Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Ce sont des choses qui arrivent« , j’ai eu un grand plaisir à retrouver cette auteure. Elle a un ton bien à elle pour évoquer les petits travers des « grandes » heures de gloire de la France, et même le tragique prend un air quelque peu ridicule. Nous sommes en Mais 1968, le 22 pour être précis. Tout Paris retentit de la révolte étudiante et subit les contraintes de la grève générale qui paralyse l’approvisionnement et les transports. Tout Paris, soit mais qu’en est-il des hôtels de luxe et du personnel peu formé pour exprimer des opinions personnelles et encore moins libertaires. Que pense donc, le personnel et les habitués du Meurice ? Son décor n’inspire pas la contestation :

Il n’empêche ! le Chef de Rang, Roland, a organisé une assemblée générale du personnel qui a voté l’autogestion. Seulement voilà, ce jour le 22mai 1968, c’est aussi, le jour ou la richissime Florence Gould doit remettre « le prix Nimier » à un jeune écrivain. Le personnel décide de montrer qu’il est fort capable de se passer du directeur et organise une soiré en tout point remarquable. Pendant ce temps le directeur réunit ces confrères du Ritz, du Plazza, du Lutetia et du Crillon pour savoir que faire devant cette situation quelque peu inédite. Cela permet à l’auteur de donner vie à un autre endroit stratégique de l’hôtel, le bar :

Peu de problèmes résistent à l’alcool et à l’argent. C’est la morale de ce roman. Sans doute vous serez vite curieux de connaître le romancier récompensé, comme l’ex ministre de la culture Fleur Pellerin, les vieux compagnons de table de Florence ne l’ont pas lu et seraient bien en peine de parler de son livre. En mai 1968 le prix Roger Nimier a été attribué à Patrick Modiano, et ce prix lui a été remis par des écrivains proches de la collaboration. Pauline Dreyfus a un vrai talent pour faire revivre ces gens si riches et si oisifs, elle ne les charge pas mais rend bien leurs aspects superficiels. Et son talent ne s’arrête pas à « croquer » caprices des gens trop riches avec humour,(la scène du repas de l’ocelot de Salvador Dali est aussi cruelle que drôle !)

L’auteure sait aussi nous rendre plus proche les obsessions littéraires de Patrick Modiano, qui dit de lui même qu’il a hérité du passé de la guerre qui n’était pas le sien. Or, ces mêmes salons furent le siège de la Kommandantur et ce sont les mêmes suites qui furent les logements de fonction des occupants et du général von Choltitz. Tous les personnages du fameux dîner ont existé et certains personnages ont dû s’amuser à se retrouver sujet de roman. Un personnage fictif existe, un homme qui a mis toutes ses économies dans une semaine au Meurice avant que le cancer ne l’emporte. Il est le seul à avoir lu et avoir compris le roman, et c’est lui aura le mot de la fin avec une chute qui m’a peu convaincue. Le roman n’avait pas besoin de ce hasard là.

Citations

Grève au Meurice

Depuis hier, même les Folies Bergères sont occupées par le personnel. Ce que les filles à plumes peuvent faire, je ne vois pas pourquoi nous n’en serions pas capable. Sinon nous allons passer pour le dernier des Mohicans. Votons une motion !

La grande Histoire et la petite

En apprenant que le Meurice avait, lui aussi, été contaminé par la révolution qui gangrenait le pays, le ministre s’était senti personnellement insulter. Il tenait en grande estime le directeur de l’hôtel, qui lui consentait des prix inférieurs à ceux du marché, au motif que l’Histoire n’est qu’une éternelle répétition et qu’autrefois, Louis Napoléon Bonaparte avait élu Le Meurice pour abriter ses amours avec Miss Howard. Une actrice, déjà. Un homme politique, encore. L’adultère, toujours.

Florence Gould et son passé pendant et après la guerre ou le pouvoir de l’argent.

Au bout d’une journée entière de laborieux palabres ponctués de protestations indignées, Florence avait dû son salut à son carnet de chèques. Le montant qu’elle avait inscrit était si élevé qu’elle avait pu regagner son domicile le soir même.
 Pour tout le monde et surtout pour l’avenir, cet épisode serait à classer dans la catégorie des calomnies. Même si elle avait été brève, l’expérience lui avait paru humiliante. Ces déjeuners où se presse le Tout-Paris de la littérature, c’est sa revanche. Plus personne ne lui reprochera ses fréquentations.(Hormis , post mortem, ses biographes, mais avec une telle mansuétude que le péché devient erreur de jeunesse : « Forence, après c’est sévère enquête du gouvernement français, américain et monégasque, est vite lavée de tout soupçon même si elle a manqué de discernement dans le choix de certains amants » litote délicieuse !)

L’homme des renseignements généraux au bar du Meurice

Il est des missions plus agréables que d’autres. Au perrier rondelle a succédé le whisky, puis le Dry Martini. Aussi, à cette minute, son esprit est-il si brumeux qu’il serait incapable de faire la différence entre un situationniste et un maoïste.

Traduit de l’allemand par Georges STURM. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Il est très rare que je lise des romans policiers, mais c’est tout l’intérêt de ce club de lecture : se laisser guider vers des romans que j’ignorerais autrement. Ce roman permet de revivre le terrible hiver 1947 à Hambourg. Il y a fait un froid sibérien de janvier à mars. Et dans cette ville bombardée qui n’a pas encore eu le temps de se reconstruire, la population grelotte, a faim et vit pour une grande’ partie des plus pauvres dans des conditions de promiscuité terribles. Beaucoup de gens fuyant les russes, ou n’ayant plus de maison s’entassent dans des hangars ou des bunkers et doivent leur survie à la fouille des décombres laissés par les bombardements. Sur ces ruines, quatre corps nus seront découverts, un homme deux femmes et une fillette (le fait est réel, la police n’a jamais pu savoir qui étaient ces gens et n’a pas pu trouver leur assassin). L’enquête est menée par un policier Frank Stave, un adjoint qu’il n’apprécie pas Maschke, un anglais (Hambourg est encore en 1947 sous domination britannique) James C. MsDonald. La vie après le IIIe Reich à Hambourg est beaucoup plus passionnante que l’enquête elle-même (mais c’est une non-spécialiste du genre « policier » qui le dit !).

Au début j’étais gênée par le côté larmoyant du policier : oui les Allemands ont souffert après la guerre mais étant donné le traitement qu’ils avaient réservé à l’Europe, je me sentais peu de compassion. Et puis, peu à peu, les personnages se sont étoffés et on sent que pour revivre, l’Allemagne doit faire face à son passé, beaucoup essaient de le faire, mais aussi que l’on ne peut pas tourner la page brusquement. Les Allemands qui avaient vu leurs maisons détruites par les bombes anglaises étaient dans la misère et dans le désespoir car ils se sentaient aussi coupables que victimes. Cela donne une ambiance étrange que cet écrivain a parfaitement rendu. On sent aussi qu’il faudra beaucoup de temps pour que les Allemands prennent conscience de l’étendue des horreurs que les nazis ont commises. Hambourg est rempli de réfugiés, de personnes déplacées, mais aussi de bourreaux qui se cachent parmi tous ces gens et espèrent ainsi échapper à la justice.

Ce roman plaira sans doute aux amateurs des enquêtes policières, avec des flics un peu glauques et ayant trop vu d’horreurs pour garder confiance dans la bonté des hommes. Mais même les non-lecteurs du genre aimeront ce roman qui se situe à une époque très intéressante, celle où les Allemands n’ont pas encore réalisé l’étendue des horreurs nazies et où ils doivent mettre leur fierté dans leur poche et accepter que les vainqueurs qui les occupent et qui ont détruit leurs villes soient les maîtres de leur pays.

Citations

En 1947 à Hambourg

Il arrive que de jeunes Hambourgeois, dont certains viennent juste d’être libérés d’un camp de prisonniers des Alliés, chahutent des soldats britanniques dans les rues sombres, par fierté nationale comme ils disent, sans toutefois oser aller plus loin. Stave quant à lui ne ressent aucune haine des occupants, même si c’est bien une bombe anglaise qui lui a ravi Margarethe. Confusément, il se sent honteux des crimes des nazis, et c’est pourquoi, même si l’idée lui paraît perverse, il se sent libéré d’un poids face aux dévastations de la ville et à sa vie anéantie. Une perte et des privations comme punition méritée. On est devant des temps nouveaux. Peut-être.

Les survivants des camps 1947 Hambourg

Et quand un solliciteur a supporté patiemment toutes les humiliations, la Croix-Rouge lui accorde une ration spéciale : un pain, une boîte de corned-beef, cinq tickets repas- déjeuner dans une cantine publique, huit semaines de rations supplémentaires sur la présentation de la carte. C’est tout. Parce que les praticiens de la chambre des médecins de Hambourg ont décrété, je cite,  » qu’en règle générale l’état sanitaire et le niveau d’alimentation des détenus des camps est absolument satisfaisant ».

Traduit de l’espagnol par Vanessa Capieu. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Votre réveillon 2017 est terminé ? Venez partager celui de la famille d’Amalia à Barcelone ! Quel bon moment de lecture ! Si vous voulez un dépaysement total, un voyage au delà des Pyrénées, dans une famille où les non-dits font tenir l’ensemble. Invitez-vous à la table d’Amalia pour ce réveillon mémorable. Vous ferez la connaissance de son fils, Fernando, le narrateur qui doit avoir beaucoup points communs avec l’auteur. De sa fille Sylvia, celle qui essaie de réparer toutes les impasses dans lesquelles sa mère fonce tête baissée en n’écoutant que son grand cœur. Elle évitera par exemple que le père du clan des roumains dont elle héberge une jeune ne lui vole tous ses biens. Vous connaîtrez Emma qui vit avec Olga. Cette dernière vous fera pouffer de rire plus d’une fois, dépourvue totalement du moindre sens de l’humour, elle prend tout et raconte tout au premier degré, dans cette famille où le moindre propos cache un océan de secrets enfouis, ses regards ahuris et ses discours simplistes font beaucoup pour le rire à la lecture de ce roman, celui, par exemple, que vous aurez quand Amalia veut aider son frère Eduardo « à sortir du placard ».

Comme Olga vous serez peut-être étonné que les propos commencent par « l’inconfort » des bancs du jardin public en bas de l’immeuble. Enfin, il reste Ingrid, l’amie qui n’est pas là mais qui est si importante pour Amalia. Il faut dire qu’elle a des idées de génie cette Ingrid : remplacer la dinde du nouvel an par des feuilletés aux épinards, aller grâce à une ONG à Cuba (je vous laisse imaginer la contrepartie de ce voyage très peu cher)… et elle pourra vous faire « un reiki » qui remettra vos chakras dans le bon sens.

Le réveillon permettra à chacun de dévoiler une partie de son âme, la plus secrète, et peut être de repartir pour un an. Vous, le temps de la lecture, dans un livre un peu foutraque, à l’image du cerveau d’Amalia vous serez passé du rire à l’émotion proche des larmes. et surtout vous découvrirez « Une mère » ! Malgré son cerveau un peu dérangé, elle sera là pour chacun de ses trois enfants au moment où ils ont besoin d’elle. L’Espagne vous sera plus proche et tout en voyant les différences vous pourrez sans aucune difficulté vous dire que « l’humaine condition » est assez semblable et ne connaît pas les frontières.

Citations

Dialogue au téléphone quand Amalia n’écoute pas(hélas !) sa fille

« Oh,non,non ! Pas elle, je t’en prie ! » me suppliait-elle par mimiques, en agitant les mains devant elle comme si je la forçait à affronter Belzébuth lui-même. Puis elle s’est raclé la gorge, a pris deux profondes inspirations, s’est plaqué un sourire sur le visage comme si Sylvia avait pu la voir sur l’écran de son portable et a approché précautionneusement le combiné de son oreille. 

« Oui, ma chérie, j’ai entendu dire de cette voix de mère soumise et attentive qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Oui… Oui, bien sûr… Oui. D’accord… Comme tu voudras… Mais oui, ne t’inquiète pas… Dès demain… Si, j’ai compris… Non, inutile que tu répètes. Oui… Oui. Très bien.

 Après une vingtaine de minutes de « Oui, bien sûr, d’accord, tu as raison »avec cet air de vache égarée qu’elle prend quand ce que quelqu’un lui dit entre par une oreille pour sortir par l’autre, elle a enfin raccroché. Puis elle m’a passé le téléphone.

« Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? » ai-je demandé.
Elle m’a regardé d’un air somnolent et m’a sorti : 
« J’ai oublié. »

Une scène touchante et le portrait de son père

 J’étais à deux doigts de lui hurler que oui, je savais parfaitement comment il était, presque aussi bien que les inspecteurs de la Sécu et du fisc qui cherchaient encore à lui mettre le grappin dessus. Comme Téléphonica, Onno et Voldafone, comme Mazda, BMW et BBVA, sans parler de tout les amis qui s’étaient portés garants pour lui à un moment ou à un autre de ses magouilles et intrigues frauduleuses, et qu’il avait évidemment perdu en route. J’ai eu envie de l’attraper par les épaules pour la secouer, de lui hurler que nous le savions tous, sauf elle, parce que nous avions tous été victimes à un degré ou à un autre de cet homme à la personnalité maladive qui ne s’intéressait à rien d’autre qu’à lui-même, mais soudain je l’ai vu plantée sur le seuil du salon, si fragile et vulnérable que je me suis approché pour la prendre dans mes bras, et pendant que j’essayais de trouver une formule conjuratoire capable de calmer la furie qu’allait devenir Sylvia, à coup sûr, quand elle apprendrait que maman avait envoyé à papa son contrat de divorce signé, se condamnant ainsi à une liberté qui allait lui coûter très cher, je lui ai souhaité à l’oreille :
. »Je sais, maman je sais… »
 Elle m’a regardé alors avec un soulagement enfantin et a conclu en m’embrassant sur la joue :
« Il faut bien laisser une chance aux gens non ? »

L’avantage de vivre avec un homme lors de la première rencontre avec l’amie de sa fille lesbienne le narrateur c’est son fils homosexuel

 Tu as bien raison, ma fille. Moi, si c’était à refaire, je te le dis franchement, je ferai comme vous. Je me chercherais une bonne amie pour aller au cinéma, aller déjeuner ensemble et tout partager. Oui, certainement. Mais chacune ses culottes, hein ? Parce que tu vois, le seul avantage d’un mari, c’est qu’au moins il ne t’emprunte pas tes culottes ou tes soutiens-gorge. Enfin, sauf si tu as la malchance qu’il soit un peu bizarre, bien sûr, parce qu’il y en a des comme ça aussi « , a-elle achevé en se tournant vers moi.

Cuba vu par l’oncle Eduardo

  » Et bien …oui, oui, les Cubains, ils sont comme ça fit-il de sa voix d’homme du monde. Ils vous donnent tout ce qu’ils ont. Le problème, c’est qu’ils n’ont jamais rien, alors ils inventent. Parce qu’ils aimeraient bien pouvoir donner. En fait, ce n’est pas qu’ils mentent, ils devancent la réalité. C’est de là que vient le cubisme. »

L’humour dans la présentation des personnages : le frère de Peter l’amant norvégien de Sylvia

 Son frère Adam, qu’on croyait activiste de Greenpeace en mer du nord jusqu’à ce que les flics le prenne avec deux kilos de cocaïne cachés dans la cale du bateau avec lequel il poursuivait les baleiniers le jour pour les fournir en neige artificielle la nuit.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Encore un écrivain qui raconte d’où il vient et, comme par hasard, ce n’est pas très gai. Notre club a discuté avec passion d’un autre livre de souvenirs d’une écrivaine : Chantal Thomas et « ses souvenirs de la marée basse » que j’ai peu apprécié contrairement à d’autres lectrices qui voulaient lui attribuer un coup de cœur. Je me dois donc d’expliquer pourquoi ce livre me fait plaisir. Pour son humour d’abord, je me suis déjà resservie de la description de Guy et sa façon de ralentir « au feu vert de peur qu’il ne passe à l’orange ». Dans une soirée où vous êtes avec des conducteurs qui racontent leurs points de permis en moins vous êtres sûr de l’éclat de rire généralisé. J’apprécie aussi sa façon de faire revivre une époque, je reconnais très bien les lieux et les impressions de sa jeunesse, la maison de campagne aux tapisserie style Vasarély. Et surtout la galerie de portraits des gens qui ont peuplé son enfance est absolument extraordinaire. Commençons par celle qui est un personnage de roman à elle toute seule : sa mère, qui toute sa vie aura vécu pour rendre malheureux les gens qui l’entourent sans pour autant en avoir le moindre plaisir. Son couple avec Guy, le beau père de Hervé Le Tellier est terrible. C’est digne de Mauriac, et Bazin réunis. Le pauvre homme comment a-t-il pu supporter tout cela, le mystère est entier. Elle semble ne l’avoir jamais aimé, ni lui ni sa famille dont elle jalouse les titres de noblesse. Elle est tout entière dans la rancœur et dans la jalousie. le père biologique (dont elle a effacé même le nom !) est totalement absent et ne cherche pas du tout à connaître son fils.

Pourtant, cet auteur ne fait pas une peinture si sombre de son enfance, il y a des portes de sorties à cet univers aigri et amer, ses grands-parents, une tante plus libre que sa mère. Et surtout comme dit l’auteur lui même

« Je n’ai pas été un enfant malheureux, ni privé, ni battu, ni abusé. Mais très jeune, j’ai compris que quelque chose n’allait pas, très tôt j’ai voulu partir, et d’ailleurs très tôt je suis parti.
Mon père, mon beau-père sont morts, ma mère est folle. Ils ne liront pas ce livre, et je me sens le droit de l’écrire enfin. Cette étrange famille, j’espère la raconter sans colère, la décrire sans me plaindre, je voudrais même en faire rire, sans regrets. Les enfants n’ont parfois que le choix de la fuite, et doivent souvent à leur évasion, au risque de la fragilité, d’aimer plus encore la vie. »

Enfin ce livre tient surtout par la qualité de son style, cet humour en distance et un peu triste donne beaucoup de charme à ce récit.

Citations

Sa mère et les mensonges

 J’ai compris pourtant vite qu’il était difficile d’accorder le moindre crédit à ce que ma mère racontait. Ce n’était pas qu’elle aimât particulièrement mentir, mais accepter la vérité exigeait trop belle. Elle accumulait ainsi les mensonges, et elle les imposait à tous.

Ce que cache le dévouement

La maladie de mon grand-père fut l’occasion pour ma mère de se lancer dans une course au dévouement dont, pour plus de sûreté, elle posa les règles. Elle insista pour le conduire à l’hôpital pour chaque transfusion. C’était souvent très tôt le matin et Raphaëlle, qui habitait plus loin et devait déposer ses enfants à l’école, partait avec handicap. Et lorsqu’elle se libérait pour l’emmener, la cadette se joignait à eux, ne supportant ni d’être supplantée dans l’abnégation ni de laisser son père seul avec Raphaëlle. Cette dernière finit par se décourager. Ma mère ne cessait jamais de le lui reprocher, tout en signalant l’exemplarité de son propre sacrifice. Cas remarquable de désintéressement intéressé.

Portrait de Guy

 Guy, ainsi, portait la cravate. A priori – ceci posé pour rassurer tout lecteur cravaté-, on n’en saurait rien déduire. D’autant que c’était une cravate simple en soie , passe-partout, ni slim, trop décontracté, ni en tricot, trop risquée car il n’eût su avec quoi la porter. Elle était presque toujours unie, dans les bleus profonds, mais il arrivait qu’une très fines rayures l’égayât. Je lui avais offert des cravates d’autres coloris, ou aux motifs fantaisie, en vain. Elles avaient échoué au fond d’un tiroir, au mieux. Les autres, une cinquantaine, étaient suspendues à une longue double tringle métallique dans son placard et j’aurais été bien incapable de les distinguer entre elles.
Il était trop court de buste et pas assez fort de col, et il choisissait ces cravate trop longues. Il avait beau en coincer l’extrémité dans le pantalon, elle finissait toujours par s’échapper, pour flotter de manière incontrôlée sur la boucle de ceinture.
J’ignore d’où lui venait son goût pour cette bande d’étoffe décorative. Enseigner l’anglais dans le secondaire n’exigeait guerre qu’il en portât une. J’imagine qu’inconsciemment il s’agissait pour lui d’établir avec ses élèves une ligne Maginot vestimentaire infranchissable. A moins que la tradition anglaise, « Tie », qui signifie aussi, « lien », « attache », ne soit une clef d’analyse. Quoi qu’il en soit, une fois rentré chez nous il ne la retirait pas, ne desserrait même pas le col. Longtemps je mis cela sur le compte de la fatigue. Arriva l’âge de la retraite. Il ne l’abandonna pas. Il nouait son nœud tous les matins, par tous temps, en toutes circonstances. Il la portait indifféremment sous une veste, sous un pull, un blouson, un anorak, tout cela convergeant pour lui conférer l’allure d’un vigile d’une société de gardiennage. Au sport d’hiver, ses mauvais genoux l’empêchaient de skier mais il y emmenait parfois mon fils, il portait la cravate jusqu’au bas des pistes de ski, et il pouvait même manger une fondue, cravaté, dans les restaurants d’altitude. J’ai la photo. L’ôter pour dormir où se baigner devait être un déchirement.
Son conformisme était si extrême qu’il confinait à l’originalité.

Toujours Guy qui devait énerver plus d’une personne sur la route

 Nous démarrions alors, mais seulement après que le siège eut été réglé au millimètre, et les rétroviseurs repositionnés. Sortir en créneau de sa place lui prenait plus de temps qu’il en eut fallu à quiconque pour y entrer. Au premier feu tricolore, il ralentissait malgré le vert pour éviter de passer à l’orange. Et lorsque le feu quittait le rouge, il n’arriva jamais que la voiture qui nous suivait ne klaxonnât pas au moins une fois.

Quand son humour rejoint celui de Jean Louis Fournier

Une église sur le fronton de laquelle était écrit : « Ah qu’il est bon le bon Dieu ! » Ce n’était pas de l’humour, d’autant qu’à tout prendre, un « Ah qu’elle est vierge la Vierge Marie ! » eut été plus amusant.

Traduit de l’anglais par Élodie Leplat. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


En juin 2018 , notre club de lecture après une discussion mémorable avait attribué au « Chagrin des vivants » son célèbre « coup de cœur des coups de cœur ». C’est donc avec grand plaisir que je me suis plongée dans cette lecture. Envie et appréhension, à cause du sujet : je suis toujours bouleversée par la façon dont on a toujours maltraité des êtres faibles, En particulier, les malades mentaux. Ce roman se situe dans le Yokshire en 1911, dans un asile que l’auteure a appelé Sharston. Cette histoire lui a été inspirée par la vie d’un ancêtre qui, à cause de la grande misère qui a sévi en Irlande au début du vingtième siècle, a vécu dans des institutions ressemblant très fort à cet asile.

Le roman met en scène plusieurs personnages qui deviennent chacun à leur tour les narrateurs de cette tragique histoire. Ella, la toute jeune et belle irlandaise qui n’a rien fait pour se retrouver parmi les malades mentaux et qui hurle son désespoir. Clèm une jeune fille cultivée qui a des conduites suicidaires et qui tendra la main à Ella. John Mulligan qui réduit à la misère a accepté de vivre dans l’asile. Charles Fuller le médecin musicien qui sera un acteur important du drame.

Ella et John vont se rencontrer dans la salle de bal. Car tous les vendredis, pour tous les patients que l’on veut « récompenser » l’hôpital, sous la houlette de Charles Fuller, peuvent danser au son d’un orchestre. Malheureusement pour tous, Charles est un être faible et de plus en plus influencé par les doctrines d’eugénisme.

C’est un des intérêts de ce roman, nous sommes au début de ce siècle si terrible pour l’humanité et les idées de races inférieures ou dégénérées prennent beaucoup de place dans les esprits qui se croient savants : à la suite de Darwin et de la théorie de l’évolution pourquoi ne pas sélectionner les gens qui pourront se reproduire en améliorant la race humaine et stériliser les autres ? L’auteure a choisi de mettre toutes ces idées dans la personnalité ambiguë et déséquilibrée de Charles Fuller, mais on se rend compte que ces idées là étaient largement partagées par une grande partie de la population britannique, elles avaient même les faveurs d’un certain Winston Churchill. Il s’en est fallu de peu que la Grandes Bretagne, cinquante ans avant les Nazis n’organise la stérilisation forcée des patients des asiles. On apprend également que ces patients ne sont pas tous des malades mentaux, ils sont parfois simplement pauvres et trouvent dans cet endroit de quoi ne pas mourir de faim. On voit aussi comme pour la jeune Ella, que des femmes pouvaient y être enfermées pour des raisons tout à fait futiles. Ella, un jour où la chaleur était insupportable dans la filature où elle travaillait a cassé un carreau. Ce geste de révolte a été considéré comme un geste dément et son calvaire a commencé. Au lieu de l’envoyer à la police on l’a envoyée chez les « fous ». On retrouve sous la plume de cette auteure, les scènes qui font si peur : comment prouver que l’on est sain d’esprit alors que chacune des paroles que l’on prononce est analysée sous l’angle de la folie. Et lorsque Ella se révolte sa cause est entendue, elle est d’abord démente puis violente et enfin dangereuse.

Le drame peut se nouer maintenant tous les ingrédients sont là. Un amour dans un lieu interdit et un médecin pervers qui manipule des malades ou des êtres sans défense.

J’ai lu ce deuxième roman d’Anna Hope avec un peu moins d’intérêt que son premier. Elle a su, pourtant, donner vie et une consistance à tous les protagonistes de cette histoire, ses aïeux sont quelque part dans toutes les souffrances de ces êtres blessés par la cruauté de la vie. Il faut espérer que nos sociétés savent, aujourd’hui, être plus compatissantes vis à vis des plus démunis. Cependant, quand j’entends combien les bénévoles de « ADT quart monde » se battent pour faire comprendre que les pauvres ne sont pas responsables de leur misère, j’en doute fort.

Citations

Le mépris des gardiennes pour les femmes enfermées à l’asile

 Toutefois elle voyait bien comment les surveillantes regardaient les patientes, en ricanant parfois derrière leurs mains. L’autre jour elle avait entendu l’infirmière irlandaise qui dégoisait avec une autre de sa voix criarde de pie : « Non mais c’est-y pas que des animaux ? Pire que des animaux. Sales, tu trouves pas ? Mais comment il faut les surveiller tout le temps ? Tu trouves pas ? Dis, tu trouves pas ? »

Les femmes et la maladie mentale

 Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin. Cela nous a été enseigné lors de notre tout premier cours magistral : les cellules masculines sont essentiellement catholiques – actives énergiques- tandis que les cellules féminines son anatomiques – destinées à conserver l’énergie et soutenir la vie. Si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature.

Théorie sur la pauvreté au début du 20e siècle

 La société eugénique est d’avis que la disette, dans la mesure où elle est incarnée par le paupérisme (et il n’existe pas d’autres étalon), se limite en grande partie à une classe spécifique et dégénérée. Une classe défectueuse et dépendante connue sous le nom de classe indigente.
Le manque d’initiative, de contrôle, ainsi que l’absence totale d’une perception juste sont des causes bien plus importantes du paupérisme que n’importe lesquelles des prétendues causes économiques.

Traduit du coréen par Lim Yeon-hee et Mélanie Basnel, lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un petit livre étonnant et fort instructif. Je salue d’abord la performance de l’auteur qui s’est mis dans la peau d’une femme pour écrire ce livre. Il y arrive très bien et il a eu bien raison de choisir ce point de vue pour nous faire comprendre pourquoi son pays est si peu attractif. Un homme peut se réaliser dans un travail qui sera quand même une lutte de tous les instants pour sortir du lot, mais pour une femme les barrières sont encore plus hautes et peu d’entre elles arrivent à les franchir et à s’épanouir. Et pourtant, les femmes n’ont pas le poids des interdits religieux et au moins sur le plan de la sexualité, elles sont libres. Mais pour le reste que de contraintes ! En réalité, tout est déterminé par l’origine sociale, si vous êtes née dans une bonne famille, vous habitez dans un beau quartier, votre logement sera spacieux et confortable, vous n’échapperez cependant pas à la terrible sélection mais aurez 99 % de chance d’aller dans une bon établissement secondaire et donc 90 % de chance d’entrer dans une bonne université, Vos parents pouvant payer pour vous, dans le cas où vous n’êtes pas au niveau le nombre de cours particuliers qu’il vous faudra pour réussir votre concours d’entrée à l’université dans laquelle « il faut » aller. Ensuite le tapis rouge se déploie devant vous et vous aurez la carrière de cadre à laquelle vous aspirez et vous ferez le mariage qui convient. Aucune chance pour vous, si vous venez d’une université moyenne, vous serez un cadre moyen. Et si vous n’avez pas réussi vos études vous resterez au bas de l’échelle sociale.
Ce qui révolte notre héroïne Kyena, c’est que tout le monde accepte cet état de fait sans même ressentir la moindre révolte, à commencer par ses parents qui ont trimé toute leur vie pour vivre dans un logement sans aucun confort. Tout le roman est écrit en alternance, sa vie en Corée qui est étriquée, laborieuse et épuisante, et sa vie en Australie qui sans être idyllique lui semble paradisiaque. Comme la photo sur la couverture Kyena sent qu’elle peut vivre dans ce pays où elle se sent libre, je lui laisse la parole pour que vous compreniez son choix

Si je ne peux pas vivre dans mon pays…c’est parce qu’en Corée, je ne suis pas quelqu’un de compétitif. Je suis un peu comme un animal victime de la sélection naturelle. Je ne supporte pas le froid ; je suis incapable de me battre de toutes mes forces pour atteindre un but : ; et je n’ai hérité et n’hériterai jamais d’aucun patrimoine. Mais tout ça ne m’empêche pas d’avoir le culot d’être salement exigeante : je veux travailler près de chez moi, qu’il y ait suffisamment d’infrastructures culturelles dans mon quartier, que mon boulot me permette de m’accomplir personnellement, etc. Je chicane sur ce genre de choses.

Voilà pourquoi elle crie très fort, et je pense qu’après avoir lu ce roman vous la comprendrez.

Pourquoi je suis partie ? Parce que je déteste la Corée

Citations

Classe moyenne pauvre

Ma famille vivait et vit aujourd’hui encore dans un très vieil immeuble délabré dont les matériaux de construction et les encadrements de fenêtres étaient de très mauvaise qualité dès le départ. Chaque année en octobre, mon père recouvrait les fenêtres avec d’épaisses feuille de plastique, mais ça n’empêchait pas l’air glacial de pénétrer dans la chambre au plus fort de la saison froide. Quand le vent soufflait, il faisait gonfler les feuilles de plastique vers l’intérieur. Ces jours-là, nous avions beau mettre le chauffage au sol au maximum, seuls les endroits où passaient les tuyaux était chauds. Ailleurs dans la pièce on était transi de froid. Dans le lit, on avait le bout de nez gelé.

 Les contraintes qui pèsent sur la jeunesse

Je n’ai pas d’avenir en Corée. Je ne suis pas sorti d’une grande université, je ne viens pas d’une famille riche, je ne suis pas aussi belle que Kim-Tae-hui. Si je reste en Corée, je finirai ramasseuse de détritus dans le métro.

Le paradis australien

Quand on devient australien, on peut toucher des indemnités chômage sans rien faire, et quand on attrape une maladie grave, on est soigné gratuitement. Quand on achète pour la première fois une maison, on touche vingt mille dollars d’aide de la part de l’État. On reçoit aussi plusieurs dizaines de milliers de dollars pour financer les études universitaires de ses enfants. En bref tout est merveilleux. En additionnant tout ça, on peut dire que la nationalité australienne vaut environ un milliards de Wons coréen.

Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Denyse Beaulieu. Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thèque de Dinard thème : « en chantant ».

 

Ce roman mérite sa catégorie « roman qui fait du bien » ! Après quelques lectures éprouvantes où l’on imagine que les êtres humains se résument à des algorithmes et à des « datas », voici la description d’une communauté de Bridgford qui s’oppose avec intelligence à des projets qui, de façon insidieuse supprimeraient leur art de vivre. Le centre commercial ne sera donc pas construit et le centre ville restera un lieu convivial. Mais si ce roman fait tant de bien, ce n’est pas que pour cette raison. En décrivant les participants à la chorale de Bridgford, l’auteure anime devant nous un échantillon représentatif de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, c’est à la fois drôle et tellement vrai humainement.

 

Beaucoup de personnages sont complexes et sympathiques et Gill Hornby sait nous les rendre très attachants. Tous ceux et toutes celles qui ont participé à une chorale se retrouveront dans ce roman, les petites vacheries des sopranes, les blagues des basses …. Mais il y a aussi ce talent si particulier à l’Angleterre où le chant fait davantage partie de leur quotidien qu’en France. Nous allons donc partager la vie d’Annie qui ne se réalise qu’en offrant sa vie aux autres, elle va mettre beaucoup d’énergie pour que la chorale de Brigford ne disparaisse pas malgré le grave accident dont a été victime la chef de chœur. Cela pourrait être une caricature de dame patronnesse, car elle oublie quelque peu sa propre famille aux profits de ses bonnes actions. mais elle reste lucide et son engagement auprès des autres n’est pas qu’une façade, et il est souvent couronné de succès. Il y a aussi Tracey qui visiblement cache un secret et passe son temps à protéger son fils Billy qui ne fait pas grand chose de sa vie, elle deviendra grâce à Annie un pilier de la chorale et investira son énergie au service de la petite communauté. Il y a aussi, Bennett, mon préféré. Il part de loin celui-là ! Cadre dynamique au chômage, il doit faire face à la solitude puisque son épouse Sue a décidé de le quitter, et à une remise en cause de ses habitudes. Il va évoluer vers un Ben inventif et audacieux qui me plaît beaucoup. Evidemment la fin est heureuse et peut être trop idyllique, mais j’avais tellement besoin de croire en la solidarité humaine que j’ai tout accepté. Si vous aimez chanter dans une chorale, si vous aimez les petites villes anglaises, si vous avez besoin de vous faire du bien lisez « All Together Now », et munissez vous d’un appareil pour écouter en même temps que votre lecture tous les chants dont il est question dans ce roman.

et voici la chanson dont est tiré la citation qui commence le roman

https://www.youtube.com/watch?v=lLZ7f_QfhbI

Citations

Les couples divorcés

Tous les couples en plein divorce se ressemblaient : ils ne pouvaient pas vivre ensemble, mais chacun n’arrêtait pas de parler de l’autre. Alors que le nom de James, avec qui Annie vivait un bonheur tranquille depuis trente ans, n’était pratiquement jamais mentionné dans ce café. Sue prétendait qu’elle avait quitté Bennett parce qu’il était trop ennuyeux : maintenant, c’était elle qui devenait ennuyeuse à force de radoter sur Bennett.

Tout change même la religion

 Vingt-cinq ans auparavant, avant que Bennett ne se mure dans sa vie de labeur, Dieu était pour lui une espèce d’ancien militaire, mi-seigneur, mi-père de famille. Il était au ciel, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. De nos jours, apparemment, il s’était fait voler la vedette par Jésus, qui avait d’ailleurs énormément changé entre-temps, lui aussi. Les choristes avaient passé la moitié de la messe à chanter qu’il était beau, qu’il était gentil, et qu’il était dans leurs cœurs.

L’horrible prof de piano local

Mme Coles était la prof de piano local : on lui attribuait l’anéantissement de toute vocation musicale sur plusieurs générations à Bridgeford.

Les ragots de choral.

 C’était la plus jeune des altos, dans la trentaine avancée – par rapport aux autres, elle était quasiment en maternelle – et pour autant qu’on sache, elle n’était pas particulièrement mélomane. Mais elle ne ratait jamais un mardi de chorale, ni d’ailleurs aucune des classes et réunions locales auxquelles elle assistait tous les soirs et presque tous les week-ends, dès massages indiens au bricolage. Plutôt qu’une touche-à-tout, on accordait à penser qu’elle était esseulée cherchant l’âme sœur. Ce qui était évidemment assez sexiste et passablement médisant, mais ça c’était typique des soprano de Bridgeford, assez sexiste et médisantes.
 – Dommage qu’elle n’ait pas de soirée libre pour les Weight Watchers.

Bennett le père de famille au chômage

 « tu veux repartir de zéro . On comprend très bien , tous les trois » , alors que de toute sa vie il n’avait jamais rêvé de repartir de zéro . L’idée même de repartir de zéro lui faisait horreur . Chaque fois que ça changeait – même si s’agissait d’un changement mineur ou nécessaire-il en avait éprouvé Une profonde douleur psychique . À ce jour , il n’était pas tout à fait certains de cette remis du choc d’avoir quitté l’école primaire .
 
 les toasts brûlaient . Il est fit il glisser sur une assiette , noirs d’un côté , blancs de l’autre lorsqu’on faisait la moyenne ça donnait un brun doré. Parfait.

Billy, il passe ses journées à ne rien faire, il décide de partir faire de l’humanitaire en Afrique.

 Cela dit, bientôt, ça ne serait plus son problème, mais celui de l’Afrique. Pauvre Afrique… La sécheresse, la famille, et maintenant, son fils Billy Leckford. C’était, comme on le répétait si souvent, un continent magnifique mais maudit.

Définition d’un chœur

Un chanteur, c’est un chanteur ; plusieurs chanteurs, ce sont plusieurs chanteurs ; idem pour un groupe de chanteurs. Mais un chœur -un chœur qui vit, qui respire, qui fonctionne, c’est tout à fait autre chose : le résultat singulier d’une réaction physique qui ne peut survenir que dans certaines conditions de laboratoire, conditions qu’aucun scientifique sur terre ne serais capable d’énumérer. En général, pour qu’un chœur soit bon, il faut qu’il ait un bon chef de chœur -comme Tracey Leckford qui, devant eux s’abandonnait à la musique.

Quand une chorale réussit sa prestation

 Cette interprétation eut un effet extraordinaire sur chacun des choristes. Au début, les spectateurs installés dans leurs sièges en velours rouges n’avaient vu en eux que ce qu’ils étaient : un rassemblement hétéroclite de chanteurs amateurs de toutes les générations et de tous les milieux sociaux qui n’avaient rien en commun, à part la musique, leur lieu de résidence et l’envie de passer un bon moment. Mais presque aussitôt, le pouvoir transformateur de la voix humaine accomplit son miracle. À la fois pour eux-mêmes, et pour leur spectateurs émus, il devint quelque chose de toute autre. Pendant dix magnifiques minutes, ils sortirent d’eux mêmes, leurs âmes se joignirent et s’envolèrent. Lorsqu’il revinrent enfin sur terre, les acclamations du public les remuèrent jusqu’au fond du cœur.

Traduit du russe par Sophie Benech.


Merci Dominique qui a la suite d’un article de Goran, m’a conseillé et prêté ce petit livre. Il est enrichi par des dessins d’Alexeï Rémizov et de beaux poèmes de Marina Tsvétaïeva. Cet essai témoigne d’une expérience vécue par l’auteur qui a d’abord fui la Russie tsariste pour revenir ensuite participer à la révolution. Sous le régime bolchevique, s’installe une censure impitoyable, un régime de terreur et une grande famine. Comment ces gens qui faisaient vivre une librairie indépendante ont-ils réussi à survivre et à ce qu’elle dure quelques années ? Sans doute, parce qu’au début « on » ne les a pas remarqués puis, ensuite, parce que leurs compétences étaient utiles. On voit dans cet ouvrage l’énergie que des êtres humains sont capables de déployer pour faire vivre la culture. Les écrivains créaient de petits livres manuscrits pour faire connaître leurs œuvres. J’avais appris dans mes cours d’histoire que la NEP avait été un moment de répit pour les populations. en réalité c’est la NEP qui aura raison de la librairie car si la propriété privée est bien rétablie tout ce qui peut rapporter un peu d’argent est très lourdement taxé avant même d’avoir rapporté .

L’autre aspect très douloureux qui sous-tend cet essai, c’est l’extrême pauvreté dans laquelle doivent vivre les classes éduquées à Moscou. C’est terrible d’imaginer ces vieux lettrés venir vendre de superbes ouvrages pour un peu de nourriture. Et c’est terrible aussi, d’imaginer tout ce qui a été perdu de la mémoire de ce grand pays parce qu’il n’y avait plus personne pour s’y intéresser.

Citations

Ambiance dans la librairie qui a fonctionné à Moscou jusqu’en 1924

Et le client de hasard qui entrait, attiré par l’enseigne, s’étonnait d’entendre un commis discuter avec un client de grands problèmes philosophiques, de littérature occidentale ou de subtiles questions d’art, tout en continuant à travailler, à empaqueter des livres, à faire les additions, à essuyer la poussière et à charger le poêle . La politique était le seul domaine que nous n’abordions pas -non par peur, mais simplement parce que notre but, notre principal désir était justement d’échapper à la politique et de nous cantonner dans les sphères culturelles.

La pauvreté après la révolution de 17

J’espère avoir un jour – moi ou un autre -, l’occasion de revenir sur les types humains rencontrés parmi nos fournisseurs et nos acheteurs. Nous parlerons alors de ses vieux professeurs qui arrivaient d’abord avec des ouvrages inutiles, puis avec les trésors de leur bibliothèque, ainsi qu’avec ensuite avec des vieilleries sans valeur, et pour finir… Avec des livres des autres qu’ils se chargeaient d’écouler.

Les nationalisations

À Moscou, pendant les dures années 1919-1921, les années de chaos et de famine, il était presque impossible aux écrivains d’imprimer leurs livres. Le problème ne tenait pas à la censure (elle n’existait pas encore vraiment), mais à notre immense misère. Les imprimeries, le papier, l’encre, tout avait été « nationalisé », c’est-à-dire que tout avait disparu, il n’y avait pas de commerce du livre, de même qu’il n’existait pas un seul éditeur qui ne fût au bord de la faillite. Mais la vie créatrice n’avait pas cessé, les manuscrits s’entassaient chez les écrivains, et tous avaient envie d’imprimer, sinon un livre, du moins quelques pages. Ce désir était bien sur une façon de protester contre les nouvelles conditions de travail des écrivains. Et puis il fallait bien vivre. Nous décidâmes donc d’éditer et de vendre des plaquettes manuscrites, chaque auteur devant écrire et illustrer son ouvrage à la main.

Traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Mazek. Roman inscrit au « Coup de cœur des coups de cœur » année 2017/2018 de la médiathèque de Dinard.

Si ce roman participe à notre « fameux » challenge du mois de juin, c’est qu’il a déjà reçu un coup de cœur de notre club de lecture. Il m’avait échappé et je suis ravie de rattraper mon retard. Si, pour ma photo, je l’ai associé à la célèbre série « Downton Abbey », c’est que ce roman se situe exactement dans cette lignée. Nous sommes avec une jeune bonne de 20 ans, Jane, qui bénéficie du seul jour de congé de l’année : dans ces années-là , les riches familles de l’aristocratie donnait un jour à leurs domestiques pour qu’ils aillent voir leur mère. Ce 30 mars 1924, il fait un temps superbe et avant de partir en pique-nique, la famille Niven, s’inquiète de ce que fera Jane de cette journée de liberté puisqu’elle est orpheline. Comme le goût de le lecture est accepté, voire encouragé par ses employeurs, Jane sait déjà à quoi elle va passer son temps. Un coup de téléphone va bouleverser ses projets, son amant le jeune Paul Sheringman, un voisin d’une très bonne famille lui donne rendez-vous, chez lui. Ils pourront pour une fois bénéficier de la maison seuls sans se cacher. Il doit dans une quinzaine de jours se marier à une jeune fille de la même condition que lui. Commence alors la description de « la » journée exceptionnelle pour Jane. Elle profite délicieusement de ce rapport amoureux et elle enfouit, à jamais, en elle le secret de cette relation.

Graham Swift sait, avec un talent tout en délicatesse, nous faire revivre cette journée et comprendre les relations des differentes classes sociales brtanniques. Peut être aidés par la fameuse série télévisée, nous savons à quel point ces deux mondes : celui des serviteurs et celui des aristocrates étaient totalement séparés même si ces gens se côtoyaient tous les jours. Jane n’a aucunement l’intention de posséder le moindre pouvoir sur Paul. Et pourtant, grâce à l’acte amoureux, elle sait qu’un moment dans sa vie, elle a été l’égale de Paul. L’auteur sait rendre ce moment à la fois très érotique et chargé de la différence sociale, sans juger aucun des deux personnages. C’est un très beau moment de littérature. De plus, il projette Jane dans un futur plein de vie puisque, de ce jour si particulier, il en fait le déclencheur de sa vocation d’écrivaine.

Citations

Angleterre 1924 : le dimanche des mères

Étrange coutume que ce dimanche des mères en perspective, un rituel sur son déclin, mais les Niven et les Sheringham y tenaient encore, comme tout le monde d’ailleurs, du moins dans le bucolique Berkshire, et cela pour une même et triste raison : la nostalgie du passé. Ainsi, les Niven et les Sheringham tenaient-il sans doute encore plus les uns aux autres qu’autrefois, comme s’ils s’étaient fondus en une seule et même famille décimée.

Les rapports maître domestique Grande Bretagne 1924

« Mais bien sûr que vous avez ma permission. Jane. » avait dit Mr Niven en insérant sa serviette dans son rond en argent. Lui demanderait-il où elle voulait aller.
« La Deuxième Bicyclette est à votre disposition et vous avez -hum- deux shillings et six pence en poche. Tout le comté s’offre à vous. Tant que vous revenez.
Puis, comme s’il enviait vaguement la grande liberté qu’il venait de lui accorder, il avait ajouté : « C’est votre jour de congé, Jane. À vous -hum- d’en user à votre convenance. »
Il savait, à présent, qu’une phrase comme celle-là ne lui passerait pas au-dessus de la tête -peut-être même fallait-il y voir un discret hommage pour la lecture.

L’Angleterre et les deuils de la guerre 14 18

Elle ne savait pas, fût-ce en ce dimanche des mères, ce que cela devait être pour une mère de perdre deux fils en l’espace de deux mois, semblait-il. Ni ce que cette mère pouvait ressentir en pareil dimanche. Ni l’un ni l’autre ne reviendrait à la maison nous offrir un petit bouquet ou des gâteaux aux raisins et aux amandes, n’est-ce pas ?

S’habiller chez les riches

De toute façon, dans leur milieu, s’habiller n’avait jamais été réduit à une simple pratique consistant à se nipper vite fait, on y voyait, au contraire, un assemblage solennel 

Le charme est rompu son amant doit rejoindre sa fiancée

 Il retira la cigarette de sa bouche et la tint, tout droite , sur son propre à ventre.
 « Je dois la retrouver à une heure et demie. Au Swann Hôtel à Bollingford. »
Bien qu’il n’eût pas bougé, ce fut comme s’il avait rompu le charme. Et quoi qu’il en fût, elle n’avait pas pu manquer de le prévoir. Même si elle s’imaginait que par quelque magique exemption elle échapperait à « ce passage obligé » . Et le reste de la journée ? Une partie de celle-ci ne pouvait -nest-ce pas ?- durer éternellement. Un fragment de vie ne saurait constituer sa totalité.
 Elle ne bougea pas mais, en son for intérieur, peut-être s’était-elle adaptée à la situation. Comme si elle portait à nouveau des vêtements invisibles et redevenait même une bonne. 

 Les dernières phrases du roman

 Mais assez de baratin, de ces questions pièges des interviews. Et en quoi cela consistait-il, de dire la vérité ? Il fallait toujours leur expliquer jusqu’à l’explication ! Et toute femme écrivain digne de ce nom les duperait, les taquinerait , les mènerait en bateau. N’était-ce pas évident, non d’une pipe ? Cela revenait à être fidèle à l’essence même de la vie. Cela revenait à capter, c’est impossible que ce fût, la sensation d’être en vie. Cela reprenait à trouver un langage. Il en découle est-ce que dans la vie beaucoup de choses dirai oh ! Bien davantage que nous ne l’imagine non ! Ne saurait, en aucune façon, s’expliquer point.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Peugeot.

J’ai lu ce roman grâce à la blogosphère, je mettrai les liens si, sur un commentaire, je reconnais celui où celle qui aime cet auteur. ( J’ai perdu la référence du blog où j’ai noté ce nom, c’était au début de l’été 2017.)

Le titre américain est « I know this much is true ». Ces deux titres révèlent une vérité du roman mais pas exactement la même, le titre américain insiste sur la tension qui sous tend tout le roman. On sent que Dominick, le narrateur qui essaie de sauver son frère Thomas, schizophrène, des griffes d’une institution psychiatrique répressive après qu’il s’est tranché la main dans les locaux de la bibliothèque, va dévoiler peu à peu une enfance terrible qui cache des drames qui l’empêchent aujourd’hui de reprendre pied dans sa vie. Le titre français représente le point final du roman, on ne peut construire sa vie qu’en acceptant les différents aspects de sa propre personnalité. Thomas le fragile, le malade, le protégé de la mère des deux jumeaux est finalement plus fort que le bouillant et toujours en colère Dominick, enfin c’est une façon de parler car Thomas est du côté du malheur et la répression s’abat sans pitié sur lui, la soit-disant force des vaincus est de savoir reconnaître en chacun de nous cette part de faiblesse, c’est alors que « les vaincus sont puissants » .

Wally Lamb nous plonge dans l’histoire d’une famille « dysfonctionnelle » (j’emprunte ce mot à Pat Conroy élevé à la dure lui aussi par un ancien Marine). La différence est que Ray n’est pas le géniteur des enfants, il a épousé la mère et reconnu les jumeaux. Durant toute leur enfance, il n’aura pour but que d’en faire de braves petits soldats et les endurcir pour affronter un monde qu’il sait ne faire aucune place aux faibles. Dominick s’en sort à sa façon, il affronte avec bravache cette éducation, mais Thomas réagit par les pleurs. Plus sa mère le protège, plus Ray s’énerve jusqu’à une scène terrible qui arrive après 900 pages. C’est le reproche que je fais à ce roman pourquoi faut-il à cet auteur 976 pages pour accoucher de cette souffrance qui dévore toute une vie ? Bien sûr ce roman nous permet de visiter les bas-fonds des hôpitaux psychiatriques américains, de partager les tensions de l’arrivée des immigrants italiens, de revivre le racisme ordinaire contre les indiens et les noirs, et de comprendre que la peur d’avoir du sang noir dans les veines a provoqué bien des secrets, que rien n’est pire que statut de fille mère … Bref nous sommes avec les vaincus souvent et il est vrai que nous mesurons qu’eux aussi on fait la force de ce grand pays. Mais j’aurais aimé un peu plus de concision, même si je comprends que le rythme de cette écriture vient du dévoilement progressif que Dominick réalise grâce à une thérapie très douloureuse. Au bout de tant d’horreurs, la fin heureuse a mis un peu de baume sur mon cœur tellement meurtri surtout quand je lis pendant des pages et des pages les souffrances que l’on peut faire subir à des gens sans défense dans les hôpitaux psychiatriques.

Citations

La dernière phrase

L’amour grandit dans le riche terreau du pardon ; les bâtards font de bons chiens ; La preuve de l’existence de Dieu réside dans la plénitude des choses.

Le sens du roman avec le titre français

Je suis professeur d’histoire américaine(…..)mes élèves tirent, je l’espère, la leçon que j’ai moi même tirée : l’abus de pouvoir nuit à l’oppresseur autant qu’à l’opprimé.

L’amitié entre garçons

« Comment peux-tu fréquenter le trou du c… le plus notoires de tout le lycée ? » me demandait constamment Thomas l’été ou Léo et moi étions ensemble au rattrapage d’algèbre. Certes, Léo était un vrai trou du cul, je le savais. Mais, je le répète, il était aussi tout ce que mon frère et moi n’étions pas : sans complexe, insouciant, et hyper drôle. Son toupet phénoménal nous avait fait accéder à toutes sortes de plaisirs interdits que mon béni-oui-oui de frangin aurait désapprouvé, et qui m’aurait valu des rossées de mon beau-père : les films classés X du drive-in de la route 165, le champ de courses de Narragansett, un magasin de vins, spiritueux sur la route de Pachaug Pond qui accordait aux mineurs le bénéfice du doute. Ma première cuite magistrale, je l’ai prise dans la voiture de la mère de Léo, à la Cascade en fumant des cigarettes et en faisant circuler une bouteille de Bali Hai. J’avais 15 ans.

Les expérimentations sur les malades mentaux

 Les années 70 et 78 avaient été fastes. À cette époque-là, considérant qu’en fin de compte Thomas n’était pas maniaco-depressif, on avait arrêté le lithium pour le remplacer par de la stelazine. Puis le Dr Bradbury avait pris sa retraite, et ce connais de Dr Shooner, ce nabot qui suivait désormais mon frère, avait décrété que, si ça marchait avec six milligrammes de stelazine par jour, ça marcherait d’autant mieux avec dix-huit. Il me semble encore tenir ce petit charlatan par les revers de son veston de tweed comme le jour où j’ai trouvé Thomas assis, paralysé, l’oeil vitreux, la langue pendante, bavant sur sa chemise.

Les bibliothèques

 Autrefois, le métier de bibliothécaire était un métier agréable -après tout elle aimait bien les gens. Mais à présent, les bibliothèques étaient à la merci des laissés-pour-compte et des sans-abris du quartier. Des gens qui se fichaient éperdument des livres et de l’information. Qui venaient s’asseoir là comme des légumes ou se précipitaient aux WC toutes les cinq minutes. 

Le destin et l’amour d’un fils pour sa mère

 J’étais celui qui en voulait le plus au destin de l’avoir gratifiée d’abord d’un mari inconstant, puis d’un fils schizophrène, avant de revenir lui taper sur l’épaule pour lui filer le cancer. Or je prouvais seulement que j’étais celui qui refusait le plus obstinément de se rendre à l’évidence. Si je me donnais tant de mal et si je faisais les frais de lui offrir une cuisine neuve, elle avait intérêt à vivre assez longtemps pour en profiter.