui demande de mes nouvelles et moi comme un con, je leur réponds mais à peine ai-je commencé à parler, il regarde déjà ailleurs, je me plains de mes pieds, ils répondent : » Parfait, c’est très bien continue comme ça mon petit », ces chefs-là sont tous des faux-culs, des lâches qui n’assument pas d’être des chefs mais qui, dans le dos des petits sont pires encore que les autres parce qu’à la fin ils trahissent toujours la confiance.
Les rapports des hommes entre eux
C’est notre côté cul-terreux, disaient les Parisiens, les pires de tous, les Lyonnais sont pas mal non plus mais les Parisiens restaient les pires, si certains de tout savoir, les pires des pires étant les instituteurs parisiens devenus lieutenant et qui nous parlaient comme à des demeurés, à des gosses, à leurs élèves, à croire qu’ils n’ont eu que des dégénérés dans leur école, les instits parigots, faudraient les livrer en masse au boches, en cadeau, faites-en ce que vous voulez, montrez leur du pays mais par pitié, ne nous les rendez pas ou alors mort, et encore. Les instituteurs et la science infuse, comme ils disent, la haine du patois, leur beau Français dont ils usent comme d’une arme pour mieux t’humilier, te démontrer leur supériorité, ils emploient des verbes, des temps de conjugaison dont tu n’as jamais soupçonné l’existence ni deviné l’utilité mais il en abuse, ils en jouissent, ils te parlent d’écrivains célèbres dont tu ignores jusqu’au nom, nous des frustrés qui te refusent le droit de moins bien parler qu’eux, qui te jugent parce que tu en sais mille fois moins qu’eux et qui sont incapables de se débrouiller sans une carte
Les humiliations des gradés
Il me répète ce que je sais déjà, dans moins de 30 minutes la guerre va s’achever, nous avons gagné, les boches ont signé l’accord, on va tous pouvoir rentrer chez nous : » Moui dans ma belle maison pour y baiser maman », qu’il dit » Toi dans ton trou à rat de bouseux de Lozérien ». Ne pas réagir, ne pas laisser apparaître la moindre émotion, Pons m’a expliqué comment faire comme si de rien n’était. Comme j’ai peur de le regarder dans les yeux, j’applique la méthode que m’a expliqué un copain, fixer des poils entre les deux sourcils, on fait croire à l’autre qu’on le regarde droit dans les yeux mais en fait on ne fait que compter ses poils entre les sourcils.Des gars sont morts de froid dans les tranchées, des tas de gars, c’est quand même fin de mourir de froid la guerre. Moi je ne m’en suis jamais plaint. Mais je ne suis jamais endormi les fois où j’ai compris qu’il valait mieux ne pas. Un jour j’ai entendu un jeune sous-lieutenant se vanter : »Les poilus ont de la paille, moi un lit ». C’est la première fois depuis le début de la guerre, je crois, où j’ai vraiment eu envie de tuer quelqu’un.