Édition les Arènes, décembre 2023, 185 pages.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Voici un roman que je vous recommande sans aucune réserve , il m’a complètement séduite. Encore plus que « les loups » du même auteur qui était, pourtant, déjà passionnant. Ce court récit se passe au moment de la disparition de l’URSS, dans l’enclave de Kaliningrad. Un jeune délinquant sort de prison et veut retrouver sa mère. Ce trajet ressemble à un conte initiatique et de formation pour cette petite frappe. Au début, il ne comprend pas ce mot de « changement » que tout le monde prononce autour de lui. Le premier groupe qu’il rencontre ce sont des jeunes hippies qui vivent sur la plage et qui se permettent de tenir des propos d’une liberté qui le surprend, ils l’accueillent très bien sans lui demander d’où il vient, une jeune femme accepte facilement de faire l’amour avec lui, mais cela ne l’empêchera pas de leur voler tout leur alcool. Il repart et un paysan kolkhozien l’héberge, il y rencontrera le directeur qui est communiste et qui lui explique que les dirigeants communistes sauront très bien s’en sortir que tout est prêt pour l’après. Le Gris (c’est ainsi qu’il s’appelle lui-même) s’en ira en volant d’abord les économies du pauvre paysan kolkhozien qui l’avait aidé.
J’arrête de vous raconter l’histoire et des différentes rencontres de son trajet, je vous laisse découvrir, mais vous avez, je l’espère compris le principe, le jeune délinquant qui s’était formé dans les prisons soviétiques va au gré de ses rencontres se transformer peu à peu, sans jamais devenir un homme bon, la fin m’a surprise et désespérée. Il semble , un moment, aller vers la rédemption en sauvant un jeune garçon orphelin des griffes d’une bande de malfrats, il écoutera la sagesse d’un philosophe sur la liberté et la fameuse âme russe. Cela permet à l’auteur d’évoquer les différents aspects de la Russie actuelle. Le roman a été écrit en 2023, donc on ne peut pas parler parler d’un roman prémonitoire, mais d’une analyse exacte du régime poutinien.
Un livre efficace, prenant et qui fait beaucoup réfléchir.
(PS. Je pense que la couverture de ce roman aurait plu à notre regretté Goran)
Extraits
Début.
Le Gris fait ses adieux en silence. Il se faufile entre les couchettes, tend la main à chacun des détenus, sans effusion. On entend tout juste quelques mots, le claquement des paumes qui se rencontrent. Les saluts sont virils, l’émotion absente. Le Gris ne sourit pas – dangereux, pas dans les mœurs. Pour les hyènes , les petites frappes qui forment le gros des troupes, sourire c’est déjà se faire baiser un peu. Si tu ouvres la bouche pour montrer tes dents c’est bien que quelqu’un a le droit d’y fourrer sa queue … Le Gris s’est adapté. Il a toujours su faire, il est malin. Pas assez pour éviter le trou – suffisamment pour deviner quel visage on attend de lui à chaque instant.
Le changement .
Il comprend le paysan : l’autre ne nie pas que des changements puissent advenir, il sait seulement qu’en pareil cas le mieux est de rentrer la tête dans les épaules et d’attendre de voir. Comme par mimétisme le Gris se tasse sur son siège. Il a appris la leçon depuis longtemps : lorsque les coups pleuvent, il n’y a rien d’autre à faire que de protéger sa tête. Seuls ces cons de hippies s’imaginent assez malin pour changer ça.
Les communistes et le changement .
– Le communisme n’est plus vraiment à la fête… Mais qui a dit que c’était un problème pour les communistes ? Tu crois qu’on n’a rien vu venir qu’on se retrouve à poil ? L’avenir comme tu dis, appartient à ceux qui ont des idées claires et un peu de capitale …– Du capital, vous ?– L’autre rigole encore– Eh quoi ! Tu crois qu’on passe nos soirées à étudier Engels ? Ça fait des années qu’elle marche bizarrement, notre Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses réformes depuis un moment. C’est permis, maintenant, de s’enrichir, d’épargner, d’investir … Et encore, le capital, ce n’est rien ! Qu’est-ce que nous possédons, nous, les communistes ? Des connexions, des réseaux. Qui tient les banques ? Qui sont les directeurs d’usine, les juges, les responsables des achats dans les municipalités. Nous ne sommes pas le passé, fils détrompe-toi !
Le philosophe et la liberté.
Notre pays reçoit la liberté, mais existe-t-il des gens libres pour la recevoir ? Nos compatriotes savent-ils seulement ce qu’est la liberté ? Savent-ils la protéger, la faire vivre ? La soumission est beaucoup plus simple et confortable… Être libre à de quoi désemparer les âmes les plus faibles et les moins préparées. Il est bien plus aisé de s’en remettre à un chef, à une idéologie, à des illusions, à des habitudes, aux limites bien connues de son petit potager. Tout plutôt que l’inconnu. Imagine ce qu’on demande à nos concitoyens, en ce moment : ils doivent accepter que toutes leurs vieilles croyances soient mises au rebut et accueillir avec autant de conviction les nouveaux dogmes du moment -et dans le même temps apprendre à gérer les mille exigences que requiert la liberté. Il y a de quoi devenir fou ..