J’avais suivi les recommandations de la blogueuse de « Lire au lit » qui avec un grand enthousiasme a défendu ce roman. À la lecture de son billet , j’avais déjà quelque réticences car le sujet était pour moi très risqué de faire ce que j’appelle de « l’entre-soi » . Tout est convenu dans ce roman, il a été fabriqué pour des universitaires qui passent leur temps à décortiquer la création littéraire. Cela veut être drôle mais c’est un rire convenu entre gens qui savent de quoi et comment rire.
J’explique le sujet, un écrivain a obtenu une place à la Villa Médicis, il va y rester un an et écrira un roman dans ce lieu historique. Ce séjour est réservé à de jeunes artistes (architectes, sculpteur, peintre, photographe, musicien, écrivain …) qui sont reçus dans ce palais qui appartient à la France pour favoriser la création de leur œuvre. Ils sont donc logés et nourris, reçoivent une bourse et n’ont qu’une obligation morale de créer quelque chose. C’est l’occasion pour le narrateur de se moquer des artistes qui cherchent plus à choquer qu’à créer, mais on sait tout cela maintenant et le musicien qui veut faire la musique sans son et la peintre qui ne veut utiliser que le sang de ses règles pour recouvrir des fresques du XVI° siècle ne m’ont pas amusée du tout. Il reste le roman en cours de fabrication de l’écrivain, puisque celui-ci a décidé que publier sa correspondance d’une année à la villa Médicis constituerait son roman, se met alors en place une gymnastique intellectuelle qui se joue des noms propres et des spécialités littéraires de chacun, des clins d’œil à la culture des gens comme il faut, pour arriver à la mort de Louise « la Demoiselle à coeur ouvert ». J’ai en vain cherché l’humour et la légereté que promettait « lire au lit », bref une énorme déception !

Citations

 

Expression à la mode.

Son expression, c’est « laisse tomber » (« Les kumquatiers ? laisse tomber, j’adore »).

Prétention intellectuelle .

Dans la basilique Santa Maria del Popolo, Raphaëlle m’a expliqué que Caravage était un peintre machiste, violent, et au fond, extrêmement conventionnel, et que d’ailleurs sa peinture n’avait pas de grain, regarde-moi ça, a-t-elle ajouté en jetant sa main vers « La conversation de Saint-Paul ». Une italienne, qui avait surpris notre conversation, nous a fait remarquer que le tableau était remplacé par une affiche de la même taille, et Raphaëlle a répondu froidement : « Le fait qu’on ne puisse même pas distinguer un tableau de Caravage d’une affiche prouve que sa peinture n’a pas de grain. »

La Peintre .

Depuis le début de l’année, elle récupère le sang de ses règles et le conserve dans de petites bouteilles disposées sur le bord de sa fenêtre. J’ai raté le début de la soirée, où apparemment elle s’est aspergée les cheveux de sang, quand je l’ai vue elle avait simplement les cheveux collés. Elle a utilisé une partie de son sang pour couvrir les murs de signes censés constituer un équivalent visuel et olfactif au bruit de son corps. Le malaise que cette peinture doit provoquer chez le visiteur est comparable à « la douleur que ressentent la majorité des femmes au moment des règles. »

Le compositeur de musique.

Il m’a expliqué que cette pièce était fondée sur le sans, sans instrument, sans voix, sans musique. Juste les bruits de la ville derrière ceux de la nature.

 

 

Édition Jacqueline Chambon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Un livre d’apparence légère mais qui exhale aussi un parfum de tristesse : Arthur Mineur essaie de se remettre d’une rupture amoureuse en faisant le tour des invitations pour écrivains à travers le monde. Nous suivons donc la tristesse d’un homme amoureux américain qui est souvent maladroit et fait de mauvais choix. Arthur Mineur se raconte lui-même de façon très drôle à l’image de son apprentissage de la langue allemande et la joie d’être,enfin, dans un pays dont l’auteur parle la langue – du moins le croit-il- ses propos se terminent ainsi :

Toujours est-il que Mineur arrive à Berlin et se rend en taxi jusqu’à son appartement provisoire à Wilmerdorf en se jurant de ne pas parler un seul mot d’anglais durant son séjour. Bien sûr, le vrai défi est de parler un mot d’allemand.
Il s’amuse beaucoup et nous fait sourire à propos de toutes ses approximations dans la langue de Goethe, il n’hésite jamais à souligner le ridicule dans lesquelles ses différentes maladresses le mettent souvent. Comme l’image de la couverture  : sa carte magnétique n’ouvrant plus la porte de son appartement, il entreprend de passer par le balcon ! Il scrute avec précision la moindre de ses réactions en particulier sur sa place en tant qu’écrivain. Est-il un écrivain important ? Il n’en est absolument pas certain, d’autant qu’il a vécu pendant longtemps avec un génie de la poésie américaine et qu’il sait bien que lui n’est pas un génie. Et puis il y a cette barre des cinquante ans qu’il doit franchir pendant son périple, on voit alors le problème du vieillissement pour un homme dont la jeunesse a été le principal atout de séduction. La lecture est rendue plus difficile par le changement de narrateur, sans prévenir le lecteur on ne sait jamais si c’est Arthur d’aujourd’hui qui prend la parole ou Mineur l’écrivain connu pour un premier roman et à qui a-t-il donné la parole au dernier chapitre ? je ne peux vous le dire sans dévoiler la fin. Je ne suis pas enthousiaste à propos de ce roman et contrairement aux lectrices du club, je n’aurais certainement pas mis de coup de cœur mais c’est un roman original très agréable à lire.

Citations

Humour

Mineur n’est pas vraiment connu en tant que professeur, de même que Melville ne l’était pas vraiment en tant qu’un inspecteur des douanes. Et pourtant, les deux hommes occupent respectivement ces fonctions.

Un hommage à la traductrice

Mineur se met à imaginer (tandis que le maire marmonne toujours son discours en italien) qu’on a mal traduit, où – comment dire ?- qu’on a comme « super-traduit » son roman, confié à un poète de génie méconnue (elle s’appelle Giulliana Monti), qui a réussi à faire de son pauvres anglais un italien stupéfiant. Son livre a été ignoré en Amérique, on en a à peine rendu compte, sans qu’un seul journaliste ait demandé à l’interviewer (son attaché de presse lui a dit : « L’automne est une mauvaise période »). Mais ici, en Italie, il se rend compte qu’on le prend au sérieux. Et en automne, de surcroît. Pas plus tard que ce matin, on lui a montré des articles de la « Républica », du « Corriere della Serra », de journaux locaux et de revues catholiques, avec des photos de lui dans son costume bleu, fixant l’appareil du même regard bleu saphir, naturel et inquiet, qu’il avait lancé à Robert sur cette plage. Mais la photo devrait être celle de Giuliana Monti, c’est elle, en fait, qui a écrit ce livre .

L’humour et la sexualité

Mais leurs rapports sexuels n’était pas idéaux : Howard était trop directif.  » Pince-moi là ; oui c’est ça ! Maintenant, touche-moi là ; non, plus haut ; mais non, plus haut ! Non, plus haut, je te dis. » Mineur avait presque l’impression de passer une audition pour une comédie musicale.

Je vois bien la scène

Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage marron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mouvements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe.

Édition Héloïse d’Ormesson , Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Petit livre rapidement lu mais tellement édifiant à propos de l’intolérance religieuse ! Nous sommes en Hollande et nous suivons un peintre surnommé Torrentius de son vrai nom Johannes Symonsz Jan Van der Beeck, il n’est connu que pour une seule oeuvre :

 

On sait aussi qu’il faisait partie des « Roses Croix » et qu’il a été jugé pour hérésie à Amsterdam et que toute son oeuvre a été brûlée sauf ce tableau. Le roi d’Angleterre qui admirait son oeuvre le fait venir dans son pays après son procès. Mais ce peintre brisé par la torture n’a plus rien produit. Il n’en suffisait pas plus à Colin Thibert pour nous faire revivre, dans un livre très court, ce qu’a pu être la destinée d’un peintre qui aimait trop la vie sous toute ses formes face à l’intolérance protestante qui n’aimait rien tant que la rigueur et la sécheresse de cœur. Vraiment les intolérances religieuses sont détestables et me révoltent au plus profond de moi. Ce petit roman le raconte très bien et fait donc revivre en quelques pages un grand artiste dont aujourd’hui la Hollande serait si fière si elle avait su museler au XVII° siècle les crétins qui ne voulaient pas reconnaître le génie si celui-ci ne respectait pas leurs codes complètement dépassés maintenant.

 

Citations

La Hollande

Dans ce curieux pays qui parvient à se gouverner sans le secours des Princes, il suffit de se rendre au marché, on peut s’y procurer de la peinture aussi aisément un quartier de bœuf ou un turbo pêché du jour, souvent moins cher. Brigby, en revanche, a dû débourser une somme plus conséquente pour une huile sur panneau dudit Rembrandt qui, en dépit de son jeune âge, s’entend à faire grimper sa cote ; mais son interprétation du sacrifice d’Isaac, par sa vigueur et son foudroiement de lumière dorée, éclipse le travail de tous ses concurrents. Si se Rembrandt survit aux excès de table, de boissons et de luxure qui sont le lot des Flamands, on peut gager qu’il laissera derrière lui une œuvre considérable.

Un bon repas chez les Flamands

Repus et satisfaits, il s’en faut de peu qu’ils ne lui tapent sur le ventre ou sur les cuisses. Les trognes luisent, les dents brillent entre les lèvres grasses, on allume les pipes, on claque les fesses de la servante venue débarrasser.

Torrentius et son persécuteur

Torrentius n’a jamais rencontré Velsaert et Velsaert ne le connaît que de réputation. L’antipathie entre les deux hommes est immédiate et rédhibitoire. C’est la rencontre du sanguin et du bilieux, de l’expansif et du constipé, du lion et du rat d’égout…

Déclaration après son procès

J’écris , monsieur sur l’art et la manière dont ces mêmes hommes s’acharnent à détruire, à étouffer ou à museler ce qui dépasse les étroites limites de leur compréhension. Ceux qui m’ont condamné, messieurs, ne craignent rien tant que la vie, ses débordements, ses jaillissements et ses couleurs. Aussi vont-ils la tête basse et le teint bilieux, tristement habillé de noir, rongé par l’envie et la frustration. Savez-vous pourquoi ils me détestent ? Parce que j’ai tout ce qu’ils n’auront jamais, du panache, du talent et toutes les femmes que je puis désirer !

 

 

Édition arléa

Je dois cette lecture à Dominique, et grâce à ce roman j’ai passé un très bon dimanche alors que le temps était au gris et que les mauvaises nouvelles s’accumulaient autour de moi. C’est un roman délicieux, il m’a fait un bien fou et a chassé mon cafard ce jour-là. Et pourtant il n’a rien d’un roman « fell-good » , comme on l’entend d’habitude. Certes il se passe dans un cadre enchanteur le château de l’Islette :

 

Mais comme il s’agit d’un épisode de la vie de Camille Claudel et de son terrible mentor Auguste Rodin, on est plutôt dans le drame que dans les amourettes champêtres.
Camille, vient dans ce lieu invitée par une châtelaine protectrice des artistes finir sa sculpture, la valse, qui a été refusée par l’académie car les corps de danseurs étaient trop dénudés

Elle y retrouvera son grand amour qui, lui, travaille sur son « Balzac ». Elle y sculptera également un petite fille Marguerite dont elle a fait un buste d’une étonnante présence

On apprend qu’elle correspondait aussi avec Debussy qui composait à Londres, à la même époque « L’après midi d’un faune ». Voilà pour les artistes que connaît bien Géraldine Jeffroy, professeur de lettres. Elle a alors imaginé une trame romanesque très plausible et qui ne pèse en rien sur l’objet de ce livre : la création artistique. Les personnages principaux sont des femmes, la narratrice, la petite Marguerite et surtout, surtout l’incroyable Camille Claudel qui toute sa vie a dû lutter pour faire reconnaître son talent jusqu’à en perdre la raison. Rodin est toujours lui-même;un vrai goujat, « un ogre » dit Debussy, mais il est aussi un homme de son époque et un très grand sculpteur. On se promène agréablement avec la narratrice, la petite Marguerite et Camille dans la campagne autour du château et on suit avec un grand intérêt la passion avec laquelle l’artiste crée cette oeuvre qui a su toucher un si grand public. Un moment de création donc, mais pas d’apaisement pour Camille. Je ne peux pas m’empêcher de penser à la fin de sa vie, internée en 1913, elle mourra pratiquement de faim en 1943 à l’asile de Montfavet dans le Vaucluse.

Camille 20 ans Camille en 1929 dans son asile

Un roman que je recommande chaudement à qui il manque, cependant,un petit quelque chose dans l’intensité romanesque pour atteindre les 5 coquillages.

Citations

La description du château

L’édifice renaissance était posé entre deux bras de l’Indre. Pour le rejoindre il fallait traverser l’un de ses bras en empruntant un pont de bois qui était suffisamment large pour laisser passer fiacres et attelages. Bâti sur trois étages et d’un plan rectangulaire, la demeure élevait au sud deux tours imposantes et se couronnait d’un chemin de ronde sur mâchicoulis. Elle était une modeste mais charmante réplique du château d’Azay-le-Rideau, lequel je le découvrirai, était également posé sur une île à trois kilomètres en amont.

Trait des tourangeaux

Ils devinrent aimables, sans excès, maintenant cette distance aristocratique commune à tous les Tourangeaux, quelle que soit leur condition, qui vient de cette conviction que la terre natale leur tient lieu de titre.

Portrait de Camille Claudel

 le lendemain, on aperçut enfin mademoiselle Camille. Elle s’installa sur un banc près de l’Indre et elle se mit à dessiner. Elle coinçait ses différents crayons dans son épaisse chevelure qui se ramassait sur sa nuque et elle posait son carnet sur ses jambes. Souvent, elle relevait très haut la tête et demeurait contemplative un long moment. Alors un timide sourire éclairait son visage, l’écrin qui l’enveloppait semblait la consoler d’un chagrin latent

Les rapports de Camille Claudel et de Rodin

Mademoiselle Camille hurlait sa jalousie et le grand homme s’évertuait à justifier ses infidélités. Il y avait des coucheries sans conséquence -les modèles de l’atelier qui s’offraient au désir insatiable du maître- et puis la compagne de toujours, celle des premiers jours, l’impossible à déloger, la servante dévouée, cachée, déjà vieillissante, la gardienne de l’ œuvre, la mère de leur enfant. 

-Tu avais promis ! répétait mademoiselle Camille comme une ritournelle obsessionnelle, et sa voix n’était plus qu’une plainte douloureuse, le cri déchirant de la bête blessée, le cri de révolte de l’agonisant qui s’accroche à la vie. Si elles ne m’étaient pas si utiles, je te tuerai de mes mains Rodin ! .Je te tuerai, je le jure et tes putains et ta vieille pourront t’attendre !


Conseil de Debussy

 De grâce, Camille, soyez raisonnable et laissez votre barbu là où il est. Loin du bûcheron les arbres poussent jusqu’à toucher le ciel. Loin des mondanités parisiennes, l’air est bien pur, croyez-moi. Ces soirées où il faut se vendre, « chichiter »… j’en ai comme vous une profonde aversion. Il me semble qu’on y étouffe comme à l’écoute d’une mauvaise symphonie.

Description du travail de la sculptrice

Son regard était absorbé, comme habité par la figure à laquelle elle voulait à tout prix donner corps, elle malaxait un nouveau bloc de terre, placé sur une selle à la hauteur de ses yeux, de ses gestes à la fois amples et précis. Elle palpait avec frénésie cette matière nouvelle, la tassait, la triturait, l’étirait longuement avant de la façonner. Elle semblait vouloir prolonger la joie tactile des premières caresses, elle était avec sa terre comme une mère réanimant son petit frigorifié. Les narines palpitantes, elle la reniflait comme on renifle une peau aimée, l’odeur de lait du nourrisson, puis elle s’éloignait, étourdie, elle ouvrait grand la fenêtre et respirait l’air pur le visage tourné vers les arbres.
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Édition Gallimard NRF (du monde entier)

Traduit de l’italien par Danièle Valin

 

Quand j’ai chroniqué « le poids du Papillon » Dominique m’avait conseillé de lire ce roman. Comme elle, j’ai parfois des lectures moins enthousiastes de cet auteur par exemple « le jour avant le bonheur » et même « le tort du soldat » m’avaient moins convaincue que ces deux derniers romans. Encore un coup de cœur pour celui-ci. Un des sujets du roman c’est le travail du « passeur » artisan (il refuserait le titre d’artiste) qui doit « exposer la nature » du christ c’est à dire son sexe. Oui, j’ai appris grâce à ce roman que les crucifiés étaient nus sur leur croix. Il existe de rares statues du christ nu.

 

Un sculpteur décide au début du XX° siècle de faire une sculpture du crucifié nu, mais l’église a imposé que l’on cache le sexe sous un pagne de pierre. Notre personnage principal est donc chargé d’enlever le rajout et sculpter le sexe du christ.

Le personnage, – voilà l’autre thème du roman- est un habitant des montagnes mais il doit trouver refuge dans une petite ville de bord de mer car il est devenu bien malgré lui trop célèbre dans son village. Habitant des régions frontalières, il est devenu « passeur », pour « des gens » qui veulent continuer leur périple en Europe. Ces immigrés sont, comme il nous le dit, les nouveaux nomades de notre époque. Il s’acquitte avec succès de cette tâche, en acceptant le prix fixé par deux passeurs du village mais lui rend aux immigrés leur argent dès la frontière passée. Cela se sait et tous les médias s’intéressent à lui. Ses anciens amis se sentent trahis et ne veulent plus de lui dans le village. Il part donc et trouvera ce travail dans une église du bord de mer. C’est pour lui, et pour nous, l’occasion de se confronter au travail du sculpteur sur marbre et de réfléchir au sens des trois grandes religions monothéistes. Tout le livre très court -cet auteur écrit souvent de moins de deux cent pages- est plein d’une sagesse, d’humour et de réflexions qui font sourire parfois, nous troublent souvent. J’ai aimé ce roman , j’espère me souvenir de quelques une des citations que j’ai notées -celle sur Charlot a fait éclater de rire mes amis-. À mon tour de vous en recommander chaudement la lecture.

 

Citations

J’adore ….

Je grave des noms pour les amoureux endurcis qui les préfèrent sur des branches et des cailloux plutôt que sur des tatouages. Ils durent plus longtemps sans pâlir. 

Les frontières dans les montagnes

Ils sont cocasses ces États qui mettent des frontières sur les montagnes, ils les prennent pour des barrières. Ils se trompent, les montagnes sont un réseau dense de communication entre les versants, offrant des variantes de passage selon les saisons et les conditions physiques des voyageurs.

Le personnage principal doit sculpter le sexe du Christ qui a été enlevé et caché par un linge en granit

Il m’apprend que je suis le dernier d’une longue liste d’artistes, confirmés ou non, qui ont été consultés. L’un d’eux a dit que l’enlèvement traumatique de la couverture suffirait déjà à représenter la nudité et son histoire censurée. Ceux qui ont accepté d’essayer ont proposé des solutions bizarre. À la place de la partie détachées, quelqu’un a imaginé un oiseau, plus précisément un coucou, parce qu’il met ses œufs dans le nid des autres. Un deuxième à penser à une fleur. Un jeune artiste a eu l’idée d’un robinet.

Le vin

Le curé continue à m’écouter tout en prenant une bouteille de vin et deux verres. Il remplit le mien à ras bord. C’est l’usage chez les ouvriers. Si on offre du vin, on remplit le verre. Ce sont les riches qui en verse peu. Eux, ils ne boivent pas ils sirotent. Si on en offre à un ouvrier, on en verse jusqu’à ce que le verre déborde.

Vous la portez à droite ou à gauche ?

Il est curieux de connaître celui qui a finalement été chargé de restaurer la gêne. Son père qui était tailleur, l’appelait ainsi quand il prenait les mesures pour un pantalon. Il demandait au client de quel côté, droit ou gauche, il portait la gêne. 

Traverser la place de la gare à Naples

J’observe ce que font les passants pour atteindre la rive opposée du trottoir. Le courant d’automobiles est continu.
Ils font comme ça, ils descendent du bord tandis que le flux s’écoule indifférent à eux. Ils l Ils avancent dans le gué , frôlés et contournés par les voitures comme des rochers qui affleurent. Ils avancent rapidement jusqu’à la berge d’en face. Il ne faut pas croire que la mer Rouge s’ouvre en deux pour eux, mais c’est une mer rouge locale, élastique, qui coule en évitant le peuple en marche. Elle l’incorpore et le repose indemne de l’autre côté. Je regarde sans bouger. Je prends des notes visuelles étonné sur la dynamique du lieu, sans me décider à tenter l’expérience. Il est impératif de ne pas hésiter une fois dans le courant. La mer Rouge s’adapte à l’intrus si son pas est décidé, mais devient coléreuse et impétueuse s’il hésite ou change d’avis.

Charlot

Charlie Chaplin a participé au concours des imitateurs de Charlot et il est arrivé troisième. 

Le prix et la langue des passeurs

Les voyageurs paient comptant, forcé de faire confiance. On utilise un anglais de dix mots, le jargon des déplacements.

Destins d hommes

J’écoute les histoires de destins bizarres, des façons nouvelles de mourir : dans une soute asphyxié par les gaz du moteur, gelé dans le compartiment du train d’atterrissage d’un avion, étouffé dans un camion garé l’été en plein soleil.

Cruauté des hommes

Nous parlons de tout le mal que l’espèce humaine a inventé pour elle-même. Aucun animal ne se rapproche de notre pire. Aucune autre créature vivante n’a imaginé le supplice de l’emballement. L’habileté du bourreau consistait à prolonger l’agonie.

Nous cessons de manger pendant un moment, nous nous regardons, nous baissons les yeux. Il y a peu de temps encore, nous aurions assisté à ces exécution dans la rue sans détourner le regard. Décidé par les autorités : cela suffit à leur donner force de loi.

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman magique, soutenu par une écriture entre poésie et fantaisie, on se laisse bercer par la déambulation des chats à travers le quartier de Montmartre et on suit la personnalité de cette superbe africaine Masseïda et du peintre Théophile Alexandre Steinlen. Dont tout le monde connaît, au moins, les affiches.

mais peut être, moins ses lithographies sur le peuple de Paris

 

Époque terrible, où la pauvreté pouvait conduire à la misère et à la mort. Mais une époque, aussi, où le bouillonnement de vie permettait à toute une faune de vivre surtout à Montmartre qui est alors une zone entre ville et campagne. Le lecteur reconnaît au passage des figures célèbres et des lieux qui maintenant sont tellement policés : on ne s’encanaille plus à Montmartre et on ne cultive plus beaucoup non plus, c’est devenu un haut lieu touristique et Masseïda se sentirait moins seule, les couleurs de peaux se mélangent certainement plus qu’à cette époque, et la misère est plus cachée et plus éloignée de la butte. Cet auteur a réussi son pari : faire revivre un lieu et une époque à travers les œuvres des artiste du temps. Une petite déception : les derniers chapitres, le roman ne se termine pas ; mais cela ne m’empêche pas d’être un très beau roman dont le style m’a enchantée.

Citations

Joli début

La Butte en ce temps là, paraissait une montagne. La poésie et la tuberculose y régnaient à parts égales.

Une soirée, au Lapin Agile

C’est Anatole Deibler, le bourreau de Paris, que la complainte de Masseïda avait replongé dans les affres du deuil. Lorsque les pupilles du bourreau balayèrent la salle et accrochèrent le regard du maquereau, ce dernier, instinctivement, se gratta la nuque. Près de l’âtre deux filles outrageusement maquillées, attifées de rubans et de bijoux en toc, se tenaient par l’épaule, un verre de cidre à la main, et lui adressaient des œillades de connivence.

Le public du lapin agile on reconnaît Apollinaire et Picasso

Un préfet mélomane, un poète au coup de buffle, un peintre aux prunelles félines, un anarchiste violoneux, un maquereau patibulaire et deux catins en goguette, tel était le public de choix que Masseïda avait conquis le temps d’une chanson.

La peinture

Les plus beaux nus sont désespérés.
Qui déjà, disait ce genre de chose… Forcément un peintre, quelqu’un qui avait souffert mille morts devant le chevalet.
Lui apparut alors une figure aux traits disgracieux, qui semblait lui adresser un sourire goguenard, par-delà le temps. Toulouse. Ce vilain nabot de Lautrec. Son meilleur ami. L’artiste qu’il avait le plus admiré et auprès duquel il avait le plus appris. C’était bien Lautrec qui avait dit, avec son accent impayable des bords de la Garonne, le désespoir qu’il fallait entretenir en soi pour peindre la chair nue. Il savait de quoi il causait, le bougre, lui qui passait des sanglots aux éclats de rire, le temps d’un vermouth :
 les plus beaux nus sont désespérés.

 

 

Traduit du galicien par Ramon Chao et Serge Mestre. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Pour commencer une réflexion à méditer :

Les vraies frontière, ce sont celles qui parquent les pauvres loin du gâteau.

Un roman des années 2000 dont je ne connaissais pas du tout l’auteur. Manuel Rivas écrit en galicien, est traduit parfois en breton, solidarité des langues celtiques, se traduit lui-même en castillan et, est, plus rarement, traduit en français. Original, non ?

Ce roman raconte la guerre civile espagnole, cette guerre qui a laissé tant de traces et qui s’estompe dans les mémoires car les combattants des deux côtés disparaissent. Mes premières lectures « engagés » parlaient de cette guerre et un de mes chanteurs préférés étaient Paco Ibanez, cette chanson résume bien l’esprit de ce roman.

En effet « Le crayon du charpentier », choisit une façon délicate et poétique de raconter l’horreur et la brutalité et ça fonctionne très bien. Un garde civil, Herbal, assassine un peintre dans sa cellule, celui-ci lui donne son crayon de charpentier, à partir de là cet homme va vivre avec une voix intérieure qui lui intime l’ordre de sauver le docteur Da Barca et de lui permettre de vivre une superbe histoire d’amour avec la belle Marisa Mallo. Grâce à cette histoire, nous allons rencontrer des hommes étonnants qui auraient pu dessiner une toute autre histoire à l’Espagne si seulement ils ne s’étaient pas détestés entre eux, et puis au milieu des plus grandes ordures au service du régime franquiste, cette superbe figure de la mère Izarne qui dirigeait le sanatorium réservé aux prisonniers tuberculeux. Tout le roman se situe entre réalité et le rêve, un peu à l’image de toute vie surtout quand la réalité se fracasse sur une dictature implacable et qui refuse à tout rêve de se réaliser. En suivant le cheminement d’Herbal, l’auteur veut donner une chance au pire des tueurs à la solde de Franco de prendre conscience de ce qu’il a fait et de se racheter.

L’art , la peinture, la poésie prendront une grande part aux déchirements intimes de ce garde civil qui réussira à sauver ce merveilleux docteur Da Barca qui a passé sa vie à faire le bien autour de lui, même si ce garde civil franquiste convaincu n’a pas pu sauver le peintre qui vient lui rendre visite si régulièrement depuis qu’il l’a certes assassiné mais pour lui éviter une mort sous la torture par ses amis plus franquistes ou tout simplement plus cruels que lui. Aujourd’hui, il termine sa vie dans un bordel, mais n’a pas perdu sa conscience (le crayon du charpentier), son message d’espoir, il le transmet à une jeune prostituée qui trouvera, peut-être, elle aussi sa voix intérieure qui la conduira vers un avenir où la beauté permet de combattre la laideur.

Citations

L’humour d’un mourant

Comment vous sentez-vous ? demanda Souza.. Il fallait bien trouver quelque chose pour commencer.

Comme vous le voyez, dit le docteur en écartant les bras, l’air jovial, je suis en train de mourir. Vous êtes sûr que c’est bien intéressant de m’interviewer ?

Un passage assez long qui fait comprendre ce que voit un peintre et le dur métier de lavandière

Regarde, les lavandières sont en train de peindre la montagne, lança soudain le défunt. En effet, les lavandière étendaient leur linge au soleil, entre les rochers, sur les buissons qui entouraient Le phare. Leur baluchon ressemblaient au ventre de chiffon d’un magicien. Elles en tiraient d’innombrables pièce de couleur qui repeignaient différemment la montagne. Les mains roses et boudinées suivaient les injonctions que lançaient les yeux du garde civile guidés à leur tour par le peintre : les lavandières ont les mains roses parce qu’à force de frotter et de frotter sur la pierre du lavoir, le temps qui passe se détache de leur peau. Leurs mains redeviennent leurs mains d’enfants, juste avant qu’elle ne soit lavandières. Leurs bras, ajouta le peintre, sont le manche du pinceau. Ils ont la couleur du bois des aulnes car eux aussi ont grandi au bord de la rivière. Lorsqu’ils sortent le linge mouillé, les bras des lavandières deviennent aussi dur que les racines plantées dans la berge. La montagne ressemble à une toile. Regarde bien. Elles peignent sur les ronces et les genêts. Les épines sont les plus efficaces pinces à linge des lavandières. Et vas-y. La longue touche de pinceau d’un draps tout blanc. Et encore deux touches de chaussettes rouges. La trace légère et tremblante d’une pièce de lingerie. Chaque bout de tissu étendu au soleil raconte une histoire.
 Les mains des lavandières n’ont presque pas d’ongle. Cela aussi raconte une histoire, une histoire comme pourrait en raconter également, s’il nous disposions d’une radiographie, les cervicales de leur colonne vertébrale, déformées par le poids des baluchon de linge qu’elles transportent sur la tête depuis de nombreuses années. Les lavandières n’ont presque pas d’ongles . Elles racontent que leurs ongles ont été emportés par le souffle des salamandres. Mais, bien entendu, venant d’elles, ce n’est qu’une explication magique. Les ongles ont été tout simplement rongé par la soude.

J’aime bien ces images et ce portrait

Il faut dire que la vieillesse guettait tout particulièrement ce patelin. Tout à coup, elle montrait ses dents au détour du chemin et endeuillait les femmes au beau milieu d’un champ de brouillard, elle transformait les voix après une seule gorgée d’eau de vie et ne mettait pas plus d’un hiver à rider complètement la peau de quelqu’un. Cependant la vieillesse n’avait pas réussi à pénétrer à l’intérieur de Nan. Elle s’était contentée de lui tomber dessus, de le recouvrir de cheveux blancs et d’une toison blanche et frisée sur sa poitrine. Ses bras étaient enveloppés d’une mousse blanche semblable à celle des branches du pommier, mais sa peau était restée comme le cœur des sapins qui poussent dans cette région. Sa bonne humeur soulignait ses dents brillantes, et puis il avait toujours cette fameuse crête rouge sur l’oreille. Son crayon de charpentier.

Traduit de l’italien par Elise GRUAU. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Roman qui se lit agréablement mais je pense que je l’oublierai assez vite. Il raconte cependant un point de vue intéressant, une jeune femme, fille d’un artiste reconnu et célèbre, part avec celui qui n’a pas su être un père dans un voyage à travers l’Italie alpine . On sent tout de suite que c’est leur dernière chance de se comprendre : tant de choses les ont séparés. Elle est la fille d’un couple qui n’a pas su s’aimer et d’un père célèbre trop souvent absent. Elle est la femme d’un mari qui ne la fait plus rêver et la mère d’une petite fille qu’elle aime de toutes ses forces. Il faudra du temps pour que ce père mutique et fuyant arrive à lui faire comprendre qui il est : au-delà de l’artiste célèbre et consacré se cache un enfant blessé et un homme meurtri. Acceptera-t-elle de quitter sa position de victime (qu’elle est) pour lui tendre la main ? Ce qui est certain c’est qu’elle ne sortira pas indemne de ce voyage vers une Italie des origines où se mêlent aux drames d’une enfance tragique des forces mystérieuses et magiques.

Pour que cette histoire soit plausible, c’est à dire pour comprendre pourquoi le père et la fille se connaissent si peu, il faut que les secrets qui les séparent soient à la fois énormes et crédibles. Sinon ils se résument en une phrase trop banale et quelque peu sordide. Son père a épousé sa mère par intérêt mais était amoureux d’une autre femme. Je ne trahis en rien le roman car tout le travail de l’écrivain c’est d’habiller cette triste réalité par des sentiments très forts, des pouvoirs magiques venant de femmes puissantes, des mystères de la création artistique. Malgré cela, je ne peux pas dire que j’ai été très convaincue par ce roman qui m’a semblé tellement » italien », dans la description du sentiment amoureux.

Citations

Personnalité masculine

Et puis que veux-tu que je te dises Viola ? Que je suis un ingrat ?
Il avait tout à coup pris ce visage que je détestais, celui qui disait : « Saute moi dessus si tu penses que cela peut te faire du bien, ou pardonne-moi. Mais ensuite, oublie et mets un point final. Tu n’arriveras pas à me faire changer, de même que personne n’a jamais réussi à le faire. »

L’artiste et les femmes

Oliviero place dans toutes ses sculptures quelque chose qui m’appartient et qu’il me dérobe en permanence, continua-t-elle, en s’efforçant de masquer ces mots avec la stupeur d’une flatterie. Il finira par m’avoir tout prix, ajouta-t-elle en souriant.
 Ma mère ne perdit pas de temps, et à la première occasion elle raconta à mon père ce qui lui avait été confié. Et si Oliviero pouvait supporter la jalousie de Pauline, il était en revanche trop jaloux de son art pour accepter qu’elle s’en serve pour se vanter face à une inconnue.
– Comment as-tu pu dire à cette femme une chose pareille, tellement à nous ?
– Tu as fait bien pire : pour elle, tu détruis la seule chose qui soit vraiment à nous. L’amour.