Édition Pocket

Jérôme aime beaucoup cet auteur et moi qui craignais être rebutée par la langue ce n’est absolument pas le cas, son style est adapté à son récit et fait une grande partie du charme de cet auteur que je vais continuer à lire. Voici un roman très important pour toutes celles et tous ceux qui prennent des bonnes résolutions pour la nouvelle année : ça ne marche pas ! En tout cas pour Fred, ça ne marche jamais et il aurait mieux valu pour lui qu’il ne s’y « mette jamais » et qu’il reste dans son quartier parisien à soutenir le bar d’Omar plutôt qu’aller en Espagne pour fuir un certain M. Zyed qui n’avait peut-être pas comme projet de l’empêcher de faire la maquereau à Pigalle. Voilà tout est dit ou presque ! Fred est un éternel perdant qui nous fait rire grâce au talent de Florent Oiseau. Cet art d’être à côté de la plaque tout le temps est un bon ressort dans la littérature . Je ne peux pas dire que c’est complètement ma tasse de thé mais, je dois l’avouer, parfois, j’ai ri malgré les outrances trop répétitives à mon goût. J’oubliais l’alcool c’est aussi un personnage important du livre, c’est sûr qu’après la deuxième bouteille de côte du Rhône on a les idées moins claires qu’après la « petite » bière du matin mais la vie devient tellement plus cool que cela permet à Fred de passer une après midi de plus « avec » Sophie Davant.

Citations

Moment que j’aime bien

C’est sur ce chemin du retour que j’ai croisé un pote au café, rue de Paradis. Le pauvre vieux venait de se faire plaquer, du coup on a bu quelques canons. J’ai le soutien facile, on se confie aisément à moi, je ne parle pas beaucoup. Dans les moments compliqués, ça doit être réconfortant, un gars qui écoute.
Quinze ans de vie commune, qu’il rabâchait. Quinze putains d’années, il râlait, le gars. Quinze ans, un voyage de noce aux Seychelles avec ses économies à lui, des sacrifices, pour qu’en fin de compte elle se barre avec un professeur d’histoire (vacataire en plus)en lui reprochant de se laisser sombrer.

Une vision genrée du monde (mais si drôle !)

Avec un million, je l’aurais gardée, Séverine. Un alcoolique millionnaire qui ne prend pas d’initiatives, ça lui aurait convenu. Les femmes disent toutes qu’elle se foutent de l’argent. Tu parles. Elles ne peuvent rien y faire, elles l’ont en elle. C’est une chose qu’on doit leur faire couler dans les veines, à la naissance. Un genre de truc irréversible, incontrôlable. Très souvent, cette attirance pour le fric est volontairement ignoré. Une sorte de déni s’opère. Elles ont envie de se convaincre qu’une vie bohème fait d’amour, de poils et de vin pourrait leur convenir. Elles en meurent d’envie de cette vie là, simple, romantique et insouciante, mais le truc qui a été mis à l’intérieur d’elle au sujet du fric prend le dessus chaque fois. J’appelle ça, le gène confort. Le virtuose pauvre avec ces jolis mots peut bien aller se faire foutre. Terminé le petit studio sous les toits, éclairé à la bougie, avec un chat qui minaude en nous regardant faire l’amour. Place au DRH, au mec de la télé, aux sportifs de haut niveau, au trader, au chirurgien, à l’avocat. Le ski à Courchevel, le weekend à Cabourg. Les gonzes, elles préfèrent s’ennuyer dans un cabriolet qui sent le cuir que s’éclater en camping. Les mecs, ce serait un peu la même chose concernant la fidélité. Ils sont incapables de se contrôler. J’appelle ça, le gène bite. La situation est simple, les hommes ne peuvent se vouer au même sein, tandis que les femmes, elles, sont machinalement envoûtées par l’attraction qu’exercent des cartes de crédit sur leur culotte.

De hautes réflexions philosophiques

Si les secondes étaient des heures, on vivrait beaucoup plus vieux.

Sophie Davant

J’ai pensé très fort à Sophie Davant, au fait que c’était la femme avec laquelle j’avais vécu le plus de choses. Elle l’ignorait sans doute.

Édition NRF Gallimard

« les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. » Nietzsche 

Après les  » Les Funambules« et « Ada » voici « Scherbius (Et Moi) » dont Keisha a déjà parlé ainsi que Noukette et Dasola et sans doute bien d’autres car Antoine Bello a un large public. Je fais partie des lectrices qui adorent qu’on lui raconte des histoires. Antoine Bello ce n’est pas une histoire qu’il nous raconte mais dix, cent, mille… à travers un dialogue entre un psychiatre berné et séduit Maxime Le Verrier par un patient (ou son double ?) Alexandre Scherbius . Comme souvent chez cet auteur c’est à la fois drôle et un peu inquiétant. Cet escroc génial aux multiples personnalités est-il si loin de la réalité ? Il y a aussi chez Antoine Bello un fil conducteur, vous vous souvenez dans Ada , il ciblait les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle et l’enrichissement sans lien avec la production des firmes de la Silicon Valley. Ici, ce qui est ciblé, ce sont les différentes façon d’aborder la maladie mentale en particulier par les psychiatres américains qui semblent plus soucieux de leur succès personnel que des soins apportés à leurs malades. Les succès en librairie se multiplient et les séries télévisées aussi sur des révélations de maladies mentales dont le moins que l’on puisse dire est qu’il leur faudrait plus de discrétion et de prudence de la part des soignants quant à leur réalité. Ainsi, Antoine Bello nous parle de Sybil ou de Billy Milligan, malades qui ont lancé « la mode » du trouble : « personnalité multiple » et qui sont à l’origine de best-sellers incroyables, enrichissant de façon astronomique les écrivains, psychiatres ou non, qui se sont emparés de leurs histoires. Il s’agit bien de cela ici, puisque Maxime Le Verrier devient riche et célèbre grâce à son livre sur Scherbius atteint du syndrome de « personnalité multiple ». Puis les années passant, Maxime Le Verrier évolue dans sa connaissance de ce symptôme pour peu à peu ne faire plus qu’un avec son patient. Au fil des pages Antoine Bello nous aura raconté des dizaines d’escroqueries, d’usurpation d’identités et pas une seconde on ne s’ennuie. Le seul léger reproche que je fasse à cette lecture, c’est d’être un peu submergée par les références aussi bien dans le noms des personnages que pour les histoires elles-mêmes. Tous nos écrivains sont convoqués dans ce roman, on s’attend toujours à ce que la clé de l’histoire que raconte Scherbius soit donnée un peu plus tard. Cela empêche une certaine spontanéité dans la lecture. Mais ne retenez pas cette critique si vous voulez être embarqué dans une histoire qui comme les poupées russes en contient toujours une autre et toujours plus passionnantes, si vous voulez sourire et quitter un peu le quotidien partez dans cette lecture, cela m’étonnerait fort que vous la lâchiez en cours de route .

Citations

Discipline des moines (Sherbius a été moine pendant deux ans)

Il faut du courage pour quitter son lit au milieu de la nuit dans la froidure de l’hiver, prier une heure, se recoucher et remettre ça avant le chant du coq. Il en faut bien davantage pour recommencer le lendemain, et le jour d’après, en sachant que ce rythme date du VIe siècle et sera encore en vigueur longtemps après notre mort.

Services rendus à l’armée par un imposteur

 Durant les six mois qui suivent, il va visiter les cent dix sept lycées de Lorraine, en peaufinant constamment son modus operandi. Il programme ses passages du jour au lendemain pour limiter les risques, ne laisse ni carte ni numéro de téléphone, entretient volontairement la confusion sur son titre, l’institution dont il dépend où sa caserne de rattachement. Sûr de sa capacité de mobilisation, il demande une grande salle, si possible « un amphithéâtre ». Les professeurs d’éducation civique qui viennent parfois l’écouter le félicite chaudement après ses prestations. Bien qu’ayant conscience d’enfreindre la loi, il dit agir par patriotisme. « J’ai adressé à l’armée française assez de recrues pour constituer un régiment. Quant à savoir si l’armée s’est montrée à la hauteur de mes promesses, c’est une autre histoire. »

Professeur de Philo

À un jeune trop sûr de son fait, il rappelle l’aphorisme de Nietzsche  » « les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. »

Règlement de compte

Après avoir longtemps vanté les mérites de l’hypnose, Freud s’en détourna en 1895 au motif qu’en ne confrontant pas le patient à ses blocages, elle ne « lui impose qu’un effort insignifiant ». Reconnaissons à M. Freud une certaine cohérence puisque les grands prêtes de la religion qu’il fonda réussissent simultanément à martyriser et appauvrir leurs fidèles, sans jamais les soulager de leurs maux. Janet trompait peut-être ses patients, Freud, lui, se trompait tout court.

Clin d’œil au lecteur

Que Sherbius présente plusieurs symptômes décrits ci-dessus n’aura pas échappé à mes lecteurs avertis

(note bas de page :

En existe-t-il une autre sorte ?)

La maladie mentale

Hacking avance une autre explication, qui ne surprendra pas mes lecteurs. Comme je le disais dès 1983, nommer une maladie est la plus sûre façon de la faire apparaître. Autour de 1975, dans l’hémisphère occidental, il est devenu possible -au sens de tolérer, acceptable – d’abriter des personnalités multiples, c’était un nouveau trouble mental, aussi respectable que l’autisme ou l’agoraphobie. Psychiatres et patients l’ont progressivement intégré dans le spectre des diagnostics. À l’heure où l’anorexie commençait à montrer des signes d’essoufflement, mes confrères Américains ont calculé, avec leur opportunisme coutumier, qu’une cure d’unification de personnalité bien menée (c’est-à-dire pas trop vite) pouvait rapporter des milliers de dollars. Le TPM est devenu le produit de l’année, puis de la décennie.
Cela tendrait à prouver que, si certaines maladies se transmettre par le sang ou la salive, d’autres se propagent par la parole.

Je ne sais pas, si un jour, je comprendrai pourquoi les Américains ont besoin d’écrire des énormes pavés et pourquoi les Européens se contentent de livres très courts sur des sujets tout aussi graves et importants. Stéphanie Hochet s’empare de la vie d’un Kamikaze japonais. Un de ceux qui ont choisi le suicide comme mode de combat. Elle raconte très bien l’endoctrinement de cette jeunesse japonaise qui pensait servir la plus noble des causes : celle qui permettrait aux valeurs du Grand Japon de dominer toute l’Asie au nom de l’Empereur représentant de Dieu sur terre. Nous revivons l’enfance et la formation militaire d’Isao Kaneda, beaucoup de choses sont dites en peu de pages : son éducation par une grand-mère issue d’une famille de Samouraïs et qui place l’honneur du Japon au-dessus de toutes les autres valeurs. Puis l’exaltation militaire et l’embrigadement dans le corps des Kamikazes . C’est très bien raconté mais je pense, comme souvent, quand un auteur non autochtone s’empare d’un phénomène qui nous est tellement étranger, que rien ne vaut un témoignage même romancé écrit par un écrivain du pays concerné. Dans la troisième partie , le kamikaze atterrit bien malgré lui dans une petit île coupée du monde. Cela nous vaut une réflexion sur ce que veut dire la civilisation, la version idyllique de la vie sur cette île paradisiaque est brusquement interrompue par un procédé très barbare de mise à mort pour des voleurs de nourriture.

Un roman agréable à lire et qui décrit bien l’état dans lequel devait être les Japonais qui acceptaient le sacrifice suprême pour défendre les valeurs de leur pays. Je trouve que, par rapport à notre époque où des gens sont prêts à tuer et se faire tuer pour défendre leur conception de la religion qu’ils veulent imposer au monde entier, réfléchir sur ce sujet est intéressant.

 

Citations

Début du roman

Je noue le « hachimaki » au couleur de notre Japon éternel autour de mon casque. J’ai effectué ce geste avec lenteur et solennité, sans pensées sans émotions. Le froid dans mes veines, le temps s’est arrêté, je suis une fleur de cerisier poussée par le vent.
Ai-je le choix ? Ai-je eu le choix il y a un mois, quand nous avons été réunis par les officiers au petit matin sur la base aéronautique ? Le soleil se levait, rond et rouge, l’image du drapeau impérial. Ils ont annoncé que notre escadrille se portait volontaire pour devenir des « Kikusui », des « chrysanthèmes flottants ». C’est le nom poétique donné au sacrifice d’un avion et de son pilote sur un navire ennemi. Pour être plus exact, ils nous ont demandé sans nous demander : « Ceux d’entre vous qui ne veulent pas donner leur vie pour notre grand empire nippon n’y seront pas forcés, qu’ils lèvent la main, ceux qui ne se sentent pas capables d’accepter cet honneur. Qu’ils lèvent la main maintenant ! »
Nous étions prêts. Personne n’aurait osé refuser la mission, aucun soldat japonais n’arrivera jamais à cette ignominie. Être volontaire est le devoir du combattant. Il n’est pas en son pouvoir d’agir autrement. Et nous n’avions qu’une envie, être à la hauteur. Celui qui aurait levé la main aurait été vu comme un traître. En réalité, mes camarades et moi étions tétanisée. À vingt et un ans, j’ai l’honneur d’accepter de mourir pour l’empire du Grand Japon. Je dissimule le vertige qui me saisit.

La philosophie de sa grand mère qui l’a élevé

Grand-mère cite le « bushido » comme la source de l’esprit de l’armée. Se comporter avec courage, droiture, bienveillance et politesse était le credo du samouraï. Ce combattant devait aussi mépriser la mort et choisir de se tuer dans certaines circonstances. Envisageant sa fin avec détachement, le guerrier devais choisir soigneusement le moment où ils allaient procéder au « seppuku », agir comme s’il n’était déjà plus de ce monde. Elle citait un « bushi » célèbre : « La rectitude est le pouvoir de prendre une résolution selon une certaine ligne de conduite conforme à la raison, sans hésitation – mourir quand il est bon de mourir, frapper quand il est bon de frapper. »

Phrase scandée en chœur par toute la classe

Monsieur le professeur, nous comprenons le rôle primordial de l’empire du Grand Japon dans la libération des pays d’Asie de l’Est. Notre mission consistera à rendre aux peuples asiatiques l’humanité que l’Occident a flétrie, nous les libérerons du poids de l’exploitation coloniale. Un jour, grâce à l’armée japonaise, les peuples vivront en paix, dans la concorde et le respect de leurs traditions.

 

 

Chacun ses doudoux ! quand je trouve que le monde va mal et qu’un fond de tristesse m’envahit, je cours chez Sauveur Saint-Yves et pour moins de quarante cinq euros et un peu plus d’une heure de consultation, ce thérapeute me redonne confiance dans l’humain. Je sais que cette série d’adresse aux adolescents ce que je ne suis plus depuis si longtemps et que j’ai déjà fait deux billets à propos de cette série (sur le « un » et le « deux« ) . Mais la période est franchement pas folichonne et donc je régresse avec une joie non dissimulée. D’autant plus facilement que Noukette et Jérôme se sont ligués pour avoir trouvé chez cette auteure leur dose de réconfort. Ils parlaient de la saison 6 mais peu importe, on y trouve toujours de quoi sourire et s’attacher aux personnages. J’aurais peut être dû acheter la six , car j’ai été un tout petit peu déçue. Le premier et le deuxième tome m’avaient complètement séduite, là, je suis un peu restée en dehors des récits et même des personnages que je connais trop bien maintenant. Ce n’est qu’une légère critique pour un ado cela sera parfait mais pour la grand mère d’un ado, il lui en faut sans doute un peu plus pour soulever le morosité ambiante.

Citations

Un bon sourire au début

Donc, mademoiselle Louane, qui vivait alors à Austin, Texas, avait consulté un thérapeute réputé qui déterminait en quelques séances quel était votre animal de soutien émotionnel, celui qui vous aiderait à traverser les inévitables épreuves de la vie. Dans le cas de Louane c’était le hamster, ce qui était sans doute préférable à l’hippopotame.

La vie

On choisit sans savoir, Gabin. Qu’est-ce que je savais de la psychologie avant de commencer mes études ? Trois fois rien. Qu’est-ce que je savais de ce que serait ma vie de psychologue ? Absolument rien. Et la femme que j’ai épousée ? Je ne la connaissais pas. Et le mariage, c’est quoi avant que tu sois marié ? Tu ne sais pas. En fait, tu embarques sur un bateau et après tu t’arranges avec la vague et le vent. Quand tu arrives au port, tu t’aperçois que c’est le voyage qui t’a fait ce que tu es, c’est pas si mal.

Encore un bon sourire

– Je vais m’engager dans la marine. 
Rien ne permettait de savoir si Gabin était sérieux ou s’ils déconnait.
– Tu es déjà allé sur un bateau ? Questionna à son tour Lazare. 
– J’ai fait un stage de planche à voile quand j’avais 11 ans. 
– Ça n’a rien à voir, gloussa Alice.
– Le mono m’avait dit que j’avais le pied marin, répliqua Gabin. On ne m’a jamais fait d’autres compliments depuis. Il conclut très fermement : 
– Je pense que c’est une vocation.

 

Édition la Table Ronde

Après « les Forêts de Ravel » , « Deux Remords de Claude Monet« , ‘Le Bon Coeur » voici donc la suite du procès de Jeanne d’Arc : la victoire de Charles VII sur les Anglais et la révision du procès de Jeanne d’Arc. Encore une fois, cet auteur a su m’intéresser à une période que je connais mal. L’angle qu’il a choisi est passionnant, le roi va de victoire en victoire et reconquiert son royaume. Il met fin à la guerre de cent ans. C’est un roi négociateur et au lieu de pourchasser tous ceux qui l’ont trahi en s’alliant aux Bourbons ou aux Anglais, il les accueille dans le royaume de France. les populations vont donc se rallier plus facilement au roi de France. Mais il reste une tâche sur son « CV », il a été couronné à Reims grâce à Jeanne d’Arc. Comment lui le roi si pieux, pouvait-il devoir son couronnement une femme jugée par l’église pour hérésie ? C’est pour cette raison qu’il poussera à la révision de son procès pour démontrer que celui-ci n’avait été instruit que pour plaire aux Anglais. Soit, mais les potentats de l’église sont encore en place, ils sont même encore plus importants et le roi ne veut pas d’épuration … Peu importe, ils se tairont et Jeanne d’Arc pourra être lavée de tout soupçon d’hérésie. Intéressant comme l’est aussi le travail du peintre du peintre Jean Fouquet à qui l’on doit ce portrait du roi et de sa maîtresse :

Voyez vous dans ce portrait « un petit homme dans un grand roi » ?

 

 

Un livre fort intéressant, même si, à mon goût, on est trop dans les histoires des puissants et pas assez avec la population qui souffrent tant pendant ces conflits armés. On peut espérer qu’après cette guerre qui n’en finissait pas la France connaîtra une période de prospérité. Avant d’autres guerres, des croisades et des guerres de religion….

 

Citations

L’importance d’être pucelle

Trois jours avant, mercredi 9 mai, deux bourreaux avaient présenté à l’accusé les instruments de torture, la roue, les chaînes, les pinces, dans une salle basse du donjon du château. En la terrorisant, on voulait lui faire avouer ce qu’elle taisait obstinément, les révélations reçues à Domrémy. Elle avait tenu bon, ce qui avait beaucoup impressionné les assistants. Plus tard, après réflexion et hors sa présence, avait été débattue et mise aux voies l’opportunité de la soumettre effectivement à la torture. C’était assez rare, surtout pour une femme, pucelle par surcroît.

Il y avait donc une flèche sur la cathédrale de Paris en 1429

Jeanne avait eu la cuisse transpercé d’un trait d’arbalète dans l’assaut raté du 8 septembre 1429. L’arbalétrier était un soldat de Jean Villiers de l’Isle-Adam, capitaine bourguignon réputé pour sa propension aux tueries, viols et rapines. Il trottait maintenant à ses côtés. Après un service funèbre à la mémoire de son père dans l’église Saint-Martin des Champs, Charles VII avait solennellement répété le serment des rois de France au retour du sacre, sous la flèche de la cathédrale Notre-Dame bondée.

Les armées royales rentrent dans Rouen

Sur tous s’étendait la généreuse amnistie royale. On le croyait. Son armée était précédée d’une réputation favorable. Depuis qu’elle avait été réorganisée en force permanente, régulièrement rémunérée, sa tenue faisait contraste avec les mauvaises habitudes des Anglais. Les mangeurs de viande bouillie continuaient d’être rétribués par le pillage. Disciplinés au combat, ils se comportaient en soudards le reste du temps. Par précaution, Dunois avait quand même laissé le gros de l’armée hors les murs. Les éléments qui défilaient avait été choisi pour leur mérite, une grande partie était les Écossais, les préféré du roi. Il y avait aussi des mercenaires italiens. Des hommes d’armes fermaient la marche derrière la bannière royale où, sur fond de satin cramoisi, on voyait Saint-Michel, le soleil et les étoiles. Tous, gens et bêtes, marchaient vers la cathédrale.

Agnes Sorel

Il avait quitté sa maîtresse enceinte ; elle devait être maintenant dans le septième mois de sa grossesse. C’était folie d’avoir entrepris ce long voyage dans cet état et en plein hiver, si humide et quinteux en Normandie. Il était malgré tout heureux de la revoir. Il avait regretté quelle ne fût pas à ses côtés dans Rouen. Elle était sa maîtresse depuis sept ans, pourtant son charme continuait d’agir. Elle lui manquait. La liaison avait commencé à Toulouse, en février 1443, après qu’il avait remarqué cette blonde de dix neuf ans à l’extraordinaire beauté parmi les suivantes d’Isabelle de Lorraine, épouse de René II, duc d’Anjou. Elle avait maintenant trois enfants de lui, ce serait le quatrième . Dès qu’elle fut rassurée de ses sentiments, elle l’encouragea à poursuivre la reconquête. En riant, elle menaçait de se refuser à lui s’il réservait sa vaillance à leur couche.

Le tableau d Agnès Sorel

Le génie de l’artiste n’était pas surestimé. La ressemblance était parfaite. Sa blondeur, l’éblouissante pureté de sa peau blanche, le brillant de ses yeux bleus, ses lèvres délicatement renflées au dessin parfait, jusqu’à la palpitation de l’air autour d’elle étaient admirables. Il n’avait jamais vu une aussi belle peinture. Il aurait presque regretté de ne pouvoir l’exposer à l’admiration générale. Mais si d’aventure il en avait eu l’intention, ce qu’il voyait l’aurait interdit. Jean Fouquet avait représenté Agnès le corsage délacé, le sein gauche entièrement dégagé.

Les façons de résoudre les conflits épargnent souvent les puissants

L’absence de coopération du haut clergé de Rouen ne le surprit aucunement. Pour contraindre ses responsables à livrer leur témoignage il eût fallu une intervention directe et personnelle du roi lui-même auprès d’eux. Ces premières informations, bien qu’inabouties, révélaient suffisamment la forte implication de l’Université de Paris dans la condamnation de la Pucelle. Elle indiquait aussi que beaucoup de ses responsables étaient toujours en activité et occupaient les fonctions élevées dans la hiérarchie de l’église. La mort de Cauchon masquait une réalité de l’accélération subite des temps dissimulait ; beaucoup d’hommes clés du procès étaient encore vivants et décidés à défendre leur position actuelle en même temps que leurs actions passées.

Le mont saint Michel

Son frère, Louis, avec une centaine d’hommes d’armes, quelques archers et les molosses qui montaient la garde aux créneaux, avait vaillamment défendu le Mont-Saint-Michel contre les Anglais pendant dix huit années. Jamais, grâce à ce capitaine normand intraitable et à quelques autres, la prière du sublime rocher ne s’était élevée vers Dieu dans une autre langue que le latin ou le français

Petitesse de Charles VII

Charles VII n’était pas venu à Rouen pour assister à la proclamation de l’arrêt annulant la condamnation de Jeanne, fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Rommée , par l’archevêque de Reims, dans le palais archiépiscopal, le matin du 7 juillet 1456. Quel geste pour l’histoire s’il avait écouté ce qu’on lui conseillait. Jusqu’au bout, il fut un petit homme dans un grand roi.

Édition Robert Laffont

Si, comme moi, vous avez gardé, grâce à vos cours sur l’antiquité grecque, une image assez positive de cette période de l’histoire, avec, peut-être une petite préférence pour Spartes qui semblait plus guerrière et plus héroïque qu’Athènes, lisez vite ce roman , cela vous redonnera des idées un peu moins romantiques de la réalité spartiate . Bien sûr, vous vous souvenez de cet enfant spartiate qui avait préféré se faire dévorer les entrailles par un petit renardeau plutôt que d’avouer qu’il le cachait sous sa tunique. Mais si c’est votre seul souvenir, je vous promets quelques découvertes bien au-delà de cette anecdote. Si les Spartiates étaient invincibles, ils le doivent à des pratiques très particulières. Dès la naissance, à la moindre « tare », on éliminait les bébés, mais cela ne suffisait pas, vers deux ans on présentait l’enfant à un conseil de sages qui jetait dans un précipice tout enfant un peu bossu, ou ayant des jambes tordues ou qui semblait ne pas bien voir, ne pas entendre correctement, ou déficient intellectuellement … À contrario, tous les ans on pratiquait la nuit de la Cryptie, c’est à dire que durant une nuit entière les citoyens de Spartes avaient le droit de tuer tous les Hilotes (c’est à dire leurs esclaves) qu’ils voulaient . Si j’ai dit « à contrario » c’est que cette fois les Spartiates choisissaient de préférence les hilotes les plus courageux et les plus intelligents de façon à tenir en respect une population beaucoup, beaucoup plus nombreuse qu’eux. Jean-François Kervéan sait nous faire revivre ces meurtres avec force détails, j’ai rapidement été submergée par une impression de dégoût . Comment cette antiquité grecque qui était pour moi un bon souvenir a pu générer autant d’horreurs ? La partie consacrée à la formation du jeune Spartiate (Agogée) est de loin ce qui m’a le plus intéressée, car pour ceux qui ont survécu à la naissance puis à la présentation, il reste une épreuve , celle de « L’Errance ». Avant de devenir adulte un jeune doit rester une année entière à survivre dans la nature sans l’aide de quiconque. Il doit chasser et se nourrir de ce que la nature peut lui offrir à moins qu’il soit lui-même la proie de prédateurs plus forts que lui. Ensuite, il sera citoyen de Spartes et fera partie de l’armée invincible. L’organisation de la vie de la cité est aussi originale et plus sympathique. Tous les Spartiates sont égaux et ont tous les mêmes droits. Bien sûr, il y a les esclaves pris dans les populations vaincues et asservies mais sinon l’égalité est parfaite. Il y a deux corps de dirigeants les « gérontes » des hommes âgés qui resteront jusqu’à leur mort dans une fonction de conseil et cinq « éphores » élu pour un an au sein de l’assemblée. Tous les Spartiates peuvent appartenir à l’assemblée et y prendre la parole. Le roi n’a pas plus d’importance qu’un autre citoyen. Le roman se situe lors des guerres Médiques contre le roi de Perse, Xerxès 1°. La description de l’opposition entre les deux civilisations et de la guerre m’a moins passionnée. Et puis, il est grand temps que je parle du style de cet auteur. Je ne comprends pas toujours le pourquoi de ses formules. Je sens bien qu’il a voulu désacraliser une certaine représentations de l’antiquité grecque mais parfois, je ne le suis pas dans ses descriptions de héros presque toujours ivres ou drogués qui pètent et « s’enculent  » à qui mieux mieux . Cette réserve ne m’a empêchée d’apprécier toutes les réflexions qui sous-tendent ce projet de livre :

  • Pourquoi finalement c’est la royauté qui a perduré pendant deux millénaires et pas la démocratie,
  • Pourquoi toutes les tyrannies ont-elles adulé Spartes ?
  • Est ce que ce système pouvait durer ?
  • Pourquoi les sentiments ne sont pas compatibles dans un tel système.

Mes réserves viennent du style de l’auteur mais je suis ravie d’avoir lu ce roman car j’ai vraiment beaucoup appris sur cette période et surtout corrigé beaucoup d’idées fausses .

 

Citations

 

Les Spartiates

Cet hiver-là fut dur, mais les Spartiates ne craignent pas le froid, la fin, le deuil -ce peuple n’a peur de rien. Chez eux, lorsque le vent cingle depuis les crêtes du Mont Parnon, personne ne couvre ses épaules d’une fourrure, tu te pèles et au bout d’un moment, en vertu du stoïcisme, tu ne te pèles plus.

 

Le petit déjeuner spartiate

Son ventre criait famine, elle avala deux yaourts, un boudin avec une galette à la sarriette.

 

La Sélection

Les enfants avancent au centre, accrochés à la tunique de leur mère, les père ne sont jamais présents. De part et d’autre se postent gérontes, éphores et commandants, chacun scrutant le groupe selon ses critères : les militaires jugent des morphologies, les dignitaires des comportements tous à la recherche de la mauvaise graine qui poussera de travers. Le branle du boiteux, la bosse du bossu, le débile ou la naine, toutes les cécités, les anomalies ayant pu échapper à l’examen de la première heure. Retenus depuis des jours à l’intérieur, les enfants exultent en plein air, leurs ébats et la lumière à plomb de midi révèlent mieux les tares de quelques déficients. Arrivés face au ravin, les autorités rendent leur verdict et les soldats balancent les indésirables du haut du précipice, scène qui grave à jamais dans le regard des autres la grandeur d’une société ou la gloire coule du sacrifice comme la rosée des aurores.

Encore une coutume sympathique : la Cryptie

Tous les ilotes, les esclaves sans exception sont aussi la cryptie- du verbe « cacher, se cacher ».
 la lumière du soir rase la campagne, tu es Spartiate. Quand l’aiguille du cadran solaire indique la dix-huitième heure ou que la trompe retentit du Temple, tu peux tuer tous les ilotes que tu vois de tes yeux, n’importe, en particulier ou au hasard, de tous âges, en déambulant ou en allant fouiller leur cabane, les fossés, les sous-bois, comme tu veux. La Cryptie n’est pas la guerre. Le nom de « Jour de guerre contre les ilotes » inventé plus tard par Plutarque n’est pas bon. À partir de la dix-huitième heure jusqu’à la dernière avant l’aube, beaucoup d’ilotes ne bougent pas de la place où ils sont, de l’arène de leur condition où vont surgir les fauves. D’autres emmènent leurs femmes leurs enfants se terrer le plus loin possible. Après avoir lâché ton outils, tu te sauves mais il n’y a pas d’abri. Les Spartiates ne hurlent pas, ne t’insultent pas en principe, les Spartiates donne la mort. Partout. En bande sanglante ou seul à seul.

Humour

Quand le Sénat l’envoie batailler au nord, il en profite pour aller soutenir son ami Isagoras, tyran d’Athènes, contre son peuple en rébellion. C’est un fou de guerre, un ivrogne – personne ne souligne jamais le rôle capital de l’alcoolisme dans l’Histoire de l’Humanité.

L’idéal de Sparte

L’espèce humaine est argileuse, malléable. Tout est mou chez l’homme, à part le squelette. Telle était la pensée de Sparte. À l’état de lui donner de la consistance, de forger, ciseler sa nature. Les plaisirs, les ou l’étude n’affirment pas un individu, seuls les gnons, l’endurance, l’adversité, toutes ces épreuves qui le menacent de n’être plus rien, le font entrer dans l’action d’où jaillit son destin.

Le style qui a fini par me lasser

La jeune princesse de Sparte se consola entre les bras solides de son époux, encore marqué par les stigmates de l’assassinat, on ne s’étonnera pas après ça que la reine Gorgô soit devenue parmi les premières féministes de l’humanité. Nul ne douta du récit de la mort héroïque de son père ni ne soupçonna le régicide perpétré par deux bourrins aussi bourrés que Cléomène. Plus étonnant encore, à la fin de cette journée où Sparte entra dans le simulacre officiel et renoua avec les Mythes, le conseiller Hypocoo fut élu au Directoire des éphores : le conseiller diplomatique passait ministre chargé des Affaires extérieures, acclamé de tous les Égaux sur l’agora, bien chauffés par les trente Gérontes. Quant aux jeunes frères du défunt automutilé, prince sans réputation, il fut désigné monarque à l’unanimité du Sénat lacédémonien sous le nom de Léonidas Ier. Seul Aphranax Cartas tirait la gueule. L’Histoire se détournait de lui. A dix pas, en revanche, sa mère participait à la liesse. L’éphore fraîchement élu était son ami, et le nouveau roi son amant. Son fils n’était pas prêt d’intégrer la garde royale des 300.
Le Destin de Léonidas vient de s’ébranler en même temps que l’Ère classique. Vers où ? Un gouffre, un triomphe, une marque de chocolat ? C’est ce qu’on appelle tout simplement : la suite.

La mort et la vieillesse

Quel retour des choses signifie la maladie sinon que souffrir et naturel et qu’on finit non seulement vaincu mais privé des joies de son existence ?

Le deuil et le veuvage

Ne pas être aller se recueillir depuis longtemps sur la tombe d’Artys lui manquait, le deuil génère une addiction au chagrin, bulle de souvenirs moelleux où le temps ne circule plus.

Réflexion

Pendant les cinq cents ans que durera la civilisation grecque, la terre, les ressources, les hivers ne furent pas plus facile ni cléments que durant les siècles suivants. Pourtant leurs annales évoquent rarement une famine. Chez les Grecs, si imparfaits, on pouvait manquer, avoir le ventre vide mais pas au point d’en mourir au porte de ceux qui mangent. Au temps modernes, famine et malnutrition furent la première cause de mortalité dans les royaumes d’Occident. Les victimes se chiffraient encore par millions dans l’Europe fertile du XVIIe siècle. L’espérance et la qualité de vie d’un forgeron sous Périclès était supérieure à celle d’un artisan du Val de Loire sous François 1er, deux mille ans plus tard. Pourquoi ? On ne sait pas.

J’ai lu tous les livres de cette auteure, Jai rédigé un billet pour « Ru » et « Man ». J’aime beaucoup ses textes et celui-ci m’a donné envie de relire « RU » qui a connu un si grand succès. Vi explore encore une fois ses origines vietnamiennes et son adaptation à la culture occidentale . Cela passe par l’histoire de sa famille qui était une famille de riches notables intellectuels du Vienam . Sa mère est issue d’une famille de commerçants aisés et très travailleurs. C’est cet aspect qui la sauvera elle et ses enfants. (Le père n’a pas fui avec eux.) À Montréal sa mère avec un courage incroyable réussira dans la restauration. Vi, pourra faire des études et retournera au Vietnam dans le cadre d’actions humanitaires. Ce roman fait la part belle aux sentiments amoureux, de sa mère d’abord qui souffrira des infidélités de son mari sans jamais se plaindre, et puis de la jeune fille qui associe liberté intellectuelle et liberté amoureuse. On sent très bien dans ce livre que les traditions vietnamiennes ne résistent pas au monde occidental. Encore une fois ce roman se divise en de courts chapitres qui sont autant de courtes nouvelles qui dévoilent peu à peu les strates de la personnalité de Vi. Une lecture dépaysante et très émouvante comme tous les livres de cette auteure, on peut sans doute lui reprocher de se répéter un peu, mais, quand, comme moi on l’apprécie, c’est un plaisir à chaque fois renouveler.

 

 

Citations

 

 

Les « boat people »

Mon prénom ne me prédestinait pas à faire face aux tempêtes en haute mer et encore moins à partager une paillote dans un camp de réfugiés en Malaisie avec une dame âgée qui pleura jour et nuit pendant un mois sans nous expliquer qui étaient les quatorze jeunes enfants qui l’accompagnaient. Il fallut attendre le repas d’adieu à la veille de notre départ vers le Canada pour qu’elle nous raconte soudainement sa traversée. Ses yeux avaient vu son fils se faire trancher la gorge parce qu’il avait osé sauter sur le pirate qui violait sa femme enceinte. Cette mère s’est évanouie au moment où son fils et sa bru avaient été jetés à la mer. Elle ne connaissait pas la suite des événements. Elle se souvenait seulement de s’être réveillée sous des corps, au son des pleurs des quatorze enfants survivants.

 

Le Québec

 Nous sommes arrivés dans la ville de Québec pendant une canicule qui semblait avoir déshabillé la population entière. Les hommes assis sur les balcons de notre nouvelle résidence avez tous le torse nu et le ventre bien exposé, comme les Putai, ces bouddhas rieurs qui promettent aux marchands le succès financier et, aux autres, la joie s’ils frottaient leur rondeur. Beaucoup d’hommes vietnamiens rêvaient de posséder ce symbole de richesse, mais peu y parvenaient. Mon frère Long n’a pas pu s’empêcher d’exprimer son bonheur lorsque notre autobus s’est arrêté devant cette rangées de bâtiment où l’abondance était personnifiée à répétition : « Nous sommes arrivés au paradis au paradis.

Édition Albin Michel. Traduit de l’américain par Sara Gurcel

 

Sara Krasikov est d’origine ukrainienne, elle vit aux États-Unis et a adopté le format des romans américain : au moins de six cent pages. Il est vrai que la période que couvre ce roman, de 1934 à nos jours, avait besoin d’un certain nombre de pages pour se déployer. Nous allons suivre le destin de la jeune Florence qui a cette idée un peu étrange d’émigrer en URSS séduite par l’idéal communiste. Ils seront un petit nombre à le faire mais bien peu pourront échapper aux terribles purges staliniennes. Il faut dire que son engagement était aussi soutenu par un amour passionné pour un ingénieur soviétique rencontré aux USA et qu’elle fera tout pour le retrouver. Comme souvent, aujourd’hui, ce roman ne suit pas une progression linéaire et nous passons d’une époque à l’autre en suivant la vie de Florence ou celle de son fils, Julian, ou de son petit fils, Lenny. L’URSS et aujourd’hui la Russie semble attirer comme une puissance destructrice les membres de cette famille. Le petit fils de Florence est parti vivre en Russie pour y faire fortune, il devra aux maladresses de son père un passage en prison et il en sortira grâce à la connaissance de celui-ci des rouages de ce terrible pays. Cela ne veut pas dire que tout est toujours pareil dans ce terrible pays mais rien n’y est jamais très simple. On revit de l’intérieur le sort tragique des idéalistes occidentaux qui sont allés se jeter dans la gueule de l’ogre stalinien. Ils ont pour la plupart payé de leur vie leur naïveté, d’autant plus que l’Amérique n’a rien fait pour les aider : l’ambassadeur de l’époque ne voulant surtout pas fâcher son futur allié pour la guerre qui se préparait. Pour survivre quand l’étau se resserre sur la communauté juive cosmopolite de Moscou, Florence sera conduite à espionner et trahir ses amis. Cela ne lui servira pas à grand chose car elle ira quand même au goulag où elle aurait dû mourir, je ne peux sans divulgâcher le roman expliquer pourquoi elle n’y mourra pas. Son fils a émigré aux USA avec elle et toute sa famille, il revient en Russie pour faire des affaires avec l’énorme consortium du pétrole. On voit alors tout le rôle de la mafia russe dans les affaires. Il cherche aussi à mieux comprendre sa mère et obtient son dossier de police, il peut, alors, y lire ses différentes trahisons. Elle a survécu grâce à ses capacités d’adaptation mais qui ne lui ont pas permis de rester digne et irréprochable. Des gens dignes et irréprochables, il doit y en avoir plein les fosses communes en Russie comme le père de Julian, Léon Brink assassiné comme tant d’autres dans les sous-sols de la Loubianka. Il y a donc trois histoires, celle de Florence qui est la plus complète, celle de Julian, élevé en partie dans un orphelinat soviétique qui s’est vu refuser sa thèse parce qu’il était juif et ses déboires avec la mafia russe, puis celle de Lenny qui aimerait faire fortune dans un pays qui l’attire. La romancière parle d’un pays dont sa tradition familiale a dû savoir lui parler. Et comme elle vit aux USA aujourd’hui elle rend parfaitement compte de ce qui a pu se passer pour Florence : sa soif d’idéal et sa descente progressive dans l’enfer communiste, ce personnage est crédible et son entêtement aussi. Je comprends bien les intentions de l’auteur de construire un destin sur plusieurs générations, mais une seule histoire m’aurait largement suffit. J’ai vraiment du mal avec ces énormes pavés et pourtant celui-ci est bien construit et fort instructif et a beaucoup plu à Dominiqueet à Kathel.

 

 

 

Citations

Les appartements communautaires

Les universitaires occidentaux aiment décrire nos « kommunalki » soviétiques comme des endroits dénués d’espace personnel. Ils se trompent. Quel plus bel hommage à la propriété privée pouvait-il y avoir que le dense enchevêtrement de sept sonnettes différentes sur la porte d’entrée ? Sept réchauds à kérosène dans la cuisine ? Sept lunettes en bois distinctes , que chaque locataire se coinçait scrupuleusement sous le bras en marchant d’un pas ferme jusqu’à l’unique WC de la communauté ?

Les stupidités du régime soviétique

Nous suivions tous les deux un cours intitulé « Fondamentaux de la cybernétique », dispensé par un vieux rouquin asthmatique qui s’était fait virer dans les années cinquante pour avoir mené des recherches en informatique, une discipline proscrite par Staline au titre de « putain mercantile de l’impérialisme ». Dix ans plus tard, un gros bonnet avait toutefois pris conscience que le pays était fort à la traîne dans la course contre les Américains, on était donc aller chercher le professeur disgracié ( il mélangeait des résines dans une usine de peinture industrielle) et on l’avait réintégrer pour qu’il enseigne la matière même qui avait causé son renvoi.

Toast russe emprunté à Balzac

Buvons aux femmes. Quand elles nous aiment, elles pardonnent tout, même nos crimes ! Quand elles ne nous aiment pas, elles ne nous pardonnent rien, pas même nos vertus !

Les Américains à Moscou en 1934

C’était du reste un talent assez partagé chez les marginaux qui se retrouvaient à Moscou dans les années trente, Des esprits libres affichant fièrement le rejet de leur patrie capitaliste. Jeunes, le plus souvent juifs, ils venaient du Bronx ou de Manchester, en Angleterre, comme d’endroits aussi dépaysant que Missoula, dans le Montana. Observez- les : au café Moscou, place Pouchkine, …. Leurs discussions tournent essentiellement autour des États-Unis, comme si profaner leur lieu de naissance était une sorte de rituel destiné à soulager leur mal du pays.

Personnalité de Roosevelt

Roosevelt était-il un communiste refoulé ? Bon dieu, non. L’homme qui avait distribué de l’argent public par millions aux plus grosses sociétés privées du pays en était loin. Ce n’était qu’un banal utopiste. Or si l’on gratte un peu, on trouve toujours, derrière un utopiste, un machiavel dissimulé -quelqu’un qui, pour réaliser sa vision magnifique, finira par souscrire au principe selon lequel la fin justifie les moyens 

Après un enterrement où chacun a essayé d’exprimer ce qu’ils n’osent jamais dire

Les enterrements sont aux Russes ce que les carnavals sont aux Portugais.
Les règles sont suspendues le temps du carnaval pour que tout le monde puisse temporairement faire comme si les choses étaient le contraire de ce qu’elles sont.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition de l’Olivier

J’ai été très touchée par ce roman car tout est en nuances ce qui n’enlève aucune profondeur au propos. Une écrivaine qui est proche de la personnalité de Fanny Chiarello , d’ailleurs c’est sans doute elle-même ou du moins une des ses facettes, aperçoit une jeune joggeuse dans un quartier populaire du bassin minier. Elle en fait une photo car elle est très attirée par elle. Puis, elle lui écrit ce roman où elle imagine sa vie. Une vie qu’elle connaît bien car elle est elle même issue du même milieu. Ainsi dans ce dialogue avec Sarah, elle révèle aux lecteurs et lectrices que nous sommes, à quel point c’est douloureux de se sentir différente dans ses orientations sexuelles, alors que tout dans la société vous pousse à être normal, c’est à dire attirée par des garçons. Est-ce plus difficile dans ce milieu que dans la bourgeoisie, je n’en sais trop rien ? Je sais depuis Edouard Louis, que cette différence peut conduire à des réactions très violentes. Je pense que dans des familles catholiques conservatrices ou musulmanes, peu importe l’origine sociale, cela doit être très douloureux pour la jeune adolescente. Dans ce livre, la famille de Sarah n’est pas caricaturée, même si la mère est intrusive et pense qu’elle a le pouvoir de remettre sa fille dans « le droit chemin » , elle le fait certainement par amour et par par peur des malheurs que peut engendrer l’aveu de l’homosexualité. Tout en étant une mère qui essaie de bien faire elle est d’une rare violence pour la jeune adolescente qui se cherche et ne voudrait rencontrer que douceur et compréhension. J’ai trouvé la construction romanesque intéressante et les sentiments de la jeune fille très bien décrits. En revanche, j’ai trouvé un peu convenues et sans originalité les remarques sur la langue française et différents passages obligés sur les différences entre l’homosexualité et l’hétérosexualité. À la fin du livre, quand je l’ai refermé et laissé mûrir dans mes pensées, je me suis dit que c’était déjà compliqué d’être adolescente, encore plus, sans doute quand on vient d’un milieu dont on n’épouse pas les codes mais quand, en plus, on se sent juger pour ses émois sexuels alors cela doit devenir proche de la cruauté ce qui peut pousser suicide ou au moins au repliement sur soi. Je me suis demandée si Sarah n’allait pas devenir anorexique, tant les moments à table où elle sent le regard de chacun la scruter, la juger et enfin la condamner sont pénibles pour elle.

PS . Je suis très contente d’avoir lu et apprécié un roman de cette auteure qui m’avait tellement ennuyée dans le précédent « Une faiblesse de Carlotta Delmont »

 

 

Citations

 

Détail bien vu

Son jean taille haute est si moulant que , quand elle glisse son téléphone dans la poche arrière , on pourrait taper un message à travers la toile .

Une homosexualité discrète

Quand tu entends Lou faire bruyamment étalage de ses attirance, tu es mal à l’aise pour elle. Ni plus ni moins que tu ne le serais si elle se jetait sur des garçons. Tu ne comprends pas les gens qui se donnent en spectacle, toi qui place l’intimité en tête des luxes possibles et y aspire de toutes tes forces.

Être végétarienne

 Tu as plaidé pour le droit d’être végétarienne mais ta mère a répondu qu’il était de sa responsabilité de t’assurer une croissance normale. Tu as alors tenté de démontrer qu’une croissance normale ne passait pas nécessairement par la consommation de viande ; pour étayer tes propos tu as imprimé quelques articles qui l’expliquaient mais ta mère a estimé avoir plus de bon sens que les scientifiques.

Je comprends

La plupart des gens trouvent les érudits passionnant, mais moi, ils me dépriment. Quand je suis amenée à en écouter (ce qui signifie que je suis tombée dans un guet-apens), je délaisse très vite le contenu de leur discours pour me concentrer sur sa forme, sa longueur, son rythme, son lexique, je l’observe comme une pathologie un peu triste.

 

 

Édition Gallimard

Cet auteur est un habitué de Luocine, il sait me faire rire et aussi m’émouvoir. « Charlotte » est certainement le livre qui m’a le plus touchée, j’ai même pleuré en lisant « Mes souvenirs » adoré « La délicatesse » et été déçue par « Nos séparations »

J’ai beaucoup hésité entre trois ou quatre coquillages, mais en tant qu’habitué de Luocine, David Foenkinos bénéficie d’un préjugé favorable. Dans ce roman, l’auteur nous fait prendre conscience du travail de l’écrivain. C’est très à la mode de parler de l’inspiration et de la difficulté de renouveler son inspiration et c’est pour ce côté « dans le vent » que je suis passée de quatre à trois coquillages. Mais c’est aussi un roman qui traite avec tellement de légèreté et d’humour de la création romanesque et de notre vie de tous les jours, que je lui ai rendu son quatrième coquillage  !

L’auteur est donc en panne d’inspiration, et décide d’arrêter la première personne qu’il rencontre pour en faire son personnage de roman . Cela tombe sur Madeleine Tricot, femme assez âgée (on dirait, aujourd’hui, à risques) qui a travaillé dans la mode, chez Chanel, auprès de Karl Lagerfeld . Son roman s’étendra à la famille de sa fille, Valérie, qui a épousé Patrick Martin d’où le titre du roman. L’auteur doit aussi gérer sa séparation. Après quelques années de vie commune, Marie vient de le quitter en lui disant qu’elle préfère vivre seule qu’avec lui. Entre la fiction et la réalité qui passe par la plume de l’écrivain, on assiste surtout à une excellente mise en scène de la création romanesque et du plaisir que doit éprouver tout écrivain à dominer chaque personnage obéissant à sa toute puissance. Mais dans la réalité ? Et bien, oui cela ne se passe pas comme ça, même si on aimerait parfois qu’un écrivain nous anime pour avoir le courage de brûler les rideaux d’un chef pervers et manipulateur ou de mettre toutes ses économies pour aller jusqu’à Los Angeles retrouver son amour de jeunesse. C’est un roman très léger et qui se lit très vite et en plus qui sort le lecteur de la morosité ambiante. Ces quelques allusions aux quotidiens sont bien croquées sans être plombantes. Je suis très sensible l’humour de cet écrivain. Il me donne le sourire même si, comme il le dit dans ce texte, son roman n’est certainement pas écrit pour durer cent ans, il permet de passer une très bonne soirée.

 

Citations

Sujet de roman

Je m’étais senti excité par mon intuition, mais voilà que j’en étais déjà à écrire sur la nécessité de ne pas recongeler des produits décongelés. Quelques années après avoir obtenu le prix Renaudot, je sentais le frisson du déclin me parcourir le dos.

Humour des notes en bas de page

Certes, en sortant du 17° arrondissement de Paris à 10 heures du matin, j’avais peu de chance de tomber sur une go-go danseuse.

Humour

 Ma capacité de séduction ressemblait depuis un moment à un film de Bergman (sans les sous-titres).

Je crois cela aussi

J’ai l’impression qu’on peut tout savoir d’une personne en observant les livres qu’elle possède.

Dialogue avec un ado

– Vraiment, tu n’as pas de passion ? Demandai-je avec désinvolture, m’efforçant d’éviter un ton culpabilisateur.
– Moyen.
– C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi moyen ?
– Ça veut dire j’ai moyen des passions.
– D’accord… Et la musique, tu aimes ça ? Les poster… Tu aimes Angel ?
– Pas spécialement. J’ai fait des trous dans le mur quand j’étais petit, alors je les cache avec des posters.
– Tu écoutes quoi ?
– Il n’y a rien qui me vient, là.
– Et ton temps libre, tu l’occupe comment ?
– Je joue en ligne avec des potes.

Remarque assez juste

Ah, j’ai compris. Votre roman, c’est pour déterrer les histoires de famille. Tout ce qui fait mal.
– Mais non…je n’irai pas contre votre volonté.
– C’est ce qu’ils disent tous. Je ne lis pas beaucoup de romans contemporains, mais je vois bien qu’écrire est souvent un moyen de régler ses comptes.

Harcèlement au travail

Ce matin, Desjoyaux l’avait convoqué pour lui proposer un rendez-vous dans trois jours . Quel supplice . Pourquoi ne lui avait-il pas signifié immédiatement ce qu’il voulait lui dire ? Il allait passer les jours suivants avec une boule au ventre . Desjoyaux n’avait rien laissé percevoir dans son regard , un visage suisse. Le degré suprême du harcèlement , c’est façon froide et presque souriante de commettre un meurtre salariale . Il y avait forcément du sadisme dans cette attitude ; il était bien conscient, vu le contexte général, qu’il ferait souffrir un employé en lui annonçant qu’il le verrait trois jours plus tard ; pire, il avait ajouté « impérativement » le voir. Les mots ont un sens. Impératif veut dire que c’est majeur, déterminant ; cela sent la condamnation.

Vérité et fiction : dilemme de l’écrivain

Ainsi, le vrai pareil souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.