Traduit du russe par Sophie Benech.


Merci Dominique qui a la suite d’un article de Goran, m’a conseillé et prêté ce petit livre. Il est enrichi par des dessins d’Alexeï Rémizov et de beaux poèmes de Marina Tsvétaïeva. Cet essai témoigne d’une expérience vécue par l’auteur qui a d’abord fui la Russie tsariste pour revenir ensuite participer à la révolution. Sous le régime bolchevique, s’installe une censure impitoyable, un régime de terreur et une grande famine. Comment ces gens qui faisaient vivre une librairie indépendante ont-ils réussi à survivre et à ce qu’elle dure quelques années ? Sans doute, parce qu’au début « on » ne les a pas remarqués puis, ensuite, parce que leurs compétences étaient utiles. On voit dans cet ouvrage l’énergie que des êtres humains sont capables de déployer pour faire vivre la culture. Les écrivains créaient de petits livres manuscrits pour faire connaître leurs œuvres. J’avais appris dans mes cours d’histoire que la NEP avait été un moment de répit pour les populations. en réalité c’est la NEP qui aura raison de la librairie car si la propriété privée est bien rétablie tout ce qui peut rapporter un peu d’argent est très lourdement taxé avant même d’avoir rapporté .

L’autre aspect très douloureux qui sous-tend cet essai, c’est l’extrême pauvreté dans laquelle doivent vivre les classes éduquées à Moscou. C’est terrible d’imaginer ces vieux lettrés venir vendre de superbes ouvrages pour un peu de nourriture. Et c’est terrible aussi, d’imaginer tout ce qui a été perdu de la mémoire de ce grand pays parce qu’il n’y avait plus personne pour s’y intéresser.

Citations

Ambiance dans la librairie qui a fonctionné à Moscou jusqu’en 1924

Et le client de hasard qui entrait, attiré par l’enseigne, s’étonnait d’entendre un commis discuter avec un client de grands problèmes philosophiques, de littérature occidentale ou de subtiles questions d’art, tout en continuant à travailler, à empaqueter des livres, à faire les additions, à essuyer la poussière et à charger le poêle . La politique était le seul domaine que nous n’abordions pas -non par peur, mais simplement parce que notre but, notre principal désir était justement d’échapper à la politique et de nous cantonner dans les sphères culturelles.

La pauvreté après la révolution de 17

J’espère avoir un jour – moi ou un autre -, l’occasion de revenir sur les types humains rencontrés parmi nos fournisseurs et nos acheteurs. Nous parlerons alors de ses vieux professeurs qui arrivaient d’abord avec des ouvrages inutiles, puis avec les trésors de leur bibliothèque, ainsi qu’avec ensuite avec des vieilleries sans valeur, et pour finir… Avec des livres des autres qu’ils se chargeaient d’écouler.

Les nationalisations

À Moscou, pendant les dures années 1919-1921, les années de chaos et de famine, il était presque impossible aux écrivains d’imprimer leurs livres. Le problème ne tenait pas à la censure (elle n’existait pas encore vraiment), mais à notre immense misère. Les imprimeries, le papier, l’encre, tout avait été « nationalisé », c’est-à-dire que tout avait disparu, il n’y avait pas de commerce du livre, de même qu’il n’existait pas un seul éditeur qui ne fût au bord de la faillite. Mais la vie créatrice n’avait pas cessé, les manuscrits s’entassaient chez les écrivains, et tous avaient envie d’imprimer, sinon un livre, du moins quelques pages. Ce désir était bien sur une façon de protester contre les nouvelles conditions de travail des écrivains. Et puis il fallait bien vivre. Nous décidâmes donc d’éditer et de vendre des plaquettes manuscrites, chaque auteur devant écrire et illustrer son ouvrage à la main.

Traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Mazek. Roman inscrit au « Coup de cœur des coups de cœur » année 2017/2018 de la médiathèque de Dinard.

Si ce roman participe à notre « fameux » challenge du mois de juin, c’est qu’il a déjà reçu un coup de cœur de notre club de lecture. Il m’avait échappé et je suis ravie de rattraper mon retard. Si, pour ma photo, je l’ai associé à la célèbre série « Downton Abbey », c’est que ce roman se situe exactement dans cette lignée. Nous sommes avec une jeune bonne de 20 ans, Jane, qui bénéficie du seul jour de congé de l’année : dans ces années-là , les riches familles de l’aristocratie donnait un jour à leurs domestiques pour qu’ils aillent voir leur mère. Ce 30 mars 1924, il fait un temps superbe et avant de partir en pique-nique, la famille Niven, s’inquiète de ce que fera Jane de cette journée de liberté puisqu’elle est orpheline. Comme le goût de le lecture est accepté, voire encouragé par ses employeurs, Jane sait déjà à quoi elle va passer son temps. Un coup de téléphone va bouleverser ses projets, son amant le jeune Paul Sheringman, un voisin d’une très bonne famille lui donne rendez-vous, chez lui. Ils pourront pour une fois bénéficier de la maison seuls sans se cacher. Il doit dans une quinzaine de jours se marier à une jeune fille de la même condition que lui. Commence alors la description de « la » journée exceptionnelle pour Jane. Elle profite délicieusement de ce rapport amoureux et elle enfouit, à jamais, en elle le secret de cette relation.

Graham Swift sait, avec un talent tout en délicatesse, nous faire revivre cette journée et comprendre les relations des differentes classes sociales brtanniques. Peut être aidés par la fameuse série télévisée, nous savons à quel point ces deux mondes : celui des serviteurs et celui des aristocrates étaient totalement séparés même si ces gens se côtoyaient tous les jours. Jane n’a aucunement l’intention de posséder le moindre pouvoir sur Paul. Et pourtant, grâce à l’acte amoureux, elle sait qu’un moment dans sa vie, elle a été l’égale de Paul. L’auteur sait rendre ce moment à la fois très érotique et chargé de la différence sociale, sans juger aucun des deux personnages. C’est un très beau moment de littérature. De plus, il projette Jane dans un futur plein de vie puisque, de ce jour si particulier, il en fait le déclencheur de sa vocation d’écrivaine.

Citations

Angleterre 1924 : le dimanche des mères

Étrange coutume que ce dimanche des mères en perspective, un rituel sur son déclin, mais les Niven et les Sheringham y tenaient encore, comme tout le monde d’ailleurs, du moins dans le bucolique Berkshire, et cela pour une même et triste raison : la nostalgie du passé. Ainsi, les Niven et les Sheringham tenaient-il sans doute encore plus les uns aux autres qu’autrefois, comme s’ils s’étaient fondus en une seule et même famille décimée.

Les rapports maître domestique Grande Bretagne 1924

« Mais bien sûr que vous avez ma permission. Jane. » avait dit Mr Niven en insérant sa serviette dans son rond en argent. Lui demanderait-il où elle voulait aller.
« La Deuxième Bicyclette est à votre disposition et vous avez -hum- deux shillings et six pence en poche. Tout le comté s’offre à vous. Tant que vous revenez.
Puis, comme s’il enviait vaguement la grande liberté qu’il venait de lui accorder, il avait ajouté : « C’est votre jour de congé, Jane. À vous -hum- d’en user à votre convenance. »
Il savait, à présent, qu’une phrase comme celle-là ne lui passerait pas au-dessus de la tête -peut-être même fallait-il y voir un discret hommage pour la lecture.

L’Angleterre et les deuils de la guerre 14 18

Elle ne savait pas, fût-ce en ce dimanche des mères, ce que cela devait être pour une mère de perdre deux fils en l’espace de deux mois, semblait-il. Ni ce que cette mère pouvait ressentir en pareil dimanche. Ni l’un ni l’autre ne reviendrait à la maison nous offrir un petit bouquet ou des gâteaux aux raisins et aux amandes, n’est-ce pas ?

S’habiller chez les riches

De toute façon, dans leur milieu, s’habiller n’avait jamais été réduit à une simple pratique consistant à se nipper vite fait, on y voyait, au contraire, un assemblage solennel 

Le charme est rompu son amant doit rejoindre sa fiancée

 Il retira la cigarette de sa bouche et la tint, tout droite , sur son propre à ventre.
 « Je dois la retrouver à une heure et demie. Au Swann Hôtel à Bollingford. »
Bien qu’il n’eût pas bougé, ce fut comme s’il avait rompu le charme. Et quoi qu’il en fût, elle n’avait pas pu manquer de le prévoir. Même si elle s’imaginait que par quelque magique exemption elle échapperait à « ce passage obligé » . Et le reste de la journée ? Une partie de celle-ci ne pouvait -nest-ce pas ?- durer éternellement. Un fragment de vie ne saurait constituer sa totalité.
 Elle ne bougea pas mais, en son for intérieur, peut-être s’était-elle adaptée à la situation. Comme si elle portait à nouveau des vêtements invisibles et redevenait même une bonne. 

 Les dernières phrases du roman

 Mais assez de baratin, de ces questions pièges des interviews. Et en quoi cela consistait-il, de dire la vérité ? Il fallait toujours leur expliquer jusqu’à l’explication ! Et toute femme écrivain digne de ce nom les duperait, les taquinerait , les mènerait en bateau. N’était-ce pas évident, non d’une pipe ? Cela revenait à être fidèle à l’essence même de la vie. Cela revenait à capter, c’est impossible que ce fût, la sensation d’être en vie. Cela reprenait à trouver un langage. Il en découle est-ce que dans la vie beaucoup de choses dirai oh ! Bien davantage que nous ne l’imagine non ! Ne saurait, en aucune façon, s’expliquer point.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Peugeot.

J’ai lu ce roman grâce à la blogosphère, je mettrai les liens si, sur un commentaire, je reconnais celui où celle qui aime cet auteur. ( J’ai perdu la référence du blog où j’ai noté ce nom, c’était au début de l’été 2017.)

Le titre américain est « I know this much is true ». Ces deux titres révèlent une vérité du roman mais pas exactement la même, le titre américain insiste sur la tension qui sous tend tout le roman. On sent que Dominick, le narrateur qui essaie de sauver son frère Thomas, schizophrène, des griffes d’une institution psychiatrique répressive après qu’il s’est tranché la main dans les locaux de la bibliothèque, va dévoiler peu à peu une enfance terrible qui cache des drames qui l’empêchent aujourd’hui de reprendre pied dans sa vie. Le titre français représente le point final du roman, on ne peut construire sa vie qu’en acceptant les différents aspects de sa propre personnalité. Thomas le fragile, le malade, le protégé de la mère des deux jumeaux est finalement plus fort que le bouillant et toujours en colère Dominick, enfin c’est une façon de parler car Thomas est du côté du malheur et la répression s’abat sans pitié sur lui, la soit-disant force des vaincus est de savoir reconnaître en chacun de nous cette part de faiblesse, c’est alors que « les vaincus sont puissants » .

Wally Lamb nous plonge dans l’histoire d’une famille « dysfonctionnelle » (j’emprunte ce mot à Pat Conroy élevé à la dure lui aussi par un ancien Marine). La différence est que Ray n’est pas le géniteur des enfants, il a épousé la mère et reconnu les jumeaux. Durant toute leur enfance, il n’aura pour but que d’en faire de braves petits soldats et les endurcir pour affronter un monde qu’il sait ne faire aucune place aux faibles. Dominick s’en sort à sa façon, il affronte avec bravache cette éducation, mais Thomas réagit par les pleurs. Plus sa mère le protège, plus Ray s’énerve jusqu’à une scène terrible qui arrive après 900 pages. C’est le reproche que je fais à ce roman pourquoi faut-il à cet auteur 976 pages pour accoucher de cette souffrance qui dévore toute une vie ? Bien sûr ce roman nous permet de visiter les bas-fonds des hôpitaux psychiatriques américains, de partager les tensions de l’arrivée des immigrants italiens, de revivre le racisme ordinaire contre les indiens et les noirs, et de comprendre que la peur d’avoir du sang noir dans les veines a provoqué bien des secrets, que rien n’est pire que statut de fille mère … Bref nous sommes avec les vaincus souvent et il est vrai que nous mesurons qu’eux aussi on fait la force de ce grand pays. Mais j’aurais aimé un peu plus de concision, même si je comprends que le rythme de cette écriture vient du dévoilement progressif que Dominick réalise grâce à une thérapie très douloureuse. Au bout de tant d’horreurs, la fin heureuse a mis un peu de baume sur mon cœur tellement meurtri surtout quand je lis pendant des pages et des pages les souffrances que l’on peut faire subir à des gens sans défense dans les hôpitaux psychiatriques.

Citations

La dernière phrase

L’amour grandit dans le riche terreau du pardon ; les bâtards font de bons chiens ; La preuve de l’existence de Dieu réside dans la plénitude des choses.

Le sens du roman avec le titre français

Je suis professeur d’histoire américaine(…..)mes élèves tirent, je l’espère, la leçon que j’ai moi même tirée : l’abus de pouvoir nuit à l’oppresseur autant qu’à l’opprimé.

L’amitié entre garçons

« Comment peux-tu fréquenter le trou du c… le plus notoires de tout le lycée ? » me demandait constamment Thomas l’été ou Léo et moi étions ensemble au rattrapage d’algèbre. Certes, Léo était un vrai trou du cul, je le savais. Mais, je le répète, il était aussi tout ce que mon frère et moi n’étions pas : sans complexe, insouciant, et hyper drôle. Son toupet phénoménal nous avait fait accéder à toutes sortes de plaisirs interdits que mon béni-oui-oui de frangin aurait désapprouvé, et qui m’aurait valu des rossées de mon beau-père : les films classés X du drive-in de la route 165, le champ de courses de Narragansett, un magasin de vins, spiritueux sur la route de Pachaug Pond qui accordait aux mineurs le bénéfice du doute. Ma première cuite magistrale, je l’ai prise dans la voiture de la mère de Léo, à la Cascade en fumant des cigarettes et en faisant circuler une bouteille de Bali Hai. J’avais 15 ans.

Les expérimentations sur les malades mentaux

 Les années 70 et 78 avaient été fastes. À cette époque-là, considérant qu’en fin de compte Thomas n’était pas maniaco-depressif, on avait arrêté le lithium pour le remplacer par de la stelazine. Puis le Dr Bradbury avait pris sa retraite, et ce connais de Dr Shooner, ce nabot qui suivait désormais mon frère, avait décrété que, si ça marchait avec six milligrammes de stelazine par jour, ça marcherait d’autant mieux avec dix-huit. Il me semble encore tenir ce petit charlatan par les revers de son veston de tweed comme le jour où j’ai trouvé Thomas assis, paralysé, l’oeil vitreux, la langue pendante, bavant sur sa chemise.

Les bibliothèques

 Autrefois, le métier de bibliothécaire était un métier agréable -après tout elle aimait bien les gens. Mais à présent, les bibliothèques étaient à la merci des laissés-pour-compte et des sans-abris du quartier. Des gens qui se fichaient éperdument des livres et de l’information. Qui venaient s’asseoir là comme des légumes ou se précipitaient aux WC toutes les cinq minutes. 

Le destin et l’amour d’un fils pour sa mère

 J’étais celui qui en voulait le plus au destin de l’avoir gratifiée d’abord d’un mari inconstant, puis d’un fils schizophrène, avant de revenir lui taper sur l’épaule pour lui filer le cancer. Or je prouvais seulement que j’étais celui qui refusait le plus obstinément de se rendre à l’évidence. Si je me donnais tant de mal et si je faisais les frais de lui offrir une cuisine neuve, elle avait intérêt à vivre assez longtemps pour en profiter.

 

Cet auteur fait partie de ceux que je lis avec grand plaisir. Brize était enthousiaste, mais Aifelle avait un peu refroidi mon envie, pas assez tout de même pour que je ne le réserve pas à ma médiathèque. Tous les lecteurs de ce roman constatent que le récit de la catastrophe de Liévin en 1974 rend parfaitement compte de l’horreur de cette accident qui aurait pu être évité, et raconte très bien la vie des mineurs et les terribles conséquences de la silicose. J’ai relu quelques archives de l’époque, qui permettent de se rendre compte que Sorj Chalandon n’a pas exagéré. Oui, cette catastrophe était évitable et oui, ces hommes sont morts au nom du rendement du charbon, alors que les mines avaient déjà perdu leur rentabilité, elles allaient bientôt fermer les unes après les autres. Sorj Chalendon, en ancien journaliste, a sûrement vérifié la véracité des détails révoltants comme le fait que les houillères retiennent sur le salaire du mineur mort au fond de la mine, les deux jours qu’il n’a pas pu faire pour finir son mois, et encore plus sordide le prix de la tenue qu’il n’a pas pu rendre….

L’autre centre d’intérêt c’est le destin personnel de Michel, le petit frère survivant et totalement hanté par cette catastrophe. On ne peut sans divulgâcher l’intrigue, en dire trop sur ce personnage. Pour Aifelle il n’est pas crédible et cela enlève du poids au roman. Je dois être une véritable inconditionnelle de cet auteur, car si comme elle j’ai des doutes sur la vraisemblance du personnage, j’ai trouvé que grâce à lui, Sorj Chalendon avait réussi à nous rendre présent l’horreur des accidents dans les mines. Et puis cela permet de tenir en haleine le lecteur jusqu’à la dernière page. Lors du procès final, j’ai beaucoup apprécié le réquisitoire et la plaidoirie de la défense. Tout est dit dans ces quelques pages. À la fois un pays qui, en 2014, ne comprend plus la vie des mineurs, l’absurdité des destins qui finissent dans des râles de respirations étouffées par les poussières de charbon, ou dans des accidents d’une violence inimaginable, et les gens qui eux sont restés à Lens ou à Liévin et qui se sentent marqués à jamais par les tragédies du charbon.

C’est donc une quatrième fois que Luocine accueille un roman de cet auteur et même si j’ai un peu plus de réserves que pour « Retour à Killyberg » , « le quatrième mur » prix Goncourt lycéen 2013,et « Profession du père » il m’a quand même beaucoup plu.

 

Citations

Tous les bricoleurs de mobylettes se reconnaîtront

À vingt sept ans, mon frère avait aussi abandonné son vieux vélo pour le cyclomoteur.

– La Rolls des gens honnête, disait-il aussi.

Une tragédie évitable

La presse l’avais compris, le juge Pascal l’avait découvert. Rien n’avait été dégazé. Le système pour mesurer le grisou n’était pas achevé. La machine qui servait à dissiper les poches de méthane fonctionnait dans un autre quartier. Les gaziers n’avaient pas mal travaillé. Pas leur faute, les pauvres gars. Ils n’étaient que deux mineurs à effectuer des mesures manuelles .Un seul, pour inspecter des kilomètres de galeries. Par mesure d’économie, les Houillères avaient pris le risque de l’accident.

 

Je suis mort. C’est pas le pire qui pouvait m’arriver.


J’ai besoin de cet auteur, j’ai besoin de son humour, il me fait tellement de bien depuis sa « Grammaire impertinente » jusqu’à « Mon autopsie ». Il me fait éclater de rire même si je suis seule, et dans mon blog, peu de livres ont eu ce pouvoir. Evidemment, après, je partage les extraits de son livre avec tous ceux et toutes celles qui ont ri avec Pierre Desproges, un exemple des grands amis de cet auteur.

Dans « Mon autopsie », Jean-Louis Fournier répond à la critique qu’on lui a sans doute faite de s’être moqué de toute sa famille sauf de lui. Dans ce livre, il se passe donc lui-même sur le grill de son esprit caustique, il ne s’épargne guère, après son père alcoolique, sa mère du Nord , ses deux enfants handicapés, sa fille religieuse, sa femme qu’il a tant aimé, le voilà, lui l’écrivain. Lisez ce roman vous saurez tout sur Jean-Louis Fournier, disséqué par une jeune étudiante en médecine. Évidemment, l’auteur a besoin que cette jeune femme soit belle et émouvante. Au fur et à mesure qu’elle s’arrête sur telle ou telle partie de son corps, des souvenirs lui reviennent. Il cherche aussi à comprendre cette jeune femme et sa vie amoureuse. Les dialogues sont savoureux. Le livre ne se raconte pas vraiment, j’ai recopié quelques passages pour vous donner envie de l’ouvrir. Il réussit même à nous faire accepter que lui aussi va mourir et que ce n’est peut-être pas si triste (personnellement son humour me manquera).

Citations

Un chapitre entier pour vous

Laissez moi rire
 
Égoïne a découvert sur mon torse un tatouage au niveau du cœur,  » S’il vous plaît ne me ranimer pas do not disturb ».
 Il était destiné à mon dernier médecin, il a compris le message. Elle a ri. Toute ma vie j’ai voulu faire rire. Le faire encore, après ma mort, m’est délicieux.
 Petit, je me déguisais, j’improvisais des sketchs. À l’école, mon goût de faire rire m’a coûté cher. En retenue tous les dimanches, j’étais le mauvais exemple de la classe. Pour me faire remarquer je n’étais jamais à cours d’idées, jusqu’à mettre une statue de la Sainte Vierge plus grande que moi dans les chiottes. Là, je fus mis à la porte. Mais j’avais fait rire ma mère.
Pour un bon mot, j’étais prêt à tout. Pour éviter des poursuites judiciaires, j’ai même utiliser l’humour. Poursuivi pour avoir stationné dans la cour des départs de la gare du Nord, j’ai reçu un courrier m’enjoignant de payer pour arrêter les poursuites. J’ai écrit à Madame la SNCF que je refusais l’arrêt des poursuites, je tenais à être châtier pour expier. Je lui demandais une dernière faveur, être déchiqueté par le Paris Lille en gare d’Arras.
Les poursuites se sont arrêtées.
 Pour moi l’humour était un dérapage contrôlé, un antalgique, une parade à l’insupportable, une écriture au second degré, une arme à double tranchant, un détergent. Il nettoie, comme la pyrolyse, brûle les saletés, efface les tâches, les préjugés, les rancœurs et les rancunes.
Plus tard, dans mes livres, j’ai essayé de rire de tout.
De la grammaire, de l’alcoolisme de mon père, de l’hypocondrie de ma mère, de mes enfants handicapés, de ma vieillesse et j’ai voulu rire de ma mort…

J’en connais d’autres, tous élevés chez les curés

 Quand j’étais petit, un curé, à la confession, avant de me donner l’absolution, m’avait dit que la nuit il fallait prier avec ses mains, ça évitait de tripoter ses « parties honteuses ».
 Ça ne m’a pas empêché de continuer.
Je me sortirais. Les pensées impures étaient-elles des péchés mortels ? Évidemment, je n’osais le demander à personne.
Ma jeunesse a été empoisonnée par le péché mortel, et la peur d’aller en enfer.

Si drôle

Plus de mille fois j’ai récité  » Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».

 Heureusement, Dieu ne m’a jamais exaucé

On pleure quand on arrive sur terre, pourquoi on râle quand on doit partir ?

Jamais content.

J’appelais pour donner des nouvelles, rarement pour en demander, et il ne fallait pas que ça dure longtemps.

 » Ce qui m’intéresse le plus chez les autres c’est moi » a écrit Francis Picabia.
Cette phrase me va comme un gant.

Et pour vous faire « mourir » de rire son ami si drôle

Traduit de l’anglais (américain) par Jean Esch.

Deux livres qui se suivent traduits par le même traducteur, j’aimerais tant confronter mon opinion à la sienne. Autant je me suis sentie enfermée dans le bon roman « les filles au lion » autant je me suis sentie libre dans celui-ci. Libre d’aimer , libre de croire à l’histoire , libre d’imaginer les personnages. La cuisine et la recherche (parfois très compliquée) des bons aliments sont à le mode visiblement dans tous les pays. L’avantage de prendre comme fil conducteur la cuisine , c’est de traverser toutes les couches de la société américaine. Entre le grand bourgeois raffiné qui peut payer un repas d’exception et le petit mitron qui épluche les légumes l’éventail des personnalités et des situations est assez large. L’avantage aussi, c’est que comme pour toute forme d’art, seul le travail paye. Et devenir une chef mondialement connue comme le personnage Eva Thorvald est une tension de tous les instants entre les exigences de la vie et celle du créateur.

Dans ce roman, la très bonne cuisine n’est pas tant une sophistication de la cuisson que l’exigence de la qualité des produits. Toute création cache une souffrance et celle d’Eva vient de sa naissance , abandonnée par sa mère , orpheline trop tôt d’un père qui a juste eu le temps de lui donner le goût de la bonne nourriture, elle rame pour survivre d’abord au lycée. Ah ! les lycées américains la violence qui y règne est d’autant plus surprenante que ce n’est pas l’image que j’en avais. Souvent quand j’interrogeais les étudiants américains sur leurs années lycée, ils me disaient que cela représentait pour eux un grand moment de bonheur, alors que les jeunes Français détestent presque toujours leur lycée. Le roman s’intéresse ensuite à différents personnages, l’on croit quitter Eva mais on suit son parcours et sa progression comme chef d’exception à travers les rencontres qu’elle est amenée à faire, elle n’est plus alors le personnage principal, et cela nous permet de comprendre un autre milieu à travers une autre histoire.

On passe du concours de cuisine consacré aux barres de céréales où toutes les mesquineries habituelles dans ce genre de compétition sont bien décrites, à l’ouverture de la chasse aux cerfs d’une violence que je ne suis pas prête d’oublier. La scène finale rassemble les éléments du puzzle de la vie d’Éva dans un moment d’anthologie romanesque et culinaire. Finalement c’est au lecteur de réunir tous les personnages, j’ai relu deux fois ce roman pour être bien sûre d’avoir bien tout compris. Un grand moment de plaisir dans mon été qui était plutôt sous le signe de romans plus tristes et je le dois à Aifelle qui avait été tentée par Cuné et Cathulu.

Citations

Légèreté et d’humour explication du lutefisk

Peu importe que ni Gustaf ni sa femme Elin, ni ses enfants n’aient jamais vu, et encore moins attrapé, assommé, fait sécher, trempé dans la soude, retrempé dans l’eau froide, un seul poisson à chair blanche, ni accompli la délicate opération de cuisson nécessaire pour obtenir un aliment qui, quand il était préparé à la perfection, ressemblait à du smog en gelée et sentait l’eau d’aquarium bouillie.

 Toujours le lutefisk

Lars, quant à lui, fut stupéfait par ces vieilles scandinaves qui vinrent le trouver à l’église pour lui dire :  » Un jeune homme qui prépare le lutefisk comme toi aura beaucoup de succès auprès des femmes ». Or, d’après son expérience, la maîtrise du lutefisk provoquait généralement du dégoût, au mieux de l’indifférence, chez ses rencards potentiels. Même les filles qui prétendaient aimer le lutefisk ne voulaient pas le sentir quand elles n’en mangeaient pas, mais Lars ne leur laissait pas le choix.

Rupture amoureuse

« – Mais en attendant, contentons-nous d’être amis. »
Will avait déjà entendu cette phrase et il avait appris à ne plus écouter ce que disait la fille ensuite parce que c’était du baratin.

Le maïs

Anna Hlavek cultivait un produit rare, presque inouï : une variété de maïs à pollinisation libre qui n’avait pas changé depuis plus de cent ans. D’après ce qu’elle savait, Anna avait hérité d’un stock de semences ayant appartenu à son grand-père, qui les avait achetés par correspondance ….en 1902. C’était exactement le même maïs que mangeait les arrières-grands-parents d’Octavia dans leur ferme près de Hunter dans le Dakota du Nord : des grains charnus, fermes et juteux qui explosaient dans la bouche, si sucrés qu’on aurait pu les manger en dessert.

Classe aisée américaine

 Octavia qui avait grandi à Minnetonka, entouré de gens fortunés au goût sûr, qui avait obtenu des diplômes d’anglais et de sociologie à Notre-Dame, dont le père était avocat d’affaires et la belle-mère un ancien mannequin devenue représentante dans l’industrie pharmaceutique, était destinée à épouser un homme comme Robbe Kramer. Elle n’aspirait pas à une vie meilleure que celle qu’elle avait connue dans son enfance ; elle n’avait pas besoin d’être plus riche, juste aisée, auprès d’un ami comme Robbe, attaché au même style de vie. Elle serait heureuse, elle le savait, de l’accompagner dans ses dîner de bienfaisance politique, et de charmer les épouses moins intelligentes de ces futurs associés. Elle avait même appris à jouer au golf, elle savait confectionner vingt sept cocktails différents, elle pouvait regarder un match des Minnesota Vikings et comprendre ce qui se passait sans poser de questions.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Bisseriex. Livre lu grâce à Babelio et offert par les éditions « le nouveau pont ».


Pat Conroy fait partie des auteurs qui savent me transporter dans un autre monde et dans un autre genre de vie. J’ai lu tous ses romans et sa mort m’a touchée. Le monde dans lequel il me transporte, c’est la Louisiane ou l’Alabama. Il sait me faire aimer les états du Sud, pourtant souvent peu sympathiques. Il faut dire qu’il vient d’une famille pour le moins non-conventionnelle  : sa mère qui se veut être une « parfaite dame du Sud », n’est absolument pas raciste, car si elle est en vie, c’est grâce à une pauvre famille de fermiers noirs qui l’a nourrie alors qu’elle et ses frères et sœurs mouraient de faim pendant la grande dépression. Le racisme, l’auteur le rencontrera autant à Chicago dans la famille irlandaise qu’à Atlanta mais sous des formes différentes. L’autre genre de vie, c’est sa souffrance et sans doute la source de son talent d’écrivain : une famille « dysfonctionnelle », un père violent et des enfants témoins d’une guerre perfide entre parents dont ils sont toujours les premières victimes.

Ce livre est donc paru (en France ?) après la mort de son auteur et explique à ses lecteurs pourquoi malgré cette enfance absolument abominable il s’est réconcilié avec ses deux parents. Il montre son père « le grand Santini » sous un jour différent grâce au recul que l’âge leur a donné à tous les deux. Cet homme aimait donc ses enfants autant qu’il les frappait. Il était incapable du moindre mot de gentillesse car il avait peur de les ramollir. Plus que quiconque le « grand Santini » savait que la vie est une lutte terrible, lui qui du haut de son avion a tué des milliers de combattants qui menaçaient les troupes de son pays. Un grand héros pour l’Amérique qui a eu comme descendance des enfants qui sont tous pacifistes.

Pat Conroy a fait lui même une université militaire, et il en ressort écœuré par les comportements de certains supérieurs mais aussi avec une certaine fierté de ce qu’il est un … « Américain » . Il décrit bien ces deux aspects de sa personnalité, lui qui pendant deux ans est allé enseigner dans une école où il n’y avait que des enfants noirs très pauvres. Il dit plusieurs fois que l’Amérique déteste ses pauvres et encore plus quand ils sont noirs. Mais il aime son pays et ne renie pas ses origines.

On retrouve dans cette biographie l’écriture directe et souvent pleine d’humour et dérision de cet écrivain. Il en fallait pour vivre chez les Conroy et s’en sortir. On reconnaît aussi toutes les souffrances qu’il a si bien mises en scène dans ses romans. On peut aussi faire la part du romanesque et de la vérité, enfin de la vérité telle qu’il a bien voulu nous la raconter. Ce livre je pense sera indispensable pour toutes celles et tous ceux qui ont lu et apprécie Pat Conroy

Citations

Un des aspect de Pat Conroy son estime pour certains militaires

À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.

Genre de portrait que j’aime

Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.

Toute famille a son barjot

 Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.

Son père

Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».

Humour que l’on retrouve dans les romans de Pat Conroy

-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.
-Pourquoi ?
– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires

La sœur poète et psychotique

Ma sœur Carole Ann a vécu une enfance vaillante et sans louange mais surtout une enfance d’une solitude presque insupportable. Elle aurait été un cadeau pour n’importe quelle famille mais passa inaperçue la plupart du temps. À tout point de vue, c’était une jolie fille qui n’arrivait pas à la hauteur des attentes des mesures et de sa mère. Malgré elle, Peg Conroy avait le don insensé de faire croire à ses filles qu’elles étaient moches.

Son rapport à l’Irlande

Dans mon enfance, tout ceux qui me frappaient était irlandais, depuis mon père, ses frères et ses sœur, jusqu’aux nonnes et aux prêtres qui avaient été mes enseignants. Je percevais donc l’Irlande comme une nation qui haïssait les enfants et qui était cruelle envers les épouses.

L’éloge funèbre de Pat Conroy à son père

Il ne savait pas ce qu’était la mesure, ni même comment l’acquérir. Donald Conroy est la seule personne de ma connaissance dont l’estime de soi était absolument inébranlable. Il n’y avait rien chez lui qu’il n’aimait pas . Il n’y avait rien non plus qu’il aurait changé. Il adorait tout simplement l’homme qu’il était et allait au devant de tous avec une parfaite assurance. Papa aurait d’ailleurs aimé que tout le monde soit exactement comme lui.

 Son obstination été un art en soi. Le grand Santini faisait ce qu’il avait à faire, quand il le voulait et malheur à celui qui se mettait en travers de son chemin.

Traduit par André Fayot post face de Bertrand Fillaudreau.


La lecture de ce livre de mémoires me prouve que la blogosphère a permis à mes goûts littéraires d’évoluer. J’ai pris un grand plaisir à cette lecture que je dois à Dominique ( elle même remercie Keisha). Je voulais connaître cet homme qui est considéré comme le « père des parcs nationaux aux USA » . Mes enfants y font des balades extraordinaires chaque été et leurs photos donnent envie de s’y rendre. J’ai toujours cet étonnement face à ce paradoxe, le pays le plus pollueur de la planète est aussi celui qui semble adorer le plus la nature vierge. Plusieurs lectures récentes convergent pour me donner l’impression que l’homme agriculteur est devenu le plus grand prédateur des espèces végétales et animales. Faire pousser du blé ne peut se faire qu’aux prix de souffrances infinies pour l’homme et la nature.
John Muir, les souffrances, il connaît, élevé par un père d’une rigueur qui frise le tortionnaire, il a connu les pires brimades physiques dès son enfance : coups, engelures, travaux de forçat ; il a tout accepté au nom d’un respect filial qui lui vient, on se demande pourquoi ? et comment ?
Toute son enfance, surtout son émerveillement de la nature qui s’offre à lui quand il arrive dans le Wisconsin, est très agréable à lire et on suit avec attachement les péripéties de chaque découverte qu’offrent ces lieux souvent encore vierges. La fin est beaucoup moins passionnante, il est vrai qu’il ne s’agit plus de son enfance. Cet enfant à 10 ans est capable de comprendre la trigonométrie tout seul avec des livres, à 14 ans de construire des horloges sans plan préalable, il a vraiment une intelligence totalement hors norme. Il a appris à lire et à écrire seul ou presque à 4 ans. Il parle latin et allemand. J’aurais aimé qu’il raconte mieux son adaptation au monde des adultes quand il ne vit plus sous la férule de ce père que j’ai détesté tout au long du livre.

Citations

Éducation écossaise fin du XIXe

 Je ne vois rien qui puisse me pousser aujourd’hui à concentrer plus fort mon attention que quand j’étais enfant, ce que réussissait le fouet -une gigantesque raclée le plus souvent. Les instituteurs écossais de la vieille école ne passaient pas leur temps à tenter de trouver des chemin raccourcis vers la connaissance, ni d’expérimenter les dernières trouvailles en matière de méthode psychologique, tellement en vogue de nos jours. Il n’était pas question de rendre nos bancs confortables, ni nos leçons faciles. On nous collait seulement de but en blanc devant nos livres, comme des soldats face à l’ennemi, en nous ordonnant d’un ton sans réplique : « Allez au travail ! Apprenez vos leçons ». Et à la moindre erreur, si minime fût-elle, c’était le fouet, car avait été fait cette extraordinaire découverte, aussi simple que définitive, et tellement écossaise, qu’il existait une relation directe entre la peau et la mémoire, et qu’irriter celle-là stimulait celle-ci au degré souhaité quel qu’il fût.

 Les bagarres

Quand on avait la chance de finir un combat sans un œil au beurre noir, on échappait généralement à une dégelée à la maison et une autre le lendemain matin à l’école, car les autres traces de l’échauffourée pouvaient être lavées facilement au puits près de l’église, ou bien dissimulées, ou mise au compte des aspérités du terrain ; tandis qu’un œil poché ne pouvait trouver d’autre explication qu’une bagarre en règle. La double correction en était la sanction inéluctable mais sans aucun effet  : les bagarres se continuaient sans la moindre accalmie, comme les ouragans, car aucune autre punition que la mort n’aurait pu supprimer la vieille agressivité atavique qui brûlait dans nos veines de païens, pas plus qu’on arrivait à nous faire admettre que père et maître pouvaient légitimement nous étriller aussi laborieusement pour notre bien, tout en refusant le plaisir de nous castagner les uns les autres pour le même bien.

Genre de livres où Wikipédia rend bien des services ….

Et il en allait tout de même avec les calopogons, les pogonies, les spiranthes et quantité d’autres populations végétales. Le magnifique turban de Turc ( Lilium superbum), qui croît sur les berges des cours d’eau, était rare chez nous, alors que le lis orangé poussait en abondance en terrain sec sous les chênes à gros fruits et nous rappelait bien souvent la plate-bande de tante Ray en Écosse. Grâce à ses fleurs rouge écarlate, l’asclépiade tubéreuse ou herbe à ouate attirait des volées de papillons et produisait de superbes masses de couleur.

Une éducation à la dure

 Mes aventures me remettent en mémoire l’histoire de ce garçon qui, en escaladant un arbre pour voler un nid de corbeau, tomba et se cassa la jambe, mais qui, sitôt guéri, se força à grimper jusqu’au sommet de l’arbre du haut duquel il avait culbuté.

La prégnance de la morale

 Comme à l’ensemble des petits écossais, on nous enseignait la plus stricte abnégation, à propos et hors de propos, à faire fi de la chair et à la mortifier, à veiller à garder nos corps soumis aux préceptes de la Bible et à nous punir sans merci pour toute faute commise ou simplement imaginée. Lorsque, en aidant sa sœur à ramener les vaches, un gamin usa un beau jour d’un terme défendu : « faudra que je l’dise à papa, fit la jeune fille horrifiée. J’le lui dirai, qu’t’as dit un vilain mot…
-J’ai pas pu l’empêcher d’me v’nir répondit l’enfant par manière d’excuse. C’est pas pire de le dire tout haut que de l’ penser tout bas ! »

Après avoir décrit le Wisconsin comme le paradis des oiseaux , il décrit cette scène horrible (cette espèce de pigeons a complètement disparu, on comprend pourquoi !)

Les pigeons, à ce moment-là, étaient rares un grand nombre de personnes, équipées de chevaux et de chariot, et armées de fusil, de longues perches, de pots à soufre, torches de poix, etc, avaient déjà planté leur camp sur le pourtour deux fermiers installés à plus de cent milles de là avaient amené quelques trois cents porcs pour les faire engraisser sur les pigeons massacrés. Un peu partout, des gens employés à plumer et à saler ce qui avait déjà été mis de côté étaient assis au milieu de monceaux d’oiseaux. La terre était couverte d’une couche de fiente de plusieurs pouces d’épaisseur. Quantité d’arbre de deux pieds de diamètre étaient brisés guère au-dessus du sol, et les branches de beaucoup d’autres parmi les plus hauts et les plus étendus avaient cédé, comme si un ouragan avait balayé la forêt.
Au coucher de soleil, pas un pigeon n’était encore arrivé. Mais un cri général s’éleva tout à coup :  » Les voilà ! ». Ils étaient encore loin, mais le bruit qu’ils faisaient me rappelait, en mer, un violent coup de vent qui passe à travers les gréements d’un navire dont on a serré les voiles. Des milliers furent bientôt abattus à coups de perche, mais les oiseaux ne cessaient pas pour autant d’affluer. Puis les feux s’allumèrent et un tableau aussi terrifiant que superbe se mit en place. Les pigeons qui se déversaient à flots se posaient partout, les uns sur les autres, si bien qu’il se formait des masses compactes sur toutes les branches. Ça et là des perchoirs roulaient avec fracas, et, dans leur chute en abattaient des centaines d’autres, précipitant les groupes extrêmement serrés d’oiseaux dont étaient chargé le moindre rameau, spectacle de conflit et de tumulte. Je m’aperçus qu’il était parfaitement inutile de parler ou même de crier au gens qui m’entouraient. Les coups de fusil, on les entendait rarement, et ce n’est qu’en voyant les hommes recharger leurs armes que je comprenais qu’ils avaient tiré. Personne n’osait s’aventurer à l’intérieur du périmètre du carnage. On avait parqué les cochons en temps utile, le ramassage des morts et de blessés étant remis au lendemain matin. Les pigeons affluaient toujours, et ce ne fut qu’après minuit que je perçus une diminution du nombre des arrivants. Le vacarme dura toute la nuit.
Vers les premières lueurs du jour, le bruit s’atténua quelque peu ; longtemps avant qu’on pût distinguer les formes, les pigeons commencèrent à s’en aller dans une direction différente de celle où ils étaient venus la veille, de sorte que quand le soleil se leva tout ce qui était capable de voler avait disparu. Ce fut alors le hurlement des loups qui se fit entendre, et l’on vit arriver furtivement renards, lynx, couguar, ours,raton laveur, opossum et putois, tandis que des aigles des éperviers de différentes espèces, accompagnés d’une armée de vautour, approchaient pour tenter de les évincer et d’avoir leur part de butin.
Les auteurs du carnage se mirent alors à avancer parmi les morts, les mourants et les mutilés et à ramasser les pigeons et aller mettre en tas, ce jusqu’à ce que chacun ait autant qu’il voulait, après quoi les cochons furent laisser libres de dévorer les restants.

L’inconfort total

 Dans toute la maison, il n’y avait en fait de feu que le fourneau de la cuisine, avec son foyer de cinquante centimètres de long sur vingt cinq de large et autant de haut – à peine de quoi y mettre trois ou quatre petites bûches-, autour duquel, lorsqu’il faisait – 20 dehors, les dix personnes que nous étions dans la famille grelottaient, et sous lequel nous trouvions, le matin, nos chaussettes et nos grosses bottes imprégnées d’eau gelée en bloc. Et nous n’avions pas même le droit de ranimer ce misérable petit feu dans sa boîte noire pour les dégeler. Non, nous devions y comprimer nos pieds endoloris et tout palpitant d’engelures, au prix de douleurs pires qu’une rage de dent, et filer au travail.

Je crois relire homo sapiens : le malheur de la révolution agricole

Dans ces temps reculés, longtemps avant l’arrivée des machines qui nous épargnent tant de peine, tout (ou presque) ce qui touchait à la culture du blé imposait des travaux éreintant – faucher sous la chaleur des longues journées de la canicule, râteler et lier des gerbes, faire les meules et battre le grain -, et je me disais bien souvent que la façon brutale, frénétique, que nous avions de faire sortir le grain de terre ressemblait trop à une excavation de tombes.


Vous avez été nombreux à parler en bien de ce roman, je vous ai donc suivis et je l’ai trouvé très instructif. Il fait réfléchir sur le trafic de drogue en France et le fonctionnement de la justice. J’ai moins aimé le côté roman policier mais je ne suis pas adepte du genre. L’auteure est avocate et connaît bien son sujet, on peut supposer qu’à part les exagérations imposées par le genre, ce qu’elle nous décrit est assez proche de la réalité. Je ne sais pas pourquoi elle fait un portrait aussi terrible de ses parents, qui engraissent leur jardin à coups de cadavres, et ce n’est certainement pas cette partie qui m’a fait mettre quatre coquillages. Cette auteure a un style enlevé et souvent drôle, voire très drôle. Quand son personnage principal devient interprète pour la justice, l’auteure qui en sait long sur la question nous fait découvrir le monde de la drogue en France qu’elle décrit ainsi :

Quatorze millions d’expérimentateurs de cannabis en France et huit cent mille cultivateurs qui vivent de cette culture au Maroc. Les deux pays sont amis et pourtant ces gamins dont j’écoutais à longueur de journée les marchandages purgeaient de lourdes peines de prison pour avoir vendu leur shit aux grosses des flics qui les poursuivent, à ceux des magistrats qui les jugent ainsi qu’à tous les avocats qui les défendent.

Je me suis fait ma philosophie personnelle à la lecture de ce roman, pour lutter contre la drogue et les mafias qui en vivent, il n’y a que deux solutions :

  • légaliser toutes les drogues, et voir immédiatement toute une partie de la jeunesse mourir devant nos yeux.
  • Où comme en Thaïlande ou au Maroc (où elle est cultivée !) punir de 20 ans de prison tous les consommateur et de mort tous les trafiquants.

Sinon, toutes les autres solutions apporteront des situations bancales laissant place à la création littéraire de bons romans policiers !

Citations

Le nerf de la guerre et depuis si longtemps !

L’argent est « le Tout » ; le condensé de tout ce qui s’achète dans un monde où tout est à vendre. Il est là réponse à toutes les questions. Il est la langue d’avant Babel qui réunit tous les hommes.

Humour

 À l’époque on parlait beaucoup du créationnisme aux États-Unis et on pouvait lire des conneries du genre : les dinosaures ont disparu parce qu’ils étaient trop lourds pour monter sur l’arche de Noé.

Regard sur les années 70

Dans les années 70 ça se disait PDG . Ça allait avec le canard à l’orange, les cols roulés jaunes sur des jupes-culottes et les protège-téléphones fixes en tissu galonné.

Ses parents

En couvrant sa femme des yeux avec fierté, mon père, qu’au passage toutes les prostituées du quartier de la Madeleine appelaient par son prénom, disait d’elle qu’elle était comme une oeuvre d’art : très belle, mais d’une valeur d’usage absolument nulle.

Vision réaliste du trafic de drogue en France. Point de vue de la traductrice

Quoi qu’il en soit le trafic de stups m’a fait vivre pendant pratiquement vingt cinq ans au même titre que les milliers de fonctionnaires chargés de son éradication ainsi que les nombreuses familles qui sans cet argent n’auraient que les prestations sociales pour se nourrir.

Les dealers la plupart Marocains en France

En semaine, leurs journées commencent vers quatorze heures et se terminent à trois heures du matin. Elles se résument à des va-et-vient en scooter ou en Smart entre leur point de réapprovisionnement et de deal et leur bureau sis au kebab du coin ou à la salle de sport.
Si j’avais à les filmer dans leurs activités, je mettrais en fond sonore « What a wonderful world » de Louis Armstrong.
Toutes leurs conversations tournent autour de l’argent : celui qu’on leur doit, celui qu’ils auraient dû toucher, celui qu’ils rêvent d’avoir… Cet argent, ils le claquent le weekend en boîte de nuit -les mêmes que les cadres de la Défense… Qui sont aussi leurs clients – sauf que eux, la bouteille de champagne à mille euros, lorsqu’elle arrive sur leur table, ils la vident en la retournant dans son seau car ils ne boivent pas d’alcool. Souvent, à la sortie de la boîte, ils se battent et sont systématiquement arrêtés et condamnés sans que l’on cherche même à savoir si ce sont où les cadres de la Défense qui ont commencé.
 Leur hiver, ils le passent comme leurs clients en Thaïlande, notamment à Phuket mais dans un autre quartier : à Patong, rebaptisé « Les 4000 » du nom de la cité de La Courneuve en Seine-Saint-Denis. Les Thaïlandais les appellent les « French Arabics ».
 Là-bas, c’est les vacances, ils ne dealent pas parce que le simple usage de stups est puni de vingt ans. L’été, ils se tapent le bled avec la famille. Là non plus il ne dealent pas pour les mêmes raisons.
Leurs films préférés sont « Fast and Furious » 1, 2, 3 … 8 et « Scarface ». Ils sont tout sur les réseaux sociaux – libres ou en taule, c’est selon ou ils s’affichent comme travaillant chez Louis Vuitton et fréquentant Harvard University. Ils y échangent de grandes vérités où l’islam sunnite (la partie qui a trait à la polygamie, principalement), se mele aux répliques cultes de Tony Montana et aux textes des rappeurs qui dépassent les cinq cents millions de vues sur YouTube.
Ils sont en matière d’introspection comme tous les mes commerçants du monde… D’une pauvreté crasse.
….And I think tout myself Whatsap à Wonder full world ..
Je sais, ça n’a pas l’air, mais j’ai pour certains d’entre eux comme de l’affection car ils me rappellent l’anarchisme de droite pratiqué par mon père et ils parlent comme lui la langue universelle : « l’argent ».

 

Une idée de lecture que je dois à Dominique. Je conseille ce livre à tous les amoureux et amoureuses de Paris et de Modiano. J’ai déambulé dans le XVI° en lisant ce court essai et j’ai cru mettre mes pas dans ceux de Béatrice Commengé et de Modiano. Ce n’est pas un guide touristique même si cela permet de visiter Paris d’une façon originale, cette auteure sait surtout nous faire comprendre la vie de Modiano et son impérieux besoin d’écrire. Rien n’était très net dans la vie de ce jeune fils d’un juif au passé trouble et d’une actrice qui laissait souvent son fils en garde dans des lieux insolites. Quand ses parents se sont rencontrés, ils habitaient en face de cet endroit rue Sheffer dans le XVI° :

 

Ils ont connu un semblant de vie familiale au 15 quai Conti, et aussi les rigueurs de pensionnats dans lesquels il n’était pas heureux. Il a eu le malheur de perdre un frère qui semblait plus fait pour le bonheur que lui. Sinon on peut dire que son oeuvre est le reflet d’une ville dont il a connu les beaux quartiers mais aussi les quartiers populaires puisque à l’époque, il en existait encore : sa véritable demeure c’est Paris .

 

Un Paris citadin mais avec des lignes de fuites qui ont complètement disparu vers une zone entre campagne et banlieue. Enserré dans son corset périphérique Paris a perdu ce charme-là et surtout une réelle possibilité de s’agrandir. Il nous reste les livres de Modiano, cet auteur qui s’est approprié ses souvenirs et ceux de ses parents au point où il le dit lui-même

Il n’y a jamais eu pour moi ni présent, ni passé. Tout se confond.

Citations

Le Paris occupé les parents de Modiano

J’avance jusqu’à l’autre bout de la rue sans passer devant la moindre vitrine -je suis donc forcément passer, me dis-je, devant ce restaurant ou un jeune juif de trente ans (fils d’un toscan émigrés à Paris après avoir transité par Salonique, Alexandrie et le Venezuela) et une jeune actrice blonde venu d’Anvers, de six ans sa cadette, apprenaient à faire connaissance dans un Paris occupé par les Allemands, un Paris favorable aux amour précaires, un Paris insolite, où la vie semblait continuer « comme avant », avec les mêmes rengaines à la radio et du monde dans les cinémas.