Le train des enfants

Édition Albin Michel . Traduit de l’italien par Laura Brignon

J’avais lu l’an dernier ce roman sans le mettre sur Luocine, et je ne sais pas pourquoi, en revanche je me souvenais très bien de cette lecture. Et j’ai retrouvé mes mêmes sensations . Ce roman, raconte un fait historique : les Italiens, sous la houlette du parti communiste, ont organisé après la deuxième guerre mondiale, le transport d’enfants du sud de l’Italie vers les région du nord plus riche. Nous suivons le destin de Amerigo Esperanza petit garçon de six ans au début du livre qui doit prendre ce train.

Cette première partie est très belle, nous voyons ce voyage à travers les yeux d’un enfant qui souffre de se séparer de sa mère et dont la compréhension de ce qu’il se passe ne dépasse pas ce qu’un enfant de sept ans peut comprendre. C’est drôle et émouvant. Il est très attaché à sa mère mais souffre de la faim et ses conditions de vie, sont plus proches de la survie. Il trouve dans le Nord des gens accueillants et qui, surtout, lui révèlent son don pour la musique. Son retour chez lui est brutal, car il y retrouve la misère et sa mère vend son violon pour le nourrir. Trop malheureux il repart vers sa famille d’accueil. La deuxième partie on le retrouve adulte lors de la mort de sa mère.

Cette deuxième partie, fait que j’ai quelques réserves sur ce roman. Pour éviter un roman trop long, Viola Ardone suggère plus qu’elle ne nous raconte comment s’est passé le reste de la vie d’Amerigo Benvutti (on comprend, alors, qu’il a pris le nom de sa famille d’accueil) qui est aujourd’hui un violoniste connu. On comprend aussi que sa mère a eu un autre fils et même un petit fils. Amerigo décidera d’aider ce petit garçon. Le petit violon vendu par sa mère dans son enfance jouera un rôle important dans l’épanouissement de la personnalité d’Amerigo Esperanza-Benvutti. La personnalité de sa mère est difficile à cerner complètement. Quand l’enfant est petit, il aime sa mère mais sait qu’elle est incapable d’exprimer le moindre sentiment affectueux. On croit comprendre aussi qu’elle ne veut accepter la charité de personne, ce qui explique qu’elle n’a pas voulu que son fils reçoive le courrier de sa famille du Nord. Tout cela le petit ne peut le comprendre mais l’adulte lui pardonnera car on voit qu’il a essayé de l’aider financièrement.

Malgré ces réserves, je ne peux que recommander cette lecture qui permet de mieux connaître les difficultés de l’Italie du Sud d’après guerre.

 

Citations

 

Le jeu de l’enfant .

 Je regarde les chaussures des gens. Si elles sont en bon état, je gagne un point ; si elles sont trouées, je perds un point. Pas de chaussures : zéro point. Chaussures neuves : étoile bonus. Moi, des chaussures neuves je n’en ai jamais eu, je porte celles des autres et elles me font toujours mal. Maman dit que je marche de travers. C’est pas ma faute. C’est à cause des chaussures des autres. Elles ont la forme des pieds qui les ont utilisées avant moi. 

La leçon de vie du chef mafieux.

 Mon petit gars. il m’a dit, les femmes et le vin c’est pareil. Si tu te laisses dominer, tu perds la tête, tu deviens un esclave, et moi j’ai toujours été un homme libre et je le resterai.

Fin du livre : le destin de son neveu.

Je lui ai offert mon violon, celui que tu as fait en sorte que je retrouve. Il est exactement à la bonne taille pour lui, on verra s’il a envie d’apprendre. Il pourra le faire ici sans avoir à s’échapper, sans avoir à troquer ses désirs contre tout ce qu’il a. 

 

 

 

Le choix

Édition Albin Michel traduit de l’Italien par Laura Brignon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Une femme sans mari est comme une moitié de ciseaux : elle ne sert à rien.

Nous sommes à Martorana, en Sicile dans les années 60, et l’histoire connaîtra un épilogue en 1981. Ce roman est une illustration tragique d’une loi italienne incroyable qui ne sera abolie qu’en 1980 qui voulait que : lorsqu’un violeur accepte d’épouser la femme qu’il a violée, il n’y ait alors aucune suite pénale pour lui, et l’honneur de la femme sera rétablie ! !

La partie la plus importante du récit se passe avant le viol et décrit avec une minutie passionnante l’adolescence d’une jeune fille qui a la tête remplie des interdits de sa mère pour rester sans tâche jusqu’à son mariage. Pour cela, elle a tout accepté : arrêter ses études, se marier avec un homme aveugle qu’elle ne connaît pas et surtout résister au sale petit voyou qui se prend pour un Don Juan irrésistible. Malheureusement, celui-ci est riche et réussit à organiser son enlèvement et à la violer. Les rapports entre elle et ses parents montrent une toute jeune fille qui voudrait à la fois s’extraire de son milieu, ne pas accepter les clichés de sa mère sur les femmes, mais en même temps essayer de s’adapter à la vie qu’on lui propose, qu’elle imagine comme la seule possible. J’ai bien aimé le personnage du père qui semble être un homme effacé et inconsistant, mais qui, dès le début, soutient sa fille Pour sa mère, il lui faudra pour pendre conscience du drame de ses deux filles, le choc du procès. Elle admirera alors le courage d’Olivia et soutiendra enfin, Fortunata l’aînée pour divorcer du mari qu’elle lui avait imposé, pour que sa fille retrouve son honneur car elle était enceinte, du fils du maire qui ne voulait pas l’épouser contrairement à cet homme qui, pendant quatre ans, lui fera vivre un véritable enfer, elle a perdu son bébé à la suite des coups qu’elle reçus. Au début du roman, la mère essaye de faire entrer à toute force dans la tête d’Oliva tous les préjugés sur le comportements des filles : elles ne doivent pas courir, elles ne doivent pas regarder les garçons, elles ne doivent pas faire d’études et surtout, surtout rester sans tâches. Elle a si peur, cette mère qui n’est pas originaire de Sicile qu’elle en devient méchante. Je trouve ce point de vue intéressant car je pense que si les femmes sont des victimes dans les civilisations traditionnelles, elles le doivent avant tout aux préjugés des mères ou à leur peur. (Je n’oublie pas que l’excision pour parler du pire est fait par des femmes sous l’ordre des mères)

C’est un roman qui se lit facilement, l’histoire est un peu trop exemplaire pour mon goût. L’autrice (il faut que je rajoute ce mot à mon vocabulaire puisqu’il a gagné contre auteure que je lui préférais !) raconte bien les histoires et sait captiver son lectorat. La photo choisie pour la couverture du livre reflète bien le roman, on sent toute la peur de la femme âgée qui pourrait être la mère d’Olivia devant la beauté de sa fille.

Citations

La peur de la jeune adolescente.

 Je ne sais pas si le mariage, je suis pour, je ne peux pas finir comme Fortunata, qui s’est fait mettre enceinte par Musiciacco pendant que je mangeais des pâtes aux anchois chez Nardina. C’est pour ça que je cours tout le temps dans la rue : l’air expire le garçon est comme celui d’un soufflet qui aurait des mains et pourrait toucher ma chair. Alors je cours pour devenir invisible, je cours avec mon corps de garçon et mon cœur de fille, je cours pour toutes les fois ou je ne pourrai plus, pour mes camarades qui portent des chaussures fermées et des jupes longues, qui ne peuvent marcher qu’à petit pas lents, et puis aussi pour ma sœur qui est enterrée chez elle, comme une morte mais vivante.

L’honneur des hommes et des femmes.

 Don Vito est devant le café de la place au milieu d’un groupe d’hommes, ils commentent les tenues des femmes en prenant garde à ne pas se faire entendre par leurs maris. Je le vois rire, il a une belle bouche et des yeux couleur de mer, mais il a comme un chagrin sur son visage. J’imagine qu’il est obligé de faire ce cinéma pour ne pas apporter de l’eau au moulin des langues-coupantes qui l’appellent « moitié d’homme » dans son dos. Les hommes souffrent eux aussi :leur honneur réside dans les femmes qu’ils ont prises, l’honneur des femmes réside dans leur chair même. Chacun défend comme il peut ce qu’il possède.

Débat dans la réunion organisée par un sympathisant communiste.

 – » Donc si j’ai bien compris, la femme doit rester à la maison et obéir à la volonté de son mari. Vous êtes d’accord ? Les dames ici présentes partagent cet avis ?
– Moi je pense que ce n’est pas juste » intervient femme entre deux âges. L’assemblée se retourne pour la regarder.  » Ce n’est pas juste, mais c’est nécessaire, précise-t-elle. Dans la rue, les filles doivent être accompagnées, parce que si elles sont seules, les gens se demandent où elles vont. Les hommes sont en chasse, c’est leur nature, et les agneaux se font manger par le loup.

La gentillesse de son père.

« Tout à l’heure tu m’as demandé ce que je fais. Eh bien voilà, conclut-il une fois son tri achevé quand tu trébuches je te soutiens »

Et c’était dans la loi.

« Article 544 du code pénal :  » pour les délits prévus par le chapitre premier et par l’article 530, le mariage, que l’auteur du délit contracte avec la personne offensée, éteint le délit, également pour les personnes ayant contribué au même délit ; et, s’il y a eu condamnation, l’exécution et les effets pénaux cessent « 
– Qu’est ce que ça veut dire ? Parle simplement, Pippo, lui enjoint mon père.
– Ça veut dire : après le mariage, délit éteint pour la loi, honneur réparé pour la fille.


Édition La manufacture de livres

 

Ne croyez pas lire un livre de plus sur le sort des juifs pendant la deuxième guerre mondiale, cela constitue bien la toile de fond mais le thème principal c’est le parcours Stéphane Milhas petit fils d’Alphonse Jullian pour à la fois retrouver un sens à sa vie et redonner l’honneur à ses grands-parents. Ses grands-parents ont été des résistants et ils ont caché des gens traqués, dont une famille juive , les Trudel dont le mari Eli est un peinte connu.

Sa tante et son oncle, avant de quitter leur appartement pour aller en institution lui donne le fameux « tableau du peintre juif » . L’histoire familiale raconte qu’un peintre juif que ses grands parents avaient caché le leur avait laissé en remerciement. Stéphane fait des recherches et se rend compte qu’Éli Tudel est un peintre assez connu et que son tableau vaudrait au bas mot plus de cent mille euros. Stéphane est au chômage sa femme Irène fait vivre le ménage avec un petit salaire de vendeuse. Alors pour elle la solution est simple. , il faut vendre au plus vite ce tableau.
Sauf que, Stéphane préfère la dignité à l’argent et il décide donc de prendre contact avec Israël afin que ses grands parents reçoivent le titre de Justes pour avoir aider des juifs.

Tout devient extrêmement compliqué quand il se rend en Israël car on accuse ses grands parents d’avoir volé ce tableau qui est répertorié aux œuvres spoliées aux juifs Il apprend aussi que les Trudel sont mort à Auschwitz.
Commence alors pour lui une enquête pour comprendre ce qui a pu se passer, car la mort des Trudel ne correspond pas aux informations que sa tante lui a données. Son but principal est de laver l’honneur de ses grands parents qu’il ne peut imaginer avoir voler quoi que ce soit.

Cette enquête va permettre à l’auteur de cerner au plus prêt la personnalité de Stéphane et de comprendre la façon dont la résistance faisait passer des clandestins . Je ne peux évidemment pas vous révéler la solution de son enquête mais cette enquête fait revivre l’horreur du sort des juifs qui avaient tant de mal à fuir leur sort.

Un roman que j’ai bien aimé, et j’ai partagé le désarroi de Stéphane qui peu à peu va ouvrir les yeux sur son entourage : ses filles, sa femme et il va se retrouver lui-même à la fin de ce grand voyage.

 

Citations

Le couple de la génération de ses parents.

Ma tante est la sœur aînée de ma mère. Elle a plus de quatre-vingt-dix ans, et son mari, mon oncle, est un peu plus âgé qu’elle. Louise et Étienne forment un couple adorable. Des petits vieux comme on les aime, curieux et bienveillants. Ils habitent en région parisienne, et régulièrement, je me dis que je ne vais pas les voir assez souvent. Une fois tous les cinq ans, en moyenne. Pas le neveu idéal.

Être cévenol.

 Il n’était pas seulement cévenol. Il était aussi et surtout protestant calviniste. Descendant de camisards, façonné par les causses, avec le maquis dans les veines. Chez ces gens-là, la notion de devoir va avec celles de modestie. On fait ce qu’on a à faire mais on ne s’en vante pas.
 Son frère, dont il était très proche, est mort sous la torture assassiné par la Gestapo sans avoir parlé. Encore un taiseux. Il avait payé son appartenance à un réseau FFI dans le massif des Vosges. J’imagine qu’aux yeux de mon grand-père, le véritable héros de la famille, c’était son frère. Il s’était interdit de fanfaronner, il aurait trouvé cela inapproprié, voire indécent. 

Vision négative d’Israël .

 – Rendez-moi mon tableau ! Je crie.
 Des rires me répondent en provenance d’un toit. Je lève la tête. Là-haut, sur une terrasse des jeunes dansent au rythme d’une musique techno. Ils me saluent pouce levé. Parmi eux, j’aperçois des garçons torse-nu et les filles en t-shirt moulant. C’est c’est quoi ce pays schizophrène ? À quelques dizaines de kilomètres d’ici des rigoristes en « talit » dictent depuis leur kibboutz la politique du pays à des teufeurs imbibés de cannabis et d’ecstasy. À un jet de roquette, c’est la guerre, et ici c’est la décadence. Partout dans les rues de la capitale, à l’entrée des centres commerciaux, des gares et des administrations, des soldats en armes scannent les sacs de courses d’une population qui se laisse faire sans rechigner. La terreur comme chose acquise, intégrée dans les habitudes. Attachés-cases, sacs à main et mitraillettes se côtoient et tout le monde semble trouver la chose normale, tant que cela n’empêche pas les soirées sur les terrasses de la ville de se tenir. Un conflit permanent au milieu de la fête et vice-versa.

Portrait du grand père.

Dictionnaire à la main – « Le Petit Robert « pour l’orthographe et celui des noms propres pour les détails biographiques-, mon grand-père vérifiait tout. Je n’avais droit à une barre de chocolat noir qu’une fois ma corvée remplie -je préférais le blanc mais ils étaient jugés « décadent » par mon grand-père et donc proscrit.
 De toute ma jeunesse, je n’ai surpris mon grand-père en train de se laisser aller à une frivolité qu’à une occasion ! 

 


Édition Gallimard NRF . Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai parfois eu des réserves sur cet auteur mais ce livre est un des meilleurs romans que j’ai lu depuis longtemps.( trois coquillages pour expo 58 et quatre pour la pluie avant qu’elle ne tombe) J’ai parfois une pensée pour les traducteurs, ici pour la traductrice et je me suis dit quel plaisir elle a dû avoir à traduire un livre aussi intelligent, drôle parfois et si sensible. Et bravo pour le titre ! Il représente exactement ce que veut montrer Jonathan Coe : derrière ce nom Royaume-Uni se cache une désunion qui va aboutir au schisme du Brexit et la royauté est comme un vernis qu’on agite devant les yeux des « gogos » qui pleurent à l’unisson devant la mort de Diana en oubliant leurs divergences plus fondamentales.

Sous un sentiment national anglais unanime se cache donc des fissures importantes que l’auteur va, peu à peu, nous révéler à travers une famille dont nous allons connaître la vie de 1945 à aujourd’hui. C’est peu de dire que ce livre est une vision critique de l’Angleterre c’est le plus souvent une peinture au vitriol.
Le roman commence par un prologue en mars 2020, rappelons nous, c’est le début d’une épidémie qui va mettre l’Europe dans un état qu’elle n’avait jamais connu. Le confinement va s’installer et c’est d’ailleurs par les conséquences les plus tristes de ce confinement que se terminera le récit : la mort, seule isolée des siens, de Mary un personnage central du livre, la mère de trois fils adultes, et la grand-mère de cinq petits enfants, dont Suzan la contrebassiste avec qui nous étions dans le prologue.
Nous sommes à Birmingham, la ville où John Cadbury a créé une entreprise de chocolat célèbre en Angleterre et qui sera très importante dans le roman. En 1945 on célèbre la victoire sur le nazisme et si les Anglais peuvent être fiers de leur victoire, l’auteur souligne qu’ils sont plus nationalistes qu’anti nazi. Peu à peu les traits de caractère se dessinent. Mary très dynamique va épouser Geoffrey un homme qui restera toute sa vie enfermé dans ses certitudes et qui n’exprimera qu’une seule fois sa sensibilité et ce sera lors du décès de Lady Diana.

Le mélange entre la vie des différents membres de la famille et des évènements nationaux est une grande réussite. Le livre est divisé en sept chapitres qui sont autant de rendez-vous où le royaume donne l’impression d’être « uni » :

  • le prologue mars 2020
  • le jour de la victoire 8 mai 1945
  • finale de la coupe du monde Angleterre bat l’Allemagne 30 juillet 1966
  • l’investiture du prince de Galles 1 juillet 1969
  • le mariage de Charles avec Diana 29 juillet 1981
  • funérailles de Lady Diana 6 septembre 1997
  • 75° anniversaire de la Victoire 8 mai 2020

Pour nous retrouver dans la famille Lamb et Clark , l’auteur fournit au début du livre un arbre généalogique, j’ai souvent eu besoin de m’y référer. C’est peut être le léger reproche que je ferai à ce roman. brassant autant d’années et de personnages, on a parfois du mal à bien connaître chaque membre de la famille. Ils sont à l’image du pays plus divisés qu’il n’y parait et après le « brexit » certains ne se parleront plus.

Birmingham est donc la ville du chocolat à l’anglaise et malheureusement, la France et la Belgique ne veulent pas le laisser entrer en Europe car il n’utilise pas de beurre de cacao. Jonathan Coe se fait un malin plaisir de nous raconter en détail les discussions européennes et la mauvaise foi des Anglais, le côté sans fin de ces discussions (elles ont duré sept ans !) serait drôle si finalement elles n’étaient pas à pleurer. Le portrait de Boris Johnson comme journaliste à Bruxelles est criante de vérité et avoir élu cet individu à la tête du pays fait partie des failles de ce pays.

Ce roman est rempli d’informations et j’aimerais bien toutes les retenir : un vrai grand plaisir de lecture.

 

Citations

L’engagement dans la guerre 39/45.

Pour eux, c’était une simple histoire d’auto défense : les Allemands voulaient nous envahir, nous occuper, un peu qu’on allait les arrêter, merde. (désolé pour les gros mots. Remarque, eux ils auraient dit bien pire) . Eux contre nous, point barre, tu vois. Bon y a rien de mal à ça bien sûr. Ils se sont battus comme des héros sur ce principe on ne peut pas leur enlever ça. Mais ils voyaient ça simplement comme une guerre contre les Allemands : et pour être honnête si tu les poussaient à parler politique tu t’apercevais que certains avaient des opinions pas si éloignées que ça de celles des nazis. (…)

 C’est juste que je pense qu’il y a une certaine idée de la guerre les gens aiment bien cultiver. Comme quoi c’était une affaire politique. Comme quoi tout le monde était convaincu que le véritable ennemi c’était le fascisme. C’est une sorte de mythe. Un mythe que les gens de gauche sont de plus en plus prompt à embrasser. 

Snobisme.

Tu sais quoi, je crois qu’il trouve que ça fait trop populo. Le tennis, le golf, ça c’est pour les gens comme lui, pas le foot. Et il ne veut pas aller à Villa Park parce qu’il pense que le quartier est pourri et qu’il arrivera quelque chose à sa voiture si la gare là-bas. Il est terriblement snob, je crois qu’il tient ça de ses parents. 

Le nationalisme alimentaire.

 On rapporte que l’équipe portugaise, qui séjourne à Wilmslow, a apporté six cent bouteilles de vin et plusieurs tonneaux d’huile d’olive vierge, ayant supposé (à juste titre) qu’il leur serait impossible de se procurer des substituts convenables pour ces denrées en Angleterre.
 Leur équipe médicale a interdit aux Espagnols de boire l’eau du robinet anglaise affirmant qu’ils tomberaient sûrement malade sinon. 
Entre temps on a demandé au joueur vétéran Ron Flowers de lister les avantages dont jouissent les Anglais en jouant à domicile, et il répond sans aucune hésitation que le principal c’est de « pouvoir manger correctement ».

L’expression des sentiments chez un Anglais.

 Il est assis devant sa télé portative, plié en deux, des mains sur les yeux. À l’écran s’affiche des images des funérailles de la princesse Diana. Les épaules de Geoffrey se soulèvent, et il est secoué de longs sanglots convulsifs. Quand Mary lui attrape les mains et les écarte doucement de son visage, elle voit qu’il a les yeux rouges et gonflés, les joues luisantes de pleurs, la bouche tordue en un rictus de chagrin obscène. Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : des larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; des larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary, ou à ses enfants n’ont jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans.

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Sans aucun jeu de mots, j’arrive « après » le grand succès de ce roman et « après » avoir lu « American Rust« . Le sujet est le même : que se passe-t-il dans une région qui a perdu ce qui faisait sa richesse économique, dans les deux cas, il s’agit de s’agit de la disparition de l’industrie métallurgique. dans les deux romans on voit la disparition d’un rôle masculin évident car fondé sur la force physique, la différence c’est que l’on sent que la région lorraine peut revivre autrement alors que dans le roman de Philip Meyer c’est la nature qui reprend ses droits, la région retournant à l’état sauvage.

Je ne voulais pas lire ce roman car j’avais peur de retrouver une atmosphère trop sombre et sans espoir. C’est bien le cas mais le talent de l’écrivain est tel que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce gros roman. Il s’attache à décrire tous les habitants d’une ville imaginaire du bassin des Hauts-Fourneaux, on voit des hommes déclassés dont la seule façon de tenir est de consommer de l’alcool à haute dose : « eux » ce sont ces anciens ouvriers. Leurs femmes parfois boivent mais le plus souvent elles essaient de tenir leur famille. Et leurs enfants ? Ils s’ennuient et cherchent à satisfaire leurs besoins sexuels, ils boivent aussi mais rajoutent la drogue qui leur ouvre un monde plus souriant. À côté et se mélangeant assez peu des arabes, une famille marocaine très cliché : le père épuisé par une vie de labeur, la mère retournée au pays, et un fils dealer de haschisch. On voit aussi deux filles de la bourgeoisie qui s’encanaillent mais réussiront à sortir de cette région.

La construction du roman se passe autour d’un vol de moto qui sera le déclencheur de la catastrophe entre les jeunes, la violence des bagarres est terrible et laisse des traces indélébiles. En revanche, il n’y a pas de meurtre contrairement à ce qui se passe dans les romans américains, donc, un après sera possible pour ces jeunes mais cela ne veut pas dire un avenir positif. Le roman se termine sur un deuxième vol de moto, rouler sur une moto semble donner aux jeunes une impression de liberté. Le dernier été se passe lors de la coupe de monde de foot en 1998 et l’écrivain décrit cette population d’anciens ouvriers réunie dans un élan « patriotique » presque unanime.

On peut reprocher à ce texte de faire une peinture trop noire d’une population qui a certainement plus de richesse personnelle que celle des différents personnages, on peut aussi ne pas trop aimer le langage des jeunes, les descriptions des beuveries à la bière (arrosée de picon, ou non), les hallucinations dues à la drogue, les très nombreuse scènes de baise… Je suis d’accord avec tout cela mais ce qui m’a empêchée de mettre cinq coquillages c’est de n’avoir aucun personnage positif dans le roman. On a l’impression que tous les gens de cette région sont décrits dans ce roman, or je suis certaine qu’il existe des gens de valeur qui ne sont ni alcooliques ni drogués et dont la principale activité n’est pas sexuelle.

Cette dernière remarque ne m’a pas empêchée de lire avec beaucoup d’intérêt ce roman de Nicolas Mathieu et de retenir son nom pour d’autres lectures.

 

Citations

Le style de l’auteur .

 Anthony venait d’avoir quatorze ans. Au goûter, il s’enfilait toute une baguette avec des Vache qui Rit. La nuit il lui arrivait parfois d’écrire des chansons, ses écouteurs sur les oreilles. Ses parents étaient des cons. À la rentrée, ce serait la troisième.

Ambiance de la cité.

 Un peu après 15h, le temps devint comme une pâte, grasse, étirable à l’infini. Chaque jour, c’était pareil. Dans le creux de l’aprèm, un engourdissement diffus s’emparait de la cité. On n’entendait plus ni les enfants ni les téléviseurs par les fenêtres ouvertes. Les tours même semblaient prête à s’affaisser, hésitant dans les brumes de chaleur. Par instant, une mob kitée pratiquait une incision bien nette dans le silence. Les garçons clignaient des yeux et essuyaient la sueur qui venait noircir leurs casquettes. Au-dedans, la nervosité marinait sous son couvercle. On était somnolent, haineux, et ce goût acide du tabac sur la langue. Il aurait fallu être ailleurs, avoir un travail, dans un bureau climatisé peut-être bien. ou alors la mer.

L’après de la métallurgie .

 Un siècle durant les hauts fourneaux d’Heillange avaient drainé toute ce que la région comptait d’existence, happant d’un même mouvement les êtres, les heures, les matières premières. D’un côté, les wagonnets apportaient le combustible et le minerai par voie ferrée. De l’autre, des lingots de métal repartaient par le rail, avant d’emprunter le cours des fleuves et des rivières pour de longs cheminements à travers l’Europe. 
Le corps insatiable de l’usine avait duré tant qu’il avait pu, à la croisée des chemins, alimenté par des routes et des fatigues, nourri par un réseau de conduites qui, une fois déposées et vendues au poids, avaient laissé de cruelles saignées. Ces trouées fantomatiques ravivaient les mémoires, comme les ballasts mangés d’herbe, les réclames qui pâlissaient sur les murs, ces panneaux indicateurs grêlés de plombs.

L’éducation .

 L’éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité tour le monde fait ce qu’il peut. Qu’on se saigne ou qu’on s’en foute, le résultat recèle toujours sa part de mystère. Un enfant naît, vous avez pour lui des projets, des nuits blanches. Pendant 15 ans, vous vous levez à l’aube pour l’emmener à l’école. À table, vous lui répétez de fermer la bouche quand il mange et de se tenir droit. Il faut lui trouver des loisirs, lui payer ses baskets et des slips. Il tombe malade, il tombe de vélo. Il affûte sa volonté sur votre dos. Vous l’élevez et perdez en chemin vos forces et votre sommeil, vous devenez lent et vieux. Et puis un beau jour, vous vous retrouvez avec un ennemi dans votre propre maison. C’est bon signe. Il sera bientôt prêt. C’est alors que viennent les emmerdes véritables, celles qui peuvent coûter des vies ou finir au tribunal.

Ado dans une famille de la classe moyenne .

 Quand elle rentrait le week-end, elle trouvait ses parents occupés à mener cette vie dont elle ne voulait plus, avec leur bienveillance d’ensemble et ces phrases prémâchées sur à peu près tout. Chacun ses goûts. Quand on veut on peut. Tout le monde peut pas devenir ingénieur. Vanessa les aimait du plus profond, et ressentait un peu de honte et de peine à les voir faire un si long chemin, sans coup d’éclat ni défaillances majeures. Elle ne pouvait pas saisir ce que ça demandait d’opiniâtreté et d’humbles sacrifices, cette existence moyenne, poursuivie sans relâche, à ramener la paie et organiser des vacances, à entretenir la maison et faire le dîner chaque soir, à être présents, attentifs tout en laissant à une ado déglinguée la possibilité de gagner progressivement son autonomie.

Une méchanceté gratuite.

 Il ne reste plus d’idiots dans les villages, mais chaque café conserve son épave attitrée, mi-poivrot, mi-Cotorep, occupé à boire du matin au soir, et jusqu’à la fin

La vie sans alcool.

Mais au fond, le problèmes d’une vie sans alcool n’était pas celui là. C’était le temps. L’ennui. La lenteur et les gens. Patrick se réveillait d’un sommeil de vingt années, pendant lesquelles il s’était rêvé des amitiés, des centres d’intérêt, des opinions politiques, toute une vie sociale, un sentiment de soi et de son autorité, des certitudes sur tout un tas de trucs, et puis des haines finalement. Or il était juste bourré les trois quarts du temps. À jeun , plus rien ne tenait. Il fallait redécouvrir l’ensemble, la vie entière. Sur le coup, la précision des traits brûlait le regard, et cette lourdeur, la pâte humaine, cette boue des gens, qui vous emportait par le fond, vous remplissait la bouche, cette noyade des rapports. C’était ça, la difficulté principale, survivre à cette vérité des autres.

Le Maroc et la drogue.

 Le Rif produisait chaque année des milliers de tonnes de résine de cannabis. Des champs dans un vert fluorescent couvraient des vallées entières, à perte de vue, et si le cadastre fermait les yeux, chacun savait à quoi s’en tenir. Sous les dehors respectables, ces hommes matois qu’on voyait aux terrasses des cafés, avec leurs moustaches et leur gros estomac, étaient en réalité d’une voracité digne de Wall Street. Et l’argent du trafic irriguait le pays de haut en bas. On construisait avec ces millions des immeubles, des villes, tout le pays. Chacun à son échelle palpait, grossistes, fonctionnaires, magnat, mules, flics, élus, même les enfants. On pensait au roi sans oser le dire.

Retour dans sa ville de la Parisienne .

 Ils papotèrent un moment, mais sans y croire. Au fond, Steph était le centre d’un jeux de société assez vain. Sa mère l’exhibait, les gens feignaient de s’intéresser, la jeune fille donnait le change. Il circulait comme ça toute une fausse monnaie qui permettait d’huiler les rapports. À la fin, personne n’en avait rien à battre.

 


Édition « La belle étoile. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Pavcoñ)

 

Quand j’ai compris que ce roman se situait au Liban , j’ai immédiatement répondu à Babelio que j’avais très envie de le lire. Il a bien pour toile de fond ce pays qui m’est cher, avant la terrible crise économique qui a réduit à la misère tous mes amis universitaires. On sent dans ce roman à quel point ce pays est incapable de renaître de ses cendres, les feux dont il s’agit dans le titre sont ceux qui sont provoqués par la population qui n’en peut plus de vivre dans les ordures jamais ramassées .
Les trois coquillages montrent ma déception, je pensais connaître un peu mieux ce pays, en réalité je connais tout sur l’histoire d’amour contrariée de Mazna une jeune fille syrienne qui a un talent certain pour le théâtre mais qui n’arrivera pas à devenir actrice aux États-Unis car elle a suivi un homme dont elle n’était pas amoureuse, Idris un jeune libanais qui vient d’une famille plus riche que la sienne. Mazna était follement éprise de Zakaria un réfugié palestinien et ami presque frère d’Idriss. Zakaria est tué car il a lui-même tué des chrétiens et Idriss et Mazna s’enfuient. Ensemble ils auront trois enfants dont nous allons suivre le parcours.
l’aînée, Ava chercheuse en biologie et mère de deux enfants, est mariée à un américain, son couple subit quelques turbulences. Marwan le fils préféré de sa mère, doit choisir entre une carrière de chanteur ou la cuisine et sa vie avec sa fiancée Harper, et enfin Najla homosexuelle et chanteuse à succès qui est revenu vivre et faire carrière au Liban.

Ils se retrouvent tous à Beyrouth car Idriss a décidé de vendre la maison de sa famille. Ce sera l’occasion de raviver les souvenirs que les parents préfèrent oublier. Il faut 420 pages à cette auteure pour faire émerger tous les secrets autour de Zakaria. Ma déception vient de ce que histoire si classique ne fait pas revivre le Liban, à cette nuance près que certaines décisions pouvaient entraîner la mort plus facilement qu’ailleurs. On sent aussi le poids des traditions dans l’éducation des filles et aussi la façon dont la proximité de la mort et de la guerre fait que la jeunesse fonce dans tout ce qui peut lui faire oublier les duretés de la vie et à quel point elle peut être brève : on boit beaucoup, on fume sans cesse et toutes les drogues sont possibles et la musique est toujours à fond.

Donc, une déception pour moi. Je lis sur la présentation de cette écrivaine qu’ « Hala Alyan américo-palestinienne est clinicienne spécialisée dans les traumatismes, les addictions et l’interculturalité ». Je crois que j’aurais préféré que son roman se passe aux USA et qu’elle me fasse découvrir les difficultés pour une jeune américano-palestinienne d’assumer deux cultures. Car, pour ce qui est du Liban, je n’ai vraiment rien appris et je ne l’ai pas senti vivre contrairement par exemple aux roman de Charif Majdalani que j’aime tant.

 

Citations

C’est tellement vrai.

Ava se résigne à endurer le tourbillon de circonvolutions maternelles. « Zwarib » est le mot qu’on emploie en arabe pour décrire ces tours et détours qui ne servent qu’à éviter d’aborder le cœur du sujet. Sa sœur Naj appelle ça du terrorisme linguistique.

J’aime bien ce genre de voix.

Najla adorait la musique. Elle avait une voix hors du commun, rugueuse et gutturale légèrement fausse, mais suffisamment hardi pour que personne ne sente soucie.

Explications des guerres libanaises par un metteur en scène de théâtre en 1972.

Les colonisateurs ont pesé, bien qu’indirectement, dans toutes les décisions politiques qui ont été prises depuis l’époque ottomane. Chaque pays a son oppresseur : les Britanniques pour la Palestine, les Français pour le Liban. Les Occidentaux ont redessiné les frontières. C’est la raison pour laquelle les rues de Beyrouth portent des noms français. Ce sont eux qui ont mis sur pied la structure parlementaire qui distribue le pouvoir de manière injuste. C’est leur faute si les Palestinien sont arrivés ici par milliers en 1948, puis en 1977. Je veux que vous gardiez à l’esprit durant les répétitions, les plus grands criminels de guerre sont toujours en coulisse, même s’ils sont à des continents d’ici. 

Un autre point de vue .

 Les gens n’ont pas besoin de prétexte pour se détester. Nous sommes programmés pour blâmer les autres de notre malheur. et quand ton prêtre, ton imam ou Big Brother te fait croire que tout un tas de gens te détestent, tu prends rarement le temps de vérifier s’il dit la vérité. 

Très possible.

Le feu passe au vert. Ava range son téléphone, bien qu’elle doute de risquer une amende ici. Un jour, elle avait vu un homme conduire avec son fils sur les genoux. L’enfant tenait un cendrier.

 


Éditions Livre de poches. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon

Cette fois, c’est un merci sans aucune réserve que j’adresse à Krol qui m’a fait découvrir ce recueil de nouvelles, qui avait aussi bien plu à Aifelle et à bien d’autres blogueuses. La construction de ce recueil est intéressante, car s’il s’agit de treize nouvelles qui se passent toutes à Crosby, une petite ville sur la côte du Maine, le personnage principal, Olive Kitteridge, une grande femme au fichu caractère est présente dans toutes les nouvelles sans toujours être le personnage principal, loin de là. Donc, on finit par connaître à la fois le lieu mais aussi les différents personnages de la petite ville et nous évoluons avec eux en laissant passer les années, à peu près une trentaine d’années.

Olive a un fils Christopher qui aura besoin d’une psychothérapie assez longue pour comprendre qu’il peut vivre et aimer sa mère sans en avoir peur. Car, oui, Olive a fait peur à de nombreuses personnes, à ses élèves quand elle était professeure de mathématiques au collège de Crosby et à bien d’autres habitants. Mais pas à Henry son mari qui lui n’était que gentillesse et qui était aimable avec tout le monde. Dans une des nouvelles une femme se demande comment il fait pour la supporter et une autre lui répond mais parce qu’il l’aime.
Il est beaucoup question d’amour dans ces nouvelles et cela jusqu’à la dernière page où le coeur d’Olive va s’ouvrir pour un « abruti » de républicain !

Toute une Amérique défile devant nous yeux et pour une fois ça n’est ni glauque ni violent, pour autant ce n’est pas un monde à l’eau de rose en réalité c’est une plongée dans la vraie vie et c’est incroyablement sensible et même passionnant alors que le plus souvent il ne se passe pas grand chose : juste la vie, d’êtres normaux dans une petite ville américaine mais c’est raconté avec un talent qui m’a séduite à mon tour.

 

Citations

L’enterrement après l’accident de chasse.

À la fin de la cérémonie, six jeunes hommes portèrent le cercueil le long de l’allée centrale. Olive donna un coup de coude à Henry, et ce dernier hocha la tête. L’un des porteurs – parmi les dernier- avait un visage si blanc, une expression si accablée qu’Henry craignait qu’il lâche le cercueil. C’était Tony Kuzio qui, quelques jours plus tôt, ayant pris Henry Thibodeau pour un cerf dans la pénombre du petit matin, avait pressé la détente et tué son meilleur ami.

Portrait de la mère du marié .

La robe d’Olive -un élément important de cette journée, naturellement, puisqu’elle est la mère du marié- est taillée dans une mousseline vaporeuse verte imprimée de motifs de géraniums d’un rose tirant sur le rouge. En s’allongeant, Olive prend bien garde de ne pas la froisser et la dispose de façon à préserver sa décence si quelqu’un venait à entrer. Olive est une grosse femme. elle en a parfaitement conscience mais comme elle n’a pas toujours été aussi grosse, elle doit encore se faire à cette idée. Certes, elle a toujours été grande et c’est souvent sentie pataude, mais le fait d' »être grosse » est venu avec l’âge. Ses chevilles ont gonflé, ses épaules ont enflé jusqu’à faire des plis derrière son cou, et elle a désormais des poignées et des mains d’homme. Ça prèoccupe Olive -bien sûr bien que ça la préoccupe. Parfois, en privé, ça la préoccupe même terriblement. Mais à ce stade de la vie, elle n’est pas prête à se priver du réconfort de la nourriture, et tant pis si, en cet instant, elle ressemble à un phoque gras et assoupi enveloppé dans une sorte de bandages en gaze.

Propos à la sortie de la messe : Olive cherche à ne pas dire ce qu’elle pense.

À côté d’Olive Kitterige, attendant elle aussi comme tout le monde. Molly Collins vient justement de se retourner pour regarder l’épicerie. Elle soupire. 
« Une femme si gentille. Ça n’est pas juste. »
Olive Kitteridhe, dont la robuste charpente dépasse d’une tête MollyCollins, prends ses lunettes de soleil dans son sac à main et, une fois qu’elle les a enfilées, plisse les paupières et jette un regard sévère à cette femme qui vient de proférer une telle bêtise. Quelle idée stupide, de penser que la vie pouvait être juste. Mais elle répond tout de même « c’est une femme gentille, c’est vrai « en se tournant pour admirer le forsythia près de la salle des fêtes.

Olive et ses belles filles .

 Olive pris la décision d’accepter tout en bloc. La première fois, il avait épousé une femme méchante et autoritaire, cette fois elle était gentille et Idiote. Bah, ça ne la regardait pas, après tout. C’était la vie de son fils.

Édition Albin Michel

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

 

Est-ce qu’un éclat de rire vaut cinq coquillages, j’ai décidé que oui car franchement quand j’écris cet article il n’y a pas grand chose qui me porte à rire.
Alors surtout que tous ceux et toutes celles qui ne veulent lire que des œuvres qui passeront à la postérité, évitent cette lecture. Les autres chercheront dans leur bibliothèque préférée s’il ne trouve pas ce roman de Marion Michau. Elle y conte la vie de Pilar Mouclade, oui c’est vrai son prénom aurait été plus facile à porter avec un nom de famille espagnol et puis Mouclade ce n’est pas terrible non plus. Tout va bien dans sa vie : son mari, ses enfants, son métier.
Elle sait nous raconter le métier d’agent immobilier et nous le rendre très sympathique. Je me souviens à quel point une femmes m’avait aidée à acheter ma maison à Dinard, je la retrouve dans le portrait de Pilar, donc je peux en témoigner il existe des agents immobiliers (désolée je ne connais pas le féminin du nom « agent ») agréables et qui vous aident vraiment à choisir un bien où vous pourrez vivre confortablement.

Pilar est originaire de Limoge, ville souvent choisie pour décrire l’ennuie de la vie en province, cela vient de loin puisque le mot limogeage vient de l’envoie, dans cette ville, des hauts gradés militaires dont on voulait se débarrasser en les faisant « mourir » d’ennuie à Limoges. Elle est élevée par une mère compliquée qui change d’amants et de boulots très souvent, elle est aussi l’amie de Stella un fille dont la beauté éblouit les garçons et attire les filles. Pilar va avoir quarante ans et son anniversaire la perturbe beaucoup, elle veut retrouver Stella avec qui elle s’est fâchée à l’adolescence. Cette quête vers son passé va permettre aux lecteurs de comprendre qui est Pilar : une femme formidable que l’on a très envie de connaître pour partager un moment de sa vie.
Rien que pour ça j’irai bien dans son agence immobilière : mais oui, je le sais, ce n’est qu’un roman, plus exactement un éclat de rire et cela je le garde en moi, en pensant à Pilar Mouclade.

 

Citations

Le choix du prénom Pilar.

 Dans toutes les familles normalement constituées, le père aurait mis son veto (pourquoi pas Dolores tant qu’on y est ? ?), mais mon père n’a pas eu son mot à dire puisqu’il se résume à « un homme qui dansait très bien » au Calypso Club de Limoges en juillet 1979.

Le portrait de sa mère .

Je vivais dans le désordre de ma mère. On passait de studio en appartement et d’appartement en chambre de bonne au gré de ses licenciements ou de ses ruptures amoureuses (les deux affaires étaient souvent liées). J’ai eu un nombre parfaitement traumatisant de beau-père. aujourd’hui, je les confonds tous. Il faut dire que ma mère s’est longtemps spécialisée dans le tocard à moustache. 
– Qu’est-ce que tu veux, Pilar, je ne supporte pas d’être seule. 
J’ai mis des années à comprendre cette phrase. elle n’était pas seule, puisque j’étais là…
 Toute mon enfance je l’ai entendu parler de valises et d’aller simple pour le bout du monde.
-Qu’est-ce qui nous retient ? 
J’ai grandi avec cette idée dans un coin de ma tête, et un grand sac en toile rose et bleu dans un coin de ma chambre. Les années ont passé, et on ne s’est jamais éloigné a plus de vingt kilomètres de Limoges, ou elle vit encore. Ma mère m’a toujours fait penser à une mouche contre une vitre : elle dépense une énergie folle à se cogner.

Les rapports avec sa mère .

 Ma mère m’appelle alors que je remonte en voiture la rue Sadi-Carnot. En voyant son nom s’afficher, je me gare sur une livraison. Quelques secondes, j’espère qu’elle appelle pour s’excuser d’avoir oublié mon anniversaire… Décidément, rien ne me sert de leçon.
– Pilar ! Ah quand même ! Tu aurais pu m’appeler ! Tu as bien vu que j’étais en train d’oublier ton anniversaire ! T’aurais pu me passer un petit coup de fil au lieu de prendre un malin plaisir à me mettre le nez dans le caca ! 
– Bonjour, maman. 
– Je vais même te dire vu ce que j’ai souffert le jour de ta naissance, c’est toi qui devrais m’appeler chaque année ! 
Parfois je me demande pourquoi je descends rarement la voir, et parfois je ne me le demande plus du tout. 
-De toutes façon, je ne sais pas pourquoi je m’étonne encore ! Tu n’appelles jamais, tu ne descends jamais !
 Bah non , maman, parce que chaque fois que je viens, dans les deux minutes qui suivent mon arrivée, j’apprends que j’ai grossi et qu’on ne va pas passer la soirée ensemble parce qu’un « ami » t’a invitée à dîner et tu n’as pas osé dire non. C’est drôle comme avec moi tu oses.

 

 

Édition Plon . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quel livre ! Quand j’ai refermé ce livre de souvenirs, j’ai eu un besoin d’un moment de silence avant de rédiger mon billet. Le silence qui a essayé d’étouffer les cris de ces Arméniens spoliés de tous leurs biens, torturés, abandonnés dans le désert, assassinés puis turquifiés et oubliés.

Pourtant tous les 24 avril les Arméniens de la diaspora française défilent devant les ambassades turques pour que ce génocide soit enfin reconnu.
Le livre est un retour dans la mémoire d’une jeune femme née en France d’une famille arménienne qui s’est exilée de Turquie en 1960 . Cette plongée dans le passé se fait à travers les pièces de la maison familiale qui, à travers un objet ou une photo, lui permettent d’évoquer son enfance et la vie des membres de sa famille. Toute la difficulté de cet exercice est de confronter ses expériences personnelles suffisamment douloureuses puisqu’elle a voulu fuir à tout jamais cette maison, à celles autrement plus tragiques de la destinée des Arméniens en Turquie .
C’est un récit parfois très vivant et très gai, on aimerait participer aux réunions de famille autour de plats qui semblent si savoureux, les grand mères et les tantes qui ne parlent que le turc sont des femmes qui n’ont peur de rien. Et pourtant d’où viennent-elles ? Le blanc total de la génération d’avant 1915 plane sur toutes les mémoires. Le récit devient plus triste quand l’auteur évoque son père. Sa compréhension d’adulte n’empêche pas sa souffrance d’enfant de remonter à la surface. Cet homme a été brisé par l’exil auquel il a consenti pour assurer à ses enfants un meilleur avenir mais d’une position d’orfèvre à son compte en Turquie il est devenu employé en France. Est ce cela qui a aigri son caractère et rendu sa position de pater familias insupportable aux yeux de sa fille ?
À travers toutes les pièces de cette maison, Annaïs Demir recherche une photo de sa mère. Une photo où on la verrait dans toute sa beauté de jeune femme libre avant un mariage qui l’enfermera dans une vie faite de contraintes. Son amour pour son mari est, sans aucun doute, plus le fruit d’une obligation due aux liens combien sacrés du mariage que d’une attirance vers cet homme .
À partir de chaque détail de la vie des membres de cette grande famille, on imagine peu à peu le destin de la petite fille puis de la jeune fille qui est devenue cette écrivaine, mais on comprend surtout la tragédie du peuple Arménien qui apparaît dans toute sa violence absolument insupportable et si longtemps niée.
Un livre que je n’oublierai jamais et j’espère vous avoir donné envie de le lire.

Citations

Retour douloureux aux sources.

Je sens que je dois mettre entre parenthèses ma vie de critique d’art, mon cercle d’amis, les vernissages, les premières de ciné, les concerts, les cafés en terrasse, mes habitudes et mes passions. Renoncer à tout ce que j’ai construit seule ces dernières années pour entrer dans une antique pelisse plein d’accrocs. Une vieille peau de bête, éliminée par endroits et rugueuse à d’autres, qui me retombe sur les épaules jusqu’à m’étouffer. 
À moins qu’il ne s’agisse finalement d’une Gorgone cherchant à me pétrifier. Intense et glaçante, elle m’agrippe du regard. imperturbable, elle a déjà englouti la plupart de ceux qui l’ont habitée. Et maintenant ce serait mon tour ?

Un long passage qui me fait plaisir d’être française.

À leur arrivée en France, dans les années 60, ils ont pu respirer, n’ayant plus à dissimuler leur identité culturelle et cultuelle, ni passer leur langue sous silence comme s’il s’agissait d’une pratique honteuse. Ils n’étaient plus ces « infidèles » suspects, ces « gavours », contre lesquels on pouvait se retourner en temps voulu. Ils ne craignaient plus rien. Ils avaient le droit d’exister en tant qu’Arméniens nés en Turquie sans subir le racisme antichrétien dont ils avaient fait l’objet dans leur pays. Ils allaient devenir des citoyens français et moi, qui venais de naître en France, avant eux. Sept ans après leur départ d’Istanbul, je symbolisais le passage à une ère nouvelle. À leurs yeux, je n’avais donc pas besoin de pratiquer le turc, la langue de nos ennemis ancestraux. La langue du pays dont mes parents s’affranchissaient enfin. Un divorce tant désiré que le turc devenait automatiquement pour moi, l’enfant d’un monde libre, la langue interdite. c’était le passé. Ils avaient décidé de tout changer. Vivre en version originale. Sous-titrée dans la langue du pays qu’il s’était choisi. Ils ne s’adressaient donc à moi qu’en arménien depuis ma naissance. parce que ce que j’étais leur dernier enfant, le seul né ailleurs qu’en Turquie. Sur le territoire français et, de fait, par le droit du sol, de nationalité française. Née dans un pays où nous étions libres de vivre en paix notre vie de français d’origine arménienne. Notre culte ne regardait que nous et ne figurait pas sur nos papiers d’identité.

Les massacres d’Arméniens .

 Elle venait de Yozgat, un « vilayet » (province) du centre de l’Anatolie ou les pillages, les viols, les décapitations la hache et autres bases besognes avaient été plus virulentes encore que partout ailleurs en 1915. Le degré d’abomination dans ces exterminations massives dépendait de l’état mental et moral du Valy (représentant du sultan)qui dirigeait chacune des régions de l’empire. Et, à Yozgat, ils avaient eu affaire à l’un des plus sanguinaires de ces sadiques en bande organisée.

Les toilettes à la turque dans la cour des immeubles parisiens.

Mais lorsqu’il s’agissait de faire ses besoins, cela devenait plus compliquée. Tout se passait hors de l’appartement. Pas sur le palier mais au fond de la cour, été comme hiver. Dans des cabanons qu’on fermait avec un frêle crochet. Des toilettes « à la tourka », comme disait tante Arsiné en roulant le « r ». N’est-ce pas le summum de la tragédie que de continuer à entendre parler quotidiennement de l’ennemi ancestral, même dans les lieux d’aisances de son pays d’exil, en plein Paris ? Ironie du sort, les turcs s’illustraient là sans le moindre panache autour d’une invention aussi primitive et putride qu’un pauvre trou dans lequel le toute un chacun venait vider ses entrailles.

Sa famille.

 Je les vois même défiler sous mes yeux. De temps à autres effrayante, d’autres fois émouvante, souvent « attachiante » : voilà à quoi ressemble ma famille. Question ambiance, on a le sentiment que tout le monde s’amuse à mettre les doigts dans la prise juste pour s’entendre respirer. Cela a quelque chose à voir avec un incommensurable besoin d’affection.

Évocation de sa mère couturière .

 L’atelier, c’est là qu’elle passait le plus clair de son temps, chantant et cousant comme une Cendrillon d’Orient. pas un jour sans qu’elle ait donner de la voix ou taquiner la muse. À tel point que ses chants, que j’entends dès que j’entre dans la maison, s’intensifient dans l’atelier. Mais tous ces airs me serrent la gorge. C’est dans cette bombonne de verre qu’elle avait l’air le plus heureuse. Plutôt qu' »une chambre à soi » si chère à Virgina Wolf, cette pièce à part où chaque femme devrait pouvoir s’épanouir librement, ma mère jouissant, elle, d’un « temple de la soie » regorgeant de trésor qui me transportait d’un coup d’œil à Samarcande où Ispahan.

Le génocide.

On jalousait leurs biens on en voulait à leurs maisons, à leur terre et à l’or que les Turcs imaginaient qu’ils détenaient. Par conséquent, on les avait désarmés et délestés de ce qu’ils avaient de plus précieux. On les menait maintenant en troupeaux aux abattoirs. Pour procéder à leur lente mises à mort en toute impunité. Certains à pieds, d’autres entassés dans des wagons à bestiaux. Destination le désert de Syrie au plus fort des températures de l’Orient. Il était bien assez vaste pour étouffer leurs pleurs, leurs cris et jusqu’à leur râle ultime. Tortures, viols, assassinats, pillages, déportations et autres humiliations. des morts par centaines de milliers. Des charniers. Une déferlante de l’horreur et de sadisme s’était abattue sur les maisons arméniennes.

 

Edition pocket

J’avais remarqué ce roman sur de nombreux blogs dont celui de Géraldine , et il m’attendait dans sa pile, bien sagement … Le succès au début de la campagne présidentielle des idées du candidat du mouvement « Reconquête » auprès des catholiques traditionalistes m’ont poussée à sortir ce livre de sa pile.
Quand on lit ce roman, on peut se dire que l’auteure pousse le trait critique un peu loin, et puis on se souvient des propos de certains membres de ce tout nouveau parti et on se dit que non, ces gens sont persuadés qu’ils ont une croisade à mener et qu’ils doivent ramener les Français vers leurs valeurs. Ils vivent tellement entre eux qu’ils sont incapables de s’ouvrir aux autres.
La pauvre Sixtine est victime de son milieu et épouse un polytechnicien membre actif des milices chrétiennes des Frères de La Croix. On retrouve dans cette première partie toutes les valeurs que ces différentes sectes catholiques veulent inculquer aux enfants . Sixtine est très vite enceinte et ce qui aurait dû être la plus grande joie de sa vie s’avère être un véritable calvaire. Elle est malade tout le temps et n’a pas le droit de se plaindre. De petites failles entre elle et l’idéologie extrémiste de son mari commencent à s’installer, le choix du prénom pour commencer, tout le monde appelle ce bébé qui n’est pas encore né Foucault sans lui demander son avis. Et puis, un soir, son mari meurt en allant attaquer un concert punk. Sixtine aimerait savoir si, avant lui-même de mourir son Pierre-Louis n’est pas responsable de la mort d’un participant au concert.
De cette différentes failles et du détestable caractère de sa belle mère naîtra sa révolte et sa fuite vers l’Aveyron, où elle rencontrera des gens vivant dans des valeurs opposées à celle de sa belle famille. Peu à peu Sixtine sortira de sa coquille et de l’influence négative de l’emprise de la secte religieuse. Cela ne se fera pas du jour au lendemain et la fin du roman relève plus de l’imaginaire que du possible. Sa mère lui avait caché le secret de sa naissance et c’est grâce aux liens retrouvés avec sa famille maternelle que Sixtine et Adam, son fils, vont pouvoir enfin vivre leur vie.

C’est un beau roman, facile à lire et qui permet de comprendre les excès d’une si petite partie des catholiques. Ce qui me semble absolument incroyable c’est comment ils peuvent imaginer rallier la majorité des Français à leur cause. En particulier les femmes ! En revanche lorsque l’on a été élevé dans ce genre de communautés, il est presqu’impossible d’aller vers d’autres idées. Du moins c’est ce que dit ce roman et ce que nous voyons autour de nous (de loin pour moi), dans les familles élevées dans ce genre de sectes qui ont en commun d’avoir refusé les réformes prônées par Vatican II .

 

Citation

Quel programme !

Mes enfants sur vos épaules repose une lourde tâche, celle d’être des époux catholiques dans un monde païen, celle d’être des parents de nouveaux petits croisés qui devront vivre au milieu de ce peuple de renégats. Pierre-Louis et Sixtine, tous les enfants que Dieu vous donnera seront une grâce et une bénédiction. Comme disait notre fondateur, le frère André,  » en ces temps de décadence et d’apostasie, cela devient même un devoir ». Chers Pierre-Louis et Sixtine, et vous, peuple des fidèles, inculquer la foi catholique et romaine à ces enfants que nous espérons nombreux. Je ne peux que vous inviter à suivre les commandements édictées dans la Genèse :  » Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la ! »

 

 

 

Édition Albin Michel . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Traduit du suédois par Anne Karila

 

Un roman qui décrit des relations très lourdes entre des parents et leurs trois garçons, toujours à la limite de l’explosion. On comprend très vite qu’un drame a eu lieu mais on n’aura toutes les clés qu’à la fin du roman, donc promis je ne vous révèlerai rien. Nous sommes avec Benjamin le cadet de l’aîné Niels, et Pierre le plus jeune, ils ont passé leur enfance à se battre, du moins c’est comme ça que nous le raconte Benjamin. Les parents sont le plus souvent sous l’influence de l’alcool et le père éclate de colères imprévisibles et violentes et la mère totalement dépassée semble absente. Je me demande si cette façon de vivre « à la sauvage » chez des gens cultivés représente quelque chose en Suède, ce qui ferait que les Suédois ont une autre lecture de ce roman que nous pour la représentation de cette famille.
Le roman commence à la mort de la mère, le père est décédé depuis quelques années, elle n’exprime qu’un seul souhait que ses trois fils dispersent ses cendres autour du petit lac près duquel ils passaient toutes leurs vacances et où ils ne sont plus retournés depuis le fameux jour, qui a totalement détruit la famille.

Le roman est entièrement sous-tendu par cette révélation, et c’est pour moi un bémol, vraiment je n’aime pas le suspens mais ici il n’est pas gratuit, car effectivement Benjamin doit repartir dans les souvenirs embrouillés de tout ce qui a constitué son enfance pour avoir une chance de pouvoir se reconcilier avec lui-même.

J’ai été un peu gênée par le mélange des temps du récit, c’est très compliqué de savoir à partir de quand la famille a dysfonctionné et pourquoi exactement et j’ai aussi été étonnée par la violence des bagarres entre les frères. On est bien loin de l’image de calme et de self contrôle attachée à la Suède. C’est un roman étouffant qui manque de lumière à mon goût mais qui raconte très bien l’enfance dans une famille détruite.

PS je suis gênée pour rédiger mon billet sans parler de la fin, lisez le vite pour que je puisse discuter avec vous sans cette contrainte. Par exemple que pensez vous du silence de Niels et Pierre adulte lorsque Benjamin évoque la scène où son père a percuté un jeune faon ? (Et réfléchissez au titre vous saurez une intuition sur le drame qui sous-tend ce roman.)

 

Citations

La fatigue dans l’eau froide.

 La fatigue arriva sans crier gare. L’excès d’acide lactique lui engourdit les bras. Sous le choc il en oublia les mouvements des jambes, il ne savait plus comment on faisait. Une sensation de froid partie de la nuque irradia l’arrière de son crâne. Il entendait sa propre respiration, son souffle plus cours et pressé, un pressentiment glaçant lui serra la poitrine : il n’aurait pas la force de retourner jusqu’au rivage. 

Bagarre de frères adultes.

 Pierre lui envoie un coup de pied dans les jambes, Niels s’affaisse sur les cailloux. Alors Pierre se jette sur lui, ils roulent, se bourrent de coups de poing, se frappent au visage, sur le thorax, les épaules. Sans cesser de se parler. Benjamin croit assister à une scène irréelle, quasiment sortie de son imagination : ils se parlent tout en essayant de se tuer.

Les disputes en voiture.

 Ils montèrent dans la voiture. À l’intérieur du véhicule, Benjamin était toujours sur ses gardes, car c’était toujours là, semblait-il, que se déroulait les scènes les plus terribles, lorsque la famille était enfermée dans un si petit espace. C’est là qu’avait lieu les plus violentes disputes entre papa et maman, quand papa faisait tanguer la voiture en essayant de régler la radio, ou quand maman ratait une bifurcation sur l’autoroute et que papa poussé des cris désespérés en voyant s’éloigner la sortie derrière eux.

La perception du laissé aller de sa maison .

 Peu à peu, il réunissait les indices, apprenait à se connaître lui-même en regardant autour de lui. La saleté à la maison, les taches d’urine par terre autour de la cuvette des WC, ça crissait sous les pantoufles de papa, les moutons sous les lits, qui tournoyaient doucement dans le courant d’air quand les fenêtres étaient ouvertes. Les draps qui jaunissaient dans les lits des enfants avant d’être changés. Les pile de vaisselle sale dans l’évier et les petites mouches qui sortaient affolées de leurs cachettes entre les assiettes, quand on ouvrait le robinet. Les cernes de crasse sur l’émail de la baignoire, telles des lignes de marée dans un port, les sacs d’ordures qui s’emploient à côté de l’étagère à chaussures dans l’entrée. Benjamin s’était rendu compte qu’il n’y avait pas que la maison qui était sales ses habitants l’étaient aussi.