Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landed.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Beaucoup de charme à ce roman, et surtout une écriture originale. Déjà repéré chez Dasola. Comment avec une certaine légèreté traiter de la période la plus horrible de l’Autriche : 1938 ? C’est étonnant, mais Robert Seethaller y parvient, on y retrouve l’ambiance des valses de Vienne et des pâtisseries crémeuses. Dans ce pays de cartes postales (qui jouent leur rôle dans ce récit) rien de grave ne devait arriver. Oui mais voilà, les Autrichiens sont aussi des antisémites virulents et lorsqu’il règneront en maître sur Vienne, ils n’auront pas besoin de leur cher Führer pour faire laver les trottoirs à de vieux juifs terrorisés sous l’air goguenard de jeunes en uniforme nazi.
Et pendant ce temps, le jeune Frantz Huchel poursuit son initiation à la vie d’homme, en ne comprenant pas grand chose à l’amour. Mais en apprenant beaucoup sur la façon de fabriquer les cigares, et d’écrire dans la presse des articles qu’il faut savoir décoder. Heureusement pour lui, il rencontre le « Docteur des Fous » et le dialogue qu’il noue avec un véritable « Herr Professor Freud » lui permet de comprendre bien des choses même si l’âme d’Anezca est bien difficile à saisir. Ce roman sans concession pour les Autrichiens de l’époque nous balade dans tous les quartiers d’une ville qui a toujours cultivé un certain art de vivre. Du buraliste qui a perdu sa jambe à la guerre 14 en but à la malveillance de son voisin boucher- sans doute parce qu’il sert du tabac tous les clients juifs ou pas- à l’humoriste qui tourne en dérision Adolf Hitler, à la famille Freud qui se terre dans son appartement, au facteur qui voit la police secrète ouvrir le courrier, tout ce monde se met en mouvement devant les yeux de Frantz et nous montre mieux qu’un reportage l’ambiance de Vienne en 1938.
J’ai beaucoup aimé ce retour vers le passé car, autant l’Allemagne cherche à faire un travail très honnête sur son passé, autant d’autres pays (France y compris), comme l’Autriche cherchent à rendre les nazis allemands responsables de toutes les horreurs qui ont été commises sur leur sol. Dans ce bureau de tabac cent pour cent autrichien, avec un auteur à la plume légère nous voyons bien que le grand frère n’a pas eu à faire grand chose pour pousser cette population à exterminer ou chasser tous les juifs et tous ceux qui n’étaient pas d’accord pour voir la croix gammée flotter au dessus des monuments de leur capitale.
Citations
L’arrivée à Vienne en 1937
En dépit de l’évolution confuse de la situation, et de l’avenir politique non moins confus qui allait de pair, les affaires marchaient bien. « Les gens raffolent de cet Hitler et des mauvaises nouvelles, ce qui revient au même, d’ailleurs, remarquait Otto Tresniek, en tout cas, c’est bon pour le commerce des journaux, et comme les gens fument quoi qu’il arrive… ! »
Le goût des autrichiens pour les titres
Il y avait une chose que son apprentissage avait bien vite inculquée à Frantz : de soi – disant professeurs, Vienne en comptait autant que les rives du Danube de petits galets.
Dialogue avec un Freud désabusé
-Et qu’attends-tu de moi, maintenant ?
-Mais vous êtes docteur ! Professeur même !
– Et alors ?
-Vous avez écrit des livres. Beaucoup de livres. Il n’y a rien dedans qui puisse m’aider ?
-Franchement, je ne crois pas.
– Mais alors à quoi ils servent tous ces livres ?
– Ça , je me le demande bien parfois aussi.
Dialogue sur les cigares
– Un cigare de cette qualité n’est pas particulièrement donné.
– C’est parce qu’il est récolté par des hommes courageux sur les rives fertiles du fleuve Juan y Martinez et délicatement roulé à la main par de belles femmes, dit Franz en hochant la tête avec sérieux.
– Encore que, en l’occurrence, je ne me m’explique pas vraiment pourquoi le courage est censé constituer la qualité la plus éminente des cultivateurs cubains, lui opposa Freud.
Initiation du jeune homme naïf
Quand on ne sait rien, on n’a pas de soucis, se disait Franz, mais si c’est difficile et pénible d’acquérir du savoir, c’est encore plus difficile pour ne pas dire impossible, d’oublier ce qu’on sait
Résultat de son initiation
Nous ne venons pas au monde pour trouver des réponses, mais pour poser des questions. On erre à tâtons dans une obscurité pratiquement constante et, avec beaucoup de chance, on voit parfois s’allumer une petite lueur. Et avec beaucoup de courage ou de ténacité ou de sottise ou, mieux les trois en même temps, on parvient à émettre un petit signal par-ci par-là.