Éditions Stock 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Dans cette autofiction, Emmanuelle Lambert retrace la personnalité de son père en suivant les six derniers jours de sa vie. J’avais choisi cette lecture grâce à ces deux phrases qui sont sur la quatrième de couverture :

Mélancolique sans le poids du pathos. Poignant et solaire.

Seulement, c’est bien de mort dont il s’agit, et je suis à l’âge où je vois partir les miens et mes amis et je n’ai pas eu le courage de lire les derniers instants de son père. C’est moi qui ai remis du « pathos » et ma sensibilité m’a empêchée de profiter du côté « solaire » pour le « poignant », j’ai été plus que bien servie, j’ai bien revécu mes proches qui ont récemment disparu avec des cancers en phase terminale.

Pour les lecteurs plus jeunes que moi et moins nostalgiques, je pense qu’ils auront plaisir à connaître ce père qui a mordu dans la vie et toutes ses nouveautés avec une force et une détermination peu communes. Avec trois amis scientifiques comme lui, ils ont été très actifs en mai 68. L’un est devenu médecin, l’autre mathématicien de génie et emporter par la folie et lui qui est au début de sa vie programmeur mais surtout le père de deux filles, l’auteure et Magalie sa cadette.

Le couple parental sera emporté par la tempête d’un divorce que la mère aura tant de mal à vivre, elle qui avait mis toutes ses forces dans la survie de cellule familiale beaucoup trop étroite pour ce père dont l’énergie était sans limite.

On sent que la narratrice a du mal à supporter cet aspect de la vie de son père, elle nomme sa nouvelle femme « l’épouse » il y a d’ailleurs un jeu sur les prénoms que j’ai eu du mal à comprendre, elle ne donne les prénoms que des personnes qui lui ont fait du bien mais ni de son père ni de sa mère.

Pour vous donner envie de lire ce livre, je dirai que son père m’a rappelé « les vieux fourneaux » . Je pense que vous pourrez alors sourire quand elle décrit sa façon de conduire et de faire du sport sans jamais prendre de leçons.

 

Citations

Le style de l’écrivaine.

Il suintait la solitude d’un enfant grandi sans mère, et la conscience douloureuse de la différence sociale lorsqu’on l’expédia dans une autre des écoles du groupe des Frères des écoles chrétiennes, les Francs-Bourgeois de Paris. Ils était la bonne œuvre brillante et perdue parmi les grosses de riches. On dit que certaines personnes portent leur embryon mort de leur jumeau dans leur corps, dans des endroits incongrus. Il me semble que, pour certains, l’enfance désolée s’accroche à leur corps comme l’embryon mort à son double.

le dernier jour .

Le vendredi matin ma sœur et moi sommes arrivés en même temps. Dans la chambre de l’épouse nous attendait sa douleur et son épuisement m’ont attendrie, bien que j’ai toujours été trop vieille et mal aimable pour avoir une belle-mère de mon âge.

 

 

Éditions Fleuve. Traduit dujaponais par Diane Durocher.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Toujours dans le thème  » du Japon » du club de lecture, ce roman décrit un homme en proie à la souffrance de voir sa mère s’en aller dans le pays si étrange de la maladie d’Alzheimer. J’écris cet article alors que la France est secouée par un livre reportage sur les EHPAD. À La fin de ce roman, Izumi laissera sa mère Yuriko dans une maison où nous aimerions tous finir nos jours ou y laisser ceux que l’on a tant aimés.

Ce n’est pas le sujet du roman mais cette dernière demeure donne une idée de ce que peut être un lieu d’accueil réussi pour ceux qui n’ont plus leurs facultés cognitives. Cela ressemble à des endroits où au lieu de séparer les gens âgés, ou handicapés on les fait vivre au milieu des enfants ou de gens bien portants.
Mais partons dans la vie d’Izumi qui marié à Kaori, va bientôt être père. Il doit l’annoncer à sa mère qui l’a élevé seule sans jamais lui dire qui a été son père. Cet adulte s’est donc construit sans image paternelle et il est très angoissé à l’idée d’être père. Kaori et lui travaillent dans le monde de l’image et de la musique. Ils ne sont pas eux-mêmes musiciens mais il sont dans une grande agence qui « fabrique » les carrières des artistes. Cela nous vaut une plongée assez intéressante dans ce monde artificiel des « communicants » de ce monde du spectacle, les rivalités, l’argent, le pouvoir, mais à la mode japonaise, où tout l’art est de garder pour soi ses réactions et ne jamais rien laisser paraître de ses propres sentiments. Izumi est très absorbé par son travail et, s’il n’a pas abandonné sa mère, il va de moins en moins souvent la voir, et surtout refuse de se rendre compte que celle-ci a des problèmes de mémoires.

L’originalité de ce texte et qui l’a rendu très touchant à mes yeux, c’est le renversement de ce à quoi on s’attend. C’est sa mère qui est farouchement attachée à des souvenirs que lui a oubliés. Et en remontant dans les souvenirs de la vieille dame Izumi se rend compte combien il a été aimé et quelle force il a fallu à sa mère pour lui donner l’éducation dont il profite aujourd’hui. Pourtant, il y a une année où il a vécu seul vaguement surveillé par sa grand-mère. Pour découvrir cette année, l’auteur aura recours au cahier intime de sa mère. Il découvre une femme passionnément amoureuse d’un homme marié à une autre. Cette parenthèse amoureuse se terminera par le séisme de 1995 Kobé

(le décompte officiel des conséquences de ce séisme se chiffre à plus de 6 437 morts, 43 792 blessés et des dégâts matériels se chiffrant à plus de dix-mille milliards de yens, soit 101 milliards d’euros. On dénombre 120 000 bâtiments détruits ou endommagés et 7 000 brûlés, la destruction des polders du port de Kobé et plus de 250 000 déplacés pendant plusieurs mois. extrait de l’article de Wikipédia )

Cette plongée dans le Japon a toujours, pour moi, un exotisme qui m’empêche d’être totalement enthousiaste -c’est pourquoi je ne lui attribue pas cinq coquillages. Par exemple je n’arrive pas à comprendre comment cette mère si attentive peut laisser son fils collégien (12 ou 13 ans) vivre seul pendant un an sans même prévenir sa propre mère, c’est Izumi qui doit le faire. On ne saura jamais qui est le père d’Izumi cela perd de son importance dans le roman sans que je comprenne pourquoi. Pas plus qu’on ne saura c’est qu’est devenu l’homme qu’elle a suivi à Kobé fait-il partie des 6437 morts ? Elle ne cherche pas à le savoir, son histoire avec lui s’arrête là et elle revient vers son fils qui visiblement fait comme elle : tous les deux mettent cette année entre parenthèses.
Comme souvent dans les romans japonais la cuisine est très importante et chaque souvenir est parfumé par l’odeur d’un plat particulier : la soupe miso, le boeuf au nouilles sautées, du shiruko ….

J’ai passé un bon moment avec ce roman, malgré mes quelques réserves.

 

Citations

Comparaisons tellement japonaises.

Izumi n’en pouvait plus de cette histoire et souhaitait en venir aux choses sérieuses mais il eut le bon goût de retenir sa langue. Il lui semblait qu’ils jouaient une partie de mikado, où le moindre geste trop empressé pouvait faire rouler toutes les baguettes. Kaori continuait de poser des questions sans montrer la moindre impatience, comme si elle essayait d’amadouer un chat.

Façon légère de décrire une scène émouvante.

 -Je me fatigue vite. Un ou deux élèves par jour, et je suis éreintée. 
-Tu pourrais arrêter. Tu as ta retraite, et puis je peux envoyer plus d’argent.
– Si je ne travaille plus, je ne suis plus utile à rien.
 Il ne sut que répondre. Se pouvait-il que les humains, telles des machines ou des jouets, deviennent inutiles ? Les mains de sa mère étaient recroquevillées l’une sur l’autre, comme pour cacher leur rides. 

Sujet du roman, paroles du médecin.

 Autrefois, notre espèce ne pouvait espérer atteindre les cinquante ans. Cette limite dépassée, nous avons commencé à voir apparaître les cancers. Maintenant que nous réussissions à les combattre et à rallonger d’autant nos espérances de vie, c’est Alzheimer qui nous rattrape… À chaque victoire, l’humanité doit se mesurer à une nouvelle menace.

Souvenirs qui vont constituer la trame du roman.

 « Pardon, maman. j’avais oublié. »
Elle l’avait embrassé, en pleurs, en le retrouvant à la fête foraine. Elle avait passé la nuit à lui coudre un sac pour ses vêtements de sport, alors qu’elle avait travaillé toute la journée. Elle lui donnait toujours la moitié de son omelette. Elle avait cherché avec la force du désespoir sa pochette fleurie, offert pour son anniversaire. Elle l’avait encouragé plus fort que n’importe quel autre parent lors d’un match (même si, sur le coup, c’était un peu embarrassant). Elle l’avait emmené au restaurant pour fêter ses réussites scolaires. Elle l’avait emmené au stade de baseball à vélo, le dos trempé de sueur. Elle lui avait préparé un délicieux « shiruko ». Elle lui avait fait la surprise de lui offrir une guitare électrique. Ce n’était pas vraiment la marque qu’il voulait, mais ça l’avait rendu heureux. Elle l’avait emmené en vacances au lac, et il avait pêché un gros poisson pour la première fois de sa vie. Elle non plus, d’ailleurs, n’avait encore jamais tenu de canne à pêche…
« Comment ai-je pu oublier tant de bonheur ? »

 

 

 

Éditions Gallimard

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Après « Chevrotine » et « Korsakov » voici un livre d’amour filial qui se brise sur un suicide. C’est peu dire qu’Eric Fottorino à aimé son père, celui qui lui a donné son nom en l’adoptant à 9 ans alors qu’il était le fils d’une mère célibataire. Le mariage de Michel Fottorino avec la mère d’Éric a été le plus beau cadeau que l’on pouvait faire à cet enfant qui à son tour a adopté cet homme en trichant parfois sur ses propres origines : il lui arrivait de faire croire qu’il était né à Tunis plutôt qu’à Nice, et que sa graphie était influencée par l’écriture arabe qu’il n’a jamais apprise (évidemment !). Dans cette autobiographie, l’auteur nous fait revivre ce père et tout ce qu’il a su donner à son fils. C’est un livre très touchant et écrit de façon très simple. Nous partageons toutes les interrogations et la tristesse de l’écrivain : pourquoi son père s’est-il suicidé ? Et est-ce que Éric, aurait pu empêcher ce geste terrible ?

Michel, celui qu’Éric a appelé « papa » même quand il a réussi à reprendre contact avec son père biologique n’a peut-être pas réussi à faire de son fils un champion cycliste mais il lui a donné assez de force et d’amour pour écrire un très beau livre qui respecte l’homme qu’il a été.

Citations

 

Comme je comprends !

 Cette phrase qui m’a ravagé, qui a ouvert la vanne des sanglots, disait : « Chapeau Éric, il a fait du chemin le gamin du Grand-Parc », allusion à la cité où j’habitais avec ma mère à la fin des années 1960 à Bordeaux, avant qu’ils se rencontrent et se marient, avant qu’il m’adopte, qu’il nous donne son nom à elle et à moi, ce nom que je porte comme un talisman, qui sentait la Tunisie du sud, les pâtisseries orientales, l’accent de là-bas, la chaleur et le bleu du ciel, Les dunes de Tozeur et le miel, quelque chose d’infiniment généreux qui passait dans sa voix ou dans ses seuls gestes quand il estimait que les mots étaient de trop et qu’il préférait se taire, promenant seulement sur moi un regard d’une tendresse sans fond ou recherchant la complicité d’un clin d’œil.

Quel amour !

Envie de l’appeler, d’entendre sa voix une dernière fois, pour la route, la longue route sans lui. Je ferme les yeux et il apparaît. Ce n’est pas un fantôme mais tout le contraire. Il a passé son chandail couleur corail, nous montons le Tourmalet, j’ai treize ans. Il est d’autant mieux devenu mon père que, de toutes mes forces et de toutes mes peurs, j’ai voulu devenir son fils. 

Et cette question que nous nous posons tous face à un suicide :

 Nous sommes rentrés à Paris, je n’avais pas parlé à mon père. il avait parfaitement donné le change, bravo l’artiste. Nous nous sommes embrassés. C’était la dernière fois. Je ne le savais pas. Lui si.
 Aurais-je pu l’empêcher ? Tous mes proches, la famille, mes amis, me disent « non ». Au fond de moi, je crois que « oui », et c’est horrible de vivre avec cette pensée. Je me dis que si je m’étais montré plus spontanément généreux, plus insistant pour l’aider, malgré sa répugnance à l’être, il aurait peut-être différé son geste, et là dessus le versement d’une retraite venu le dissuader d’en finir ainsi. À quoi bon se le dire ? Je me le dis pourtant. Ce que j’éprouve n’a pas de nom, de nom connu. Quelque chose de moi s’est détaché et flotte dans l’air, invisible et pourtant consistant. Je me sens triste sans tristesse, seul sans solitude, heureux sans joie.