Quel livre ! Je l’ai lu deux fois. Une fois, pour comprendre d’où venait cette Naïma si courageuse, celle qui peut soulever des montagnes pour arriver à voyager en Algérie mais qui a tant de mal à faire parler son père. Et puis je l’ai relu tranquillement sans me dépêcher en allant à chaque événement voir ce qu’on disait sur la toile des événements évoqués par l’auteure.

Je suis tombée sur des reportages qui à eux seuls feraient des romans et j’ai encore plus admiré le talent d’Alice Zeniter de ne pas avoir alourdi son récit des habituels prises de position sur l’Algérie. Elle mène son récit sur une ligne de crête très inconfortable comme l’a été la vie de ces algériens qui refusaient le FLN sans pour autant accepter la colonisation. Trop favorable à la France, elle aurait minimisé le racisme et surtout le traitement des harkis après 1962 en France. Trop proche des combattants , elle aurait passé sous silence des crimes révoltants et le rejet de sa propre famille . Elle porte ces contradictions en elle mais ne veut plus être une victime de cette histoire.

Alors elle nous raconte tout, depuis l’Algérie jusqu’au Paris d’aujourd’hui en passant par les camps de Rivesaltes où on a parqué des Harkis comme s’ils étaient coupables de quelque chose. Refusés et assassinés en Algérie, ils étaient très mal vus en France. Ensuite c’est la vie en HLM qu’on n’appelait pas encore Cité . Son père fait partie de ceux qui se sont emparés de ce que la France offrait grâce à l’école pour s’en sortir . Sa fille, qui ressemble à l’auteure, est donc la troisième génération, celle qui veut connaître ses origines mais qui hélas ne retrouve qu’une Algérie marquée par une autre guerre : celle de l’intolérance islamiste. Cette Algérie-là, est encore perdue pour elle qui assume une vie de femme libre.

Il ne faut pas réduire ce roman à l’Algérie, aux Harkis et aux cité, mais grâce à cet éclairage, l’auteure nous fait revivre la France des années 60 jusqu’à aujourd’hui. J’ai retrouvé des ambiances et des moments de moments de ma jeunesse, le Paris d’Hamid c’est aussi le mien, la vie en province était si étriquée que seule la capitale pouvait donner ce sentiment de liberté . Je pense aussi que cette écrivaine a trouvé un territoire où elle n’est pas « perdue » : l’écriture. et j’espère, pour le plus grand plaisir de ses lectrices et lecteurs qu’elle y reviendra très vite

Citations

Un adage contraire aux célèbre « Vivons heureux vivons cachés » des gens du Nord

– Si tu as de l’argent, montre le.
C’est ce qu’on dit ici, en haut comme en bas de la montagne. C’est un commandement étrange parce qu’il exige que l’on dépense toujours l’argent pour pouvoir l’exhiber. En montrant qu’on est riche, on le devient moins. Ni Ali ni ses frère ne penseraient à mettre de l’argent de côté pour le faire « fructifier » ou pour les générations à venir, pas même pour les coups durs. L’argent se dépense dès qu’on l’a. Il devient bajoues luisantes, ventre rond, étoffes chamarrées, bijoux dont l’épaisseur et le poids fascinent les européennes qui les exposent dans des vitrines sans jamais les porter. L’argent n’est rien en soi. Il est tout dès qu’il se transforme en une accumulation d’objets.

Dicton

Ici on dit que les dettes se couchent comme des chiens de garde devant la porte d’entrée et défendent à la richesse d’approcher.

Humour

Il m’a filé une baffe et je suis redescendu avec le cousin qui m’insulte tant qu’il pouvait en disant que j’avais fait mal à son honneur, à sa réputation. Tu y crois, toi, Hamid ?
Youssef se tourne vers le petit garçon, avec un large sourire
-Même pour faire la Révolution, il faut être pistonné….

Les cités des années 60

 Le Pont- Féron offre à Clarisse et Hamid une haie d’honneur faite de barres décrépites, d’antennes de télévision tordues, de chaussées défoncées, de vieux assis devant les immeubles, leurs bouches à demi vide ou bien brillantes de dents en or, les sacs plastiques à leurs pieds contenant un mélange de médicaments et de nourriture. Il semble à Hamid qu’il a suffi qu’il s’absente un an pour que la cité s’effondre sous le poids de l’âge. Elle fait partie de ces constructions qui n’ont d’allure que flambant neuves et qui vieillissent comme on pourrit La conjoncture s’ajoute au faiblesse de son architecture pour faire craquer les murs, la crise sonne le glas des trente glorieuses et écrase ce quartier de travailleurs qui travaillent de moins en moins.

L’homme algérien ne trouve plus sa place

Il y a la télévision. Celui qui ne fait rien la regarde. C’est comme ça, en France. Mais comment rester chef de famille lorsque l’on regarde la télévision aux côtés de ses enfants et de sa femme ? Quelle différence y a-t-il entre soi et les enfants ? Soi et l’épouse ? La télévision et le canapé effacent les hiérarchies, les structures de la famille pour les remplacer par un avachissement similaire chez chacun.

  Très bien vu !

  Et en guise de modernité, de glamour politique, qu’est-ce qu’on vous a proposé -et pire- qu’est-ce que vous avez accepté ? Le retour de l’ethnique. La question des communautés à la place de celle des classes. Alors les dirigeants pensent qu’ils peuvent apaiser tout tension avec une jolie vitrine de minorités, une tête comme la leur, en haut de l’appareil d’État, sûrement, ça va calmer les gens de la cité. Il nous montre Fadela Amara, Rachida Dati, Najat Vallaud-Belkacem au gouvernement. La peau brune, Le nom arabe, ça ne suffit pas. Bien sûr, c’est beau qu’elles aient pu réussir avec ça ‘ ça n’était pas gagné- mais c’est aussi tout le problème, elles ont réussi. Elles n’ont aucune légitimité à parler des ratés, des exclus, des désespérés, des pauvres tout simplement. Et la population maghrébine de France, c’est majoritairement ça, des pauvres.

Paris

Hamid s’enivre de Paris tant qu’il peut. Il voudrait pouvoir s’injecter la ville, il l’aime, il est amoureux d’une ville, il ne croyait pas que c’était possible mais il ne veut plus la quitter. Ici, tout les monuments sont célèbres et les visages anonymes. Les photographies et les films font que Paris semblent appartenir à tous et Hamid, plongée en elle, réalise qu’elle lui manquait alors même qu’il n’y avait jamais posé le pied.

C’est bien observé

 Hamid et Gilles jalousent François qui sert des mains ici et là et surjoue pour eux le fait d’avoir ici ses habitudes. Ils découvrent que l’anonymat de la grande ville, qui les libère, crée aussi le besoin paradoxal de lieux où l’on peut entrer et être reconnus.

Traduit de l’anglais par Christine Raguet.

Une plongée dans la souffrance d’un homme rongé par l’alcool, et qui a laissé sur son chemin un bébé qui a dû se débrouiller tout seul pour grandir. Non, pas tout seul car le geste le plus beau que son père a accompli, a été de le confier au seul être de valeur rencontré au cours de sa vie d’homme cabossée par une enfance bafouée, puis par la guerre, par le travail manuel trop dur et enfin par l’alccol : « le vieil homme » saura élevé l’enfant qui lui a été confié et en faire un homme à la façon des Indiens , c’est à dire dans l’amour et le respect de la nature. Bien sûr, cet enfant a de grands vides dans sa vie : son père qui lui promettait tant de choses qu’il ne tenait jamais et sa mère dont il ne prononce le nom qu’aux deux tiers du roman mais que la lectrice que je suis, attendait avec impatience. Ce roman suit la déambulation lente de la jument sur laquelle le père mourant tient tant bien que mal à travers les montagnes de la Colombie-Britannique, guidé par son fils qui jamais ne juge son père mais aimerait tant le comprendre. Après Krol, Jérome Kathel, j’ai été prise par ces deux histoires, la tragédie d’un homme qui ne supporte sa vie que grâce à l’alcool. Et celle de son enfant qui a reçu des valeurs fondamentales de celui qu’il appelle le vieil homme. Tout le récit permet aussi de découvrir le monde des Indiens, du côté de la destruction chez le père, on vit alors de l’intérieur les ravages mais aussi la nécessité de l’alcool. Souvent on parle de l’alcoolisme des Indiens, comme s’il s’agissait d’une fatalité, mais au centre de ce comportement, il existe souvent des secrets trop lourds pour que les mots suffisent à les évacuer. L’enfant en parle ainsi

C’est un peu comme un mot de cinq cents kilos

L’autre aspect, bien connu aussi du monde des Indiens, c’est l’adaptation à la nature qui remet l’homme à sa juste place sur cette planète. Et l’auteur sait nous décrire et nous entraîner dans des paysages et des expériences que seule la nature sauvage peut nous offrir.

 

Citations

Être indien

Il était indien. Le vieil homme lui avait dit que c’était sa nature et il l’avait toujours cru. Sa vie c’était d’être seul à cheval, de tailler des cabanes dans des épicéas, de faire des feux dans la nuit, de respirer l’air des montagnes, suave et pur comme l’eau de source, et d’emprunter des pistes trop obscures pour y voir, qu’il avait appris à remonter jusqu’à des lieux que seuls les couguars, les marmottes et les aigles connaissaient.

L’alcool

 Le whisky tient à l’écart des choses que certaines personnes ne veulent pas chez elle. Comme les rêves, les souvenirs, les désirs, d’autres personnes parfois.

La souffrance et l’alcool

 J’ai essayé de me mentir à moi-même pendant un paquet d’années. J’ai essayé d’me raconter que ça s’était passé autrement. J’ai cru que j’pourrai noyer ça dans la picole. Ça a jamais marché du tout.

Les couchers de soleil

Lorsqu’ils passèrent la limite des arbres au niveau de la crête, les derniers nuages s’étaient écartés et le soleil avait repris possession du ciel à l’ouest. Les nuages été à présent pommelé de nuances mordorées et il pensa que c’était bien la seule cathédrale qu’il lui faudrait jamais.
Photo prise dans un blog que j’aime beaucoup : ruralité .net
 oui, les couchers de soleil sont des cathédrales !

Fierté française

Pour ceux qui l’auraient un peu oublié, le béton précontraint figure au nombre des fiertés françaises, avec le romanée-conti, la cathédrale de Chartes, le N°5 de Chanel et bien d’autres. 


Merci Keisha, qui a été la première à me donner envie de lire ce livre, depuis j’ai lu d’autres avis tout aussi élogieux sur ce « roman » qui mérite plus le titre de « documentaire », à mon avis. J’ai écouté Laurence Cossé parler de son livre, elle explique qu’elle voit ce monument comme l’expression de la tragédie de son architecte : Johann Otto von Spreckelsen. Celui-ci a démissionné de ce projet en 1986 lorsque le gouvernement de Jacques Chirac renonce au « Carrefour International de la Communication » et il meurt quelques mois plus tard en exigeant que son nom ne soit pas associé à la « grande Arche ». Mais auparavant, il avait négocié des royalties sur toutes les photos prises de la grande Arche, et c’est d’ailleurs le seul lien que sa veuve gardera avec la France : les royalties !

L’auteure est très critique aussi pour le monde politique mais curieusement dans les entretiens, elle en veut plus à la droite (Juppé et Chirac) qu’à Mitterrand. Or en lisant ce livre, on est abasourdi par la façon dont ce président a dépensé l’argent de la France. C’est peu de dire qu’il n’avait aucun soucis d’économie et que le fait du prince a coûté très cher aux français et pas toujours pour de bonnes raisons. Comme cette volonté de ne pas traiter le marbre qu’il faut aujourd’hui remplacer. Laurence Cossé critique la droite de ne pas savoir su donner vie « au Carrefour International de Communication » mais personne ne savait quoi mettre derrière ce nom ronflant. La lecture de l’article de Libération explique bien les enjeux politiques de ce projet. Il est vrai que chaque gouvernement avait son idée pour occuper cet espace et que ce n’est pas la plus mauvaise des idées qui a été retenue. Seulement voilà Spreckelsen (qui touchera quand même ces 10 pour cent d’un bâtiment qui coûtera trois milliards sept), n’avait pas derrière lui un bureau d’études capable de mener ce projet à son terme et si, deux noms peuvent être rattachés à ce bâtiment c’est celui de Paul Andreu qui fera tout pour que ce bâtiment se construise malgré les énormes défis architecturaux et les magouilles politiques et Robert Lion directeur de la caisse et des dépôts et consignation qui a trouvé les budgets pour financer la construction.

Le problème majeur de ce bâtiment ce n’est pas tant les prouesses techniques auxquelles il a fallu faire face que le fait que personne n’ait pu lui donner une affectation qui permette aux communs des mortels de venir le visiter. Il s’inscrit à tout jamais dans une belle perspective parisienne et même si son entretien est compliqué à cause des choix esthétiques de l’architecte danois il reste un monument qui a de l’allure. Encore aujourd’hui, l’affectation de la grande Arche n’est pas définie mais on peut de nouveau monter sur son toit et apparemment s’y restaurer. Laurence Cossé vous entraînera dans cette aventure avec un talent étonnant, moi qui suis peu technique j’ai lu avec grand intérêt ce qu’elle dit sur les difficultés des maître d’ouvrages. J’ai soupiré avec elle, quand elle avoue avoir souffert en cherchant à rendre clairs les problèmes architecturaux , mais elle a réussi son pari : on comprend très bien ce qu’elle explique. Comme elle, je vous conseille l’article de Wikipédia, c’est beaucoup moins intéressant que son roman mais cela permet de suivre les différentes péripéties de la construction jusqu’à aujourd’hui..

Citations

Le début de Mitterrand

Il y avait une ambiance extraordinaire, de foi d’espoir… inimaginable aujourd’hui. On baignait dans l’illusion lyrique, tous les fantasmes de la gauche au cœur. N’ayant jamais été au pouvoir, à part de rares exceptions, les nouveaux dirigeants pensaient qu’il y avait énormément à distribuer.

Les absurdités des musées et bibliothèques

Ces films et les quelques livres sur Spreckelsen se trouvent à la bibliothèque de la Cité de l’Architecture, au Trocadéro. Un endroit lumineux, mais où il faut éviter de se rendre en juillet et en août. Car, si la cité est ouverte ces mois-là, la bibliothèque est fermée. Sans doute les autorités font-elles l’hypothèse que ceux qui s’intéressent à l’architecture ont le dos fatigué et doivent aller s’allonger deux bons mois sur la plage. 
C’est pourtant là une bibliothèque idéale, il serait heureux de pouvoir s’y poser une heure ou deux en été : un aquarium calme et blanc en plein Paris, des milliers de livres, des milliers d’articles, des ordinateurs, vingt lecteur jeunes et du genre le plus sérieux et dix bibliothécaires aux petits soins.

Gabegie d’état

Il y a des pratiques un peu difficile à comprendre dans l’urbanisme, en France. Par exemple d’un candidat puisse gagner un concours, ou une consultation, et que jamais ensuite son projet ne soit construit. Cela s’est pourtant fait cent fois. Souvent c’est politique….

Ce que l’on ne dit pas au contribuable, c’est que l’on fait accepter l’arbitraire à l’architecte évincé en le dédommageant. Toutes les maquettes de projet écartés qui s’entassent dans les réserves des musée de l’architecture valent chacune leur poids d’or.

Les Danois et nous

 Il portait ces préventions en lui depuis longtemps, avec tous les Danois. Nous avons du mal à le croire, nous autres français qui nous croyons rationalistes, organisés et pour tout dire très intelligents, mais aux yeux de beaucoup de nos voisins nous sommes des passionnels, des idéologues, des phraseurs, des agités, des individualistes, enfin des gens peu sûrs.
Le plus triste c’est que la réalité a donné raison à Spreckelsen et à ses craintes. Dans les derniers moments de sa vie, trois ans plus tard, dans le film de Tschernia-, il parle sans rancoeur mais il a des mots définitifs sur le peu de sens du contrat en France, sur les remises en cause incessantes des choix collectifs, sur la violence des affrontements entre camps politiques. Et là, il parle d’expérience.

Les débuts de l’informatique

Spreckelsen n’a jamais touché un ordinateur mais ADP commence à en être équipé. La période est unique dans l’histoire. On est à cheval sur deux ères. Les quantités documents ont été dessinés à la main sur papier. Après les avoir numérisé, il faut les faire viser par les auteurs puis obtenir l’approbation des architecte en chef. À vouloir concilier les deux systèmes, certains se demande si on ne perd pas plus de temps qu’on en gagne. À l’époque, à l’observatoire de Meudon, un vieil astronome qui se méfie de l’informatique refait tous les calculs de l’ordinateur, de la façon dont tu as toujours fait.

PARLONS CHIFFRES

Un point n’est pas conflictuel -et d’ailleurs jamais évoqué dans la littérature sur les grands travaux-, les architectes sont très bien payés. Inge Reitzel en sourit :  » Nous étions voisins des Spreckelsen, à côté de Copenhague. Dans l’été 1985, allant chez eux, nous avons vu deux Jaguar devant la maison. »

Rien là d’exceptionnel. Pei pour le Louvre, Ott et Bick pour la Bastille, Tschumi et Fainsilber pour la Vilette, Chemetov pour Bercy, tous les architectes des grands travaux touchent les honoraires d’usage, quelque dix pour cent du total du coût de la construction. La modernisation du Louvre atteindra plus de six milliards de francs, la grande bibliothèque huit milliards, l’Opéra Bastille trois milliards, la Cité de la Musique un milliard trois , l’Arche trois milliards sept. Cela fait pour chacun des architectes,  » une bonne pincée », comme dit Andreu.
Spreckelsen est particulièrement bien traité quand on sait que son travail n’est pas comparable à ce que produit Pei, par exemple. Le second a dans sa manche un grand bureau d’études et va très loin dans le détail. Les entreprises qui construisent sous sa gouverne n’ont qu’à exécuter ses plans. Le premier à quelques collaborateurs pour la circonstance, et la qualité du travail technique indispensable à son projet est sous la responsabilité d’Andreu. « Je ne sais pas comment Spreckelsen s’était débrouillé pour obtenir des honoraires pareils », se demande encore Dauge qui, aussitôt, esquisse une hypothèse  : « Il avait l’appui du président « .
Sur un autre chapitre de son contrat, Spreckelsen a été bien conseillé aussi. Il a obtenu l’exclusivité des droits sur l’image. On aura besoin de son autorisation pour reproduire l’Arche et, qu’on l’ait ou non demandé, tous les droits de reproduction lui reviendront. Il ne se publiera pas une carte postale qu’il n’ait droit à une redevance.
En théorie, rien de nouveau. Cela fait plus d’un siècle que les architectes se sont vu reconnaître ce droit dérivé de la propriété artistique. Dans les années 80, cependant, la plupart en sont restés à la conception selon laquelle ce qui appartient à la rue, à la ville ou au paysage appartient à tout le monde, et ne demande pas de droits sur l’image de leurs œuvres. Spreckelsen en demande. Il en demande.l’exclusivité. 
Quand ses confrères découvriront de quoi il retourne, ils commenceront par s’offusquer, puis ils s’y mettront à leur tour. Il y a souvent plus à gagner aujourd’hui à vendre les images que ses œuvres mêmes. Un architecte comme Pei touche des millions sur les photos de ses ouvrages architecturaux. Les peintres et les sculpteurs ne sont pas en reste. Buren s’en est fait une spécialité. Jusqu’aux propriétaires de sites naturels, qui ont pensé être fondés à prélever leur dîme sur des photos publicitaires où figuraient leurs terres – en vain, quant à eux.

Des aspects techniques

Les fondation n’en sont pas , du moins au sens classique. L’ Arche n’est pas ancrée en profondeur comme usuellement les immeubles et les tours, elle repose sur des pilliers. Ce n’est pas le premier édifice fondé de la sorte, les ponts le sont souvent, quelques centrales nucléaires, et Paul Andreu a eu recours au procédé de l’aérogare de Roissy. Mais on n’a jamais vu cela dans le bâtiment. Le toit n’a pas grand-chose d’un toit puisque c’est un palais suspendu d’un hectare posé sur deux immeubles aux extrémités. La cage à ascenseurs externe sera le plus grand ouvrage en acier inoxydable jamais assemblé, les dômes en altuglas qui coifferont les ascenseurs les plus spacieux jamais réalisés. …tout est exceptionnel, on va donc devoir innover beaucoup. Ainsi, on emploie pour la première dans ces proportions un hyperbéton, deux fois plus résistant que le béton ordinaire mais beaucoup plus fluide, et difficile à manier.
Ça n’a l’air de rien pour le béotien, mais quand Andreu écrit « personnellement je n’avais jamais utilisé ce béton à haute résistance » , c’est un peu comme si un commandant de sous-marin déclarait au moment de plonger qu’il est curieux de découvrir un nouveau système de ballast. 

Les fêtes de la mitterandie

Dans l’après-midi de semaine 14 juillet , le quinzième sommet des sept pays les plus riches du monde s’est ouvert au Louvre où François Mitterrand a inauguré cette fois la petite pyramide et l’immense sous-sol signé Peu. Le lendemain le 15, les chefs d’État, leurs suites et la presse du monde entier se transportent en haut de l’Arche. 
Le faste du moment et inimaginable aujourd’hui en France. Un des grands espaces carrés du toit a été transformé en salle de conférence ronde par l’architecte et le musicien Franck Hammoutène. Chacun des meuble de ce Saint des saints, dessiné pour la circonstance, ne servira qu’à cette unique occasion, y compris la table-monument de verre et de granit, ronde, elle aussi, comme il se doit,et si vaste, avec ses sept mètres vingt de diamètre, qu’il a fallu la monter en pièces détachées en hélicoptère. Quelques Rodin, Minet et Picasso ont été prêtée par les musées nationaux pour égayer la pièce. Dans les autres salles du toit, Andrée Putman à installé des lieux de repos dont elle a conçu le mobilier lui aussi éphémère au sens littéral, une salle à manger, un bar en demi cercle, autant de salons que de délégations, strictement identiques à part les couleurs, « taupe, ivoire, cigogne, camel », d’une banalité parfaite et donc propres à éviter tout incident diplomatique. 
Tout cela sera démonté dans les jours suivants. Grosse rentrée en vue pour le Mobilier national.

 Les mesquineries des politiques

   Habilement, le concours est ouvert aux seuls architecte français. Très ouvert : une esquisse seule est requise, et le règlement est léger. Le président Mitterrand se dit favorable au projet d’une tour de bureau, lui dont ce n’est pourtant pas le genre. Une seule explication : c’est que Michel Rocard, son premier ministre et le vieil adversaire à gauche, s’oppose pour sa part à de nouveaux immeubles de bureaux à la Défense. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai été très séduite par le style de cet écrivain marocain qui manie la langue française avec une dextérité que beaucoup d’écrivains et d’écrivaines peuvent lui envier. Comment rendre compte de ce qui a été la vie de l’auteur lui même : la personnalité de son père chargé de divertir le roi Hassan II, alors qu’à la maison, pendant vingt ans toute la famille vit l’absence du brillant frère aîné, officier de l’armée marocaine maintenu vingt ans dans la geôle la plus terrible du Maroc pour avoir eu comme supérieurs des officiers qui ont participé au coup d’État de SkhiratLe bagne de Tazmamart est un lieu d’horreurs comme il en existe dans toutes les tyrannies. Que le père d’une des victimes soit « le fou » auprès de celui qui a créé ce bagne et qui y maintient son fils durant plus de vingt ans, est une situation qui rappelle la perversité de Joseph Staline.

Ce livre ne raconte pas seulement cette horreur là (dont la femme du « fou » ne se remettra jamais), l’auteur explique et nous fait comprendre la personnalité des courtisans. Et finalement on se dit que peu importe la forme du pouvoir, tout puissant doit avoir autour de lui des gens de l’acabit de Mohammed ben Mohammed. On pense à tous ces êtres de pouvoir qui ne veulent voir autour d’eux que le reflet d’eux même dans les yeux des gens qui les entourent. Bien sûr, plus les hommes ont du pouvoir et Sidi (Hassan II) en a beaucoup, plus la cour doit être composée de gens serviles. Peu de résistances peuvent se manifester, mais l’on voit quand même un ministre se faire traiter d’animal et sauver sa vie d’une manière très originale. Tout le monde vit sur la corde raide sans cesse et un rien peut vous plonger au pire dans une geôle ou vous conduire à la mort et au mieux dans l’oubli et disparaître des faveurs du roi.

Si ce roman avait été écrit de façon réaliste, on aurait pu pleurer à toutes les pages, mais il s’agit d’une fable un peu à la manière des conte de Voltaire. Nous ne sommes apparemment pas dans la réalité et pourtant, ce roman fait beaucoup plus pour décrire le régime d’Hassan II, d’ailleurs vivre ainsi comme courtisan d’une cour où le danger de mort vous guette à chaque faux-pas ne donne-il pas à la vie cet aspect d’irréel ? Plusieurs romanciers, et plusieurs cinéastes se sont emparés des derniers jours de Staline pour rendre compte de de cette atmosphère si étrange. Et bien lisez Mahi Binebine pour prendre conscience que les cours autour des tyrans sont, malgré les différences culturelles, partout les mêmes.

Citations

Portrait du fou face au dernier moments de son roi

Tout paraissait normal, mais rien ne l’était pour votre serviteur. Moi, Mohammed ben Mohammed, écume de la lie et du moisi de Marrakech que rien ne prédestinait à côtoyer les élus, moi, le rescapé des troisièmes sous-sols de l’humaine condition, j’étais là en cette soirée de juillet derrière mon maître moribond, ruminant la terrible sentence du médecin : « Plus que deux ou trois jours et nous serons tous orphelins ! »

La cour du roi

Voilà, j’ai commencé par vous dépeindre le meilleur du panier de crabe où j’ai eu à passer une partie substantielle de mon existence. De même que la proximité du pouvoir engendre des monstres, il lui arrive aussi d’enfanter des êtres supérieurs que, dans un autre temps, on aurait qualifiés de Saints. En dehors du musicien Saher et de l’irremplaçable docteur Moura, l’entourage de Sidi comptait une nuée d’individus sans foi ni loi, des créatures d’une intégrité et d’une humanité contestable (…). Cependant pour une question de survie, je devins à mon tour opportuniste. Plus de scrupules à exploiter les impairs de mes confrères pour briller. Et l’offre était conséquente tant ils rivalisaient de sottises (…)Que de fois j’ai voulu me payer le nain féroce qui jouissait les faveurs du souverain… ce reste de pâte noire dont la jalousie mesquine, la malveillance, la mauvaise foi absolue faisait de lui l’élément le plus détestable du groupe. Une peste qui crache son venin partout. Un fagot d’épines qui terrorisait l’Assemblée entière et qu’un simple souffle aurait envoyé au tapis. Pour être honnête, et j’en ai honte, si je nourrissais à son égard une haine cordiale, il m’arrivait aussi de le trouver drôle et même hilarant quand, avec ses crochets de vipère, il s’acharner à dépecer un individu désarmé, penaud, riant jaune. Difficile de se défendre contre la dérision quand on a le public contre soi.

Les ministres

Une information capitale, monnayable à prix d’or, qu’il pouvait divulguer, ou bien taire, c’est selon en quittant les appartements de Sidi sous les regards anxieux des gradés, soit le caïd Moha, souriait en opinant du chef, signifiant qu’on pouvait aborder le roi sans risquer sa peau ou à tout le moins son emploi, soit il levait son index retroussé en queue de scorpion, auquel cas il était fort recommandé à ces messieurs de remballer au plus vite leur paperasse et de remettre au lendemain l’urgence de leur visite. Conscients de leurs propres vulnérabilité et des redoutables atouts du valet, les gradé rivalisaient de gentillesse à son égard, le voyait ostensiblement, affectant à qui mieux mieux des familiarités dont il n’était pas dupe. Tous étaient bien entendu prêt accordé de larges faveurs, pourvu que le caïd Moha daignât lever le petit doigt si besoin !

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanchita Gonzales Batlle.


J’ai transporté pendant quelques séances de lecture, des personnes âgées, dans la cité de « la poussière rouge » à Shangaï. Et ceci grâce à Jérôme qui m’a fait connaître ce recueil. Les nouvelles commencent en 1949 et se terminent en 2005. Elles suivent toutes le même schéma narratif, on lit d’abord la presse qui pendant plus d’un demi siècle vante avec un style qui lui est propre tous les succès de la Chine sous la direction du « Parti Communiste Chinois » qui est au moins aussi infaillible que le pape, même si, il lui arrive de se contredire quand les réalités économiques dominent les réalités idéologiques. Après le préambule de la presse officielle, Qiu Xiolong, raconte les événements vus et vécus par les habitants de son quartier. Pour bien comprendre ce qu’est cette cité, il ne faut surtout pas sauter l’introduction et la façon dont se présente celui qui va vous raconter toutes ces histoires

En cette fin de l’année 1949, je vis dans cette cité depuis vingt ans, et je me propose d’être votre futur propriétaire, ou plutôt locataire principal, « ni fangdong », dont vous serez le colocataire »

Avec lui nous visitons cette cité, qui est une sorte de micro-quartier, construit sur une rue principale où tout le monde se retrouve, en particulier pour faire la cuisine et commenter avec une grande énergie tous les faits et gestes des habitants, et le long de laquelle les maisons se sont divisées en unité de plus en plus petites. Heureuses les familles qui pouvaient disposer de deux pièces ! Elles vivent, le plus souvent entassées dans une seule pièce. Étant donné le temps sur lequel s’étend les nouvelles, c’est amusant et souvent très triste de voir l’évolution de la Chine. Qui se souvient des errances idéologiques de la « grande révolution culturelle » , il s’agit de faire la preuve que les intellectuels font tous partie de l’horrible classe dominante, tous les lettrés sont visés par les directives du parti, et c’est une époque où l’on stigmatise les plus savants d’entre eux avec un tableau noir autour du cou pour les humilier avant de les renvoyer dans des communes agricoles se faire rééduquer par des paysans. Mais c’est aussi l’époque où l’on recherche des talents littéraires chez les ouvriers. C’est ce que nous raconte la nouvelle « Bao le poète ouvrier » qui dans un trait de génie écrit un poème qui pendant des années sera considéré comme un pur chef d’oeuvre de l’art populaire

Telle fève de soja produit tel tofu.
Telle eau donne telle couleur.
Tel savoir-faire fabrique tel produit.
Telle classe parle telle langue.

Toute « la dialectique de la lutte des classes » transparaît dans ce poème et Bao va devenir une star incontestée parmi les intellectuels de Shanghaï , heureusement pour lui quand on le retrouve en 1996, il est aussi un très bon fabriquant de tofu. Car sa poésie est passée aux oubliettes. Une des nouvelles qui m’a le plus amusée, et qui d’une certaine façon m’a fait penser au « sous préfet aux Champs », se passe en 1972, le président Nixon vient visiter la Chine populaire, il s’agit de nettoyer les rues de Shangaï de tous éléments perturbateurs, et neuf petits enfants se retrouvent enfermés dans une pièce de 15 mètres carré, sous la surveillance d’une grand-mère de l’un d’entre eux, seul le commissaire politique peut leur donner l’autorisation de sortir, seulement voilà le commissaire Liu était entre temps tombé fou amoureux d’une jeune serveuse à qui Nixon avait dit qu’elle était « Délicieuse »

Le brassard rouge en boule dans sa poche, le commissaire Liu nous avait oublié.

Il est parfois difficile de faire comprendre à des enfants comment les ennemis d’hier , vilipendés à longueur de colonne deviennent des hôtes que l’on doit accueillir :

L’année 1972 a commencé par des événements difficiles à comprendre à la Poussière Rouge, notamment pour des élèves de l’école élémentaire tels que nous. À commencer par le devoir politique d’accueillir le président américain Richard Nixon. Dans notre manuel scolaire, nous n’avons rien trouvé de positif sur les Américains impérialistes dont on nous apprenait qu’ils étaient l’ennemi numéro un de la Chine. Comment les choses avaient-elles pu changer du jour au lendemain ?

Dans une des nouvelles « Père et fils » on voit un vieux communiste resté malgré toutes les années de camp et les horreurs qu’on lui a fait subir fidèle à son idéal, il n’arrive pas à supporter son fils qui a troqué l’idéal communiste contre la volonté de s’enrichir. La seule façon de contourner les carcans de l’ancienne société communiste, c’est de réduire à la misère les ouvriers qui y travaillent encore. Le cœur du vieux Kang communiste ne résistera pas aux initiatives de Kang gros-sous son fils. Cette nouvelle raconte comment en une génération on est passé de la propriété privé à la propriété d’état. Le vieux Kang avait été ce cadre communiste qui va participer à la nationalisation de l’usine, il aura ensuite été persécuté comme « droitier » revenu affaibli des camps il verra son fils Kang Gros-sous, son fils privatiser de nouveau la même usine :

Ce soir là, nous avons fait transporter d’urgence le camarde Kang à l’hôpital et nous avons prié pour son rétablissement. Mais nous étions inquiets de la réacion qu’il aurait au réveil quand il apprendrait tous les détails et le rôle de Kang Gros-sous ;

Petit Hua, le nouveau résident à la Poussière rouge s’est montré moins pessimiste. « Pourquoi tant d’histoires ? L’usine du père est maintenant au fils »

Chaque nouvelle est un petit drame avec comme dans chaque drame des moments de rire qui cachent tant de larmes. J’ai retrouvé à travers cette lecture le plaisir des contes de Maupassant, qui grâce à la création littéraire nous permet de toucher du doigt toutes les cruautés des hommes. Mais comme chez Maupassant on peut en refermant avec regret ce recueil se dire :

La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais, qu’on croit.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière.

Laissez moi vous dire une chose. On est jamais trop vieux pour apprendre.


Après Dominique, Kathel, Keisha et tant d’autres, je viens vous recommander la lecture de cette épopée. Voici le sujet, tel que le raconte la quatrième de couverture :

«  lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-et-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l’Odyssée d’ Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s’affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d’une croisière thématique sur les traces d’Ulysse. »

 Daniel Mendelsohn a écrit un roman concernant la famille de sa mère assassinée lors des massacres de la Shoah : « Les Disparus » -récompensé par le prix Médicis en 2007-, livre qui m’avait beaucoup marquée . (C’était avant Luocine, et je me promets de le relire). Il consacre donc ce temps romanesque et son talent d’écrivain à la quête de la personnalité de son père. Il le fait à travers l’analyse minutieuse de l’Odyssée, ce si difficile retour d’Ulysse vers son royaume d’Ithaque, son épouse Pénélope et son fils Télémaque. On y retrouve tous les récits qui ont construit une partie de notre imaginaire. Ulysse et ses ruses, Pénélope et sa fidélité à toute épreuve, Télémaque, ce fils qui recherche son père, mais aussi le Cyclope, Circé, Calypso, les enfers… tous ces récits, grâce au talent du professeur Daniel Mendelsohn, nous permettent de réfléchir à la condition humaine. On aurait, je pense, tous aimé participer à ce séminaire au cours duquel ce grand spécialiste de la littérature grecque et latine, n’assène pas son savoir mais construit une réflexion commune aux participants et au professeur grâce aux interventions pertinentes de ses étudiants. Je n’ai pas très bien compris si tous connaissent le grec ancien ou si (comme cela me semble plus probable) seul le professeur peut se référer au texte originel. L’épopée prend vie et se mêle à la quête de l’auteur. Qui se cache derrière ce père taiseux, incapable de montrer ses sentiments à ses enfants ou à son épouse ? Certainement plus que la personnalité d’un père ingénieur devant lequel son fils tremblait avant de lui avouer qu’il ne comprenait rien aux mathématiques. Au détour d’une réaction d’étudiant, d’une phrase analysée différemment, nous comprenons de mieux en mieux ces deux fortes personnalités si différentes. On se prend à rêver que tous les pères et tous les fils sachent un jour entreprendre ce voyage vers une réelle connaissance de l’autre. Daniel est écrivain et professeur, le chapitre intitulé ‘Anagnorisis« , où il s’agit bien de « reconnaissance » se termine ainsi :
Quand vous enseignez, vous ne savez jamais quelles surprises vous attendent : qui vous écoutera ni même, dans certains cas, qui délivrera l’enseignement.
Et il avait commencé 60 pages auparavant de cette façon :
Une chose étrange, quand vous enseignez, c’est que vous ne savez jamais l’effet que vous produisez sur autrui ; vous ne savez jamais, pour telle ou telle matière, qui se révéleront être vos vrais étudiants, ceux qui prendront ce que vous avez à donner et se l’approprieront -sachant que « ce que vous avez appris d’un autre professeur, une personne qui s’était déjà demandé si vous assimileriez ce qu’elle avait à donner….
Quel effet de boucle admirable et toujours recommencée, oui nous ne sommes au mieux que des transmetteurs d’une sagesse qui a été si bien racontée et mise en scène par Homère. J’ai beaucoup de plaisirs à raconter les exploits d’Ulysse à mes petits enfants qui s’émerveillent à chaque fois du génie du rusé roi d’Ithaque, j’ai retrouvé le livre dans lequel enfant j’avais été passionnée par ces récits. Et je crois que comme le père et le fils Mendelsohn, j’aimerais faire cette croisière pour confronter mes souvenirs de récits à ces merveilleux paysage de la Grèce.
Peut-être que comme Jay, je trouverai que l’imaginaire est tellement plus riche que la réalité, et puis hélas je n’ai plus de parents à retrouver car il s’agissant bien de ça lors de cette croisière « sur les pas d’Ulysse » permettre à Daniel de retrouver la facette qu’il ne connaissait pas de son père, celui qui sait s’amuser et se détendre et faire sourire légèrement la compagnie d’un bateau de croisière. Bien loin de l’austère ingénieur féru de formules de physique devant lequel tremblait son plus jeune fils.

Citations

Relations d’un fils avec un père qui n’aime pas qu’on fasse des petites manières ou des histoires.

Lorsque mon père racontait cette histoire, il passait rapidement sur ce qui, à moi, me semblait être la partie la plus intéressante – la crise cardiaque, sa précipitation, à mon sens, poignante à rejoindre mon grand-père, l’action, en un mot – et s’étendait sur ce qui avait été pour moi, à l’époque, le moment le plus ennuyeux : les rotations de l’avion. Il aimait raconter cette histoire, car pour lui, elle montrait que j’avais très bien su me tenir : j’avais supporté sans me plaindre l’assommante monotonie de tous ces ronds dans l’air, de tout cette distance parcourue sans avancer. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait mon père, qui avait horreur que l’on fasse des histoires, et même à cette époque, malgré mon jeune âge, je comprenais vaguement qu’en donnant une légère inflexion caustique au mot « histoires », c’était en quelque sorte ma mère et sa famille qu’il visait. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait papa d’un hochement de tête approbateur. « Il est resté sagement assis, à lire, sans un mot ».
 De longs voyages, sans faire d’histoires. Des années ont passé depuis ce long périple de retour, et depuis, j’ai moi-même eu à voyager en avion avec des enfants en bas âge, et c’est pourquoi, lorsque je repense à l’histoire de mon père, deux choses me frappent. La première, c’est que cette histoire dit surtout à quel point « lui » s’était bien tenu. Elle témoigne de la façon exemplaire dont il a géré tout cela, me dis-je maintenant : en minimisant la situation , en faisant comme s’il ne se passait rien d’anormal, en donnant l’exemple et restant lui-même tranquillement assis, et en résistant -contrairement à ce que j’aurais fait car, à bien des égards, je suis davantage le fils de ma mère et le petit-fils de Grandpa – à la tentation d’en rajouter dans le sensationnel ou de se plaindre.
La seconde chose qui me frappe quand je repense aujourdhui à cette histoire, c’est que pendant tout le temps que nous avons passé ensemble dans l’avion , l’idée de nous parler ne nous a pas effleurés un instant.
Nous avions nos livres et cela nous suffisait.

Les questions que posent les récits grecs et qui nous concernent toujours.

Nous savons bien sûr que « l’homme » n’est autre Ulysse. Pourquoi Homère ne le dit-il pas d’emblée ? Peut-être parce que, en jouant dès l’abord de cette tension entre ce qu’il choisit de dire (l’homme) et ce qu’il sait que nous savons (Ulysse), le poète introduit un thème majeur, qui ne cessera de s’intensifier tout au long de son poème, à savoir : quelle est la différence entre ce que nous sommes et ce que les autres savent de nous ? Cette tension entre anonymat et identité sera un élément clé de l’intrigue de l’odyssée. Car la vie de son héros dépendra de sa capacité de cacher son identité à ses ennemis, et de la révéler, le moment venu, à ses amis, à ceux dont il veut se faire reconnaître : d’abord son fils, puis sa femme, et enfin son père.

Message d Homère

 L’Odyssée démontre la vérité de l’un des vers les plus célèbres et les plus troublants, que le poète met dans la bouche d’Athena à la fin de la scène de l’assemblée : »Peu de fils sont l’égal de leur père ; la plupart en sont indignes, et trop rares ceux qui le surpassent. »

Le plaisir des mots venant du grec

Les récits de Nestor sont des exemples de ce que l’on appelle les récits du « nostos ». En grec, « nostos » signifie « le retour ». La forme pluriel du mot, « nostoi », était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée au retour des rois et chefs de guerre grecs qui combattirent à Troie. L’Odyssée est-elle même un récit du « nostos », qui s’écarte souvent du voyage tortueux d’Ulysse à Ithaque pour rappeler, sous forme condensée, Les « nostoi » d’autres personnages, comme le fait ici Nestor -presque comme s’il craignait que ces autres histoires de « nostoi » ne survivent pas à la postérité. Peu à peu, le mot « nostoi », teinté de mélancolie et si profondément ancrée dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, « algos », pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amère que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie « la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer », mais comme nous le savons, ce foyer, surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est « nostalgie ».

L’implication de l’écrivain dans le récit de l’odyssée

J’avais hâte d’aborder l’épisode de la cicatrice d’Ulysse, où se trouve mêlé dans deux thèmes essentiels de l’Odyssée : la dissimulation et la reconnaissance, l’identité et la souffrance, la narration et le passage du temps. Mais une fois de plus, j’ai dû me rendre à l’évidence, les étudiants ne s’intéressaient pas du tout au même chose que moi. Seul Damien, le jeune Belge, avait parlé de la cicatrice d’Ulysse sur notre forum. Sans doute, me dis-je, est-ce parce que je suis écrivain que cette scène me fascine plus qu’eux : car tout l’intérêt de la composition circulaire est de fournir une solution élégante au défi technique qui se présente à quiconque veut entrelacer le passé lointain à la trame d’un récit au présent en gommant les sutures.

Pour comprendre ce passage, il faut savoir que l’auteur est homosexuel. Cela avait été difficile pour lui de le dire à ses parents. Mais son père ne l’avait pas jugé à l’époque. Il est en train de faire une croisière sur « les pas d’Ulysse ». Il est adulte et son père est très vieux. Dialogue père fils

Papa, attends, insistai-je. Donc, si je comprends bien, il y a eu un garçon gay amoureux de toi dans le Bronx, c’est de lui que te vient ton surnom de « Loopy », et tu n’as jamais songé à m’en parler ?
Mon père baissa les yeux. C’est simplement, Dan, que… Je ne savais pas trop comment t’en parler.
Que répondre à cela ? Alors j’ai fait comme mon père : j’ai été sympa avec lui.
C’est bon, dis-je. Au moins, maintenant, c’est fait. Bon Dieu, papa…
Il appuya sur un bouton de son iPad et l’ Iliade émit une lumière bleutée dans la pénombre. Ouais, on dirait… Puis il leva les yeux et dit : c’est une croisière sur l’Odyssée, n’oublie pas. Chacun a une histoire à raconter. Et chacun a… son talon d’Achille.
Oui, sans doute.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Prix Renaudot 2017 . Félicitations !


Quel livre ! La bibliothécaire nous avait prévenu, ce roman est intéressant à plus d’un titre, ce n’est pas seulement un livre de plus sur l’horreur d’Auschwitz. Olivier Guez commence son récit lorsque Josef Mengele débarque en Argentine sous le nom d’Helmut Gregor, après avoir passé trois ans à se cacher dans une ferme en Bavière non loin de Günzburg sa ville natale où son père occupe des fonctions très importantes à la fois, industriel prospère, et maire de sa ville. Toute sa vie de fuyard, Mengele sera soutenu financièrement par sa famille. Deux périodes très distinctes partagent sa vie d’après Auschwitz, d’abord une vie d’exilé très confortable en Argentine. Sous le régime des Peron, les anciens dignitaires Nazis sont les bienvenus et il devient un industriel reconnu et vend aussi les machines agricoles « Mengele » que sa famille produit à Günzburg.

Tout le monde tire profit de la situation, l’industrie allemande prend pied en Amérique latine et Josef s’enrichit. Son père lui fait épouser la veuve de son frère pour que l’argent ne sorte pas de la famille. Et la petite famille vit une période très heureuse dans un domaine agréable, ils participent à la vie des Argentins et se sentent à l’abri de quelconques représailles.

Tout s’effondre en 1960, quand le Mossad s’empare d’Eichmann et le juge à Jérusalem. Mengele ne connaîtra plus alors de repos, toujours en fuite, de plus en plus seul et traqué par les justices du monde entier. Mais jusqu’en février 1979, date de sa mort, sa famille allemande lui a envoyé de l’argent. On aurait donc pu le retrouver, pour information l’entreprise familiale Mengele n’a disparu qu’en 1991 et le nom de la marque en 2011.

La personnalité de ce médecin tortionnaire tel que Olivier Guez l’imagine, est assez crédible, jusqu’à la fin de sa vie, il se considérera comme un grand savant incompris et il deviendra au fil des années d’exil un homme insupportable rejeté de tous ceux qui se faisaient grassement payer pour le cacher. La plongée dans cette personnalité est supportable car Mengele n’a plus aucun pouvoir et même si on aurait aimé qu’il soit jugé on peut se réjouir qu’il ait fini seul et sans aucun réconfort. Ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’industriels allemands qui ont établi leur fortune sous le régime Nazi. L’aspect le plus étonnant de ce roman, c’est la complaisance de l’Argentine de l’Uruguay vis à vis des Nazis. Cette communauté de fuyards Nazis a d’abord eu pignon sur rue et a contribué au développement économique de ces pays, puis ces hommes ont peu peu à peu perdu de leur superbe et se sont avérés de bien piètres entrepreneurs.

Citations

L’Allemagne nazie

Tout le monde a profité du système, jusqu’aux destructions des dernières années de guerre. Personne ne protestait quand les Juifs agenouillés nettoyaient m les trottoirs et personne n’a rien dit quand ils ont disparu du jour au lendemain. Si la planète ne s’était pas liguée contre l’Allemagne, le nazisme serait toujours au pouvoir.

L’Allemagne d’après guerre

À la nostalgie nazi les Allemands préfèrent les vacances en Italie. Le même opportunisme qui les a incités à servir le Reich les pousse à embrasser la démocratie, les Allemands ont l’échine souple et aux élections de 1953, le Parti impérial est balayé.

Les industriels allemands

À Auschwitz, les cartels allemand s’en sont mis plein les poches en exploitant la main d’oeuvre servile à leur disposition jusqu’à l’épuisement. Auschwitz, une entreprise fructueuse : avant son arrivée au camp, les déportés produisait déjà du caoutchouc synthétique pour IG Farben et les armes pour Krupp. L’usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandantur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoire Scherring rémunéraient un de ses confrères pour qu’il procède à des expérimentations sur la fécondation in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur les détenus du camp. Vingt ans plus tard, bougonne Mengele, les dirigeants de ces entreprises ont retourné leur veste. Ils fument le cigare entourés de leur famille en sirotant de bon vin dans leur villa de Munich ou de Francfort pendant que lui patauge dans la bouse de vache ! Traites ! Planqués ! Pourritures ! En travaillant main dans la main à Auschwitz, industries, banques et organismes gouvernementaux en ont tiré des profits exorbitant, lui qui ne s’est pas enrichis d’un pfennig doit payer seul l’addition.

Description de Mengele à Auschwit par son adjoint

Mengele est infatigable dans l’exercice de ses fonctions. Il passe des heures entières plongé dans le travail, debout une demi-journée devant la rampe juive ou arrive déjà quatre ou cinq trains par jour chargés de déportés de Hongrie. Son bras s’élance invariablement dans la même direction, à gauche. Des trains entiers sont envoyés au chambre à gaz et au bûcher. Il considère l’expédition de centaines de milliers de Juifs à la chambre à gaz comme un devoir patriotique. Dans la baraque d’expérimentation du camp tsigane on effectue sur les nains et les jumeaux tous les examens médicaux que le corps humain est capable de supporter. Des prises de sang, des ponctions lombaires, des échanges de sang entre jumeaux d’innombrables examens fatigants déprimants, in-vivo. Pour l’étude comparative des organes, les jumeaux doivent mourir en même temps. Aussi meurent-ils dans des baraques du camp d’Auschwitz dans le quartier B, par la main du docteur Mengele.


Apres Homo Sapiens, je savais que je lirai ce livre qui fait tant parler de lui et de son auteur. On retrouve l’esprit vif et peu conventionnel de Yuval Noah Harari mais c’est moins agréable à lire. Car, si de nouveau, il remet en cause la façon dont Homo Sapiens, (c’est à dire nous) a conquis la planète, au détriment des animaux et au risque de détruire l’équilibre de la nature, il projette dans le futur les conséquences de nos récentes découvertes. Nous sommes donc, selon lui, au bord de créer l’Homo-Deus qui aura sans doute aussi peu de considération pour Homo Sapiens que celui-ci en a eu pour les animaux. L’auteur consacre de longues pages sur le sort que nous avons réservé à l’espèce animale, c’est terriblement angoissant. Les démonstrations sont brillantes et souvent implacables. Mais c’est aussi très triste, car cet avenir n’est guère réjouissant. Yuval Noah Harari ne veut être ni gourou, ni prophète, il peut se tromper mais il nous demande de réfléchir. Il termine son livre en nous laissant trois thèmes de réflexions que je vous livre :

Tous les autres problèmes et évolution sont éclipsés par trois processus liés les uns aux autres :
1/ la science converge dans un dogme universel, suivant lequel les organismes sont des algorithmes et la vie se réduit au traitement des données.
2/ l’intelligence se découple de la conscience.
 3/ Des algorithmes non conscients mais fort intelligents, pourraient bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes.
Ces trois processus soulèvent trois questions cruciales, dont j’espère qu’elle resteront présentes à votre esprit longtemps après que vous aurez refermé ce livre :
1/ Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données ? 
2/ De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse ?
3/ Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand les algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous ne nous connaissons ?
Ne croyez pas pouvoir sortir de ces questions par une simple boutade, ou par un geste rapide de dénégation. Même si ces questions ne vous intéressent pas sachez que ces problèmes vont venir vers vous que vous le vouliez ou non. Il a fallu 500 pages à l’auteur pour en arriver là. Il vous entraînera auparavant dans l’histoire humaine avec beaucoup d’humour et de sagesse. Vous verrez Homo Sapiens conquérir, domestiquer et dominer complètement la planète et après avoir vaincu les trois fléaux qui l’ont occupé des millénaires durant, à savoir : la famine, la maladie et les guerres, s’il suit les tendances actuelles, il se prendra pour Dieu et voudra vivre une vie augmentée de tous les services rendus par les nouvelles technologies. Vous croyez qu’il délire, et pourtant entre le Bitcoin, les blokschains et les big-data , dites moi un peu où se trouvent l’individu, le pouvoir politique ou les nations. Que deviennent nos conceptions de l’humanisme ?
J’ai annoté ce livre au fur et à mesure de ma lecture et si je mets toutes mes notes dans mon article c’est que parfois elles me font sourire mais surtout elles me permettent de mieux me souvenir des raisonnements de cet auteur, Yuval Noah Harari : juif, athée, végétarien, homosexuel et surtout incroyablement intelligent. Il a déclaré que le fait de n’être pas dans le moule de l’Israélien classique lui avait permis d’être libre dans son mode de pensée.
Un livre implacable donc, vous le lirez sans doute mais avec moins de jubilation que son précédent ouvrage.

Citation

la fin des famines

En 2012, autour de 56 million de personnes sont mortes à travers le monde. ; 620000 ont été victimes de la violence humaine, (la guerre en a tué 120000, le crime 500 000). En revanche, on a dénombré 800 000 suicides, tandis que 1,5 million de gens mouraient du diabète. Le sucre est devenu plus dangereux que la poudre à canon.

Une formule et un exemple frappant : l’art de convaincre de cet auteur

Le mot « paix » a pris un sens nouveau. Les générations antérieures envisageaient la paix comme l’absence temporaire de guerre. Aujourd’hui, la Paix, c’est l’invraisemblance de la guerre. En 1913, quand les gens parlaient de la paix entre la France et l’Allemagne, ils voulaient dire : » pour l’instant, il n’y a pas de guerre entre les deux pays, et qui sait ce que l’année prochaine nous réserve ? » Quand nous disons aujourd’hui que la paix règne entre la France et l’Allemagne, nous voulons dire que, pour autant que l’on puisse prévoir, il est inconcevable qu’une guerre puisse éclater entre elles.

La fin des masses

De surcroît, malgré toutes les percées médicales, nous ne saurions être absolument certain qu’en 2070 les plus pauvres jouiront de meilleurs soins qu’aujourd’hui. L’État et L’élite pourraient se désintéresser de la question. Au 20e siècle, la médecine a profité aux masses parce que ce siècle était l’ère des masses. Les armées avaient besoin de millions de soldats en bonne santé, et les économies de millions de travailleurs sains. Aussi les États ont-ils mis en place des services publics pour veiller à la santé et à la vigueur de tous. Nos plus grandes réalisations médicales ont été la création d’installation d’hygiène de masse, de campagne massive de vaccination et l’éradication des épidémies de masse. En 1914, l’élite japonaise avait tout intérêt à vacciner les plus pauvres, et à construire des hôpitaux et le tout-à-l’égout dans les taudis : pour que le pays deviennent une nation forte à l’armée puissante et à l’économie robuste, il lui fallait des millions de soldats et d’ouvriers en bonne santé. 

L’ère des masses pourrait bien être terminée et, avec elle, l’âge de la médecine de masse. Tandis que soldats et travailleurs humains laissent place aux algorithmes, certaines élites au moins en concluent peut-être qu’il ne rime à rien d’assurer des niveaux de santé améliorés ou même standards aux masses pauvres, et qu’il est bien plus raisonnable de chercher à augmenter une poignée de surhommes hors norme.

Victoire du libéralisme économique sur le totalitarisme communiste

Si le capitalisme a vaincu le communisme, ce n’est pas parce qu’il était plus éthique, que les libertés individuelles sont sacrées où que Dieu était en colère contre les communistes païens. Le capitalisme a gagné la guerre froide parce que le traitement distribué des données marche mieux que le traitement centralisé, du moins dans les périodes d’accélération du changement technique. Le comité central du Parti communiste ne pouvait tout simplement pas faire face au changement rapide du monde à la fin du 20e siècle. Quand la totalité des Data s’accumule dans un seul bunker secret, et qu’un groupe de vieux apparatchiks prend toutes les décisions importantes, ils peuvent certes produire des bombes nucléaires à la pelle, mais ni Apple ni Wikipédia. 
On raconte une anecdote probablement apocryphe, comme toutes les bonnes anecdotes, lorsque Michael Gorbatchev tenta de ressusciter l’économie soviétique moribonde, il envoya à Londres un de ses principaux collaborateurs pour voir ce qu’il en était du thatchérisme et comment fonctionnait réellement un système capitaliste. Ses hôtes guiderent le visiteur soviétique, à travers la City, la bourse de Londres et la London School of Economics, où il discuta avec des directeurs de banque, dès entrepreneurs et des professeurs. Après de longues heures, l’expert soviétique ne plus se retenir : » Un instant, je vous prie. Oubliee toutes ces théories économiques compliquées. Cela fait maintenant une journée que nous parcourons Londres en long et en large, il y a une chose que je n’arrive pas à comprendre. À Moscou nos meilleurs esprits travaillent sur le système de fourniture du pain, et pourtant il y a des queues interminables devant les boulangeries et les épiceries. Ici, à Londres, vivent des millions de gens, et nous sommes passés aujourd’hui devant quantité de magasin et de supermarché, je n’ai pas vu une seule queue pour le pain. Je vous en prie, conduisez-moi auprès de la personne chargée de ravitailler Londres en pain. Il faut que je connaisse son secret. » Ses hôtes se gratterent la tête, réfléchirent un instant, et dirent : » Personne n’est chargé de ravitailler Londres en pain. »
Tel est le secret de la réussite capitaliste. Aucune unité centrale de traitement ne monopolise toutes les données concernant la fourniture en pain de la capitale.

L’avenir de l’internet

les gouvernement et les ONG poursuivent en conséquence des débats intenses sur la restructuration d’internet , mais il est beaucoup plus difficile de changer un système existant que d’intervenir à ses débuts. De plus, le temps que la pesante bureaucratie officielle ait arrêté sa décision en matière de Cyber-régulation, Internet ce sera métamorphosé dix fois. La tortue gouvernementale ne saurait rattraper le lièvre technologique. Les data la submergent. La NSA (National Security Agency) peut bien espionner chacun de nos mots, à en juger d’après les échecs répétés de la politique étrangère américaine, personne, à Washington, ne sait que faire de toutes les données. Jamais dans l’histoire on en a su autant sur ce qui se passe dans le monde, mais peu d’Empires ont gâché les choses aussi maladroitement que les États-Unis contemporains. Un peu comme un joueur de poker qui c’est quelles cartes détiennent ses adversaires mais se débrouille pour perdre à chaque coup.

Connais-toi toi même….

Vous voulez savoir quoi ? Payez à « 23andMe » la modique somme de 99 dollars, et on vous enverra un petit paquet dans lequel vous trouverez une éprouvette. Vous crachez dedans, vous la fermez hermétiquement et vous la renvoyer à Mountain View, en Californie. Là, l’ADN de votre salive est lu, et vous recevez les résultats en ligne. Vous obtenez une liste des problèmes de santé qui vous guettent et le bilan de vos prédispositions génétiques a plus de quatre-vingt-dix traits et conditions, de la calvitie à la cécité. « Connais-toi toi-même ? » Cela n’a jamais été plus facile ni meilleur marché. Puisque tout repose sur des statistiques, la taille de la base de données de la société est la clé pour des prédictions exactes Aussi la première société à construire une base de données génétiques géante fournira-t-elle à la clientèle les meilleures prédiction et accapara-t-elle potentiellement le marché. Les sociétés américaines de bio-technologie redoutent de plus en plus que la rigueur des lois sur la vie privée aux États-Unis, alliée au mépris chinois pour l’intimité, n’apporte à la Chine sur un plateau le marché génétique.

Fin de l’humanisme

Les hommes sont menacés de perdre leur valeur économique parce que l’intelligence est découplée de la conscience. 
Jusqu’à aujourd’hui, la grande intelligence est toujours allée de pair avec une conscience développée. Seuls des êtres conscients pouvaient accomplir des tâches qui nécessitaient beaucoup d’intelligence, comme jouer aux échecs, conduire une voiture, diagnostiquer une maladie ou identifier des terroristes. Toutefois, nous mettons au point de nouveaux types d’intelligences non conscientes susceptibles d’accomplir ses tâches bien mieux que les êtres humains. Toutes ces tâches sont en effet fondées sur la reconnaissance de forme, il est possible que, bientôt, des algorithmes non conscients surpassent la conscience humaine en la matière.

Justification de la guerre

L’humanisme évolutionniste soutient que l’expérience de la guerre est précieuse, et même essentielle. Le film « le troisième homme » a pour cadre la ville de Vienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Réfléchissant au conflit récent, le personnage Harry Lime observe : « Après tout, ce n’est pas si terrible… En Italie, sous les Borgia, ils ont eu trente années de guerre, de terreur, de meurtre et de bain de sang, mais ils ont produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq siècles de démocratie et de paix, et qu’ont-ils produit ? Le coucou. » Il a tort sur presque tous les points, au début des temps modernes, la Suisse a probablement été la région d’Europe la plus assoiffée de sang et exportait surtout des mercenaires, et le coucou est en fait une invention allemande.

Humour en Israël

De nos jours, il est assez intéressant de le constater, même les fanatiques religieux adoptent ce discours humaniste quand ils veulent influencer l’opinion publique. Chaque année depuis une décennie, par exemple, la communauté israélienne LGBT
 (lesbiennes,gays, et transgenres) organise une Gay Pride dans les rues de Jérusalem : un jour d’harmonie unique dans cette ville déchirée par les conflits, parce que c’est la seule occasion où les juifs religieux, les musulmans et les chrétiens trouvent soudain une cause commune ; tous se déchaînent contre la parade. Ce qui est vraiment intéressant, cependant, c’est l’argument qu’ils invoquent. Ils ne disent pas :  » Ces pêcheurs doivent être privés de parade parce que Dieu interdit l’homosexualité. » Mais, devant tous les micros et caméras de télévision, ils expliquent que « voir une parade gay dans les rues de la ville sainte de Jérusalem blesse notre sensibilité. Les gays nous demandent de respecter leurs sentiments, qu’ils respectent les nôtres. ».

Humour

Alors que les prêtres du Moyen-Âge disposaient d’une hotline avec Dieu et pouvaient distinguer le bien du mal à notre intention, les thérapeutes modernes, nous aident simplement à entrer en contact avec nos sentiments intimes.

Importance du crédit

Les Temps Modernes finir par casser ce cycle du fait de la confiance croissante des gens en l’avenir et au miracle du crédit qui en est résulté. Le crédit est la manifestation économique de la confiance. De nos jours, si je souhaite mettre au point un nouveau médicament, et que je manque d’argent, je peux obtenir un prêt à la banque, ou me
tourner vers des investisseurs privés et des fonds de capitaux à risque. Quand Ébola est apparu en Afrique de l’Ouest à l’été 2014, que croyez-vous qu’il advint des actions des sociétés pharmaceutiques qui travaillait à des médicaments et des vaccins contre ce virus ? Elle s’envolèrent. Les actions de Tekmira augmentèrent de 50 %, salle de BioCryst, de 90 %. Au Moyen-Âge, quand une épidémie se déclarait, les gens tournaient les yeux vers le ciel et priaient Dieu de leur pardonner leurs péchés. Aujourd’hui, quand les gens entendent parler d’une nouvelle épidémie mortel, ils prennent leur téléphone mobile et appellent leur courtier. Sur le marché boursier, même une épidémie est une occasion de faire des affaires.

L’humour

En vérité, aujourd’hui encore, quand ils prêtent serment, les présidents américains posent la main sur une Bible. De même dans bien des pays à travers le monde, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, les témoins, à la cour, posent la main sur une Bible en jurant de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Il est paradoxal qu’ils jurent de dire la vérité sur un livre débordant de fictions, de mythes et d’erreurs. 

Une partie des problèmes de l’Afrique

 Sur une table bien astiquée de Berlin, ils déroulèrent une carte à moitié vide de l’Afrique, esquissèrent quelques traits ici ou là, et se partagèrent le continent.
Quand, le moment venu, les Européens s’y aventurent munis de leur carte, ils découvrirent que nombre des frontières tracées à Berlin rendaient mal justice à la réalité géographique, économique et ethnique de l’Afrique. Toutefois, pour éviter de réveiller des tensions, les envahisseurs s’en tinrent à leurs accords, et ces lignes imaginaires devinrent les frontières effectives des colonies européennes. Dans la seconde moitié du XXe siècle, avec la désintégration des empires européens, les colonies accédèrent à l’indépendance. Les nouveaux pays acceptèrent alors des frontières coloniales, redoutant de provoquer sinon une chaîne sans fin de guerres et de conflits. Beaucoup de difficultés que traversent les pays africains actuels viennent de ce que leurs frontières ont peu de sens. Quand les écrits fantaisistes des bureaucratie européenne se heurtèrent à la réalité africaine, ce fut la réalité qui dut céder.

Pourquoi les religieux détestent la théorie de l’évolution

La théorie de la relativité ne met personne en colère parce qu’elle ne contredit aucune de nos croyances chérie. La plupart des gens se fichent pas mal que l’espace et le temps soit absolu ou relatif. Si vous croyez possible de courber l’espace et le temps, eh bien, faites donc ! Allez-y, pliez-les. Je n’en ai cure. En revanche, Darwin nous a privé de notre âme. Si vous comprenez pleinement la théorie de l’évolution, vous comprenez qu’il n’y a pas d’âme. C’est une pensée terrifiante pour les chrétiens et musulmans fervents, mais aussi pour bien des esprits séculiers qui n’adhèrent clairement a aucun dogme religieux, mais n’en veulent pas moins croire que chaque humain possède une essence individuelle éternelle qui reste inchangée tout le long de la vie et peut même survivre intacte à la mort.

Le charme de l’éducation britannique

John Watson, qui faisait autorité en la matière dans les années 1920, conseillait sévèrement aux parents :  » Ne serrez jamais vos enfant dans vos bras, ne les embrassez pas, ne les laissez jamais s’asseoir sur vos genoux. S’il le faut, donnez-leur un baiser sur le front quand ils vous disent bonne nuit. Le matin, serrez leur la main. »

Genre d’anecdote qu’on aime répéter

 Une anecdotes célèbres, probablement apocryphe, rapporte la rencontre en 1923 du prix Nobel de littérature Anatole France et d’Isadora Duncan, la belle et talentueuse danseuse. Discutant du mouvement eugéniste alors en vogue, Duncan observa : « .Imaginez un peu un enfant qui aurait ma beauté et votre intelligence ! ». Et France de répondre : « Oui, mais imaginez un enfant qui ait ma beauté et votre intelligence ! »

La vie, le sacré et la mort

 La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations unies au lendemain de la dernières guerre – qui est ce qui ressemble sans doute le plus à une constitution mondiale- déclare catégoriquement que le « droit à la vie » est la valeur la plus fondamentale de l’humanité. Puisque la mort viole clairement ce droit, la mort est un crime contre l’humanité. Nous devons mener contre elle une guerre totale.
Tout au long de l’histoire, les religions et les idéologies n’ont pas sanctifié la vie elle-même, mais autre chose au-delà de l’existence terrestre. Elles ont donc parfaitement toléré la mort. Certaines ont même montré beaucoup d’affection pour la Grande Faucheuse. Pour le christianisme, l’islam et l’hindouisme, le sens de notre existence dépendait de notre destin dans l’au-delà ; pour ces religions, la mort était donc un élément vital et positif du monde.

Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot.


Les cinq coquillages veulent dire, tout simplement, qu’il faut lire ce livre car il nous en apprend tant sur une période qu’on voudrait à jamais voir bannie et fait réfléchir sur la langue du monde politique qui veut manipuler plus que convaincre. Rosa Montero dans « la folle du logis« en parlait et elle m’a rappelé que je voulais le lire depuis longtemps. À mon tour de venir conseiller cette lecture à toutes celles et tous ceux qui se posent des questions sur le nazisme en particulier sur l’antisémitisme des Allemands. Ce pays hautement civilisé qui en 1933 permit que l’on inscrive à l’entrée de l’université de Dresde où Victor Klemperer enseignait la philologie  :

« Quand le Juif écrit en allemand, il ment. »

Comment cet homme qui se sent tellement plus allemand que juif peut-il comprendre alors, qu’aucun de ses chers confrères n’enlèvent immédiatement cette pancarte ? Cet homme qui a failli laisser sa vie pour sa patrie durant la guerre 14-18 ne peut accepter le terrible malheur qui s’abat sur lui. Pour ne pas devenir fou, il essaie d’analyser en bon philologue la langue de ses bourreaux. Il cachera le mieux qu’il peut ses écrits et leur donnera une forme définitive en 1947. Comment a-t-il survécu ? contrairement à son cousin Otto le chef d’orchestre, il est resté en Allemagne, marié à une non-juive ; il a survécu tout en subissant les lois concernant les Juifs alors qu’il était baptisé depuis de longues années. La veille des bombardements de Dresde, il devait être déporté avec sa femme, les conséquences tragiques du déluge de feu qui s’est abattu sur sa ville lui ont permis de fuir en dissimulant son identité.

Son essai montre de façon très précise comment on peut déformer l’esprit d’un peuple en jouant avec la langue et en créant une pseudo-science . Il semble parfois ergoter sur certains mots qui ne nous parlent plus guère, mais ce ne sont que des détails par rapport à la portée de ce livre. Il est évident que Victor Klemperer réussit à survivre grâce à l’amour de sa femme et le dévouement d’amis dont ils parlent peu. Il est tellement choqué par la trahison des intellectuels de son pays qu’il a tendance à ne rien leur pardonner et être plus attentif aux gens simples, qu’ils jugent plus victimes du régime que bourreaux . Pour ceux qui avaient la possibilité de réfléchir, il démontre avec exactitude qu’ils ont failli à leur mission d’intellectuels. Malheureusement dans un passage dont je cite un court extrait, on voit que sa clairvoyance s’est arrêtée au nazisme et qu’il est lui-même aveuglé par l’idéologie communiste. Le livre se fait poignant lorsque Victor Klemperer se laisse aller à quelques plaintes des traitements qu’il subit quotidiennement. Que ce soit » le bon » qu’il reçoit pour aller chercher un pantalon usagé réservé aux juifs, puisqu’il ne peut plus acheter ni porter des vêtements neufs, ou le geste de violence qui le fait tomber de la plate-forme du bus, seul endroit que des juifs peuvent utiliser dans les transports en commun. Avec, au quotidien, la peur d’enfreindre une des multiples règles concernant les juifs et l’assurance, alors, d’être déporté : avoir un animal domestique, avoir des livres non réservés aux juifs, dire Mendelssohn au lieu du « juif Mendelssohn », sortir à des heures où les juifs n’ont pas le droit d’être dehors, ne pas laisser la place assez rapidement à des aryens, ne pas claironner assez fort « Le juif Klemperer » en arrivant à la Gestapo où de toutes façon il sera battu plus ou moins fortement … un véritable casse-tête qui fait de vous un sous-homme que vous le vouliez ou non.

Lors de la réflexion sur le poids des mots et des slogans en politique, j’ai pensé que nous avions fait confiance à un parti qui s’appelle « En marche », et que ces mots creux ne dévoilaient pas assez, à travers cette appellation, les intentions de ceux qui allaient nous gouverner. En période troublée, les mots comme « République » ou « Démocratie » sont sans doute plus clairs mais engagent-ils davantage ceux qui s’y réfèrent ?

Citations

Pour situer ce livre, on peut lire ceci dans la préface de Sonia Combe

À la fin de la guerre, Victor Klemperer et à double titre un survivant. Tout d’abord, bien entendu, parce qu’il a fait partie de ces quelques milliers de Juifs, restés en Allemagne, qui ont échappé à la déportation. Mais, en second lieu, parce qu’il demeure ce qu’il a toujours été, un Juif irrémédiablement allemand, un rescapé de la « symbiose judéo-allemande », de ce bref moment de l’histoire allemande qui permit la sécularisation de l’esprit juif, l’acculturation des juifs et leur appropriation de l’univers culturel allemand. Quoi qu’il en soit de la réalité de cette symbiose, aujourd’hui le plus souvent perçu comme un mythe ou l’illusion rétrospective d’une relation d’amour entre Juifs et Allemands qui ne fut jamais réciproque, Klemperer est l’héritier spirituel de cette Allemagne fantasmé et désiré – au point qu’elle restera, quoi qu’il arrive et pour toujours, sa seule patrie possible.

La mauvaise foi des scientifiques allemands de l’époque nazie

Le congrès de médecine de Wiesbaden était lamentable ! Ils rendent grâce à Hitler, solennellement et à plusieurs reprises, comme « Au Sauveur de l’Allemagne »-bien que la question raciale ne soit pas tout à fait élucidée, bien que les « étrangers » , August von Wassermann médecin allemand 1866 1925, Paul Ehrlich,médecin allemand 1854 1915 prix Nobel de médecine en 1908 et Neisser aient accompli de grandes choses. Parmi « mes camarades de race » et dans mon entourage le plus proche, il se trouve des gens pour dire que ce double « bien que » est déjà un acte de bravoure et c’est ce qu’il y a de plus lamentable dans tout cela. Non, la chose la plus lamentable entre toutes, c’est que je sois obligé de m’occuper constamment de cette folie qu’est la différence de race entre Aryens et Sémite, que je sois toujours obligé de considérer tout cet épouvantable obscurcissement et asservissement de l’Allemagne du seul point de vue de ce qui est juif. Cela m’apparaît comme une victoire que l’hitlérisme aurait remportée sur moi personnellement. Je ne veux pas la lui concéder.

L’influence Nazie dans les couches populaires.

Frieda savait que ma femme était malade et alitée. Un matin, je trouvais une grosse pomme au beau milieu de ma machine. Je levais les yeux vers le poste de Frieda et elle me fit un signe de tête. Un instant plus tard, elle se tenait à côté de moi : « pour ma petite mère, avec toutes mes amitiés ». Puis d’un air curieux et étonné, elle ajouta :  » Albert dit que votre femme est allemande. Est-elle vraiment allemande ? »
 La joie que m’avait causée la pomme s’envola aussitôt. Dans cette âme candide qui ressentait les choses de manière absolument pas nazie mais, au contraire, très humaine, s’était insinué l’élément fondamental du poison nazi ; elle identifiait  » Allemand » avec le concept magique d’  » Aryen » ; il lui semblait à peine croyable qu’une Allemande fut mariée avec moi, l’étranger, la créature appartenant à une autre branche du règne animal ; elle avait trop souvent entendu et répété des expressions comme « étrangers à l’espèce »,  » de sang allemand », « racialement inférieur », « nordique » et « souillure raciale » : sans doute n’associait-elle à tout cela aucun concept précis, mais son sentiment ne pouvait appréhender que ma femme pût être allemande.

L’auteur se pose cette question :

Mais voilà que le reproche que je m’étais fait pendant des années me revenait à l’esprit, ne surestimais-je pas, parce que cela me touchait personnellement de manière si terrible, le rôle de l’antisémitisme dans le système nazi ?
 Non, car il est à présent tout à fait manifeste qu’il constitue le centre et, à tout point de vue, le moment décisif du nazisme dans son ensemble. L’antisémitisme, c’est le sentiment profond de rancune éprouvés par le petit-bourgeois autrichien déchu qu’était Hitler ; l’antisémitisme, sur le plan politique, c’est la pensée fondamentale de son esprit étroit. L’antisémitisme, du début jusqu’à la fin, le moyen de propagande le plus efficace du Parti, c’est la concrétisation la plus puissante et la plus populaire de la doctrine raciale, oui, pour la masse allemande c’est identique au racisme. effet, que sait la masse allemande des dangers de l » negrification » (Verniggerun) et jusqu’où s’étend sa connaissance personnelle de la prétendue infériorité des peuples de l’Est et du Sud-Est ? Mais un Juif, tout le monde connaît ! Antisémitisme et doctrine raciale sont, pour la masse allemande, synonyme. Et grâce au racisme scientifique ou plutôt pseudo-scientifique, on peut fonder justifier tous les débordements et toutes les prétentions de l’orgueil nationaliste, chaque conquête, chaque tyrannie, chaque extermination de masse.

Originalité de l’antisémitisme nazie

Dans les temps anciens, sans exception, l’hostilité envers les Juifs visait uniquement celui qui était en dehors de la foi et de la société chrétienne ; l’adoption de la confession et des mœurs locales avait un effet compensateur, et (au moins pour la génération suivante) oblitérant. En transposant la différence entre Juif et non-Juifs dans le sang, l’idée de race rend tout compensation impossible, elle rend la séparation éternelle et la légitime comme œuvre de la volonté divine

Aveuglement sur le communisme

Car il est urgent que nous apprenions à connaître le véritable esprit des peuples dont nous avons été isolés pendant si longtemps, au sujet desquels on nous a menti pendant si longtemps. Et l’on ne nous a jamais menti autant que sur le peuple russe… Et rien ne nous conduit au plus près de l’âme d’un peuple que la langue… Et pourtant, il y a  » mettre au pas » et « ingénieur de l’âme » -tournures techniques l’une et l’autre. La métaphore allemande désigne l’esclavage et la métaphore russes, la liberté.

Le cogneur et le cracheur les deux hommes de la Gestapo qui ont tourmenté Klemperer pendant de longues années, ils les opposent aux intellectuels

Le cogneur et le cracheur, c’étaient des brutes primitives (bien qu’ils eussent le grade d’officier), tant qu’on ne peut pas les assommer, il faut supporter ce genre d’homme. Mais ce n’est pas la peine de se casser la tête dessus. Alors qu’un homme qui a fait des études comme cet historien de la littérature ! Et, derrière lui, je vois surgir la foule des hommes de lettres, des poètes, des journalistes, la foule des universitaires. Trahison, où que se porte le regard.
 Il y a Ulitz, qui écrit l’histoire d’un bachelier juif tourmenté et la dédie à son ami Stefan Zweig, et puis au moment de la plus grande détresse juive, voilà qu’il dresse le portrait caricatural d’un usurier juif, afin de prouver son zèle pour la tendance dominante.

Traduit de l’anglais par Hélène Claireau j’aimerais savoir pourquoi cette traductrice n’a pas traduit cette expression « afin de rompre les chiens » par « rompre la glace » ? Merci Keisha de m’avoir fait connaître l’expression en français et toutes mes excuses à Hélène Claireau

Ce livre est paru en France pour la première fois en 1947 sous le titre « la tour d’Ezra » et a certainement contribué à faire connaître et aimer Israël et les Kibboutz. Je me souviens bien de l’enthousiasme que soulevait cette vie en communauté chez les jeunes de ma génération. Le récit s’appuie sur l’expérience personnelle de Koestler qui a lui-même participé à la vie d’un Kiboutz . Cette ambiance de jeunes pionniers entourés de l’hostilité des Arabes et des Anglais est très bien rendue. Car c’est un écrivain qui sait raconter et décrire. Nous sommes avec lui sous les ciels étoilés de ce pays qui ne s’appelle pas encore Israël, nous vibrons aux évocations de tous les dangers qui les entourent. Mais cet écrivain est aussi un esprit totalement libre, et il montre bien les points de vue des trois acteurs qui se confrontent ici. Les Juifs qui en 1938 sentent le danger menacer les Juifs du monde entier, et qui veulent accélérer leur venue dans ce petit bout de territoire. Les Arabes qui, même si par intérêt financier, vendent leur terre, ne veulent pas pour autant être dépossédés de leur pays, les moins glorieux des trois, les Anglais profondément antisémites le plus souvent, et qui jouent un jeu dangereux d’alliances qui ne peuvent que tourner à la catastrophe. Ce livre est aussi un précieux rappel des faits historiques, et jamais Koestler n’élude le fait qu’Israël a été créé sur un pays qui était auparavant peuplé d’Arabes. Par ailleurs, les scènes de reconduites dans les bateaux de Juifs ayant échappé aux camp de concentration sont absolument insoutenables, il est si facile alors d’imaginer que lorsque la Shoah sera de notoriété publique rien ne pourra arrêter leur exode vers Israël.

Citations

Mariage typiquement britannique

Mrs. Newton était fille d’un sergent-major de l’armée des Indes. Une analyse serrée des motifs qui avait attiré le timide monsieur Newton vers cette grande, osseuse et virginale femelle eût produit des résultats gênants révélant la haine secrète, continue et fervente qu’avaient inspirée à Monsieur Newton Roonah, son club, l’administration et et l’armée des Indes, et la tournure d’esprit toute spéciale qui lui permit d’imaginer pour la première fois l’anguleuse et chaste fille du sergent-major dans la série d’attitudes absurdes qu’entraîne l’acte procréateur.

 

La langue d’Israël l’hébreu

Tirer l’hébreu de sa sainte pétrification pour en refaire une langue vivante à été un tour de force fantastique. Mais ce miracle implique des sacrifices. Nos enfants se servent d’une langue qui n’a pas évolué depuis le commencement de l’ère chrétienne. Elle ne porte aucun souvenir, presque aucune trace de ce qui est arrivé à l’humanité depuis la destruction du Temple. Imaginez que la langue française ait cessé de se développer depuis la « Chanson de Roland » ! Et encore, est-elle de dix siècles plus près de nous. Nos classiques sont les livres de l’Ancien Testament ; nos poèmes s’arrêtent au Cantique des Cantiques, nos nouvelles à Job. Depuis lors… Un blanc millénaire..
 L’emploi d’un idiome archaïque a évidemment son charme. Voyageant en autobus, nous offrons une cigarette à notre voisin :
-« Monseigneur désir peut-être faire la fumée ?
 – Non, merci. Faire la fumée n’est pas agréable à mes yeux. »

Dialogue impossible entre les arabes et les juifs

Cette colline n’a pas porté de récoltes depuis que nous aïeux l’ont quittée, dit Ruben Vous avez négligé la terre. Vous avez laissé les terrasses tomber en ruines et la pluie a emporté la terre. Nous allons dépierrer la colline et apporter des tracteur et des engrais. – Ce que produit la vallée nous suffit, dit le vieillard. Nous ne devons pas enlever les pierres que Dieu a placées là. Nous vivrons comme ont vécu nos pères et nous ne voulons ni de vos tracteurs ni de vos engrais, et nous ne voulons pas de vos femmes dans la vue nous offense.
 
 
(Et un peu plus loin)
– Qu’est-ce que le vieux cheik t’expliquait avec tant de solennité ?
– Que chaque peuple a le droit de vivre à sa façon, bien ou mal, sans ingérence extérieure. Il a expliqué que l’argent corrompt, que les engrais puent et que les tracteurs font du bruit, toutes choses qu’il déteste.
– Et qu’as-tu répondu ?
– Rien dit Bauman.
– Pourtant, tu as compris sa position ?
Bauman le regarda :
– Nous ne pouvons pas nous permettre de comprendre la position des autres.
Quand vous, madame, me fait l’honneur de m’inviter chez vous, est-ce que je vous demande vos conditions ? Et quand j’ai le privilège de goûter votre hospitalité, est-ce que je demande à être le maître de la maison ? Non, madame, je ne le fais pas. Il en est de même de nos amis hébreu. Ils jouissent de notre hospitalité -ahlan w’sahlan, vous êtes les bienvenus. Nous serons comme des frères. Nous vous recevrons à bras ouverts en qualité d’invités…
Nous sommes dans la même position. Nous ne demandons qu’à aider ces pauvres gens et voyez comme comment il nous remercie ils veulent nous prendre notre maison.
– La barbe avec votre histoire de maison ! Pendant les cinq cents dernières années, elle n’était pas à vous mais aux Turcs.
– la majorité de la population a toujours été arabe, dit Kemal Effendi. Ma famille, par exemple, descend directement de Walid el Shallabi, le général de Mahomet. Nous sommes la plus ancienne famille de Palestine. – Mon père est un Cohen, dit Mrs.Shenkin, Élie Cohen sont les descendants des Kohanim, les prêtres de l’ancien temps.

Un moment vivant

 Joseph déjeuna hérétiquement dans un petit restaurant arabe ou la nourriture était bon marché, sale et épicée, et dont le gros propriétaire lui confia que Hitler, protecteur de l’islam, allez bientôt détruire l’empire britannique, rendre le pays aux Arabes efflanqué les Juifs à la mer – à l’exception de Joseph qui, étant un homme instruit et l’ami du propriétaire, serait épargné et pourrait même trouver un emploi dans son établissement, à condition d’apporter quelques capital.