Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanchita Gonzales Batlle. J’ai transporté pendant quelques séances de lecture, des personnes âgées, dans la cité de « la poussière rouge » à Shangaï. Et ceci grâce à Jérôme qui m’a fait connaître ce recueil. Les nouvelles commencent en 1949 et se terminent en 2005. Elles suivent toutes le même schéma narratif, on lit d’abord la presse qui pendant plus d’un demi siècle vante avec un style qui lui est propre tous les succès de la Chine sous la direction du « Parti Communiste Chinois » qui est au moins aussi infaillible que le pape, même si, il lui arrive de se contredire quand les réalités économiques dominent les réalités idéologiques. Après le préambule de la presse officielle, Qiu Xiolong, raconte les événements vus et vécus par les habitants de son quartier. Pour bien comprendre ce qu’est cette cité, il ne faut surtout pas sauter l’introduction et la façon dont se présente celui qui va vous raconter toutes ces histoires
En cette fin de l’année 1949, je vis dans cette cité depuis vingt ans, et je me propose d’être votre futur propriétaire, ou plutôt locataire principal, « ni fangdong », dont vous serez le colocataire »
Avec lui nous visitons cette cité, qui est une sorte de micro-quartier, construit sur une rue principale où tout le monde se retrouve, en particulier pour faire la cuisine et commenter avec une grande énergie tous les faits et gestes des habitants, et le long de laquelle les maisons se sont divisées en unité de plus en plus petites. Heureuses les familles qui pouvaient disposer de deux pièces ! Elles vivent, le plus souvent entassées dans une seule pièce. Étant donné le temps sur lequel s’étend les nouvelles, c’est amusant et souvent très triste de voir l’évolution de la Chine. Qui se souvient des errances idéologiques de la « grande révolution culturelle » , il s’agit de faire la preuve que les intellectuels font tous partie de l’horrible classe dominante, tous les lettrés sont visés par les directives du parti, et c’est une époque où l’on stigmatise les plus savants d’entre eux avec un tableau noir autour du cou pour les humilier avant de les renvoyer dans des communes agricoles se faire rééduquer par des paysans. Mais c’est aussi l’époque où l’on recherche des talents littéraires chez les ouvriers. C’est ce que nous raconte la nouvelle « Bao le poète ouvrier » qui dans un trait de génie écrit un poème qui pendant des années sera considéré comme un pur chef d’oeuvre de l’art populaire
Telle fève de soja produit tel tofu. Telle eau donne telle couleur. Tel savoir-faire fabrique tel produit. Telle classe parle telle langue.
Toute « la dialectique de la lutte des classes » transparaît dans ce poème et Bao va devenir une star incontestée parmi les intellectuels de Shanghaï , heureusement pour lui quand on le retrouve en 1996, il est aussi un très bon fabriquant de tofu. Car sa poésie est passée aux oubliettes. Une des nouvelles qui m’a le plus amusée, et qui d’une certaine façon m’a fait penser au « sous préfet aux Champs », se passe en 1972, le président Nixon vient visiter la Chine populaire, il s’agit de nettoyer les rues de Shangaï de tous éléments perturbateurs, et neuf petits enfants se retrouvent enfermés dans une pièce de 15 mètres carré, sous la surveillance d’une grand-mère de l’un d’entre eux, seul le commissaire politique peut leur donner l’autorisation de sortir, seulement voilà le commissaire Liu était entre temps tombé fou amoureux d’une jeune serveuse à qui Nixon avait dit qu’elle était « Délicieuse »
Le brassard rouge en boule dans sa poche, le commissaire Liu nous avait oublié.
Il est parfois difficile de faire comprendre à des enfants comment les ennemis d’hier , vilipendés à longueur de colonne deviennent des hôtes que l’on doit accueillir :
L’année 1972 a commencé par des événements difficiles à comprendre à la Poussière Rouge, notamment pour des élèves de l’école élémentaire tels que nous. À commencer par le devoir politique d’accueillir le président américain Richard Nixon. Dans notre manuel scolaire, nous n’avons rien trouvé de positif sur les Américains impérialistes dont on nous apprenait qu’ils étaient l’ennemi numéro un de la Chine. Comment les choses avaient-elles pu changer du jour au lendemain ?
Dans une des nouvelles « Père et fils » on voit un vieux communiste resté malgré toutes les années de camp et les horreurs qu’on lui a fait subir fidèle à son idéal, il n’arrive pas à supporter son fils qui a troqué l’idéal communiste contre la volonté de s’enrichir. La seule façon de contourner les carcans de l’ancienne société communiste, c’est de réduire à la misère les ouvriers qui y travaillent encore. Le cœur du vieux Kang communiste ne résistera pas aux initiatives de Kang gros-sous son fils. Cette nouvelle raconte comment en une génération on est passé de la propriété privé à la propriété d’état. Le vieux Kang avait été ce cadre communiste qui va participer à la nationalisation de l’usine, il aura ensuite été persécuté comme « droitier » revenu affaibli des camps il verra son fils Kang Gros-sous, son fils privatiser de nouveau la même usine :
Ce soir là, nous avons fait transporter d’urgence le camarde Kang à l’hôpital et nous avons prié pour son rétablissement. Mais nous étions inquiets de la réacion qu’il aurait au réveil quand il apprendrait tous les détails et le rôle de Kang Gros-sous ; Petit Hua, le nouveau résident à la Poussière rouge s’est montré moins pessimiste. « Pourquoi tant d’histoires ? L’usine du père est maintenant au fils »
Chaque nouvelle est un petit drame avec comme dans chaque drame des moments de rire qui cachent tant de larmes. J’ai retrouvé à travers cette lecture le plaisir des contes de Maupassant, qui grâce à la création littéraire nous permet de toucher du doigt toutes les cruautés des hommes. Mais comme chez Maupassant on peut en refermant avec regret ce recueil se dire :
La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais, qu’on croit.