Éditions Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Après le Secret et la Mauvaise Rencontre, je renoue avec cet auteur grâce au club de lecture. Le narrateur doit faire face au deuil de sa compagne tendrement aimé. Cela lui devrait être chose plus aisée qu’à d’autres puisqu’une de ses spécialités en tant que psychanalyste c’est justement « Le deuil ». Seulement comme chacun le sait, c’est tellement plus simple d’expliquer et d’aider les autres que de se comprendre soi-même et de ne pas faire les erreurs que l’on a vu les autres commettre. Le narrateur plonge donc dans le deuil sans que rien ne puisse le retenir : ni l’affection de sa fille, ni son ami violoncelliste, ni son médecin qui surveille la pile qui doit empêcher son coeur de s’arrêter. La nouveauté qui nous vaut ce roman, c’est le « service » que propose des « start-up » : créer un avatar de la personne récemment disparue et dialoguer avec elle . Oui, ce service existe, et non, je ne connais personne qui l’a essayé. On devine comment cela marche, et l’auteur le raconte très bien, vous laissez des créateurs de logiciel entrer dans votre vie virtuelle, vous leur confiez photos et document sonores, grâce à des entretiens, ils découvrent votre vie et celle du défunt, et moyennant un budget conséquent, ils créent l’avatar de la personne disparue qui pourra dialoguer avec vous.

Pour le romancier ce sera salutaire puisque c’est grâce à cela qu’il retrouvera l’inspiration nous raconter son deuil enrichi de cette expérience  : et hop ! la boucle est bouclée.

On apprend au passage qu’avoir une pile dans le coeur, n’est pas anodin et que vous donnez à une compagnie le droit de ralentir ou d’accélérer votre rythme cardiaque. D’ailleurs, il y a quelqu’un qui a montré qu’un hacker pourrait ainsi neutraliser des personnes très âgées porteuses de ce genre de pile (si possible des dirigeants politiques).

C’est un roman très facile à lire et qui met en lumière une pratique funéraire qui risque de se développer : notre société veut tellement fuir la mort que je pense que ce genre d’entreprise va connaître un bel essor. Malgré une écriture très agréable, je n’ai pas été touchée par ce roman que j’ai trouvé vide. Il est rare que j’apprécie un livre où l’auteur raconte comment il a du mal à écrire tout en écrivant, c’est une impudeur qui me gêne.

PS c’est tout à fait par hasard que sur mon blog deux auteurs ayant le même nom se suivent !

Citations

Un père et sa fille.

 Quelques années auparavant, Agnès avait rencontré l’homme de sa vie qui allait devenir son mari, puis le père du petit miracle devant lequel Irène et moi sommes retombés en enfance. Seule ombre au tableau : la complicité qui me liait à ma fille s’était émoussée. Il m’était difficile de percevoir encore dans la femme épanouie celle qui, autrefois blottie dans mes bras, me confiait ses secrets. La grossesse puis la maternité d’Agnès avait naturellement installé une nouvelle distance : la fille aimée était maintenant avant tout une épouse et une mère. J’ai su faire bonne figure afin que personne n’aperçoive, sous les attentions et la tendresse d’un grand-père, la nostalgie d’un père.

L’Après.

 Dans le tiroir du meuble de la salle de bain, j’avais entrepris d’enfermer ses produits de beauté mais au moment de les ranger je n’ai pu résister au besoin de dévisser le bouchon de son parfum : tel le génie de la lampe, Irène avait jailli du flacon, remplissant la pièce de ces effluves autant que de son absence.

Joli passage :

 « C’est une curieuse expérience de constater que ma vie ne tient qu’à un fil, celui qui relie cette pile à mon cœur, un cœur qui ne bat plus pour personne »
Lui confiai-je, Peu après la mort d’Irène, un jour où l’absence de mon épouse me pesait plus encore que d’ordinaire et me rendait impossible cet exercice dans j’avais pourtant la maîtrise : faire bonne figure. Une autre fois où je retrouvais un peu de mon humour, je parvins à lui demander :
 « Docteur vous qui savez redonner du rythme à ceux qui défaillent, pouvez-vous faire quelque chose pour les cœurs brisés ? »
Il répondit en souriant :
« Et vous, qui savez si bien écrire sur le deuil, votre sagesse et votre plume ne peuvent-elles vous aider à traverser cette épreuve ? »


Éditions Le Dilettante . Couverture Camille Cazaubon.
 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai indiqué le nom de la personne qui a imaginé cette couverture car elle m’a bien plu. Dans le grand rond, le titre je vais l’expliquer dans mon billet, mais dans tous les petits ronds d’autres chiffres et peut-être vous amuserez vous comme moi, et la bibliothécaire du club de Dinard à en trouver la signification – pour 1515, ok nous sommes nombreux mais pour 8848 ?- . (Je me demande ce que Goran aurait pensé de cette couverture ?)

Mes coquillages parlent pour moi : ce roman a su me séduire et pourtant j’ai quelques réserves. Je trouve que les personnages manquent d’humanité , la compagne du « héros » montre l’étendue de ses sentiments, seulement au dernier chapitre.

Revenons à l’histoire : François est un haut cadre chez Google France, il gagne très bien sa vie, il est divorcé et père d’une adolescente peu sympathique, il va de conquête en conquête, bref tout va bien pour lui. Sauf que … il va avoir soixante ans et il est absolument terrifié par la vieillesse. Heureusement, il fait beaucoup plus jeune que son âge.

La fiction peut commencer, dans une société où on peut demander à changer de nom, de sexe pourquoi ne pas demander à changer de date de naissance et se rajeunir de quelques années. François fera calculer son âge par un algorithme mis au point par une toute nouvelle société : « Humanprog » et découvrira que son âge biologique est de trente neuf ans et quatre mois.- d’où le titre 39,4.

On le comprend bien ce roman est l’occasion pour cet auteur dont j’ai très envie de lire le premier roman (Panne de secteur), de se moquer de la peur du vieillissement. Il le fait avec un don incroyable, celui de saisir tous les travers de notre société. Je pense que son poste d’observation de professeur et chef de clinique dans un grand hôpital parisien lui donne accès aux grandeurs et aux petitesses de l’âme humaine. La scène chez le chroniqueur Ruquier est tellement vraie, le pauvre philosophe qui veut simplement dire que finalement nous mourrons tous et la façon dont une chroniqueuse le renvoie « à la niche » sans lui permettre de s’exprimer est d’une tristesse qui n’a d’égale que celle que nous éprouvons parfois quand nous regardons les intervenants sur les plateaux de télévision mettre en pièce un philosophe ou un scientifique qui ne parle pas le langage à la mode du petit monde parisien.

Le style de cet auteur est très particulier, il avait, semble-t-il rebuté des lecteurs par un goût prononcé pour des mots rares de la langue française, il le fait ici aussi mais ça ne gène pas la lecture. Je ne suis pas certaine que je me souviendrai de

 un quérulent processif 

Bien que l’auteur en donne l’explication dans la fin de sa phrase :

François se trouver présenté comme un quérulent processif, l’un de ces illuminés en proie à un délire de revendication destiné à redresser un dommages fictif.

 

Ce n’est pas un roman que l’on lit facilement car souvent on doit rester concentrer pour savourer ce qu’il va nous décrire et comme hélas ce qu’il nous raconte sont les côtés les plus superficiels et les plus tristes de notre société, le lecteur (en tout cas moi) est un peu sonné par sa lecture. On rejoint mon bémol du début, je suis certaine que même chez les bobos parisiens il y a plus d’humanité que ce qui est décrit par Philipe B Grimbert. (à ne pas confondre avec un autre Philippe Grimbert !)

(PS : lors de notre réunion du club de lecture 7 avril, une lectrice a exprimé son dégoût de ce roman, car elle trouvait le personnage absolument « machiste », ce qui est vrai, mais à aucun moment l’auteur n’a de la sympathie pour son personnage . Et pour moi j’y ai vu surtout une condamnation du machisme de ces hommes qui ont tout réussi en même temps qu’ils gardent une apparence physique digne de la jeunesse. Et finalement la seule personnage sympathique sera la femme qui clôt l’histoire. Mais si vous lisez ce livre j’ai hâte de savoir comment vous interprétez les intentions de l’auteur )

 

Citations

Portrait de la chroniqueuse chez Ruquier.

Elle était à cet instant semblable à ces chiens de combat musculeux de petite taille qui paraissent trouver dans l’obturation déterminée de leur mâchoire sur leur proie, le point d’équilibre et de justification de l’ensemble de leur personnalité. elle s’était saisie du vieux philosophe, lui agrippait un morceau de chair pendante avec une telle puissance qu’il paraissait improbable, même en la soulevant dans les airs, de lui faire lâcher prise.

Et fin de l’émission

 François et Jehan regagnèrent les coulisses, laissant sur le plateau Jacques Hofstein et son regard aussi expressif qu’une feuille de papier journal froissée. L’assistante leur assura qu’ils avaient été « top » avec une pointe d’audimat enregistrées pendant près d’une minute quarante. On entendit une voix lointaine l’animateur introduire les invités suivant pour un débat consacré à « l’insémination des vaches laitières et ses relations avec notre culture du viol ».

Quel art de la formule.

À part quelques épidémies virales gérontophages on continuait à s’enliser dans la comptabilité marécageuse des régimes de retraites et les dernières réformes, illustrées du slogan tout droit sorti du cerveau d’un énarque facétieux « travailler plus longtemps pour vieillir moins lentement  » laissant craindre une nouvelle secousse tellurique. 

La description des urgences de Cochin sent le vécu.

 Il s’était bêtement tordu une cheville un dimanche matin en plein footing et, craignant une entorse grave, s’était rendu aux urgences de l’hôpital Cochin. Arrivé vers 11heure , il avait quitté les lieux à 19 heures armé d’une ordonnance pour du Doliprane rédigé par un interne moldave qui l’avait examiné d’un air flapi. Bien avant cela, il avait patienté dans une salle d’attente surpeuplée, à côté d’un vieillard couché sur un brancard, qui répandait autour de lui une forte odeur d’urine ne semblant même plus incommoder la femme usée qui lui tenait la main. Le sol était maculée de taches diverses et, tous les quarts d’heure, une voix de femme annonçait en hurlant le nom de la personne invitée à s’approcher de l’office où trois infirmières s’affairaient. Tout autour se tenait une foule composite d’adultes seuls ou de familles. Un peu à l’écart s’agglutinaient en grappes près d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants autour d’un homme d’une soixantaine d’années coiffé d’un feutre vert élimé. Le voisin de François l’informa, avec le ton résigné d’un homme rompu à la fréquentation des lieux, qu’il s’agissait du patriarche d’une famille de gitans donc les avatars culturels l’incitaient à ne jamais se déplacer à l’hôpital sans la totalité de son « cheptel ».

Quel regard acerbe ! Paris était envahi par les manifestants « gilets jaunes ».

 Par le plus grand des hasards et pour le plus grand bonheur de François, Jehan Lamarc et Tigrane Fanfard s’étaient vu empêcher l’accès au théâtre du Rond-Point pour l’un et à la fondation de Louis Vuitton pour l’autre. C’est ainsi qu’un miracle se produisit. Unis par la frustration dominicale, tels deux naufragés d’une croisière de luxe échoués sur une plage de Sicile parmi les clandestins, la glace se brisa.

« Baiser » avec une grand mère.

 Il venait de baiser avec une grand-mère. Une vision d’effroi le parcourut comme un frisson. Celle du loup dans « le petit chaperon rouge » après qu’il eut ingurgité la mère-grand. François avait toujours redouté que la vieille, ses os décalcifiés est sa chair avariée, intoxique gravement l’animal. Il se sentit fiévreux. Moins d’une minute plus tard il traversait au pas de course la cour de l’amphithéâtre, les lacets défaits, la chemise hors du pantalon, la conscience souillée comme s’il venait de s’adonner à un acte de haute perversité, et sitôt rentré chez lui, se nettoya avec frénésie pour effacer les traces de cet acte odieux.

Le tourisme écologique.

 Bien que presque tout, jusqu’à l’eau, fût importé de Casablanca ou d’autres villes du Maroc par avion, hélicoptère et puissant 4×4, l’ensemble du village affichait son esprit « éco-friendly ». Cela se traduisait par une absence de papier hygiénique et de télévision, l’utilisation exclusive de serviettes recyclables, une politique zéro plastique et un club enfant écopédagogique même si, élément appréciable, il n’y avait aucun enfant en ce milieu.

La vieillesse et la dépendance.

 En écoutant les récits de certains de ses amis sur les fin de vie pathétiques de leurs propres parents, François réalisait la chance qu’il avait eue. Il avait échappé au dimanche en EHPAD, aux vacances bouleversés par les aléas médicaux, sans parler des conséquences financières, les sommes exorbitantes avalées pour maintenir des vieillards grabataires et énurétiques « dans le confort et la dignité », qui entamaient parfois de façon drastique le montant des héritages futurs.

Le vieillissement.

 Outre le fait que la majorité de ses fréquentations, passé le demi-siècle, se trouvaient engagées dans une relation exclusive avec une hypertrophie de la prostate, un carcinome mammaire ou les prodromes d’une ischémie coronarienne, beaucoup exhibait un intérêt nauséabond, qui suintait comme un exsudat dans leurs conversations quotidiennes, pour la fréquence de leur coloscopie, la grandeur d’âme de leur urologue, ou le talent démiurgique de leur nutritionniste.


Édition Zulma . Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Appelés en 2013 à élire le plus beau mot de leur langue, les Islandais ont choisi un substantif de neuf lettres désignant une profession médicale : Ijósmóðirin, sage femme. Dans son argumentaire, le jury souligne qu’il unit deux mots magnifiques : móðir qui signifie mère et Ijós, lumière.

Ce roman m’a fait du bien dans des moments où le monde devenait fou . Partir dans les réflexions d’une sage-femme elle même petite fille et arrière petite fille de sage-femme et découvrir l’Islande ancienne et actuelle m’a permis d’oublier la guerre et toutes ses conséquences. J’ai eu envie de noter beaucoup de phrases qui me plaisaient, ma préférée est sans doute celle que prononçait sa grand-tante à chaque naissance

Bonjour petit être. Tu es le premier et le dernier toi en ce monde.

Le reste du livre est constitué par une recherche pour comprendre ce que la grand-tante a voulu léguer à sa petite nièce. Dans son appartement que l’héroïne devra rénover, elle trouve une correspondance avec une amie Galloise et surtout des textes qui pourraient être publiés. Mais que voulait vraiment dire Frida ? Tout ce que l’on comprend c’est que sa recherche associait la naissance à la lumière. Ce n’est pas très facile de comprendre ce que sa tante voulait dire, d’ailleurs sa petite nièce renoncera à vouloir le faire publier.
Les moments que nous passons dans l’Islande actuelle, nous vivons des accouchements, une tempête d’hiver et une belle ballade vers les aurores boréales . Ce n’est sans doute pas un grand roman car il est trop décousu à l’image de la tentative de sa grand-tante de comprendre l’humanité mais on y est bien, je l’ai lu avec grand plaisir et j’espère retenir ma phrase préférée.

 

 

Citations

Naissance

Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse. 
Il ouvre les yeux pour la première fois. 
Et voit la lumière. 
Il ignore qu’il vient de naître.
 Je lui dis, bienvenue, mon petit.
 Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t-shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
 Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
 Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs. 
– Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente. 
C’est leur troisièmes fils. 
– Ils sont tous nés en décembre, commente le père. 
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)

Des phrases que j’aimerais retenir.

 L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
 Il n’y a pas grand chose sous le Soleil 
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier. 
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.

 Présentation de ses parents (je me demande ce que sont des cercueils qui ne sont pas à usage unique ? ? ?.)

 Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.

Repas en famille.

 Au dernier repas de familles, ma mère a passé toute la soirée à parler de la mort. Papa hochait régulièrement la tête et mon beau-frère l’écoutait avec attention. Après, il est allé dans la cuisine pour remplir le lave-vaisselle et mes parents ont continué à discuter du prix des cercueils, de leur qualité et des commandes en cours.

Les journées d’hiver en Islande.

 Je tente de lui expliquer que le jour se lève et prend fin très vite après, finalement j’exprime les choses d’une autre manière : le Soleil apparaît à l’horizon peu avant midi et disparait vers trois heures. L’aube s’étire en longueur toute la matinée et trois heures après la parution de la lumière, l’air s’assombrit à nouveau et le soleil s’enfonce dans la mer.

La philosophie de sa grand-tante sage femme comme elle.

 Même si elle ne croyait pas en l’homme, ma grand-tante avait foi en l’enfant. Ou disons plutôt : elle ne croyait en l’homme qu’en deçà de 50 cm. Cela correspond également aux récits de ses collègues de la maternité. selon elle, il y avait d’une part l’être humain et d’autre part, l’enfant. tout ce qui était petit, et de préférence plus petit que petit, vulnérable et faible, suscitait son intérêt et éveillait sa tendresse, que ce soit dans le monde des hommes, dans le règne animal ou végétal.

Point final.

 Là où les manuscrits se contredisaient, c’est que même si ma grand-tante prévoyait la disparition de l’être humain, elle supposait qu’il y aurait dans le monde du futur une place non seulement pour les animaux et les plantes, mais aussi pour les enfants. Et pas uniquement eux puisque deux autres catégories y seraient également représentées . D’une part les gens qui avaient conservé leur âme d’enfant, « qui s’amusaient à souffler sur les graines de pissenlits et savaient s’étonner », et d’autre part – ce qui n’a rien de surprenant, a souligné ma sœur- les poètes.
Voici les listes des mots qui veulent dire brouillard et neige en islandais je les ai pris en photo car c’est trop compliqué à écrire.

 


Édition Calmann Levy.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Décidemment cet auteur est attiré par la vieillesse car après  » L’étoile et la vieille » voici « le vieux » !

Ce roman se divise en trois moments : la peur du Vieux de ce qu’il appelle « les bombes » c’est à dire tous ceux qui meurent autour de lui ou qui sont atteints de maladie dégénératives. Il rencontre à un enterrement d’une femme qu’il a aimée autre fois, la fille qu’il a élevée pendant quelques années, Camille qui est devenue actrice et metteur en scène. Il va croiser aussi Simon un jeune acteur très beau qui le questionne sur le suicide assisté.
La deuxième partie tourne autour du suicide de Simon et de l’opéra que Camille et lui voulaient monter « La flûte enchanté ». Le vieux qui a monté plusieurs opéra a toujours souffert de n’avoir jamais réussi à monter cette œuvre de Mozart. Nous verrons comment l’équipe d’acteurs et de chanteurs vont vivre ce deuil brutal et apparaît un personnage étrange une bretonne comme je n’en ai rencontrée que dans des contes, qui fait des crêpes et qui racontent des légendes en particulier autour de l’Ankou (la représentation de la mort en Bretagne), elle est la concierge du théâtre et jouera un rôle dans le suicide de Simon on découvrira un personnage obsédé par la mort, très déséquilibré et alcoolique.

Enfin la troisième partie, nous apprenons le prénom du vieux : Jean-Michel qui vit avec une ancienne cantatrice, Mireille, et ensemble ils décident de mourir en utilisant le suicide assisté , ensemble ils auront le COVID et ensemble, ils s’en sortiront et finalement ne se suicideront pas.
Plusieurs thèmes se croisent dans ce roman, la représentation théâtrale, la vieillesse et surtout la mort.

J’ai assez bien aimé la première partie, franchement détesté la deuxième avec cette bretonne sortie dont on ne sait quel imaginaire et qui ne rend pas justice aux bretons que je connais et la troisième est quasiment insupportable, cette description de ce couple qui veut mourir dans la dignité et qui, au dernier moment se raccroche à la vie m’a absolument dégoutée .

Au moment où je rédige ce billet des bombes, des vraies celles-là, tombent sur Kiev et cela explique beaucoup mon dégoût de cette fascination pour la mort de ceux qui ont tout pour vieillir tranquillement. J’exagère peut-être mais c’était bien le thème de Michel Rostain, la mort et celle-ci frappe à notre porte de façon tellement plus terrible et l’on se rend compte que le plus souvent l’homme ne choisit plus rien .

 

Citations

La peur de l’Ehpad .

 – Ce n’est pas l’état de Catherine qui m’angoissait, c’est l’Ehpad : y aller me terrorisait comme s’il s’agissait de mon prochain domicile !
 « Lorsque j’ai enfin surmonté ma trouille, je suis arrivé là-bas un jour de chorale. Dans le grand salon de l’Ehpad, une chef d’orchestre tirait de toutes ses forces les voies épuisés d’un demi-cercle de vieillards – vingt voix éraillées égrenait comme elles pouvaient les sous-titres de la chanson de Dalida qu’on leur projetait en mode karaoké :
 » Je sais bien que tu l’adores, Bambino, Bambino
 Et qu’elle a de jolis yeux, Bambino, bambino…
Mais tu es trop jeune encore, Bambino, Bambino,
 Pour jouer les amoureux. »
 » Cette chanson qui claudiqué, lento, mollo, pas sano du tout, c’était à pleurer. Catherine était la, hagarde au milieu de cette assemblée de fauteuils roulants, et alors je me suis vu, je t’assure… vu à côté d’elle, en survêt lamentable, édenté et gâteux. la vraie bombe, c’est celle-là, celle qui ne me tuera pas et me maintiendra en vie mais en ruine !
 Coup de massue supplémentaire, un des choristes a fait rouler son fauteuil jusqu’à moi pour demander : « c’est vous le nouveau ? » Et j’ai soudain réalisé pourquoi pas moi en effet ? après tout j’ai l’âge réglementaire pour déposer un dossier d’admission dans un Ehpad. (Catherine et moi, on est nés la même année !) 

J’ai souvent entendu cette remarque.

 Même vides, les salles de théâtre ne sont jamais désertes. Les notes qu’on y a chantées, les pages qu’on y a dites, les âmes qui ont dansé sur la scène ont toutes laissé un bout d’elles-mêmes. Il suffit de fermer les yeux et d’écouter, les Théâtres palpitent tout le temps de milliers d’émotions

Éditions Seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Un livre de 85 pages qui se lit comme un grand article de magazine sur la mort du père d’Édouard Louis que j’avais connu grâce à « En finir avec Eddy Bellegueule » . On retrouve dans ce roman la description sans concession de la misère qui a vaincu son père. J’aime beaucoup l’écriture de cet écrivain et il permet de cerner de près le pourquoi de la déchéance physique de cet homme dont il a eu tant peur avant de penser qu’il l’a sans doute aimé. Son fils remonte dans le temps et essaie de retrouver celui dont le principal crédo était de ne pas être une femmelette et le pire de l’injure était d’être un pédé. Tout le long de ce petit texte Édouard Louis se souvient d’un spectacle qu’il avait monté avec ses cousins où lui même jouait le rôle de la chanteuse. De façon obstinée, il cherche à savoir pourquoi son père n’a pas été fier de lui : est ce parce qu’il était déguisé en fille ? Sans doute, mais son père ne lui a rien dit. Cet auteur se souvient aussi du jour ou un de ses frères a essayé de tuer ce père, tout cela parce que lui a dénoncé le fait que sa mère donnait de l’argent à un délinquant qui ne cherche qu’à boire et à se droguer. L’auto-analyse de la mauvaise conscience est bien à l’image de ce que j’ai déjà lu de cet auteur. Dans sa recherche de la cause de la mort de son père les 10 dernières pages (sur 85, je le rappelle !) sont consacrées à tous les responsables politiques qui ont pris des décisions qui ont appauvri son père donc qui lui a rendu la vie plus difficile. J’avoue que ce ne sont pas mes passages préférés. Je trouve que dénoncer des hommes politiques en distribuant les mauvais points comme un maître d’école à l’ancienne, sans dénoncer Ricard, alors que son père est capable d’en boire une bouteille entière certains soirs, ce n’est pas très juste dans la distribution de ceux qui ont tué son père.

 

 

Citations

Noël .

 Toute la famille est autour de la table. Je mange beaucoup trop, tu as acheté trop de nourriture pour le réveillon. Tu avais toujours cette peur d’être différent des autres à cause du manque d’argent, tu le répétais, Je ne vois pas pourquoi on serait différent des autres à cause du manque d’argent, et pour cette raison, pour ça tu voulais avoir sur la table tout ce que tu imaginais que les autres avaient et mangeaient pour Noël, du foie gras, des huîtres, des bûches, ce qui fait que paradoxalement plus nous étions pauvres elt plus on dépensait d’argent à Noël, par angoisse de ne pas être comme les autres.

École et masculinité .

Pour toi, construire un corps masculin, cela voulait dire résister au système scolaire, ne pas te soumettre aux ordres, à l’Ordre, et même affronter l’école et l’autorité qu’elle incarnait. Au collège, un de mes cousins avait giflé un professeur devant toute sa classe. On parlait toujours de lui comme d’un héros. La masculinité, -« ne pas se comporter comme une fille, ne pas être un pédé »-, ce que ça voulait dire, c’était sortir de l’école le plus vite possible pour prouver sa force aux autres, le plus tôt possible pour montrer son insoumission, et donc, c’est ce que j’en déduis, construire sa masculinité, c’est se priver d’une autre vie, dans un autre futur, dans un autre destin social que les études auraient pu permettre. La masculinité t’a condamné à la pauvreté, à l’absence d’argent.

 

Éditions Fleuve

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Lors de la réunion du club de lecture du mois de février, une seule lectrice avait lu ce roman. Elle l’avait adoré et aurait aimé lui mettre un grand coup de cœur. Notre bibliothécaire a donc décidé que nous devions être plusieurs à donner notre avis car nos coups de cœur doivent être le reflet d’au moins quatre personnes. Je peux comprendre l’enthousiasme de la lectrice que je ne partage pas. Le secret pour tomber sous le charme de ce roman c’est d’en aimer le style. Cette écrivaine écrit dans une langue poétique qui ne m’a pas touchée, et toute l’histoire se passe dans une atmosphère de mystère qui va peu à peu s’éclairer, si, comme moi, vous êtes rationnelle et n’acceptez pas les coïncidences qui tombent trop bien vous resterez en dehors de cette histoire qui peut alors sembler à la limite du ridicule. Pour les différents personnages c’est aussi quitte ou double où vous vous y attacherez ou vous n’y croirez pas : Antonin, le mari parfait qui pendant vingt ans reste pétri d’amour pour cette femme murée dans son silence. L’ enfant de 5 ans, Solen qui croisant une femme qu’il n’a jamais vu dans un square crée immédiatement avec elle un lien. Cet enfant s’avèrera son petit fils…

L’histoire commence ainsi : une très belle jeune femme est sauvée de la noyade par un homme sur la plage de Saint Enogat, c’est à dire chez moi  ! Incroyable !

 

En effet tout démarre à Dinard et se continue à Luchon. Car l’homme emmènera la jeune femme dans son chalet des Pyrénées, celle-ci est devenue mutique, son mari Antonin l’aime très fort et la protège. Vingt ans plus tard , elle retrouvera sa voix grâce à une amie et surtout grâce à la correction d’une thèse sur la négation de grossesse, et elle retrouvera aussi sa fille et son petit fils ! Sa fille retrouve le père de son fils … La jeune femme qui a perdu ses jambes dans un accident de montagne , les retrouve ….Mais non là j’exagère elle marchera grâce à des prothèses.

Quand je résume l’intrigue je ne rends absolument pas justice au roman car rien n’est plausible seul le style sauve cette histoire :encore faut-il y être sensible !

Je ne voterai donc pas pour coup coeur mais je vais vite remettre ce livre en circulation pour que d’autres lectrices puissent donner leur avis .

 

Citations

Ma plage dans un roman trop poétique pour moi.

 Comme sur un coup de tête, ils avaient décidé de retourner à Luchon par la route littorale, à son rythme, au gré de ses envies, et c’est à Dinard, sur la plage de Saint-Énogat, qu’il avait remarqué une femme de dos, vêtu d’une longue chemise blanche qui se laissait aller tout habillée dans l’océan. La nuit était claire. Une nuit de juin où la lune explose de lumière ronde et pleine telle une parturiente. En regardant la silhouette s’avancer dans l’eau, il s’était sentie comblé par cette balade nocturne le long de la mer qui, à cette latitude, se confondait avec l’océan.

Le cœur du roman.

 On appelle « noyade blanche » ce qui aurait pu lui coûter la vie si Antonin n’avais pas nagé jusqu’à elle. Son corp s’était brusquement refroidi et elle avait perdu connaissance, comme si la mort avait voulu l’approcher sans qu’elle s’en rende compte. Elle ne s’était pas débattue, avait pas impulsé le mouvement du bouchon qui crie à l’aide. Elle s’était laissée aller. Ses artères avait dû se rétracter et elle avait dérivé dans l’inconscience tranquille de l’esprit en sommeil. Antonin avait lutté contre la mariée pour la ramener sur la plage. Elle serait partie vite, très vite s’il avait attendu, il le savait. De l’eau était sortie de sa bouche, il avait fait ce qu’il fallait. Du nez aussi. Grande douleur à cet endroit là. Elle avait toussé, s’était étranglée, son corps s’était recroquevillé, animé par un réflexe sans doute. Elle avait toussé encore à s’en arracher les côtes et les poumons, puis elle avait ouvert les yeux.
Qu’avait-elle à fuir en plein cœur de la nuit pour avoir chercher la mort dans l’océan ?

 

 

 

Éditions Stock 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Dans cette autofiction, Emmanuelle Lambert retrace la personnalité de son père en suivant les six derniers jours de sa vie. J’avais choisi cette lecture grâce à ces deux phrases qui sont sur la quatrième de couverture :

Mélancolique sans le poids du pathos. Poignant et solaire.

Seulement, c’est bien de mort dont il s’agit, et je suis à l’âge où je vois partir les miens et mes amis et je n’ai pas eu le courage de lire les derniers instants de son père. C’est moi qui ai remis du « pathos » et ma sensibilité m’a empêchée de profiter du côté « solaire » pour le « poignant », j’ai été plus que bien servie, j’ai bien revécu mes proches qui ont récemment disparu avec des cancers en phase terminale.

Pour les lecteurs plus jeunes que moi et moins nostalgiques, je pense qu’ils auront plaisir à connaître ce père qui a mordu dans la vie et toutes ses nouveautés avec une force et une détermination peu communes. Avec trois amis scientifiques comme lui, ils ont été très actifs en mai 68. L’un est devenu médecin, l’autre mathématicien de génie et emporter par la folie et lui qui est au début de sa vie programmeur mais surtout le père de deux filles, l’auteure et Magalie sa cadette.

Le couple parental sera emporté par la tempête d’un divorce que la mère aura tant de mal à vivre, elle qui avait mis toutes ses forces dans la survie de cellule familiale beaucoup trop étroite pour ce père dont l’énergie était sans limite.

On sent que la narratrice a du mal à supporter cet aspect de la vie de son père, elle nomme sa nouvelle femme « l’épouse » il y a d’ailleurs un jeu sur les prénoms que j’ai eu du mal à comprendre, elle ne donne les prénoms que des personnes qui lui ont fait du bien mais ni de son père ni de sa mère.

Pour vous donner envie de lire ce livre, je dirai que son père m’a rappelé « les vieux fourneaux » . Je pense que vous pourrez alors sourire quand elle décrit sa façon de conduire et de faire du sport sans jamais prendre de leçons.

 

Citations

Le style de l’écrivaine.

Il suintait la solitude d’un enfant grandi sans mère, et la conscience douloureuse de la différence sociale lorsqu’on l’expédia dans une autre des écoles du groupe des Frères des écoles chrétiennes, les Francs-Bourgeois de Paris. Ils était la bonne œuvre brillante et perdue parmi les grosses de riches. On dit que certaines personnes portent leur embryon mort de leur jumeau dans leur corps, dans des endroits incongrus. Il me semble que, pour certains, l’enfance désolée s’accroche à leur corps comme l’embryon mort à son double.

le dernier jour .

Le vendredi matin ma sœur et moi sommes arrivés en même temps. Dans la chambre de l’épouse nous attendait sa douleur et son épuisement m’ont attendrie, bien que j’ai toujours été trop vieille et mal aimable pour avoir une belle-mère de mon âge.

 

 

Éditions Fleuve. Traduit dujaponais par Diane Durocher.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Toujours dans le thème  » du Japon » du club de lecture, ce roman décrit un homme en proie à la souffrance de voir sa mère s’en aller dans le pays si étrange de la maladie d’Alzheimer. J’écris cet article alors que la France est secouée par un livre reportage sur les EHPAD. À La fin de ce roman, Izumi laissera sa mère Yuriko dans une maison où nous aimerions tous finir nos jours ou y laisser ceux que l’on a tant aimés.

Ce n’est pas le sujet du roman mais cette dernière demeure donne une idée de ce que peut être un lieu d’accueil réussi pour ceux qui n’ont plus leurs facultés cognitives. Cela ressemble à des endroits où au lieu de séparer les gens âgés, ou handicapés on les fait vivre au milieu des enfants ou de gens bien portants.
Mais partons dans la vie d’Izumi qui marié à Kaori, va bientôt être père. Il doit l’annoncer à sa mère qui l’a élevé seule sans jamais lui dire qui a été son père. Cet adulte s’est donc construit sans image paternelle et il est très angoissé à l’idée d’être père. Kaori et lui travaillent dans le monde de l’image et de la musique. Ils ne sont pas eux-mêmes musiciens mais il sont dans une grande agence qui « fabrique » les carrières des artistes. Cela nous vaut une plongée assez intéressante dans ce monde artificiel des « communicants » de ce monde du spectacle, les rivalités, l’argent, le pouvoir, mais à la mode japonaise, où tout l’art est de garder pour soi ses réactions et ne jamais rien laisser paraître de ses propres sentiments. Izumi est très absorbé par son travail et, s’il n’a pas abandonné sa mère, il va de moins en moins souvent la voir, et surtout refuse de se rendre compte que celle-ci a des problèmes de mémoires.

L’originalité de ce texte et qui l’a rendu très touchant à mes yeux, c’est le renversement de ce à quoi on s’attend. C’est sa mère qui est farouchement attachée à des souvenirs que lui a oubliés. Et en remontant dans les souvenirs de la vieille dame Izumi se rend compte combien il a été aimé et quelle force il a fallu à sa mère pour lui donner l’éducation dont il profite aujourd’hui. Pourtant, il y a une année où il a vécu seul vaguement surveillé par sa grand-mère. Pour découvrir cette année, l’auteur aura recours au cahier intime de sa mère. Il découvre une femme passionnément amoureuse d’un homme marié à une autre. Cette parenthèse amoureuse se terminera par le séisme de 1995 Kobé

(le décompte officiel des conséquences de ce séisme se chiffre à plus de 6 437 morts, 43 792 blessés et des dégâts matériels se chiffrant à plus de dix-mille milliards de yens, soit 101 milliards d’euros. On dénombre 120 000 bâtiments détruits ou endommagés et 7 000 brûlés, la destruction des polders du port de Kobé et plus de 250 000 déplacés pendant plusieurs mois. extrait de l’article de Wikipédia )

Cette plongée dans le Japon a toujours, pour moi, un exotisme qui m’empêche d’être totalement enthousiaste -c’est pourquoi je ne lui attribue pas cinq coquillages. Par exemple je n’arrive pas à comprendre comment cette mère si attentive peut laisser son fils collégien (12 ou 13 ans) vivre seul pendant un an sans même prévenir sa propre mère, c’est Izumi qui doit le faire. On ne saura jamais qui est le père d’Izumi cela perd de son importance dans le roman sans que je comprenne pourquoi. Pas plus qu’on ne saura c’est qu’est devenu l’homme qu’elle a suivi à Kobé fait-il partie des 6437 morts ? Elle ne cherche pas à le savoir, son histoire avec lui s’arrête là et elle revient vers son fils qui visiblement fait comme elle : tous les deux mettent cette année entre parenthèses.
Comme souvent dans les romans japonais la cuisine est très importante et chaque souvenir est parfumé par l’odeur d’un plat particulier : la soupe miso, le boeuf au nouilles sautées, du shiruko ….

J’ai passé un bon moment avec ce roman, malgré mes quelques réserves.

 

Citations

Comparaisons tellement japonaises.

Izumi n’en pouvait plus de cette histoire et souhaitait en venir aux choses sérieuses mais il eut le bon goût de retenir sa langue. Il lui semblait qu’ils jouaient une partie de mikado, où le moindre geste trop empressé pouvait faire rouler toutes les baguettes. Kaori continuait de poser des questions sans montrer la moindre impatience, comme si elle essayait d’amadouer un chat.

Façon légère de décrire une scène émouvante.

 -Je me fatigue vite. Un ou deux élèves par jour, et je suis éreintée. 
-Tu pourrais arrêter. Tu as ta retraite, et puis je peux envoyer plus d’argent.
– Si je ne travaille plus, je ne suis plus utile à rien.
 Il ne sut que répondre. Se pouvait-il que les humains, telles des machines ou des jouets, deviennent inutiles ? Les mains de sa mère étaient recroquevillées l’une sur l’autre, comme pour cacher leur rides. 

Sujet du roman, paroles du médecin.

 Autrefois, notre espèce ne pouvait espérer atteindre les cinquante ans. Cette limite dépassée, nous avons commencé à voir apparaître les cancers. Maintenant que nous réussissions à les combattre et à rallonger d’autant nos espérances de vie, c’est Alzheimer qui nous rattrape… À chaque victoire, l’humanité doit se mesurer à une nouvelle menace.

Souvenirs qui vont constituer la trame du roman.

 « Pardon, maman. j’avais oublié. »
Elle l’avait embrassé, en pleurs, en le retrouvant à la fête foraine. Elle avait passé la nuit à lui coudre un sac pour ses vêtements de sport, alors qu’elle avait travaillé toute la journée. Elle lui donnait toujours la moitié de son omelette. Elle avait cherché avec la force du désespoir sa pochette fleurie, offert pour son anniversaire. Elle l’avait encouragé plus fort que n’importe quel autre parent lors d’un match (même si, sur le coup, c’était un peu embarrassant). Elle l’avait emmené au restaurant pour fêter ses réussites scolaires. Elle l’avait emmené au stade de baseball à vélo, le dos trempé de sueur. Elle lui avait préparé un délicieux « shiruko ». Elle lui avait fait la surprise de lui offrir une guitare électrique. Ce n’était pas vraiment la marque qu’il voulait, mais ça l’avait rendu heureux. Elle l’avait emmené en vacances au lac, et il avait pêché un gros poisson pour la première fois de sa vie. Elle non plus, d’ailleurs, n’avait encore jamais tenu de canne à pêche…
« Comment ai-je pu oublier tant de bonheur ? »

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Notre bibliothécaire doit bien aimer cet auteur car c’est à elle aussi que je dois la lecture de ce chef d’oeuvre d’humour : « L’écologie en bas de chez moi » et aussi « Ipso Facto » qui m’avait déçue. Pour ce roman aucune réserve je n’ai pas pu me détacher de cette lecture, que j’avais aussi repéré chez Blogart.

Dans un style ô combien personnel, caractérisé à la fois par l’humour et le désespoir devant l’absurdité et les dangers auxquels s’exposent toute pensée un peu libre, Iegor Gran, raconte la traque dont ont été victimes deux écrivains russes du temps de Kroutchev et surtout Brejnev : Andreï Siniavski et Iouli Daniel. Ces deux écrivains ont réussi à faire passer leurs textes en occident sous des noms d’emprunt Abram Terz et Nikolaï Arjak. Iegor Gran est le fils de Siniavski qui après les cinq ans de Goulag viendra avec sa femme et son fils de dix ans se réfugier en France.

L’auteur est particulièrement bien placé pour nous faire revivre la traque dont a été victime son père. Il décrit de l’intérieur ce pays qui a tant fasciné les intellectuels de gauche français, et les impressions qu’il en a gardées sont celles d’un régime tellement cruel, injuste et où la bêtise est aux commandes et parfois cela en devient comique. La liste des objets de récompense auxquels Iouri Gagarine a le droit en revenant de son vol dans l’espace a été le déclencheur de son récit, déclare Iegor Gran dans une interview :

Le gouvernement soviétique accordait à Youri Gagarine en récompense de son exploit spatial un trousseau insensé, composé (entre autres trésors) d’un rasoir électrique, de deux valises et de… six slips. C’est écrit noir sur blanc : six slips. Et c’est signé par Nikita Khrouchtchev en personne.

En dehors de la traque de son père par les services « compétents » nous nous plongeons donc dans l’URSS de Khrouchtchev puis de Brejnev, l’auteur décrit une catastrophe sur une poche de gaz provoquant un incendie qui ne sera arrêté qu’au bout de deux ans et par une explosion nucléaire !

Il décrit aussi une des rares révoltes ouvrières réprimée par des fusils et qui fera un nombre de morts important et beaucoup plus de déportés. Rien de tout cela ne transparait dans la mémoire russe qui semble avaler malheurs après malheurs sans jamais en garder de traces significatives.

Mais le plus intéressant, l’objet même du livre c’est la traque par le KGB de ces deux écrivains soviétiques, cela permet de décrire l’incroyable patience avec laquelle le travail de fourmis a été exercé par les services de renseignement soviétiques pour rendre la vie impossible aux deux écrivains et à leur famille. Les regrets qu’ont ces mêmes services à ne pas pouvoir utiliser les mêmes méthodes que le grand Staline . À l’époque on n’avait pas besoin de s’encombrer de preuves pour faire disparaître ceux que l’on soupçonnait de la moindre déviance ! La culture est particulièrement difficile à espionner car comme le dit l’enquêteur principal, il faut lire tant de textes auxquels on ne comprend rien. Le système ne vit que grâce à des indicateurs qui fournissent un maximum de renseignements sur leurs amis. Le personnage du Monocle qui trahit tous ses amis et qui finira sa vie bien tranquille en Allemagne de L’Est est, hélas ! historique. D’ailleurs on se demande ce qui est vraiment inventé dans ce livre, en tout cas pas la naïveté ou la complicité des touristes français . Des cars de militants du PCF toujours ravis de voir un pays si propres et qui se donnent la peine de dénoncer aux autorités soviétiques le fait qu’on leur a demandé des devises françaises sur le quai d’une gare. Qu’ils soient rassurés ces « dealers » seront bientôt arrêtés ! Mais le pire c’est ce que l’on connaît bien maintenant , c’est la complaisance de nos intellectuels Jean Paul Sartre en tête devant un régime aussi atroce et qui a fait le malheur de tout un peuple.

S’il n’y avait pas le style de Iegor Gran ce roman vous tirerait des larmes, mais je suis certaine qu’il vous fera rire plus d’une fois. Sans doute, rire un peu jaune depuis cette semaine, puisque la Russie guerrière se rappelle au bon souvenir de l’Occident pacifiste .

Citations

Les aberrations du système soviétique

 Ils n’ont qu’une seule machine à écrire pour deux. « Ne vous plaignez pas, elle est neuve, leur à dit le colonel Volkhov. vous n’avez qu’à apprendre à taper plus vite. » Elle est allemande, elle ne s’enraye pratiquement jamais, même à grande vitesse -une Erica à clavier cyrillique.
Que l’Union soviétique, ce monstre industriel, n’ait jamais été foutu de fabriquer une machine à écrire n’interpelle personne, : qu’importent ces faiblesses prosaïques quand on est une puissance cosmique. Le Spoutnik vaut toutes les machines à écrire du monde.

Humour involontaire de l’enquêteur.

 Comment être sûrs qu’un texte et anti-soviétique, à moins de le lire ?
 On ne peut pas être partout, tout écouter, tout déchiffrer. d’autant que certains écrivent littéraire, avec des phrases interminables. C’est inhumain.

Dérision.

 L’argent on en a jamais assez, mais, quand on en a de trop, on a du mal à le dépenser -que ce pays est bien fait !

Toujours cet humour incroyable !

On a arrêté Yan Rokotov au moment où il récupérait une valise à la consigne (le délai de garde expirait).
 En tout, le gars avait pour 16 000 dollars en or, bijoux, devises.
Une somme incommensurable.
En union soviétique, il est plus facile de faire un salto arrière que de dépenser ne serait-ce qu’un dixième de cette somme. 
C’est pourquoi ce pays est moralement supérieur à la société capitaliste. Et ses athlètes, acrobates, danseurs sont les meilleurs du monde.

Le trafic avec des touristes français .

 Au lieu de changer ses devises, il prend avec lui quelques disques de Gilbert Bécaud qu’il livre discrètement à des inconnu sur le quai Sainte-Sophie. 
Pas besoin de rendez-vous. Il met sa main en conque autour de l’oreille, se cambre un peu, sursaute… Il est aussitôt abordé. Les affamés de Bécaud sentent l’odeur de leur plat préféré. 
-Je ne comprends pas, se lamente Svetlana. d’habitude les français sont parmi les plus obéissants. Les anglais eux , se croient tout permis. Ceux-là, il faut les avoir à l’œil ! Mais les français ! …Aragon ! Éluard !
 Faut croire que l’influence d’Aragon et d’Éluard ne fait pas le poids face aux perversions du système capitaliste. Et encore, Bécaud ce n’est pas ce qu’il y a de pire. Il y a le jazz, qui n’est que bruit. Et il y a cette perversion nouvelles, directement sortie de cerveau de babouin et qu’on aurait branché sur une prise électrique à 127 volts, ce qu’on appelle le rock’n roll. 
On peut même pas danser correctement.

Fierté soviétique .

Si l’enseignement soviétique peut être fier d’une chose, c’est bien des techniques de filature, transmises avec passion par des as de la pédagogie. 

Passage intéressant sur ce cher Maurice Thorez !

Liouba vient de fêter ses vingt ans, elle est née à Oufa en 1942, autant dire sur une autre planète, en pleine misère des arrière où s’entassent les évacués, à mille cinq cents bornes de Moscou. Là-bas, sa maman a servi de traductrice d’appoint à un éminent français, qu’elle devait surveiller par la même occasion -Monsieur Maurice, on l’appelait. Maurice Thorez. Déserteur de l’armée française, déchu de sa nationalité, le dirigeant du PCF n’en restait pas moins homme. Dans ce trou à rat qu’était Oufa, où l’on mangeait des corneilles et sucer les racines, il bénéficia de rations augmentées réservées à l’élite du NKVD, ce qui le rendait encore plus charmant.
D’où l’inclination de la sergente Liouba pour la langue de Balzac, qu’elle a apprise par contumace, son géniteur devant retourner au pays libéré sitôt les Allemands expulsés et le danger passé.

Édition Belfond Noir. Traduit de l’anlais (royaume Uni) par Alexandre Prouvèze.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Lorsqu’un roman policier est proposé au club de lecture, je sais qu’il a une dimension autre que l’énigme. C’est le cas ici, la toile de fond de ce roman est l’enlèvement d’enfants aborigènes de 1910 à 1975, pour les élever dans un milieu plus » favorable » à leur éducation. C’est une horreur dont l’Australie a honte aujourd’hui mais qui a bouleversé à jamais la vie des enfants qui en ont été victimes. L’auteure britannique veut aussi en faire une charge contre le colonialisme anglais.

L’intérêt du roman vient aussi de l’emprise de l’alcool sur le principal suspect. C’est une originalité de ce roman, aucun personnage n’est vraiment sympathiques. J’explique rapidement l’intrigue, le roman se situe sur deux époques en 1967 et en 1997. Ces deux époques voient deux drames se passer.

En 1967, on suit un policier Steve qui est chargé d’enlever les enfants aborigènes pour les conduire dans un orphelinat. Il est torturé par sa mauvaise conscience, et de plus son couple bat de l’aile. Son épouse Mandy ne veut pas d’enfant et ne se sent plus amoureuse de Steve. Ils ont comme voisin Joe Green, sa femme Louisa et leur fille Isla, Joe est alcoolique et sa femme enceinte ne le supporte plus et décide de repartir dans son pays d’origine : l’Angleterre.

En 1997, Isla s’est installée en Angleterre mais elle revient en Australie car son père est accusé du meurtre de Mandy qui a disparu depuis vingt ans.

Les deux histoires vont évoluer en parallèle car la clé de l’énigme policière se passe en 1967. En attendant le roman se déroule avec des personnages auxquels on ne peut pas s’attacher : Joe l’alcoolique qui bat sa femme Louisa, qui reste finalement avec lui sans que l’on comprenne pourquoi, Mandy la voisine qui prend en cachette la pilule tout en ne le disant pas à Steve son mari qu’elle n’aime plus. Steve auteur des rapts d’enfants et qui sera directement responsable de la mort d’un bébé aborigène sans qu’aucune enquête ne soit diligentée. Et enfin Isla, alcoolique elle aussi, qui cherchera à innocenter son père, contrairement à sa mère qui essaiera de faire inculper son mari.

J’ai vraiment été gênée par le peu d’empathie avec laquelle l’auteure a décrit ses personnages, on a l’impression d’un exercice littéraire autour d’une histoire mais que les différents protagonistes n’ont pas de chair. Et les grands absents ce sont les Aborigènes, alors que c’est pour eux que cette écrivaine a voulu écrire cette histoire. Bizarre !

 

Citations

Une image qui ne marche pas en français.

Isla constate en effet que la clôture autour de la véranda vient d’être peinte. La haie à l’avant de la maison a été taillée en pointe et des corbeilles, accrochées de part et d’autre de la porte, débordent d’une forme rose et violette. Le bardage a l’air vétuste, à côté de la peinture fraîche et de ces suspensions ridicules . Du mouton servi comme de l’agneau.

 

Souvenir d’un homme qui boit trop.

 Il y avait trop bu le vendredi précédent Louisa avait vu Mandy. Le lendemain, il avait retrouvé la bouteille de whisky vide, dans la poubelle, mais il ne se souvenait pas de l’y avoir mise. Il s’était penché sur Louisa dans son lit puis ils s’étaient battus. Ça, oui il s’en souvenait. La proximité de son visage dans l’obscurité. Puis plus rien ensuite. Elle n’en avait pas parlé le lendemain. Il s’était réveillé sur le canapé -ce qui, en soi, n’avait rien d’exceptionnel- en se demandant s’il avait rêvé. Mais un terrible sentiment de culpabilité le rongeait, comme s’il avait disjoncté. En même temps. Les comas éthyliques lui donnaient toujours l’impression d’être un monstre.

En 1997.

 La radio diffuse une interview d’un membre du gouvernement. C’est la même rengaine qui passe en boucle depuis son arrivée : le Premier ministre John Howard, refuse de s’excuser auprès des Aborigènes pour les enlèvements de leurs enfants. À l’époque, les gens pensaient agir comme il le fallait, assure le ministre. C’étaient d’autres mœurs.

Une jeune femme alcoolique.

 Elle n’avait pas bu devant lui, les premiers mois. elle commandait un jus d’orange au pub, après le travail, tout en remplissant son frigo de cannettes de bière blonde et forte. C’est devenu plus difficile quand il a emménagé chez elle. Il lui avait passé un savon, la fois où il l’avait surprise à boire de la vodka pure à la bouteille, alors qu’elle le croyait au lit. Elle avait minimisé la portée de son geste, lui avais promis de changer. Il l’avait crue. Il s’était mis à lui parler mariage, tandis qu’elle songeait à la bouteille qu’elle avait gardé planquée dans la sacoche de son vélo. Et puis plus tard, des années plus tard, il était devenu l’adversaire, celui dont elle se cachait, celui qui la forçait 0à se regarder en face. Et sur lequel elle se défoulait quand elle détestait ce qu’elle voyait.

Scène clé du roman le rapt d’enfant aborigène.

 -On va s’occuper du petit », dit-il. Ses propres mots lui donnaient la nausée. « Ça lui fera un bon. de départ dans la vie.
– Mensonge ! Elle pointa son index vers le visage de Steve. « Ma tante a été enlevée quand elle était petite. Elle m’a racontée comment c’était. »
Les pleurs du bébé s’amplifièrent tandis qu’il fermait la porte derrière lui. elle prit l’enfant dans ses bras, le serra contre elle, sanglotant en silence, son visage appuyé contre celui du bébé.