Éditions Le Dilettante . Couverture Camille Cazaubon.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
J’ai indiqué le nom de la personne qui a imaginé cette couverture car elle m’a bien plu. Dans le grand rond, le titre je vais l’expliquer dans mon billet, mais dans tous les petits ronds d’autres chiffres et peut-être vous amuserez vous comme moi, et la bibliothécaire du club de Dinard à en trouver la signification – pour 1515, ok nous sommes nombreux mais pour 8848 ?- . (Je me demande ce que Goran aurait pensé de cette couverture ?)
Mes coquillages parlent pour moi : ce roman a su me séduire et pourtant j’ai quelques réserves. Je trouve que les personnages manquent d’humanité , la compagne du « héros » montre l’étendue de ses sentiments, seulement au dernier chapitre.
Revenons à l’histoire : François est un haut cadre chez Google France, il gagne très bien sa vie, il est divorcé et père d’une adolescente peu sympathique, il va de conquête en conquête, bref tout va bien pour lui. Sauf que … il va avoir soixante ans et il est absolument terrifié par la vieillesse. Heureusement, il fait beaucoup plus jeune que son âge.
La fiction peut commencer, dans une société où on peut demander à changer de nom, de sexe pourquoi ne pas demander à changer de date de naissance et se rajeunir de quelques années. François fera calculer son âge par un algorithme mis au point par une toute nouvelle société : « Humanprog » et découvrira que son âge biologique est de trente neuf ans et quatre mois.- d’où le titre 39,4.
On le comprend bien ce roman est l’occasion pour cet auteur dont j’ai très envie de lire le premier roman (Panne de secteur), de se moquer de la peur du vieillissement. Il le fait avec un don incroyable, celui de saisir tous les travers de notre société. Je pense que son poste d’observation de professeur et chef de clinique dans un grand hôpital parisien lui donne accès aux grandeurs et aux petitesses de l’âme humaine. La scène chez le chroniqueur Ruquier est tellement vraie, le pauvre philosophe qui veut simplement dire que finalement nous mourrons tous et la façon dont une chroniqueuse le renvoie « à la niche » sans lui permettre de s’exprimer est d’une tristesse qui n’a d’égale que celle que nous éprouvons parfois quand nous regardons les intervenants sur les plateaux de télévision mettre en pièce un philosophe ou un scientifique qui ne parle pas le langage à la mode du petit monde parisien.
Le style de cet auteur est très particulier, il avait, semble-t-il rebuté des lecteurs par un goût prononcé pour des mots rares de la langue française, il le fait ici aussi mais ça ne gène pas la lecture. Je ne suis pas certaine que je me souviendrai de
un quérulent processif
Bien que l’auteur en donne l’explication dans la fin de sa phrase :
François se trouver présenté comme un quérulent processif, l’un de ces illuminés en proie à un délire de revendication destiné à redresser un dommages fictif.
Ce n’est pas un roman que l’on lit facilement car souvent on doit rester concentrer pour savourer ce qu’il va nous décrire et comme hélas ce qu’il nous raconte sont les côtés les plus superficiels et les plus tristes de notre société, le lecteur (en tout cas moi) est un peu sonné par sa lecture. On rejoint mon bémol du début, je suis certaine que même chez les bobos parisiens il y a plus d’humanité que ce qui est décrit par Philipe B Grimbert. (à ne pas confondre avec un autre Philippe Grimbert !)
(PS : lors de notre réunion du club de lecture 7 avril, une lectrice a exprimé son dégoût de ce roman, car elle trouvait le personnage absolument « machiste », ce qui est vrai, mais à aucun moment l’auteur n’a de la sympathie pour son personnage . Et pour moi j’y ai vu surtout une condamnation du machisme de ces hommes qui ont tout réussi en même temps qu’ils gardent une apparence physique digne de la jeunesse. Et finalement la seule personnage sympathique sera la femme qui clôt l’histoire. Mais si vous lisez ce livre j’ai hâte de savoir comment vous interprétez les intentions de l’auteur )
Citations
Portrait de la chroniqueuse chez Ruquier.
Elle était à cet instant semblable à ces chiens de combat musculeux de petite taille qui paraissent trouver dans l’obturation déterminée de leur mâchoire sur leur proie, le point d’équilibre et de justification de l’ensemble de leur personnalité. elle s’était saisie du vieux philosophe, lui agrippait un morceau de chair pendante avec une telle puissance qu’il paraissait improbable, même en la soulevant dans les airs, de lui faire lâcher prise.
Et fin de l’émission
François et Jehan regagnèrent les coulisses, laissant sur le plateau Jacques Hofstein et son regard aussi expressif qu’une feuille de papier journal froissée. L’assistante leur assura qu’ils avaient été « top » avec une pointe d’audimat enregistrées pendant près d’une minute quarante. On entendit une voix lointaine l’animateur introduire les invités suivant pour un débat consacré à « l’insémination des vaches laitières et ses relations avec notre culture du viol ».
Quel art de la formule.
À part quelques épidémies virales gérontophages on continuait à s’enliser dans la comptabilité marécageuse des régimes de retraites et les dernières réformes, illustrées du slogan tout droit sorti du cerveau d’un énarque facétieux « travailler plus longtemps pour vieillir moins lentement » laissant craindre une nouvelle secousse tellurique.
La description des urgences de Cochin sent le vécu.
Il s’était bêtement tordu une cheville un dimanche matin en plein footing et, craignant une entorse grave, s’était rendu aux urgences de l’hôpital Cochin. Arrivé vers 11heure , il avait quitté les lieux à 19 heures armé d’une ordonnance pour du Doliprane rédigé par un interne moldave qui l’avait examiné d’un air flapi. Bien avant cela, il avait patienté dans une salle d’attente surpeuplée, à côté d’un vieillard couché sur un brancard, qui répandait autour de lui une forte odeur d’urine ne semblant même plus incommoder la femme usée qui lui tenait la main. Le sol était maculée de taches diverses et, tous les quarts d’heure, une voix de femme annonçait en hurlant le nom de la personne invitée à s’approcher de l’office où trois infirmières s’affairaient. Tout autour se tenait une foule composite d’adultes seuls ou de familles. Un peu à l’écart s’agglutinaient en grappes près d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants autour d’un homme d’une soixantaine d’années coiffé d’un feutre vert élimé. Le voisin de François l’informa, avec le ton résigné d’un homme rompu à la fréquentation des lieux, qu’il s’agissait du patriarche d’une famille de gitans donc les avatars culturels l’incitaient à ne jamais se déplacer à l’hôpital sans la totalité de son « cheptel ».
Quel regard acerbe ! Paris était envahi par les manifestants « gilets jaunes ».
Par le plus grand des hasards et pour le plus grand bonheur de François, Jehan Lamarc et Tigrane Fanfard s’étaient vu empêcher l’accès au théâtre du Rond-Point pour l’un et à la fondation de Louis Vuitton pour l’autre. C’est ainsi qu’un miracle se produisit. Unis par la frustration dominicale, tels deux naufragés d’une croisière de luxe échoués sur une plage de Sicile parmi les clandestins, la glace se brisa.
« Baiser » avec une grand mère.
Il venait de baiser avec une grand-mère. Une vision d’effroi le parcourut comme un frisson. Celle du loup dans « le petit chaperon rouge » après qu’il eut ingurgité la mère-grand. François avait toujours redouté que la vieille, ses os décalcifiés est sa chair avariée, intoxique gravement l’animal. Il se sentit fiévreux. Moins d’une minute plus tard il traversait au pas de course la cour de l’amphithéâtre, les lacets défaits, la chemise hors du pantalon, la conscience souillée comme s’il venait de s’adonner à un acte de haute perversité, et sitôt rentré chez lui, se nettoya avec frénésie pour effacer les traces de cet acte odieux.
Le tourisme écologique.
Bien que presque tout, jusqu’à l’eau, fût importé de Casablanca ou d’autres villes du Maroc par avion, hélicoptère et puissant 4×4, l’ensemble du village affichait son esprit « éco-friendly ». Cela se traduisait par une absence de papier hygiénique et de télévision, l’utilisation exclusive de serviettes recyclables, une politique zéro plastique et un club enfant écopédagogique même si, élément appréciable, il n’y avait aucun enfant en ce milieu.
La vieillesse et la dépendance.
En écoutant les récits de certains de ses amis sur les fin de vie pathétiques de leurs propres parents, François réalisait la chance qu’il avait eue. Il avait échappé au dimanche en EHPAD, aux vacances bouleversés par les aléas médicaux, sans parler des conséquences financières, les sommes exorbitantes avalées pour maintenir des vieillards grabataires et énurétiques « dans le confort et la dignité », qui entamaient parfois de façon drastique le montant des héritages futurs.
Le vieillissement.
Outre le fait que la majorité de ses fréquentations, passé le demi-siècle, se trouvaient engagées dans une relation exclusive avec une hypertrophie de la prostate, un carcinome mammaire ou les prodromes d’une ischémie coronarienne, beaucoup exhibait un intérêt nauséabond, qui suintait comme un exsudat dans leurs conversations quotidiennes, pour la fréquence de leur coloscopie, la grandeur d’âme de leur urologue, ou le talent démiurgique de leur nutritionniste.