Édition Le Dilettante

 

Après « 39,4 » je savais que je lirai ce roman qui de plus se concentre sur un problème qui me touche car une de mes filles est professeure en collège à Paris : la volonté des parents de contourner à tout prix les règles d’affectation scolaire pour mettre leur enfant dans un bon collège. À Paris, plus qu’en province, le succès des établissements privés est considérable, mais si on habite à côté d’Henry IV ou Louis Le Grand c’est une grande chance pour ces parents trop concentrés sur la réussite scolaire des enfants. Ils peuvent laisser leur chère progéniture dans le public et bénéficier d’un environnement élitiste.

Paul, le père de Bérénice est un de ces pères là et si Sylvie son épouse est plus attentive au bonheur de leur enfant, c’est quand même elle qui demandera à leur ancienne femme de ménage, une mère célibataire d’origine africaine maintenant concierge à côté du collège tant convoité -Henry IV, de domicilier sa famille chez elle ! L’éclat de rire de cette femme qui rend volontiers ce service contre rémunération, m’a fait du bien.

Ensuite le roman enchaîne les manœuvres pour maintenir Bérénice au top de l’élite intellectuelle parisienne, il s’agit de donner à la jeune tous les cours particuliers qui lui permettent de rentrer au lycée Henry IV puis en classe prépa. Et là soudain catastrophe Bérénice tombe amoureuse du seul garçon boursier de la prépa.
Je ne peux vous en dire plus sans divulgâcher, l’imagination de Paul pour obtenir que sa si précieuse fille franchisse les derniers obstacles de la classe prépa.

C’est donc la deuxième fois que je lis un roman de cet auteur, je suis frappée par l’acuité de son regard sur une société qu’il connaît bien, mais comme pour « 39,4 », j’ai trouvé que ce regard pertinent manquait de chaleur humaine et que son humour est parfois trop grinçant. On ne retrouve un peu de compassion que dans le dernier chapitre. Je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’en savoir un peu plus sur le petit monde des gens qui veulent à tout prix la réussite scolaire de leurs enfants à Paris. Je sais, c’est un centre d’intérêt limité mais n’oubliez pas qu’ensuite ces braves gens gouvernent la France avec un regard quelque peu méprisant pour le commun des mortels.

 

Citations

Cet humour grinçant qui parfois peut déranger .

 Paul redouta le développement d’un trouble dysphasique sévère. Alerté par une fréquentation compulsive des sites spécialisés sur le net, il fit partager à Sylvie le spectre des conséquences à anticiper : isolement, syndrome autistique, arriération, et décès précoce dans une institution privée située à plus de cent cinquante kilomètres de Paris où ils se seraient auparavant rendus une fois par semaine, le samedi après-midi, afin de passer quelques heures en compagnie de leur fille dans un atelier artisanal de création de lampes en sel coloré.

Les enfants à haut potentiel .

 Son retard initial dans l’acquisition du langage de même que ces manifestations d’anxiété s’intégrant d’ailleurs dans la description proposée par le psychologue Jean-Charles Terrassier, du phénomène qualifié de « dyssynchronie » pour caractériser un certain nombre d’enfants dits « précoces », dont la maturité affective n’était pas en adéquation avec le niveau des connaissances accumulées, expliquant nombre de comportements puérils et négatifs susceptibles de retarder certaines acquisitions. Ainsi naquit ces acquis dans l’esprit de son père l’hypothèse selon laquelle Bérénice était une enfant à « haut potentiel  » au potentiel caractéristique plus gratifiante que les annotations qui ponctuent ses bulletins scolaires de CM2 et lui assignant un rang médian tout en louant des effort qualifiés de « méritoires »

L’élitisme scolaire.

Bérénice fit donc solennellement son entrée au collège Henri-IV sous le regard transfiguré de son père qui conduisit en personne sa fille vers le sanctuaire où elle allait désormais, à l’instar d’une chrétienne béatifiée, recevoir les sacrements d’une pédagogie aristocratique. La jeune fille ne protesta pas, heureuse de l’effet que provoquait sa mutation scolaire sur l’humeur quotidienne de Paul, à défaut de prendre pleinement la mesure de la chance qu’il lui était offerte de s’extraire du troupeau vagissant des futurs exaltée du vivre ensemble. Elle avait en effet, depuis quelques années, pris conscience de la puissance que produisait ses résultats scolaires sur l’humeur de son père et entrevoit les quelques stations de métro supplémentaires qui accompagneraient ces trajets quotidiens comme un maigre tribu à l’équilibre familial.

Se construire soi même une mauvaise foi.

 À la manière d’un rongeur amphibien, il prit la résolution, afin de se prémunir de ses assauts paradoxaux, d’établir une sorte de digue interne, constituée de petits bouts d’arguments qu’il assemblait les uns sur les autres dans la plus grande anarchie pour s’assurer une protection étanche contre les efflux critiques qui l’assaillaient périodiquement. Il lui fallut pour cela mobiliser toute la rigueur de sa formation scientifique et, ainsi que s’organisent naturellement certaines voies de communication au sein d’un épithélium, définir un cadre formel, agencer selon des règles systématiques les voies de signalisation et de régulation à l’intérieur desquelles lui, Bérénice, Aymeric, Henri IV, l’Éducation nationale et ses ramifications s’intégraient et se déplaçaient sans jamais en questionner la finalité.

Les indignations de la jeunesse favorisée .

 Pernille était une jeune fille à la conscience « éveillée » et particulièrement encline à l’indignation. La situation des réfugiés syriens, l’absence de menu bio au réfectoire d’Henri-IV, le nombre de places d’accueil pour les SDF par grand froid, la taille des jupes de sa mère où la fonte du permafrost, tout l’indignait.

Et oui ce genre de spectacle existe (comme ça ou presque).

 Sylvie et Paul s’était laissé surprendre par une invitation l’été dernier afin d’assister à une « mise en espace » consacrée à la poésie médiévale dont la principale originalité tenait au fait que les vers se trouvaient déclamés par des comédiens perchés au sommet des arbres. Églantine Campion expliqua à ses invités, et plus tard à l’ensemble des spectateurs, qu’elle tenait par cette scénographie à renforcer la nature gravitationnelle du processus politique en en inversant la trajectoire, pour mieux signifier que si les vers élevaient l’âme de ses auditeurs, ils avaient l’humilité, en quelque sorte, de descendre jusqu’à eux et de ne point les exclure de leur dimensions parfois ésotérique. Les représentations furent néanmoins interrompues avant leur terme et par la chute malencontreuse d’un comédiens qui se fractura pour l’occasion deux vertèbres, suscitant, en guise de conclusion anticipée, une réflexion de l’organisatrice sur la radicalité de l’acte poétique, son éternel potentialités à transformer, fragmenter même, chacune de nos confortables « zone de réalité ».


Édition 10/18 traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot

 

Dans les commentaires de « Route One » Dominique disait que ce roman lui rappelait « Les saisons de la nuit ». Je pensais trouver un billet sur son blog mais rien . Peu importe, j’ai lu avec grand intérêt ce roman (grâce à elle) qui, en partie, raconte la construction du métro de New York en 1916. Mais c’est aussi un roman qui raconte la vie des exclus aujourd’hui qui trouvent dans le métro le moyen de survivre. Un personnage en particulier qui est un véritable acrobate et qui a trouvé un lieu inaccessible au commun des mortels car il faut escalader des poutres au dessus des voies ferrés
Bien sûr ces deux histoires vont se rejoindre, car cet homme, Treefrog, complètement détruit et qui s’automutile sans cesse , s’appelle en vérité Clarence-Nathan Walter et est le petit fils d’un des constructeurs du métro. Cela on le sait petit à petit, mais ne vous inquiétez pas , je ne divulgâche pas la fin qui est étonnante.

la base du roman se fonde sur un accident (réel ?) quatre hommes creusaient sous la rivière de l’Hudson quand tout à coup trois d’entre eux ont été aspirés par l’eau et sont sortis au dessus d’un geyser dans la rivière de l’Hudson. Hélas, le quatrième est mort enseveli dans la boue de la rivière. Walter un travailleur noir va régulièrement voir la veuve de cet ouvrier et il élève sa fille. Quelques années plus tard, les deux personnages vont s’aimer et se marier. Cela nous vaut des passages bouleversant sur le racisme au États-Unis et la difficulté de vivre un couple mixte et encore, à New York, ils ne sont « que » victime du racisme dans le Sud ils auraient été tués. Comme le sera son fils Clarence qui a eu le malheur de vouloir découvrir la région natale de son père.

Son petit fils ne connaît pas le vertige donc il travaillera à la construction des buildings, on retrouve « Ciel d’Acier » de Michel Moutot mais ce n’est qu’une petite partie du roman , la partie la plus heureuse car le petit fils est amoureux de sa femme très agréable et a une petite fille qu’il adore, ensemble ils font au vieux Walter une fin de vie souriante malgré les souffrances que celui-ci éprouvent à cause des travaux trop durs qu’il a effectués dans sa jeunesse. Hélas, un drame dont je ne dirai rien, va bouleverser ce fragile moment de bonheur. On retrouve le personnage dans la lutte pour la vie dans ce qui est certainement le pire endroit sur terre pour survivre : les tunnels du métro de New York avec sa faune d’alcooliques drogués hyper violente.

C’est un roman très riche, centré sur le métro : sa construction et la population qui aujourd’hui y trouve refuge. Les personnages sont attachants même lorsqu’ils sont complètement détruits par le malheur et ce qui va avec : l’alcool, la drogue, la solitude. Merci à Dominique pour cette tentation de lecture qui complète très bien les deux romans de Michel Moutot.

 

Citations

La démocratie dans le travail.

Walker gagne la première partie, et Power donne au jeune noir une tape sur l’épaule.
– « Dis-donc, noiraud, tu t’es vu ? le roi de pique ! » mais Walker ne le prends pas mal. Il sait qu’ici sous le fleuve, on est en démocratie. Dans l’obscurité, tout le monde a le sang de la même couleur -ritals, nègres, polaks où rouquins irlandais c’est du pareil au même- alors il se contente de rire virgule empoche ce qu’il vient de gagner, et fait une deuxième donne.

Mariage mixte en 1930 à New York.

 Une série de briques leur arrive par la fenêtre de la chambre, laissant des éclats de verre sur le plancher et ils n’ont plus qu’à coller une feuille de plastique qui claque au vent. Une de ces briques est enveloppée dans un papier qui dit : INTERDIT AUX PINGOUISNS . Sur un autre, on peut lire : ARLEQUINS DEHORS. sur une troisième simplement : NON. 
 William paie les dégâts et loue un autre logement, ou dessus hors de portée des pierres et des cailloux lancés de la rue. Il sait qu’ailleurs, ce serait bien pire, dans d’autres parties de la ville, ils seraient déjà morts. Il a l’impression de s’être exilé dans les airs, mais cet exil est une sécurité pour Eleanore. 

Toujours le racisme.

 Deux soirs par mois, la diseuse de bonne aventure garde les petits, et Eleanore va rejoindre Walker au Loews sur la Septieme avenue, un cinéma pour gens de couleur. Il arrive en avance -après avoir pointé à la sortie de son travail- , et Eleanore descend discrètement le retrouver dans la salle. Quand elle arrive au bon grand, elle pose le doigt sur les lèvres d’un vieux Noir, qui la regarde passer devant lui avec étonnement. Il lui touche la main en souriant : « Allez-y m’dame. »
Elle lui rend son sourire et se fraie un chemin jusqu’à son époux. 
L’obscurité et les dérobe aux regards bien que mariés, ils vivent une histoire d’amour illicite.

Le désespoir d’un père dont des policiers ont tué le fils.

 Par un jour de semaine blafard, il enterre Clarence, aux côtés d’Elanore, dans un cimetière du Bronx. 
Ses filles et Louisa sont derrière lui. Il s’agenouille devant la tombe, mais ne dit aucune prière. À présent, les prières, ne sont plus pour lui que paroles atones – supplications inutiles qui, à peine prononcées et sorties de la gorge, retombent dans l’estomac. De la régurgitation spirituelle. Il ne veut pas voir les fossoyeur qui sont là, gras et satisfaits, au dessus du trou qu’ils viennent de creuser. Il saisit une pelle, jette une première motte de terre sur le cercueil de son fils. Il fait un pas en arrière, prend ses filles dans ses bras, ils rejoignent ensemble la voiture qui les attend.

Édition la cosmopolite stock. Traduit de l’italien Anita Rochedy
Un roman très agréable à lire, comme un grand bol d’air pur dans la haute montagne. Cet écrivain sait rendre hommage aux paysages qu’il aime tant. Surtout n’attendez pas trop d’histoire de loups car s’ils sont présents dans ces montagne et dans le roman, ils ne sont pas les personnages principaux. L’auteur écrivain se met en scène dans un restaurant où il fait la cuisine « Le festin de Babette » en hommage à la nouvelle de Karen Blixen qui a inspiré à Gabriel Axel un film que je revois de temps en temps toujours avec le même plaisir. Il va rencontre Sylvia avec qui il aimera faire l’amour, mais ce n’est pas non plus le sujet principal du roman, aucune histoire n’est vraiment menée jusqu’au bout ; c’est ce qui m’a empêchée de mettre cinq coquillages au roman. Un peu comme dans la vie, on croise des gens que l’on aimerait mieux connaître, parfois aussi mieux aider mais cela ne se fait pas car nous suivons une autre route. Fausto aimera Sylvia, mais il n’est pas sûr qu’ils restent ensemble, il aidera un montagnard après un accident et nous apprendrons que cet homme a été le mari de Babette (c’est ainsi que l’on surnomme la propriétaire du restaurant) et qu’ils ont eu une fille ensemble, mais rien de plus.
Le vrai sujet de ce roman, c’est l’imbrication de la vie de ces personnages dans une nature qui domine tellement les hommes. Seuls les loups sont réellement libres dans ces montagnes, c’est peut-être le sens du roman.
Un roman qui permet d’oublier le quotidien grâce à ce que la montagne peut apporter aux hommes en quête de beauté liée à l’effort pour y accéder.

Citations

Une avalanche.

 Sylvia retourna alors sur la terrasse pour tenter de voir les avalanches. Elle observa les montagnes face à elle, l’envers, exposé au nord, de Fontana Fredda. Elle réentendit le grondement, l’effondrement, même s’il était plus bas que le premier, et aperçut un souffle de neige contre les rochers. Puis un autre sur une paroi, comme une cascade. Un peu partout la neige s’éboulait, dans les endroits où la pente était trop raide où ceux où elle s’était trop accumulée, elle dévalait en suivant les reliefs de la montagne, ses à-pics et ses glissoires puis faisait halte plus bas. Au bout d’une minute, Sylvia vit une vraie avalanche se détacher dans un couloir. Elle remarqua d’abord l’éclair puis, avec un temps de retard, le coup de tonnerre lui parvint, long et profond. On ne pouvait l’entendre sans éprouver une once d’angoisse. La masse de neige dévala longtemps, se gonfla en s’enroulant et en charriant celle qui était sur son passage, et quand elle finit par s’arrêter elle laissa sur le flanc de la montagne une tache sombre, comme un mur dont le plâtre serait tombé.

La fin de l’hiver .

 En cette fin de saison, la neige cédait déjà vers midi, après quoi, elle se transformait en bouillasse : il lui semblait qu’elle suppliait qu’on la laisse retourner à l’état liquide, baigner la terre et ruisseler au bas de la vallée.

Milan.

 Sur la place du quartier, des coursiers péruviens allaient et venaient, des Arabes désœuvrés étaient assis à des tables dehors, des Africains grands et minces attendaient de récupérer leur linge devant les laveries automatiques. L’humanité était comme la forêt, pensa-t-il plus on descend en altitude et plus elle se diversifie.

La santé des montagnards.

 L’état de santé général de monsieur Balma pouvait être qualifié de catastrophique. Il avait un foie d’alcoolique et les artères épaissies et bouchées, il pouvait faire une ischémie à tout moment, ou pire encore. Il n’avait pas vu de médecin ni fait d’examen sanguin depuis des années. Des histoires de montagnards.
 Il enchaîna sur le pluriel, commença à parler d’ « eux » au lieu de « lui », et dit : Vous savez comment ils sont faits. Avec ce qu’ils mangent, à cinquante ans ils ont plus de gras que de sang dans les veines. Et ils vont pas changer leurs habitudes pour autant 
À croire qu’ils attendaient l’inévitable.

Changement de population dans les refuges.

 À midi, le refuge était un chassé croisé de gens qui partaient et qui rentraient. Fausto a reconnu le salon, les photos d’époque au mur, l’odeur de cuisine et de transpiration et de vieilles boiseries. Quelque chose d’autre avait changé depuis son enfance. Avant, il ne voyait que des hommes d’âge mûr, parlant italien ou français ou allemands, et tous les panneaux étaient traduits dans les trois langue du mont Rose. Désormais le refuge était rempli de jeunes gens, la même humanité qu’on aurait pu trouver dans les grandes métropoles du monde, et les panneaux étaient tout simplement passés à l’anglais.

 

Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Genre de phrases que j’aimerais retenir :

Pas plus qu’elle n’arrête les guerres, la morale ne désarme la violence.

 

Cet auteur dédie son livre à son professeur de latin de sixième qui lui a donné la passion de cette langue et de la civilisation romaine. J’ai tant souffert sur les versions latines et je n’ai trouvé aucun charme aux textes de Cicéron (le Pois-Chiche) que j’ai commencé ce roman avec une grande envie qu’il me plaise : enfin un homme érudit allait régler son compte à celui qui avait assombri ma scolarité. Effectivement Cicéron n’en ressort pas grandi, c’est le moins qu’on puisse dire : en se donnant l’air de défendre la République il ne cherchait qu’à se remplir les poches de la pire des façons : Provoquant des guerres civiles pour pouvoir jouer des uns contre les autres, offrant ses services de grands orateurs au plus puissant, passant de Pompée à César puis à Marc Antoine sans aucun scrupule. Ce qui finalement créera sa perte (oui pour une fois je peux raconter la fin, elle est dans tous les livres d’histoire !) c’est la première turpitude qu’il a commise : il sera assassiné à son tour pour avoir exécuté sans jugement des patriciens qui avaient soutenu Catalina.

Pour nous faire revivre cette époque l’auteur crée un philosophe grec, Metaxas, ami de Clodius, qui lui a existé. Cet homme le fait venir pour dénoncer les manœuvres de Cicéron et écrire des discours aussi brillants que ceux du « pois chiche » qu’il déteste de toute ses forces. Rome cette superbe, fascinante et si dangereuse cité va revivre pendant trois cent pages. Comme moi, vous serez touchés par le sort des esclaves, vous serez dégoûtés par les orgies romaines, vous serez étouffés par les complots politiques , vous détesterez Cicéron mais, hélas, vous comprendrez pourquoi la civilisation grecque qui est tellement plus belle n’a pas résisté à l’organisation des armées romaines.
J’ai beaucoup aimé ce roman historique, s’il n’a pas reçu cinq coquillages, c’est que je trouve qu’il demande une culture latine très poussée. Je consultais sans arrête Wikipédia pour m’y retrouver, et au bout d’un moment je confondais tous les personnages, et puis, tant de sang versé a fini par me dégoûter.

Je conseille à toutes celles et tous ceux qui ont été intéressés par la civilisation latine et grecque (et qui malgré cela ont eu de mauvaises notes aux version des textes de Cicéron !) de lire ce roman historique et savourer l’érudition de cet excellent écrivain.

 

Citations

Portrait d’un centurion romain.

 Leur chef s’est approché, de la démarche lourde et pesantes d’un cyclope. Un parfait physique de mauvaise nouvelle. Crotté par le voyage, velu et sombre, on aurait dit le fruit du croisement entre un gladiateur et une femelle ourse. Je pense qu’il s’agissait d’un décurion mais je confonds les grades romain et, s’il en affichait un, la poussière l’avait effacé. Sortait-il d’un grenier ou d’un cachot ? Mystère. Quand il s’est planté devant moi, je me suis levé. Seule la table nous séparait. Surtout ne pas faire mon malin. Face à ce spécimen, même Thémistocle aurait frémi. Je lui arrivait à l’épaule. Son cou et ses bras avaient l’épaisseur de mes cuisses. Sa paupières s’abaissait lourde comme un bouclier pour délivrer, excédée, le plus clair des messages implicites : moi, brave romain, vaillant, résolu, simple et intrépide, vais devoir m’adresser à cette petite chose grecque, pensante, jacassante et raisonnant. Ces bêtes mal dégrossies prennent Athènes pour le satin dont Rome double ses cuirasses.

Rien ne change .

Il me tutoyait, en latin bien sûr. Ce genre d’occupant ne se fatigue pas à apprendre la langue des gens qu’il commande. Ni à employer leurs formules de politesse.

Le mauvais goût romain .

Une cohorte de statues encombrait l’immense atrium où l’on me fit entrer. Les romains en font toujours trop. On se serait cru dans le vestiaire des jeux olympiques. Ou, pire, chez un marchand. Il ne manquait que l’étiquette des prix.

Quel humour : les rapports avec sa femme et la religion.

Avant de m’amener à lui ( au capitaine du bateau), Tchoumi à exigé qu’on se rende dans un petit temple dédié à Poséidon. Je n’avais rien à lui refuser et me suis plié au rituel par gentillesse. Les dieux ne m’intéressent pas. S’ils ont voulu les malheurs des hommes ils sont méchants. S’ils ne les ont pas prévus, ils sont incompétents. S’ils n’ont pas pu les empêcher, ils sont impuissants. À quoi servent-ils ? Nul ne le sait et je n’en fais jamais un sujet de cours. Ces histoires de personnages qui se transforment en taureaux, en cygnes ou en nuages, c’est du Homère, de la fantaisie, de la littérature… De là à discuter les ordres de Tchoumi, il y a un gouffre. Avec un courage de lion, je finis toujours par dire oui.

Rome cosmopolite .

 La ville attirait toute la méditerranée. On ne cessait de croiser des burnous, des caftans et des blouses. Dans certaines auberges, personne ne parlait latin, on entendait que de l’hébreu, du grec ou de l’hispanique. Venus du bout du monde, des fleuves de pièces d’or roulaient entre portiques et colonnades, temples et basiliques. Des rues sentaient le safran, d’autres la semoule égyptienne. Où qu’on soit, on était aussi ailleurs.

Le sort des esclaves .

La meilleure chose qui puisse arriver à un esclave est d’entrer dans une écurie de gladiateurs… Mais la plus part des autres, je parle de centaines de milliers d’autres, vivent à la campagne sur les grands domaines de l’aristocratie. Et là, crois moi, c’est l’enfer. On les bat, on les accable de travail, on les humilie et parfois on les affame. L’hiver, il meurt de froid, l’été il grille au soleil. Le sort des gladiateurs les fait rêver.

La richesse.

 La richesse « saisit » ceux qui l’observent. Je ne me lassais pas de cette famille installée à la meilleure place du monde pour y camper naturellement jusqu’à la fin de ses jours. Une sorte de grâce émane de ces fortunes venues de loin dans le passé. Rien de nouveau riche dans leur manière, encore moins d’avare, juste une dilapidation naturelle, permanente, légère et désinvolte de fonds perçus comme inépuisables. Leurs héritiers regardent sans émotion l’or filer comme l’eau dans le sable.

Et c’est toujours vrai non ?

 . Lyannos, mon banquier, est passé. il a expliqué avec candeur son métier : »J’aide les riches à s’enrichir et les pauvres à s’endetter. « 

Portrait de Marc Antoine .

 Et je dois dire que l’homme resplendissait. jeune et souriant, il avait le charme du guerrier joyeux qui vous tranche la tête sans malice, massacre un village comme on récolte un champ, n’en fait pas un drame et rentre au bivouac finir la soirée avec ses camarades.

Fin du roman : portrait de Cicéron .

 Cicéron avait un défaut impardonnable : chez les autres, il voyait d’abord les faiblesses et les défauts. Ensuite les avantages qu’il en tirerait. Quand on lui arrachait son masque, on tombait sur un autre. Le temps malheureusement ne révélera jamais son vrai visage. Au lieu de rester pour ses éreintements et ses flagorneries, il écrasera la postérité sous le poids d’écrits médiocres qu’il prenait pour de la philosophie. On le citera en modèle. Ce sera son plus grand exploit : sous sa plume, l’Histoire aura été écrite par celui qui a perdu. Ce mensonge incarnera pour toujours la vérité. Que c’est triste ! Que c’est injuste !


Édition Anne Carrière.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Il y a quelques traditions qui ont survécu au Covid : le mois de juin de notre club de lecture est consacré au roman historique et voici un roman qui avait donc toute sa place . J’avais déjà lu un livre de cet auteur « La déesse des petites Victoires » . Dominique qui m’avait déjà conduite vers cet auteur a beaucoup aimé ce roman. et je vous conseille de lire son billet si bien illustré.

Je souligne l’incroyable talent de cette auteure (oui, Yanick est aussi un prénom féminin), elle m’avait bien intéréssée à la période viennoise d’avant la guerre et au psychisme troublé d’un génial mathématicien. Et me voilà partie avec elle pendant plusieurs jours dans un couvent de Provence, dans lequel des femmes à force d’observation et de dévouement arrivent à améliorer le sort des malades, elles herborisent , elles classent leurs observations et soulagent le mieux qu’elles le peuvent.
Seulement voilà : des femmes se mêlent de médecine ! on voit tout de suite le danger. Ne sont elles pas aidées par le diable ? Ne sont elles pas elles-mêmes des sorcières ?

L’intrigue totalement imaginaire repose sur une recherche très pointue sur la réalité de l’époque. En 1584 à l’aube du 16° siècle une chappe de suspicion s’abat sur la chrétienté : entre les protestants hérétiques et l’université qui ne doit transmettre la science qu’aux hommes, la condition de la femme est pire que jamais . Elles sont comme la jeune Gabrielle prise dans un terrible piège , elles ne pourront jamais s’instruire elles pourront à peine être dégrossies dans des couvents qui leur apprennent l’obéissance et la foi en Dieu.

Dans ce couvent situé non loin de Vence, l’évêque aimerait faire main basse sur les revenus que procure la vente des baumes provenant des plantes (les simples) récoltées par les nonnes. Ce projet purement mercantile provoque une catastrophe qu’il est bien incapable de contrôler d’autant plus qu’il est lui-même gravement malade.
Plusieurs intrigues se mêlent : le destin d’un cadet de grande famille à qui on impose la prêtrise puisqu’il n’héritera rien de la fortune de la famille ; La vie dans le couvent et les intrigues entre les sœurs qui n’ont rien à envier aux pires séries télévisées. Vous connaissez « Orange is the new black » et bien Le couvent de l’abbaye de Notre Dame du Loup c’est ça en pire !

Enfin il reste Gabrielle qui n’a qu’un but dans la vie s’instruire et lire autant qu’un homme qui veut devenir médecin peut le faire, Elle aura un rôle décisif dans la catastrophe finale.

J’ai aimé ce roman et je ne doute pas du coup de coeur qu’il va recevoir à notre club, mais j’ai quelques réserves sur la longueur et le foisonnement des personnages. C’est une difficulté que je rencontre souvent : quand je sais que le livre va mal se finir j’ai parfois envie que ça aille plus vite, car on sent bien que rien n’arrêtera le malheur qui se met en place .

Je salue le talent de cette écrivaine et comme elle, je suis si triste de me rendre compte de tous les malheurs et souffrances par lesquelles sont passées les femmes avant de pouvoir simplement exister .

 

Citations

Les couvents au 16°siècle.

 Fleurs est oblate, une enfant consacrée à Dieu et donnée par son père aux louventines. Sans dot, elle ne deviendra jamais sœur de chœur comme sœur Clémence, elle prendra le voile brun des converses. « Ora et Labora », prière et travail, elle suivra la règle de Saint-Benoît parmi les Marthe, les servantes de Dieu payant par le labeur son ses jours dans Sa citadelle.

L’odeur des nonnes.

 Les moniale ne peuvent faire grande toilette que deux fois l’an et elles n’ont pas le droit aux senteurs. Une rotation de printemps s’imposerait, car leurs robes puent le rance et la blancheur de leur guimpe n’est plus qu’un souvenir. Elles respirent peut-être la sainteté, mais, d’évidence, pas la rose.

La mortalité enfantine.

 Sur les enfants nés, l’un sera déformé de tares, l’autre bleui par le passage forcé, un troisième emporté par la mort du septième jour, le corps si raide qu’il ne respira plus, et les autres, s’ils ne sont pas étouffés dans le lit commun, seront moissonnés par les grandes diarrhée des mois chauds.
 Peu de rescapés atteindront leur quatrième années comme Titino, car viendront pour eux roséole, rougeotte et fièvre écarlate, coqueluche et orillon. Pour dépasser la dizaine, ils devront échapper aux roues des charrettes, aux sabots des chevaux, aux crocs des chiens et aux dents des porcs, à la rivière au calme trompeur, aux braises où tomber, aux faux où se couper, au coups du père, au méchanceté de la mère tout ça parce qu’eux même n’ont pas connu de meilleurs soins.

Cadeau des éditions Seuil

J’avais déjà bien aimé Ciel d’acier, je ne savais pas grand chose avant cette lecture sur la construction des buildings de New York. Je n’ai donc pas hésité à accepter de lire et commenter ce nouveau roman de Michel Moutot car je savais que l’auteur saurait me faire partager ses connaissances techniques sur les grands chantiers qui ont transformé les paysages aux États Unis.

Ce n’est pas un roman linéaire chaque chapitre commence par une date et un lieu, je me suis habituée petit à petit à cette lecture éclatée en comprenant assez vite qu’un moment tout allait converger en un seul point : la fin de la construction de la route qui relie San Francisco à Los Angeles traversant des contrées splendides mais si peu accessibles.

 

Les personnages tournent tous autour de cette route pour laquelle il a fallu arraser des montagnes, creuser dans la roche construire des ponts en employant une main d’œuvre si peu considérée. Il faut dire que ce grand pays était en crise et que le chômage était tel que personne n’était très regardant ni les employeurs ni les ouvriers qui étaient réduits à la mendicité. Nous allons suivre le destin de Will Tremblay un enfant choyé par ses parents adoptifs et qui deviendra ingénieur de travaux publics. Il commencera sa carrière par la construction d’un barrage à Boulder. Cette construction causa la mort de nombreux ouvriers en particulier ceux qui creusaient des tunnels de dérivation car la compagnie ne voulait pas perdre de temps pour faire des aérations dans les tunnels.

Will préfèrera démissionner plutôt que couvrir ces crimes au nom du profit. Son père qui avait été totalement ruiné par la crise de 29 l’a suivi en Californie mais hélas, il gagnera sa vie comme croupier et refusera de faire des combines malhonnêtes, il le paiera de sa vie. Will se retrouvera donc sur la construction de la « Route ONE ». Tous ces grands chantiers nous permettent de voir l’envers du décor de ses superbes réalisations techniques. La misère qui a jeté sur les routes des milliers d’Américains ruinés est très bien décrite et c’est parfois à peine supportable.

Nous suivrons aussi une famille de Mormons qui fuit les lois qui empêchent la polygamie et qui a créé un ranch dans cet endroit qu’elle croyait inaccessible. Nous allons partager leur vie et connaître aussi des Indiens qui eux ont vraiment tout perdu : leur pays et surtout ne peuvent plus vivre comme ils le faisaient avant en harmonie avec la nature. Lorsque la route avance nous sommes avec le descendant du Mormon qui a créé ce ranch et celui-ci met toute son énergie à empêcher la construction de la route. Au début nous pensons qu’il veut simplement protéger les siens du regard des autres mais très vite nous comprenons qu’il s’agit aussi de protéger sa fortune. Nous découvrons alors les mœurs des Mormons et c’est loin d’être la vie paradisiaque présentée dans une des séries américaines, les femmes sont malheureuses et soumises et les enfants sont endoctrinés dès leur plus jeune âge .

Le roman permet aussi de voir à quel point la société de cette époque était corrompue, comment de la prison les chefs de la mafia pouvaient se faire de l’argent en volant les fournitures des gros chantiers des travaux publics, nous passons même un petit moment avec Al Capone dans la prison d’Alcatraz.

Un roman foisonnant et je devais sans cesse me reporter à la tête de chapitre pour m’y retrouver mais c’est aussi un roman fort bien documenté qui permet de connaître un peu mieux les États-Unis sous un regard critique mais objectif.

 

Citations

Paysage de Californie en 1848.

Arrivé au sommet d’un petit mont, il embrasse du regard une côte découpée, des rocher sombre où s’accrochent des cyprès torturés par les vents du large, des successions d’îlots et de récifs sur lesquels se brisent, dans des gerbes d’écume, les vagues du Pacifique. Les rayons du soleil, à travers les milliards de particules dorées, nimbe le paysage d’une lumière irréelle. Plus loin, ils devine des alignements de falaises, succession de montagnes couvertes de forêts de pins et de séquoias. Par endroits, là où s’engouffre la furie des tempêtes océane, des prairies sont piquetées d’arbustes nains, comme plaqués au sol par la main d’un géant.

1848 les rares Indiens survivants.

Wild Bear -« Ours sauvage »- comprend l’anglais, le parle mal mais assez pour raconter que ses ancêtres ont, pendant la colonisation espagnole, échapper à l’enrôlement et au travail forcé dans la mission san Carlos de Carmel en se cachant dans les montagnes. Des générations de fugitifs ont survécu dans les replis de la sierra en été, au creux de criques secrètes sur la côte en hiver, refusant le contact avec ces prêtres et ces colons espagnols, puis mexicains, qui avaient l’amour de leur Dieu a la bouche et l’épée à la main. Pauvres, affamés, craintifs, misérables mais libres, heureux parfois, à l’abri de ces démons et de leurs grandes croix, gibets, prêches, interdits, fouets et maladies étranges qui ont qui ont presque rayé les indiens Esselen du monde des vivants.

Une adoption réussie .

 « Rien de trop beau pour mon Willy. Diplômé, mon fils. Et avec avec les honneurs. En route pour l’université, des études d’ingénieur. Mon dieu, si sa mère pouvait le voir, si Helen était encore parmi nous… Comme elle serait fière de son petit orphelin… Ce garçonnet au regard de chiot inquiet que nous avons découvert dans le bureau du directeur de St Cloud’s, que nous avons adopté, nourri, protégé, aimé, à nous en faire exploser le cœur. Pourquoi n’est-elle pas à mes côtés pour le voir, grand adolescent musclé, presque un jeune homme, sourire de miel, jambes d’athlète et bras de statues grecque ? Quelle injustice ! »
Will n’évoque pas souvent son souvenir. Son père s’en étonnait un peu, au début. Mais quatre ans ont passé, c’est ainsi qu’il calme sa peine. Il apprend à vivre sans elle, de tourne vers l’avenir, et c’est bien. Tous deux regardent parfois, au moment du dîner, la photo encadrée sur le mur de la cuisine, où ils sont tous les trois sur la plage, en tenue de bains. Son père pose la main sur son épaule. Il sourit, ne trouve pas les mots. Lui non plus. Elle est là, entre. Pas besoin de parler.

Les Indiens en 1850.

 Ils n’ont aucun document d’identité, aucune existence légale, descendants des premiers habitants de ces montagnes Transformée par l’arrivée des conquistadors en clandestins, fuyards perpétuels, proscrits sur les terres de leurs ancêtres. S’ils connaissent chaque sentier, chaque ruisseau et chaque séquoia géant, qu’ils traitent et honorent comme des divinités, s’ils prédisent l’arrivée d’une tempête ou quand se lèvera le brouillard de mer, ils n’ont aucun droit face à l’administration naissante de l’État de Californie. 

 

Édition Albin Michel . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Traduit du suédois par Anne Karila

 

Un roman qui décrit des relations très lourdes entre des parents et leurs trois garçons, toujours à la limite de l’explosion. On comprend très vite qu’un drame a eu lieu mais on n’aura toutes les clés qu’à la fin du roman, donc promis je ne vous révèlerai rien. Nous sommes avec Benjamin le cadet de l’aîné Niels, et Pierre le plus jeune, ils ont passé leur enfance à se battre, du moins c’est comme ça que nous le raconte Benjamin. Les parents sont le plus souvent sous l’influence de l’alcool et le père éclate de colères imprévisibles et violentes et la mère totalement dépassée semble absente. Je me demande si cette façon de vivre « à la sauvage » chez des gens cultivés représente quelque chose en Suède, ce qui ferait que les Suédois ont une autre lecture de ce roman que nous pour la représentation de cette famille.
Le roman commence à la mort de la mère, le père est décédé depuis quelques années, elle n’exprime qu’un seul souhait que ses trois fils dispersent ses cendres autour du petit lac près duquel ils passaient toutes leurs vacances et où ils ne sont plus retournés depuis le fameux jour, qui a totalement détruit la famille.

Le roman est entièrement sous-tendu par cette révélation, et c’est pour moi un bémol, vraiment je n’aime pas le suspens mais ici il n’est pas gratuit, car effectivement Benjamin doit repartir dans les souvenirs embrouillés de tout ce qui a constitué son enfance pour avoir une chance de pouvoir se reconcilier avec lui-même.

J’ai été un peu gênée par le mélange des temps du récit, c’est très compliqué de savoir à partir de quand la famille a dysfonctionné et pourquoi exactement et j’ai aussi été étonnée par la violence des bagarres entre les frères. On est bien loin de l’image de calme et de self contrôle attachée à la Suède. C’est un roman étouffant qui manque de lumière à mon goût mais qui raconte très bien l’enfance dans une famille détruite.

PS je suis gênée pour rédiger mon billet sans parler de la fin, lisez le vite pour que je puisse discuter avec vous sans cette contrainte. Par exemple que pensez vous du silence de Niels et Pierre adulte lorsque Benjamin évoque la scène où son père a percuté un jeune faon ? (Et réfléchissez au titre vous saurez une intuition sur le drame qui sous-tend ce roman.)

 

Citations

La fatigue dans l’eau froide.

 La fatigue arriva sans crier gare. L’excès d’acide lactique lui engourdit les bras. Sous le choc il en oublia les mouvements des jambes, il ne savait plus comment on faisait. Une sensation de froid partie de la nuque irradia l’arrière de son crâne. Il entendait sa propre respiration, son souffle plus cours et pressé, un pressentiment glaçant lui serra la poitrine : il n’aurait pas la force de retourner jusqu’au rivage. 

Bagarre de frères adultes.

 Pierre lui envoie un coup de pied dans les jambes, Niels s’affaisse sur les cailloux. Alors Pierre se jette sur lui, ils roulent, se bourrent de coups de poing, se frappent au visage, sur le thorax, les épaules. Sans cesser de se parler. Benjamin croit assister à une scène irréelle, quasiment sortie de son imagination : ils se parlent tout en essayant de se tuer.

Les disputes en voiture.

 Ils montèrent dans la voiture. À l’intérieur du véhicule, Benjamin était toujours sur ses gardes, car c’était toujours là, semblait-il, que se déroulait les scènes les plus terribles, lorsque la famille était enfermée dans un si petit espace. C’est là qu’avait lieu les plus violentes disputes entre papa et maman, quand papa faisait tanguer la voiture en essayant de régler la radio, ou quand maman ratait une bifurcation sur l’autoroute et que papa poussé des cris désespérés en voyant s’éloigner la sortie derrière eux.

La perception du laissé aller de sa maison .

 Peu à peu, il réunissait les indices, apprenait à se connaître lui-même en regardant autour de lui. La saleté à la maison, les taches d’urine par terre autour de la cuvette des WC, ça crissait sous les pantoufles de papa, les moutons sous les lits, qui tournoyaient doucement dans le courant d’air quand les fenêtres étaient ouvertes. Les draps qui jaunissaient dans les lits des enfants avant d’être changés. Les pile de vaisselle sale dans l’évier et les petites mouches qui sortaient affolées de leurs cachettes entre les assiettes, quand on ouvrait le robinet. Les cernes de crasse sur l’émail de la baignoire, telles des lignes de marée dans un port, les sacs d’ordures qui s’emploient à côté de l’étagère à chaussures dans l’entrée. Benjamin s’était rendu compte qu’il n’y avait pas que la maison qui était sales ses habitants l’étaient aussi.

 

 


Éditions Fleuve

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quelle lecture plaisir ! Ce roman apporte un excellent moment de détente et parfois c’est justement cela que l’on cherche. J’ai aimé le regard avisé et plein de tendresse de cette écrivaine sur les clients d’un restaurant parisien.

Le fils conducteur auquel on doit le titre, ce sont les efforts de Cyril, le serveur qui est amoureux de la serveuse Marion. Chaque chapitre est intitulé d’un plat que l’on peut commander au restaurant : « Hareng-pomme- de-terre à l’huile » « ris de veau sauce madère » … certains de ces chapitres sont consacrés aux pensées de Cyril et de Marion : compliqué d’être amoureux quand on est timide et qu’on a peur de blesser l’autre. Les autres chapitres sont consacrés à des couples qui sont à des moments différents de leur histoire. L’auteure nous donne toujours les deux versions : les pensées de la femme et celle de l’homme. Nous suivront par exemple un couple qui devrait commencer, mais ils se sont rencontrés grâce à un site de rencontre, ils se sont écrit de longs mails et cela ne les aide pas à trouver des façon de se parler. Nous suivrons aussi le couple bien installé dans la vie, lui il est médecin et se réfugie dans le travail car il fuit son épouse qu’il ne reconnait plus trop sûre de son rôle de femme de médecin. Nous aurons aussi le couple de l’éternel dragueur qui ne cherche qu’à coucher avec de belles femmes qu’il soumet trop facilement. Entre ses découvertes Cyril essaie d’avancer dans sa conquête de Marion. Tous ont vécu une scène initiale : une femme est debout, ne s’assoit pas à la table de son conjoint. Celui-ci lui parle d’un ton très dur et méprisant, elle hésitera longtemps, si longtemps qu’elle attire les yeux de tous les clients du restaurant. Elle finira au grand soulagement du lecteur qui a entendu tout ce qu’elle a dû supporter de son goujat de mari, par partir. Tous ces personnages sont émouvants, et nous les fréquentons dans notre quotidien mais tout le talent de Claire Renaud c’est de savoir nous les présenter de façon très vivante grâce à une écriture très moderne.

Un roman que je vous conseille pour vous détendre et aimer vos contemporains.

 

Citations

Un portrait réussi .

 Lui, ça fait quatre ans qu’il est ici. Au départ, c’était provisoire, un job étudiant. Puis c’est devenu un job tout court quand il n’a plus été étudiant. Il a arrêté d’aller à la fac de cinéma. il ne va plus au cinéma. Comme si Paris lui avait fait revoir toutes ses ambitions à la baisse. Il ne se reconnaissait pas dans ces cinéphiles prétentieux qui citaient toujours le seul film qui n’avait pas vu du réalisateur qu’il aimait biens. Il se sentait toujours en défaut, de culture, de niveau social, d’argent. Il n’osait ramener aucun pote de la fac chez lui, encore moins les filles, il avait honte.

Les avancées amoureuses.

 – Moi j’aime bien être seule. Ça ne me dérange pas, déclare-t-elle.
 Une autre info. Une touche supplémentaire de peinture sur la toile. Une autre pièce du puzzle.
 Et quelle pièce ! Elle est seule ! Pas de petit ami dans le paysage. Célibataire. Libre. Ils sent pourtant d’autres chaînes. 
Et une solitude pleinement assumée et consentie n’est-elle pas plus terrible que tous les bellâtres du monde en embuscade ? Il saurait mieux attaquer un rivale que franchir des barrières invisibles. Mais il n’a pas le choix.

Scène tellement vraie.

 – Alors, ma chérie ? Qu’est- ce qui te ferait plaisir ? Une salade pour toi, une entrecôte pour moi, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Ou autre chose. Qu’importe.
 Je vais manger légèrement, pour conserver la ligne, pour te garder, la concurrence est rude, elle me maintient à un haut niveau de fruits et légumes, tandis que tu prendra de la viande, carnassier, prédateur, et toute la mythologie qui va avec. Ta signalétique est peu subtile.

Je déteste ces mots là moi aussi. Surtout « mon coeur »

 « Tu prendras un dessert, ma chérie ? »
Chez les autres, je trouve cela ridicule voire odieux. Accoler les remarques les plus triviales à des mots doux me révolte. Les « passe-moi le sel mon cœur » et autres « descends la poubelle mon trésor » me donnent la nausée quand ils ne me font pas éclater de rire.


Édition Zulma . Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Appelés en 2013 à élire le plus beau mot de leur langue, les Islandais ont choisi un substantif de neuf lettres désignant une profession médicale : Ijósmóðirin, sage femme. Dans son argumentaire, le jury souligne qu’il unit deux mots magnifiques : móðir qui signifie mère et Ijós, lumière.

Ce roman m’a fait du bien dans des moments où le monde devenait fou . Partir dans les réflexions d’une sage-femme elle même petite fille et arrière petite fille de sage-femme et découvrir l’Islande ancienne et actuelle m’a permis d’oublier la guerre et toutes ses conséquences. J’ai eu envie de noter beaucoup de phrases qui me plaisaient, ma préférée est sans doute celle que prononçait sa grand-tante à chaque naissance

Bonjour petit être. Tu es le premier et le dernier toi en ce monde.

Le reste du livre est constitué par une recherche pour comprendre ce que la grand-tante a voulu léguer à sa petite nièce. Dans son appartement que l’héroïne devra rénover, elle trouve une correspondance avec une amie Galloise et surtout des textes qui pourraient être publiés. Mais que voulait vraiment dire Frida ? Tout ce que l’on comprend c’est que sa recherche associait la naissance à la lumière. Ce n’est pas très facile de comprendre ce que sa tante voulait dire, d’ailleurs sa petite nièce renoncera à vouloir le faire publier.
Les moments que nous passons dans l’Islande actuelle, nous vivons des accouchements, une tempête d’hiver et une belle ballade vers les aurores boréales . Ce n’est sans doute pas un grand roman car il est trop décousu à l’image de la tentative de sa grand-tante de comprendre l’humanité mais on y est bien, je l’ai lu avec grand plaisir et j’espère retenir ma phrase préférée.

 

 

Citations

Naissance

Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse. 
Il ouvre les yeux pour la première fois. 
Et voit la lumière. 
Il ignore qu’il vient de naître.
 Je lui dis, bienvenue, mon petit.
 Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t-shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
 Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
 Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs. 
– Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente. 
C’est leur troisièmes fils. 
– Ils sont tous nés en décembre, commente le père. 
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)

Des phrases que j’aimerais retenir.

 L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
 Il n’y a pas grand chose sous le Soleil 
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier. 
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.

 Présentation de ses parents (je me demande ce que sont des cercueils qui ne sont pas à usage unique ? ? ?.)

 Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.

Repas en famille.

 Au dernier repas de familles, ma mère a passé toute la soirée à parler de la mort. Papa hochait régulièrement la tête et mon beau-frère l’écoutait avec attention. Après, il est allé dans la cuisine pour remplir le lave-vaisselle et mes parents ont continué à discuter du prix des cercueils, de leur qualité et des commandes en cours.

Les journées d’hiver en Islande.

 Je tente de lui expliquer que le jour se lève et prend fin très vite après, finalement j’exprime les choses d’une autre manière : le Soleil apparaît à l’horizon peu avant midi et disparait vers trois heures. L’aube s’étire en longueur toute la matinée et trois heures après la parution de la lumière, l’air s’assombrit à nouveau et le soleil s’enfonce dans la mer.

La philosophie de sa grand-tante sage femme comme elle.

 Même si elle ne croyait pas en l’homme, ma grand-tante avait foi en l’enfant. Ou disons plutôt : elle ne croyait en l’homme qu’en deçà de 50 cm. Cela correspond également aux récits de ses collègues de la maternité. selon elle, il y avait d’une part l’être humain et d’autre part, l’enfant. tout ce qui était petit, et de préférence plus petit que petit, vulnérable et faible, suscitait son intérêt et éveillait sa tendresse, que ce soit dans le monde des hommes, dans le règne animal ou végétal.

Point final.

 Là où les manuscrits se contredisaient, c’est que même si ma grand-tante prévoyait la disparition de l’être humain, elle supposait qu’il y aurait dans le monde du futur une place non seulement pour les animaux et les plantes, mais aussi pour les enfants. Et pas uniquement eux puisque deux autres catégories y seraient également représentées . D’une part les gens qui avaient conservé leur âme d’enfant, « qui s’amusaient à souffler sur les graines de pissenlits et savaient s’étonner », et d’autre part – ce qui n’a rien de surprenant, a souligné ma sœur- les poètes.
Voici les listes des mots qui veulent dire brouillard et neige en islandais je les ai pris en photo car c’est trop compliqué à écrire.

=

Édition Seuil . Traduit de l’anglais par Karine Lalechère

Lu dans le cadre de Masse Critique

 

Voici une bonne pioche chez Babelio, sans être un total coup de coeur ce roman est très intéressant et j’espère vous donner envie de le lire. L’auteure est britannique de parents chypriotes. Elle s’intéresse à deux scandales qui se passent à Chypre, l’un concerne le braconnage des petits oiseaux migrateurs, l’autre beaucoup plus révoltant concerne des employées de maison étrangères qui sont exploitées par des agences plus où moins mafieuses. Ces femmes devront toute leur vie rembourser l’agence qui les a fait venir, elles espèrent s’enrichir pour, le plus souvent, faire vivre leur famille alors que les seules personnes qui vont gagner beaucoup d’argent ce sont les propriétaires des agences. Les Chypriotes qui les utilisent n’imaginent pas les difficultés que traversent ces femmes. Pour la bonne société chypriotes ce sont des femmes interchangeables qui leur rendent tous les services possibles sans pour autant chercher à les connaître.

Ce roman s’appuie sur un fait divers qui a secoué Chypre : des femmes employées ont brutalement disparu. La police ne cherche absolument pas à savoir ce qui s’est passé, le hasard permettra de découvrir qu’il s’agit d’un crime odieux de femmes sans défense.

Le roman suit le destin d’une de ces femmes : Nisha , une jeune maman Skri Lanquaise, elle va aider Petra à élever Aliki l’enfant qu’elle a eu alors que son mari est mort avant la naissance de ce bébé. Un jour Nisha disparaît le roman va raconter l’enquête de Petra qui va ouvrir les yeux sur la vie de Nisha , elle a mauvaise conscience et se rend compte à quel point ces femmes sont malmenées dans son pays. Elle découvre aussi que Nisha lui a caché son amour pour Yiannis son jeune voisin, car elle avait peur d’être renvoyée si Petra avait connu cette relation amoureuse. Yiannis est est un Chypriotes que la crise de 2008 a totalement ruiné et il doit sa survie au braconnage des oiseaux migrateurs ce sont de tous petits oiseaux que les restaurateurs s’arrachent. Il gagne beaucoup d’argent mais il sait aussi que s’il veut s’arrêter, il risque sa vie car au dessus de lui les commanditaires de cette pratique de braconnage, il y a des gens très puissants et qui sont prêts à tout pour cacher cette pratique mais aussi pour qu’elle continue.

Un sujet très intéressant mais j’ai un petit bémol pour le style que j’ai trouvé assez plat. Malgré cette dernière remarque je pense que ce livre trouvera un public assez large.

 

Citations

Voici une bonne façon d’apprendre la table de 9.

Si tu me demandes combien font 7 fois 9, je sais que la réponse commence par 6. Et que le second chiffre, c’est toujours celui d’avant, moins 1. Par exemple, 8 fois 9 font 72, 7 et 2. 
(PS regardez bien la table de 9
1 fois 9 =9
2 fois 9 = 18
3 fois 9 = 27
4 fois 9 = 36
5 fois 9 = 45
6 fois 9 = 54
7 fois 9= 63
8 fois 9 = 72
9 fois 9 = 81
10 fois 9 = 90
certes quand on l’écrit ça marche mais pour dire spontanément « 7 fois 9 = 63 cela demande une gymnastique de la mémoire qui me semble compliquée, moi quand j’étais enfant pour la table de 9 je me disais  : 7 fois 9 = 70 – 7 = 63 .)

Le crack de 2008.

 Avant la crise de 2008, la Laiki banque était en plein essor. elle s’apprêtait à devenir le véhicule d’investissement européen pour le fonds d’état de Dubaï et elle a joué un rôle pivot dans l’industrie des services financiers de Chypre. Elle accueillait à bras ouverts les nouveaux entrepreneurs russes qui arrivaient avec des valises remplies de billets et créaient sur l’île des sociétés administrées par des avocats et des comptables locaux. Les transferts d’argent entre la Russie et Chypre avaient atteint des montants astronomiques. La banque avait même géré les affaires de Slobodan Milosevic. Dans les années 1990, son gouvernement avait transféré des milliards de dollars en espèces par notre intermédiaire, en dépit des sanctions des Nations Unies.

 Son expansion agressive en Grèce fut fatale à la Laiki. Le bilan était sous-capitalisée au moment de la crise financière mondiale et ce fut la dégringolade. La banque fut démantelée. Je perdis mon emploi, mes économies et ma femme -dans cet ordre.

Un policier caricatural ?

 Je ne peux pas m’amuser à chercher ces étrangères. J’ai du travail. Si elle ne revient pas, c’est sans doute qu’elle est passée au nord. C’est ce qu’elles font. Elles vont du côté turc dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. Ces femmes sont des animaux, elles obéissent à leur instinct. Ou à l’argent. Vous devriez rentrer chez vous et débarrasser sa chambre. Si elle n’est pas de retour à la fin de la semaine, appelez l’agence pour demander qu’on vous envoie une autre bonne.

L’horreur de la guerre à Chypre.

 Une seule fois, j’ai entendu mon père parler avec savoir d’avant -une voix sincère et bienveillante-, et ce fut pour dire qu’il avait tué un ami au combat. Il ne nous avoua jamais son nom.
 Ces années d’après guerre m’ont appris une leçon que je n’ai pas oubliée : on pouvait se refermer en soi-même, et, comme mon père, ne jamais retrouver la sortie.

Exemple de ce que vivent les femmes étrangères domestiques à Chypre.

Mutya Santos, une autre Philippine, venait de Manille. Elle s’entendait bien avec sa première employeuse et dînait avec elle chaque soir. À la mort de la vieille dame, on l’avait placée chez un homme qui essayait constamment de la tripoter, entrait dans la salle de bain quand elle était sous la douche et se glissait dans sa chambre pendant son sommeil. Elle s’était plainte à l’agence qui avait refusé d’intervenir. Lorsque son patron l’avez appris, il l’avait congédiée. Elle aussi s’était retrouvée sans rien, avec une énorme dette à rembourser.