Édition Gallimard. Traductrice Fanchetta Gonzalles-Battles

Je lis très peu de romans policiers , mais j’avais déjà noté le nom de cet auteur chez Keisha et j’ai vu dans ma médiathèque préférée qu’il avait reçu un coup de cœur de « mon » cher club de lecture. Je me suis donc plongée avec grand intérêt dans ce récit qui se passe à Calcutta au Bengal dominé par l’orgueilleuse puissance britannique. C’est le principal intérêt de ce roman, car la trame policière est assez faible, selon moi, mais j’accepte volontiers ne pas être un bon juge en la matière. La description de la vie en Indes en 1919 est riche en considérations socio-politiques. Le principe de base est : ce qui est bon pour les Anglais ne l’est pas pour les Indiens, en corollaire toutes les façons de faire comprendre aux Bengalis si peu développés que leur seul intérêt est d’accepter la domination des êtres supérieurs que sont les Anglais sont utilisées, de l’humiliation individuelle à la répression de manifestants pacifiques. Et bien sûr toutes les richesses du pays sont entre bonnes mains c’est à dire des mains anglaises ou écossaises. Tout cela, sous un climat très difficile à supporter qui ronge les esprits et les corps de ceux qui sont habitués à la saine fraîcheur de Londres et de sa campagne environnante. Comme dans tout polar, l’enquête est menée par un couple de policiers que l’on retrouvera sans doute dans les autres romans de cet auteur (car il y en a d’autres) : le capitaine Whyndham qui a laissé toutes ses illusions sur l’humanité et sur la couronne britannique dans les champs de bataille de la guerre 14/18 et le sergent Barnejee un Indien partagé par son amour de l’ordre et son amour pour son peuple que l’armée anglais ne pense qu’à mettre au pas. C’est un couple intéressant et je pense que les prochaines enquêtes vont voir les failles de ces enquêteurs créer de nouvelles tensions. Le roman est écrit par un auteur anglais, de parents indiens immigrés en Écosse. Et cela fait tout l’intérêt du livre car, héritier de deux cultures, Abir Mukherjee est loin d’avoir une vue simpliste de ce qui s’est passé dans le pays dont ses parents sont originaires.

Un roman policier comme je les aime, c’est à dire qui permet de comprendre une société avec un regard original.

 

 

Citations

 

Toujours cette façon de se débarrasser des enfants en Angleterre

Hardeley n’était pas différent de la myriade d’autres établissements mineurs qui parsèment les comtés du centre du pays. Provincial par son emplacement et paroissial par son comportement, il apportait une éducation passable, un vernis de respectabilité et, plus important un lieu commode où parquer les enfants de la classe moyenne qu’il fallait caser dans un endroit discret pour une raison ou une autre .

Le style colonial

 C’est une caractéristique de Calcutta. Tout ce que nous avons construit ici est dans le style classique. et tout est plus grand qu’il n’est nécessaire. Nos bureaux, nos résidences et nos monuments crient tous : »Regardez notre œuvre ! nous sommes vraiment les héritiers de Rome. »
C’est l’architecture de la domination et tout cela paraît un tantinet absurde. Les bâtiments palladiens avec leurs colonnes et leurs frontons, les statues, vêtues de toges, d’Anglais depuis longtemps décédés et les inscriptions latines partout des palais aux toilettes publiques. En regardant tout cela, un étranger serait en droit de penser que Calcutta a plutôt été colonisée par les italiens.

Et c’est hélas vrai !

 L’opium n’est vraiment illégal que pour les travailleurs birmans. même les Indiens peuvent s’en procurer. Quant aux Chinois, eh bien nous pourrions difficilement le leur interdire, attendu que nous avons mené deux guerres contre leurs empereurs pour avoir le droit de répandre ce maudit truc dans leur pays. et nous l’avons bel et bien fait. Au point que nous avons réussi à faire des drogués d’un quarts de la population mâle. Si on réfléchit, cela fait probablement de la reine Victoria le plus grand trafiquant de drogue de l’histoire.

Ambiance du matin

 Mieux vaut parfois ne pas se réveiller. 
Mais à Callcutta c’est impossible. Le soleil se lève à cinq heures en déclenchant une cacophonie de chiens, de corbeaux et de coqs, et au moment où les animaux se fatiguent, les muezzins démarrent de chaque minaret de la ville. Avec tout ce bruit, les seuls Européens à ne pas être déjà réveillés sont ce qu’ils sont ensevelis cimetière de Park Street.

Le passage que j’avais noté chez Keisha et qui m’a fait retenir le nom de cet auteur de ce roman policier

 Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire  » Bengal club, fondé en 1827″. À côté d’elle un panneau de bois annonce en lettres blanches :
ENTRÉE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS
Barnerjee remarque ma désapprobation.
« Ne vous inquiétez pas, monsieur, dit il. Nous savons où est notre place. En outres, les Britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n’a pas atteinte en plus de quatre mille ans.
– Absolument, » renchérit Didby.
Je demande des exemples.
 Banerjee a un mince sourire. « Eh bien, nous n’avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens. »

Les oiseaux

Je suis réveillé par ce que l’on appelle par euphémisme le chant des oiseaux. En réalité c’est plutôt un affreux raffut, neuf dixième de cris stridents pour un dixième de chant. En Angleterre le chœur de l’aube est aimable et mélodieux et ils rend les poètes lyriques pour parler des moineaux et des alouettes qui montent dans le ciel. Il est aussi divinement court. Les pauvres créatures, démoralisées par l’humidité et le froid, chantent quelques mesures pour prouver qu’elles sont encore vivantes puis elles plient boutique et vaquent à leurs occupations. À Calcutta c’est différents. Il n’y a pas d’alouette ici, rien que de gros corbeau graisseux qui commencent à brailler aux premières lueurs de l’aube et continuent pendant des heures sans une pause. Personne n’écrira jamais de poème sur eux.

Édition Acte Sud Babel . Traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier.

Quel livre ! Et quel écrivain ! Bien sûr depuis « L’immeuble Yacoubian » on savait que Alaa El Aswany était un écrivain indispensable à notre compréhension de l’Égypte, mais il va plus loin dans ce roman et il nous montre comment l’islam et la violence des forces de l’armée corrompue font bon ménage, et ont fait couler une chappe de plomb brûlante sur la si grande envie de changement de la jeunesse égyptienne en 2011.
L’auteur suit la destinée des composantes de la société égyptienne, elles ont en commun les manifestations de la place Tahrir. Il peut s’agir de jeunes qui croient et qui participent à ce qu’ils pensent être une révolution. Ou des cadres du régime qui vont mettre en place une répression aveugle et sans pitié. Répression bénie par un Cheick qui sous couvert du Coran bénéficie des largesses financières du régime et qui est prêt à adapter les sourates du Coran pour justifier les conduites les plus barbares des militaires.
On suit, par exemple, Khaled un jeune méritant, originaire d’un milieu très simple et qui réussi brillamment ses études de médecine. C’est lui ou plus exactement son père qui terminera ce roman. Je pense qu’hélas la fin est romanesque alors que la lectrice que je suis, aurait tant voulu que dans la vraie vie, tous les les pères des jeunes tués à bout portant sur la place Tahir, réussissent leur vengeance.
Khaled est amoureux de Dania fille du général Alouani qui est le principal acteur de la répression. Sa femme se pique de religion donc nous suivons l’hypocrisie du Cheick Chamel, c’est peut être le personnage le plus horrible car voir la religion bénir toutes ces horreurs c’est, comme toujours, insupportable. Mais à la première place de l’horreur, il y a aussi une femme qui tient les média et achète des témoignages pour pourrir la réputation des jeunes de la place Tarhir. Dans ce roman choral, on suit aussi Mazen et Asma, qui paieront très cher leur enthousiasme pour les manifestations. Asma sera sauvée de la première répression grâce à un ancien aristocratique chrétien Achraf qui sortira de sa dépression grâce à l’amour d’une femme et grâce aux jeunes révolutionnaires qu’il va aider de toutes ses forces. Asma partira en exil après avoir été torturée par des militaires et subi ce qu’on appelle « un test de virginité » qui n’est ni plus ni moins qu’un viol : mise entièrement nue devant des soldats hilares, les jeune filles sont pénétrées par des hommes pour vérifier qu’elles sont bien vierges sinon elles ont considérées comme des putains !
À travers ce roman, c’est toute la société égyptienne que nous voyons traverser ces événements. La difficulté des rapports amoureux, la reproduction des rapports sociaux, la corruption à tous les niveaux, l’horreur de la répression et l’hypocrisie de la religion. Et si l’on retrouve parfois l’humour de l’auteur, c’est un humour triste et parfois tragique.
Un roman éprouvant certes, mais que l’on doit lire, c’est le moins que l’on puise faire pour soutenir le combat de cet écrivain et sauvegarder la liberté dans notre pays . En effet, ce livre est interdit en Egypte et dans de nombreux pays arabes. Ce roman n’aide pas à prendre confiance dans la nature humaine.

Citations

Les relations sexuelles du général avec son épouse

Son corps c’est tellement avachi et rempli de graisse qu’elle pèse plus de cent vingt kilos. Elle a un ventre énorme en forme de demi-cercle, protubérant au niveau du nombril et se rétrécissant vers le bas, sur lequel pendent deux seins fatigués. Ce ventre unique en son genre, presque masculin, serait capable d’annihiler définitivement le désir sexuel du général Alouani sans les films pornographiques auxquels il a recours pour exciter son imagination. Son Excellence a dit une fois à ses amis :
– Si tu te trouves obligé de manger pendant trente ans le même plat, tu ne peux pas le supporter sans lui ajouter quelques épices.

L’intégrité du général chef de la sûreté .

Nous devons reconnaître que le général Alouani n’a jamais profité de sa situation pour obtenir un quelconque privilège pour lui-même ou pour la famille… Par exemple si Hadja Tahani l’informe que sa société tente d’obtenir un terrain dans un gouvernorat, le général Alouani s’empresse de téléphoner au gouverneur :
– Monsieur le Gouverneur. Je voudrais vous demander un service. 
Le gouverneur lui répond immédiatement :
– À vos ordres Monsieur. 
À ce moment-là, le général déclare d’un ton résolu :
– La société Zemeem vous a présenté une demande d’attribution d’un terrain. Cette société appartient à mon beau-frère. Hadj Nasser Talima. Le service que vous pouvez me rendre, Monsieur le Gouverneur, c’est de traiter à Nasser comme tous les autres entrepreneurs. S’il vous plaît, appliquez la loi sans faire de faveur.
 Après un silence, le gouverneur lui répond alors :
-Votre Excellence nous donne des leçons d’impartialité et de désintéressement.
Ce sur quoi le général l’interrompt en lui disant :
– Qu’à Dieu ne plaise. Je suis égyptien et j’aime mon pays. Je suis musulman et je n’accepte rien de contraire à la religion.
 Après cela, lorsque le terrain était concéder à la société Zemzem, le général Alouani ne ressentait aucun embarras. Il s’était adressé au responsable pour lui demander de ne pas lui accorder de faveur. Que pouvait-il faire de plus ?

Le cheick Chamel , humour grinçant de l’auteur.

 

 

Comme nous l’ordonne le Coran, le cheick Chamel parle constamment des bienfaits que Dieu a répandus sur lui, il possède trois luxueuses voitures noires ainsi qu’une voiture de sport qu’il conduit lui-même lors de ces promenades familiales. Ce sont toutes des Mercedes, qu’il préfère aux autres marques pour leur solidité et leur élégance, et également parce que le directeur de la société Mercedes en Égypte, qui fait partie de ces disciples, lui accorde toujours des prix spéciaux. Parmi les bienfaits que Dieu accorde aux cheick Chamel, il y a celui d’habiter une grande villa au Six-Octobre. Chacune de ses trois épousent y occupe un étage avec ses enfants tandis que le cheick réserve le quatrième étage pour la dernière épouse toujours vierge dont il jouit licitement avant de lui donner congé de la meilleure façon, en respectant tous les droits que lui accorde la loi de Dieu en matière d’arriéré de dot, de pension alimentaire, etc. On raconte que le cheick Chamel a déchiré -dans le respect de la loi divine- l’hymen de vingt-trois jeunes filles. Il n’y a là ni faute ni péché car cela ne contredit pas la loi de Dieu. Le cheick dit toujours aux hommes qui sont ses disciples :
– Mes frères, si vos moyens financiers et votre santé vous le permettent, je vous conseille d’avoir plusieurs épouses pour vous mettre à l’abri du péché et pour mettre à l’abri les jeunes filles musulmanes.

Interprétation des manifestations de la place Tahir par le religieux.

Excellence, que dites-vous aux manifestants ?
 Le visage plein de colère, le cheikh Chamel répondit :
– Je leur dis que ceci est un complot maçonnique organisé par les Juifs pour détourner les musulmans de leur religion. Je dis à mes enfants qui sont sur la place Tahir : vous êtes laissé fourvoyer par les fils de Sion. Demandez pardon à Dieu et repousser une sédition qui risque de plonger notre pays dans un bain de sang. Vous, les jeunes retournez chez vous. Ce n’est pas cela, La voie du changement. Vous détruisez l’Égypte de vos propres mains. Revenez à Dieu, revenez à Dieu.

L’amertume d’une participante à la révolution

Les Égyptiens se sont laissé influencer par les médias parce qu’ils en avaient envie. La plus grande partie des Égyptiens est satisfaite de la répression. Ils acceptent la corruption et y participent . S’il y en a qui ont détesté la révolution depuis le début, c’est parce qu’elle les mettait dans l’embarras. Ils ont commencé par détesté la révolution et ensuite les leur ont donné des raisons de la détester. Les Égyptiens vivent dans une république « comme si ». Ils vivent au milieu d’un ensemble de mensonges qui tiennent lieu de réalité ils pratiquent la religion de façon rituelle et semblent pieux alors qu’en vérité ils sont complètement corrompus.

Conception de l’information en Égypte d’après l’armée.

Notre peuple est ignorant et ses idées sont arriérées. La plupart des Égyptiens ne savent pas penser par eux-mêmes. Notre peuple est comme un enfant : si nous le laissons choisir par lui-même , il se fera mal . Le rôle de l’information en Égypte est différent de ce qu’il est dans les pays développés. Votre mission , en tant que professionnels des médias, est de penser à la place du peuple. Votre mission est de fabriquer les cerveau des Égyptiens et de former leurs idées . Après une période de mise en condition efficace , les gens considèrerons que ce que disent les médias est vrai .

Éditions Rivages . Traduit de l’anglais (Étais-Unis) par Martine Aubert.

Je l’avais repéré chez Katel mais je sais que vous êtes plusieurs à en avoir parlé. J’ai bien aimé ce roman mais sans en faire un coup de coeur . Je commence par mes réserves pour ensuite aller vers ce qui m’a permis d’aller au bout des 576 pages (roman américain oblige !).

Le fil conducteur du roman c’est une maison du XIX ° siècle qui s’effondre sur ses occupants. En 1871 , la famille de l’instituteur Thatcher Greenwood est divisée à propos de leur voisine Mary Treat personnage qui a vraiment existé. En 2016, la maison (enfin le roman montrera que ce n’est pas si simple) est occupée par la famille de Willa et Iano Tavoularis .
Voilà pour les présentations, le roman se divise donc en chapitres qui alternent en 1871 et en 2016. C’est ma première difficulté, à peine est-on bien installé avec une des deux familles qu’il faut la quitter pour sauter les siècles et entrer dans une autre problématique. Il y a aussi chez cette auteure des « trucs » pour lier les deux parties du roman que j’ai trouvés complètement artificiels . Le dernier mot du chapitre sert de titre au chapitre précédent. Dans l’histoire qui se passe en 2016 il y a un bébé qui pleure beaucoup, on entendra des pleurs de bébé dans une réunion en 1871. Ce sont des détails, ce qui m’a le plus gênée, c’est le politiquement correct des propos du roman. L’héroïne de 1871 est une femme remarquable et reconnue à son époque qui ne semble en rien porter les thèses féministes d’aujourd’hui. La montée de Trump en 2016 est incarné par un grand père acariâtre, raciste et borné . Et l’idéal de vie d’un des personnages la fille de Willa se passe à Cuba où tout semble paradisiaque. En lisant ce roman, j’ai pensé que pour que l’Amérique redevienne une grande nation il faudrait que les démocrates cultivés fassent des efforts pour ne pas uniquement mépriser les « trumpistes » sans chercher à les comprendre.

Et pourtant j’ai aimé lire ce roman . Car il décrit bien une Amérique que nous avons vue se déchirer lors des dernières élections. On voit aussi comment une classe moyenne est toujours à la limite de la pauvreté. On voit aussi, combien il a été difficile pour les Américains des siècles passés de s’affranchir de la pensée religieuse . On sait que pour beaucoup d’habitants de ce grand pays Darwin est un auteur maudit qui contredit la sainte Bible. Le pire étant, qu’aujourd’hui encore, c’est l’opinion de certains américains. Mary Treat est une scientifique reconnue dès son époque et qui a entretenu une correspondance avec Darwin et tous les grands noms de l’époque. Le personnage de l’instituteur est une fiction romanesque mais qui permet de représenter la difficulté d’inculquer dans une petite ville une réflexion scientifique, surtout sans prononcer le nom de Darwin qui équivaudrait à une mise à pied immédiate. La ville a été créée par un Charles Landis -personnage historique- un promoteur entré en politique pour assouvir sa soif d’argent et de pouvoir (encore une allusion !) . Pour Willa en 2016 les difficultés sont avant tout financières. Elle cherche par tous les moyens à sauver la maison qui s’effondre. Elle pense que Mary Treat y a habité et veut donc faire classer sa maison, elle découvre qu’elle a habité en face dans une maison actuellement démolie, elle pense alors que c’est la maison de l’instituteur mais hélas ! pour elle cette maison est plus récente. Tout cela avec le soucis de la fin de vie de son beau-père qui comme beaucoup d’américains est mal couvert par son assurance maladie. Et l’arrivée chez son fils aîné d’un bébé que la mort brutale de sa belle fille (donc de la maman du bébé) rendra orphelin de mère . Son fils Zeke sera incapable de faire face au deuil de sa femme et à l’arrivée du bébé. Et j’oubliais la vieillesse et la mort de son chien qui semblent plus l’affecter que l’horreur de la fin de vie de son beau père dont les membres sont « bouffés » par la gangrène à cause de son diabète.

Une plongée dans l’Amérique et qui permet de mieux comprendre pourquoi elle est si divisée aujourd’hui.

 

Citations

Le statut des professeurs d’université aux US

Des tas d’universitaires passaient leur vie à courir de ville en ville après leur titularisation. Ils constituaient une classe nouvelle de nomades cultivés, qui élevaient des enfants sans vraiment pouvoir répondre à la question de savoir où ils avaient grandi. Dans une succession de maisons provisoires, avec des parents qui avaient des horaires de folie, voilà la réponse. Des enfants qui faisaient leurs devoirs dans un couloir pendant que leurs parents étaient en réunion de professeurs. Qui jouaient à cache-cache avec les mômes des physiciens et des historiens de l’art sur la pelouse de quelque doyen pendant que les adultes sifflaient du chablis bon marché et se lamentaient en chœur contre leur chef de département. Et aujourd’hui, sans une plainte, Iano avait accepté un poste d’enseignant qui faisait insulte à un homme possédant de telles références.

D’où vient le titre en français mais je ne trouve pas cela très clair.

– Mais nous sommes des créatures comme les autres. La vérité de Mr. Darwin est incontestable.
-Et parce qu’elle est vraie, nous la contesterons comme le font les êtres vivants. Nos yeux ne sont pas neufs, pas plus que nos dents et nos griffes. J’entrevois hélas un grand travail de sape pour retrouver nos vieilles suprématies, madame Treat. Nulle créature n’accepte facilement de vivre à découvert.
 – À découvert, nous nous tenons dans la lumière.
– À découvert, nous nous savons destinés à mourir.

L’immigration mexicaine

– Je vois. Les migrants mexicains illégaux ont envahi ton usine, ont mis les types blancs à terre, les ont conduit à la sortie, et puis ils ont dit à l’entreprise : « Hé patron nous, on n’a pas besoin des salaires minimums syndicaux. »
C’est comme ça que ça s’est passé ?
 – Pas exactement.
– Les lois ont changé de sorte que les propriétaires d’usines ont eu les moyens de casser les grèves, dans les années quatre-vingt. Je le sais, je couvrais l’actualité syndicale à l’époque. L’échelle des salaires s’est effondré. Tu le sais, Nick. Tu as pas été forcé de prendre une retraite anticipée ?
Nick ne répondit pas. Elle savait que le licenciement l’avait blessé dans sa fierté. Willa eut un pincement au cœur, pas de sympathie envers un compagnon d’infortune, mais d’excitation au souvenir de son secteur et des polémiques passionnantes. Les reporters plus âgés s’étaint moqués d’elle, qui venait travailler en basket pour qu’on l’envoie couvrir un affrontement sur un piquet de grève, mais les infos qu’elle en ramenait ne les faisaient plus rire du tout. Elle était tellement inexpérimentée à l’époque, pas facile d’acquérir le style cool du journaliste professionnel, et de ne pas aborder ces sujets de manière émotionnelle. Même s’ils se prenaient des bombes lacrymogènes.
-S’il n’y a que des travailleurs Mexicains dans cette usine aujourd’hui, ajouta-t-elle, consciente de s’adresser à un sourd, c’est parce que personne d’autre ne veut faire un boulot aussi dangereux pour un salaire minable.

Pour toutes les personnes qui ont connu des bébés qui ne veulent pas dormir

Le bébé gagnait en civilité mais continuait à résister aux siestes de l’après-midi plus férocement qu’il semblait possible chez un bébé de cinq mois. Il en venait à être si fatigué que sa tête molle s’affaissait sur sa tige, mais même avec le biberon de l’après-midi il refusait de d’assoupir comme un bébé normal. Il tétait son lait maternisé le front plissé jusqu’à ce que son déjeuner liquide fasse place à un sifflement gazeux, puis hurlait aux injustices de la vie. Willa avait essayé de lui proposer un deuxième biberon à la suite du premier. Tout le monde avait tenté quelque chose, le bercer, le promener, voire le laisser « pleurer jusqu’à épuisement » comme les experts le recommandaient aujourd’hui, mais cet enfant était capable de pleurer des heures.

Édition Liana Levi traduit du russe par Nathalie Amargier

 

J’ai découvert ce roman chez Krol, son billet m’a donné envie de mieux connaître la vie de Victor Zolotarev et de son pingouin Micha. J’ai eu le tort de le lire pendant le confinement qui a été pour moi une période de fragilité et de moindre envie de me plonger dans des univers absurdes. Et pour être absurde ça l’est ! Victor a hérité de ce pingouin neurasthénique car le zoo de Kiev n’a plus les moyens de nourrir les animaux. Nous sommes en pleine crise sociale en Ukraine et en plus de la misère, il y règne de sordides histoires de corruption. On imagine les dégâts matériels pour la population mais en plus les acteurs de ce pays ont une forte tendance à disparaître violemment. Victor est embauché pour un travail qui semble assez facile : écrire des nécrologies de personnalités assez en vue. Cela permet au journal d’être prêt à publier les éloges des « futurs » disparus. Un travail de tout repos qui lui permet d’acheter le poisson nécessaire à la survie de Micha. Mais nous sommes en Ukraine, et évidemment écrire des nécrologies peut s’avérer dangereux. D’abord les personnalités se mettent à disparaître de mort brutale et peu à peu Victor se trouve lui-même en grand danger. L’auteur écrit avec cet humour russe si caractéristique et n’hésite pas à plonger son lecteur dans un monde absurde. Trop pour moi , et je dois avouer que petit à petit je lisais la vie de Victor et Micha sans m’impliquer totalement. Je comprends le succès de ce livre car même dans ses aspects excessifs et déjantés, il permet de se rendre compte de la réalité d’un pays en proie à la corruption et à la misère sociale mais il faut accepter les aspects déjantés qui ont fini par me lasser.

Citations

L’humour russe

Il regardait Sergueï et avait envie de sourire. L’amitié ? En fait, il ne l’avait jamais connue, pas plus que les costumes trois-pièces ni la passion véritable. Sa vie était terne et douloureuse, elle ne lui apportait pas de joie. Micha son pingouin, était triste, comme si lui aussi n’avait connu que la fadeur d’une existence dénuée de couleur et d’émotion, d’élan joyeux, d’enthousiasme.

Un pingouin malade

Ben voyons ! se moqua Pidpaly. Même les humains, on ne les soigne plus, maintenant, et vous voudriez qu’on soigne un manchot. Vous comprenez bien que pour un animal de l’Antarctique, notre climat est une catastrophe. Le mieux pour lui serait de retrouver sa banquise. Ne soyez pas vexé, j’ai l’air de délirer, mais si j’étais lui et que je me retrouve sous nos latitudes, je me prendrais ! Vous ne pouvez pas imaginer le martyre que ça représente d’avoir deux couches de graisse et des centaines de vaisseaux sanguins destinés à se protéger des températures les plus extrêmes, alors qu’on vit dans un pays où il fait parfois quarante l’été, et moins dix l’hiver, au mieux, et c’est rare ? Hein ? Vous comprenez ? Son organisme chauffe, il se consume de l’intérieur. La plupart des manchots en captivité sont dépressifs. On m’a toujours répété qu’il n’avait pas de psychisme, mais moi, j’ai démontré le contraire. Et à vous je vais le démontrer ! Et leur cœur ! Quel cœur serait capable, dans ces conditions de supporter une pareille surchauffe ?

Philosophie des buveurs phrase à la Audiard

Buvons pour que ça ne soit pas pire. Mieux, ça a déjà été.

L’horreur

J’ai discuté avec le professeur de cardiologie de l’hôpital des scientifiques… Nous en avons conclu qu’on pouvait lui greffer le cœur d’un enfant de trois ou quatre ans…
 Victor s’étrangla avec son café et reposa la tasse sur la table. Il en avait renversé.
En tout cas, si l’opération réussi, cela pourra lui permettre de vivre encore plusieurs années. Sinon. Le vétérinaire fit un geste d’impuissance.
 Oui, aussi, pour répondre tout de suite à vos interrogations éventuelles, l’intervention elle-même ne ne vous reviendra qu’à quinze mille dollars. En fait c’est assez peu. Quant au nouveau cœur. Vous pouvez chercher un donneur par vos propres réseau, mais si vous nous faites confiance, nous pouvons nous en charger. Pour l’instant j’aurai du mal à vous dire un prix. Il arrive que nous recevions des organes sans même avoir à les payer.
Que je cherche par mes réseaux reprit Victor, ahuti qu’est-ce que vous entendez par là ? J’entends que Kiev compte plusieurs hôpitaux pour enfants, et que chacun a son service de réanimation. Expliqua-t-il calmement. Vous pouvez vous présenter au médecin, mais ne leur parler pas du pingouin. Dites simplement que vous avez besoin du cœur d’un enfant de trois ou quatre ans pour une transplantation. Promettez- leur une bonne récompense. Ils vous tiendront au courant.

Édition Belfond Traduit de l’américain par Oristelle Bonis

 

Désolée Yv nous ne serons pas d’accord pour cette lecture. Certes les précisions techniques sur les incendies sont intéressantes, certes à la fin on sait tout sur les fraudes divers et variées aux assurances. Mais ! il y a pour moi un gros « mais », la cascade des malversations et des crimes auxquels nous assistons rendent ce récit totalement indigeste. Je suis certaine que cet auteur a un public et des lecteurs qui se laissent emporter par sa fougue narrative . Ils n’ont pas peur de lire des récits sur les procédés du KGB et de la mafia russe, ils savent que tout le monde peut être corrompu : il suffit d’y mettre le prix. J’avais vraiment l’impression d’être dans une série américaine où on ballade le spectateur d’épisode en épisode avec un gradation dans l’horreur et l’abject. Je ne sais pas quel ressort le romancier a oublié de mettre en action dans cette intrigue. La corruption, de la police et des assureurs, les avocats véreux qui s’engraissent sur le dos des malfrats, un médecin totalement incompétent qui ne vit que pour les mallettes d’argent que la mafia dépose à son cabinet. Et puis, l’enquête de cet ancien flic passé aux enquêtes pour son assurance, qui est le seul à vouloir punir le méchant .
Bref un roman qui m’est tombé des mains mais pourquoi me suis-je laissé aller à lire un tel livre Yv l’annonçait bien comme un thriller ? Seulement voila, souvent la Californie flambe – comme l’été dernier – et je pensais, donc, en savoir davantage sur ces feux qui ravagent une si belle région.

Citations

 

Portrait du flic ripoux

Une des raisons, parmi une tripotée d’autres, pour lesquelles Jack le déteste à ce point est que Bentley, ce cossard de première, n’aime pas faire son boulot. Pour Bentley, n’importe quel incendie est a priori d’origine accidentelle. S’il s’était trouvé à Dresde après les bombardements, il aurait découvert à coup sûr une couverture chauffante défectueuses sous les décombres. Histoire de limiter au minimum la corvée de paperasse et les témoignages sous serment devant le tribunal. En tant qu’expert en incendie, Bentley et un pêcheur à la ligne hors pair.

Genre de sentences qui m’agacent

Il y a deux types d’amour : celui qui passe et celui qui dure. D’un côté, l’amour qui satisfait le corps et le cœur, l’amour qui passe, de l’autre l’amour qui nourrit l’âme, l’amour qui dure.
 Le mobilier ancien est le seul objet d’amour capable de nourrir l’âme de Nicky.

 

 

Édition du Seuil. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Deuxième roman de cette auteure que notre bibliothécaire doit bien aimer, et autant j’avais des réserves sur « Nos richesses » autant celui-ci m’a bien plu. Je lui trouve un petit air de roman pour ado, à cause du style très simple et aussi parce que les personnages principaux sont des enfants. (Mais je ne sais plus ce que les ados lisent) Cela se passe dans l’Algérie d’aujourd’hui ou déjà d’hier. Car la clique des généraux au pouvoir est encore en place dans ce roman. L’Algérie va-t-elle vraiment pouvoir se débarrasser de l’appareil d’état militaire totalement corrompu ?. En tout cas, c’est ce qui semble s’annoncer grâce aux milliers de personnes qui sont descendues dans la rue et qui ont réussi à empêcher Bouteflika (ou son cadavre ambulant) de se représenter aux élections.

Revenons à l’histoire : des enfants du lotissement « du 11 décembre » un ensemble de maisons occupés par des militaires à la retraite décident de ne pas laisser disparaître leur terrain, terrain sur lequel les enfants et les adolescents jouent au foot, ni de laisser leurs aînés décider pour eux. Seulement voilà, deux généraux très influents du régime ont décidé d’y construire leur maison. Personne ne pourra s’y opposer, personne ? et bien si, des enfants de moins de 12 ans campent sur le terrain et ridiculisent ces hommes si importants.
Voici donc la trame du roman, mais ce qui est très intéressant, c’est la description des différentes strates de la population algérienne, chaque génération étant marquée par son lot de violences et de renoncements. On sent que rien ne peut faire bouger le régime et que tout est écrit d’avance. Peut-être pas tout, car les téléphones portables et les réseaux sociaux représentent un réel danger pour une société qui a toujours fonctionné grâce au secret. C’est vraiment plus difficile pour ces colonels violents et corrompus d’étouffer cette affaire. Difficile mais peut être pas impossible, dans ce roman. Ce livre a certainement été écrit avant les événements de l’été 2019 mais il annonce et explique très bien les manifestations du vendredi à Alger, pour autant, on ne sait pas si beaucoup de choses ont changé dans ce pays. Tout cela est très bien raconté et rendu très vivant dans ce roman grâce au talent d’écrivaine de Kouther Adimi.

 

Citations

Les inondations

On a quand même un peu peur. On n’oublie pas qu’en 2001, des inondations détruit le quartier de Bab El Oued, c’est près de mille morts et coûté des million de dinars. Certains corps n’ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de jeunes adultes continuent d’espérer que leur mère ou leur père finira par rentrer, même, après autant d’années. 
À défaut de tombes, des centaines d’histoires.

La corruption

Le général Athmane, lui, a fait des études de droit en Angleterre payées par l’Armée. C’est un grand et bel homme qui sait charmer son entourage, contrairement à son ami le général Saïd.

On ne le sait pas mais il n’a jamais obtenu de diplôme. Il passa ses années de faculté à boire dans des pubs et à courir après Marie, une jeune Anglaise qui le quitta du jour au lendemain. Athman revint au milieu des années 70 en Algérie ou l’armée l’attendait les bras ouverts. Il présenta un faux diplôme et fut recruté dans le service juridique. Il épousa une femme qui venait du même village que lui et oublia très vite Marie et Londres. Il conseilla à son frère de créer une entreprise de travaux publics et lui fit obtenir grâce à ses relations les plus gros chantiers du pays.
 Aujourd’hui, il possède un appartement à Genève, un hôtel en Espagne acheté sous le nom de son épouse, des tableaux de maîtres cachés dans un appartement à Paris qui est au nom de l’un de ses enfants et deux voitures blindées. Grâce au frère de sa femme, directeur de la douane, il peut faire passer ce qu’il veut sans problème et récupère régulièrement les marchandises saisies.

Le colonel à la retraite

Lorsque le terrorisme faisait rage, Mohamed, qui devait tous les jours se battre contre les groupes terroristes, arrêta la prière pendant dix ans. Le temps de cette guerre. Il n’en parla à personne, n’expliqua rien à sa femme. Prier lui était devenu tout simplement impossible. Il y avait trop d’horreur autour de lui. Il ne supportait plus de devoir appeler des parents ou des jeunes femmes pour leur apprendre que leur fils ou époux était mort au combat, abattu à bout portant, déchiqueté par une bombe ou torturé par une lame. Il ne supportait plus d’entendre le mot « Dieu » dans la bouche des terroristes. Il ne supportait plus de dire le même mot sur son tapis de prière. Les mots. Ils se mélangeaient dans sa tête. Quelqu’un peut-il salir un mot ? Peut-il se l’approprier tant et si bien qu’il finit par vous l’arracher, vous le voler en quelques sortes ? Se battre contre les terroristes, monter au maquis, débusquer les camps, c’était un peu une manière de se réapproprier tous les mots les intégristes avaient confisqué aux Algériens.

Les partis politiques

Les partis politiques, les journaux indépendant et une majorité des élus, industriels et artistes s’opposent également au verdict des urnes. Tous crient à la menace islamiste. L’Iran en Algérie ? Jamais. Non, jamais, mais bien sûr, nous sommes mal à l’aise. Nous avons voulu la démocratie mais les urnes nous donnent une réponse qui nous déplaît et nous voici dans la rue pour protester. Nous sommes mal à l’aise, je me répète mais l’ai-je dit à l’époque ? Non, car on avait réussi à nous convaincre qu’il n’y avait que deux camps possibles : les islamistes ou les militaires.

Le téléphone portable

Le général Athman lança un petit sourire sarcastique à son ami :

– Les temps ont bien changé. Depuis quand laissons-nous faire ?
– Depuis que le cours du pétrole a dégringolé, que les réseaux sociaux ne nous permettent plus d’empêcher les gens de parler, commenter, dénoncer. Depuis que tout le monde a un téléphone portable avec lequel prendre des photos et des vidéos. Oui, cher ami, les temps ont bien changé et seuls ceux qui le comprennent peuvent survivre.