Édition Stock

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

Autant je n’avais pas apprécié la précédente lecture de Laurence Tardieu, « Un temps fou » , autant celle là m’a intéressée. Pourtant ça commençait assez mal, car encore l’univers de cette femme et de sa famille que sa fille a fui me semblait bien loin de mes centres d’intérêt. Et puis peu à peu , le roman s’est densifié et le récit de cette journée pendant laquelle Hannah pense atteindre l’apogée de la souffrance et qui verra aussi Lydie sa meilleure amie souffrir à son tour, a été beaucoup plus riche que je ne m’y attendais. Cette belle amitié entre ces deux femmes donne un ton plus optimiste au roman et en fait un des charmes pour moi. Le drame d’Hannah , tient en peu de mots : sa fille Lorette a décidé de rompre sans aucune explication avec sa famille. Ce deuil qui n’en est pas un, est d’une violence qui depuis sept ans ronge Hannah, artiste peintre qui n’arrive même plus à peindre. En remontant dans le temps, on comprend à la fois l’histoire de sa famille dont les grands parents ont été exécutés en 1942 parce qu’ils étaient juifs et de l’actualité du monde de 1989 à aujourd’hui. Hannah a vécu dans la liesse (comme nous tous) l’effondrement du mur de Berlin, puis a été terrifiée par la guerre en Bosnie. Sa fille qu’elle aime d’un amour fusionnel, perd peu à peu confiance dans cette mère qui est une véritable écorchée vive et qui s’intéresse trop aux malheurs du monde. Le roman se déroule, donc, sur une journée , le matin Hannah croit voire ou voit réellement Lorette sur le trottoir d’en face, toute sa journée elle revit les moments de crise de sa famille et elle sait qu’elle doit téléphoner à Lydie qui l’a invitée à dîner avec des amis, elle se sent incapable de retrouver son amie. Finalement, elles se retrouveront mais pas exactement comme l’avait prévue Lydie. Hannah va sans doute recommencer à peindre ce qui est la fin la plus optimiste qu’on puisse imaginer. Je ne peux en dire plus sans divulgâcher l’intrigue. Les deux ressorts du roman sont le mélange de l’actualité et de la vie personnelle, et l’hérédité du malheur des gens qui ont été touchés par la Shoa, la souffrance de cette mère privée de sa fille sert de cadre à ces deux fils conducteurs. Un bon roman, bien meilleur en tout cas que mes premières impressions.

 

Citations

 

Description si banale des couples qui s’usent.

Tout s’était délité sans qu’il s’en aperçoive. Il se rappelait pourtant avoir été très amoureux lorsqu’il l’avait rencontrée, à trente ans. Elle, sociologue, jeune femme rousse à la peau pâle, au rire presque silencieux, au regard obsédant (enchantement dont il avait fini, après plusieurs mois, par identifier l’origine : un très léger strabisme, dont on pouvait difficilement se rendre compte à moins de fixer longtemps les deux yeux, et à l’instant même où il avait compris ce qui depuis des mois le rendait fou, le regard gris-vert avait perdu de sa magie) et que tous ses copains lui envoyaient. Lui, jeune cancérologue passionné par son métier, promis à un brillante à venir. Oui, la vie avait été belle, et joyeuse, et sexuelle,avec Claire. Que s’était-il passé pour qu’aujourd’hui les rares paroles qu’ils échangent concernent des pots de yaourt, le chauffagiste à faire venir, la litière du chat ? Que s’était-il passé, d’atrocement banal, qu’il n’avait pas vu se former, et contre quoi aujourd’hui il ne pouvait plus lutter, comme si Claire et lui avaient commencé, il y a bien longtemps, et alors même qu’ils ne le savaient pas encore, à glisser le long d’une pente, et qu’il n’y avait aujourd’hui plus de retour en arrière possible, plus de possibilité de bonheur ?

Le drame de la famille

Hannah, alors tout jeune adolescente, avait soudain vu, effarée, le visage de cette tante d’ordinaire silencieuse et discrète se tordre, comme si la peau devenait du chiffon, et les larmes rouler sur ses joues, et elle avait entendu, ils avaient tous entendu, la brève phrase demeurée depuis comme un coup de tonnerre dans la nuit, dont Hannah se demandait parfois, à force de l’avoir répétée mentalement pendant des années, si elle ne l’avait pas inventée : « De toute façon, s’ils avaient pu tous nous faire disparaître, ils l’auraient fait. On est restés là David et moi cachés dans notre trou, à les regarder partir pour la mort comme des chiens, on est restés là, impuissants, à les regarder partir. »

La mort

Tu vois, ce qu’il y a de très violent lorsque meurt quelqu’un qu’on a beaucoup aimé, c’est qu’au début, on a le sentiment de perdre cette personne, de la perdre réellement. On ne peut plus lui parler, on ne peut plus la toucher, on ne peut plus la regarder, se dire que cette couleur lui va bien, qu’elle a le visage reposé… On ne peut plus l’entendre rire… Mais ensuite, avec le temps, si on se souvient d’elle, si on se souvient d’elle vraiment, je veux dire si on se concentre pour se rappeler le grain exact de sa peau, la façon qu’elle avait de sourire, de parler, l’expression de son visage lorsqu’elle vous écoutait , la manière qu’elle avait de poser une main sur votre épaule, d’enfiler un manteau, de découvrir un cadeau, de piquer un fou rire, alors c’est comme si on parvenait à faire revenir cette personne du royaume des morts, à la faire revenir doucement parmi nous, mais cette fois : en nous. Elle ne fait plus partie des vivants, elle ne déambulera plus parmi nous, mais elle occupe désormais notre cœur, notre mémoire. Notre âme. C’est un petit miracle, une victoire acquise sur la disparition.

Son père lui parle

Ce qui est arrivé un jour de printemps 1942 et qui s’est produit sous mes yeux n’en finit pas de nous faire sombrer, de nous aspirer, on croit que c’est arrivé à mes parents un jour de l’année 1942 et ça continue à nous arriver, ça continue à nous arriver à nous tous, Hannah, à moi, à toi, à Lorette, comme si la déflagration ne s’était jamais arrêtée … Ce jour-là la nuit est entrée dans toutes les vies de notre famille, les vies présentes et celles à venir. Je crois, Hannah, je crois que nos corps se souviennent de ce qu’ils n’ont pas vécu, de ce qui a assiégé ceux qui nous ont mis au monde, nos corps se souviennent de la peur, ils se souviennent de l’effroi..

 

 

Édition le Seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Après « la villa des femmes » et « l’empereur à pied« , voici ma troisième lecture de ce grand écrivain libanais. Ce texte est très court et les chapitres qui le composent font parfois moins d’une demi-page. Le titre dit beaucoup sur cette biographie : Raphaël Arbensis aurait pu, en effet mener des vies bien différentes. L’auteur sent que sa destinée tient plus du hasard et de la chance que de sa propre volonté. Ce sont des idées bien banales aujourd’hui mais qui, au début du XVII° siècle, sentent l’hérésie pour une élite catholique toute puissante et peu éclairée. Elle vient de condamner Galilée et donc, regarder, comme le fait le personnage, le ciel à travers une lunette grossissante relève de l’audace. L’auteur ne connaît pas tout de la vie de cet aventurier du pays des cèdres comme lui, mais malgré ces périodes d’ombre qu’il s’empêche de remplir par trop de romanesque, il sait nous rendre vivant ce personnage . Le plus agréable pour moi, reste son talent d’écrivain : grâce à son écriture, on se promène dans le monde si foisonnant d’un siècle où celui qui voyage prend bien des risques, mais aussi, est tellement plus riche que l’homme lettré qui ne sort pas de sa zone de confort. Chaque chapitre fonctionne comme une fenêtre que le lecteur ouvrirait sur la société de l’époque, ses grands personnages, ses peintres, sa pauvreté, ses paysages. Un livre enchanteur dont les questionnements sont encore les nôtres : qu’est ce qui relève de notre décision ou de la chance que nous avons su plus ou moins bien saisir ?

 

Citations

De courts chapitres comme autant de cartes postales du XVII° siècle

Chapitre 6
Il fréquente aussi les lavandières qui lavent le linge dans le Tibre . Il fait rire et les trousse à l’occasion. À cette époque , les rives bourbeuses du fleuve sont envahies par les bateliers , et les teinturiers y diluent leurs couleurs. Nous sommes dans les premières années du pontificat d’Urbain VIII. La colonnade du Vatican n’est même pas encore dans les projets du Bernin, Borromini n’a pas encore construit la Sapienza, le palais des Barberini s’appelle encore palais Sforza et la mode des villas vénitienne intra-muros commence à peine. Mais il y a des chantiers et l’on creuse des allées et des voies. Des peintres et des sculpteurs habitent en ville. Le Trastevere et un village séparé de la cité, cette dernière n’a pas la taille de Naples, mais depuis le bord du fleuve on voit les dômes de Saint-Pierre et le palais Saint-Ange. Les grands murs du temps de l’Empire sont toujours debout, roses et briques parmi les cyprès et les pins, et sous la terre dorment encore bien des merveilles. Un jour de 1625, sur la place du Panthéon, un larron interpelle Raphaël pour lui vendre quelque chose en l’appelant Monsignore. Ardentis s’arrête, méfiant, le larron rit en découvrant une horrible rangée de dents abîmées et lui indique sa brouette sur laquelle il soulève une petite bâche. Avensis se détourne du spectacle de l’affreuse grimace du mendiant pour regarder ce qu’il lui montre et là, au milieu d’un bric-à-brac fait de clous, de chiffons, de morceaux de plâtre et de divers outils abîmés, il voit une tête en marbre, une grande tête d’empereur ou de dieu, le front ceint d’un bandeau, les lèvres pulpeuses, le nez grec et le cou coupé, posé sur le côté, comme lorsqu’on dort sur un oreiller.
Chapitre 27 un des plus courts
Dans le ciel, il y a toujours ces grands nuages blancs qui se contorsionnent tels des monuments en apesanteur, qui prennent des postures fabuleuses et lentement changeantes comme les anges et les êtres séraphiques improbables de Véronèse.

Á travers une longue vue les personnages regardent Venise et le lecteur croit reconnaître des tableaux

Une autre fois, il voit un homme buvant du vin à une table sur laquelle, en face de lui, une femme nue est accoudée qui le regarde pensivement, le menton dans la main. Il voit un maître de musique près de sa jeune élève devant un clavecin, il voit une table un globe terrestre dans une bibliothèque déserte et un jour, dans ce qui semble une chambre à coucher, il voit une femme en bleu, peut-être enceinte, debout et absorbée dans la lecture d’une lettre.

Le hasard ou le destin

Nos vies, écrit-il, ne sont que la somme, totalisable et dotée de sens après coup, des petits incidents, des hasards minuscules, des accidents insignifiants, des divers tournants qui font dévier une trajectoire vers une autre, qui font aller une vie tout à fait ailleurs que là où elle s’apprêtait à aller, peut-être vers un bonheur plus grand si c’était possible, qui sait ?, mais sans doute souvent plutôt vers quelque chose de moins heureux, tant le bonheur est une probabilité toujours très faible en comparaison des possibilités du malheur ou simplement de l’insignifiance finale d’une vie ou de son échec.

 

 

 

 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ce livre n’est pas pour moi, et je dois faire un aveu qui me coûte encore plus : je le mets sur Luocine alors que je ne l’ai pas terminé et que je ne le terminerai jamais. Je me demande si les habituelles amoureuses de la nature iront jusqu’au bout de ce livre très étrange. Monsieur Henri dont on ne sait rien se réveille un jour ; se réveille de quoi ? de sa nuit ? d’une maladie ? avec l’envie de découvrir le monde. Il est aidé par une gouvernante, un médecin et un nouveau voisin, qui ont comme rôle de l’aider dans ses entreprises de découvertes. Le roman n’a rien de réaliste, il évoque tout ce que l’on peut faire si on ouvre les yeux et que l’on sait s’émerveiller d’être en vie. Monsieur Henri ira de plus en plus loin mais sans moi car au bout des deux tiers du livre, j’étais agacée puis je me suis ennuyée à ces évocations sorties de tout contexte. Aucun paysage n’apparaît vraiment tout passe par les sensations de ce Monsieur et les plus beaux paysages vus par le plus petit des détails ne m’ont à aucun moment transportée mais peut-être comme je l’ai dit en commençant ce livre n’est pas pour moi tout simplement.

Citations

Les mots

Monsieur Henri s’engage sans difficultés  : il reconnaît un adjectif, trouve une famille d’articles qui lui manquait, évite un inconnu, tombe dans un trou, se perd, fait machine arrière, débroussaille un tunnel, découvre une pépite (adverbe infundibuliformément long, achéiropoïètement imprononçable, oryctognosriquement rare) coûte que coûte cherche à poursuivre.

Un des charmes de ce livre mais qui finit par lasser : les mots rares.

Vers midi le docteur a souhaité déjeuner, par contre si je déjeune je ne conduis pas : , les vapeurs postprandiales m’endorment.
L’espace interdidal ….
Ni ne s’enfoncera vers l’intérieur des terres à la recherche de l’orobranche améthyste ou de l’inule fausse criste par exemple.

Le voyage

On n’avait pas avancé, tourner en rond pour des raisons de préparation mais tourner en rond est une façon d’avancer, le docteur regardant sur la carte, le nouveau voisin comptant pour progresser sur les indications du docteur qui ne savait pas lire une carte et finissait par avoir mal au cœur à défaut de dormir. Un GPS eût été fort utile même si le docteur on a connu un qui proposait systématiquement de faire le tour de la terre puis de tourner à gauche. C’est un peu ce qu’ils avaient l’impression d’entreprendre.

Traduit de l’anglais (Ètats-Unis) par Brice Matthieussent ; collection 10/18

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

J’ai oublié sur quel blog j’avais lu qu’il fallait absolument lire ce petit roman de John Fante, mais quand je l’ai vu au club de lecture de notre médiathèque, j’étais très contente. Oui, c’est un excellent moment de lecture tout en humour grinçant et méchant qui décoiffe, parfois un peu trop pour moi. Le personnage principal est un écrivain qui trouve un soir un énorme chien devant chez lui. Un chien de race Akita qui, sur cette photo, semble bien sympathique mais qui est un véritable danger dans une famille qui n’allait pas non plus très bien avant son arrivée

Ce chien mérite très bien son nom, Stupide, il saute sur tout ce qui lui semble un compagnon sexuel acceptable et comme il est très puissant cela donne des scènes aussi comiques que gênantes. L’écrivain, narrateur de ce roman se sent mal de tous les livres qu’il ne réussit plus à écrire. Il se sent raté aussi bien socialement que dans sa vie familiale. Même s’il le raconte avec beaucoup d’humour, on sent son désespoir à l’image de la scène finale qui donne peu d’espoirs sur la survie de son mariage. Ce roman raconte aussi très bien le choc des familles lors des départs des enfants qui occupaient une place si importante au quotidien dans la maison. J’ai trouvé très originale dans ce roman la peinture de chaque personnage, on peint souvent la famille américaine comme une force en soi. Dans les films, les séries, les romans, la famille made-in US semble un lieu d’engagement et de résistance à toute épreuve. Ici, au contraire chaque individualité est caractérisée par une destinée propre et leur seul point commun lors de ce roman c’est ce chien, qu’elle le rejette ou l’aime. Un point de vue et un humour très particulier qui fait du bien en contre point des images trop lisses que nous renvoie « la culture » américaine : John Fante est issu de l’immigration italienne, et a connu la misère, ceci explique cela. Je ne voudrais pas donner une fausse image de ce livre qui est surtout très drôle même si on sent une grande tristesse sous cette façon de rire de tout et surtout de lui.

 

Citations

Beaucoup de pères pourraient écrire cela

Jimmy avait cinq mois, et je l’ai détesté comme jamais parce qu’il avait des coliques et braillait encore plus que Tina. Les hurlements d’un enfant ! Faites-moi avaler du verre pilé, arrachez-moi les ongles, mais ne me soumettez pas aux cris d’un nouveau-né, car ils se vrillent au plus profond de mon nombril et me ramènent dans les affres du commencement de mon existence.

Un père reste une fille s’en va

Pendant qu’Harriet sanglotait dans le patio, je suis allé dans mon bureau écrire à Tina une lettre que je ne posterai jamais, je le savais, quatre ou cinq pages éplorées d’un gamin qui avait laissé tomber son cornet de glace par mégarde. Mais je lui disais tout, ma culpabilité, mon terrible désir de pardon. Quand je l’ai relu, la force et la sincérité de ma prose m’ont bouleversé. Je l’ai trouvé par endroits très belle, j’ai même envisagé d’en tirer un bref roman, mais je n’avais pas mon pareil pour tomber en extase devant ma prose, je n’ai pas eu trop de mal à déchirer ce que j’avais écrit et à le mettre à la poubelle.

Édition Albin Michel

Traduit de l’italien par François Brun

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis désolée pour ma bibliothécaire préférée, je n ai pas réussi à aimer ce roman, je l’ai en grande partie parcouru en sautant les passages qui m’arrachaient des larmes. Non pas qu’il ne soit pas bien mais il est trop dur . Tous ces êtres humains par milliers que des passeurs entassent dans des embarcations en sachant fort bien que la plupart périront mer c’est absolument insupportable. Mais pourquoi pourquoi des gens se laissent-ils conduire à cette mort plus que probable ? Ce n’est pas le sujet du livre. Le sujet c’est cette île dont le nom à te donner à nos oreilles, pendant de longues années :  » Lampedusa » .
Comment vivent tous les habitants de cette île ? C’est vrai que c’est un point de vue que l’on n’a peu entendu et c’est pour cette raison qu’il a été choisi pour être lu à notre club. Qu’est ce qu’il se passe quand des cadavres viennent s’échouer sur vos plages ? et bien quelles que soient vos opinions politiques, vous ferez tout pour sauver un maximum de personnes.
L’auteur a choisi de passer trois ans à Lampedusa , il y rencontre le maximum d’habitants de cette île, tous habités par des récits qui sont aussi horribles que ce que vous pouvez imaginer et plus encore. L’auteur parle aussi de son père médecin et de son oncle atteint d’un cancer dont il ne guérira pas. Les histoires de naufrages sont tellement atroces que je lisais avec soulagement la descente vers la mort de son oncle bien aimé. Comme son père le dit un moment, je me suis demandé à quoi sert ce genre de témoignages, puisque visiblement rien ne peut arrêter ceux qui fuient leur pays, et des tortionnaires Libyens avides d’argent faciles seront toujours là pour les pousser sur des bateaux de fortune après les avoir torturés, rançonnés et violés pour les femmes. Je ne mets aucun coquillages à ce livre à vous de juger si vous voulez le lire .

Citations

Le métier de médecin

En tant que médecin , je récolte une foule d’indices pour les assembler et leur trouver un sens  : des symptômes , des signes, des résultats d’analyses. Au fond, ce métier, c’est ça : faire la somme des symptômes, des signes, des analyses pratiquées et chercher l’explication. On pose une hypothèse diagnostique, puis on examine ce qui la corrobore. Pour ça, je dois pouvoir m’orienter, savoir quoi chercher et quoi regarder. La médecine d’aujourd’hui est aveugle, ces examens tous azimuts sont bien la preuve que le médecin ne sait plus regarder.

Utilité des photos

La photographie te met face à une réalité : la petite fille nue qui crie et qui pleure, le milicien qui meurt, l’enfant syrien noyé -une des photos les plus terribles, on a eu raison de la prendre et de la publier. Et cette réalité est une douleur, immense, lancinante. Pourtant, malgré cette souffrance qui nous est donnée à voir, nous ne comprenons pas plus. Qu’est-ce qui a changé, au bout du compte ?

L’horreur

Le corps est un journal intime où se lisent les événements des derniers jours de la vie. La raideur de certains muscles dit l’extrême privation d’eau. La faible présence de chair dans la cage thoracique témoigne de l’absence de nourriture pendant de longues périodes. Les lésions sont les signes visibles d’une grande violence subie, dans les prisons libyenne comme sur le bateau. Pendant la traversée, certains sont tués à coups de bâton devant les autres pour que ceux-ci comprennent que protester, où demander de l’eau est puni par la mort immédiate. Généralement, les corps sont jetés à la mer. Il arrive aussi que ceux qui ose se plaindre des conditions du voyage soient lancés vivants dans les vagues.

Édition du seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un roman déjanté comme je les aime … presque. Cuné chez qui je l’avais noté a moins de réserves que moi. Il y a, en effet, un aspect que j’ai toujours du mal à accepter : la dérision des meurtres et ici d’un tueur en série. C’est ce qui lui a fait rater une étoile sur Luocine , mais que les amateurs de cet esprit de dérision se précipitent car dans le genre c’est très bien raconté. C’est drôle et c’est une très bonne satyre des comportements des humains d’aujourd’hui. La famille belge qui arrive dans un camping avec la radio à fond qui dérange tout le monde avec la plus grande désinvolture est à mourir de rire. Le personnage principal à qui nous devons cette histoire est un gigolo Dino Scala, il vit au crochet de Lucienne une femme de vingt ans son aînée immensément riche. Seulement, malheureusement pour lui, il y a aussi la belle mère Macha qui n’aime pas du tout Dino. Celui-ci doit fuir le Luxembourg paradis des millionnaires et de Dino et Lucienne après avoir été quelque peu violent avec un banquier. La description du Luxembourg fait partie des morceaux de bravoure de ce roman. Il arrive dans un camping de la côte d’Azur et rencontre un écrivain qui pour des raisons personnelles veut connaître le peuple d’en bas. Charles Desservy et Dino font un couple improbable lié par un secret qui les conduira très loin et au passage vous fera beaucoup sourire avec ce qui pour moi est une limite que l’on peut pour rendre la vie encore plus agréable se séparer en les assassinant des empêcheurs de tourner en rond.

 

Citations

Les vieux

Les vieux sont sympathique , en général . Même ceux qui , plus jeunes, étaient des crevures. On ne peut d’ailleurs jamais savoir comment ils étaient, avant , car ils finissent tous en mode « friendly » . Étant donné qu’il n’y a pas neuf humains dur dix de bienveillants, on peut en déduire que nos chers aînés s’assagissent avec l’âge. D’une certaine façon ce sont des faussaires, des fourbes, à l’image de tous ces dignitaires qui ont terminé leur vie en Argentine et qui s’appelaient Muller. Après avoir bien pourri leur monde, ils se détendent. La raison en est simple : ils se retrouvent en position de faiblesse. Fini l’autorité, fini les décisions et fini le permis de conduire, tiens, plus rien, tu demandes à ta fille pour aller pisser et t’es bien content qu’on te sorte à Noël. La peau comme du carton mouillé, le ventre gonflé, les pommettes tout en bas, les cheveux violets des femmes et le pue-de-la-bouche des hommes. Un naufrage.
La seule arme qui leur reste pour se défendre, c’est la gentillesse. Ils deviennent adorables pour qu’on les préserve et qu’on ne les pique pas.

Humour

J’étais présentement assis dans une berline de luxe, attendant que la porte du garage achève de se lever, dans le silence capitaliste de Kirchberg, ce quartier si paisible de Luxembourg. Ici, les Porsche et autres Maserati vieillissaient comme leurs propriétaires, jamais à plus de 70 km à l’heure.

Le Luxembourg

J’ai pris les courses dans le coffre et je les ai mises dans le monte-charge. Parce que ici, on ne monte pas ses courses. Ce sont les gens qui montent leurs courses et au Luxembourg, On n’est pas des gens, on est des Luxembourgeois.

Portraits

J’imaginais très bien quel genre de fille cela pouvait être. De bonnes intentions et de l’altruisme. Elles trouvent que l’Inde est un pays extra et le Pérou l’avenir de l’humanité. Plus tard, elle rouleront dans une voiture hybride à quarante mille euros et elles dormiront dans des draps de chanvre. Elles mangent des graines et boivent du jus de pomme artisanal diarrhéique , font des Nouvel An tofu-tisane et partent à l’autre bout du monde pour enseigner l’anglais a des animaux malades.

Des regrets de n’avoir pas fait d’études

Et pourquoi je n’ai pas fait des études, tiens ? Pour devenir, je ne sais pas moi, médecin ? Tout le monde peut le faire, médecin, c’est qu’un boucher avec beaucoup de mémoire, un médecin.

Le Luxembourg

Le site le plus visité du Luxembourg ce n’est ni le Palais-Royal, ni le Musée d’Art Contemporain, ni rien de ce à quoi on pourrait s’attendre. Le site le plus visité du Luxembourg est l’aire d’autoroute de Berchem. On y trouve ce que ce pays a de mieux à offrir aux frontaliers et aux Européens de passage, de l’essence et des clopes moins cher qu’ailleurs. Cette station service Shell, démesurée par sa taille et par le nombre de cartouches de cigarettes vendues, qui compte un McDonald’s et un café Starbucks, contient en elle-même toute la quintessence du Luxembourg. Elle est la parfaite métaphore du Grand-Duché, un pays où on ne fait que passer et où l’on ne vient que pour l’argent. Une banque, quoi, avec le petit plus d’une décoration sympa, la famille royale.

La différence de classe

Charles et moi avons gentiment entrepris de préparer notre soirée, sur sa terrasse à lui. Dans l’effet, je me suis retrouvé avec le couteau à huître dans les mains et Charles avec une coupe de champagne. Le colon et son bougnoule. Avec lui les bulles, moi les doigts massacrer. Les huîtres, allez, au boulot.

La famille belge tatouée

La famille avait un point commun : les tatouages. Ils évoluaient en portant sur eux les autocollants de frigo de leurs convictions, des messages si obscurs qu’ils devaient certainement passer des heures à expliquer le sens des c’est Post-it qu’ils se trimbalaient. Genre leur prénom traduit en dialecte inca. Et comment on dit Kevin en Maya, hein ? Et Cindy, en aztèque ? J’imaginais qu’ils devaient aussi avoir des slogans quelque part, sur un quelconque tibia, sur un bout de fesse. Un cri de ralliement de la contre-culture d’il y a trente ans. D’où j’étais, je pouvais reconnaître sur l’épaule de la mère, une mésange. Enfin ce qui avait dû être une mésange, à l’époque, ressemblait maintenant davantage à un chapon.

Chez Albin Michel

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis partie, grâce au talent d’Antonin Varennes, dans le Paris de 1900, complètement chamboulé par l’exposition universelle, j’ai suivi la jeune et belle Aileen Bowman correspondante de presse d’un journal new-yorkais. Elle a imposé à son rédacteur en chef son séjour à Paris. Elle nous permet de découvrir cette ville courue par les artistes, ce qui va du classicisme absolu tant vanté par Royal Cortissoz, le critique d’art à qui le gouvernement américain a confié le choix des tableaux, par exemple celui qui lui plait le plus et dont il dit :

Puissante, avait déclaré le critique . Simple et fort. Équilibré. Parlant d’elle-même. Il y a chez cette bête la force tranquille et la persévérance des travailleurs américains de la terre.

Aillen a tendance à n’y voir qu’un taureau dans un étable et préfère les nus de Julius Stewart qui lui fera découvrir le Paris des artistes (Picasso y faisait ses débuts), l’auteur nous fait vivre dans le détail l’élaboration des tableaux de cet artiste mi-américain mi-français (comme elle)

 

 

Nous suivons aussi la construction de l’exposition universelle qui fait de Paris un village de décors et où on invite les populations indigènes à se donner en spectacle. C’est là, la première raison de la venue à Paris d’Ailleen , elle veut retrouver son demi-frère Joseph jeune métis mi-indien mi -blanc qui est devenu fou à cause de ce partage en lui de civilisations trop antinomiques, il fait partie du spectacle que les indiens donnent à Paris mais il n’est que souffrance et apporte le malheur partout où il passe ; encore que… la fin du roman donne peut être un autre éclairage à ses actes terribles..

On suit aussi l’énorme enthousiasme qu’apporte la révolution industrielle ; le progrès est alors un Dieu qui doit faire le bonheur des hommes, c’est ce que pensent en tout cas aussi Rudolf Diesel qui expose son moteur révolutionnaire, et Fulgence Bienvenüe, qui construit le métro avec un ingénieur Charles Huet marié à une si jolie femme.
Enfin le dernier fil, c’est le combat des femmes pour pouvoir exister en dehors du mariage et de la procréation et en cela Aileen aussi, est une très bonne guide.
On suit tout cela et on savoure les récits foisonnants d’une autre époque, la belle dit-on souvent, certainement parce qu’elle était pleine d’espoirs qui se sont fracassés sur les tranchées de la guerre 14/18.

 

 

Citations

Conseils de son père

Arthur lui donnait des conseils sur la façon d’affronter le monde : savoir se taire, garder sa poudre au sec, être toujours prête. Et peut-être aussi être belle. À la façon dont Arthur Bowman appréciait la beauté : quand elle naissait d’une harmonie entre un objet et son utilité, une personne et la place qu’elle occupait dans le monde.

Réflexion sur le passé

La maîtrise du temps, l’instruction, est aux mains des puissants. Les peuples, occupés à survivre, n’en possèdent pas assez pour le capitaliser, le faire jouer en leur faveur. Ils empilent seulement les pierres des bâtiments qui leur survivront.

Propos prêtés à Rudolf Diesel vainqueur du grand prix de l’exposition universelle

Vous ne croyez pas, comme Saint-Simon, que les ingénieurs seront les grands hommes de ce nouveau siècle ? Que la technologie apportera la paix et la prospérité ?
 Il lui fallut encore un peu de silence pour trouver ces mots, ou le courage de répondre.
– Je suis un pacifiste, madame Bowman , mais je sais que ce ne sont pas les ouvriers ni la masse des pauvres qui lancent les nations dans des guerres. Il faut avoir le pouvoir des politiciens pour le faire. Et politiciens ne se lanceraient pas dans des conflits armés s’ils n’avaient pas le soutien des scientifiques, qui garantissent les chances de victoire grâce à leurs découvertes et leurs inventions. Non je ne partage pas l’optimisme du comte de Saint-Simon.

Réflexion sur la bourgeoisie et la noblesse en 1900

Les bourgeois comme les Cornic et mes parents sont convaincus que la bonne éducation de leurs enfants est leur meilleure défense contre les préjugés dont ils sont victimes. Ils se trompent.Les aristocrates, dont les privilèges sont l’héritage du sang, ne méprisent rien tant que l’éducation.

 

Édition livre de poche Folio

J’avais noté le nom de cette auteure à propos d’un autre livre « J’irai danser si je veux » chez Cuné d’abord, puis chez Aifelle. Voilà une tentation que je ne regrette absolument pas et je vais certainement lire les autres romans de Marie-Renée Lavoie. J’ai commencé par son enfance, car ce livre est paru en poche et que les deux amies blogueuses en disaient du bien. Je vous le recommande sans aucune réserve. J’ai beaucoup ri et souvent retenu mes larmes. J’étais rarement à l’unisson avec Joe-Hélène qui pleure comme une madeleine lorsque son héroïne Oscar du dessin animé qui va enchanter toute son enfance, mourra dans un dernier combat pendant la révolution française. Au contraire quand Joe-Hélène reste digne en nous racontant les souffrances ordinaires des habitants de son quartier, je me suis sentie très émue, les portraits de ces vieux sortis de l’asile qui ont tout perdu sont presque tragiques, même s’ils sont « ordinaires » pour la petite fille qui a toujours vécu parmi eux. « Le vieux » Roger qui veille sur elle à sa façon lui sera d’un précieux secours lors d’une agression où le courage et la beauté de l’enfance ont failli se flétrir définitivement sur un trottoir. La galerie de portraits des habitants du quartiers est inoubliable, cela va de la famille des obèses, à ceux confits en religion, et ce Roger (c’est lui « le vieux ») qui ne dévoilera jamais son secret à la petite fille pour qui il a tant de tendresse, et qui jure dès qu’il ouvre la bouche. J’ai encore oublié ce détail, la langue ! Le québécois a pour moi des charmes qui me forcent à sourire et les « Ostie » « Jériboire » « Face de Bine » « Calvaire » « Crisse » »En Maudit » chantent dans ma tête. J’ai toujours eu des coups de cœur pour les livres qui savent raconter l’enfance. Ce n’est pas si facile : il faut, à la fois, retrouver la naïveté de cet âge-là et en même temps faire comprendre à l’adulte lecteur la réalité du monde dans lequel vivait cette enfant. Joe-Hélène est une petite fille d’un courage incroyable et si elle se trouve bien banale à côté de son modèle « Oscar » jeune fille déguisée en soldat pour servir Marie-Antoinette, elle va faire l’admiration de tous ceux qui, enfants, qui n’ont jamais eu à se lever deux heures avant tout le monde pour distribuer des journaux, afin de gagner quelques sous pour aider la famille. Sa famille est tenue de main de maître par une mère courage. Tout aurait pu se passer à peu près normalement si son père, enseignant, ne trouvait pas dans l’alcool et le tabac des compensations naturelles à un métier où il souffre de ne pas pouvoir imposer son autorité. D’ailleurs de l’autorité, il n’en a pas, il est seulement gentil et profondément humain. Sa femme heureusement tient la famille et grâce à elle cette bande de cinq petites va sans doute s’en sortir. Oui, ils n’ont n’a eu que des filles ! mais quand on voit le portrait des hommes dans ce roman , on se dit que c’est mieux d’être une fille, elles ont plus de courage et sont moins portées sur l’alcool.

Citations

Portrait des voisins

L’énorme fille unique de nos voisins portait, à seize ans à peine, une petite centaine de kilos, une permanente bouclée serrée et une humeur adaptée à sa condition de victime injustement traitée par des légions de médecins incompétents qui osaient prétendre qu’elle était responsable, en grande partie, de son sort. Gargantua Simard, son père, cardiaque de profession, toujours vêtu d’un maillot de corps jauni au travers duquel perçaient des mamelons dont la texture et le mouvement imitaient la pâte à gâteau pas cuite, promenait sont imposantes panse sur le balcon en maudissant à peu près tout. La pauvre mère, la sainte femme, faisait des ménages en plus d’assumer à elle seule toutes les tâches de la maison. Comme elle se mouvait presque normalement, quand ses tâches le lui permettaient, c’est sur elle qu’ils déversaient leur fiel bien macéré. Plus on s’en prenait à elle, plus elle souriait. Elle opérait comme une photosynthèse de l’humeur qui rendait l’atmosphère à peu près respirable. Les deux ventrus – jambus, fessus, doublementonus, têtus- avaient des visages de plâtre plantés sur décor de gargouilles obèses, et jamais l’idée de se rendre sympathique ne leur était passée par la tête.

Deux expériences à ne pas tenter

Je n’avais pas peur de ma mère, je savais seulement qu’il n’était pas possible de tailler, ne serait-ce qu’une toute petite brèche, dans son imprenable personnage. Pas la peine de se plaindre, de pleurnicher, d’argumenter, de se monter un plaidoyer. Insister ne pouvait que condamner à une abdication des plus humiliantes. Je le savais pour m’être quelquefois frottée à son opiniâtreté. Chercher à gagner sur cette femme relevait de la même témérimbécilité que de se coller- avec la même intention de voir ce que ça fait vraiment- la langue sur une rampe de fer forgé bien glacé. Mais bon, j’avais mis un certain temps à le comprendre. Dans les deux cas.

La mort et les jeunes

 Je comprenais ça parce que j’étais à l’âge où la mort n’avait encore aucune prise sur moi. Je n’allais jamais mourir , moi , je n’avais même pas dix ans . Et, à cet âge-là, on accepte d’emblée que les vieux doivent mourir, ça semble même dans l’ordre des choses. Après, le temps coule et ça se complique parce que ça se met à nous concerner. C’est là qu’on a besoin de concepts philosophiques dérangeants, comme celui de l’absurdité, ou d’abstractions humanoïdes réconfortantes, comme la plupart des Dieux.

L’adolescence

De toute façon, les crises d’adolescence ne sont pas à la portée de tous : ça prend avec les parents qui ont de l’énergie pour tenter de discuter, s’énerver, crier et faire des scènes ou encore pour lire des bouquins de psychologie de comptoir et traîner les jeunes ingrats chez des spécialistes. Aucun adolescent ne prend la peine de se farcir une crise sérieuse sans avoir la conviction de susciter la colère d’au moins un petit quelqu’un en bout de ligne. Tous ces petits arrogants en mal de vivre, qui se faisaient les dents sur le dos des professeurs un peu mou, comme mon père, avant de jouer leur grand « Fuck the world » à leurs parents pas payés cette fois pour les endurer, usaient mon père prématurément.

L’obésité et la télécommande

L’emplacement qu’avait choisi mon père était le seul que la télécommande occuperait jamais : sur le téléviseur. Même si le raisonnement qui justifiait cette règle relevait d’un syllogisme des plus fallacieux ( Badaboum utilisait toujours à distance la télécommande, or Badaboum est obèse, donc les télécommandes rendent obèse), le caractère imposant du contre-exemple qu’elle représentait suffisait à nous convaincre de son bien-fondé. L’énormité de l’argument permettait à mon père de faire de petites entorses au sens commun.

Découvertes qui font grandir

Plus jeune, j’avais fait quelques découvertes qui m’avaient arraché un bout de naïveté, mais jamais rien d’aussi grave. Durant l’année de mes six ans, par exemple, j’avais dans la même semaine découvert tous les cadeaux du Père Noël entassés au fond du congélateur désaffecté et le petit Jésus, pas encore né, dans la boîte à fusibles placée dans l’armoire au-dessus du sèche-linge. Ça faisait tout un tas de croyances qui tombaient d’un coup. Mais la peine alors ressentie avait rapidement laissé place au bonheur de partager tous ces secrets avec mes parents qui tenaient à ce qu’on soit complices pour que mes petite sœur bénéficient du droit sacré de croire à n’importe quoi. Ce n’était au fond qu’une autre forme du même jeu. Seule l’image de mes parents, que je suspecterai désormais de tout, c’était trouver altérée par ce mensonge pieux

Le feuilleton télévisé qui a rythmé sa vie d’enfant

Et puis, je suis morte dans l’épisode suivant celui de la mort d’André. Un vendredi soir, à 16h17, sur Canal Famille. Les morts télévisuels sont toujours précis, comme les naissances de la réalité. Ça m’a semblé tout naturel, même si j’avais secrètement souhaité quelques grandes scènes encore pour pouvoir engranger dans ma mémoire des hauts faits d’armes de dernière minute. Pour ma postérité. Mais voilà, comme tous les destins étaient liés, Oscar ne devait pas survivre longtemps à la mort d’André, de son beau cheval blanc et de la vieille France. L’effet domino.

Les toilettes uniques dans une famille nombreuse

Je me suis réfugiée dans la salle de bain, le seul endroit où il était possible d’échapper aux poursuites de la bienveillance familiale. Assis sur le carrelage gelé,me suis pleuré pendant des heures.
Et comme il n’y avait toujours qu’un seul WC dans l’appartement, il s’est passé peu de temps avant qu’on ne se mette à piétiner devant la porte. Les plus grands drames de l’histoire n’ont jamais eu d’emprise sur les plus petits besoins de l’homme. Ça contrecarrait un peu mes plans, je voulais mourir là, par terre, misérable, seul, au moins jusqu’au dîner.

Édition Sonatine. Traduit de l’anglais par Julie Sibony 

Tout est faux dans cet excellent roman , même ma classification. Non ce n’est pas tout à fait un roman policier, non Saint-Louis dans le Haut Rhin n’est pas la ville de province sinistre que le personnage Manfred Baumann se plaît à nous décrire, non, la préface que j’ai lue -sans rien trop la comprendre au début- ne dit pas la vérité sur l’auteur sauf sans doute cette citation de Georges Simenon dont je n’ai pas eu le temps de vérifier l’authenticité

tout est vrai sans que rien ne soit exact.

Je ne peux tout vous dire sur ce roman incroyablement bien ficelé sauf qu’on y boit beaucoup -et pas que de l’eau-, qu’il décrit avec beaucoup de talent les ambiances des habitués dans les bars restaurants de province et que vous connaîtrez petit à petit Manfred Baumann, cet homme torturé et enfermé dans des habitudes qui lui servent de règles de vie. Le coiffeur et d’autres habitués fréquentent régulièrement le café restaurant « La cloche » ici tout le monde connaît, Baumann comme directeur de l’agence bancaire sans rien savoir de lui.

 

Le policier l’inspecteur Gorski, a un point commun avec Manfred Bauman, mais comme ce point n’est dévoilé qu’à la fin, je ne peux pas vous en parler sans divulgâcher l’intrigue. Les deux personnages n’ont rien de remarquables sinon qu’ils sont tous les deux issus de cette petite ville et qu’ils ont peu d’illusion sur l’humanité. Le policier a plus de cartes dans sa manche et surtout une fille Clémence qui lui donne le sourire, pour sa femme, qui appartient au milieu chic de Saint-Louis c’est plus compliqué et ce n’est pas certain que son mariage tienne très longtemps. Manfred, lui aussi, vient des quartiers chics mais il a été orphelin très jeune et a été élevé par un grand père qui ne l’aimait guère. Les femmes sont un gros problème pour lui, et il est heureux dans son café en « reluquant » le décolleté d’Adèle Bedeau, celle qui disparaît . Il s’enfonce dans un mensonge qui fera de lui un coupable possible et les bonnes langues du café ne vont pas tarder à se délier. C’est un roman d’ambiance où chaque personnage est décrit dans toute sa complexité, où la vie de cette petite ville nous devient familière, mais dans ce qu’elle a de sombre et d’ennuyeux, c’est sans doute ce qu’on peut reprocher au roman, je suis certaine que l’on peut être joyeux et insouciant à Saint Louis dans le Haut Rhin. Pour conclure c’est un livre que je recommande chaudement (malgré l’ennui qu’a ressenti Gambadou) à tous les amateurs de romans policiers, et à tous ceux qui n’apprécient pas ce genre ; je ne suis donc pas étonnée qu’il ait reçu un coup de cœur à notre club de lecture.

 

Citations

Propos masculin

 Petit et Cloutier, bien que tous deux mariés, parlaient rarement de leur épouse et, quand ils le faisaient, c’était toujours dans les mêmes termes péjoratif. Lemerre, lui, n’avait jamais pris femme. Il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il était « contre le fait d’avoir des animaux à la maison ».

Le décor

Bref, les gens de Saint-Louis sont exactement comme les gens d’ailleurs, que ce soit dans les petites villes tout aussi ternes ou nettement plus clinquantes.
 Et comme les habitants de n’importe quel autre endroit, ceux de Saint-Louis ont une certaine fierté chauvine de leur commune, tout en étant conscient de sa médiocrité. Certains rêvent d’évasion, où vivent avec le regret de n’être pas partis quand ils en avaient l’occasion. Mais la majorité vaquent à leurs affaires sans prêter grande attention à leur environnement.

le Policier

Ce qui l’ intéressait n’était pas tant dans le fait que quelqu’un mente que la façon dont il le faisait . Souvent , les gens allumaient une cigarette ou s’absorbaient un peu brusquement dans une activité sans aucun rapport avec le sujet . Ils n’arrivaient plus à soutenir son regard . Des femmes se tripotaient les cheveux . Les hommes , leur barbe ou leur moustache .

Édition Stock

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce roman raconte une histoire qui touche et bouleverse trois générations de femmes, liées entre elles par des tragédies qui ont eu comme cadre un village de province écrasé de soleil, et en particulier un ruisseau dans lequel elles peuvent se baigner(contrairement au ruisselet de ma photo). L’héroïne, Billie une jeune femme de trente ans, artiste peintre, doit revenir dans cet endroit qu’elle a fui pour enterrer sa mère, qui vivait dans un EHPAD spécialisé pour les personnes atteintes d’Alzheimer. Celle-ci a été retrouvée noyée dans le ruisseau qui arrose le village. La violence avec laquelle Billie reçoit cette nouvelle nous fait comprendre à quel point ce passé est très lourd pour elle. Une phrase rythme le roman : « les monstres engendrent-elles des monstres ? » . 

Il faudra trois cents pages du roman pour que tous les fils qui lient cette jeune femme à cette terrible hérédité de malheurs se dénouent complètement. Et heureusement aussi, pour qu’elle parvienne à se pardonner et à repousser l’homme qui la respectait si peu.

L’ambiance oppressante dans laquelle se débat Billie rend ce récit captivant, on se demande comment elle peut se sortir de tant de malédictions qui sont toutes plausibles. C’est très bien écrit, Caroline Caugant a ce talent particulier de nous entraîner dans son univers et de savoir diffuser une tension qui ne se relâche qu’à la fin. Ce n’est pas un happy-end mais un renouveau et sans doute, pour cette jeune femme la possibilité de se construire en se détachant de tous les liens qui voulaient la faire couler au fond de la rivière maudite.

 

 

Citations

L’EHPAD

Aux Oliviers le temps était comme arrêté. Il n’y avait que la prise des médicaments qui compartimentait les journées. À heure fixe les infirmières arpentaient les couloirs, disparaissaient tour à tour derrière les portes bleues. En dehors de ces légion en blouse blanche, la lenteur régnait. Si on restait trop longtemps dans cet endroit, c’était à ses risques et périls. On pouvait y être avalé , y perdre la notion des heures, s’endormir là pour toujours, comme Louise.

Le temps qui passe

Le temps est censé changer les êtres. Si par hasard on les croiser au détour d’une rue, on ne les reconnaît pas immédiatement. Il nous faut un moment pour retrouver un nom, le lier à une époque, à cause de toutes ces modifications minimes sur la chair, dans la voix, qui s’additionnent et en font des étrangers.
Mais les autres, les rares -ceux que l’on a aimés-, il semble ne jamais vouloir s’éloigner de nous.

 Presque la fin …

Demande-t-on pardon aux morts ? En sentant la vague de chaleur qui l’empli au niveau de la poitrine, elle se dit que oui.
Le calme revient à la surface, les oscillations s’estompent. Seule s’éternise la danse paisible et silencieuse des grands moustiques d’eau.