Je ne parle pas souvent des maisons d’édition car je trouve, le plus souvent, qu’elles font seulement leur travail (ce qui n’est pas si mal, évidemment !). Or, grâce à ce roman, j’ai découvert la maison de Joëlle Losfeld et ses qualités méritent d’être soulignées. En plus du texte parfaitement présenté, et donc, agréable à lire, d’une couverture utilisant une photo de statut de l’antiquité égyptienne où l’on croit reconnaître le sourire énigmatique de Gohar (le personnage principal, ex-philosophe), l’éditeur a enrichi ce livre d’une série de documents nous permettant de mieux connaître Albert Cossery. Cet auteur célèbre dans les années 50 dans le petit monde de Saint Germain-des-Prés est quelque peu oublié aujourd’hui. Cette maison d’édition sait le faire revivre et j’aurais plaisir à garder ce bel objet-livre qui dans ma bibliothèque.
Je dois cette lecture à Goran un nouveau venu dans ma blogosphère, et je me suis rendu compte en allant chercher ce titre dans une bonne librairie parisienne, que cet auteur était pour de nombreux lecteurs une référence indispensable pour la littérature égyptienne. Égyptienne ? écrit par un homme ayant surtout vécu en France, il a d’ailleurs reçu le prix de la Francophonie en 1992, et visiblement très influencé par la littérature française. On pense tout de suite à un autre Albert, Camus celui-là. Le mendiant le plus intéressant, Gohar, est un super Meursault, il a encore moins que lui de raison de tuer et il est autrement plus puissant car il entraîne celui qui aurait dû le punir dans son sillage du monde de l’absurde ou la notion du bien et du mal disparaît. Un mendiant de plus, un ancien policier, hantera les rues du Caire dans des lieux consacrés uniquement à la survie, et où le plus important c’est de respecter un code de l’honneur fondé surtout sur l’esprit de dérision. Ce n’est ni cet aspect, ni l’enquête policière assez mal menée qui a fait pour moi l’intérêt de ce livre, c’est la découverte de ce monde et de toutes les petites ficelles pour survivre. Le crime gratuit me révulse, et le côté philosophique du dépassement du bien et du mal est tellement daté que cela ne m’intéresse plus. En revanche, la vie de ces êtres qui n’ont plus rien est très bien décrite.
Je doute totalement de la véracité des personnages car ils sont décrit par un intellectuel à l’abri du besoin et résidant en France. Je pense que c’est toujours plus facile d’imaginer les très pauvres dans une forme de bonheur et refusant les facilités de notre société que comme des exclus du système et qui aimerait bien en profiter un peu. Mais là n’est pas du tout le propos du roman et je rajoute que c’est un livre qui se lit facilement et agréablement, j’ai tort d’avoir un jugement moral sur son propos car c’est justement ce que dénonce Albert Cossery : cette morale occidentale qui fait fi de l’énorme misère des pauvres en Égypte, ce que nous dit cet auteur c’est que puisqu’on ne peut rien y changer le meilleur moyen c’est encore de vivre comme les mendiants du Caire. Une absence de volonté de posséder quoique ce soit est, pour lui, beaucoup plus dangereuse pour l’équilibre de la société qu’une quelconque révolte. On peut le penser comme une première pierre à l’édifice de la compréhension de ce pays, mais je pense que des roman comme « Taxi » de Kaled Khamissi ou « L’immeuble Yakoubian » de Alaa El Aswani mettent en scène une Égypte beaucoup plus contemporaine et les auteurs ne sont plus encombrés par le poids des idées des intellectuels français (marxisme, existentialisme et autres structuralisme).
Citations
L’ironie
Peut-être était-il atteint d’une maladie contagieuse. » Les microbes ! » se dit-il avec angoisse. Mais presque aussitôt la peur des microbes lui parut risible. Si l’on devait mourir des microbes, pensa-t-il, il y a longtemps que nous serions tous morts. Dans un monde aussi dérisoire, même les microbes perdaient de leur virulence.
Le pays paradisiaque (ça a bien changé ! mais peut-être pas pour ce détail)
En Syrie, la drogue n’était l’objet d’aucune interdiction. Le haschisch y poussait librement dans les champs, comme du véritable trèfle ; on pouvait le cultiver soi-même.
Une putain heureuse de l’être
« Pourquoi irais-je à l’école, dit Arnaba d’un ton méprisant . Je suis une putain, moi. Quand on a un beau derrière, on n’a pas besoin de savoir écrire. »
La ville européenne
L’avenue Fouad s’ouvrit au centre de la ville européenne comme un fleuve de lumière. El Kordi remontait l’avenue, d’un pas de flâneur, avec le sentiment inquiétant d’être dans une ville étrange. Il avait beau se dire qu’il se trouvait dans son pays natal, il n’arrivait pas à y croire… Quelque chose manquait à cette cohue bruyante : le détail humoristique par quoi se reconnaît la nature de l’humain.