Édition Gallimard . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Après Les invités et Le portrait voici ma troisième lecture de Pierre Assouline. Il s’agit là d’un roman de 400 pages qui se passe sur la Paquebot « Georges Philppar » connu pour avoir été celui où Albert Londres a perdu la vie en revenant de Chines en 1932.

Pierre Assouline connaît bien Albert Londres, puisqu’il lui a consacré une biographie que je n’ai pas lue. Mais ce grand journaliste n’arrivera dans ce livre qu’à la page 300. Tout le roman est construit autour d’un personnage collectionneur de livres rares qui est venu sur ce bateau pour vendre et acheter à l’escale de Shangaï des raretés très très chers, mais aussi pour rencontrer Alber Londres. Comme on ne connaît que tardivement les raisons de cette volonté je ne la dévoilerai pas, même si je la trouve sans aucun intérêt.

Donc pendant 300 pages nous suivons les réflexions, les descriptions des passagers et les penchants amoureux du narrateur, c’est parfois intéressant et souvent très ennuyeux. C’est certain que lors d’une croisière de plusieurs mois, confinés dans un espace assez réduits les gens s’ennuient et ce n’est pas toujours le meilleur d’eux même qui apparaît au grand jour. Les passages les plus intéressants racontent la montée du National Socialisme en Allemagne et la façon dont des grands industriels allemands voient en Hitler un pantin qu’ils sauront dominer. On retrouve dans ce huis clos toutes les peurs et les discussions qui ont animer les salons d’avant la guerre et cela rappelle les discussions autour du danger de la Russie et de Poutine avant 2014.

Sinon, chacun le sait, Pierre Assouline est très cultivé et peut citer un nombre d’auteurs absolument stupéfiant, bien sûr ce n’est pas lui qui parle mais son personnage , mais cette érudition à toutes les pages ou presque est très pesante. Le livre fonctionne comme une mise en abîme de tous les livres qu’il a lus (l’auteur ou son narrateur). Je ne peux pas toutes les citer sans apparaître moi même pédante et en oublier certains ce qui montrerait mon inculture ! Mais cela m’a agacée autant que le plaisir des traits d’esprit qui me semble un plaisir assez vain.

Et Albert Londres dans tout ça  ? il semble bien loin de ce monde là, lui qui toute sa vie a ouvert les yeux sur la vraie vie : Les bagnards à Cayenne, les malades dans les asiles psychiatriques, la misère absolue dans la Russie soviétique… On ne saura jamais ce qu’il voulait écrire sur le communisme en Chine car son article a disparu avec lui et ses amis morts dans un crash d’avion. De là, à imaginer un complot pour le faire taire définitivement … mais ce n’est visiblement pas ce que pense l’auteur …

Il y a aussi un autre aspect qui m’a bien plu : les paquebots étaient très dangereux en particulier pour les risques d’incendies. La sécurité passait après le désir de construire un superbe décor, le plus important c’était de faire appel aux plus célèbres décorateurs, tant pis pour les risques que l’on faisait courir aux passagers. Ainsi, sur ce bateau, les fils électriques, très mal isolés, couraient derrières des lambris de bois vernis qui se sont enflammés comme une boîte d’allumette. La raison du départ de l’incendie est plus complexe, sans doute l’utilisation du courant continue alors que l’installation ne le supportait pas bien.

Un roman, que toutes les lectrices et tous les lecteurs, qui aiment cet auteur liront avec plus de passion que moi.

 

Citations

Première phrase

On peut adorer s’en aller. Ivresse du départ, volupté de l’arrivée ; encore faut-il revenir.

Les privilégiés.

 Un certain nombre de passagers des catégories de luxe sont des invités de la compagnie. Ceux-là vivront le voyage comme une pure villégiature. Certains parmi ces heureux du monde se connaissent, d’autres se reconnaissent. Tout dans leur attitude insouciante reflète le seul tourment d’avoir à se laisser vivre. Ils se comportent comme des invités permanents de la société.

Je ne sais pas si c’est vrai ?

 Si tout paquebot est une ville flottante, et le nôtre possédait même une cellule, une salle de quarantaine et une cabine capitonné pour aliénés, son pont promenade en est le boulevard à ragots.

Un portrait cruel

 Notre célibataire de l’art, ce bellâtre italien à l’évidence entretenue par la compagne hors d’âge appuyée d’ordinaire à son bras (on le sait depuis la belle Otéro, la fortune vient en dormant, mais pas en dormant seul) se faisait appeler Luigi Caetani et laissait croire à qui voulait l’entendre une parenté avec l’illustre famille de cardinaux. Tout en lui suintait l’arrivisme, jusqu’à son eau de toilette ; son ambition avait quelque chose de pestilentiel.

Encore un portrait cruel.

 La crainte de paraître goujat inciter sa petite cour brillante au bar de la piscine, à la contempler comme l’ébouissant vestige d’un révolu ; à force de fréquenter son mobilier, son visage en était devenu Art déco ; son corps, un temple autrefois beaucoup visité, conservait ses adorateurs bien que des racines en eussent remplacés les piliers, un peu comme à Ankor ; en vérité c’était une ruine.

Mot d’esprit.

Le genre de type qui devait porter sa rosette de la Légion d’honneur jusque sur le revers de sa veste de pyjama.

Un français attiré par les thèses nazies.

 Je monte régulièrement à cheval au bois de Boulogne et j’ai constaté une chose : à peine est-on en selle que, de là-haut, on se sent déjà moins républicain ..

L’horrible Modet-Delacourt.

 « Non vraiment, n’insistez pas, vous comprenez les bourgognes, les vins de la Loire, tout ce que vous nous proposez, ça ne vaut même pas d’être pissé », ce qui contrasta brutalement avec l’arôme de violette qui mûrit puis s’épanouit en un goût de pétales de roses à peine fanée que le sommelier venait d’évoquer. Il aurait pu réussir à être blessant sans se montrer grossier, mais non, pas son genre. C’est aussi à cela que l’on juge une éducation :cette faculté d’humilier
 publiquement le personnel, lequel n’en peut mais, par définition.

Citation et trait d’esprit.

 Elle me paraissait incarner la femme telle que Beaumarchais la définissait : une âme active dans un corps inoccupé.

Genre de remarque qui truffe ce roman et le rend pédant.

 Milk n’en fit même pas cas, tous occupé à discuter des vertus de l’odontomettre pour mesurer la dentelure des timbres ou à plus de plaider, une fois de plus, la cause de l’adoption du néologisme « timbrologie » en lieu et place de « philatélie » au motif que si l’on avait vraiment voulu s’en tenir à l’étymologie grecque, c’est de « philotélie » qu’on devrait parler.

 

 


Ėdition JC Lattès

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

J’ai commencé ce livre en étant intéressée par l’histoire de cette petite fille si mal aimée par cette mère au cœur dur. Pour lui plaire, Alice devient une petite fille coquette qui participe à des castings et devient à l’adolescence une Miss Normandie .. et puis le cœur du roman que je vais dévoiler -surtout que les antidivulgâcheuse ne lisent pas la suite-, je précise quand même que je ne raconte pas la fin du roman, Alice est enfin heureuse avec Jean un homme dont elle a une petite fille Charlotte qu’elle adore. Le jour de son mariage sa mère lui apprend que Jean est son frère….La solution ? il n’y en a pas, alors elle fuit. Et moi aussi j’ai pris la fuite de ce roman où tout devient horrible. Et pourtant il me restait les trois quart du roman à lire, je n’ai pu le faire qu’en diagonale pour partir au plus vite des horreurs qui vont s’accumuler.

La situation de départ est tellement improbable et les réactions des différents protagonistes tellement stupides que je m’en voulais de lire de telles horreurs.
bref … lisez le si vous voulez et dites moi si vous avez résisté à cette accumulation de quiproquos qui poussent les personnages à avoir des conduites destructrices pour tout le monde.

 

Citations

Son frère aîné.

 A la naissance, sa cervelle de pinson a manqué d’oxygène et il est devenu singulier. Mongol, disent les gens. Et il restera pour toujours le tout petit de la famille. Le tiot .

Sa mère abandonnée .

 Après le départ du père ma mère devient une femme tourmenté un sanglot cristallisé.
Chacun leur tour deux homme tentent pourtant de vivre sous notre toit. Mais l’un comme l’autre se bornent à la libérer parfois de son chagrin, à lui offrir quelques battements de cœur et quand maman consent à bien vouloir lever les yeux vers eux, à ruisseler près d’elle. Las, ils finissent par partir.



Édition Dargaud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Célèbre pour ‘le chat du Rabbin » (et pas du Rabbit), Joann Safr raconte dans ce récit autobiographique son enfance à Nice avec un père avocat. Sa mère est morte quand il avait 4 ans, le fils et le père ont tissé des liens très forts. Les engagements politiques de son père ne sont pas toujours faciles à comprendre, adepte de la non violence , il n’hésite pas à faire le coup de poing contre un homme qui devant lui se gare sur sa place privée de parking . Défenseur de la cause palestinienne, il coupe avec toutes les organisations françaises qui ne dénoncent pas le terrorisme (et il y en a beaucoup). Son fils s’ennuie ferme à la synagogue et cherche tous les moyens pour échapper aux offices qui lui semblent interminables. Son idée c’est de faire partie de ceux qui protègent la synagogue des attentats terroristes car du coup il reste dehors et surveille (efficacement ?) les abords de là synagogue. Donc, il s’initie aux sports de combat ce qui n’était pas dans sa nature première !

Cette BD est l’occasion de faire revivre une époque et une ville : Nice. C’est drôle et triste à la fois : comme la vie en quelque sorte. J’ai beaucoup aimée, je l’ai lue avec grand intérêt. Et je suis très contente de vous recommander une BD.

Citations

J’ai ri !

« Et bizarrement j’ai vu très peu de vrai docteur pendant mon séjour à l’hôpital. Des infirmières et des internes. »

 » Hospitalisation à l’hôpital c’est comme au foot, il vaut mieux jouer à domicile. »

Et un sourire de plus !

 « Il faut que je trouve un moyen pour ne plus aller à la synagogue. C’est insupportable. »
« Et encore, je n’aborde pas le sujet de l’office de kippour. Qui dure quoi ? Douze heures ? »
« On lit un bouquin trois fois comme Le Seigneur des Anneaux, en hébreu. Et parfois on répète mêmes passages. Ça me rend fou,. Littéralement. Il faut que je trouve un moyen de ne plus jamais vivre ça. »

Lapsus révélateur de Raymond Barre !

 « Il y eut quatre morts et quarante six blessés lors de l’attentat de la rue Copernic. Les victimes n’étaient pas toutes juives. »
Après le carnage, Raymond Barre, premier ministre de l’époque, aura les mots suivants.
 « Cet attentat odieux voulaient frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. »
Pour se défendre de ce qu’il appellera un lapsus, Barre déclara plus tard :
« Cette opération indigne contre moi l’œuvre du lobby juif le plus lié à la gauche. »

Éclat de rire (Séance de self défense)

 « Je vous jure que je visais la tête »
 » C’est possible d’être assez con pour viser la tête et atterrir dans les couilles ? »
 » Je suis pas souple. »

 


Édition Liana Levy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

On ne peut pas changer le monde Ben, mais il faut tout faire pour qu’il ne nous change pas.

Sans mon club je n’aurai jamais ouvert ce roman car je déteste tout ce que l’auteur soutient, mais j’aurais eu tort car cet écrivain a une langue très particulière qui donne un ton original et très séduisant à son roman. Qu’est ce que je déteste ? Ce livre justifie sans aucune nuance toutes les violences des mouvements contestataires et se termine par enfin une action réussie qui n’a pas encore eu lieu la prise de l’assemblée nationale par le héros de l’histoire.

Ce qui m’a le plus manqué dans ce livre c’est l’humour (celui de Safr par exemple !) tout est tragique et sans espoir. J’ai quand même souri lorsque le héros rassemble tous les sigles créés par l’administrations françaises.

Et pourtant il y a de très belles pages dans ce livre. Des pages qu’on a envie de lire à haute voix car elle résonne comme des slams. Rouda sait raconter la violence, l’amour et l’amitié aussi . On peut le lire sans partager ses idées, sauf si pour l’auteur ce livre livre est une demande d’adhésion au parti de ceux qui pensent que seul une révolution violente serait la solution à tous les problèmes de la société française.

 

Citations

L’art de la formule.

 J’ai déjà confondus des cris de dispute avec des soupirs d’amour. Et comme mes parents s’engueulent plus qu’ils ne font l’amour, je préfère imaginer qu’ils s’aiment. Parfois entre les silences et les bruits de fourchettes qui raflent la faïence, j’essaie de leur poser des questions. Mais mon père répond toujours que c’est mieux de finir son assiette que de finir une phrase.

Un portrait positif d’une jeune femme.

 Oriane est curieuse de tout, elle te pose de vraies questions. Elle plante son menton dans ses mains, elle plonge ses yeux couleur de nuit dans les tiens et tu te sens unique. Comme elle s’intéresse à toi, à ce que tu as fait de ta journée, à ce que tu comptes faire des prochaines de ta vie elle te rend toujours intéressant. Elle écoute. Elle attend que tu ais finis tes phrases pour commencer les siennes.

Phrase d’Oriane.

On ne peut pas changer le monde Ben, mais il faut tout faire pour qu’il ne nous change pas.

Portrait de lui en militant avec un peu de distance !

 Je suis incollable sur l’Histoire de la gauche française. Lorsqu’on sort en soirée, je tiens de grands discours sur les luttes politiques. J’ai un avis sur tout et surtout un avis sur rien. J’arrive à me persuader que je suis convaincu de ce que je dis, et je porte de la banlieue en étendard. Je me prends pour un militant du réel avec ma paire de Nike est ma veste Lacoste.

Le goût de la France pour les sigles ou acronymes.

Mon CDD, qui ne sera jamais un CDI, se passe dans un CADA. Attention. Pas un SPADA. Ni un CHRS. Quand l’ADA est enregistré au GUDA, et si l’OPC est validée les demandeurs d’asile peuvent avoir accès aux CMA. Alors, je peux les accompagner pour la CMU, l’AME et l’ASA. Mais s’ils sont déboutés par l’OFPRA, je les aide à monter leurs dossiers CNDA, pour éviter qu’ils attendent dans un CRA avec une OQTF.

Édition l’avant scène Gallimard NRF 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un premier roman d’une jeune auteure de vingt quatre ans qui se met dans la peau d’une femme très âgée en maison de retraite. Ce roman est surprenant et a su souvent retenir mon attention, sans pour autant être un coup de coeur.

Les quatre saisons vont permettre à Isadora Abberfletch, cette vieille femme en fin de vie de faire revivre sa Maison. Chaque saison lui a apporté son lot de joie et de souffrances. la Maison avec ce M majuscule est le personnage central du roman. Isadora, croit lors de sa jeunesse que cet endroit est indispensable à sa propre vie. Elle ne peut s’en détacher , elle y a toujours vécu, avec sa famille puis qu’avec son père et enfin seule jusqu’à ce qu’elle comprenne, enfin, que sa Maison la tuera si elle y reste encore un an de plus.. Elle y a connu les moments les plus heureux de son enfance avec sa petite soeur Harriet et son frère Klaus. Les rapports avec Louisa, la soeur aînée de la narratrice sont plus compliqués on comprendra pourquoi lors de la scène importante du printemps. Chaque saison, même si elles ont été des moments heureux de sa vie se terminent par une catastrophe, l’été verra la mort de sa mère, l’automne celui de la mort d’Harriet sa petite soeur, l’hiver celui où elle se décide à partir en maison de retraite et le printemps celui où Louisa lui montrera l’envers du décord qu’elle ne voulait pas voir.

J’ai beaucoup aimé la description de l’attachement à la maison d’enfance, l’autrice sait exactement de quoi elle parle car elle encore proche de sa propre maison d’enfance , en revanche son personnage d’Isadora est peu incarnée et on a beaucoup de mal à l’imaginer mais Perrine Tripier a beaucoup de talent , elle vieillira, elle aussi et saura peut-être mieux comprendre le détachement progressif aux biens de ce monde qui sont l’apanage de la vieillesse.

 

Citations

Les romans qui débutent par la météo m’agacent peu.

 Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbes d’été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d’août sur les tiges rases, brûlées d’or.les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, situent, serpentent, et s’entrelacent en longs rubans de lumière liquide.

Le but de sa vie.

J’avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenir, nous ferions de grandes de choses car les choses familières ne sauraient mourir. 

L’été .

La liberté absolue des jours d’été, c’est cela qui distinguait cette saison du reste de l’année. Quel délice ces soirs bleus où nous mangions dehors, sous le grand cèdre. La tablée se trouvait baignée par les effluves de résine.

Vieillir.

Vieillir n’est ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir ? Échanger le fluide vital, les idées folles, l’ivresse du monde contre une douce langueur, un cocon de morphine salutaire et lénifiant.

L’oncle alcoolique .

« Ne touche pas à l’alcool en revanche », disait Petit Père en coulant un regard appuyé vers Bertie et ses joues incarnadines, quand il remontait de la cave où il était allé « vérifier les stocks ». Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, de bon vivant, le trublion, Le grand dévoreurs de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n’est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n’est surpris, mais le rire manque cruellement.

Les photos.

Les morts n’ont aucune humilité, ils s’affichent là, figés à jamais sur du papier glacé, et sont à jamais chez eux dans les lieux qu’ils ont habités On a peur de les déranger, on refuse de jeter le service d’assiettes de la vieille Léodagathe, parce qu’elle l’aimait beaucoup, la sainte femme ; pourtant ce service enquiquine tout le monde, et il est ébréché et de mauvais goût, mais ça personne ne le dit, parce que la veille Léodagathe, dont les os reposent quelque part, entassés dans le cimetière du village, rongés par la vermine était, avant tout, « une sainte femme ».

Jolie formule !

Klaus et Louise ne m’ont jamais semblé avoir du mal à partir, au contraire ; ils ont la valise aisée, la route facile. Ils partent et reviennent sans douleur, la Maison leur est toujours ouverte et toujours douce, jamais violente comme l’amour et immodéré que je lui porte et qui me rend folle loin d’elle, comme une amante jalouse.

Les déménagements.

 On s’attarde moins sur des lieux qu’on doit quitter souvent, parce qu’on se force sans doute à moins s’y attacher, comme pour atténuer la rupture que chaque déménagement provoque. Les déménagements nous brisent. On fiche dans les murs des morceaux de soi partout où l’on passe, et l’on se désagrège en partant. Mon frère s’est désagrégé au fil du temps, c’est sans doute pour ça qu’il n’est heureux nulle part 

L’autre version de la Maison.

 Elle murmura que j’étais malsaine, accrochée au passé, accrochée à une enfance que j’avais idéalisée. Elle ne s’arrêtait plus de vomir des horreurs, elle disait que Petite Mère n’avait jamais été heureuse avec Petit Père, que cette Maison avait été un calvaire pour elle, une charge écrasante. Je pensais qu’elle avait fini mais Louisa se mit à cracher de nouveau « Petite Mère n’a jamais eu d’initiales brodées sur son linge, elle ; elle avait les serviettes blanches des épouses. La maison lui pesait comme la dalle d’un tombeau, elle suffoquait sous l’effroyable pression qui lui appuyait sur le ventre, là, un ventre où se tordait l’angoisse de la ruine, l’angoisse de la mort. »

Édition L’avant scène Théâtre

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Une pièce que j’aurais eu un grand plaisir à voir. Un dialogue inventé entre deux génies du XX° siècle Einstein et Charlie Chaplin. C’est souvent drôle, tragique aussi . L’auteur concentre sa pièce sur trois moments de leur vie. D’abord quand Einstein, découvre avec horreur le sort des juifs sous la botte nazie, et que Chaplin veut faire un film en se moquant d’Hitler. Le deuxième moment Einstein s’en veut d’avoir pousser Roosevelt à construire la bombe atomique enfin la dernière scène Charlie Chaplin victime de la commission d’épuration menée par McCarthy vient voir une dernière fois son ami avant de s’exiler en Suisse. Il y a aussi un gouvernante qui permet d’avoir un lien avec l’extérieur.

Tout le travail de l’auteur c’est de nous faire comprendre à la fois le génie de ces deux hommes extraordinaires et la différence de leur démarche. Tous les deux sont des créateurs et ont besoin de liberté pour créer mais ils réagissent très différemment. Dison que Chaplin est plus humain qu’Einstein et qu’il finira sa vie dans une forme de bonheur familial qu’Einstein n’a jamais onnu.
Un beau texte et une grande envie de le voir sur scène

Citations

Un bon mot .

 « Avec le « professor » c’est pas évident pour l’habillement … au début je faisais comme Elsa. Quand il y avait des visiteurs importants, je lui demandais de faire un effort… Un jour, il m’a dit : « Si c’est moi qu’ils veulent voir, fais-les entrer…Si c’est mes vêtements, tu ouvres mon armoire et tu leur montres mes costumes ! »

Les génies scientifiques sont jeunes.

Chaplin : Et pourquoi ne fait-on plus de découvertes après quarante ans ?… Le cerveau s’amollit à ce point ?

Einstein : Je crois plutôt qu’on est prisonnier de soi-même… De ce qu’on a découvert avant … On se répète….. Ce qui manque c’est l’insolence.

Dictature et démocratie.

Einstein  : …Vous savez la différence entre une dictature et une démocratie, Charlie ?… Dans une dictature les gens sont gouvernés par la force et le mensonge. Dans une démocratie, uniquement par le mensonge !

Les stars

Chaplin : J’en ai observé beaucoup à Hollywood des stars quand on les voit groupées et elles produisent peu de lumière et encore moins de chaleur ! ( « Einstein sourit montrant le télescope »). J’ai le même à la maison. Je voulais apprendre l’astronomie. Mais c’est plus fort que moi : je dirige toujours l’objectif vers la rue. Les hommes intéressent plus que l’univers … Le contraire de vous, en somme !

Einstein : l’univers me paraît moins compliqué que mes semblables en tous ca !

 

Édition Les Escales. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Le portrait du père violent et dominant sa famille de toute ses colères et de ses mots assassins est criant de vérité. Il s’agit certainement d’une part de l’enfance de l’autrice qui par se livre se libère du poids de son enfance à Bari capitale des Pouilles italiennes. On sent tout le poids de la souffrance des femmes italiennes qui subissent leur sort avec courage. La petite Rosa vit dans l’amour de sa mère et la terreur que son père éclate d’une colère incontrôlée. Elle s’éveille à la sexualité dans un quartier où règne la prostitution. Elle reproduira , hélas le schéma familial et son Marco s’avèrera un homme dur et violent. Mais à la différence de sa mère elle réussira à s’en séparer.
Le roman décrit bien la pauvreté des villes du Sud de l’Italie et la difficulté de mener une vie correcte quand la misère vous tient dans ses filets. C’est vraiment le meilleur aspect du roman.
Mais je suis peu sensible au côté « rédemption par l’écriture », cette impudeur me gêne surtout dans la deuxième partie quand on voit cette jeune femme s’accrocher à un homme qui ne lui apporte rien. L’écrivaine n’a pas réussi à m’intéresser , mais cela vient du peu de goût que j’ai pour l’auto -apitoiement sur son propre sort. C’est sans doute vrai que c’est compliqué de ne pas reproduire le schéma parental mais cela ne justifie pas pour autant le fait d’en faire le récit. Je sauve de ce roman toute la première partie de son enfance à Bari dans les quartiers miséreux, on vit au plus près de ces familles qui cherchent par tous les moyens de s’en sortir. C’était mon dernier roman italien proposé par mon club de lecture, j’ai lu de bien beaux romans même si celui-ci m’a moins intéressée.

Citations

J’aime bien ce passage :

 Il s’est bien habillé pour l’occasion il a plaqué ses cheveux en arrière pour dégager son front large et il porte un parfum agréable, nouveau. Moi aussi, j’ai fait un effort, j’ai sorti une vieille robe à fleurs qui me serre un peu, je me suis coiffée et j’ai mis des chaussures neuves. Sans véritable raison, en réalité. Peut-être que les amours terminées méritent encore une belle tenue.

Alors que son père vient d’être cruel avec son amoureux :

Ne t’inquiète pas Rosa. S’il t’aime il ne se laissera pas impressionner par les discours de papa, m’as-tu dit. 
T’en souviens-tu maman ? Moi, très bien, de même que de la douceur de ta main qui me caressait les cheveux d’un geste prudent et léger ; peut-être avais-tu peur que je te repousse. Tu parlais toujours avec une émotion qui te ramenait aux mêmes sujets : le mauvais caractère de papa,  » Il est comme ça on y peut rien », le sort inéluctable du quartier, « C’est comme ça, on ne peut pas le changer « . Tu tressais les fils de notre destin dans un mouvement circulaire auquel on n’échappait jamais

 


Édition Liana Levi. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman est à la limite du conte , à la fois réaliste et onirique. Il raconte l’arrivée dans un pauvre village Sarde de réfugiés venant d’un bateau et sauvés par des humanitaires. Personne n’est tout bien ni tout mal dans ce récit, c’est pourquoi je dis qu’il est réaliste, mais il y règne aussi une atmosphère finalement positive comme dans un rêve, le rêve que les hommes puissent vivre heureusement ensemble, c’est pourquoi je le qualifie d’onirique.
Cela ne veut pas dire que ce récit n’est pas profond et ne fait pas réfléchir. La narratrice, une des femmes du village est très vite intriguée par ces gens qui arrivent de si loin, et elle n’est pas la seule. Elle croit pouvoir les aider et avec des amies : elles veulent leur « faire du bien ». Ce qui est amusant c’est que ces pauvres gens se croyaient arrivés en Europe alors qu’ils sont en Sardaigne dans un village isolé loin des images qu’ils avaient en tête.
Comme dans tout conte, il y a une morale, les gens du village pensaient tout leur donner, mais l’arrivée de ces immigrés leur permettra de voir ce qui ne marche pas dans leur village. C’est un échange et avec un questionnement sur l’aide humanitaire qui est très intéressant. Beaucoup de questions sont abordées dans ce roman , l’isolement des villages ruraux, la fuite de la jeunesse, l’agriculture rentable au dépend des potagers personnels….

Aucune solution simpliste n’est offerte aux lecteur et la vie va continuer tout aussi imparfaite qu’avant. Au passage, ces gens auront appris la tragédie de ceux qui sont obligés de fuir leur pays. L’écrivaine mélange avec bonheur la religion chrétienne avec l’Odyssée d’Homère, tout est prétexte à nous faire saisir la relativité des comportements humains . Elle nous régale de poésies et de citations de poètes.

Je ferai un reproche à ce livre, on se perd dans les personnages malgré leur liste au début du livre, j’ai dû sans arrêt m’y reporter.
C’est avant tout un livre qui fait du bien et où le malheur ne nous rend pas totalement triste alors que rien n’est gommé, on comprend toutes les horreurs mais la vie avec « les hommes de bonne volonté » est la plus forte.

 

Citations

Le sens de l’accueil des Sardes.

Nous ne sommes pas comme les Napolitains qui vous imposent leur compagnie même si vous n’en voulez pas et vous pourchassent vous parlent, vous invitent à parler. Nous, les Sardes, nous sommes accueillants, mais si nous devinons que vous souhaitez rester seuls, seuls nous vous laisseront, à jamais.

Des immigrants déçus.

 Mais certains des envahisseurs aussi, une fois qu’ils eurent compris que c’était bien dans ce village sarde oublié de Dieu et des hommes, ravitaillé par les corbeaux, qu’on les avait envoyés, ne voulurent plus rien avoir à faire avec nous, déçus d’avoir risqué leur peau pour échouer ici.
 Non, leur place n’était pas ici. 
Ils avaient entendu dire que l’un de nos traits distinctifs, à nous Européens étaient le goût du shopping, et qu’ici les vitrines scintillement de partout. Où étaient donc toutes ces boutiques ? Il n’y avait rien chez nous de ce à quoi ils s’attendaient. Nous n’en valions pas la peine

L’homosexualité .

 Une fois l’humanitaire du sex-shop raconta que son père avait coutume de dire : « mieux vaut un fils mort qu’un fils pédé. » L’un avait donc pour géniteur un assassins potentiel, l’autre était musulman, et dans son pays les homosexuels étaient arrêtés et parfois pire. Leur amour ne semblait pas promis à une fin heureuse et cela nous causait du chagrin, un déchirement comme toujours quand un amour est impossible.
 Tout ceci nous faisait réfléchir au fils du Tailleur qui ne revenait jamais au village parce qu’il avait un fiancé, mais qui s’en ouvrait sans problèmes au monde entier. Son père en avait plus honte que s’il avait été délinquant, mais un jour que nous nous plaignons de nos enfants avec de profonds soupirs, comme le font souvent les parents entre eux, quand ils se lâchent le Tailleur fit cette sortie : « Mon fils, lui, au moins s’est fait tout seul et il est devenu célèbre alors que les vôtres ont eu beau courir le monde vous devez encore les entretenir. »

Aimer l’humanité ou les personnes.

 Le père Efix se moquait des autres comme d’une guigne et en cela il se révélait bien différent de la Dévote, de Gilles, et du Professeur qui ne faisaient jamais de favoritisme et beaucoup plus critiquable puisqu’il était prêtre. Mais nous nous sentions proches de lui, qui aimait des personnes et non toute l’humanité. Il fallait être un saint pour aimer toute l’humanité. 

La Vierge Marie par le père Efix.

 « Marie doit s’être sentie très seule, elle aussi, disait le père Efix. Quelle que soit la manière dont les choses se sont vraiment passées son enfant aurait pu rester son père. Mais il en va de même pour toutes les femmes enceintes, les circonstances de la conception ne comptent plus, le mâle s’efface. Le père s’il apparaît, le fera plus tard, et demeura un père putatif.
 Il aimait énormément Joseph et le tenait en grande estime. Quelle largesses de vue avait été la sienne, lui qui avait accepté de s’unir avec une femme gravide, peut-être victime d’un viol. Certes, un ange lui était apparu qui lui avait dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ton épouse. » Comment le croire ? Et si c’était une hallucination ? Mais Marie avait le cœur pur et cela lui suffisait.


Édition Seuil. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

La question qui me vient à l’esprit : c’est pourquoi aujourd’hui Catherine Clément, née en 1939, d’un père catholique et d’une mère juive, éprouve le besoin d’écrire ce livre-là.

En effet, tout ce qu’elle écrit à propos de la déportation et de l’extermination des juifs sont aujourd’hui bien connus. J’ai trouvé une réponse : en faisant correspondre l’histoire de l’extermination des juifs décidée par l’Allemagne, mise en oeuvre en France par les services de Pétain, avec le sort de ses grands parents. Cela permet de rendre plus palpable ce qu’a été pour cette population cette horrible période. Et, comme toujours dans ce genre de livres, on apprend des détails qui n’en furent pas pour certains juifs : l’Abwehr, c’est à dire le service de contre espionnage de l’était major de l’armée allemande, dirigé par Wilhem Canaris n’était pas Nazi. (Celui-ci organisera un dernier attentat contre Hitler ce qui lui vaudra d’être pendu avec deux cordes de piano puis pendu à un croc de boucher). La mère de Catherine Clément, a dû sa survie à un certain Samuel Shütz appartenant à l’Abwehr et qui la prévenait des rafles.

C’est le principal apport de ce livre. Sinon, comme moi je suppose, vous savez tout ce que cette écrivaine écrit à propos de la Shoah. Catherine Clément âgée de 84 ans veut qu’un de ses livres fasse le point sur l’histoire des siens à la lumière de tout ce que l’on sait aujourd’hui. C’est aussi un aspect intéressant de son livre : dans un texte assez court, elle arrive à concentrer presque tous les aspects de l’extermination des juifs en Europe.

 

Citations

Portrait d’une mère .

 Yvonne, mère de deux fils dont Yves était l’aîné, arborait en toutes circonstances une beauté imposante à l’œil pieux, qu’on appelait parfois bleu panique, tant elle savait se faire obéir.

Genre de rappels qu’il faut garder en mémoire.

Le 18 octobre 1940, une ordonnance allemande dite d’aryanisation plaça sous séquestre les biens des juifs absents ou arrêtés. Samuel Shütz n’avait rien exagéré. La boutique de fourrures de Georges Gornik fut cédée à un Aryen français pas trop malhonnête, avec l’assurance qu’à la fin de la guerre, sont bien lui serait rendu. Gabrielle Chanel fit de même avec la riche famille juive qui la finançait mais avait nullement l’intention de lui restituer quoi que ce soit.


Édition Cambourakis. Traduit du norvégien par Marina Heide

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’aurais un peu tendance à écrire encore une histoire de vieux qui perdent la tête. Mais ce serait un peu méprisant pour un roman qui est assez original et qui a reçu moult récompenses dans son pays. Tout d’abord, il se passe en Norvège et les liens entre les différents personnages sont assez exotiques pour la Française que je suis. Je me sens tout à coup très latine et j’ai envie de parler fort, d’éclater de rire et de me moquer des gens, ce qui ne se fait pas du tout en Norvège . La retenue, le respect entre voisins (jusqu’à les ignorer complètement en dehors du « bonjour » obligatoire), le respect des choix des enfants et surtout ne pas les encombrer avec le passé des parents, tout cela m’a semblé si loin de moi. Et par voie de conséquence cette histoire tragique me semblait comme aseptisée.

Et pourtant, tout au long du récit, on découvrira le tragique passé de Simon ancien médecin : il a été avec sa famille caché pendant la guerre car ils étaient juifs. Cet enfermement pendant quatre ans dans un très petit espace et le silence imposé aux enfants pour ne pas alerter les voisins, Simon pensait que cela ne le concernait plus et il n’a jamais voulu en parler avec ses propres enfants qui apparemment ne savent rien de son passé. Sa femme, Eva, a aussi un lourd secret : elle a abandonné son premier enfant qu’elle avait eu trop jeune.

Ils sont vieux maintenant et Simon s’est enfermé dans un silence que rien ne peut rompre. Eva sent que l’abandon de cet enfant lui revient de façon très forte en mémoire. Nous sommes avec elle tout le temps ; elle analyse avec rigueur tout ce qui se passe dans leur quotidien. Dès le départ on sait qu’ils ont été amenés à se séparer de Marija une femme de ménage lettonne. Enfermé dans ce silence tellement pesant, ils ne veulent ni ne peuvent en dévoiler la cause à leurs enfants, car cela a un rapport avec ce passé qu’ils ont tu. . Eux, ne comprennent pas pourquoi cette femme qui était devenue l’amie de leur parents – et dont la présence auprès d’eux les rassurait – a été licenciée du jour au lendemain. Le quotidien d’Eva est fait de visite dans un cimetière, dans une église, de retour dans son passé et celui de son mari, mais surtout de sa volonté de comprendre et briser le silence dans lequel Simon s’est enfermé.

C’est une lecture triste et réaliste. On ne peut s’attacher à aucun personnage , mais cela n’empêche pas que ce roman se lise facilement, comme Eva on voudrait tant que Simon sorte de l’état dans lequel la vieillesse l’a enfermé peut être à cause du poids de tout ce que ni lui ni sa femme n’ont réussi à dire à leur entourage.

 

Citations

Le passé .

 Il y a quelque chose qui ne cesse de m’étonner chez la fille que je vois sur ce portrait de moi-même : le temps ne semble pas avoir laissé son empreinte sur elle. Comme si, au moment du cliché, il n’y avait pas de passé. Pas de passé derrière cette jeunesse, on dirait. À croire qu’il existe une démarcation entre tout ce qui arrive et tout ce qui est arrivé, une démarcation claire et nette, comme un mur derrière lequel se retranche le passé, oublié.

Le vieillissement .

  Je regarde mon visage dans le miroir de la salle de bains, constate que j’ai le coin des lèvres qui tombe. Ça a toujours été comme ça, ou est-ce que c’est arrivé avec le temps, je crois que ça s’est fait progressivement. Les plis de l’amertume, voilà comment on appelle les rides en haut du menton, plus elles se creusent plus mon menton semble petit.

La femme de ménage (rien de très original !).

Marija me disait qu’elle aimait faire le ménage. Elle se glissait dans les maisons et les appartements avec la clé qu’on lui avait remise ou qu’il attendait caché quelque part, et elle faisait le tour des pièces avec un aspirateur et une serpillière. En général, il n’y avait personne, aucune instruction. Peu de ces endroits étaient crasseux en réalité mais elle s’appliquait toujours autant. Les gens qui habitaient là, elle les entrevoyait à peine, ils ne laissaient derrière eux qu’un cheveux quasiment invisible dans le lavabo, un torchon en boule dans la cuisine, une paire de baskets dans l’entrée. Et bien entendu, son salaire laissé dans une enveloppe sur la cheminée ou sur la table, ou dans de rares cas comme chez nous directement sur son compte en banque. Il lui arrivait de trouver une pièce de monnaie laissée volontairement quelque part ou une peau de banane tombée du sac poubelle une sorte de test m’expliquait-elle.

L’abandon de son bébé .

 J’aurais voulu l’abandonner dès le premier jour, mais quelqu’un ma mère ou mon père je crois, avait estimé que maintenant que je m’étais mise dans cette situation, je devais prendre mes responsabilités. Aussi étais-je là, avec lui. Lui me réclamait, mais je ne voulais pas de lui. 

 Par moment peut-être quand il dormait ou me regardait sans rien exiger, je pouvais éprouver un certain apaisement, oublier un instant la honte et la colère, le découragement. Une nuit qu’il était malade, je l’avais contre moi, le médecin avait dit que je devais le prendre, le garder dans mes bras. Il s’endormait, sursautait, se rendormait. Quand il s’est réveillé, nous nous sommes regardés. Une seconde, j’ai cru qu’il allait sourire, un frémissement au coin de la bouche.
 Aussitôt, je l’ai remis dans son lit. Par peur, sans doute, peur que ça change quelque chose, qu’il se faufile à l’intérieur, trouve une place dans mon cœur et s’y installe pour de bon. Que je ne puisse plus ignorer son existence, ses exigences, ses cris. Je l’ai laissé hurler.