Édition Payot
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Un premier roman, que j’ai lu aussi vite que je l’oublierai. Amélie Fonlupt (un nom qui me rappelle de bons souvenirs : celui du pédiatre qui a suivi mes enfants à Rennes, mais cela n’a rien à voir !) fait revivre trois générations de femmes du Cap Vert. La grand-mère, venue en France car elle ne supportait plus la misère de son pays, la mère Reine, installée en France et qui serait très heureuse si son mari arrêtait de jouer de poker, et Léna le personnage principal qui va s’évader de son milieu grâce au piano.
L’écriture est très rapide et cela donne l’impression d’un survol plus que d’un ancrage dans le monde des émigrés capverdiens. Le Cap Vert est un pays soumis à des intempéries qui ravagent les sols et réduisent à la misère une population paysanne qui pouvait juste survivre. Ce sont les femmes dans ce pays comme dans beaucoup d’autres qui se confrontent aux difficultés pour leurs enfants, les hommes s’exilent. Arrivée en France, la grand-mère n’hésite pas à faire des ménages pour élever sa fille Reine, qui a son tour fera des ménages, sa santé l’ayant empêchée de poursuivre ses études.
On sent bien tout le courage de ces femmes et aussi la fatalité des destins auxquels Léna veut échapper.
La galerie de portraits dans ce roman ne m’ont, hélas, pas convaincue, ils sont pourtant sympathiques mais je les ai trouvés sans consistance : Max son petit frère qui est harcelé dans son collège, l’Algérienne concierge au verbe haut qui fait des gâteux à longueur de journée, le professeur de musique du collège qui initiera Léna au piano, les riches patrons de Reine.
C’est compliqué d’expliquer quand un roman, avec des aspects qui auraient pu me plaire, ne prend pas, je pense que tout vient du style de l’écrivaine : trop rapide et trop facile sans doute.
Je dois lui reconnaître une qualité à ce roman … depuis cette lecture je « ré » écoute Césaria Évoria

Citations

Un début qui m’a plu

Le 27 août 1941, donc, Mamé naissait à São Miguel, dans le nord de l’île de Santiago, tandis que Cesaria Évoria venait au monde à Mindelo sur l’île de São Vicente. Un hasard amusant qui fut cependant sans incidence puisque, de comment elles n’eurent pas grand chose si ce n’est cette date, ce pays et une volonté farouche de sortir du commun. Toujours est-il que des deux vous n’avez entendu parler que de la seconde(…) Vous ignorez peut-être qu’à sa mort trois jours de deuil furent décrétés au Cap Vert, et un aéroport fut rebaptisée à son nom. C’est bien vous avez écouté la chanteuse grâce à qui un pays s’est fait entendre, mais dès lors que vous n’avez pas connu ma grand-mère, ce n’est pas tout.

Une lignée de femmes.

 Alors si ma mère avait su que dans ma chambre j’écoutais du piano, si elle avait su qu’après l’école je faisais semblant de rester plus longtemps à l’étude pour pouvoir m’attarder dans la salle de musique, là, elle aurait paniqué à raison. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Je venais d’une lignée de femmes auxquelles on avait dit que le rêve était un luxe à la portée des gens qui en ont les moyens. Je n’avais pas le droit. Vouloir être artiste était insensé, cela n’était pas pour nous. nous qui ne possédions pas grand chose. Il fallait trouver un vrai travail, avec un salaire à la fin du mois.

 


Édition Gallimard NRF

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Se souvenir de cette phrase

 La seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur.

Quel livre ! Comment peut-on ensuite avoir la moindre confiance dans la conduite des affaires de la Russie en Poutine, appelé le Tzar dans tout ce roman ? Et comment ne peut on faire autrement que de chercher à se défendre de lui ? Ce roman prend pour sujet des confidences que Vadim Baranov, personnage réel qui a été l’éminence grise de Poutine pendant vingt ans, auraient faites à l’écrivain qui connaît mieux que personne les dessous du pouvoir du Kremlin dirigé par Poutine de main de fer.

Nous découvrons que tout ce que l’Europe connaît comme conflits les plus horribles sont dues au désir de Poutine de redonner la fierté aux Russes que ce soit la guerre en Tchétchénie ou la guerre en Ukraine. Tout est venu de la fin du communisme période pendant laquelle la Russie a connu une période où tout était permis mais où, surtout, les dirigeants internationaux, en particulier les américains, méprisaient de façon ouverte les dirigeants russes. Il raconte comment le fou rire de Clinton devant les propos incohérents d’Elstine lors d’une conférence de presse à New York en 1995 a humilié toute une nation. Toute la conduite de Poutine est de faire peur aux occidentaux et peu importe les prix humains que cette folie de grandeur coûtera.
Ce roman, ou essai car on se demande ce qui est romancé dans cette histoire, est absolument passionnant. Le style de cet auteur est agréable à lire, on sent qu’il connaît très bien son sujet. On retrouve tous les évènements dont a plus ou moins entendu parler, la montée des oligarques et leur chute voire leur suicides « assistés » . La Russie s’est trouvé le maître qui lui convient, il flatte leur sentiment de supériorité et en les obligeant à se soumettre ils retrouvent la conduite de leurs grands-parents de ne plus rien critiquer et d’absorber la propagande servie par des médias au main de leur Tzar préféré . C’est d’une tristesse incroyable

 

 

Citations

J’ai envie de lire cet auteur que je ne connaissais pas.

Depuis que je l’avais découvert, Zamiatine était devenu mon obsession. Il me semblait que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. « Nous » ne décrivait pas que l’Union soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, les oligarques de la Silicone Valley comme les mandarins du parti unique chinois.

Les élites russes.

 Voyez-vous, l’élite soviétique au fond ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence. On échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les « opritchniki » des chiens de garde du tsar.

Moscou 1990.

 Moscou au milieu des années 90, était le bon endroit. Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous est-il arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles.

Comprendre Moscou .

Tout contribuait à alimenter la bulle radioactive de Moscou. Les aspirations accumulées de tout un pays, immergé depuis des décennies dans la sénescente torpeur communiste, convergeaient ici. Et au centre, il n’y avait pas la culture, comme le croyait les intellectuels convaincus d’hériter du sceptre et qui n’avaient rien hérité du tout. Au centre, il y avait la télévision. Le cœur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir. 
Convertir mon expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision fut comme passer du carrosse à vapeur à la Lamborghini.

Humour Soviétique.

 « Sais-tu ce que disaient les Moscovites de la Loubianka à l’époque de L’URSS ? Que c’était l’immeuble le plus haut de la ville car de ses caves on voyait la Sibérie… »

 Staline dans les souvenirs des Russes.

 Vous, les intellectuels, vous êtes convaincus que c’est parce que les gens ont oublié. D’après-vous, ils ne se souviennent pas des purges, des massacres. C’est pourquoi vous continuez à publier article sur article, livre sur livre à propos de 1937, des goulags, des victimes du stalinisme. Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres. Parce que lui au moins savait comment traiter les voleurs et les traîtres. »
 Le tzar fit une pause. 
« Tu sais ce que fait Staline quand les trains soviétiques commencent à avoir une série d’accidents ?
-Non.
– Il prend Von Meck, le directeur des chemins de fer, et le fait fusiller pour sabotage. Cela ne résout pas le problème des chemins de fer, en fait cela peut même l’aggraver. Mais il donne un exutoire à la rage. La même chose se produit chaque fois que le système n’est pas à la hauteur. Quand la viande vient à manquer Staline fait arrêter le commissaire du peuple pour l’agriculture. Tchernov, l’envoie au tribunal et celui-ci, comme par magie confesse que c’est lui qui a fait abattre des milliers de vaches et de cochons pour déstabiliser le régime et fomenter une révolte.

Remarque que je trouve juste.

 J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchique sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face au phare des routiers.

 

 

Édition Acte Sud
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Cet auteur fait partie de mes favoris, j’aime beaucoup la saga des Rosiers : la traversée du continent, Victoire, La traversée de la ville, la traversée des sentiments. 
Dans ses romans la musique a toujours de l’importance et dans cet ensemble de textes, il a réuni des moments de sa vie liés à la musique . C’est parfois drôle, triste ou tragique. Comme le premier moment lié à la mort de son frère qu’il aimait tant. C’est parfois cruel, comme lorsqu’il raconte combien Montserat Caballé avait gardé une voix superbe mais un corps qui ne lui permettait plus de jouer les jeunes amoureuses. Je comprends Le fou rire qui le saisit à la vue de cette grosse femme enveloppée de taffetas virevoltant mais je trouve son rire cruel pour cette grande artiste. En revanche j’ai bien aimé qu’il critique de façon drôle et méchante le spectacle de Luis Mariano. Je comprends sa rancœur car il a eu l’impression que ce mauvais spectacle avait été envoyé au Québec en prenant les habitants pour des « ploucs » tout juste bon à chanter en choeur « Mexiiiiiiiiiiiiiiiiiiico » . Mais il faut dire que la salle était pleine, hélas Luis était si fatigué qu’il a eu bien du mal à chanter.
J’ai bien aimé son observation du concert de Céline Dion à Las Vegas, concert pour lequel ses fans ont payé des fortunes pour ne pas entendre la chanteuse car la salle reprenait en chœur les chansons sans écouter leur idole. J’ai choisi un passage sur Barbara, chanteuse qu’il se faisait un point d’honneur à ne pas aimer jusqu’au jour où sur scène, elle l’a totalement ému.
Bref un bon petit livre mais sans plus pour moi. Je me suis un peu fatiguée de passer d’une nouvelle à l’autre.

Citations.

Un bel hommage à Barbara.

 Le génie de Barbara fut plus fort que mes ridicules réticences, est au bout d’un quart d’heure, cette fois assis au fond de mon fauteuil, je fus obligée de sortir le petit paquet de kleenex que je gardais toujours sur moi l’hiver. Et pendant l’heure et demie qui suivit, je découvris toutes les beautés que je n’avais jamais voulu voir, les aveux bouleversants, les chuchotements dont je m’étais tant moqué et qui contenait pourtant toute la douleur du monde, je vis des paysages tristes décrits en mots simples et des femmes qui souffraient d’une absence, de départ, je me laissais couler dans ce monde glauque ou l’espoir semblait banni à tout jamais, j’entendis des déclarations d’amour déchirantes et oui, tout de même, des paroles véhémentes annonçant de terribles vengeances ou, du moins, leur désir .

Le boléro de Ravel.

 Le tambour continue son rythme régulier qui, curieusement, commence à le déranger : c’est comme le vrombissement d’une mouche dont on arrive pas à se débarrasser. C’était bien au début, ça partait bien l’œuvre, mais on devrait passer à autre chose. L’orchestre entier commence alors à suivre le rythme du tambour, c’est plus doux, plus langoureux, moins achalant, ça couvre un peu la caisse, puis se lance dans la première mélodie et il sent son cœur battre plus fort. Que ces beau. L’orchestre se gonfle tout à coup, et entonne un nouveau thème, très court, avant de revenir au premier. Les instruments se répondent, les sections semblent lancer des défis, mais à travers tout ça, à travers tout l’orchestre, les deux thèmes qui se répètent et se mélangent, il se rend compte qu’il entend quand même encore le tambour, pourtant discret, enterré sous le reste de l’orchestre, et ça l’énerve de plus en plus comme un grattement sans fin au fond de son oreille.


Édition Buchet Chastel
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Un roman très léger et hélas trop convenu en tout cas pour moi.Un artiste peintre se retrouve à Rome, il est lassé par la vie parisienne et même s’il connaît un succès certain, il aspire à autre chose. Il s’installe à la terrasse d’un petit restaurant, sur la place du Campo De ‘Fiori sous le regard de la statue de Bruno Giordano. Il s’installe avec un jeu d’échec et plusieurs joueurs viennent jouer avec lui. Un soir une jolie femme Marya lui propose de jouer et il perd. Une histoire d’amour va se tisser entre eux où les échecs joueront un grand rôle .

Tout l’intérêt du roman vient de l’entrelacs des histoires, celle de Bruno Giordano qui fut brûlé sur cette même place pour avoir voulu imposer ses idées et avoir pensé que le soleil n’était sans doute pas unique dans l’univers, celle de Gaspard qui fait tout pour séduire Marya parfois maladroitement, avec en toile de fond la réalité du monde de l’art parisien, l’histoire de Marya petite fille d’un grand champion d’échec mort à Auschwitz, la puissance des jeux d’échec, la mémoire de la shoa , et puis l’histoire d’un coup de foudre que Gaspard voudrait pouvoir prolonger plus longtemps que ces trois jours merveilleux à Rome.

Une histoire d’amour qui m’a semblé très conventionnelle avec son passage obligé : la scène de sexe torride, dans une ville bien décrite. Rome se prête bien aux histoires d’amour. J’ai un peu de mal avec certains dialogues du style « il fait » « comme ça, je dis » j’ai du mal à comprendre pourquoi l’auteur utilise cette façon de s’exprimer . Voilà pourquoi, je trouve ce roman trop léger je dirai même un peu superflu, je suis loin de ce que j’avais tant aimé dans « L’incendie »

Citations

le style qui m’étonne

Je lui propose une revanche. Oui, avec plaisir fait l’homme. Même si j’ai l’impression que j’aurai du mal à vous donner du fil à retordre.

On cause un peu en réinstallant les pièces. Il me demande d’où je viens. De France, je dis. Paris. Ah, il fait en tout cas vous parlez un bon italien.

Statue de Bruno Giordano, moi aussi « ce genre de gars me fascine ».

 Moi, j’y peux rien, ce genre de gars, ça me fascine, continue le cuistot. Des gars qui pensent comme ça leur chantent et qui défendent leurs idées jusqu’au bout. Quitte à y laisser leur peau. Putain, c’est quelque chose quand même. Vous trouvez pas ? 
Sur que c’est quelque chose. 
Et c’était pas un illuminé, faut pas s’y tromper. Le gars, il savait tout sur tout. Les maths, la physique, la philo, ça le connaissait. Et j’en passe. C’était une pointure. En plus, il paraît qu’il avait une mémoire incroyable.
 La date un 1889, c’est celle de l’installation de la statue ? 
Ouais c’est bien ça des intellos de l’époque qu’ont décidé ça. Des libres penseurs. Des francs-maçons aussi. Ç’a pas été une mince affaire, je crois bien. Le Vatican a fait la gueule.

 

 

 

 

 

 


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.

 

 

Édition Gallimard . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Si j’avais eu quelques réserves pour le premier roman que j’avais lu de et auteur : « l’enterrement de Serge » ; celui-ci m’a vraiment beaucoup plu. Surtout parce qu’il dit de façon très claire que Proust n’appartient pas aux intellectuels mais à tous ceux et toutes celles qui veulent bien se donner le mal de le lire.

Clara est coiffeuse, dans le salon « Cyndi coiffure » , Madame Habib en est la propriétaire et Nolwenn la deuxième employée. Un jour un bel homme oublie son livre au salon, Clara qui est malheureuse en ménage espère que cet homme reviendra chercher son livre. Il ne revient pas et Clara commence à lire « la recherche du temps perdu ». Ce n’est pas une lecture facile mais Clara s’accroche et peu à peu elle s’empare de ce texte qui va à tout jamais changer sa vie.

Ce qui est bien fait dans ce roman, c’est le cheminement de Clara vers l’oeuvre de Proust qui peu à peu transforme sa perception de la vie. Les citations de Proust parsèment ce roman et permettent de retrouver des passages connus de Proust, Clara commence à bien connaître les personnages de la recherche. J’admire le travail de Stéphane Carlier d’avoir ainsi rendu accessible l’oeuvre de Proust. Et je trouve que d’avoir situé son roman dans un petit salon de banlieue de Châlon sur Saône est une très bonne idée. D’abord pour montrer qu’il n’y a pas de frontières sociales pour aimer cette oeuvre, et en plus un salon de coiffure c’est vraiment le lieu des potins de la ville un peu comme la salon de la Verdurin en son temps. Carlier se permet alors des petites remarques humoristiques qui montrent son talent d’analyste de notre société.

Je garde en souvenir un petit livre qui m’avait (dans un tout autre genre) beaucoup touché de Joseph Czapski « Proust contre la déchéance »

Le roman de Stéphane Carlier est un très bel hommage au plus grand des romanciers français du 20° siècle.

Citations

Bien vu.

Il y a Nolwenn, l’autre employée du salon. Sa figure n’a pas vraiment de contours et change rarement d’expression. Qu’elle raconte que sa belle sœur a fait une fausse couche ou qu’elle tende un petit un petit cadeau à Clara pour son anniversaire, ses traits restent neutres, ils ne s’animent que lorsqu’elle regarde des vidéos sur son téléphone. Un grand sourire fend le bas de son visage quand elle voit un chimpanzé promener un porcelet en laisse ou un jeune golden retriever s’essayer à gravir la première marche des escaliers.

L’apport de Proust.

Avec Proust, elle a l’impression de tout voir. Forcément, puisqu’il lui montre le monde visible dans ces détails infinis et un autre, derrière, caché mais vaste et puissant, qui impose sa loi, sa volonté aux premiers la réalité psychique, psychologique des êtres. Et ce n’est pas tout. En l’initiant au principe de la mémoire involontaire, comme s’il posait ses mains sur ses épaules il la faisait légèrement pivoter, il enrichit son point de vue en y ajoutant une dimension qu’elle avait ignoré jusque là, celle du temps. Le passé, en surgissant dans le présent ne s’y prolonge-t- il pas ? Le souvenir n’a-t-il pas plus d’existence que l’épisode qu’il relate ? Pourquoi semble-t-il qu’à mesure qu’on vieillit on se souvienne de mieux en mieux ?

Ce nom mythique.

  Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg, où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds. 


Édition Arléa 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un roman à la gloire de Domenico Scarlatti compositeur qui a vécu de 1685 à 1757. Il a écrit de multiples sonates pour clavecin que l’on joue maintenant très souvent au piano.

Ce roman est l’histoire d’une machination autour d’une partition retrouvée dans l’étui d’un violoncelle et qui sera volée dans l’atelier du luthier. Plusieurs personnages sont présents dans le roman et seul le dernier chapitre dévoilera qui tire toutes les ficelles. (C’est évidemment par ce chapitre que j’ai commencé mais ne vous inquiétez pas je n’en dirai rien dans ce billet !)

Nous faisons la connaissance de l’ébéniste un homme brisé par le départ de la femme qu’il a aimée. Sa seule consolation c’est son travail de restauration des meubles anciens. C’est lui trouvera une partition qui semble très ancienne dans l’étui de bois du violoncelle. Ensuite nous voyons le luthier qui travaille dans un atelier mitoyen du sien et qui est un fou d’instruments anciens mais qui hélas pour lui joue au poker et y perd beaucoup, beaucoup d’argent.

Ensuite viennent ceux qui vont jouer une rôle important dans la machination : la claveciniste virtuose qui reconnaîtra une oeuvre de Scarlatti. Le spécialiste français professeur à la Sorbonne qui veut à tout prix pouvoir avant tout le monde analyser cette partition pour se faire mousser et dépasser son jeune collègue italien qui lui doutera que cette Sonate puisse être du grand maître.

Enfin un riche mécène (comme on en trouve plus dans les romans que dans la vie) qui veut lui aussi retrouver cette partition.
La seule trace tangible, que ce petit monde a de cette participation, c’est un enregistrement sur un téléphone portable que le menuisier a fait lorsqu’il est venu apporter la partition à la claveciniste virtuose.

J’ai lu avec intérêt ce roman mais si je ne suis pas plus enthousiaste, c’est que le principal intérêt c’est cette machination que j’ai trouvée très tirée par les cheveux. En revanche, je trouve que cette écrivaine raconte très bien le plaisir de la musique et l’exigence du travail des solistes. J’ai bien aimé aussi l’évocation du travail du luthier et de l’ébéniste. Mais j’ai eu quelques difficultés à croire aux personnalités qui construisent cette histoire. Un roman donc agréable à lire malgré mes réserves et qui enchantera toutes celles et tous ceux qui aiment les suspens bien menés. (vous remarquerez que je divulgâche le moins possible !)

Je me souviens que j’avais eu aussi quelques réserves pour « Eux sur la photo » de la même auteure

 

Citations

 

 

Vocabulaire pour initiés .

 C’était une pièce particulièrement complexe dans son écriture : elle commençait par un tétracorde descendant, si typique des rythmes de séquedilles, se poursuivait par une cascade de suites ascendantes, de plus en plus rapides, illuminées par les trilles. Les arpèges qui se multipliaient à la fin m’ont fait trébucher plus un fois.

Un amoureux de Scarlatti.

Comme exécutant, j’ai toujours était moyen. Ma force a consisté à le reconnaître. Mais j’ai toujours su que derrière cette musique existait une énigme, un chiffre, un mystère, un art de la composition si neuf qu’il dynamitait l’ensemble des règles d’écriture de son époque. Et moi, j’ai voulu être le premier, celui qui serait capable d’expliquer, vraiment, la genèse de ce prodige tombé du ciel.

Un homme très très riche que l’on trouve surtout dans les romans.

En ce qui concerne celui-ci, le biographe le fameux Luzin-Farez, l’enquête préliminaire de mon informateur m’avait donné une idée du personnage. J’étais maintenant curieux de me forger la mienne. J’avais choisi un lieu de rendez-vous donc je savais qu’il flatterait sa vanité, tout en lui laissant comprendre à quel point j’étais riche pas. Parfois, j’ai l’impression cruel d’être un entomologiste qui s’apprête à retourner du bout de sa pince un nouveau spécimen.

 

Édition Gallimard

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’hésite toujours à écrire un billet quand je n’aime pas un livre et puis je pense à tous vos billets qui m’ont permis d’éviter des romans qui me seraient tombés des mains alors ….

Il faut que je dise en préambule que je suis très exigeante quand il s’agit de lire la prose d’un écrivain ou d’une écrivaine qui nous raconte la création littéraire. Je trouve rarement intéressant de participer à la cuisine qui lui permet d’aboutir à une œuvre. Mais quand en plus on est dans le cliché absolu, je sens la colère monter en moi. Je suis juste ravie de n’avoir pas dépenser 18 euros pour lire cette prose affligeante.

Elsa Feuillet, l’héroïne, est une écrivaine peu connue et qui en admire une autre (Béatrice Blandy) . Celle-ci est morte et son mari va pousser Elsa à s’emparer de l’ébauche du roman de sa femme afin qu’il puisse être édité. L’auteure s’amuse (moi beaucoup moins) à faire des allusions à Rebecca de Daphné du Maurier.

Je n’arrive pas trop à rédiger mon billet et je me demande qui cela peut intéresser que j’explique pour quoi je n’arrive pas à l’écrire, Carole Fives croit donc nous intéresser aux affres de la plage blanche et du comment se mettre à l’écriture. Il faudrait donc une histoire d’amour compliquée, du suspens, des allusions littéraires, et la description d’un énorme succès littéraire quand le lecteur, lui, lit un pâle pastiche de Daphné du Maurrier.

Tout ce que j’écris dans ce billet sent trop ma déception, on verra si au club certaines se sont intéressées à la Miss Feuillet et ses feuilles blanches ! Je sais, c’est un mauvais jeu de mot mais quand je n’ai pas grand chose à dire, je fais ce que je peux !

PS. Personne dans le club n’a sauvé ce roman.

Une seule citation

 

 

Une mère toxique une fille peu compatissante.

 Sa mère à elle l’appelait tous les jours, de son hôpital, pour lui dire combien elle souffrait, et à quel point vivre était un calvaire. La plus part du temps, Elsa ne décrochait pas. Elle n’écoutait pas les longs messages laissés sur son répondeur. Elle se contentait d’envoyer de l’argent à sa mère quand elle le pouvait. De temps en temps, elle finissait par répondre et alors, une voix du fond des âges apathique l’appelait a l’aide. Elsa marmonnait qu’il ne fallait pas s’en faire comme ça, ni être aussi si négative. Elle ajoutait qu’elle était pressée, qu’elle rappellerait plus tard.

 


Édition Corti

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un tout petit roman d’une centaine de pages à la gloire de Jean Sebastian Bach et son immense admiration pour Buxtehude. L’auteur imagine une rencontre entre ces deux serviteurs de la musique sacrée qui sentent entre eux et Dieu un lien qui se concrétisent dans leurs œuvres. L’auteur imagine que Bach part à pied l’hiver de Arnstadt où Bach est organiste jusqu’à Lübeck ville du maître Buxtehude. Cette marche d’une centaine de kilomètres est l’occasion pour l’auteur de montrer à quel point le compositeur est imprégné de musique. Il s’agit d’une vision mystique de la musique qui le rapproche de Dieu. On peut se demander pourquoi Simon Berger écrit un tel livre sur un sujet dont on ne sait rien ou presque. Que Bach ait admiré Buxtehude, c’est certain tout le monde l’admirait à l’époque ; que ces deux génies de la musique se soient rencontrés on n’en sait rien mais c’est possible ; que des grands compositeurs reconnaissent le talent de leur prédécesseurs c’est souvent vrai. Il ne faut pas oublier que c’est grâce à Mozart que Bach n’a pas totalement été oublié après sa mort. Mais ce qui nous frappe et qui transparaît un peu dans ce texte très court c’est la modestie de la vie de Bach et de Buxtehude. Tous les deux attachés à leur orgue dont ils jouaient tous les jours, ils ont composé pour un public pieux et des notables qui avaient si peur que la trop belle musique entraîne les fidèles vers des pensées impies. Ils ont été l’un et l’autre d’une modestie totale au service de leur Dieu et de la musique.

Citations

Les notables de Arnstadt.

Rien qu’à les imaginer, Bach se lassait déjà. Et dire que sa vie dépendait de quelques bien-nés qui resteraient jusqu’à leurs morts infoutus de faire la différence entre le son d’une bombarde et celui d’un pet rentré !

La musique de Buxtehude.

 Alors un début de cantate s’éleva du chœur. Ce fut beau à mourir. Les yeux de Johann Sebastian Bach s’emplirent de larmes. Il ne voyait plus qu’à travers une pitoyable buée ! 

C’était beau. La musique se déroulait comme un phylactère du ciel. Bach la comprenait, aurait pu en tracer l’architecture dans les moindres détails, et cela n’enlevait rien à ce miracle, et cela participait même à ce miracle, miraculeux encore après son décodage. Herméneutique divine, qui n’ajoute rien, qui ne retranche rien et laisse les prodiges advenir. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Rien qu’à les imaginer, Bach se lassait déjà. Et dire que sa vie dépendait de quelques bien-nés qui resteraient jusqu’à leurs morts infoutus de faire la différence entre le son d’une bombarde et celui d’un pet rentré !

La musique de Buxtehude.

 Alors un début de cantate s’éleva du chœur. Ce fut beau à mourir. Les yeux de Johann Sebastian Bach s’emplirent de larmes. Il ne voyait plus qu’à travers une pitoyable buée ! 

C’était beau. La musique se déroulait comme un phylactère du ciel. Bach la comprenait, aurait pu en tracer l’architecture dans les moindres détails, et cela n’enlevait rien à ce miracle, et cela participait même à ce miracle, miraculeux encore après son décodage. Herméneutique divine, qui n’ajoute rien, qui ne retranche rien et laisse les prodiges advenir. 

 

Édition Albin Michel
Traduit de l’allemand par Dominique Autrant
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Feuilles allemandes

Un livre parfait pour le mois de la découverte de la littérature allemande surtout à la veille du 11 novembre. Cette auteure Monika Helfer est autrichienne, elle a puisé son inspiration dans sa propre famille. Le titre en allemand « die bagage » (les bagages) me parle davantage. Je trouve qu’il donne mieux l’idée de ce qu’on trimballe avec soi  : les richesses et les fragilités qui seront de tous nos voyages de la vie. Les héritages c’est plus abstrait. La vie familiale de l’auteure est marquée par la guerre 14/18 , c’est là que se creusera le drame qui marquera sa grand-mère, son grand- père et tous leurs enfants et petits enfants, rejetés par une partie du village (le curé en tête) parce que sa grand mère trop belle sera accusée d’adultère pendant que son mari est à la guerre. « Les fâcheux » comme on les nomme au village vivront donc en marge de cette société peu tolérante mais dont, cependant, plusieurs personnes viendront en aide à des gens qui n’ont rien fait pour mériter cet ostracisme.

L’auteure décrit avec une grande tendresse sa grand mère qui rendait jalouse toute les femmes du village, tant les hommes la trouvait belle . Monika Helfer fait des constants allers et retours dans sa mémoire personnelle en faisant revivre les gens tels qu’elle même les a connus et ce que l’on lui a raconté pour construire un récit qui permet au lecteur de savoir qui elle est aujourd’hui. Riche et blessée à la fois d’avoir dans ses bagages toutes ses histoires où pour le dire comme le traducteur d’être l’héritière de ses « fâcheux » à qui elle dédie son livre. Sa propre mère ne sera jamais acceptée, ni même nous dit l’écrivaine, regardée par son propre père car celui-ci soupçonnera sa femme de l’avoir conçue avec un bel allemand de passage ou avec le maire du village, personnage trouble qui fait de drôles d’affaires pas très légales avec ce grand-père.
Cette plongée dans le monde rural autrichien est très agréable à lire et on comprend que l’auteure aime le tempérament de sa grand-mère une si belle amoureuse.
Je trouve toujours étrange, quand je lis des romans autrichiens, combien le nazisme est passé sous le silence. Le mot n’est même pas prononcé alors qu’elle parle de cette période puisqu’elle évoque la vie d’un oncle qui a déserté pendant la campagne de Russie et a eu une femme et un enfant russes.
Autant la guerre 14/18 est ressentie comme un drame à travers l’absence du père de famille autant le nazisme autrichien semble n’avoir eu aucune conséquence sur cette famille. Ça me dérange parce que cela est représentatif de l’état d’esprit des Autrichiens : le nazisme ce sont les Allemands pas eux .
Que cela ne vous empêche pas de lire ce livre il nous fait découvrir une ruralité qui n’a rien d’idyllique malgré le cadre enchanteur des montagnes autrichiennes.
Et voici le billet d’Eva . (J’avais déjà lu ce roman quand Eva a fait paraître son billet mais je garde tous les livres venant de littérature allemande pour le mois de novembre.)

Citations

Les sentiments dans une région rurale.

 Josef aimait sa femme. Lui-même n’avait jamais employé ce mot. En patois ce mot n’existait pas. Il n’était pas possible de dire « Je t’aime » en patois. le mot ne lui était donc jamais venu à l’esprit. Maria était à lui. Et ils voulaient que Maria soit à lui et qu’elle lui appartienne, ça voulait dire d’abord le lit, et ensuite la famille.

Départ pour la guerre 14.

 Les quatre hommes avaient mis des fleurs sur leurs chapeaux et s’étaient envoyé un petit verre en vitesse. Le maire offrait le schnaps en tant que représentant de l’empereur et il tira un coup de feu en l’air. Une bande de gamins accompagna les pioupiou, comme on appelait les conscrits. Mais seulement jusqu’au village suivant, ensuite ils firent demi-tour. De là, les futurs soldats continuèrent seuls jusqu’à L., mais ils ne marchaient pas au pas, ils ne chantaient plus et ils étaient passablement dessoûlés. Ils parlaient des choses qu’il y avait à faire et qu’ils feraient bientôt, comme s’ils devaient être de retour chez eux dans quelques jours ou dans quelques semaines. Ils ôtèrent les fleurs de leurs chapeaux et les jetèrent au bord du chemin. maintenant qu’il n’y avait plus personne de chez eux pour les voir, à quoi
bon ?

Phrases terribles.

 Oncle Lorenz avait trois enfants au pays, il tenait ses deux fils pour des bons à rien, et cela avant même qu’ils aient pu devenir bon à quoi que ce soit, si bien qu’ils n’étaient rien de venu du tout, l’un des d’eux s’est pendu à un arbre.