Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Sans mon club, je ne serai certainement pas allée vers ce livre, et je ne suis certainement pas la personne qui convient au projet de ce roman. Plusieurs choses me sont totalement étrangères, le manque de réalisme dans le projet de vie en autarcie : les bambous qui poussent en une semaine, la femme qui abat vingt pins dans sa journée, le potager qui pousse en quinze jours … et puis cette communion avec la nature à laquelle je n’adhère pas non plus, et la poésie qui n’est pas celle qui me touche ! Il reste quoi ? des textes sur l’escalades assez répétitifs qui au début m’ont enchantée et puis lassée. Est-ce que je rejette tout ? Non, et surtout pas les réflexions de cette auteure sur le sens de la vie que je trouve très pertinentes, elle possède aussi un sens de la tension romanesque : on se demande qui est cette nonne qui vit en recluse, elle aussi, dans cette montagne. J’ai, également, été séduite par certaines évocations de la nature, par exemple, quand celle-ci devint apocalyptique, comme cet orage qui « déplace les montagnes ». Bref je ne sais ni classer ni définir ce roman qui certainement doit autant séduire que déplaire. Je me situe à mi chemin : j’ai aimé certaines descriptions et certaines réflexions, mais pas accroché au récit lui-même .

Citations

But de l’expérience

Je dois savoir si la détresse est une situation, un état du corps ou un état d’esprit.
 On peut être accroché à une paroi à trois mille quatre cents mètres d’altitude en plein orage nocturne sans être en détresse. On peut aussi sous le même orage nocturne se sentir au chaud au fond de son lit au cœur de la détresse. On peut avoir soif, être fatigué, blessé sans être en détresse.
 Il suffit de savoir que la boisson, la nourriture, le repos, le secours sont à portée de main. Qu’on peut les atteint. Plutôt facilement.
L’effort n’est pas la détresse mais il est souvent lié.
 Il suffit d’alimenter un alpiniste coincé depuis deux jours sur une vire sans eau ni nourriture à la limite de l’hypothermie pour que disparaisse la détresse.
 Le corps recouvre ses forces, l’esprit reprend courage, l’environnement n’est plus un obstacle. Ni un cercueil, ni une menace.
De la même façon, il suffirait de le déplacer (le descente de la vire en hélicoptère) pour que disparaisse la détresse. Bien avant qu’il soit réhydraté et nourri.
Comme il suffira d’une parole capable de changer ses représentations mentales -du passé, du présent, de l’avenir immédiat, de sa place dans le monde- pour que disparaisse la détresse.
La seule limite est la mort.

De l’utilité de la grammaire

Le regret engendre la détresse.  » Je n’aurais pas dû » est le début et le fond de la détresse. Le conditionnel tout entier, ce temps révolu qui n’est même pas le passé est le fondement et peut-être le créateur de la détresse. L’occasion qu’elle s’installe.
 Faudrait voir ce que cette forme grammaticale entretient comme relation avec la culpabilité et comment. Un mode verbal peut affecter la production de glucocorticoïdes. Et jouer sur notre humeur.
Le conditionnel introduit une illusion d’avenir à l’intérieur du passé. Il ouvre une brèche, un éventail de fantômes dans la nécessité des faits irréversibles, qui ont déjà eu lieu. Il n’y aurait pas de détresse sans le conditionnel. La fin, l’épuisement, la douleur et la mort si ça se trouve, mais pas de détresse.
 Ou je me trompe ?

Les bambous

(pourquoi sans « s » dans son texte)
Un bosquet de bambou est une armée invasive. Immobile, un bosquet de bambou ne fait que strier l’espace, diffracter la lumière et les moindre souffles du vent. C’est une armée calme, obstinée, une assemblée d’esthètes dont la présence change la lune en lanterne et l’envoie flotter parmi les cailloux. On est chez soi dans un bosquet de bambou, sous protection, camouflé, accueilli. Le chant des oiseaux dans un bosquet de bambou remplace les musique à corde. Assis près de l’eau dans un bosquet de bambou, buvant et fumant, on célèbre les trois arts avec les sept sages, poésie, calligraphie, et musique. C’est une bonne compagnie.

Des détails qui m’énervent comment abattre 20 arbres en quelques heures ?

C’est alors que j’ai abattu les 20 pins dont j’avais besoin, et que mon protocole de coupe est devenu si coulant à mesure que j’abattais que j’inspirais , que j’ expirais, qu’il fallut le cri de sorcière d’une effraie pour me sortir de l’action. Avec un bon frisson. La nuit n’était pas tout à fait tombée , ce qui me parut insolite. Sans le vouloir, j’ai repensé à la main de rapace que j’avais vu sortir d’un tas de laine sombre, et j’ai eu un second frisson. J’ai rassemblé mes troncs et j’ai commencé de les tirer vers le jardin. Les deux derniers, je les ai laissé retomber avec un vrai soulagement. Je suis allé ranger la hache dans le module du jardinage avant de remonter, et lorsque j’ai vu la couverture qui avait servi à protéger mes semis je me suis rendu compte que j’étais debout depuis plus de 34 heures et je me suis ravisée.

L humeur et le mauvais temps

Je dois sortir de l’influence du climat. Le moindre rayon de soleil est une joie pour tout, l’esprit, la peau, les cheveux, les boyaux, les vêtements, les casseroles. Dès que remonte ou retombe le brouillard, mon humeur s’alourdit. Ce n’est pas souhaitable. Je le subit. Je n’arrive pas à admettre ce rapport entre les nuées, les météores, le ciel bas et bouché et le niveau de mon énergie. Mon plafond interne se règle de lui-même sur la hauteur, la quantité et la qualité de l’atmosphère extérieur. Je le supporte mal.

Une réflexion intéressante

Les pompiers, les secouriste, les médecins, les chamans qui nous portent secours sont et doivent être des étrangers. Cela figure dans le serment d’Hippocrate : ne pas soigner ses proches. Parce que c’est dangereux pour les deux parties (…)
 le type absolument à bout de force , blessé , déshydraté , exsangue , choqué , au bord du délire d’épuisement ne peut être secouru que par un étranger. Son ami, son second de cordée, devient dans ces circonstances un étranger , le seul lien qui l’on est alors celui du soutien. Le plus archaïque, le plus ancien, le plus involontaire des liens ? Le plus neutre. Aussi neutre et aussi opaque que les mouvements des organes et la formation du fœtus.
Si l’ami ne s’oublie pas comme tel, ne s’abstrait pas de sa relation envers le blessé, son soutien sera brouillé, vraisemblablement inefficace. Si le blessé rappelle son amitié à celui qui le secourt, il l’empêche. La technique du soin, quelle qu’elle soit, interdit toute relation personnelle. Elle permet aux deux personnes de s’en garder, de passer sur un autre plan, indifférent, désaffecté, urgent. La vie ne peut être sauvegarder que par une volonté et un enchaînement de faits aussi impersonnels que ceux qui l’ont fait apparaître

15 Thoughts on “le Grand Jeu – Céline MINARD

  1. Je ne suis pas du tout attirée par les romans de cette auteure, trop peur de ne pas apprécier son univers particulier. Et puis ce que tu en dis me le confirme, je vais donc continuer à l’éviter.

  2. keisha on 23 avril 2019 at 09:34 said:

    On va dire que c’est Céline minard, on aime ou pas, et en plus ça dépend de ses romans.

  3. Ce sera sans moi, le style ne me convainc pas, et le manque de réalisme m’agacerait…

  4. J’avais adoré Faillir être flingué, mais celui-là m’a laissée bien perplexe.. Ça commençait pourtant bien : je l’ai lu lors d’un séjour en montagne, et contrairement à toi, je me suis sentie emportée par l’environnement décrit dans le récit. Mais ensuite, l’auteur m’a complètement perdue avec ses divagations surnaturelles, je n’ai pas compris quel était le but du récit, et où elle voulait nous emmener…

    • ah je suis contente de voir qu’une blogueuse qui d’habitude aime cette auteure, n’a pas apprécié celui-là, car je me demandais si c’était que moi!

  5. J’avais rencontré l’auteure au moment de la sortie du roman et j’avais bien compris qu’il n’était pas pour moi.

  6. elle a effectivement un sens du romanesque certain mais après avoir énormément aimé Faillir être flingué j’ai nettement moins accroché à ses autres romans

  7. Je crois que je serais totalement hermétique à un texte pareil !

  8. je vais être franche : j’ai détesté ce livre et me suis dit que je ne lirai plus jamais cette autrice ! J’ai trouvé ça d’une platitude affligeante…

  9. J’avais beaucoup aimé « faillir être flingué » mais pour celui-ci voilà comment j’avais conclu mon billet « quand j’ai refermé le livre, j’étais plus que dubitatif sur ce que je devais en penser : était-ce un roman intelligent ou bien un roman rusé fait d’un blabla joliment agencé ? A cette heure, je m’interroge encore. »

    • Oui,parfois on sent que le roman n’est pas pour soi, et que pourtant il possède des qualités certaines. Dans ce cas je cherche sur La blogosphère si je suis la seule à penser cela, visiblement nous étions au moins deux à ne pas accrocher.

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