Édition Pocket

Le bandeau me promettait une lecture inoubliable et un roman qui a connu un énorme succès. Même « la souris jaune » en avait dit beaucoup de bien, je dis même car il est très rare que je trouve chez elle des livres à grand succès. Je l’avais remarqué chez « Sur mes brizées« . J’ai été beaucoup plus réservée qu’elles deux. Je trouve que la première partie sur la montée du nazisme en Autriche est bien raconté mais je crois que j’ai tellement lu sur ce sujet que je deviens difficile. Il y a un aspect qui a retenu mon attention, c’est à quel point les Autrichiens ont été parfois pires que les Allemands dans le traitement des juifs. Ils n’ont pourtant été que peu jugés après la guerre pour ces faits. On comprend bien la difficulté de s’exiler, même quand l’étau antisémite se resserre, la famille que nous allons suivre a beaucoup de mal à laisser derrière elle leurs parents âgés et ils espèrent toujours au fond d’eux que cette folie va s’arrêter. Quand ils se décideront à partir au tout dernier moment, les frontières se sont refermées et les pays n’accueilleront plus les juifs. Ils passent donc un moment en Suisse dans un camp assez sinistre. Ils iront finalement dans le seul pays qui a accepté de recevoir des juifs : La République Dominicaine. C’est toute l’originalité du destin de ces juifs qui ont été accueillis dans ce pays si loin de leurs traditions autrichiennes. Dans ce gros roman l’auteure décrit avec force détails l’installation de ces intellectuels dans un kibboutz où chacun doit cultiver, élever les animaux, construire une ferme dans le seul pays qui a accepté officiellement d’accueillir jusqu’à la fin de la guerre des juifs chassés de partout. Nous voyons ces Autrichiens ou Allemands tous intellectuels de bons niveaux s’essayer aux tâches agricoles et de faire vivre un kibboutz et ensuite la difficulté de se reconstruire avec des origines marquées par la Shoa . Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas entièrement adhéré à ce roman. Je n’avais qu’une envie le de finir sans jamais m’intéresser vraiment à ces personnages.

 

Citations

 

Beau rapport père fils

Je ne pus retenir un soupir de soulagement : finalement il n’y avait eu ni affrontement ni querelle. Je lus dans les encouragements de mon père une grande ouverture d’esprit et une tolérance que je ne soupçonnais pas. Ses yeux perçants souriaient et je sentis une puissante vague d’amour déferler et m’envelopper tout entier. Je savais quel renoncement et quels regrets c’était pour lui. J’étais fier de mon père. Il m’aimait. Je ne le décevrais pas.

Vienne

Je ne me sentais pas juif, mais simplement et profondément autrichien. J’étais né dans cette ville, comme mon père et ma mère avant moi. C’était mon univers, dans lequel je me sentais en confiance et en sécurité, et qui devait durer éternellement. L’Autriche était ma patrie, et être juif n’avait pas plus d’importance qu’être né brun ou blond. Bien sûr nous étions juifs, mais notre origine ne se manifestait guère plus qu’une fois par an le jour du grand Pardon, quand mon père s’abstenait de fumer ou de se déplacer, plus pour ne pas blesser les autres dans leurs sentiments que par convention conviction religieuse.

Vienne et ses juifs

Malgré les signaux d’alerte qui ne cessaient de se multiplier, nous nous raisonnions : nous étions si nombreux, quelques 180000 rien qu’à Vienne, et tant de juifs occupaient des positions clés dans l’économie et la culture. Nous étions héros de guerre, artistes, scientifiques, universitaires, médecins, notre pays ne pouvait se passer de nous.

 

 

 

Édition Presse de la Cité. Traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin

 

C’est avec « Treize marches » que j’avais découvert cet auteur et malgré la classification thriller de celui-ci et ses 740 pages je m’étais promis de le le lire. Voilà qui est fait mais je ne suis pas certaine de relire de sitôt un thriller ! Les trois coquillages s’expliquent par ma grande difficulté à lire un roman où le ressort essentiel est dans le suspens. Mais si cela ne vous dérange pas, précipitez vous sur cet énorme roman, car dans le genre il doit être bienfait et le côté « science à peine fiction » fonctionne bien. Pour une fois, le point de vue n’est pas américain mais japonais et ça change pas mal de choses. D’abord sur les révélations des pratiques peu glorieuses des services secrets américains. Par exemple : les lieux de tortures et d’assassinats des personnes soupçonnées de terrorisme, pour respecter les règles du droit américain ces prisons sont dans des pays étrangers. Le plus grand scandale c’est certainement la guerre en Irak qui a laissé cette région complètement dévastée. Un jour où l’autre les États-Unis seront jugés pour avoir déclenché une guerre sous un prétexte qu’elle savait faux. Dans ce roman, il y a quelques personnages positifs des hommes désintéressés qui œuvrent pour le bienfait de l’humanité et qui prennent des risques incroyables pour réussir à créer un médicament qui sauvent des enfants atteints d’une maladie rare, ce sont des scientifiques japonais, et c’est très amusant de voir les rôles habituellement tenus par des américains donnés à de jeunes nippons.
Je dois évoquer le côté science fiction du roman.Un enfants est né dans une tribu pygmée dans la forêt africaine au Congo avec une tête très bizarre mais surtout des capacités cognitives complètement hors normes. Une expédition organisée par la CIA sous la responsabilité directe du président des États-Unis veut absolument liquider cet enfant. Comme tout roman de science-fiction celui-ci repose sur une question intéressante que ferait notre espèce à l’arrivée d’une mutation d’hommes avec des capacités nous dépassant complètement. Dans ce roman tout est mis en œuvre pour la détruire et cela permet de décrire tous les plus mauvais côtés de la puissance américaine, relayée par les pires instincts de violence des humains plongés dans les guerres tribales. Les violences dans les villages africains sont à peine soutenables et hélas elles ne sont pas loin de la vérité. Bref, 750 pages de tensions et d’horreurs de toutes sortes, ce n’est vraiment pas pour moi. Mais je suis quand même contente de l’avoir lu car je trouve que cet auteur pose de bonnes questions, et n’hésite pas à décrire ce qui d’habitude est soigneusement dissimulé. Après la peine de mort du Japon, (dans treize marches) voici les pratiques de la CIA américaine, l’humanité est vraiment loin d’être un havre de paix !

 

Citations

 

Le personnage principal japonais.

Kento n’avait pas décidé de continuer en doctorat parce que le monde de la recherche l’attirait, mais parce qu’il n’avait plus se résoudre à rentrer dans celui du travail. Au contraire, depuis son premier jour à l’université, Kento ne s’était jamais senti à sa place, comme s’il s’était trompé de voie. Il n’avait pas éprouvé une once d’intérêt pour la pharmacie ou la synthèse organique. Comme il ne pouvait rien faire d’autre, il s’était résigné à poursuivre, sans plus. Si rien ne changeait, dans vingt ans, il serait devenu un de ces chercheurs ennuyeux ayant trouvé refuge dans une niche, comme son père.

Les rapports amoureux chez les scientifiques (Humour)

On s’approche, on s’éloigne, sans jamais se heurter. Une vraie liaison de van der Waals.
– Ah, le plaignit Doi. Dommage.
– Et toi, tu as quelqu’un ? Il y a une fille mignonne dans mon labo. Avec elle c’est plutôt une liaison métallique. On bouge comme des atomes dans un groupe sans parvenir à se toucher. 
– Ce serait bien si je pouvais avoir une petite liaison covalente…
-Pareil…

Le danger

Le conseiller scientifique avait mesuré avec justesse l’ampleur de la menace biologique née dans la jungle congolaise. Cette menace c’était « le pouvoir » . Ce qu’il fallait craindre, ce n’était ni la force destructrice de la bombe nucléaire ni le potentiel des technologies et des sciences les plus avancées, mais la puissance intellectuelle qui les engendrait.

La guerre des drones

La brusque onde de choc l’assaillit par-derrière transperça tout son corps, la vague de chaleur et le souffle embrasé le firent voler en avant.

Il tomba la tête la première dans un ruisseau, ce qui lui évita de perdre conscience. Il ne récolta que des éraflures au visage. L’explosion l’avait rendu sourd, il se tapota les côtés du crâne pour tenter de retrouver l’ouîe. Il se releva, se retourna, et là, à cinquante mètres de l’endroit qu’il avait foulé quelques secondes plus tôt, découvrit un gigantesque cratère, bordée d’arbrisseaux aplatis par le souffle.
Yeagger se coucha à plat ventre, dégaina son fusil, sans la moindre idée du point de tir de les nuits. Il leva finalement les yeux, regarda à travers les branches qui recouvraient sa tête, et frémit. L’ennemi était dans le ciel. À six cents mètres d’altitude un Predator, drone de reconnaissance armée, avait lancé un missile antichar Hellfire. Son pilote avait déclenché ses flammes infernales depuis une base de l’armée de l’air situé dans le Nevada : un dispositif de pilotage semblable à une console de jeux lui permettait de manœuvrer cet engin à distance, de l’autre côté du globe.

Ce passage résonne aujourd’hui :

Il y a entraide parce qu’il est lucratif de s’entraider. Un exercice simple : l’aide publique au développement des pays industrialisés n’a d’autre but que de permettre à terme d’investir dans les pays en développement. Tôt ou tard, l’Afrique sera suffisamment développée pour garantir assez de ressources et de consommateurs. Allons plus loin : prenez les traitements médicaux. Dans ce domaine le profit passe avant tout le reste, même dans le développement de traitements contre les maladies graves. Les remèdes aux infections les plus rares ne sont pas développés faute de débouchés assez juteux.

Édition NRF Gallimard. Traduit de l’anglais par Élodie Leplat

J’avais lu des réserves sur ce roman, réserves que je partage, pourtant son premier roman : » Le Chagrin des Vivants » m’avait beaucoup plu, j’étais moins enthousiaste pour « La salle de Bal’ et encore moins pour celui-ci. On suit le destin de trois amies : Hannah qui cherche à avoir un bébé à tout prix, Clare qui se remet difficilement de la naissance de son fils et Mélissa (Lissa) qui veut réussir sa vie d’actrice. Ces trois femmes sont les filles de la génération qui pense avoir libéré la femme des carcans qui avaient tellement pesé sur elles. Libérées ? je ne sais pas si elles le sont mais en tout cas heureuses elles ne le sont pas tellement. Lissa, malgré un succès dans une pièce de Tchekhov, finira par renoncer à sa carrière . Hannah détruira son couple à force de FIV et de traitement hormonaux, et Clare ne sait plus si elle est homosexuelle ou amoureuse encore d’un mari qui fait tout pour l’aider à élever leur fils. L’auteure promène son lectorat dans l’enfance et la jeunesse de ces trois femmes et je lui reconnais un soucis d’honnête très poussé au détriment des effets romanesques trop faciles. Je pense qu’elle cerne bien les personnalités des jeunes femmes à l’heure actuelle , mais c’est loin d’être passionnant. Tout tourne autour de la transmission mère/fille et du désir d’enfant. ( je me suis demandé si l’auteure n’étais pas confrontée à un bébé un peu fatigant quand elle a écrit ce roman). Les difficultés de notre société, et la vie des couples d’aujourd’hui sont très bien rendues, et beaucoup d’entre nous reconnaîtrons leur mère, leur fille, leurs amies. Il n’empêche que cette lecture m’a quelque peu ennuyée et je sais que j’oublierai assez vite ces personnalités sans grand intérêt. Je crois que c’est particulièrement compliqué de rendre compte de la vie « ordinaire » ! ( pas si ordinaire que cela puisque deux d’entre elles sont diplômées d’Oxford !)

 

Citations

 

L’université

C’est là, d’après Lissa, l’enseignement principal de l’Université, comment raconter des conneries avec conviction. Plus la fac est réputée, meilleures sont les conneries.

Droite et gauche en Grande Bretagne

Comparés à ses propres parents, la mère et le père de Cate paraissent jeunes. 
Chez Cate on vote à gauche. Chez Hannah on vote à droite.
 Chez Cate il y a Zola et Updike. Chez Hannah il y a les Reader Digest et l’Encyclopaedia Britannica. 
Le père de Cate fait un métier en rapport avec l’ingénierie. Le père d’Hannah est gardien à l’hôpital Christie.
 Chez Cate il y a de l’huile d’olive. Chez Hannah il y a de la vinaigrette toute prête.

 

 

 

 

Édition le Nouvel Attila. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Roman très atypique et très loin du monde si rapide de notre époque. Il s’appuie sur un autre roman, celui d’Ernest Pérochon, « Nêne » qui a obtenu le prix Goncourt en 1920. (Je vous mets le lien si cet auteur est tombé pour vous comme pour moi dans les oubliettes.) Ce roman, que je n’ai pas lu, raconte la vie d’une servante à la campagne qui consacre sa vie à élever les enfants de son maître et qui oublie de vivre elle-même. Après la guerre 14/18, les femmes qui viennent de vivre quatre ans en prenant toutes les responsabilités de la vie sociale ont du mal à rentrer dans les anciens schémas. Ernest Perochon est visiblement sensible au statut de ces femmes puisque c’est lui aussi qui a écrit « Les Gardiennes » dont a fait un film en 2017 avec Nathalie Baye et Laura Smet. Et c’est bien là, au-delà de l’intrigue, le thème principal du roman qui se situe après la guerre 14/18 qui a tant marqué les hommes mais aussi les femmes. Ce roman permet de croiser des femmes au destin incroyable comme Madeleine Pelletier et Marie Curie dont l’invention des ambulances avec radio ont permis d’énormes progrès pour soigner les soldats blessés à la guerre 14/18.

Ce roman se divise en trois parties. nous sommes d’abord avec le pasteur du village qui tremble d’un amour coupable pour la belle Gabrielle . C’est la partie la plus longue et qui m’a le plus intéréssée , ensuite vient le temps des Femmes et en particulier celui de la sienne Blanche qui souffre de se sentir trop proche de Nêne l’héroïne du roman grâce auquel elle a appris à lire. Même leur fils Jaques ne réussira pas à l’arracher à sa détresse. Enfin le temps du fils qui vivra lui aussi un grand amour .
Je ne peux pas en dire plus sans vous dévoiler la fin mais vous la devinerez dès la première partie Seulement, je sais maintenant que la majorité des blogueurs et des blogueuses ne commencent pas comme moi tous les romans par la fin. Le suspens ne joue pas un grand rôle dans cette histoire, mais en revanche la vie dans une petite ville dans l’entre deux guerres est bien racontée. J’ai beaucoup aimé l’amitié entre les deux hommes : le pasteur et le curé de ce village. Ils ont à eux deux créé, bien avant 1962 et le Concile œcuménique Vatican II, la réunion des gens de bonne foi qu’ils soient protestants ou catholiques. Un roman hors du temps et dans la lenteur de la vie de village mais aussi dans l’histoire de femmes qui ne veulent plus être ni des suivantes, ni des servantes. Et cela est souligné par un style particulier un rien vieillot qui convient bien à cette histoire. Je n’ai pas lu Ernest Pérochon mais je me demande s’il n’écrit pas un peu comme cela. J’ai essayé d’en rendre compte dans les extraits choisis . Si je n’ai pas mis plus de coquillages, c’est que j’ai trouvé que les trois parties étaient de valeur inégale, et surtout ce qui est vraiment dommage l’intérêt allait décroissant. La première partie est très belle et méritait (selon mon goût) cinq coquillages.

 

Citations

Le changement d’époque et le style imagé de l’auteure

 Il s’imaginait avoir un œil ouvert sur le monde mais ce n’était pas le bon, le gauche. Son iris se concentrait sur un ordre des choses tissé dans l’étoffe d’une nature qu’il croyait éternelle, or la fibre est friable et se délite lorsque sous l’habit on se heurte au moine, ce vieux fossile entravant depuis la nuit des temps l’horizon des femmes. Que certaines puissent être lasses de marcher à l’ombre, il n’y avait jamais songé. Que Gabrielle mérite la lumière, c’est une évidence. Adelphe s’en veut. Il s’en veut d’autant plus qu’il n’est pas frileux, plus maintenant qu’il a vécu la guerre, qu’il a vu l’homme dans le plus laid des bourbiers, déchiqueté, les boyaux a l’air, hurlant comme un goret, alors oui, que le monde bouge mais comme il faut cette fois.

Jolie phrase

 Ainsi vont peut-être certains hommes de père en fils sans la clé des femmes, avec l’incertitude pour seule boussole.

Cette auteure aime les images

En réalité ce soir tout en lui est repu, l’heure est la douceur, il n’est pas d’humeur à égratigner quiconque et assure à sa gouvernante que son pot-au-feu est un véritable délice. Elle répond d’un borborygme ponctué d’un sourire mesquin ; une éclaboussure qui le plonge instantanément dans un court-bouillon désenchanté.

Le pasteur et le curé

Le curé est une vieille connaissance qu’il a un peu délaissé cette année . Pourtant c’est un bon compagnon, toujours partant pour la modernité avec qui il a déjà partagé des bières et deux ou trous déconvenues, des espoirs communs qui n’avaient pas trouvé preneur

 

Édition Jacqueline Chambon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Un livre d’apparence légère mais qui exhale aussi un parfum de tristesse : Arthur Mineur essaie de se remettre d’une rupture amoureuse en faisant le tour des invitations pour écrivains à travers le monde. Nous suivons donc la tristesse d’un homme amoureux américain qui est souvent maladroit et fait de mauvais choix. Arthur Mineur se raconte lui-même de façon très drôle à l’image de son apprentissage de la langue allemande et la joie d’être,enfin, dans un pays dont l’auteur parle la langue – du moins le croit-il- ses propos se terminent ainsi :

Toujours est-il que Mineur arrive à Berlin et se rend en taxi jusqu’à son appartement provisoire à Wilmerdorf en se jurant de ne pas parler un seul mot d’anglais durant son séjour. Bien sûr, le vrai défi est de parler un mot d’allemand.
Il s’amuse beaucoup et nous fait sourire à propos de toutes ses approximations dans la langue de Goethe, il n’hésite jamais à souligner le ridicule dans lesquelles ses différentes maladresses le mettent souvent. Comme l’image de la couverture  : sa carte magnétique n’ouvrant plus la porte de son appartement, il entreprend de passer par le balcon ! Il scrute avec précision la moindre de ses réactions en particulier sur sa place en tant qu’écrivain. Est-il un écrivain important ? Il n’en est absolument pas certain, d’autant qu’il a vécu pendant longtemps avec un génie de la poésie américaine et qu’il sait bien que lui n’est pas un génie. Et puis il y a cette barre des cinquante ans qu’il doit franchir pendant son périple, on voit alors le problème du vieillissement pour un homme dont la jeunesse a été le principal atout de séduction. La lecture est rendue plus difficile par le changement de narrateur, sans prévenir le lecteur on ne sait jamais si c’est Arthur d’aujourd’hui qui prend la parole ou Mineur l’écrivain connu pour un premier roman et à qui a-t-il donné la parole au dernier chapitre ? je ne peux vous le dire sans dévoiler la fin. Je ne suis pas enthousiaste à propos de ce roman et contrairement aux lectrices du club, je n’aurais certainement pas mis de coup de cœur mais c’est un roman original très agréable à lire.

Citations

Humour

Mineur n’est pas vraiment connu en tant que professeur, de même que Melville ne l’était pas vraiment en tant qu’un inspecteur des douanes. Et pourtant, les deux hommes occupent respectivement ces fonctions.

Un hommage à la traductrice

Mineur se met à imaginer (tandis que le maire marmonne toujours son discours en italien) qu’on a mal traduit, où – comment dire ?- qu’on a comme « super-traduit » son roman, confié à un poète de génie méconnue (elle s’appelle Giulliana Monti), qui a réussi à faire de son pauvres anglais un italien stupéfiant. Son livre a été ignoré en Amérique, on en a à peine rendu compte, sans qu’un seul journaliste ait demandé à l’interviewer (son attaché de presse lui a dit : « L’automne est une mauvaise période »). Mais ici, en Italie, il se rend compte qu’on le prend au sérieux. Et en automne, de surcroît. Pas plus tard que ce matin, on lui a montré des articles de la « Républica », du « Corriere della Serra », de journaux locaux et de revues catholiques, avec des photos de lui dans son costume bleu, fixant l’appareil du même regard bleu saphir, naturel et inquiet, qu’il avait lancé à Robert sur cette plage. Mais la photo devrait être celle de Giuliana Monti, c’est elle, en fait, qui a écrit ce livre .

L’humour et la sexualité

Mais leurs rapports sexuels n’était pas idéaux : Howard était trop directif.  » Pince-moi là ; oui c’est ça ! Maintenant, touche-moi là ; non, plus haut ; mais non, plus haut ! Non, plus haut, je te dis. » Mineur avait presque l’impression de passer une audition pour une comédie musicale.

Je vois bien la scène

Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage marron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mouvements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe.

Édition les allusifs . Traduit du polonais par l’auteure relu par Martin Gipet

 

Je dois cette lecture à Aifelle et je suis ravie d’avoir découvert cette auteure. On a tiré une pièce de théâtre de ce petit livre et je pense que la pièce devait être plus passionnante que le livre. J’ai trouvé le texte trop court et il manque de la profondeur à chacun des personnages c’est plutôt un synopsis qu’un roman ou qu’une nouvelle. Voici donc le sujet : une femme, enfant cachée de la guerre découvre que la meilleure amie de sa mère morte à Birkenau lui a volé son manuscrit . Elle est devenue riche et célèbre. L’enfant de la femme juive, ne veut qu’une chose se venger et elle est complètement habitée par cette vengeance. En moins de 60 pages, l’auteure donne une idée des protagonistes de ce drame qui s’avance inexorablement vers une fin tragique , sauf que … la fin en forme d’épilogue et de carte postal enlève (maladroitement selon moi !) le tragique de l’histoire.

Citation

Épeler son nom

Voulez-vous savoir comment je m’appelle ? Voilà une question préliminaire qui m’horripile ! J’aimerais vous répondre Marie Smith ou Stanislawa Gorka ou Rachel Néguev. En faisant un effort, je vous dirai mon vrai nom, Irena Golebiowska. Si vous n’êtes pas slave, et cependant honnête et bien intentionné, vous allez aussitôt me demander d’épeler ce nom barbare. Et cela va m’irriter. On ne me demandait jamais cela en Pologne. C’est à des détails comme celui-ci qu’on s’aperçoit qu’on est en exil. Après toutes ces années, de telles requêtes provoquent toujours chez moi une réaction presque paranoïaque.
(PS : pour habiter la France je sais qu’il n’y a pas besoin d’être étranger pour épeler son nom les Lozac’h bretons en savent quelque chose)

Édition Pocket 

Je dois à Dominique cette lecture qui n’a pas été simple pour moi. Il faut dire que « le théorème de l’incomplétude » même expliqué par le génial Kurt Gödel, je dois m’accrocher aux branches pour seulement imaginer que j’effleure le début d’une compréhension.

Ce qui tombe bien, c’est que ces brillantissimes découvertes, nous sont expliquées par Madame Gödel, qui pour toute formation a étudié la danse de cabaret à Vienne à la belle époque. Elle, comme moi, nous avons quelques difficultés à suivre les discussions entre Kurt, Albert (Einstein), Robert (Oppenheimer), Wolgang (Pauli), et la bataille autour de la physique quantique me laisse sur le côté de la route. Adèle Gödel a sacrifié sa vie pour que son génial mari ne meure pas trop jeune d’anorexie ou de dépression gravissime. Car les mathématiques du côté des génies cela ne réussit pas à tout le monde. On ressort de ce roman avec quelques interrogations, sont-ils tous, ces médaillés Fields, géniaux en mathématiques parce que fous, ou le deviennent-ils à cause des mathématiques ? En tout cas Kurt Gödel mourra de faim dès que sa femme sera hospitalisée car elle seule arrivait à le nourrir parfois à la petite cuillère !

J’ai plus de réserves que Dominique à propos de ce roman, car je n’ai pas aimé le mélange des deux temps de la narration. Autant la vie d’Adèle et de Kurt Gödel m’a beaucoup intéressée, autant celle d’Anna Roth la documentaliste chargée de récupérer les documents de Kurt Gödel auprès de sa veuve ne m’a pas du tout passionnée. Le parallèle entre ces deux destins de femme m’a même fortement agacée . L’une a compris que son mari était un génie et a sacrifié sa vie pour lui permettre d’exprimer toute sa pensée. L’autre est coincée dans une vie trop confortable et a du mal à trouver un homme avec qui elle aimerait faire l’amour.

Mais ce n’est pas le plus important loin de là, on vit au plus près des gens qui ont à la fois souffert du nazisme et du McCarthysme, on suit l’évolution intellectuelle des ces années auprès des gens les plus brillants à Princeton et on comprend tellement les frustrations d’Adèle qui aimait Kurt pas seulement pour ces théorèmes ! Ils sont enterrés ensemble à Princeton et cette femme par amour, son courage et sa ténacité mérite bien la célébrité que Yannick Grannec lui a donné à travers ce roman. Je sais depuis qu’Aifelle a laissé un commentaire sur mon blog qu’elle avait également recommandé cette lecture même si elle trouvait quelques longueurs (je suppose que comme moi elle n’est pas trop à l’aise avec le théorème de la complétude ni avec son corollaire !) .

 

Citations

Humour

Pour moi, la religion était un souvenir de famille vouer à prendre la poussière sur la cheminée. En ce temps-là, on entendait tout au plus cette prière dans la loge des danseuses. « Marie, vous qui l’avez eu sans le faire, faites que je le fasse sans l’avoir. » On avait toutes peur de se faire refiler un locataire, moi la première. Beaucoup finissaient dans l’arrière-cuisine de la mère Dora, une vieille tricoteuse.

Une blague juive.

Un psychiatre, c’est un Juif qui aurait voulu être médecin pour faire plaisir à sa mère mais qui s’évanouit à la vue du sang.

Le couple des parents d’Anna Roth.

Georges, doctorant bien peigné, avait rencontré Rachel, dernière pousse d’un arbre généalogique cossu, à la réception des nouveaux étudiants en histoire à Princeton. La jeune fille frissonnait, il lui avait prêté son gilet. Elle avait été impressionnée par sa décapotable et son accent bostonien. Il avait admiré son corps de déesse hollywoodienne et sa détermination encore raisonnable. Il lui avait téléphoné le lendemain. Elle lui avait présenté sa famille. Ils s’étaient mariés, avaient appris à haïr leurs différences après les avoir aimées, s’étaient trahis pour le sport, puis par habitude, avant de se séparer avec fracas.

Une façon originale de juger les hommes politiques.

Je préfère croire aux hommes plutôt qu’aux idées . Reagan ne m’inspire pas confiance. Trop de dents. Trop de cheveux.

La jeunesse et les math.

L’expérience ne peut remplacer les fulgurances de la jeunesse. L’intuition mathématiques s’évanouit aussi vite que la beauté. On dit d’un mathématicien qu’il a été grand comme d’une femme qu’elle fut belle. Le temps est sans justice, Anna. Vous n’êtes plus tout jeune pour une femme, où le sourire encore moins pour une mathématicienne.

Humour d’Einstein.

Seules deux choses sont infinies, Adèle. L’univers et la stupidité de l’homme. Et encore, je ne suis pas certain de l’infinité de l’univers !

Humour.

Pourquoi le génie arrive-t-il si jeune ? Comme chez les poètes. Les portes d’accès du royaume des Idées se referment-elles avec la maturité ?
Gladys opina du chef :
– Ça doit être hormonal. Après, ils prennent du ventre et s’inquiètent uniquement du dîner.

De l’importance de la colère.

La colère vous purge. Mais qui peut la vivre à long terme ? La colère rentrée vous consume. Puis elle finit par s’échapper par petits pets fielleux qui ne font qu’empuantir un climat déjà délétère. Que faire de toute cette colère ? À défaut, certains la font rejaillir sur leur progéniture. Je n’avais pas cette malchance. Je la réservais donc aux autres : aux fonctionnaires incompétents ; aux politiciens véreux ; à l’épicière tatillonne ; à la coiffeuse intrusive ; à la météo ingrate ; à tous les empoisonneurs dont je n’avais rien à faire. J’étais devenue une mégère par mesure de sécurité. Je ne m’étais jamais mieux portée.

Édition Picquier Poche . Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako

 

J’ai reçu ce cadeau d’une amie qui sait transformer le moindre repas en un moment où chaque convive se sent bien. Tous les plats de mon amie respirent la gentillesse et ses petits gâteaux sont autant de gages de son attention à autrui. Je ne suis pas surprise qu’elle ait aimé cette histoire. Moi, j’ai une réserve sur le style de l’auteure entre la naïveté de l’enfance et la maladresse d’un récit un peu simpliste, je ne suis pas totalement partie dans son univers. Mais, pour le plaisir de la cuisine japonaise ce roman vaut la peine d’être lu. La lecture ne vous retiendra pas très longtemps une soirée sans doute. Mais vous ferez un beau voyage parmi des saveurs que vous aurez envie de découvrir.

Une jeune fille, cuisinière, est abandonnée par l’homme qu’elle aime. Elle revient dans son village et retrouve sa mère avec laquelle elle n’a plus aucune relation. Le choc de la rupture amoureuse a été si violente qu’elle a perdu sa voix et doit donc s’exprimer par écrit et surtout à travers sa cuisine. Elle y met tout son cœur et s’efforce de comprendre au mieux les gens qui viennent dans son restaurant. Bien sûr on comprendra le pourquoi de sa relation avec sa mère et le secret de sa naissance. Ce n’est certainement pas ce qui vous donnera envie de lire ce petit roman. En revanche, la description des plaisirs que peuvent procurer la cuisine exécutée par une Japonaise qui sait mélanger ce qu’il y a de meilleurs dans toutes les cuisines du monde entier pourraient vous ravir.

 

Citations

 

 

La cuisine de sa grand mère .

C’était ma grand-mère qui, en douceur, m’avait initiée à l’univers de la cuisine.
 Au début, je m’étais contentée de regarder, mais au fil du temps, j’avais pris place à ses côtés devant les fourneaux et j’avais appris à cuisiner. Elle ne me donnait que peu d’explications mais elle me faisait goûter au plat à chaque étape de leur préparation. Peu à peu, mon palais a emmagasiné les consistances, les textures, les goûts.
 La silhouette de ma grand-mère en train de s’affairer dans la cuisine m’apparaissait nimbée d’une lumière à la fois divine et sublime, il me suffisait de la contempler. Le simple fait de l’aider me donnait l’impression de prendre part, moi aussi, à une tâche sacrée.

Sa mère et elle.

Entre ma mère et moi s’élevait une muraille faite de dix années accumulées, si haute que le sommet en restait invisible.

Avec ma mère, c’était toujours la guerre froide. J’étais capable d’amour pour presque tous les humains et les êtres vivants. Il n’y avait qu’une seule personne que je n’arrivais pas à aimer sincèrement – ma mère. 
Mon antipathie pour elle était profonde et massive, presque autant que l’énergie qui me faisait aimer tout le reste. 
Voilà qui j’étais vraiment. L’être humain ne peux pas avoir le cœur pur en permanence.
 Chacun recèle en lui une eau boueuse, plus ou moins trouble selon les cas.
Donc, pour maintenir propre cette eau fangeuse, j’avais décidé, dans la mesure du possible, de la laisser reposer paisiblement.
 Ma mésentente avec ma mère était précisément cette boue en moi, mais si je demeurais sereine, elle ne salirai pas tout mon cœur. Donc je donc, je faisais en sorte d’éviter ma mère le plus possible. En un sens, je m’appliquais à ignorer sa présence. J’étais convaincue que c’était là le seul moyen de garder le cœur pur.

La cuisine japonaise.

Le « kimpira » de pétasite du Japon aux prunes séchées, la bardane mijoté avec une bonne dose de vinaigre, le « barazushi » de riz vinaigré aux petits légumes, le flan salé « chawan-mushi » au bouillon fondant et goûteux, le flan au lait aux blancs en neige, les gâteaux à la poudre de soja grillé cuit à la vapeur et bien d’autres recettes encore, héritées de ma grand-mère, étaient vivantes en moi.

Style de l’auteure un peu enfantin. Ou japonais ?

Le soleil s’enfonçant entre les immeubles de la ville avait aussi son charme, mais le coucher de soleil, ici, et c’était comme si la nature exhibait ses biceps. Devant une telle magesté les hommes devraient renoncer à essayer de faire plier la nature selon leur bon vouloir. Le corps de mon insignifiante personne était prolongé par une ombre étirée comme un bâton.

La cuisine française .

On a souvent tendance à penser qu’il est impossible de cuisiner français sans poisson ni viande, mais les légumes, s’ils ont une force intrinsèque, peuvent jouer un rôle de premier plan dans un menu. Il y a un secret à cela.
 Je me suis remémoré mon apprentissage dans un restaurant français, délicatesse des saveurs et audace dans l’esthétique, des principes que je me suis efforcée de respecter en mettant la dernière main au plat. 
En entrée, salade de fraises. J’avais mis de la Roquette, du cresson frais et des fraises à macérer dans une réduction de vinaigre balsamique. 
Pour le premier plat principal, des carottes frites. Des carottes avec leur peau, simplement coupées en deux dans le sens de la longueur et roulées dans la chapelure, frites à. À l’huile végétale. Servies avec une garniture de salade de légumes, on aurait dit, étonnamment, de magnifiques crevettes panées.
 En deuxième plat principal, un steak de radis blanc. Du radis blanc, préalablement blanchi et poêlée avec des shiitake semi-séchés. En assaisonnement, sel, sauce de soja et huile d’olive.

C’est « la souris jaune » qui m’a donné envie de lire ce roman. Et aussi le fait que cet auteur ait reçu « le Goncourt des lycéens ». Depuis Farrago de Yan Appery , je fais toujours attention à ce prix. Ce roman est composé de deux parties assez différents la première partie raconte l’amour désespéré de Sacha Malinoff pour la belle Cynthia la fille du Maître des Paons. Il en viendra à tenter de disparaître, puis il s’imposera peu à peu dans la vie de la famille très originale de Cynthia. Un peintre uniquement occupé à peindre des paons et un frère très bizarre. En réalité, le personnage principal de ce curieux récit est » le mas des paons » une demeure attirante remplie de mystère. J’ai beaucoup pensé au château de la fête du « Grand Meaulnes », à cause de l’attirance et du mystère qui entoure cette demeure et ces habitants. J’ai beaucoup aimé le style de cet auteur, une langue aussi précise que poétique. Mais je suis restée sur ma fin sur le plan de l’intrigue, j’éprouvais comme un léger ennuie pendant cette lecture ; je reconnais que cela allait bien avec le sujet.

 

Citations

La mémoire

J’ai observé au cours des cinquante premières années de ma vie, une vie qui m’échappe de plus en plus, que chacun entretient avec sa mémoire une relation personnelle, unique, sauvage, inavouable assez souvent, comme avec son corps, sa langue, ses humeurs et l’ensemble de l’univers.

 

Le charme des timides

Mon truc, c’était de prendre les devants sans en avoir l’air. Je me moquais de moi avant qu’elle n’eût le temps de le faire. J’affectais une gaucherie de convention pour masquer la véritable que je ne pouvais maîtriser. Aller vite en donnant l’impression d’être trop lent, cacher la précision sous l’embarras, c’est le procédé des vieux clowns. Ce fut le mien. Que n’aurais-je fait pour que son regard triste et bleu s’arrêtât longuement sur moi sans chercher plus loin son bonheur ?

Beauté du style

J’allais m’asseoir, encore tremblant, sur un billot abandonné, quand me parvint du fond du bois, pour la première fois cette année-là, le cri le plus insaisissable de la nature, la double note du coucou, triomphante, moqueuse, délurée, qui soutient à la face de l’univers la suprématie vagabonde des dieux furtifs.

Les timides

J’étais d’une timidité de lynx, animal que sa vue a rendu célèbre, mais qui craint à bon droit les hommes et qui les évite. Certes, comme tous ceux qui souffrent du même mal, et qui sont légion, j’usais de remèdes désespérés pour combattre la maladie, alcools d’hiver, recherche vestimentaire, lunettes noires, et un lot presque inépuisable de plaisanteries à lancer en cas de détresse.

Les rencontres avec Cynthia et le mas des paons

À l’occasion de cette visite de jours, je déchiffrai dans le regard mélancolique de Cynthia une demande à laquelle je me soumis immédiatement et qui constitue la clause tacite (et unique) de notre pacte. Je ne devais jamais poser de questions concernant la propriété et ses habitants. Ne pas chercher à visiter les parties des bâtiments qu’on ne m’avait pas encore montrées. Me garder de toute indiscrétion. N’être surpris de rien. À ces conditions seulement, je ne serais pas un intrus, et tout me serait révélé peu à peu, à son heure, sans brusquerie.
 Ce pacte resta en vigueur aussi longtemps que je fréquentai le domaine et je crois qu’il avait du bon puisque il m’est impossible aujourd’hui de repenser à ma découverte lente des lieux sans retrouver les battements de cœur qui l’accompagnèrent toujours.

Amour désespéré

Il y a des jours où je fus à deux doigts d’avouer à Cynthia que je l’aimais, mais ne le savait-elle pas et n’avait-elle pas répondu à mon silence par le sien, qui disait tout autre chose ? Je suis tenté de croire aujourd’hui, sans en être certain, que je me gardais de tout aveu pour ne pas dissiper une ambiguïté où logeait encore de l’espérance.
Après le premier baiser qui n’était que de circonstances et n’engageait rien, la main gauche du séducteur, sa bonne main qui maniait avec une égale élégance le stylo à plume et la canne, cette main sinistre, je ne crains pas de le dire, habituée aux fouilles babylonienne, dégrafa sans attendre une permission et les trois boutons du chemisier -un trio qui m’avait souvent intrigué- et elle fit jaillir les seins de leurs bonnets, afin que la pleureuse comprît par cet attentat amoureux que le grand homme ne la consolait pas par pitié, dans un esprit de sacrifice chevaleresque, mais qu’il agissait pour le compte d’une puissance supérieure à la compassion, sous l’empire du désir fou.

Édition Gallmeister . Traduit de l’américain par François Happe

Je remarque que c’est la première fois que je lis : « traduit de l’américain » et non de l’anglais (USA) ou autre formule qui nous ferait croire qu’il n’y a qu’une seule langue pour ces deux pays et je trouve que François Happe a eu beaucoup de mérite à traduire ce texte .

 

Voici à qui Stephen Wright dédie son roman

Pour ceux qui ont été transformés en graphiques, tableaux, donnés informatiques, et pour tous ceux qui n’ont pas été comptés

Je dois à Keisha cette lecture qui m’a plombé le moral pendant deux semaines au moins. J’ai vraiment été soulagée quand j’ai refermé ce roman après les quinze méditations. Je ne suis pas certaine de bien vous rendre compte de ce roman tant il m’a déroutée. Nous suivons une compagnie chargée du renseignement au Vietnam, on imagine facilement les techniques utilisées pour obtenir ces renseignements. Et ne vous inquiétez pas, si par hasard vous n’en aviez aucune idée, ces techniques vont vous être expliquées dans les moindres détails, jusqu’à votre écœurement et certainement aussi celui des soldats. Pour supporter ce genre de séances les soldats se droguent et dans leur cerveau embrumé la réalité devient fantasmagorique, et le lecteur ? et bien moi je maudissais Keisha mais je ne voulais pas être mauviette ni faux-cul et passer ces passages. J’ai donc tout lu en remarquant que le soldait de base a des envies de meurtre sur son supérieur quand celui-ci tue son chien mais reste impassible devant la mort en série des Viets. Mes difficultés de lecture ne disent rien de la qualité du roman . C’est un texte très dense, construit avec des allers et retours continuels entre la vie au pays après la guerre et la guerre elle même en particulier la défaite américaine. Entre les rêves cauchemardesques nourris avec toutes les drogues possibles et la réalité de la guerre. J’ai retenu de cette lecture :

  • Que personne ne pouvait en ressortir indemne.
  • Que personne ne pouvait y être préparé.
  • Que même dans des moments aussi terribles, on peut tomber sur quelqu’un d’aussi borné que le sergent Austin qui semble n’être là pour rendre la vie encore plus difficile aux hommes sous ses ordres.
  • Que sans la drogue, les soldats du contingent n’auraient pas pu tenir très longtemps dans cet enfer.

 

Citations

Le bleu

Le seul personnage qui manquait encore dans leur film de guerre de série B était enfin arrivé : le gamin. Son passé comme son avenir était aussi clair, défini et prévisible que les taches de rousseur sur son visage lisse. Il n’était jamais parti de chez lui, il allait écrire à sa famille tous les jours et il s’endormirait en sanglotant tous les soirs. Il devient la mascotte souffre- douleur de la compagnie, on le charrie sans arrêt jusqu’à ce que le héros bourru, débordant de tendresse virile, le prenne en pitié et le protège d’une réalité plaisante en apparence, mais en fait une grande cruauté.

Le cerveau d’un drogué

Procédant par élimination, sa pensée se réduisit à un fil de divagation. L’os frontal se fragmenta en un tourbillon de particules de poussière d’ivoire, explosant les lobes du cerveau à la fraîcheur de l’air qui descendait. Une fission intime produisait des éclats de lumière à un rythme aussi imprévisible que les éclairs d’orage en été sur un horizon tout gris. Des rideaux de pluie électronique passaient en glissant comme de lourds rideaux de théâtre sur des rails bien graissés. Il sentit une main le pénétrer vivement et se refermer sur l’éponge molle de son esprit avec la force d’un point ganté . Un parasitage silencieux étouffa sa conscience…
…et les nuages passèrent lentement à travers le spectre de la lumière visible, et le soleil, gros et rond et rouge comme une boule de chewing-gum fit floc en tombant entre les lèvres humides de la mer et se mit à se dissoudre… en minuscules grains de sable enfoncés dans les craquelures du cuir de sa botte.

Genre de scènes qui coupent le récit

Dans l’aérogare près du terrain, les quelques hommes qui attendaient les avions qui allaient les emmener étaient trop fatigués pour faire autre chose que fumer des cigarettes et échanger quelques plaisanteries éculées. Aucun d’entre ne souhaitait entreprendre une conversation. Leurs yeux inquiets allaient de la surface sombre de la piste au ciel nuageux et inversement. Aucun d’entre ne regardait la pyramide de longues boîte étroites qui attendaient aussi un vol, le chariot élévateur et le retour à la maison dans un avion sans hublots.

Si vous avez le moral lisez ce passage

Il y avait le chef de la section des interrogatoires qui appelait cette dernière la Clinique dentaire et qui faisait des cours sur l’extraction d’informations vêtu d’un tablier à barbecue représentant un malheureux cuisinier de banlieue derrière son grill de jardin sur lequel des steaks fumaient comme une aciéries de Gary dans l’Indiana, au-dessus d’une pancarte portant la légende BRULÉ ou CARBONISÉ et qui, lorsqu’il n’était pas occupé à mettre au point des nouveautés aussi futées que celle qui consistait à placer de façon décorative des punaises à carte sur la surface de l’ œil après les avoir fait chauffer, pratiquait le jet d’eau orientale, une opération au cours de laquelle on bloque la bouche grande ouverte avec des cales de bois et on inonde la gorge ainsi relevée, les narines et les yeux de litres et des litres d’eau non potable jusqu’à ce que la nausée et l’étouffement qui s’ensuivent provoque l’expulsion incontrôlable de toute nourriture non digérée, de l’eau, des mucosités et des coordonnées géographiques précise du bataillon auquel appartient le patient.

On croise l’armée française mais je n’ai rien trouvé à ce nom sur la toile

Là, faisant montre d’une superbe tout française, Jean-Paul Roichepeur, dégusta tranquillement une boîte de foie gras tandis que le plomb bourdonnait autour de sa tête comme des abeilles dans une vigne et que les explosions de mortier modifiaient la topographie de son poste de commandement, et lorsque les barbares du ViêtMinh furent à moins de cent mètres , se débarrassant de sa fourchette en argent et de ce qui restait du foie gras d’oie, il s’empala de façon théâtrale sur sa propre épée en s’écriant :  » Et voici comment la France a riposté à tous les despotes ! » Malheureusement déviée par une armure de décorations et de médailles tape à l’œil, la lame manqua les organes vitaux et il mit cinq heures à mourir et pendant toute son agonie Jean-Paul Roichepeur divulga involontairement tous les secrets militaires dont il avait connaissance. « Très déclassé » , murmura la presse parisienne.

La torture je déteste lire ça( mais je déteste encore plus que cela existe !)

Essayez les couilles dis-le capitaine Raleigh.
 Le sergent Mars déchira le caleçon noir du prisonnier en deux. Se penchant en avant entre les jambes du prisonnier, il fixa les câbles au scrotum.
Le lieutenant Pgan actionna la manivelle.
Claypool n’avais jamais entendu un tel cri, pas même au cinéma. Un cri qui transperçait la peau, qui se poursuivait sans interruption entre deux tours de manivelle. À un moment, le prisonnier parut admettre que oui, il était Viêt-cong, un lieutenant, un sapeur, mais ensuite il eut l’air de le nier. Puis il se mit à parler sans s’arrêter, un flot confus dans un Vietnamien haché s’écoulant par une brèche ouverte dans une digue.
-Je ne sais pas ce qu’ils racontent dit le sergent Mars avec dégoût.
– Il prie très fort, expliqua le lieutenant Phan, mais Bouddha pas répondre au téléphone.

Moment d humour…

Les hommes et les femmes ne voulaient toucher les hot-dog américain, croyant qu’il s’agissait vraiment de pénis de chien bouilli.

Le travail d un officier du renseignement

Griffin revint sur son travail depuis son arrivée en République du Vietnam. Tout d’abord, l’évaluation des dégâts causés par les bombardements ; maintenant, des études sur la défoliation. Il avait vu le pays se couvrir d’acné, maintenant il allait le voir perdre ses cheveux. Tôt ou tard, il se rendait bien compte que ce n’était qu’une question de temps, ils allaient lui demander de se mettre à quatre pattes, d’astiquer son squelette et de mesurer sa boîte crânienne avec un compas d’épaisseur en acier.