Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard, il a obtenu un coup de cœur.

Je savais, grâce au billet d‘Aifelle , que je lirai ce livre, depuis j’ai lu « Anna ou une histoire française » et je ne peux encore une fois que me féliciter de ce conseil de lecture. Même si, ce n’est pas une lecture très facile, surtout la partie sur l’angoisse d’Abraham, j’ai été très touchée par ce récit. Comme Aifelle je vous conseille d’écouter son interview car elle raconte si bien tout ce qui l’habite. Alors pourquoi Abraham est-il angoissé, je n’ai pas trouvé la réponse, mais en revanche Rosie Pinhas-Delpuech a raison, si on ne connaît pas la cause on connaît bien l’heure à laquelle l’angoisse nous saisit : c’est l’heure où le soleil, même s’il illumine une dernière fois de mille feux le ciel, va se coucher et où la lumière va faire place à l’obscurité.

C’est l’heure où les enfants pleurent sans pouvoir être facilement consolés, c’est l’heure où le malade a peur de la nuit qui s’installe, c’est l’heure où le marin voudrait être au port.

Cette auteure nous entraîne dans un voyage, celui de son exil et celui de l’exil de sa langue. Ses passages sur le français des étrangers sont d’une justesse incroyable . Elle nous fait connaître aussi Israël autrement et c’est si rare aujourd’hui entendre parler positivement et simplement de ces gens qui habitent sur cette terre tellement convoitée. Elle nous raconte aussi la France des années 70 et les quelques pages sur Nanterre sont intéressantes, elle y mêle la toute nouvelle université : quelques bâtiments très laids sortis d’une friche assez triste, contrastant avec l’exigence intellectuelle des professeurs et les débats sans fin avec son amie, le murs qui cache un bidonville où des émigrés moins chanceux qu’elle s’entassent. Elle n’oublie jamais que sa condition d’étrangère peut se rappeler à elle brutalement. Et qu’elle peut se retrouver sur l’île de la Cité à faire la queue parmi les désespérés du monde pour renouveler ses titres de séjour. Finalement sa vraie patrie sera ses langues et surtout la traduction, c’est à dire encore un voyage celui qui lui permet de passer de l’hébreu au français et du français à l’hébreu. Elle n’en n’oublie pas pour autant le turc qui reste sa langue maternelle.

 

Citations

L’exil

Ils(les Russes blancs) ravivaient auprès de ces derniers, et surtout des Juifs, la mémoire des guerres, des horreurs qui les accompagnent, du déclassement qu’entraîne tout déplacement forcé, de l’exil d’un peuple qui avait la nostalgie de sa terre, de sa langue et d’une chose tout à fait indéfinissable que Dostoïevski- qui écrit « L’idiot » au cours d’un long exil à l’étranger- « le besoin d’une vie qui les transcende, le besoin d’un rivage solide,d’une patrie en laquelle ils ont cessé de croire parce qu’ils ne l’ont jamais connue ».

L’aéroport de Lod

Mon souvenir de l’aéroport de Lydda-Lod en 1966 recoupe certaines photos des « Récits d’Ellis Island » de Georges Perec et Robert Bober. Les mêmes bagages bourrés et, ficelés, inélégants, les mêmes visages un peu figés par l’attente , l’angoisse, l’excès d’émotion. En 1966, l’aéroport de Lod est un lieu unique au monde où des retrouvailles sont encore possibles entre morceaux de puzzles dispersés sur la surface de la terre ou manquants.

 

les Juifs, la terre et la nation

Détaché de la terre par des siècles d’errance, interdit d’en posséder, de la travailler, le Juif est historiquement une créature urbaine. Parmi les notions élémentaires qui me faisaient défaut par tradition et culture profonde, la terre, la patrie, le drapeau, n’étaient pas les moindres. Toujours hôtes d’un pays étranger, d’abord de l’Espagne puis de l’empire ottoman, la terre était pour nous une notion abstraite, hostile, excluante. Nous étions des locataires avec des biens mobiliers, transportables : ceux qui se logeaient dans le cerveau et éventuellement dans quelques valises. La terre appartenait aux autochtones, ils avaient construit une nation, puis planté un drapeau, et nous étions les hôtes, désirables ou indésirables selon les jours.

Le style que j’aime, cette image me parle

C’est exactement ainsi que m’est apparu Hirshka, (…) comme s’il draguait dans un filet de pêche une histoire qu’il avait traînée à son insu jusqu’aux rives de la Méditerranée.

La langue des » étrangers »

Quand on est en pays étranger, même si on en comprend la langue, on ne se comprend pas . Parfois, on n’entend pas les paroles qui sont dites. L’entendement est obstrué. On est frappé de surdité auditive et mentale. La peur qu’éprouve l’étranger et, le rejet qu’il subit, le rendent déficient. Il se fait répéter les choses, de crainte de ne pas comprendre.

Entre le jargon dissertation de la philosophie , le caquètement des commères de la rue, l’argot de l’ouvrier, celui de l’étudiant, il ne restait pas le moindre interstice pour le parler respectueux de ceux qui, depuis deux siècles, avaient élu domicile dans le français de l’étranger.

Comme Aifelle je vous conseille d’écouter cette femme

 

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Je n’ai pas de mots assez forts pour te dire merci Dominique. 

5
J’ai adoré ce livre, c’est drôle, insolent, rempli de trouvailles qui m’ont enchantée. J’avais lu dans les commentaires d’une de tes lectrices que Michel Volkovitch était beaucoup plus intéressant. Encore une fois, la comparaison m’exaspère : ce sont deux auteurs totalement différents réunis par l’amour des langues, je comprends qu’on les associe, mais pas qu’on cherche à les évaluer l’un par rapport à l’autre. Cependant, je n’en veux pas trop à l’auteure de ce commentaire puisqu’elle m’a permis de découvrir Michel Volkovitch.

Il est rare qu’un livre me fasse éclater de rire mais j’ai pouffé plusieurs fois. J’espère que comme moi, vous serez sensible aux charmes et au dangers de la langue Najavo :

En navajo qui n’a jamais chipé un seul verbe à aucune langue étrangère, le refus de principe de l’emprunt aboutit à des résultats certes décoratifs, mais discutables du point de vue de l’efficacité communicationnelle : ainsi « tank » se dit chidinaa’na’ibee’eldoohtsohbikàà’dahnaazniligii, littéralement « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus. Il est probable que dans la pratique, les Navajos recourent à l’anglais pour le genre de conversations où l’on a à mentionner un tank – c’est une bête question de sélection naturelle : le temps de s’écrier « gare le tank arrive » , l’obstiné navajophone est déjà réduit à l’état de crêpe Suzette, dans l’indifférence de ses compagnons d’armes plongés dans leur dictionnaire.

J’ai retrouvé en le lisant l’ambiance iconoclaste des séminaires de linguistique générale de mon université. Enfin, quelqu’un qui explique le plaisir de la langue, bien loin des stériles discussions sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire, qui font tellement plaisir au tout petit monde des gens « comme il faut », qui pensent qu’être bon en grammaire française c’est savoir dire « déjeuner » ou « dîner » et non pas le si vulgaire « manger ». Tout à coup le monde entier est là dans toutes sa diversité, on ne peut plus se hausser du col avec notre si belle langue française, si difficile à apprendre que le monde entier nous envie. D’ailleurs, allez-y, essayez donc de gagner la chaussette mise en jeu au concours de la langue la plus difficile à prononcer :

 Voici comment on dit « J’ai vu un animal de ce type » en kalam, une langue papoue de Nouvelle-Guinée orientale : Knm nb ngnk. Toute personne capable de prononcer cette phrase gagnera une chaussette d’archiduchesse séchée sur une souche sèche.

Il existe donc, des langues tellement plus redoutables à apprendre que le français, à commencer par le basque si proche et si loin de nous, l’esprit humain est également réparti dans le monde entier, divers et si riche que j’en suis restée baba.

De l’esprit, Jean-Pierre Minaudier n’en manque pas mais je ne crois pas que cela me conduise à lire toutes les belles grammaires dont il nous a parlé. Et il est vrai que pour ceux qui ne se posent aucune question sur la langue, ce livre aura quelques passages difficiles, au milieu de moments vraiment joyeux accessibles pour tout le monde grammairien ou non.

Citations

Règlement de compte du linguiste amoureux des langues existantes

Je trouve l’espéranto hideux et grotesque avec son look de patois latin dégénéré, une langue prétendument mondiale moins parlée que le lituanien ou le danois après plus d’un siècle d’existence me semble avoir complètement er sans doute définitivement manqué son objectif.

Les Français du XVIIe ont simplifié certains noms indiens, on peut les comprendre !

Chief Joseph était tout simplement Hinmahtooyahlatkekht en nez -percé. 

Les genres, réflexion d’un Estonien qui n’a pas de genre dans sa langue

Pourquoi diable « un laideron » est-il toujours une femme, et une sentinelle presque toujours un homme.

Difficulté du travail de l’ethno-linguiste

 Frauke Sachse partie étudier le xinka, une langue moribonde du Guatemala, s’est heurtée à une mauvaise volonté générale doublée d’un mercantilisme déchaîné : l’un de ses informateurs potentiels prétendait lui soutirer 10 $ par mot ! Parmi la poignée de derniers locuteurs, certains ont refusé de travailler ensemble, c’est à dire de se parler, suite à des conflits : la zone sortait d’une guerre civile

 Enfin, grâce à ce livre, j’ai trouvé ma langue idéale (il faut dire que je suis un peu fâchée avec la droite et la gauche !)

 L’étude des grammaires nous apprend encore que les concepts de droite et gauche, qui sont relatifs (on est toujours à droite ou à gauche de quelque chose et n’ont rien d’universel : certaines langues possèdent des systèmes d’orientation absolus , comme le taba, langue austronésienne parlée au large d’Almahera, en Indonésie, où l’on distingue « le côté mer » et le « côté de la terre » (les locuteurs du taba habitent les côtes d’une île , laquelle est ronde -il ne s’agit donc pas de points cardinaux). On ne dit pas « Les cigarettes sont à gauche (ou à droite) de la chaise  » mais Tabako adia kurusi ni lewe lema, « les cigarettes sont du côté de la terre par rapport à chaise ; ou Tabako adiia kurusi ni laema pope, « les cigarettes sont du côté de la mer par rapport à la chaise : chacune de ces deux phrases veut dire « à droite  » ou » à gauche » selon la position du locuteur.

 

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Photo prise sur son site que je vous recommande même s’il est très fouilli http://www.volkovitch.com/

5
Après avoir lu les blabla de Michel Volkovitch, plus jamais vous n’oublierez de mettre le nom du traducteur quand vous présenterez un livre étranger. Je suis arrivée vers ce livre grâce à un commentaire après le billet de Dominique à propos du livre « Poésie du Gérondif » de Jean-Pierre Minaudier , un des commentaires disait que dans le genre , les livres de Michel Volkovitch était bien meilleur. Comme je possède la liseuse Kindle, j’ai pu pour une somme modique acheter cet ouvrage et le moins que je puisse dire c’est que je me suis régalée. Toutes les réflexions à propos de son métier sont passionnantes. Traduire, c’est à la fois se mettre au service d’une œuvre , se l’approprier et la retranscrire dans une autre langue.

Commençons par son auto portrait

« Pour le traducteur disons plutôt : sans humilité on ne va nulle part. Sans orgueil on ne va pas loin. Certains écrivains ne sont présents qu’à eux mêmes . Le traducteur un écrivain qui écoute. Peut-on bien traduire sans être généreux ? »

Je n’avais jamais pensé à quel point le rythme et les sonorités pouvaient avoir une telle importance. Bien sûr Michel Volkovitch traduit souvent de la poésie, mais cela est vrai aussi pour la prose, il en donne des exemples très parlants. Son livre est rempli de détails amusants . Comment par exemple utiliser l’image d’une femme mante religieuse en portugais , quand on sait que dans cette langue l’animal est surtout symbole de fragilité et de l’éphémère ?

J ai beaucoup aimé, également la façon dont il se moque des débats des universitaires à propos des différentes théories de la traduction. J ‘y ai retrouvé tous les travers que je connais trop bien des enseignants intolérants et enragés dès qu’il s’agit de prétentions intellectuelles. Comme lui, j’ai souvent pensé que : « S’il n’est pas un peu théoricien le praticien n’ira pas loin. Mais s’il n’est pas un un peu praticien , le théoricien n’ira nulle part. »

Hélas ! ces théoriciens remplissent les discussions entre universitaires français. La langue qui lui semble le plus difficile à traduire c’est l’anglais. Le français semblent souvent fade et plat à côté des formules rapides et incisives anglaises. Il dit que « sur le plan de la nervosité et du swing, l’anglais est la reine des langues et le français traîne derrière en s’essoufflant. »

A propos des différentes versions et de la censure voici le genre de détails qui me font éclater de rire

« La véritable apologie de Socrate de Costas Varnalis, dans une version anglaise de 1955 le grec dit « Ils s’enivrent et se roulent dans leur vomi ». L ‘anglais :« ..ils se roulent dans la boue ». Le grec : « ils se curent le nez et collent la morve sous leur siège ». L’anglais : « Ils se raclent la gorge ».