Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères. 

 


Édition Albin Michel, 395 pages, avril 2024

 

J’écoute très régulièrement les podcasts de Phillipe Collin, et je vous conseille ceux sur Céline, et Léon Blum en particulier mais ils sont tous intéressants. Je savais que je lirai son roman, et j’ai bien aimé mais sans retrouver le plaisir d’écoute des podcasts.

L’auteur a été très intéressé par le barman du Ritz, qui est d’origine juive et qui l’ a caché pendant toute la guerre alors qu’il servait tous les jours les plus hauts gradés de la Wehrmacht. Le roman a trois centres d’intérêt : le Ritz, ses clients et le parcours de Franck Meier le barman.

Le Ritz, cet hôtel de luxe appartient à l’époque de la guerre à Madame Ritz, une femme peu sympathique qui veut avant tout que les clients prestigieux soient bien servis, peu importe la couleur de leur uniforme. Il est dirigé par Monsieur Auzello qui est l’époux de Blanche une très belle femme américaine juive. Je ne sais pas si le fait est exact, mais le barman l’aurait aidée à avoir des papiers lui créant une nouvelle identité chrétienne américaine. L’important dans cet hôtel, c’est le luxe, le luxe des plats, des boissons, des meubles le tout servi par un personnel de grande classe.

Les clients, nous sommes donc avec les gradés de la Wehrmacht certains ont une certaine classe, d’autres sont de véritables porcs comme Goering qui passe son temps à se droguer et à piller les trésors culturels français. Je ne sais pas non plus si c’est exact, c’est au Ritz qu’aurait été fomenté le dernier attentat contre Hitler. Le roman se termine sur le retour d’un client qui avait fait la réputation du Ritz : Hemingway .

Franck Meier, c’est bien lui le personnage principal , sa naissance aurait dû lui couter la vie : son père est un rescapé de pogroms qui est venu vivre à Vienne, il a rejeté la religion juive et n’a pas voulu circoncire son fils. Pour fuir la misère, Franck part aux États-Unis et se forme à la fabrication de cocktails, il est attiré en France dans les années 1900 et commence au Ritz fréquenté alors par des écrivains américains, Fitzgerald, Hemingway. Quand la guerre 14/18 éclate, Franck s’engage dans la légion étrangère , il deviendra français et sa carrière continue. Il ne dira à personne qu’il est d’origine juive mais certainemant cela l’empêchera d’adhérer à l’idéologie nazie, l’écrivain nous le fait connaître grâce aux extraits de son journal, on apprend sa vie personnelle. Il est très sensible à la beauté de Blanche Auzello qui ne se remettra jamais des tortures qu’elle a subies dans les caves de la Gestapo . On découvre aussi son mariage et l’existence de son fils auquel il semble moins attaché qu’à un jeune juif d’origine italienne qu’il a aidé à fuir.

 

L’ambiance est très bien rendue, à la fois les années de luxe de la collaboration et les personnages qui s’affichent sans aucune vergogne au bar avec les Allemands , Coco Chanel, Arletty, Sacha Guitry, Jean Cocteau, tous ces gens profitent aussi d’une nourriture abondante et de l’alcool qui coule à flot. Pendant ce temps là les juifs sont raflés, pillés et les français ont faim. Et quand la victoire des Américains s’annoncent les rats quittent le navire et les vestes se retournent. J’avoue que ce monde là m’intéresse assez peu et parfois même il me dégoûte cela fait partie de mes réserves .

Ma réserve principale vient du parti-pris de l’auteur de centrer tout son roman sur Franck Meier dont l’auteur ne sait pas grand chose à part qu’il soit d’origine juive , donc on ne sait jamais si c’est vrai ou romancé. Cela n’empêche pas que ce livre se lit très facilement et qu’on passe un bon moment au Ritz dont je ne pourrai jamais m’offrir que la vue de la façade .

 

Extraits

Début du prologue

Demain, les troupes allemandes entreront dans Paris. La France est dissoute comme un morceau de sucre dans un verre d’absinthe.

Début du roman.

 

14 juin 1940
« Me voilà coincé dans le nid des Boches. »
 Six heures et demie du soir, et les Allemands se font toujours attendre.
 Ce matin, ils ont défilé sur l’avenue Foch.
 Désormais ils sont là dans les murs dans l’enceinte du Ritz.
 Tous les palaces parisiens sont réquisitionnés par l’armée allemande afin d’y installer des bureaux ; le Ritz, lui, accueillera une centaine d’officiers supérieurs – la crème de la Wehrmacht – et devient « la résidence du gouverneur militaire en France » : si ce titre ne rappelait pas la cruelle humiliation que vient de subir l’armée française, il serait presque prestigieux.

Exil  : l’ambivalence des sentiments.

 L’équipage a largué les amarres, la sirène du paquebot a retentit. Et j’ai soudain été pris d’une immense tristesse en pensant à ma petite mère, l’exil social se paye d’une tristesse éternelle.

Il est vrai que les gens se révèlent dans des moments tragiques.

Elmiger a le sourire modeste, il se cale dans le siège passager. Franck le regarde à la dérobée en tournant boulevard Pasteur. Le directeur lui fait penser à ces hommes qui sur le front des Ardennes se révélaient à l’épreuve du feu. Au départ, ils étaient frêles, discrets, tourmentés. Souvent instituteurs ou clercs de notaire, ils avaient des larmes pleins les yeux et voulaient rentrer chez eux. La trouille au ventre, le casque trop grand sur la tête. Le genre de sous-officier trouillard que tous les soldats fuyaient, persuadés qu’ils portaient la poisse. Puis, contre toute attente, la prudence de leur tempérament leur a permis de survivre. Au fil de la mitraille, une force morale s’est forgée en eux. Ils se sont redressés, ont rajusté la lanière de leur cervelière, ont domestiqué leur peur. Chaque jour qui passait sous les pluies d’obus, ces hommes qu’on avait jugé trop vite se parvient de ce charisme rare qui rassure les autres, jusqu’à conduire les gars au moment de l’assaut.

 

 


Édition Grasset, 407 pages, janvier 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Dans toute l’Europe, les nazis ont trouvé des auxiliaires zélés pour les aider à se débarrasser des Juifs, des voisins avides de s’approprier leurs biens et leurs entreprises. L’antisémitisme n’était pas une exclusivité allemande ou polonaise. Il était partout

 

J’ai lu plusieurs critiques sur ce roman, qui soulignaient la gêne que certains lecteurs pouvaient éprouver à cause du mélange roman/réalité sur fond des tragédie dues au nazisme. Il est certain que les essais où les témoignages sur cette période ont une valeur incontestable. Je reconnais à ce livre de m’avoir fait connaître, « l’International Tracing Service ». Et j’imagine bien l’intensité des sentiments des différents chercheurs qui manipulent des journées entières des documents qui sont des bribes de souvenirs de ces différents meurtres de masse. Le roman suit une jeune femme qui a d’abord été mariée à un Allemand dont elle a un fils qu’elle adore. Son mariage s’est effondré sur son questionnement du passé de son beau-père officier de la Wehrmacht, qui est outré de l’exposition sur les crimes de cette armée dans les territoires de l’Est. L’auteure a inventé deux histoires, l’une sur un enfant polonais qui a été rapté sur la voie publique pour être adopté en Allemagne. L’autre sur un jeune juif qui a participé à la révolte de Treblinka et qui a ensuite chassé les anciens nazis responsables de la shoah. La fragilité des souvenirs, un papier griffonné rapidement, un mouchoir brodé par des femmes, une poupée de chiffons sur laquelle est brodé un numéro, doivent tellement émouvoir les personnes qui les reçoivent, ils savaient que leurs parents étaient morts à Auschwitz, à Treblinka, à Buchenwald où dans tout autre camp de la mort, mais recevoir un dernier petit signe de ce parent est quelque chose d’inestimable.

Cela permet de découvrir plusieurs aspects, certains connus d’autre moins. J’ai retrouvé l’antisémitisme violent de certains Polonais, la façon dont les anciens nazis ont réussi à se refaire une vie bien tranquille dans certains pays, le rapt d’enfants au physique aryen pour les faire adopter dans de bonnes familles du troisième Reich, la façon dont les organismes internationaux ont eu du mal à donner les informations aux descendants de la shoah , de tout cela il faut évidemment bien se souvenir, et Gaëlle Nohant amène bien tous ses sujets avec une belle sensibilité.

Il reste donc la partie romanesque, c’est vrai que c’est gênant, l’histoire d’amour d’Irène, est même un peu ridicule face à ce que le lecteur vient de lire. Il reste que tout est romanesque, et vient de l’imagination de l’écrivaine qui a découvert cet organisme qui l’a beaucoup marquée, elle veut nous le faire partager. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle sait, qu’ écrire sur un tel sujet assure un succès certain à son roman. Tant mieux pour elle, et après tout, tant mieux pour l’effort de mémoire, mais il faut se souvenir que rien de cela n’est vrai sauf l’organisme International Tracing Service dont le site est ouvert à tous .

 

Extraits

Début.

 Chaque matin elle vient par les bois. À mesure qu’elle traverse l’opacité des arbres et la nuit, Irène sent que la forêt dépose en elle quelque chose d’ancien qui se recrée sans cesse, une poussière de fantômes et d’humus. Elle roule dans le rayon jaune des phares et peu à peu glisse des ténèbres vers la lumière.

C’est si vrai.

 Le dernier coup de feu tiré il faudrait retrouver tous ses gens là, les aider à rentrer chez eux et déterminer le sort de ceux qu’on ne retrouverait pas.
 -Pour celui qui a perdu un être cher, ces réponses là, c’est vital. Sinon la tombe reste ouverte au fond du cœur. Tu comprends ?

Des enfants volés par les nazis.

– Les enfants volés étaient l’enjeu d’une bataille féroce entre les Allemands, le gouvernement militaire américain et les représentants de leur pays d’origine, résume l’historienne. Pour simplifier, les Allemands ne voulaient pas les rendre. Beaucoup de parents d’accueil étaient attachés à ces mômes. Pour d’autres, ils représentaient une main d’œuvre gratuite. Quant aux Américains, ils ne voulaient pas indisposer l’Allemagne fédérale leur nouvelle alliée dans la guerre froide. Et répugnaient à envoyer ces enfants grossir les rangs du bloc de l’est.

L’après guerre.

 – La Pologne a souffert le martyre, objecte Irène Chez vous l’occupation a été d’une violence inouïe. Pour autant, vos Résistants se comptaient par centaines de milliers ! En France, juste après la guerre, on préférait oublier le régime de Vichy et se raconter qu’il n’y avait eu que des Résistants..
 Stefan acquiesce, chaque pays impose un roman national. Le choix de ses héros et de ses victimes est toujours politique. Parce qu’il entretient le déni et étouffe les voix discordantes, ce récit officiel n’aide pas les peuples à affronter leur histoire.


Édition Albin Michel,406 pages, septembre 2022

Traduit de l’anglais par Marina Boraso

 

Quel livre  ! Quelle famille ! Embarquez-vous, avec ce roman, dans une lente déambulation dans le passé, de 1870 à nos jours, pour retrouver non pas « le temps » mais la mémoire d’Edmund de Waal descendant de la famille Ephrussi et céramiste connu. Il a hérité de son oncle une collection de « netsukes ». Ce sont de très petites sculptures venant du Japon qui servaient à bloquer une pochette qu’autrefois le Japonais portait à sa ceinture quand il était habillé de façon traditionnelle. Ce sont de tout petits objets mais souvent merveilleusement sculptés et expressifs. C’est en suivant l’histoire de cette collection qu’Edmund de Waal va raconter l’histoire de sa famille.
Celui qui l’a constituée, Charles Ephrussi, est un très très riche dandy de la fin du XIX ° siècle, collectionneur d’art, il est certainement l’homme qui a inspiré Proust pour construire le personnage de Swann. Dans cette première période, on se croit dans l’oeuvre de Proust qui a effectivement connu Charles Ephrussi. Cette période en France est marquée par un antisémitisme de « bon ton » mais cela n’empêche pas les juifs de faire des affaires et de vivre assez bien. On voit la construction près du parc Monceau de merveilleuses maisons , dont la demeure des Camondo qui est un des musées parisiens que j’aime visiter. (La famille Camondo finira à Auschwitz.)

Ensuite, nous irons à Vienne du temps de la grandeur des Ephrussi, les banquiers les plus riches de l’Europe avec les Rothschild . Leur fortune vient d’Odessa et s’est faite avec le commerce du blé. La collection de Charles a été un des cadeau de mariage pour Emmy et Viktor qui ont construit le palais Ephrussi sur le Ring à Vienne. C’est une période faste de presqu’un siècle. La famille est immensément riche et se sent heureuse à Vienne. Cette période est passionnante, l’empire s’effondre après la guerre 14/18 et la famille est pratiquement ruinée mais il se relèveront. L’antisémitisme autrichien est virulent, alors que l’empereur avait décidé de protéger les juifs. Les juifs des pays de l’est qui ont été victimes de pogroms avant la guerre se sont réfugiés en Autriche et en Allemagne, l’antisémitisme en était d’autant plus fort, (l’accueil en grand nombre de gens fuyant la misère et les persécutions est un problème brûlant d’actualité en Europe aujourd’hui). D’un côté il y avait ces riches banquiers et de l’autre ces miséreux que l’on méprisait. Comme l’Autriche a du mal à se relever de la guerre et a perdu sa grandeur, il est facile de chercher des boucs émissaires. Les enfants dont la grand-mère de l’auteur se souviennent bien d’avoir jouer avec ces petits Netsukes.
Et puis, il y a le nazisme et la famille est entièrement spoliée aussi bien leur banque que leurs biens immobiliers et leurs collections. Les Netsukes seront sauvés par une domestique, Anna, qui va les cacher dans son matelas et les rendra à la famille après la guerre. Elle est bien la seule à avoir voulu protéger les biens de la famille et pourtant l’histoire ne connaîtra que son prénom.
La famille est maintenant éclatée entre le Mexique, les USA, l’Angleterre et le Japon. Nous suivons la collection de Netsuke qui est repartie au Japon avec Ignace. Cette partie sur le Japon permet de comprendre d’où viennent ces petites statuettes. La vie au Japon sous la domination américaine est rapidement évoquée, on voit à quel point le démarrage de l’économie a été difficile au début et puis a fini par s’envoler.

La recherche d’Edmund de Waal est très intéressante, même si c’est parfois un peu lent, sans aucune surprise le moment le plus douloureux c’est le nazisme en Autriche et la façon dont après la guerre, les Autrichiens, contrairement aux Allemands, n’ont pas voulu analyser leurs responsabilités dans l’extermination des juifs. Evidemment les réparations pour la famille Ephrussi est totalement ridicule ! La grand mère de l’écrivain, Elisabeth, a recherché les biens de sa famille et comme c’est une juriste elle a su parfois arracher quelques tableaux à une administration autrichienne très peu coopérative. J’adore cette femme remarquable qui a lutté toute sa vie, pour suivre des études universitaires à Vienne, et qui a réussi à arracher son père aux Nazis. Emmy, sa mère, s’est sans doute suicidée.

C’est un livre assez long et très fouillé, je m’y suis sentie très bien, surtout n’imaginez pas que l’antisémitisme est l’aspect le plus important de ce roman, même si mes extraits ont tendance à le montrer, c’est un sujet auquel je suis très sensible . J’ai été triste de refermer ce roman et de laisser cette famille continuer sa vie, je l’espère de façon heureuse

 

Extraits

 

Le début.

 Je pars à la rencontre de Charles sous le soleil d’une après-midi d’avril. La rue de Monceau est une longue rue parisienne coupée par le boulevard Malesherbes, qui monte tout droit vers le boulevard Pereire, où se dressent des immeubles de pierres chaudes une succession d’hôtels particuliers aux façades rustiquées qui jouent discrètement avec des motifs néoclassiques, petits palais florentins décorés de têtes sculptées de caryatides et de cartouches. Voici celui je cherche, juste après le siège de Christian Lacroix. Je découvre accablé qu’il est occupé aujourd’hui par une compagnie d’assurances médicales.

Les frères Goncourt.

C’est dans les salons de Paris que Charles se fait remarquer pour la première fois. Edmond de Goncourt, romancier, diariste et collectionneur connu pour sa plume acerbe, le mentionne dans son Journal, dégoûté que des personnages tels que lui puissent y être conviés. Il note que les salons sont désormais « infestés de juifs et de juives  » et qualifie les jeunes Ephrussi de « mal élevés » et d' »insupportables ». Il insinue que Charles omniprésent, n’a aucune conscience de la place qui est la sienne ; recherchant le contact à tout prix, il est incapable de masquer ses aspirations et de s’effacer au moment opportun.

L’influence japonaise en 1870 à Paris.

 Voilà une évocation saisissante de ce que signifie être un étranger au sein d’une nouvelle culture, remarquable seulement par votre mise ultra-soignée. Le passant jette un second coup d’œil, et votre déguisement ne vous dénonce que parce qu’il est trop complet.
 Cela trahit également le caractère d’étrangeté de cette rencontre avec le Japon. Bien que les japonais fussent très rares à Paris dans les années 1870 – quelques délégations, des diplomates et un principe de temps à autre -, l’art de leur pays était omniprésent. Tout le monde se précipitait sur les « japonaiseries ».

Drumont.

 Cependant les Ephrussi se pensent indéniablement chez eux à Paris, ce qui n’est pas l’opinion de Drumont. Celui-ci déplore en effet de voir « des juifs vomis par tous les ghettos, installés maintenant en maîtres dans les châteaux historiques qui évoquent les plus glorieux souvenirs de la vieille France…des Rothschild partout  : à Ferrières et au Vaux-de-Cernay .. Ephrussi à Fontainebleau à la place de François 1er « . L’ironie de Drumont devant ces aventuriers sans sou rapidement enrichis, qui se piquent de chasse à courre et s’inventent des armoiries, se change en colère vindicative lorsqu’il juge le patrimoine national souillé par les Ephrussi et leurs pareils.

1914.

La situation ne manque pas de cruauté. Les cousins français, autrichiens et allemands, les citoyens russes, les tantes britanniques -toute cette consanguinité redoutée, cette mentalité nomade soi- disant dénuée de patriotisme- se trouvent contraints de prendre parti. À quel point une famille peut-elle se diviser ? Oncle Pips est mobilisé superbe dans son uniforme à col d’astrakan, et devra se battre contre ses cousins français et anglais.

Deux voix discordantes dans le concert pro-guerre à Vienne.

Schnitzler, en revanche, exprime son désaccord. Le 5 août, il écrit simplement : « Guerre mondiale. Ruine mondiale. » Karl Kraus, lui, souhaite à l’empereur une « agréable fin du monde ».
 Vienne est en fête. Par groupes de deux ou trois les jeunesse se rendent au bureau de recrutement, un petit bouquet fixé à leur chapeau. La communauté juive est d’humeur optimiste. Les juifs, affirme Josef Samuel Bloch, « sont non-seulement les plus fidèles champions de l’empire, mais aussi les seuls Autrichiens inconditionnels ».

Vienne après la guerre 14/18.

Vienne qui compte près de deux millions d’habitants, a cessé d’être la capitale d’un empire de cinquante-deux millions de sujets pour faire partie d’un minuscule pays de six millions de citoyens. Il lui est impossible de s’adapter à un tel cataclysme. On débat intensément sur la viabilité de l’Autriche en tant qu’état indépendant, d’un point de vue tant économique que psychologique. L’Autriche paraît incapable de faire face à pareil amoindrissement. Les conditions de la « paix carthaginoise » dures et punitives définies par le traité de Saint-Germain-en-laye en 1919, prévoient un démembrement de l’empire. Il ratifie l’indépendance de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Yougoslavie, et de l’État des Slovènes, Croates et Serbes. L’Istrie et Trieste ne font plus partie de l’empire, amputé également de plusieurs îles de Dalmatie. L’Autriche-Hongrie devient l’Autriche un pays de 750 km de long. Des réparations sont exigées. L’armée réformée rassemble trente mille engagés. Pour citer une boutade de l’époque, Vienne ressemble à un « Wasserkopf », chef hydrocéphale d’un corps atrophié.

Sa grand-mère Elisabeth Ephrussi.

 Je sais qu’Elisabeth n’avait pas vraiment le goût des objets -netsukes ou porcelaine- pas plus qu’elle n’aimait des complications de la toilette. Dans son dernier appartement, elle avait un mur tapissé de livres alors que les bibelots, un chien en terre cuite chinoise et trois pots à couvercle, n’occupaient qu’une petite étagère. Elle m’encourageait dans mon travail de céramiste et m’envoya même un chèque pour m’aider à financer mon premier four, mais cela ne l’empêchait pas de trouver assez drôle que je gagne ma vie en fabriquant des objets. Elle n’aimait rien tant que la poésie, ou l’univers des choses, dense, défini et vivant, est transformé en chant. Elle aurait détesté le culte dont j’entoure ses livres.

Le jour de l’Anschluss.

 Dans toute la ville, on défonce les portes et les enfants se cachent derrière leurs parents et se réfugient sous les lits ou dans les placards, essayant d’échapper au bruit pendant qu’on arrête et qu’on moleste leurs pères et leurs frères avant de les pousser dans des camions, pendant que l’on abuse de leur mère ou de leur sœur. Dans toute la ville des gens font main basse sur ce qui devrait leur appartenir sur ce qui leur vient de droit.
Il n’est pas question de dormir, on ne songe même pas à aller se coucher. Quand ces hommes s’en vont, quand ces hommes et ces garçons finissent par partir, ils promettent qu’ils reviendront et il est clair qu’ils disent vrai. Ils emportent le collier de perles qu’Emmy porte autour de son cou et ses bagues. L’un d’eux s’arrête pour lancer un gros crachat à leurs pieds. Il dévale l’escalier à grand bruit, hurlant jusque dans la cour. Un homme prend son élan pour taper dans les débris à coups de pied, puis ils sortent sur le Ring par la grande porte, l’un d’eux tenant sous le bras une grosse pendule.

L’émotion du petit fils (l’auteur) .

 Le palais Ephrussi, la banque Ephrussi ont cessé d’exister à Vienne. La ville a été « nettoyée » de cette famille.
 C’est pendant ce séjour que je me rends aux archives juives de Vienne – celles qu’Eichmann avait saisies- afin de vérifier certains détails sur un mariage. Cherchant Viktor dans un des registres, je découvre un tampon rouge officiel par-dessus son prénom : « Israël ». Un décret a imposé aux juifs un changement de nom. Quelqu’un a passé en revue tous les prénoms de la liste des juifs de Vienne pour y apposer ce tampon : « Israël » pour tous les hommes, « Sara » pour toutes les femmes.
 Je me trompais la famille n’a pas été effacée, elle a été recouverte. Et c’est cela finalement qui me fait pleurer.

L’après.

 Très peu de juifs choisiront de retourner à Vienne. Sur les 185000 juifs d’Autriche au moment de l’Anschluss, seulement 4500 y reviendront, tandis que 65459 ont trouvé la mort.
 Après la guerre personne n’a eu répondre de cela. En 1948 la république démocratique d’Autriche instaurée à l’issue du conflit a accordé l’amnistie à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en a fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo

 


Édition Gallimard NRF juin 2023 . 202 pages

Encore un roman sur l’extermination des Juifs et aussi des Tziganes organisée par les Nazis, mais bien aidés par en Hongrie par les « Croix Flêchées ». Ce qui rend ce livre lisible malgré les horreurs que l’on connaît mais qui sont tellement difficiles à lire c’est que les deux fillettes qui ont fui l’extermination se soutiennent et vivent dans un zoo où les animaux sont tellement plus faciles à vivre que les humains ivres de sang. La petite juive Sheindel, et le petite Tzigane Izeta se sont retrouvées dans le zoo de Budapest et aident les animaux à survivre à la guerre. Elles sont aidées par un soldat Dumitru de l’armée rouge originaire de Roumanie, qui est vétérinaire. Leurs rapports avec les animaux permettent d’alléger l’horreur de cette lecture. Et puis, après la guerre, les deux petites sont séparées, l’une ira vivre en Israël, l’autre retrouvera les Tziganes en Europe. Et Dumitru ira au goulag où sa mère va mourir. Il en reviendra et s’occupera de chevaux, Sheindel le retrouvera mais, en revanche, Izeta et elle n’arriveront pas à se rejoindre. La dernière partie du roman voit l’arrivée d’un journaliste, Frédéric qui a des points commun avec le correspondant de guerre et auteur, Jean Hatzfeld. Il suit la guerre en Croatie puis en Bosnie, cette région à de nouveau connu une guerre civile avec son lot de pillages, de bombardements, de viols et d’exterminations.

Ce roman se lit facilement même s’il raconte la partie la plus noire de l’humanité . Mais j’ai une réserve, qui vient sans doute que j’ai vraiment beaucoup lu sur ce sujet et que, et le mélange de la vérité historique et de l’imaginaire n’a pas très bien fonctionné (pour moi). En peine guerre de Bosnie, le narrateur reprend une histoire de zoo, mais cette fois, le journaliste dit clairement que c’est une fiction qu’il a inventée car la réalité était trop horrible. Alors qu’en est-il pour la vie des deux petites filles dans le zoo de Budapest pendant la guerre ?

Extraits

Début.

La scène se répétait, rien n’allait et il faisait un froid de canard. Muni d’une fourche qu’elle maniait avec peine, une fillette incitait des dromadaires à sortir de leur stalle, sourde à leurs blatèrements que les murs renvoyaient en écho. Ils refusaient de quitter le fond, qu’ils ne cessaient de longer dans une bousculade exaspérée.

Images terribles qui doivent hanter tous les descendants des juifs d’Europe centrale.

 À cet instant un cortège surgit dans la rue Király. En tête des miliciens coiffés de leurs calots verts marchaient d’un pas trop impulsif pour être cadencé. Derrière, un premier rang de femmes ; les suivait une foule d’hommes, le plus souvent cravatés, et encore des femmes silencieuses avec leurs enfants. Des hommes vêtus d’habits religieux marchaient en petits groupes, il y en a qui s’étaient bandé la tête d’un tissu pour dissimuler des blessures ou simplement la nudité de leurs joues qu’ils avaient sans doute été obligés de raser en guise d’humiliation. Ils avançaient au rythme des militaires hongrois et des gendarmes allemands fusils à la main Tous ne portaient pas l’étoile jaune, ils levaient les mains à hauteur d’épaule, rien dans leur comportement ne trahissait la panique. La marche n’était troublée que par les cris des miliciens. Sur les trottoirs, on chuchotait, les passants s’arrêtaient sauf ceux qui filaient pour ne plus voir.

L’autre thème du livre : les animaux .

Quand tu parviens à te tenir immobile dans un endroit sauvage, avec de la chance, tu vois un animal venir à toi, te rendre visite, répondit Sheindel. Rien de comparable avec un animal qui passe par hasard et marque un temps de surprise. Ou un animal à l’affût que l’on observe avec des jumelles en évitant d’écraser des branches sèches sous ses bottes. Un animal qui s’approche de toi à petits pas, le museau frémissant, c’est fantastique pour la simple raison qu’il vient pour toi.

 

 


Édition Gallimard novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Décidemment dans la sélection des nouveautés du club de lecture , il y a beaucoup de livres qui parlent de la Shoah en France. Est-ce un hasard, ou le fait que les souvenirs se réveillent libérés du poids des interdits du venant de ceux qui avaient vécu ou participé à ces terrible évènements ? Violaine Huisman est près de son père quand il décède, elle veut trouver qui était Denis Huisman, que les gens de ma génération connaissent bien pour avoir travailler sur les manuel de philo « Huisman-Vergez » .

Sa quête de mémoire est douloureuse car ce père fantasque a été un mari volage et n’a pas su aider les deux filles qu’il a eues avec un femme bipolaire. Elle se sent la fille de la « folle », elle aime son père mais a peu d’illusions sur ses qualités morales. (Sa mère est l’objet d’un roman que je n’ai pas lu). Le portrait de ce père haut en couleur est bien mené et très agréable à lire, très vite l’autrice se heurte à la difficulté de démêler ce qui est réel de la mythologie familiale dans laquelle les personnages tiennent des positions qui font de beaux récits mais qui ne respectent pas toujours la vérité historique. Une grande partie de sa recherche concerne Georges Huisman, l’ancêtre si glorieux de la famille et auquel la société d’après guerre n’a pas rendu les honneurs ni la place qui aurait dû lui revenir. On revit sa fuite lors de l’invasion nazie et sa peur d’être déporté comme juif. L’autrice nous fait revivre l’épisode du « Massilia » bateau dans lequel se sont embarqués des députés et des membres du gouvernement : Mendes-France, Jean Say entre autre, respectant en cela les ordres de Pétain. Mais tous ceux qui sont juifs seront arrêtés et jugés pour haute trahison. Tout cela est intéressant et a certainement marqué le jeune garçon (le père de la narratrice) qui a dû se cacher et craindre pour sa vie. Mais dans la mémoire familiale et il y a aussi Choute une jolie femme très riche dont George Huisman aurait été très amoureux. Violaine Huisman s’empare de cette histoire et on ne sait absolument pas ce qui relève du roman ou de la réalité.

J’ai aimé lire cette biographie (même adoré la première partie) et la façon que l’auteur a de démêler tous les fils du passé qui arrivent vers elle comme une pelote souvent agressive qui brouillent tellement bien les cartes de la réalité et de la narration familiale. Mais j’ai trouvé en ce qui concerne son grand-père que le mélange historique et fiction littéraire était gênante.

Extraits

Début.

 Te voir avachi. devant la télé en plein après-midi me sidère est me brise le cœur. Je coupe le son. Merci, silence. Le reflet des images diapre les murs comme les vitraux d’une chapelle. Par la fenêtre, à gauche un rayon de soleil dessine autour de ta chevelure un halo d’or. En arrière-plan, des étagères de livres reliés en cuir châtain forme un paysage vallonné, des collines où se dressent en lettres scintillantes tes auteurs-phares.

J’aime cette façon de raconter.

 Tu as la voix qui porte et le ton professoral ; où que tu sois tu donnes un coup magistral, y compris en tête à tête avec ton agonie. Tu peux de but en blanc déclamer un poème de Hugo ou une tirade de Corneille, en philosophie tu es incollable intarissable tu sembles avoir tout lu tout retenu(…)

Un grand talent d’écriture.

 Cette rosette rouge sur le revers de ton veston intrigué énormément les enfants, toutes générations confondues. À quoi ça sert ? Te demandait-on à tour de rôle. À rien mon pauvre amour ! Strictement à rien, sinon à flatter la vanité des vieux croulants comme moi. Ou plutôt si, ça sert à une chose à partir du grade de grand officier, un vulgaire gendarme ne peut pas vous convoquer au poste, c’est le commissaire de police en personne qui doit se rendre à votre domicile pour vous arrêter. Je ne voyais pas en quoi ce privilège t’aurait été utile.

Le rituel de la nouvelle cuisine.

 Le rituel protocolaire des établissements étoilés t’emmerdait au plus haut point, mais tu en raffolais. Tu trouvais la nouvelle cuisine chichiteuse et ces portions mesquines. Quand un serveur entamait le récitatif des produits préparés dans ton assiette, tu accueillais sa sérénade en bâfrant avec une telle voracité que tu avais régulièrement fini avant qu’il ait conclu son cérémonial en nous souhaitant une bonne dégustation.

Son héritage à Paris.

 Paris était le foyer ancestral où j’étais la fille de : la fille de ma mère-la-folle, la fille de mon père, la petite fille d’un grand-père illustre, fût-il injustement oublié. Je m’étais construite ailleurs car à Paris, j’avais l’impression à chaque carrefour de trébucher sur un pavé.

Son père et les femmes.

 Dans ces récits une femme était avant tout incarnée, et son potentiel de séduction primait sur toute autre qualité. Une femme était soit vieille et moche, soit jeune et fraîche. Décidément, mon père n’était pas un féministe tout à fait hors pair !

Vision de Haussman par Georges Huisman.

 Là on l’entend marmonner son courroux sous son inlassable moustache en pénétrant dans ces monuments du second Empire : ces « vandales » qui ont défiguré Paris ! Haussmann -le pire ce qu’on a appelé les « embellissements » de Paris n’est qu’un système générale d’armement contre l’émeute. l’Attila de la ligne droite !

 

 

 


Édition Lepassage juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une horreur de plus dans mes lectures et même si c’est très bien écrit je ne peux pas dire que j’ai vraiment apprécié : c’est trop horrible. Et, je n’ai pas besoin de ce genre de récit pour imaginer les horreurs des pogroms.

C’est cela que raconte ce roman une petite fille de huit ans vit quelque part dans l’est (Pologne ?, Ukraine ? plus certainement Russie) au début du XX° siècle. Son bonheur est construit autour des liens familiaux, en particulier l’amour de son père. Sa mère est étrange, elle « sert » essentiellement à nourrir les bébés qui arrivent très régulièrement dans cette famille juive. Henni la petite fille a un grand frère Lev qui fuit sa famille et le Shtetl entouré de populations qui leur sont hostiles. Henni a aussi une grande soeur, Zelda qui est son modèle et la rassure beaucoup.

Le jour de la catastrophe, des brigands (des cosaques ou des paysans autour du Shtetl) envahissent le village, ils brisent tout, pillent, violent et tuent tout ce qui semble vivant. La petite fille voit, le jour d’après, des paysannes des alentours venir se servir dans les maisons éventrées et piller ce qui reste d’utilisable. Son instinct de survie la guide dans ce chaos pour trouver qui peut vraiment l’aider à survivre, et elle a eu bien raison de se cacher de ces paysannes qui certainement ne lui voulaient aucun bien .

Henni fuit avec sa soeur, ses parents sont tués et les bébés aussi , l’auteure suit pas à pas la fuite de cette petite fille de huit ans qui essaie de trouver des solutions face à la folie des « furieux ». C’est terrible et tellement sans espoir.

La question que je me pose c’est le pourquoi d’un tel livre, qui pouvait imaginer que les pogroms soient autre chose que cela ? Est ce que cela rajoute quelque chose que ce soit vu par une petite fille ? Je crois que je répondrais non à ces deux questions. Il reste que cette écrivaine a un très beau style qu’elle a mis au service d’une cause dont il faut se souvenir. Car l’antisémitisme profond de ces régions permettra aux nazis cinquante ans plus tard d’assassiner massivement les populations juives des Shtetl, aidés pour le faire par les populations locales qui, de tout temps, avaient organisé des pogroms contre ces villages, en toute impunité.

 

Extraits

Début du prologue.

Au moment précis où, enfin, Henny s’apprête à s’enfuir ou dehors dans la neige, c’est le plus grand, le plus maigre des hommes entrés dans la maison qui arrache le dernier bébé du sein de Pessia et le soulève au dessus de lui. Lel cri qui monte avec l’enfant emplit l’air de faisceaux, de fumées, de roches explosives.

Début du chapitre 1.

 Elle a cinq ans lorsque son père lui fabrique un tabouret à sa taille. Assise ou perchée dessus, les pieds écartés et le corps grandit d’impatience, elle fait les lits, elle fait la poussière, elle frotte le chaudron ou Zelda tout à l’heure cuira le bouillon gras du poulet.

Début du pogrom.

Il y a alors un grand bruit du côté de la porte, un grand froid, plusieurs vitres tombent comme la glace qui finit par céder à la lisière du toit, mais pas vraiment pareil. Des hommes, on ne sait pas qui ni combien de temps ils semblent pressés envahissent la pièce tels des chevaux furieux.
 À leurs pieds ils apportent la boue que fait la neige fondue, triste et molle sur le bois du plancher. Ils renversent tout, la machine à coudre, la marmite, les plats, la théière, la bonne lampe qui brûlait sans jamais fumer. Ils cassent, ils arrachent ce qui tenait à cœur dans un fracas épouvantable. Ils sont l’orage annoncé.

Des enfants essaient de comprendre le pogrom.

Ensuite, il dit un ton plus bas, avec une torche ils ont mis le feu à ses cheveux.
À qui ? Dit Henni, intriguée. Les cheveux de qui ?
D’une femme. Une femme qui était là. Je l’ai vue sortir dans la cour en chemise et ils l’ont attrapée.
Il s’interrompt, cherche ses mots. Ou alors il attend que l’image se déroule dans sa tête, polisse et soit moins difficile à donner.
Elle a couru, ils l’ont frappée et puis elle est tombée là-bas, elle n’a même pas crié. 

L’après .

 Là-bas, différents objets sont éparpillés sur la terre détrempée. On identifie un morceau de violon, par exemple, un chapeau d’homme, un livre grand ouvert, une bouteille, une petite chaussure. 

 


Édition Gallimard juin 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre remarquable pour un homme si injustement oublié : René Blum, le frère de Léon. Il n’avait pas de talent politique mais c’était un amoureux de l’art et de la culture. Il a dirigé les ballets de Monaco dont il a été directeur et propriétaire. Sa troupe jouait en 1940 et 1941 à New-York, il pouvait donc y rester, mais un Blum ne fuit pas son pays quand il est en danger et que l’honneur de son nom est en jeu. Il est donc revenu à Paris, a été arrêté et est mort de façon atroce à Auschwitz, sans doute jeté vivant dans un four crématoire.

Le roman alterne les moments où René est interné et d’autres où on revit son glorieux passé. C’est une très bonne idée de construction car en découvrant tout ce que cet homme a fait pour le monde du spectacle on se dit mais pourquoi est-il tant oublié ? Je ne savais pas, par exemple, que c’est lui qui a convaincu Bernard Grasset de publier un amour de Swann de Marcel Proust dont il était un grand ami.

Les chapitres consacrés à son internement nous permet de croiser des personnalités qui ont tant donné pour la France, en effet René Blum a fait partie de la rafle des notables, des gens qui ont fait la guerre 14/18, sont revenus décorés et ont ensuite servi la France. Mais ces gens sont juifs et cela suffit pour sceller leur sort.

J’ai vraiment eu du mal à retenir mes larmes à la description des enfants qui avaient été arrachés à leur mère et qui arrivent à Drancy, des petits avec leurs doudous qui pleurent chaque nuit en appelant leur mère.

Le roman se termine pratiquement sur les cheminées d’Auschwitz, mais les mots de la fin sont ceux-ci

Son souvenir restera comme celui d’un homme bon, d’un homme d’art et de culture, d’un homme bienveillant, d’un homme intègre, d’un homme au destin tragique. en cela, la mémoire de René restera, même par-delà l’oubli.

Extraits

Début .

En ouvrant la porte il n’exprima aucune surprise. 
En rentrant en France, à Paris, il savait que ce jour adviendrait. Comment feindre la surprise ? Les trois hommes qui lui faisaient face, ils étaient tels qu’il les avaient imaginés, durs sans regard, sans émotion. « Monsieur Blum ? » Lui demanda le premier homme. 

La bataille d’Hernani

 La « claque », des applaudisseurs professionnels rémunérés pour glorifier ou anéantir les spectacles parisiens, avait été d’un renfort salutaire grâce à l’aide financière du baron Taylor, protecteur des arts et précurseur du romantisme. Les applaudissements redoublaient de force face aux huées des conservateurs surnommés également les genoux pour leurs crânes aussi dépourvus de cheveux que l’articulation à la jointure de la jambe et de la cuisse.

Le destin de la famille Blum.

 La proximité de Strasbourg dans laquelle les juifs pouvaient commercer mais non vivre avait permis à ses habitants d’avoir un confort modeste mais correct. En 1791, les idées neuves de la révolution donnèrent à sa famille une patrie, la France, eux qui en étaient dépourvus depuis toujours. Depuis, les Blum avaient conservé une fidélité immuable à la nation des droits de l’homme et du citoyen.
 Il fallut attendre le règne de Napoléon pour faire du nom de Blum le leur. Depuis toujours, les juifs n’avaient pas de nom fixe et, au gré des générations pouvaient en changer. C’est ainsi qu’en mairie de Westhoffen, le 9 octobre 1808, Abraham Moyse déclara prend le nom de Blum, dont la proximité avec le mot fleur en allemand n’était sans doute pas étrangère à son choix .

La solidarité dans les camps.

Georges Cogniot était le doyen des rouges, ces communistes arrêtés à titre préventif. Les Allemands pensaient ainsi éteindre une menace à venir. Il formait avec deux de ses autres camarades le trio de direction de leur camp. Celui qui fut rédacteur en chef de « l’Humanité » avait souhaité recréer la structure d’une section communiste, la discipline du parti en premier chef, le militantisme en second. Les actions étaient dirigées et coordonnées par la direction. Parmi elles, celle de recevoir pour le camp des Juifs, privé de tout même d’humanité, les colis envoyés par leurs familles. C’est ainsi que Jean-Jacques reçu de la part de son épouse, par le biais d’un prisonnier communiste, couvertures et conservés. Combien de vies sauvées grâce à ses valeureux gaillards prêts à prendre tous les risques pour passer les colis de nourriture aux juifs ? Certains des juifs internés étaient pourtant les patrons qu’ils affrontaient à l’usine à coups de grèves et de tracts. 
Mais pour les communistes, tous les internés étaient des camarades comme les autres patrons aussi bien qu’ouvrir, pas de distinction « en temps de guerre, on se serre les coudes » affirmait George Cogniot.

L’arrivée des enfants à Drancy.

 Personne ne s’attendait à voir arriver des enfants, des tout petits. Ils étaient accompagnés de quelques jeunes femmes qui semblaient être à l’aise au milieu de cette petite foule. Comme tous les nouveaux internés, ils passèrent l’étape de la fouille. Les baluchons furent ouverts, scrutés. Les gendarmes enlèvement tout ce qui était interdit dans le camp, allant jusqu’à confisquer les dessins et peluches gardés jusqu’ici précieusement. La discipline devait s’appliquer. La méchanceté aussi.

Il faut lire ce genre d’article quand on soutient que Pétain a défendu les juifs français .

 Wikipedia à propos de Pierre Masse assassiné à Auschwitz en 1942 et arrêté en même temps que René Blum

 En octobre 1940 lors de la parution de la loi chassant de l’armée les officiers d’origine israélite, Pierre Masse envoie au maréchal Pétain une lettre de protestation lui demandant s’il doit enlever leurs galons à son frère (officier tué à Douaumont en 1916 ) à son gendre et son neveu (officiers tués en mai 1940) s’il peut laisser la médaille militaire à son frère (mort à Neuville-Saint-Vaast) si son fils (officier blessé en juin 1940) peut garder son galon et si « on ne retirera pas rétrospectivement la médaille de Sainte-Hélène à son arrière-grand-père.

 

 

Édition J’ai Lu

Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce que le maréchal Antonescu et son clan désignaient, en 1940, comme « le moment tant attendu de la délivrance ethnique ». une délivrance sans effusion de sans ; Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic.

Quel livre ! La journaliste a mené une enquête fouillée pour comprendre le sort des juifs en Roumanie. Elle mêle de façon très judicieuse la vie de sa propre famille d’origine juive roumaine et l’histoire du pays. Il faut vraiment lire jusqu’au bout ce livre, car les questions qu’elle se pose dans le dernier chapitre je me les posais tout le long du livre.

Anna Yes a aussi chroniqué ce livre et elle pourra voir combien ce livre m’a plu, (je l’avais lu une première fois sans mettre de billet )

Rappel historique, la Roumanie s’est retrouvée avec une forte minorité juive après la guerre 14/18 , car étant du côté des vainqueurs son territoire a été augmenté de provinces où vivaient de fortes minorités juives. Pendant la montée des nationalismes fascistes avant la guerre 39/45, ces minorités juives posent un problème important au régime nationaliste roumain. L’originalité de ce pays est de n’avoir pas déporté sa population juive de Bucarest. Ce que les archives montrent c’est que leur extermination était prévue mais le dirigeant de la Roumanie a compris que les Allemands pouvaient perdre la guerre , donc les neuf derniers mois de guerre ils ont changé de bord. La famille Deleanu, grands-parents de Sonia Devillers, était une famille juive très influente de Bucarest. Ils ont perdu tous leurs droits pendant la guerre mais pas la vie ! Ils épousent avec enthousiasme la cause communiste, et ne parlent jamais des exterminations qui ont eu lieu dans d’autres régions roumaines. Il faudra beaucoup de temps pour que ce pays accepte ses responsabilités sur l’extermination qu’elle voulue et organisée. Officiellement, la Roumanie voulait être le pays qui a défendu ses juifs.

Et puis, le communisme, a refermé le pays sur lui-même et la chasse aux juifs a recommencé. Mais, et c’est là le sujet du livre, il a su en faire une monnaie d’échange pour renflouer les caisses de cet état qui était très pauvre, car l’URSS leur a fait payer leur solidarité avec l’Allemagne. Le régime a donc échangé les juifs roumains contre ce qui manquait tant à ce pays : des cochons, des vaches, des fermes, des abattoirs …

Ainsi chaque juif qui est parti de ce pays peut savoir ce qu’il valait , car les comptes sont très bien tenus : tant de porcs pour le départ d’un juif.

À la tête de ce trafic humain, un passeur qui fait tout ce qu’il peut pour permettre aux juifs de sortir, Sonia Devillers essaie de cerner la personnalité de ce passeur, est-il un mafieux ou un sauveur ? Elle ne peut pas répondre à cette question.

La question qu’elle pose aussi à la fin de ce livre, qui lui a été suggérée par des lettres de Roumains, on peut être, choqué de voir que la vie de ses parents valait tant de porcs, ou de vaches, mais comme le disent les pauvres Roumains au moins, vous, vous pouviez sortir et vivre.

Ce qui est choquant aussi, c’est que tous ces faits ont été révélés depuis longtemps mais la presse française (elle cite Libération et le Monde) ne voulaient pas le dire car il y a eu si longtemps une Omerta sur la dénonciation de l’antisémitisme communiste. Il a fallu l’ouverture des archives de Roumanie, pour que ces faits choquants soient enfin révélés pour l’opinion publique européenne.

Il me reste aussi une question , échanger des êtres humains contre de l’argent que ce soit sous forme d’animaux ou de dollars, n’est ce pas ce que fait tout état pour récupérer des otages ? Il est vrai que ce qui est différent c’est qu’il s’agissait de Roumains persécutés parce que juifs donc otages dans leurs propres pays par leurs compatriotes.

Le livre est passionnant, et se lit très facilement mais il faut aussi savoir que c’est souvent insupportable en particulier les exterminations par les Roumains de la population juive sans aucune défense.

 

Extraits

Début.

 Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. ils ne voulaient pas mais ils n’avaient plus le choix.

La jeunesse de sa grand-mère.

La jeunesse de Gabriela, en revanche, on y avait droit, avec emphase et trépidation : sa famille remarquable, sa ville pimpante Bucarest dite le « petit Paris des Balkans » dans l’entre-deux-guerres. Ma grand-mère se targuer de trouver dans les librairies les romans français « ,le lendemain de leur sortie à Saint-Germain. »

En 1940 .

En 1940, la Roumanie en proie à un immense désordre, subit la pire des humiliations. Les belles provinces qui lui avaient été rattachées à l’issue de la Première Guerre mondiale lui furent brutalement retirées par le pacte germano-soviétique. Ces territoires largement peuplés de juifs, allaient donc passer aux mains des Russes. Et cela, on ne le pardonnerait pas aux juifs, traités de vermine invasive d’abord, de traîtres par la suite. Les youpins et les rouges allaient pactiser, c’était certain. L’exaspération nationalistes n’avait alors d’égale que la détestation du « judéo-bolchevisme ». La nation semblait menacer de désintégration. La psychose battait son plein.

Le silence de ses grands parents.

J’aurais voulu l’entendre de la bouche de mes grands parents. Obtenir une bribe, ne serait-ce qu’une bribe, de ce qu’ils avaient ressenti face à une telle démonstration de force, une telle légitimation de la rage antisémite. J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans autre émotion. Une anecdote de plus. Sans plus mes grands-parents ont tous vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti.

La Shoa organisée par les Roumains (les moyens d’exécution sont insoutenables).

 Enfin la tuerie du camp de Bogdanovka reste une des plus impressionnantes de toute la Seconde Guerre mondiale. En fait de camp, il s’agissait encore de batteries de porcs délabrées ouverte à tous les vents. Mais comme le disait le commandant alors qu’il gelait à pierre fendre : « la paille c’est pour les cochons pas pour les youpins ! » la décision d’en finir avec les huit mille détenus juifs fut prise en décembre 1941.

Négation de la Shoa sous le régime communiste.

 Au delà des procès, la Roumanie communiste avait proscrit le mot « juif ». L’ethnologue Andrei Osteanu constate qu’à l’époque le terme a été éradiqué des romans comme des textes de sciences sociales. Sous prétexte de prendre le contre-pied de la littérature et de la presse d’avant-guerre, obsédées par le péril juif, le Parti refuse de nommer les juifs pour ne pas les stigmatiser. Mais ce faisant, il finit par les effacer. Et Andrei Osteanu de rappeler qu’en régime totalitaire, « si on en parle pas, c’est que ça n’existe pas ».

La situation de sa grand-mère à Paris.

 Les exilés romains riches ne la recevaient pas parce qu’elle avait été communiste. Les intellectuels français, non plus. Ils étaient tous de gauche dans les années 1960 et 1970. Ils considéraient les communistes qui avaient fui comme des traîtres ou des fascistes déguisés. Gabriela ne se sentait aucune affinité avec une quelconque diaspora juive. Immigrée et sans travail, il était difficile de s’intégrer à la bourgeoisie parisienne. Gabriela n’avait sa place nulle part

Le troc.

 L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. Attention, pas n’importe quels porcs, des porcs de compétition, plus précieux, plus productifs, plus rentables que es citoyens qui quittaient le pays. Depuis la nuit des temps, ceux-là profitaient beaucoup et rapportaient peu : les juifs

Perec en 1981 dit ce que c’est être juif pour lui.

 « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, ou à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. »


Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.