Édition Seuil. Octobre 2023. Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugno
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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je ne connaissais pas cet auteur, pourtant un écrivain majeur espagnol mais ce n’est pas ce roman qui me conduira à lire d’autres livres de lui. Et encore une fois, méfiez-vous des jugements que l’on trouve sur la quatrième de couverture :

Un thriller psychologique impressionnant 

La Vanguardia

on est loin d’un thriller ! Même si une angoisse se diffuse dès les premières lignes du roman.

Un homme raconte par le détail son installation à Lisbonne, dans un appartement dans lequel il attend son épouse, Cécilia. Dès les début, on sent que son souci de créer une appartement exactement à l’identique de celui qu’ils habitaient à New-York est bizarre et puis, ce personnage d’Alexis l’ouvrier parfait semble étonnant aussi. On sent bien qu’on ira vers une révélation finale qui contredira tout ce bel agencement autour d’une femme trop parfaite.

Donc nous sommes avec ce « je » nous ne découvrirons qu’à la fin son prénom, Bruno, qui a vécu l’effondrement des tours jumelles le septembre 2001, c’est sans doute le déclencheur du roman en tout cas cela occupe une grande place dans ses réflexions. Cecilia qu’il attend travaille dans un laboratoire et étudie le cerveau des rats qu’elle a d’abord traumatisés, elle étudie, en effet, les traces de la peur dans le cerveau. La belle image de Cécilia perd un peu de son lustre quand le narrateur raconte les singes enfermés dans des cages dans son laboratoire. Une seule échappée vers l’extérieur de l’immeuble dans un palais racheté par un homme très riche et un peu fou mais sinon nous sommes tout le temps avec Bruno et sa chienne et on attend … Godot ? non Cécilia qui ne viendra pas, elle non plus. Cela nous donne des réflexions sur le temps qui ne m’ont que très peu intéressée.

On sent que le cerveau de cet homme est malade qu’il est en quelque sorte comme les rats du laboratoire de Cécilia mais cela ne fait ni un thriller ni un roman, en tout cas pour moi, je suis certainement complètement passée à côté de cet écrivain pourtant si connu et à qui je reconnais un très beau style bien servi par une traduction de qualité.

 

Extraits

 

Début.

Je me suis installée dans cette ville pour y attendre la fin du monde. Les conditions sont inégalables. L’appartement se trouve dans une rue silencieuse. Du balcon on voit le fleuve au loin.

Les New yorkais après le 11 septembre .

 Les avions ont très longtemps donné des cauchemars à Cécilia. Elle en fait encore certaines nuits des années plus tard. Cécilia dit que ces cauchemars récurrents sont une aubaine pour une personne qui se consacre à l’étude des mécanismes de la mémoire, où la peur reste inscrite après la disparition de la menace ou du traumatisme qui sont qui en sont à l’origine. La peur ne dort jamais, ajoute-t-elle. Nous descendons d’organismes primitifs et d’animaux auxquels ce que nous appelons la peur a permis de survivre. Cécilia se réveillait en criant parce qu’elle avait rêvé d’un avion qui se dirigeait vers notre appartement et occupait tout l’espace de la fenêtre.

La relativité des catastrophes.

 La vie a dû se poursuivre avec la même et étrange normalité que dans notre quartier de Manhattan, le matin et l’après-midi du 11 septembre. Pendant que les Allemands incendiaient et détruisaient le ghetto de Varsovie après avoir exterminé les derniers résistants, les tramways circulaient et les gens lisaient les journaux dans les cafés d’autres secteurs de la ville.

Les règlements dans les immeubles new yorkais .

 Accoudés au muret de la terrasse, nous savourions la brise marine qui soufflait sur les cheveux de Cécilia et dégageait son visage. Une théorie me traversa l’esprit. Je l’exposai à Cécilia à mesure que je l’inventais, enhardi par le verre de vin interdit que nous buvions au mépris des règles implacables concernant la consommation d’alcool à cet endroit et inscrites par le syndic de l’immeuble sur une pancarte très visible. 

La chienne est très important dans ce récit .

J’imagine la chienne seule entre nos murs, distraite par quelque chose ou endormie dans la solitude et le silence : elle dresse les oreilles bouge lentement la queue, soudain lucide et sur ses gardes. Elle se lève, tord sa truffe vers la fenêtre entrouverte du balcon. Sa léthargie a disparu, l’annonce d’un fait imminent a perturbé sa quiétude.

 

 

 


Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 


Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.

 


Édition « les Éditions de Minuit »

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deuxième lecture réussie pour le club de cette année. Un livre qui se lit très vite mais qui ne s’oublie pas. L’auteur grâce à une écriture très sensible, raconte le destin d’un enfant appelé « M. » fils d’un soldat français et d’une femme allemande.

Ce n’est pas lui qui nous raconte cette histoire mais le petit fils du soldat français : Malcusi époux d’une femme de 86 ans, Imma. Il apprend le jour de l’enterrement de ce patriarche au caractère peu commode l’existence de cet enfant. Il va partir à la recherche de ses souvenirs et des souvenirs des siens. Imma ne veut pas entendre parler de cette histoire et exige de son petit-fils qu’il cesse cette recherche.
Peu à peu le voile qui cache ce secret de famille se déchire et la vérité à la fois simple et tragique va apparaître.

J’ai appris qu’il y a eu beaucoup d’enfants ayant un père français en Allemagne et tous auraient bien voulu retrouver leur père qui, pour la plus part, ont fui à toute jambe leurs responsabilités.

Parlons du style : d’abord ce que j’aime moins, je n’arrive pas à comprendre le pourquoi de l’absence de majuscule au début des paragraphes. Je ne comprends pas pourquoi non plus le personnage de l’enfant est appelé « M. », j’ai quelques hypothèses mais pas de réponse. De la même façon la femme dont il est en train de se séparer s’appelle aussi « A ».

Mais ce n’est rien par rapport à mon plaisir de lecture, on sent à quel point la révélation de l’existence de cet enfant a transformé la vie du narrateur. Le récit de l’oncle âgé qui a reçu « l’enfant dans le taxi » est bouleversant. Peu à peu, le portrait du grand-père Malcusi s’enrichit mais pas à son avantage ! Je trouve très fort de démarrer le récit avec un personnage positif et de finir avec un homme si peu sympathique ! D’ailleurs sa propre femme revit après son décès : cette veuve très joyeuse fait tout ce qu’elle n’avait pas pu faire du temps de son mariage : apprendre à nager et voyager dans des endroits les plus pittoresques.

Le narrateur, qui est écrivain, est sans doute plus sensible aux malheurs de « M » qu’il est lui-même en pleine séparation avec la mère de ses deux enfants. Les salons du livre auxquels il participe ne suffiront pas à lui remonter le moral.

Un beau roman bien servi par une écriture à laquelle j’ai été très sensible, malgré quelques partis-pris de style que je ne comprends pas.

 

 

Citations

Le début.

 Ce matin-là, elle aide son père à fendre le bois dans la cour. Il a neigé toute la nuit, le sol est blanc, maculé de boue aux endroits qu’ils piétinent. Depuis une heure elle lui présente l’une après l’autre les bûches, ramasse chaque fois le coin dans la neige pour le replacer à l’aplomb d’un nouveau rondin, le buste penché en avant le bras crédit dans l’attente du coup de masse.

Ne pas faire de vagues.

 À l’éternel impératifs de « ne pas faire de vagues » : quelque chose comme un ordre supérieur aux allures de glacis, chape de silence devenue invisible à force d’habitude, d’autant plus puissante que paisible, sans aspérité, sans prise, puisque tous les secrets sont faits de cette pâte innocente, habillée des meilleures intentions, parée de souci du prochain : si je ne t’ai rien dit c’était pour ton bien. Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de vous parler, jamais de se taire.

La vieillesse triomphante.

 Souriant comme chaque fois qu’elle constatait par contraste le délitement de tel ou tel cousin pourtant de vingt ans plus jeune qu’elle.
 Ah oui toi aussi tu l’as vu récemment.
 Baissant brusquement la voix pour chuchoter. 
Tu as vu ce coup il a pris.
Un de ces coups le pauvre, ça m’a fait de la peine. Rien à voir avec moi.
Cela dit avec un sérieux soudain qui manquait me faire éclater de rire. 

Portrait d’une femme efficace .

 La mère qui n’avait jamais voulu voir M., jamais voulu entendre parler de M., jamais voulu se demander si son refus de le rencontrer était légitime ou non, simplement c’était ainsi, cela lui coûtait trop de repenser à tout ça, elle ne voulait repenser à rien et pourquoi aurait-il fallu qu’elle se force. La mère dont l’inclination en tout, toujours, consistait à faire place nette. Des ronces. Des vieux objets. Des blessures. Des souvenirs 

L’enfant du taxi qui voulait voir son père et à été reçu par un oncle.

 Trois jour remplis de douceur et d’amour au terme desquels je l’ai d’un commun accord remis dans le train en sens inverse, si bien qu’il est reparti, avait continué Louis, la fameuse erreur de jeunesse de Malusci est reparti renvoyé à sa mère qui a pensé quoi du récit rapporté par le gamin, pensé quoi de le voir revenir si vite quand elle croyait peut-être lui avoir dit adieu pour des années. 
trois jours forts gravés dans la mémoire de Louis qu’il avait dû retenir son l’émotion, attendre que le tremblement de sa voix cesse avant de raconter la lettre que Jacqueline et lui avaient une semaine plus tard reçue, écrite dans un français maladroit qui la rendait encore plus belle, une lettre dans laquelle M. nous remerciait joyeusement, avait dit Louis une lettre dans laquelle il racontait avec humour qu’il mettait tout le temps ma chemise, dormait dans mon pyjama
grâce à vous je me suis senti comme un fils terminait le bref courrier qui ne disait pas un mot de l’humiliation infligéee par Malusci, ne formulait les pas une plainte, pas avoir un regret, ne montrait pas un seul signe d’amertume
 grâce à vous je me suis senti.comme un fils.

 

 

Édition l’avant scène Gallimard NRF 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un premier roman d’une jeune auteure de vingt quatre ans qui se met dans la peau d’une femme très âgée en maison de retraite. Ce roman est surprenant et a su souvent retenir mon attention, sans pour autant être un coup de coeur.

Les quatre saisons vont permettre à Isadora Abberfletch, cette vieille femme en fin de vie de faire revivre sa Maison. Chaque saison lui a apporté son lot de joie et de souffrances. la Maison avec ce M majuscule est le personnage central du roman. Isadora, croit lors de sa jeunesse que cet endroit est indispensable à sa propre vie. Elle ne peut s’en détacher , elle y a toujours vécu, avec sa famille puis qu’avec son père et enfin seule jusqu’à ce qu’elle comprenne, enfin, que sa Maison la tuera si elle y reste encore un an de plus.. Elle y a connu les moments les plus heureux de son enfance avec sa petite soeur Harriet et son frère Klaus. Les rapports avec Louisa, la soeur aînée de la narratrice sont plus compliqués on comprendra pourquoi lors de la scène importante du printemps. Chaque saison, même si elles ont été des moments heureux de sa vie se terminent par une catastrophe, l’été verra la mort de sa mère, l’automne celui de la mort d’Harriet sa petite soeur, l’hiver celui où elle se décide à partir en maison de retraite et le printemps celui où Louisa lui montrera l’envers du décord qu’elle ne voulait pas voir.

J’ai beaucoup aimé la description de l’attachement à la maison d’enfance, l’autrice sait exactement de quoi elle parle car elle encore proche de sa propre maison d’enfance , en revanche son personnage d’Isadora est peu incarnée et on a beaucoup de mal à l’imaginer mais Perrine Tripier a beaucoup de talent , elle vieillira, elle aussi et saura peut-être mieux comprendre le détachement progressif aux biens de ce monde qui sont l’apanage de la vieillesse.

 

Citations

Les romans qui débutent par la météo m’agacent peu.

 Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbes d’été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d’août sur les tiges rases, brûlées d’or.les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, situent, serpentent, et s’entrelacent en longs rubans de lumière liquide.

Le but de sa vie.

J’avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenir, nous ferions de grandes de choses car les choses familières ne sauraient mourir. 

L’été .

La liberté absolue des jours d’été, c’est cela qui distinguait cette saison du reste de l’année. Quel délice ces soirs bleus où nous mangions dehors, sous le grand cèdre. La tablée se trouvait baignée par les effluves de résine.

Vieillir.

Vieillir n’est ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir ? Échanger le fluide vital, les idées folles, l’ivresse du monde contre une douce langueur, un cocon de morphine salutaire et lénifiant.

L’oncle alcoolique .

« Ne touche pas à l’alcool en revanche », disait Petit Père en coulant un regard appuyé vers Bertie et ses joues incarnadines, quand il remontait de la cave où il était allé « vérifier les stocks ». Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, de bon vivant, le trublion, Le grand dévoreurs de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n’est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n’est surpris, mais le rire manque cruellement.

Les photos.

Les morts n’ont aucune humilité, ils s’affichent là, figés à jamais sur du papier glacé, et sont à jamais chez eux dans les lieux qu’ils ont habités On a peur de les déranger, on refuse de jeter le service d’assiettes de la vieille Léodagathe, parce qu’elle l’aimait beaucoup, la sainte femme ; pourtant ce service enquiquine tout le monde, et il est ébréché et de mauvais goût, mais ça personne ne le dit, parce que la veille Léodagathe, dont les os reposent quelque part, entassés dans le cimetière du village, rongés par la vermine était, avant tout, « une sainte femme ».

Jolie formule !

Klaus et Louise ne m’ont jamais semblé avoir du mal à partir, au contraire ; ils ont la valise aisée, la route facile. Ils partent et reviennent sans douleur, la Maison leur est toujours ouverte et toujours douce, jamais violente comme l’amour et immodéré que je lui porte et qui me rend folle loin d’elle, comme une amante jalouse.

Les déménagements.

 On s’attarde moins sur des lieux qu’on doit quitter souvent, parce qu’on se force sans doute à moins s’y attacher, comme pour atténuer la rupture que chaque déménagement provoque. Les déménagements nous brisent. On fiche dans les murs des morceaux de soi partout où l’on passe, et l’on se désagrège en partant. Mon frère s’est désagrégé au fil du temps, c’est sans doute pour ça qu’il n’est heureux nulle part 

L’autre version de la Maison.

 Elle murmura que j’étais malsaine, accrochée au passé, accrochée à une enfance que j’avais idéalisée. Elle ne s’arrêtait plus de vomir des horreurs, elle disait que Petite Mère n’avait jamais été heureuse avec Petit Père, que cette Maison avait été un calvaire pour elle, une charge écrasante. Je pensais qu’elle avait fini mais Louisa se mit à cracher de nouveau « Petite Mère n’a jamais eu d’initiales brodées sur son linge, elle ; elle avait les serviettes blanches des épouses. La maison lui pesait comme la dalle d’un tombeau, elle suffoquait sous l’effroyable pression qui lui appuyait sur le ventre, là, un ventre où se tordait l’angoisse de la ruine, l’angoisse de la mort. »


Édition le dilettante

Le club de lecture m’a fait découvrir, et, beaucoup aimé, cet écrivain avec « l’invention de l’histoire » j’ai trouvé dans la médiathèque ses autres livres dont celui-ci.

La campagne de France raconte les malheurs de deux garçons très cultivés, qui ont décidé d’abandonner le dur métier d’enseignant de lettres pour Otto et d’histoire pour Alexandre, ils ont créé une agence de voyages culturels à Biarritz. Leur premier essai les a mis immédiatement dans le rouge (financièrement) car ils avaient appelé leur projet : « Théâtre de bons engins », comme les paysans de la région vous auriez pensé sans doute que cela vous menait tout droit à la foire agricole de Paris qui se tenait aux mêmes dates. Que Nenni ! ce titre est emprunté à un célèbre poètes Guillaume de la Perrière et le thème du voyage était donc une découverte des poètes à travers la France. D’où la colère des paysans et le remboursement des frais.
Après bien des cogitations, ils décident d’un thème plus porteur : les liens entre l’Allemagne et la France avec à la fin la visite de Bergue que le films les Chtis a rendu si célèbre. L’amicale des anciens de Biarritz achète ce voyage et les voilà partis sur les routes de France. Il faudra des capacité d’adaptation hors du commun aux deux organisateurs pour amener leur public à être satisfait de leurs choix alors qu’ Otto et Alexandre avaient si bien préparé ce voyage.

C’est souvent très drôle mais comme avec les livres dont le ressort principal est l’humour, je me suis parfois lassée des procédés trop faciles et trop attendus (comme les deux vieux qui se trompent de dentiers). Mais il y a des moments tellement bien vus sur nos habitudes que je ne peux que recommander ce roman. Je crois que je garderai en mémoire la visite d’usine de bonbons où le directeur est un metteur en scène d’une usine factice et où les ouvriers sont des intermittents du spectacle qui jouent le rôle des ouvriers. La rentabilité est assurée par la vente des bonbons à la fin de la visite (bonbons fabriqués en Chine !).

Les émotions des anciens ne sont pas comme l’espéraient les deux organisateurs, provoquées par le passé historique mais par les informations déversées par les média. Donc plutôt qu’Oradour sur Glane le village la Faute-sur-mer et les restes de la tempête Xynthia.

Pour conclure, j’ai vraiment aimé certains moments de ce roman mais j’y ai trouvé aussi trop de clichés à propos de personnages qui auraient dû me faire rire.

 

Citations

Un manque de goût pour la poésie .

 Déjà la poésie, ça me gonfle. La plupart du temps j’y entrave que dalle. Des mecs qui parlent des roses, du ciel et des oiseaux sur deux pages pour dire je t’aime où je me sens pas bien, ça me dépasse.

Le bon sens du père maçon .

  Alexandre se remémora l’un des raisonnements alambiqués dont son père avait le secret. Selon ce dernier la télévision a été inventée pour éloigner les ouvrier des bistrots. Ce n’était là qu’un préambule car suivait sans tarder un discours rodé par lequel il démontrait que cette maudite boîte n’était qu’un cheval de Troie dont le but était d’introduire dans les intérieurs modestes toute une panoplie d’appareils qui avait sonné le glas de la classe ouvrière. Au banc des accusés figurait entre autres catalyseurs de ses rancœurs, le canapé. La démocratisation de cette pièce de mobilier avait donné aux membres des couches inférieures de la société le goût du confort et des velléités d’embourgeoisement. La fainéantise s’était ensuite répandue comme une mauvaise grippe. À l’entendre, il suffisait d’interdire les canapés pour remettre tout le monde au travail.

Les accents en France.

 Un temps Nice leur sembla l’endroit idéal mais, après un bref séjour sur la Côte d’Azur afin d’évaluer si l’environnement leur convenait, Alexandre ne put se résoudre à vivre dans une région dont les habitant écorchaient à tous les coins de phrase la prononciation de la langue française comme ils avaient pu l’entendre dès leur arrivée à la gare
« Vous éta z’arrivés à la gara de Niça. Terminussa. Attentiong da na rieng oublier dans la trainga »

Dialogue à méditer.

 – L’Ukraine n’es plus un pays communiste vous avez oublié que le mur de Berlin est tombé, le reprit Roger Fortin.
– On me la fait pas à moi ,rétorqua Daniel Hernandez, c’est pas la chute d’un mur à Berlin qui va changer quoi que ce soit chez les cocos, russes ou ukrainiens. C’est c’est dans leurs gènes, à ces salopards. Ils nous ont jamais remboursé l’emprunt russe mais ils se sont pas gênés pour nous refiler leur radioactivité. Des salopards, je vous dis.

 

 


Édition Buchet Chastel
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Un roman très léger et hélas trop convenu en tout cas pour moi.Un artiste peintre se retrouve à Rome, il est lassé par la vie parisienne et même s’il connaît un succès certain, il aspire à autre chose. Il s’installe à la terrasse d’un petit restaurant, sur la place du Campo De ‘Fiori sous le regard de la statue de Bruno Giordano. Il s’installe avec un jeu d’échec et plusieurs joueurs viennent jouer avec lui. Un soir une jolie femme Marya lui propose de jouer et il perd. Une histoire d’amour va se tisser entre eux où les échecs joueront un grand rôle .

Tout l’intérêt du roman vient de l’entrelacs des histoires, celle de Bruno Giordano qui fut brûlé sur cette même place pour avoir voulu imposer ses idées et avoir pensé que le soleil n’était sans doute pas unique dans l’univers, celle de Gaspard qui fait tout pour séduire Marya parfois maladroitement, avec en toile de fond la réalité du monde de l’art parisien, l’histoire de Marya petite fille d’un grand champion d’échec mort à Auschwitz, la puissance des jeux d’échec, la mémoire de la shoa , et puis l’histoire d’un coup de foudre que Gaspard voudrait pouvoir prolonger plus longtemps que ces trois jours merveilleux à Rome.

Une histoire d’amour qui m’a semblé très conventionnelle avec son passage obligé : la scène de sexe torride, dans une ville bien décrite. Rome se prête bien aux histoires d’amour. J’ai un peu de mal avec certains dialogues du style « il fait » « comme ça, je dis » j’ai du mal à comprendre pourquoi l’auteur utilise cette façon de s’exprimer . Voilà pourquoi, je trouve ce roman trop léger je dirai même un peu superflu, je suis loin de ce que j’avais tant aimé dans « L’incendie »

Citations

le style qui m’étonne

Je lui propose une revanche. Oui, avec plaisir fait l’homme. Même si j’ai l’impression que j’aurai du mal à vous donner du fil à retordre.

On cause un peu en réinstallant les pièces. Il me demande d’où je viens. De France, je dis. Paris. Ah, il fait en tout cas vous parlez un bon italien.

Statue de Bruno Giordano, moi aussi « ce genre de gars me fascine ».

 Moi, j’y peux rien, ce genre de gars, ça me fascine, continue le cuistot. Des gars qui pensent comme ça leur chantent et qui défendent leurs idées jusqu’au bout. Quitte à y laisser leur peau. Putain, c’est quelque chose quand même. Vous trouvez pas ? 
Sur que c’est quelque chose. 
Et c’était pas un illuminé, faut pas s’y tromper. Le gars, il savait tout sur tout. Les maths, la physique, la philo, ça le connaissait. Et j’en passe. C’était une pointure. En plus, il paraît qu’il avait une mémoire incroyable.
 La date un 1889, c’est celle de l’installation de la statue ? 
Ouais c’est bien ça des intellos de l’époque qu’ont décidé ça. Des libres penseurs. Des francs-maçons aussi. Ç’a pas été une mince affaire, je crois bien. Le Vatican a fait la gueule.

 

 

 

 

 

 

 

Édition Plon . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quel livre ! Quand j’ai refermé ce livre de souvenirs, j’ai eu un besoin d’un moment de silence avant de rédiger mon billet. Le silence qui a essayé d’étouffer les cris de ces Arméniens spoliés de tous leurs biens, torturés, abandonnés dans le désert, assassinés puis turquifiés et oubliés.

Pourtant tous les 24 avril les Arméniens de la diaspora française défilent devant les ambassades turques pour que ce génocide soit enfin reconnu.
Le livre est un retour dans la mémoire d’une jeune femme née en France d’une famille arménienne qui s’est exilée de Turquie en 1960 . Cette plongée dans le passé se fait à travers les pièces de la maison familiale qui, à travers un objet ou une photo, lui permettent d’évoquer son enfance et la vie des membres de sa famille. Toute la difficulté de cet exercice est de confronter ses expériences personnelles suffisamment douloureuses puisqu’elle a voulu fuir à tout jamais cette maison, à celles autrement plus tragiques de la destinée des Arméniens en Turquie .
C’est un récit parfois très vivant et très gai, on aimerait participer aux réunions de famille autour de plats qui semblent si savoureux, les grand mères et les tantes qui ne parlent que le turc sont des femmes qui n’ont peur de rien. Et pourtant d’où viennent-elles ? Le blanc total de la génération d’avant 1915 plane sur toutes les mémoires. Le récit devient plus triste quand l’auteur évoque son père. Sa compréhension d’adulte n’empêche pas sa souffrance d’enfant de remonter à la surface. Cet homme a été brisé par l’exil auquel il a consenti pour assurer à ses enfants un meilleur avenir mais d’une position d’orfèvre à son compte en Turquie il est devenu employé en France. Est ce cela qui a aigri son caractère et rendu sa position de pater familias insupportable aux yeux de sa fille ?
À travers toutes les pièces de cette maison, Annaïs Demir recherche une photo de sa mère. Une photo où on la verrait dans toute sa beauté de jeune femme libre avant un mariage qui l’enfermera dans une vie faite de contraintes. Son amour pour son mari est, sans aucun doute, plus le fruit d’une obligation due aux liens combien sacrés du mariage que d’une attirance vers cet homme .
À partir de chaque détail de la vie des membres de cette grande famille, on imagine peu à peu le destin de la petite fille puis de la jeune fille qui est devenue cette écrivaine, mais on comprend surtout la tragédie du peuple Arménien qui apparaît dans toute sa violence absolument insupportable et si longtemps niée.
Un livre que je n’oublierai jamais et j’espère vous avoir donné envie de le lire.

Citations

Retour douloureux aux sources.

Je sens que je dois mettre entre parenthèses ma vie de critique d’art, mon cercle d’amis, les vernissages, les premières de ciné, les concerts, les cafés en terrasse, mes habitudes et mes passions. Renoncer à tout ce que j’ai construit seule ces dernières années pour entrer dans une antique pelisse plein d’accrocs. Une vieille peau de bête, éliminée par endroits et rugueuse à d’autres, qui me retombe sur les épaules jusqu’à m’étouffer. 
À moins qu’il ne s’agisse finalement d’une Gorgone cherchant à me pétrifier. Intense et glaçante, elle m’agrippe du regard. imperturbable, elle a déjà englouti la plupart de ceux qui l’ont habitée. Et maintenant ce serait mon tour ?

Un long passage qui me fait plaisir d’être française.

À leur arrivée en France, dans les années 60, ils ont pu respirer, n’ayant plus à dissimuler leur identité culturelle et cultuelle, ni passer leur langue sous silence comme s’il s’agissait d’une pratique honteuse. Ils n’étaient plus ces « infidèles » suspects, ces « gavours », contre lesquels on pouvait se retourner en temps voulu. Ils ne craignaient plus rien. Ils avaient le droit d’exister en tant qu’Arméniens nés en Turquie sans subir le racisme antichrétien dont ils avaient fait l’objet dans leur pays. Ils allaient devenir des citoyens français et moi, qui venais de naître en France, avant eux. Sept ans après leur départ d’Istanbul, je symbolisais le passage à une ère nouvelle. À leurs yeux, je n’avais donc pas besoin de pratiquer le turc, la langue de nos ennemis ancestraux. La langue du pays dont mes parents s’affranchissaient enfin. Un divorce tant désiré que le turc devenait automatiquement pour moi, l’enfant d’un monde libre, la langue interdite. c’était le passé. Ils avaient décidé de tout changer. Vivre en version originale. Sous-titrée dans la langue du pays qu’il s’était choisi. Ils ne s’adressaient donc à moi qu’en arménien depuis ma naissance. parce que ce que j’étais leur dernier enfant, le seul né ailleurs qu’en Turquie. Sur le territoire français et, de fait, par le droit du sol, de nationalité française. Née dans un pays où nous étions libres de vivre en paix notre vie de français d’origine arménienne. Notre culte ne regardait que nous et ne figurait pas sur nos papiers d’identité.

Les massacres d’Arméniens .

 Elle venait de Yozgat, un « vilayet » (province) du centre de l’Anatolie ou les pillages, les viols, les décapitations la hache et autres bases besognes avaient été plus virulentes encore que partout ailleurs en 1915. Le degré d’abomination dans ces exterminations massives dépendait de l’état mental et moral du Valy (représentant du sultan)qui dirigeait chacune des régions de l’empire. Et, à Yozgat, ils avaient eu affaire à l’un des plus sanguinaires de ces sadiques en bande organisée.

Les toilettes à la turque dans la cour des immeubles parisiens.

Mais lorsqu’il s’agissait de faire ses besoins, cela devenait plus compliquée. Tout se passait hors de l’appartement. Pas sur le palier mais au fond de la cour, été comme hiver. Dans des cabanons qu’on fermait avec un frêle crochet. Des toilettes « à la tourka », comme disait tante Arsiné en roulant le « r ». N’est-ce pas le summum de la tragédie que de continuer à entendre parler quotidiennement de l’ennemi ancestral, même dans les lieux d’aisances de son pays d’exil, en plein Paris ? Ironie du sort, les turcs s’illustraient là sans le moindre panache autour d’une invention aussi primitive et putride qu’un pauvre trou dans lequel le toute un chacun venait vider ses entrailles.

Sa famille.

 Je les vois même défiler sous mes yeux. De temps à autres effrayante, d’autres fois émouvante, souvent « attachiante » : voilà à quoi ressemble ma famille. Question ambiance, on a le sentiment que tout le monde s’amuse à mettre les doigts dans la prise juste pour s’entendre respirer. Cela a quelque chose à voir avec un incommensurable besoin d’affection.

Évocation de sa mère couturière .

 L’atelier, c’est là qu’elle passait le plus clair de son temps, chantant et cousant comme une Cendrillon d’Orient. pas un jour sans qu’elle ait donner de la voix ou taquiner la muse. À tel point que ses chants, que j’entends dès que j’entre dans la maison, s’intensifient dans l’atelier. Mais tous ces airs me serrent la gorge. C’est dans cette bombonne de verre qu’elle avait l’air le plus heureuse. Plutôt qu' »une chambre à soi » si chère à Virgina Wolf, cette pièce à part où chaque femme devrait pouvoir s’épanouir librement, ma mère jouissant, elle, d’un « temple de la soie » regorgeant de trésor qui me transportait d’un coup d’œil à Samarcande où Ispahan.

Le génocide.

On jalousait leurs biens on en voulait à leurs maisons, à leur terre et à l’or que les Turcs imaginaient qu’ils détenaient. Par conséquent, on les avait désarmés et délestés de ce qu’ils avaient de plus précieux. On les menait maintenant en troupeaux aux abattoirs. Pour procéder à leur lente mises à mort en toute impunité. Certains à pieds, d’autres entassés dans des wagons à bestiaux. Destination le désert de Syrie au plus fort des températures de l’Orient. Il était bien assez vaste pour étouffer leurs pleurs, leurs cris et jusqu’à leur râle ultime. Tortures, viols, assassinats, pillages, déportations et autres humiliations. des morts par centaines de milliers. Des charniers. Une déferlante de l’horreur et de sadisme s’était abattue sur les maisons arméniennes.

 

Édition du Rocher

 

Curieuse coïncidence ce roman dont le sujet est l’amnésie est chez moi depuis un certain temps et j’ai complètement oublié comment il y est arrivé.
William Noone est un pauvre hère, il est recueilli dans un hospice pour indigents à Londres en 1889. Le médecin qui s’occupe de lui, Oscar Klives, comprend peu à peu que cet homme souffre d’une amnésie étrange. D’abord, il se croit toujours en 1847 et ne peut expliquer pourquoi il a été retrouvé sur les quais de Londres. Et de plus sa mémoire est si défaillante qu’il ne peut la faire fonctionner que par tranche de quatre minutes. Puis tout s’efface, et il repart à zéro. En revanche tout ce qui s’est passé avant 1847 est très précis dans sa mémoire. Le médecin qui le recueille est fasciné par ce cas si étrange . Lui-même a une personnalité que nous découvrirons peu à peu : son amour (hélas non partagé !) pour une infirmière plus humaine que la moyenne de celles qui s’occupent des indigents de cet hospice, ainsi que les raisons qui l’ont amené à suivre cette carrière moins glorieuse que celle à laquelle ses brillants études le destinaient.

Il comprend assez vite que le mystère de cette mémoire défaillante doit venir de traumatismes subis en 1847, date à laquelle tout s’est subitement effacé pour William Noone.
Il va donc partir au Canada pour pouvoir réécrire la vie de quelqu’un qui n’en a aucun souvenirs.

Ce roman permet de découvrir la vraie misère des gens sans ressource à la fin du 19° siècle en Angleterre ( cela ne doit guère être mieux ailleurs !). On voit aussi la dure condition des marins, mais le sujet principal c’est la souffrance apportée par l’amnésie. Jamais le malade qui en est atteint ne peut prendre sa vie en main et à l’époque, comme la médecine commençait tout juste à essayer de comprendre ce genre de phénomène le patient est considéré comme responsable de ses actes et il finit le plus souvent en prison.
Le roman m’a intéressée sans me passionner. La forme peut-être ? Nous découvrons cette histoire grâce au cahier personnel du médecin qui distille peu à peu ses confidences, sur son amour, le personnel de l’hospice, le marin amnésique, et enfin son incroyable recherche vers les trente années qui ont disparu de la mémoire de Willam Noone. Très vite le lecteur comprend qu’il n’y aura pas de solution pour ce pauvre hère et que, finalement, il a une certaine chance d’avoir oublié certains aspects de sa vie. Alors pourquoi en faire un roman ? Peut-être pour nous faire découvrir cette époque et ceux qui ont été broyés par l’ère industrielle. Sans doute, mais j’ai lu des textes plus prenants sur le sujet, tout en lisant attentivement ce roman je m’y suis ennuyée il manquait un souffle, ma lecture était plus appliquée qu’interessée.

Citations

Les hospices anglais en 1880.

 Chaque matin, ce sont plusieurs nouveaux spécimens de cette triste race qui attendent en silence, le regard éteint, sur le banc du couloir reliant mon cabinet à celui d’Irvin Owen, mon adjoint. et qu’attendent-ils ?… Leur tour de passer la visite médicale avant d’être conduit aux douches comme du bétail à l’abattoir ; le moment de se laisser dépouiller de leurs hardes et du peu qu’il leur reste, en échange de cet uniforme de pensionnaires qui sera la livrée de leur indignité. À vrai dire, ils n’attendent plus rien 

Observation logique est elle vraie ?

 J’en suis pour ma part venu à la conclusion que la folie naît et se fortifie de son propre déni ; que ce chancre de l’âme se nourrit principalement de l’horreur qu’il inspire ; ou, pour le dire autrement, que le fou ne devient (vraiment) fou que parce que l’impossibilité psychologique dans laquelle il se trouve de s’avouer qu’il déraisonne l’accule à sacrifier des pans toujours plus larges de la réalité à sa lubie initiale, exactement comme le menteur après un premier mensonges est contraint d’en inventer d’autres, toujours plus emberlificotés.

Mémoire et imagination.

 Sir Herbert insiste longuement sur les rapports étroits qu’entretiennent ces deux facultés de l’esprit humain, traditionnellement tenues pour distante par la philosophie classique, que sont la Mémoire et l’Imagination. Il y a une part d’imagination dans tout ce qui nous vient de notre mémoire, comme une part de mémoire dans tout ce que crée notre imagination, écrit-il. Et, pour suit-il, ces apports respectifs sont si bien mélangés dans notre esprit que la question de savoir laquelle de ces deux faculté s’exerce en nous à un moment donné et bien moins évidente qu’on ne poyrrair le penser au premier abord.

Les riches anglais.

Ce gentleman se trouvant néanmoins fort occupé par les préparatifs de son prochain voyage -fort occupé comme tous ceux que leur naissance et leur patrimoine dispensent de travailler : à croire que l’oisiveté est la plus apparente des conditions. 

Le Canada.

 Comme toute cette grande et forte nature n’a que peu à voir avec celle si familière et domestiqué de mon cher Devon ! C’est ici le royaume des sapins et des épinettes, des bises sifflant dans les cimes, des eaux glacées même en été. C’est ici le royaume des saumons remontant à toute force les torrents pour frayer … et des industrieux castor… et des paisibles élans. C’est ici le royaume des innombrables oiseaux de la création : fous blancs planant dans le ciel bleu, autours qui hantent les forêts, tant d’autres dont je ne sais pas les noms ! Malgré leurs trains et leurs gares, malgré leurs pauvres petites villes disséminées de loin en loin, on sent bien que les hommes ne sont point ici chez eux. Du moins pas les hommes que je connais, ceux qui portent des montres dans leurs goussets et qui ont depuis longtemps perdu l’habitude de se régler sur le lever et le coucher du soleil, ceux qui n’ont jamais eu besoin d’attraper ou de faire sortir de terre ce qu’ils mangent mais toujours de tromper leur ennui au club, au théâtre, au cabaret.

L’oubli.

 Quand les vivants qui ont connu les morts meurent à leur tour, quand plus aucun d’entre-eux n’est là pour entretenir leurs tombes et honorer leur mémoire, ces morts du temps passé meurent une seconde et dernière fois. Peu de temps sépare la mort organique de cette seconde mort définitive qui est la vrai et dont le nom est l’Oubli – une génération à peine , l’homme est si peu de choses