Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 3 « Le nouveau monde » 246 pages

 

Enfin nos paysans arrivent à New York dans le tome trois. Et là, contrairement à ce que pensait le pasteur, l’Esprit Saint n’est pas tombé sur le tête des gens même très pieux, et ils se trouvent confrontés à la langue anglaise. New York est déjà une ville très importante et qui affole, les voyageurs : trop grande, trop de bruit, trop de monde. Le seul qui osera un peu s’aventurer c’est Robert avec son acolyte Arvid. Mais cette grande ville est dangereuse, le petit groupe sera très content de repartir toujours en bateau mais sur le fleuve Mississipi , pour se rapprocher du Minnesota. Karl Oskar voit ses économies fondre mais il est heureux aussi de voir toute sa famille bien vivante autour de lui. Ils découvrent le progrès technique, en particulier le chemin de fer qui les effraie. La difficulté de la langue entraînera Karl Oskar dans une aventure qui a bien failli mal tourner.

Extraits

Début du tome 3

Sur l’île oblongue de Manhattan avait été édifiée la plus grande cité de l’Amérique du Nord, déjà forte d’un demi-million d’habitants. Elle s’étendait comme un énorme hippopotame reposant paisiblement dans son élément, partageant en deux bras le cours de l’Hudson. La tête de l’animal état tourné vers l’Atlantique et, derrière son énorme mufle, se trouvait l’East River et ses pontons, auxquels accostaient les navires transportant les émigrants venus de l’Ancien Monde.
 C’est là que le 23 juin 1850 se présenta le brick « la charlotta », capitaine Lorentz, port d’attache Karlshamm, et ses soixante-dix passagers venus de Suède presque tous des paysans accompagnés de leur famille.

Chemin de fer et religion

 Pour sa part il s’était demandé si c’était vraiment la volonté de Dieu que Ses enfants et recours à la vapeur comme bête de trait. Si cette énergie avait été bonne et utile le Seigneur ne l’aurait certainement pas cachée aux hommes pendant si longtemps, depuis la Création de la terre, c’est-à-dire près de six mille ans. On pouvait penser que la vapeur était une invention des puissances du mal, là-haut dans les espaces célestes Mais jusque-là, le Seigneur leur était venu en aide, au cours de ce périple, et ils devaient également s’en remettre à lui dans cette voiture à vapeur.
 Kristina se souvenait que, lorsqu’il était venu les catéchiser à domicile le pasteur Brusander avait dit que les chemins de fer étaient une pernicieuse invention qui éloignait l’âme de son Créateur et n’attirait que malheur et misère sur pauvre et riche ainsi que tout ce qui était mécanique. La vapeur affaiblissait les âmes aussi bien que les corps et encourageaient la paresse, la luxure et la dépravation. Le pasteur avait alors exprimé le vœu que jamais la Suède ne connaisse cette malédiction, que jamais on ne voit de voiture à vapeur sur la terre de son pays.

Ne pas comprendre la langue

Karl Oskar souffrait de ne pas connaître un traître mot de cette langue étrangère et de ne rien comprendre de ce qui était marqué. Il avait l’impression de se retrouver lors de ce jour, à la communauté ou Rinaldo le maître de l’école, lui avait mis pour la première fois un ABC sous les yeux. Il avait maintenant vingt-sept ans et était père de trois enfants mais, ici, il était à nouveau un petit garçon commençant à apprendre. Il fallait épeler les mots, les reconstituer et essayer de les reconnaître. Et encore, ce n’était pas le pire : le plus grave c’était qu’il ne comprenait rien de ce qu’on disait autour de lui. Il était vexé d’entendre les gens parler et de ne rien pouvoir saisir de leurs propos, même s’il s’agissait de lui : c’était vexant et désagréable qu’on parle de vous en votre présence sans se soucier de vous. En Amérique, on pouvait se trouver face à face avec quelqu’un qui médisait de vous où vous calomniait, sans qu’on puisse rien y faire, sinon rester là comme un imbécile, à ouvrir de grands yeux et avoir l’air d’un empoté.

.Tome 4 « Dans les forêts du Minnesota » 378 pages

 

Ce tome est plus long et peut être un peu trop long ?

On voit Karl Oskar choisir avec attention l’endroit où il veut installer sa famille. Il cherche un endroit qui ressemble quelque peu à la Suède ; un lac, de la forêt et une terre facilement cultivable. On voit aussi dans ce tome que des Indiens habitent aussi ces régions mais ce sont deux populations qui s’ignorent complètement. Lorsque Karl Oskar a trouvé où il veut faire souche commence alors son installation.
Ce tome est intéressant pour se rendre compte combien il était facile aux émigrants de s’octroyer des terres. Ils marquent un arbre d’une lettre et deviennent propriétaire du terrain qui l’entoure, il sont d’abord squatters puis vont s’enregistrer au bout d’un ou de deux ans, ils seront propriétaires de tout le terrain qu’ils auront défriché.

Le premier hiver est terrible pour Kristina qui vit dans une simple cabane mal protégée du froid. Elle y accouche d’un garçon grâce à l’aide d’Ulrika qui est devenue sa plus chère amie.

L’été suivant Karl construit une cabane en rondins et on sent que, peu à peu, ils vont prendre en main leur destinée. Mais le jeune frère Robert les quittera pour aller chercher de l’or en Californie. Ulrika se mariera avec le pasteur baptiste, Jackson, qui les avait si généreusement accueillis lors de leur descente du bateau à Stillwater sur les rives du Mississippi.

 

 

Début tome 4 dans la forêt du Minnesota

 L’endroit sentait la forêt et les restes de son exploitation : le pin scié de frais, la résine, les copeaux et le bois séché. Le long de la rivière courait une artère assez large couverte d’aiguilles de conifères, d’écorce, de copeaux et de sable, bref une rue typique d’une zone forestière. On y voyait également des tas de planches et de rondins et, sur l’eau, le bois de flottaison formait une sorte de plancher légèrement ondulé. Tout – l’eau aussi bien que la terre – sentait le pin frais et la résine, et les immigrants n’avaient pas besoin d’avoir recours à leurs yeux pour savoir où ils étaient.

Karl Oscar trouve son endroit.

Tandis que le crépuscule tombait Karl Oskar observa cet endroit : au nord le mur de la forêt le protégeait des vents les plus froids au sud s’étendait le grand lac, à l’ouest le beau bouquet de pins, à l’est la pointe avec ses grands chênes. Lui-même se tenait au centre d’un espace plat et découvert sur lequel l’herbe lui montait jusqu’aux genoux : des centaines de charrettes de foin poussaient autour de lui dissimulant la terre nourricière, et il avait devant les yeux la plus belle, la plus verte, la plus fertile et la plus riche qu’il air jamais vies en Amérique du Nord.

Le sentiment de liberté

 Quelles que fussent les difficultés qu’il rencontrait ici, il se sentait beaucoup plus libre que dans son pays natal. Ici, personne ne prétendait lui dicter sa conduite, il n’avait aucun maître ou seigneur devant lequel s’incliner, personne n’exigeait qu’il file droit et obéisse humblement, personne ne se mêlait de ses affaires, personne ne se répendait en lamentations s’il n’obtempérait pas. Il n’avait pas rencontré une seule personne à qui il ait eu à faire des courbettes. Il pouvait être son propre pasteur et son propre régisseur si cela lui chantait.

Deux populations si différentes .

Karl Oskar leur reprochait leur paresse et les qualifiait d’incapables. Kristina avait pitié d’eux à cause de leur maigreur et les trouvait fort à plaindre, dans leurs misérables tentes. Mais tous deux étaient heureux de ne pas être de leur race . Quant à ce que ces êtres à la peau cuivrée pensaient de leurs voisins blancs, nul ne le savait, car personne ne comprenait rien aux grognements qui leur servaient de langue. Pourtant, Robert les soupçonnait de considérer ces visages pâles comme des imbéciles parce qu’il passait leur temps à travailler. Pour sa part, commençait à se demander lequel de ces deux peuples était le plus avisé : les Blancs ou les Rouges, les chrétiens ou les païens ? Les indiens étaient paresseux, ils ne cultivaient pas la terre et ne travaillaient pas. Il avait vu la façon dont ils abattaient un arbre : ils ne le coupaient pas à la hache, ils allumaient un feu à sa base et le brûlaient à sa racine. Le chrétien suait comme un bœuf à manier son outil alors que le païen attendait simplement que le temps passe, en fumant sa pipe jusqu’à ce que le feu ait fait son œuvre et que l’arbre s’effondre dans un grand craquement sans qu’il ait besoin de frapper le moindre coup.


Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 1, Au pays, 315 pages

Tome 2, La traversée, 267 pages

C’est Sacha qui m’a donné envie de lire cette Saga , et elle était à la Médiathèque de Dinard, mais surprise elle était dans les réserves, c’est à dire en passe de disparaître. C’est incroyable la vitesse à laquelle les livres ne sont plus lus dans une médiathèque qui ne peut évidemment pas tout garder sur ses rayons . Dommage pour cette Saga qui est vraiment formidable, depuis j’ai vu que Patrice avait, aussi, recommandé cette lecture.

J’ai finalement décidé de mettre les tomes au fur et à mesure de mes lectures, les deux premiers m’ont carrément enchantée. Dans le premier, on comprend pourquoi au milieu du XIX° siècle des paysans suédois se sont exilés vers les USA . L’auteur prend son temps pour nous faire comprendre les raisons de la misère de la paysannerie suédoise. La première famille que nous suivrons est celle de Karl Oskar et de Kristina dans la ferme de Korpamoen et leur jeune frère Robert valet maltraité dans une autre ferme. Robert y rencontrera Arvid, qui deviendra son meilleur ami .
Les familles sont nombreuses et les fermes sont loin d’être extensibles, elles permettent de survivre mais il suffit d’une mauvaise récolte pour que le fragile équilibre s’effondre. Oskar est un homme déterminé mais son courage ne suffit pas à conjurer tout ce qui se ligue contre lui, alors quand son jeune frère Robert revient le dos en sang car il a été fouetté par un propriétaire pervers et brutal, vient vers lui et lui dit qu’il veut s’exiler en Amérique, Karl Oskar lui avoue qu’il en a lui même le projet. Il lui reste à convaincre sa femme qui a très peur de partir vers un lieu dont on ne sait rien ou presque. La mort pratiquement de faim de leur fille aînée sera la goutte d’eau qui décidera le couple à partir. Robert et Arvid seront de la partie.

Une autre famille partira avec eux, c’est celle d’un pasteur qui s’oppose au clergé traditionnel, car Danjel Andreasson a vu Dieu et en plus il accueille chez lui tous les réprouvés du village ? On y retrouve Arvid qui a fui son maître violent et surtout la rumeur lancée par une la mère de la fermière qui fait croire qu’il a eu des rapports sexuels avec une génisse. Cette rumeur lui rend la vie impossible et il sera si heureux de mettre l’océan entre lui et ce surnom qui le fait tant souffrir « Arvid le taureau ». Le pasteur a aussi recueilli la prostituée du village et sa fille . Ce personnage nous permet de comprendre toute la rigueur de l’église officielle mais aussi la façon dont d’autres pouvaient facilement s’imposer comme ayant vu Dieu.
Il me reste à vous présenter l’homme qui ne s’entendait plus du tout avec sa femme , un couple terrible où la haine a remplacé l’amour, l’homme partira seul. Nous sommes au début de l’exode des Suédois et tout le tome expose en détail la difficulté de se lancer dans un voyage aussi aventureux : on comprend très bien qu’en réalité la misère fait parfois qu’on n’a pas le choix, et Robert est tellement persuadé que l’Amérique est un eldorado où tout est possible ! Evidemment, on pense à tous les malheureux qui meurent dans les flots de le Méditerranée ou de la Manche , il y a des points communs dans la nécessité absolue de partir et aussi beaucoup de différences.

Le tome se termine sur les quais du de Karlshamm. Et évidemment on veut connaître la suite.

La suite, le tome 2, c’est donc la traversée et j’ai tout autant adoré. 78 Suédois s’entassent sur un vieux navire « la Charlotta » un brick mené par un capitaine taiseux mais bon marin. Le voyage était prévu pour trois ou quatre semaine mais il va durer presque trois mois. Les voyageurs connaîtront une tempête terrible et surtout des vents contraires qui ralentiront l’avancée du bateau. L’auteur décrit très bien le choc pour des hommes et des femmes qui ont passé toutes leur vie à travailler à se voir confiner dans un espace si petit et surtout ne rien faire. On sent aussi toute l’incompréhension entre les marins navigateurs et les paysans si terriens .

La famille de Karl Oskar est éprouvée car Kristina a un mal de mer terrible amplifiée parce qu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’elle va mourir sur ce bateau. Son mari est toujours aussi déterminé mais la santé de sa femme le fera douter.

Robert a décidé d’apprendre l’anglais , et s’oppose pour cela au clan du pasteur : Danjel (l’homme qui a vu Dieu) a persuadé ses ouailles que Dieu leur permettra de parle l’anglais dès leur arrivée car le miracle de la Pentecôte se reproduira pour tous ceux qui ont la foi …

La promiscuité sur le bateau donne des tensions entre les exilés, en particulier entre Kristina et Ulrika l’ancienne prostituée. Et lorsque les gens découvriront qu’ils ont des poux tout le monde accusera « la catin » , c’est pourtant la seule qui n’en a pas ! Le récit du passé d’Ulrika est d’une tristesse incroyable et mérite si peu l’opprobre des gens dits « honnêtes » qui n’ont jamais aidé la pauvre petite orpheline qui a été violée par son patron !

Nous connaissons bien maintenant ce petit monde d’exilés et la description de ce voyage terrible a été si bien raconté, j’ai vraiment hâte de lire la suite et de voir comment ils vont réussir à s’adapter à la vie américaine, j’espère que le pire est enfin derrière eux !

 

Extraits

Début tome 1

 Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Smâland, pour émigrer en Amérique du Nord.
 Ils étaient les premiers à partir. Leurs chaumière étaient petites sauf quand au nombre d’enfants. C’était des gens de la terre, héritiers d’une lignée cultivant depuis des millénaires la région qui laissait derrière eux.

Instruction.

 La plupart des habitants, tant de sexe mâle que féminin, savaient à peu près lire les caractères imprimés. Mais on rencontrait également, parmi les gens du commun, des personnes sachant écrire leur nom ; ceux dont les capacités allaient au-delà n’était pas légion. Parmi les femmes, seul un petit nombre savait écrire : nul ne pouvait imaginer à quoi cela pourrait servir pour des personnes de leur sexe.

Les malheurs des paysans.

 En juillet, sitôt la fenaison, il se mit à pleuvoir en abondance et une partie du foin fut emportée par les eaux. Une fois ce déluge terminé, le reste s’avéra entièrement pourri et inutilisable. Il sentait si mauvais que nulle bête ne voulait le consommer et, de toute façon il n’avait plus aucune valeur nutritive. Karl Oscar et Kristina durent donc vendre une de leurs vaches. Mais ce ne fut pas la fin de leur malheurs : une autre vache mit bas un veau mort-né et un de leurs moutons s’égara dans la forêt et fut la proie des bêtes sauvages. À l’automne, on constata, dans toute la région, que les pommes de terre avaient la maladie : quand on les sortait de terre près d’un tubercule sur deux étaient gâtés et pour chaque panier de fruits sains que l’on rapportait à la ferme on en avait un de pourris au point qu’on pouvait à peine les donner à manger au bétail. Au cours de l’hiver qui suivit, ils n’eurent donc pas de pommes de terre à mettre dans la marmite tous les jours.

Une idée des prix.

 Avec le lait de leur vache, Nils se Märta faisaient du beurre et le vendaient afin de rassembler l’argent nécessaire pour acheter une Bible alors fils, lors de sa communion. Celle qu’ils lui offrirent était reliée en cuir et n’avait pas coûté moins d’un rixdale et trente-deux skillings, soit le prix d’un veau nouveau-né. Mais elle était solide et on pouvait en tourner les pages. Il fallait bien qu’une Bible soit reliée pleine peau, si on voulait qu’elle vous accompagne toute votre existence.

Portrait des maîtres.

 Aron était coléreux et, quand il s’emportait, il lui arrivait d’assener à ses valets des gifles ou des coups de pied ; mais autrement c’était un brave homme assez bonnasse qui ne faisait de mal à personne. La maîtresse était plus difficile : elle battait tant son mari que les servantes, Aron avait peur d’elle et n’osait pas lui répliquer. Mais tous deux, à leur tour, redoutaient la vieille, l’ancienne fermière vivant dans une mansarde. Elle était si vieille qu’elle aurait dû être dans la tombe depuis longtemps, si le diable avait bien fait son travail. Mais sans doute avaient-ils peur d’elle, lui aussi.

Les premiers émigrants.

 Pour ces gens le pays dont il est question n’est encore qu’une rumeur, une image dans leur esprit personne sur place ne le connaît, nul ne l’a vu de ses propres yeux. Et la mère qui les sépare les effraie. Tout ce qui est lointain est dangereux, alors que le pays natal offre la sécurité de ce qui est familier. On conseille et on met en garde, on hésite et on ose, les téméraires s’opposent aux hésitants, les hommes aux femmes, les jeunes au vieux. Et ceux qui sont méfiants et prudents ont une objection toute prête : on ne sait pas « avec certitude » …
 Seuls les audacieux et entreprenants en savent assez long. Ce sont eux qui réveillent les villages endormis, c’est à cause d’eux que quelque chose se met à vibrer sous l’ordre immuable des siècles.

Je ne connaissais pas le mot marguillier ni leur fonction …

 Il demanda conseil à Per Persson, qui était celui de ses marguilliers en qui il avait le plus confiance. Il n’avait pas eu beaucoup de chance avec les autres : l’un s’introduisait dans la sacristie pendant les jours de la semaine et buvait le vin de messe au point qu’un dimanche le pasteur avait été obligé de renoncer à célébrer l’office. Un autre arrivait ivre à l’église et affichait le numéro des psaumes la tête en bas, sur le tableau prévu à cet effet . Un troisième s’était, un matin du jour sacré de Noël, rendu dans un coin de la tribune et avait uriné au vu de plusieurs femmes assises non loin de là.

Conception de la religion.

 Les gens simples faisaient mauvais usage de leurs lectures. Les autorités devaient se montrer vigilantes et sévères sur ce point : si l’on accordait au peuple un savoir nouveau – qui était en soi un bien – il fallait veiller à ce qu’il n’en mésuse pas. C’était le devoir sacré des autorité. Le peuple avait besoin de se sentir guidé par une main paternelle et le premier devoir de tout maître spirituel était d’implanté dans l’esprit de chacun l’idée que l’ordre établi l’avait été selon la volonté de Dieu et ne pouvait être modifiée sans son consentement.

Début tome 2

Le navire
 La « Charlotta » brick de cent soixante lastes, commandé par le capitaine Lorentz, appareilla de Karlshaml le 14 avril 1850 à destination de New York. Il mesurait cent vingt-quatre pieds de long sur vingt de large. Son équipage était constitué de quinze hommes : deux officiers, un maître d’équipage, un charpentier, un voilier, un cuisinier, quatre matelots, deux matelots légers et trois novices. Il était chargé de diverses marchandises parmi lesquelles des gueuses de fonte.
 Il transportait soixante-dix-huit émigrants partant pour l’Amérique du Nord et avait donc quatre-vingt-quatorze personnes à son bord.
C’était sa septième traversée en tant que transport d’émigrants

Sur le bateau opposition paysan marin.

 On en a pour un bout de temps, sur ce bateau. Aujourd’hui, j’ai demandé à un des marins combien il restait. Il m’a répondu qu’il y avait encore aussi loin d’ici, en Amérique que d’Amérique ici ces quasiment tout pareil. J’ai réfléchi un petit moment, je trouvais ça long. Mais il rigolait ce salaud-là et ceux qu’étaient autour ils rigolaient aussi, eux autres, alors je me suis fâché et pendant un moment j’ai voulu lui taper sur la gueule pour lui faire sortir les harengs qu’il a dans le bidon. Mais je lui ai seulement dit que je me fichais pas mal de savoir si c’était encore loin. Un marin qu’a déjà fait le trajet plusieurs fois, il devrait être capable de vous le dire, sinon il a pas à venir faire le malin et se moquer des gens honnêtes. Va pas croire, je lui ai dit que nous autres de la campagne, on est plus bêtes que vous qu’êtes tout le temps sur la mer. On comprend bien quand on se fiche de notre poire.

Le pasteur illuminé.

 Ma chère épouse redoute la langue que l’on parle en Amérique. La peur d’être sourd et muet parmi les habitants de ce pays étranger. Mais je te répète Inga-Lena, ce que je t’ai dit de nombreuses fois : Dès que nous parviendrons dans ce pays le Saint-Esprit se répandra sur nous et nous permettra de parler cette langue étrangère comme si nous étions nés sur la terre d’Amérique.
 Nous avons la promesse de notre Seigneur et nous avons la parole de la Bible que ce miracle interviendra, comme lors de la première Pentecôte.

Les préoccupations de la femme au service du Pasteur illuminé.

 On dit que le Sauveur allait toujours pieds nus, quand il prêchait parmi les hommes. Mais je suppose qu’en terre Sainte le sol est plus chaud qu’ailleurs, puisqu’il y pousse des figues de la vigne et toutes sortes de fruits. On peut comprendre que le Seigneur et ses apôtres n’est pas eu besoin de chaussettes de laine. Mon cher époux attrape toujours mal à la gorge, quand il a froid aux pieds, et il ne se soucie pas de son ventre comme il le devrait : celui-ci ne s’ouvre pas tous les jours, dit-il. Il est pourtant un bon conseil qui fit : Vide boyaux et garde tes pieds au chaud.

Le passé de la prostituée.

 Je me rappelle à peu près de tout depuis que j’ai été placée, après enchères publiques, à l’âge de quatre ans. J’avais perdu mes parents et l’enfant que j’étais devait être confié à quelqu’un qui acceptait de la nourrir et de la vêtir. J’ai été attribuée au couple d’Ålarum, car c’était lui qui demandait le moins pour mon entretien : huit rixdales par an. Le mari a ensuite regretté d’avoir consenti à me prendre pour si peu : je mangeais trop et j’usais trop de vêtements pour huit rixdales par an. Et mon père a adoptif ma fait payer ses regrets. À l’âge de quatorze ans, il a exigé de moi des compensations en nature. Et une gamine de quatorze ans qui était à la charge de la commune avait un moyen très simple de s’acquitter : il suffisait d’écarter les jambes et de se tenir tranquille.

L’inactivité sur le bateau.

 Pendant près des trois quarts de ces interminables journées en mer, la plupart d’entre eux restaient inactifs livrés à eux-mêmes sans rien pour occuper leurs mains. Et ces gens du labeur n’avaient jamais appris comment se comporter lorsqu’on n’a rien à faire.
 Ils étaient désemparés pendant ces heures d’oisiveté et se demandaient, en regardant la mer : qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Cette eau et ces vagues éternellement recommencées ne leur fournissaient aucune réponse. Il ne leur restait qu’à regarder l’horizon. C’est ainsi que s’écoulaient les jours, qui devenaient des semaines qui devenait alors tour des mois.
 Mais il trouvait le temps long et la vie à bord de la « Charlotta » monotone.

La mer et les paysans

 Ils venaient de la terre et allaient vers la terre. La mer n’était pour eux qu’un moyen de transport dont ils se servaient, une étendue d’eau qu’ils devaient traverser pour retrouver la terre. Ils ne l’empruntaient que pour aller d’un pays à un autre et ne comprenaient pas les marins qui n’allaient nulle part, étaient toujours à bord de ce bateau et ne faisaient que sillonner cette mer. Les paysans partaient dans un but précis, les marins allaient et venaient sans but.


Édition Gallimard, 349 pages, décembre 2023

 

Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour.

 

Voilà un roman pour lequel je n’ai aucune hésitation : j’ai tout aimé et jusqu’à la fin, il est écrit dans une langue claire et précise, quel plaisir de lecture !

Cette autrice raconte le destin d’un homme originaire du Cameroun, exactement d’un petit village sur la côte camerounaise, Campo, qui était un village de pêcheurs du temps de l’enfance de sa mère, et qui devient peu à peu une station balnéaire à la mode.

Trois temporalités et trois voix construisent ce récit.

D’abord, celle de son grand-père Zacharias, pêcheur à bord d’une pirogue qui est marié à une femme énergique et très amoureuse de lui, Yalana. ensemble ils ont eu deux filles, Dorothée la mère du personnage principal et Myriam la petite sœur. Ensemble, il verront arriver la coopérative qui va tuer peu à peu la pêche traditionnelle bien aidée en cela par les compagnies d’exploitation forestière, c’est sa vie et ses rêves qui donneront le titre au roman. La deuxième temporalité est celle de l’enfant de Dorothée, Zack vit avec sa mère dans un quartier très populaire New-Bell, sa mère est devenue une prostituée alcoolique. Zack est l’ami d’Achille et ensemble, ils sont à leur façon heureux mais un drame obligera Zack à s’enfuir du Cameroun à 18 ans, sans dire au revoir à ses amis ni à sa mère. Enfin la troisième temporalité, la voix de Zack devenu psychologue en France et marié à Julienne une psychiatre et père de deux filles. Quand ces trois temporalités se rejoignent , c’est à dire, quand, à 40 ans, il revient au Cameroun, tous les drames de son histoires s’éclairent d’un jour nouveau et lui permettront peut être d’être totalement libre de son destin sans rien renier de son passé.

À travers ce récit, tant de thèmes sont abordés, l’économie post-coloniale, et l’exploitation des populations locales, les injustices dans les pays africains, la force des traditions africaines et leur originalité, le racisme même involontaire en France, les difficultés de l’intégration, les conséquences de l’exil . Et par dessus tout , ce roman est un hymne au courage des femmes, car c’est grâce à elles que Zacharias arrivera à se construire, même si certains hommes ont été là pour lui éviter un sort terrible. Il a eu de la chance dans la vie, celle d’être aimé et de pouvoir suivre des études.

Et je n’oublie pas les descriptions de sites naturels qui m’ont fait voyager bien loin de ma Bretagne très humide et trop souvent grise à mon goût. Voilà j’espère vous avoir donné envie de le lire et de partager mon plaisir.

PS Gambadou avec qui je suis souvent d’accord est plus réservée que moi.

 

Extraits

Début.

À l’endroit où le fleuve se précipite dans l’Atlantique, l’eau est ardoise et tumultueuse. Elle s’éclaircit à mesure qu’elle s’éloigne des côtes, en nuances de gris de plus en plus claires, pour finir par refléter la couleur du ciel lorsque celui-ci devient le seul horizon.
 Le Pêcheur s’était lever tôt, comme à son ordinaire. Il s’éveillait avant Yalana et l’attirait doucement à lui. Elle protestait un peu dans son sommeil mais ne se dérobait pas. De dos, elle venait se lover contre lui dans une douce reptation, et son souffle de dormeuse s’apaisait à nouveau.

Les dangers du métier.

 Son père était pêcheur lui aussi, comme tous les hommes de sa famille depuis que le fleuve est l’océan s’épousaient ici. Un jour il était parti et n’était pas revenu. Un mois d’octobre, en plein cœur de la saison des pluies. Dans ces moments là, les pêcheurs savent que les eaux sont tempêtueuses, violentes et traîtresses : les repères se brouillent, les distances sont mensongères, les courants capricieux. Dans les contes pour enfants, le fleuve femelle s’emplit d’une eau étrangère telle une femme enceinte et l’océan mâle ne peut l’accueillir avec sérénité, alors il se met en colère, il enrage, il déborde et les baïnes sont furieuses. Même les plus jeunes savent que la période n’est pas propice à la baignade, qu’il vaut mieux se tenir loin des époux querelleur. La plupart des piroguiers abandonnent leur activité en pleine mer pour revenir à l’agriculture ou à une pêche moins risquée dans le fleuve. La saison des pluies correspond aux récoltes tous les bras valides sont sollicités.

Le passé du narrateur.

 Le passé remonta dans une houle si violente que j’en fus submergé. La vérité, c’est que ma mère était alcoolique et prostituée. Je l’aimais plus que tout au monde, pourtant je l’avais quitté sans un regard en arrière. Toutes ces années, je ne l’avais pas contactée, j’ignorais même si elle était vivante ou morte.

La fin de la pêche artisanale.

Les chalutiers ratissaient littéralement des bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre (…).
 Lorsque les premiers dérèglements apparurent les pêcheurs firent preuve de bonne volonté, ils travaillèrent davantage. Mais leurs conditions continuèrent de se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rembourser leurs dettes. C’est alors que la coopérative leur fit une dernière proposition : ils devaient travailler gracieusement à bord des chalutiers jusqu’au solde de leurs créances ensuite seulement ils recommenceraient à percevoir un salaire complet.

Les bourses.

 Et j’inventai le reste : mes parents morts tous les deux dans un accident de voiture, le rejet du reste de la famille, puis la chance de bénéficier d’une bourse d’étude grâce à mes résultats scolaires. Le tout se tenait tant que je n’avais pas à faire à des Camerounais. Eux savaient que le gouvernement n’attribuait plus de bourses, celles qui existaient étaient offertes par des organismes internationaux ou directement par des universités occidentales, et les élèves pauvres n’y avaient pas accès, elles disparaissaient dans les réseaux de gosses de riche.

La fuite dans l’exil.

 Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aura fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouver mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlés. Toutes les années, tous les instants, un à un sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyage l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi dans cet éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. 

L’intégration.

Je suis comme beaucoup d’immigrés, à chaque dégradation, délit, crime, chaque fois qu’un fait divers s’étale à la une des journaux, ma première pensée ne va pas à la victime, mais à la personne incriminée. Je pense d’emblée : « Pourvu que ce ne soit pas un Noir. » Il n’y a pas de singularité possible, nous sommes une communauté pour le pire. Les meilleurs d’entre nous, ceux qui se distinguent positivement, sont français, les pires sont ramenés à leur statut d’étrangers. Rien n’est acquis, le premier imbécile venu peut vous dire : « Rentrez chez vous », comme on vous foutrait à la porte. 

Édition Gallmeister, 280 pages, , juillet 2024.

Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Voilà donc un pur polar, sur Luocine, et c’est toujours mon club qui me conduit à de telles lectures. Je dois dire que j’ai compris pourquoi ce genre de livres peut trouver un public : vite lu, vite oublié mais on s’amuse pendant la lecture. Et puis challenge supplémentaire pour moi, je dois savoir rédiger un billet sans vous dévoiler l’intrigue pour ne pas nuire au suspens, sans quoi je crains de perdre d’un coup tous mes abonnés !

Je peux vous dire ce que j’ai trouvé amusant : nous sommes dans un roman où tout s’imbrique . Le récit a pour cadre une librairie spécialisée en polars, l’enquête est menée par des policiers mais aussi par des spécialistes de romans policiers et surtout le libraire, le roman fourmille d’ allusions à tous les auteurs du genre et sont autant d’indices pour comprendre l’intrigue principale, et finalement comme chez Agatha Christie la solution était là sous nos yeux, enfin presque.

Amusant aussi, les rapports du libraire, ex-professeur de mathématiques , converti en libraire, il doit rester aimable avec des clients qui ne sont pas faciles à satisfaire . Comme cette femme qui veut le roman policier, dont on a parlé hier à la télévision, dont la couverture est jaune (comme presque tous les polars en Italie) , celle qui veut offrir un livre à une personne qui n’aime pas lire, et tous les clients qui se trompent sur les titres ou le nom des auteurs, comme celui qui cherche « le chien de basketville » …

Le titre vient des deux chats qui vont devenir célèbres et aider à la vente de livres. Le personnage principal, le libraire est fort sympathique, il a démissionné de son métier de professeur car il s’en était violemment pris à un homme qui battait sa femme et son fils. Il est amoureux de la policière qui lui préfère son ami de toujours. Je pense que cela constitue un trio que nous reverrons dans d’autres enquêtes.

Je suis très contente de moi car je ne vous ai rien dit de l’intrigue, mais je ne sais pas si je vous ai donné envie de lire cet Agatha Christie italien dans le monde contemporain, à vous de me le dire.

 

Extraits

Début

 Une tornade dans le salon n’aurait pas fait autant dégâts. Voilà ce que disait Lucia Castangia devant le chant de bataille qu’était devenu son appartement. Le visage blême elle regarda autour d’elle à la manière d’un soldat rescapé d’une embuscade ennemi. Sous le choc, elle contempla le sol jonché de chips et de popcorn comme autant d’étuis de cartouches, les bouts de gâteaux écrasés sur la table et les meubles, les jouets piétinés impitoyablement, les éclaboussures de sodas sur les murs semblables à des marques de sang, les ballons de baudruche agonisant, les paquets cadeaux sauvagement éventrés et les canapés apéritifs répandus dans tous les coins. Elle dressa la liste des victimes civiles innocentes : vases détruits, cadres fracassés et plantes torturées. Un véritable carnage.

Début de l’intrigue policière. Un choix diabolique.

– Je suis ici pour tuer soit ta femme soit ton fils.
La famille Vinci blêmit.
– Soit elle … soit lui, répéta-t-il, on faisant passer le canon du pistolet de Lucia à Lorenzo. Tu as une minute pour me désigner qui. Une fois le temps écoulé, je les tuerai tous les deux et je te laisserai la vie sauve. Ensuite je m’en irai et tu ne me reverras plus jamais.


Édition Zulma, 410 pages, octobre 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

« La différence entre un romancier et historien, c’est que le premier ment consciemment pour son plaisir ; l’historien ment en toute innocence et s’imagine qu’il est en train de dire la vérité « 

Je vais rendre ce roman à la médiathèque sans l’avoir terminé, et je le dis tout de suite cela n’a rien à voir avec sa qualité, vous devez le lire pour en juger. La consigne du club est impérative : il faut rendre les livres en huit jours pour que nous soyons au moins quatre lectrices pour pouvoir discuter d’un roman. Or je ne suis qu’à la page 300 et il me faudra encore une semaine pour le finir, car c’est un auteur exigeant avec son lecteur.

Je commence par vous expliquer ce qui rend cette lecture difficile, outre les noms islandais qui sont comme chacun sait assez difficiles à prononcer et à retenir (Brynjólfur, Reyniri Myrdal … et encore je vous épargne les accents sur le y ..) le récit tourne en rond sans arrêt , on ne peut pas se laisser porter ni par la chronologie ni par les lieux où se passent le récit car l’auteur nous entraîne dans le monde entier entre 1700 et nos jours.

Et pourtant, une lecture attentive rend ce roman passionnant, car il décrit mieux qu’un récit historique la relativité de tous les faits historiques et nous rend très vivant l’Islande, ce pays plébiscité par les touristes aujourd’hui.

Le roman commence au 18° siècle, et décrit une éruption volcanique qui, dit-il, aura pour conséquence, entre autre la révolution française. Nous suivons deux personnages, un pasteur accusé d’avoir tué l’ancien mari de son épouse actuelle et donc ce fils d’horloger, Jörundur, un aventurier qui sera roi d’Islande pendant deux mois. Mais avant de lire ce moment vous connaitrez tous les plis et replis des aventures des deux personnages, le pasteur et l’aventurier qui passera par la Tasmanie, l’Angleterre, le Danemark et même souvent par de petites allusions en Europe aujourd’hui.

Je ne peux pas vous en dire plus car j’ai dû arrêter ma lecture mais je la reprendrai peut-être à un autre moment et peut-être comprendre pourquoi je n’ai pas été embarquée par ce roman et n’avoir donc pas fini cette lecture .

 

Extraits

Début.

 » Un innocent réclamerait- il vengeance ? Aurai-je répandu le sang d’un être humain ? Me serai-je enrichi aux dépens du peuple, aurai-je nui à autrui ? A-t-on jeté des gens en prison parce qu’ils s’opposaient à ma personne ? »
 Telles furent à peu près les objections de Jørgen Jørgensen lorsqu’il tenta de se défendre face à ceux désormais innombrables, qui refusaient de l’écouter. Cet homme qui s’appelait Jørgen Jørgensen, autant dire Monsieur Tout-le-monde, nous autres Islandais le baptisâmes Jörundur, roi de la canicule. À sa manière, il est d’ailleurs le seul roi que nous eûmes vraiment.

Un passage au début du roman qui m’a fait dire que j’aimerai beaucoup ce livre et son humour .

 Le signe le plus manifeste de sa popularité et que nous nous rappelons à peine les noms de nos véritables souverains et encore moins ceux de leurs reines, sauf lorsqu’elles étaient particulièrement autoritaires. Ou si elles trompaient leurs maris, les empoisonnaient, voire se livraient à des choses plus croustillantes encore, ce qui permettait de broder une foule d’anecdotes.
 En dehors de cela nous ne nous sommes jamais vraiment intéressés à toute cette clique. La plupart de nos monarques se confondent et ce résument plus ou moins chiffre romain accolé à leur prénom. Et presque aucun ne posa le pied sur le sol d’Islande.
 Certes, nous leur envoyions parfois des lettres de doléances, et aussi surprenant que cela puisse paraître, il arrivait qu’ils y répondent, mais lorsqu’ils daignaient le faire, nos fonctionnaires et nos chefs ignoraient leurs préconisations, un peu comme aujourd’hui lorsque nous portons des affaires de vent des juridictions étrangères.

Toujours l’humour

Jón Steingrimsson est le seul pasteur au monde à avoir arrêté une éruption en célébrant l’office divin, c’est donc un personnage comme qui dirait d’envergure mondiale. Il est difficile de dire si un pasteur d’aujourd’hui serait aussi efficace pour lutter contre une coulée de lave.

Opinion toute britannique

  » Mon opinion est que Jorgenson est un vaurien, que Phels l’est autant que lui et que le comte Trampe est un brave homme, aussi brave que peuvent l’être les Danois lorsqu’ils le sont, bien qu’ils ne puissent d’évidence pas l’être autant qu’un brave Anglais. »

Les Anglais voyageurs.

Ce qu’il y a de remarquable avec les récits de voyages des Britanniques, bien que certains soient très distrayants, c’est que ces gens se sentent toujours chez eux où qu’ils aillent. Ils ne peuvent s’empêcher de tout ramener à l’Angleterre, alors le modèle absolu, considérant que les Anglais sont des êtres supérieurs qui observent différentes sortes de sauvages.

 

 

 


Édition « le bruit du monde », 229 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a un un vrai talent pour faire vivre devant nos yeux des personnages populaires qui sont souvent les oubliés de la grande Histoire. Rose est une enfant née d’une femme qui l’a abandonnée sur le seuil d’une famille qui l’a élevée comme le veut la tradition Corse. Sa naissance se passe en 1908, elle sera heureuse de pouvoir quitter cette famille où elle a eu peu de place pour épouser un homme frustre mais qui ne la rendra pas malheureuse. Dès qu’ils le pourront, ils partiront à Toulon où Paul Dominique, son mari, et leurs trois enfants se bâtiront une vie de labeur, son mari sera ouvrier à l’arsenal. Après la guerre 39/45, Rose va connaître Farida, une Algérienne qui va l’éveiller à la vie, à la lecture, et à la vie politique. Toute cette première partie qui représente les deux tiers du livres m’ont vraiment enchantée, Farida vit dans un bidonville pas très loin de la maison de Rose, peu à peu, Rose connaîtra tous les habitants de ce bidonville. Les habitants sont surtout des Algériens et parfois des Portugais. Après la guerre d’Algérie et le départ de Farida, j’ai trouvé que le roman s’est essoufflé.

La vie de Rose n’est pas racontée de façon linéaire, elle parle de sa fille, Nonciade, on sent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible. On comprendra pourquoi Rose est si éteinte quand elle rencontre Farida, la mort de Nonciade est une des clés pour comprendre Rose. Mais sa naissance et son enfance explique bien des traits de son caractère. Son mari, ses enfants sont plus difficiles à comprendre, ils restent en arrière plan. Pourtant son mari, a une belle personnalité et j’aurais aimé en savoir plus sur lui.

L’amitié entre Farida et Rose, est la partie la plus riche du roman. Cela permet au lecteur de comprendre la situation des Algériens en France, et qui permettra à Rose de sortir de son deuil. L’auteur a voulu aller au-delà de cette période, pour élargir l’engagement de Rose vis à vis de tous les émigrés si mal accueillis en France. Ça ne marche pas vraiment, car d’une relation intimiste d’amitié de deux femmes qui se libèrent de carcans différents, on arrive à une dimension sociale contemporaine où leur histoire se dilue .

Je ne peux que vous conseiller cette lecture au moins pour les trois quarts et peut-être, que vous serez même conquis par la fin. Le style de l’auteur est très particulier sans aucune fioriture, il semble parfois brutale à force de simplicité.

 

Extraits

Début.

 » Tu verras aucun homme ne peut résister à la couleur du henné », me dit Farida. Je souris.
 Je suis la danse de ses doigts au-dessus de ma tête, séparant chaque mèche du reste de ma chevelure, avant de l’enduire d’une couche épaisse depuis sa racine. De son visage je ne vois que ses lèvres charnues, colorées de carmin, son menton rond, la courbe ample de son cou. De son corps, ses épaules pleines, sa poitrine généreuse que je lui envie tant, sous la gandoura.

Naissance.

Février 1903 commune de Belgodère, Haute-Corse. Je rentre brutalement dans le monde – la date exacte de ma naissance jamais établie. Simplement arrêtée par notre maire, quelques jours plus tard, au dix-huit du mois après observation des fontanelles de mon crâne, et examen de la peau fripée de mes mains et de mes pieds.
 Depuis plusieurs semaines, le froid s’est installé. Le gel s’attarde sur les chemins jusqu’à tard dans la matinée. Il n’y aurait jamais eu autant de fractures au village que cet hiver là. On m’a langée d’un linge de drap. Enroulée dans un châle de laine grise. Passée un bonnet trop large qui me descend jusque sur les yeux. Déposée au petit matin sur le pas de la porte d’une maison qui allait devenir la mienne. Et la femme qui y habitait, ma mère adoptive par la force des choses. Désignée ainsi par la main innocente et anonyme qui m’a abandonné là, quelques heures plus tôt. Contrainte bon gré, mal gré d’en accepter la charge. Comme le voulait alors la coutume dans nos villages.

 

Le titre.

Heureusement je suis protégé par l’œil de la perdrix.
– L’œil de la perdrix ?
Elle a pointé du doigt son front où était tatoué ce petit losange dont chaque extrémité renflée ressemblait à une croix. Il m’intriguait. Depuis notre première rencontre. Mais je n’avais pas osé lui en demander l’origine ni le sens. J’avais toujours pensé que les marques sur les corps, qu’elles soient rituelles ou de naissance – je me souviens de cette tâche de vin qu’avait notre voisin au village, sur tout un côté du visage, de la base de données à la naissance du cou -, ne justifiait aucune indiscrétion.
– C’est ma mère qui me l’a fait tatouer. Elle avait le même sur son front est sur ses joues. C’est nous dans le Mzab, la perdrix est le signe de la beauté et de la grâce. Mais surtout elle préserve du mauvais sort.

La place de la femme .

Je repense au mari de ma mère adoptive, à la naissance de son premier fils. Sa mine des bons jours, son air guilleret, se frappant la cuisse de joie. Buvant des canons. Invitant autour de lui. Faisant venir tout exprèsde Bastia un daguerréotypeur pour immortaliser l’évènement, sacrifiant un agneau pour le dédommager – les photos encadrées au-dessus de la cheminée. Reproduisant la chose à l’identique pour le suivant. Ses fils. Mes frères. Princes attendus. Comme venus du ciel. Prenant toute la place qu’on leur laisse. Sans partage ni brutalité. Donation de droit divin. Nous à leurs côtés, ma mère adoptive et moi, réduites aux restes. Étrangères à leur solidarité d’hommes. Cantonnées aux rôles des grandes muettes.


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.


Édition JC Lattès, 213 pages, août 20024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

L’auteure dans ce premier roman – le mot roman figure sur le dos du livre- raconte sa quête pour retrouver ses racines paternelles.

Virginia Tagvald est la fille du navigateur, Per Tangvald qui a été connu dans les années 70, pour plusieurs raisons : il naviguait sur un bateau sans aucun confort et uniquement à la voile, il a embarqué sa famille pour naviguer sur toutes les mers du globe, deux de ses femmes sont mortes en mer, et finalement, il mourra ainsi que sa deuxième fille en faisant naufrage sur les rochers de l’île de Bonaire au large du Venezuela . Son fils Thomas sera rescapé de ce naufrage mais lui aussi périra en mer beaucoup plus tard.

Elle dédie son livre à sa mère qui, dit-elle, l’a fait naître deux fois . Effectivement, en fuyant son mari, elle lui a permis de vivre.

Le roman va de personnages en personnages qui ont connu son père. Cela empêche le récit de trouver son unité et même parfois, on se demande ce que ces gens apportent à sa recherche, par exemple la rencontre avec Yvon Le Corre, ce navigateur a rencontré son père et a navigué sur le même genre de bateau uniquement à voile sans aucun confort, ni moteur, mais il n’apporte rien à son récit.

En réalité, je me suis empêchée pendant toute la lecture de penser que son père était un assassin et que je le détestais de toutes me forces. La mort de ses deux femmes est horrible et tellement bizarre, la première aurait été assassinée par des pirates mais qui n’ont rien volé sur son bateau et lui ont laissé la vie sauve ainsi qu’à son fils Thomas , quand à la deuxième, elle est passée par dessus bord sans savoir nager. Le voilà débarrasser de deux femmes qu’il avait obligé auparavant à accoucher en pleine mer sans aucune assistance ! enfin son naufrage avec à son bord sa petite fille enfermée à clé dans un cabine à l’avant de son bateau , il traînait derrière lui le petit bateau de son fils Thomas qui aurait dû lui aussi périr, il survivra mais sera marqué par ce drame, n’oublions pas qu’il avait déjà vécu la mort de sa mère.

Ce que je ne comprends pas, dans son récit c’est pourquoi elle n’interroge pas plus sa mère : la seule personne que j’aurais eu envie d’entendre.

J’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à Per Tangvald, je comprends l’envie de sa fille de mieux connaître son père et de ne pas le juger, mais rester ainsi entre deux eaux sans prendre partie enlève beaucoup de force à son propos. Je me sentais tellement en colère contre son père qui profite de son beau physique d’homme du nord et ses qualités de navigateurs pour séduire des jeunes femmes. Toutes les femmes qui ont eu des bébés doivent me comprendre, comment peut on ne pas tout faire pour que les femmes qu’on aime accouchent dans les meilleures conditions possibles ? Le navigateur va les entraîner au milieu de l’océan où elles vont accoucher sans aucune aide si ce n’est la sienne, enfin, elles y survivront mas pas très longtemps .

Et puis comme toujours quand quelqu’un cherche la mort et entraîne ses enfants avec lui, cela me révolte au plus profond de moi, son naufrage final ressemble beaucoup plus à un suicide qu’à un accident.

En écrivant ce billet je me rends compte que j’aurais voulu que sa fille se révolte contre l’image du navigateur solitaire, beau comme un viking. Il y a trop de morts autour de cet homme ! Et si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, une accumulation de malheurs non plus !

 

Extraits

Début

Bonaire , côte est de l’île, juillet 1991
 Crabe bleu, visqueux et luisant, campé sur les rochers. Les enfants l’ont vu, ils s’approchent lentement. Ils sont trois. Le corail est tranchant comme un poignard. Il suffit de l’effleurer pour saigner. Il veille à ne pas se couper. Le corail est mort depuis longtemps ; des squelettes blancs et friables, les bras tendus vers le ciel comme s’ils ne savaient pas qu’ils étaient morts. Il craque sous les pas des enfants, leurs éclats roulant en cascade avec un tintement de clochette. Le crabe déguerpit et disparaît dans les crevasses. 
Le rire des enfants se mêlent au vent.

Le malheur : hasard ou pas ?

Comment sa destinée a basculé ensuite, quand, en route vers l’Australie, le long de la côte de Bornéo, sa femme et mère de leur enfant, Thomas, avait été assassinée par des pirates. Comment il avait perdu une deuxième épouse en mer en 1985, tombée par-dessus bord pendant une traversée de l’Atlantique. Ne sachant pas nager, elle avait disparu dans les flots. C’était la mère de Carmen.

La vérité ?

Avant de quitter le port en direction du Venezuela en passant par Porto Rico pour récupérer son fils, Peter avait demandé à Garry de l’aider à hisser la grand-voile pour partir. Il avait refusé, estimant que s’il était trop faible pour hisser la grand-voile, il serait trop faible pour naviguer avec un enfant de 8 ans enfermé dans la cabine avant. Peter fut aidé par d’autres marins qui en frissonnent encore quand ils en parlent. « Pauvre enfant », disaient-ils. Tous savaient qu’elle allait mourir. Depuis Gary était hantée par la culpabilité d’avoir abandonné cette petite fille à son sort. Honteux, il faisait tout pour conjurer le souvenir de ce monstre de Tangvald.
 En apprenant l’identité de Thomas Tangvald, il avait conclu que Thomas ne s’était jamais libéré de la cabine de son enfance. Que cette prison, il la portait partout avec lui.

La deuxième naissance de l’écrivaine.

 Mon père nous implorait de revenir. Il ne supportait pas qu’on puisse lui échapper.
 Ma mère l’avait quitté sur un coup de tête, sans le prévenir, à Porto Rico, quand j’avais 2 ans. Elle avait appelé sa propre mère depuis une cabine téléphonique pour lui demander d’acheter un billet d’avion et avait sauté dans le premier vol vers Toronto pour la rejoindre. Elles étaient déjà loin quand mon père comprit qu’elle était partie. Elle n’aimait pas cette ville. Elle répétait qu’on en partirait bientôt, quand elle saurait où elle aimerait vivre et ceux qu’elle aimerait faire de sa vie. Elle avait vingt-deux ans.

 

 


Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.

Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.

Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.

Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.

Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.

Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.

Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé

 

Extraits

Début et idée du style

 Longtemps j’ai enseigné ma fin
 à l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes
– combien ?
– ils ne se comptent plus
– et les femmes, compte-les
– conte aussi les femmes
 se demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal
– c’est la saison 
-le carnage de la chasse achève
 Au-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit 

 

Ce n’est pas simple à comprendre .

en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos

Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.

– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourne 
 Le drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait  ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen 

La misère évoquée à travers ce passage.

 Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort
– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
 La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire
– lisse, lisse ma crinière, belle enfant
– peine et tresse et soigne ma déchéance
– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes
– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles 
– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt 
– trop de poupées, pas assez filles
– le recel d’adolescentes est un problème lointain 
– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants
– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il faut
 le notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur
– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond


Édition Grasset, 282 pages, août 2024

J’étais devenu comme eux. Pas mieux.

Il a écrasé sa cigarette, avant de conclure :

– Le cycle de la vengeance est sans fin, petit frère. 

J’avais tant aimé « Petit Pays » que je savais que je lirai « Jacaranda » . J’ai lu des critiques mitigées à propos de ce roman. Je trouve cette lecture indispensable, quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à la construction romanesque. Ce roman suit l’histoire de Milan né (comme l’auteur) d’une mère Rwandaise et d’un père français. Milan vit à Paris, et cherche à savoir ce que sa mère a vécu. Cette quête sur sa famille et le passé de sa mère que nous ne découvrirons qu’à la toute fin du roman, permet à l’écrivain de raconter son pays qui a cherché à exterminer toute une partie de sa population. La construction du livre n’est pas simple, car on va d’un personnage à un autre et d’une époque à une autre. Ces gens sont si meurtris par ce qu’ils ont vécu que bien peu acceptent de parler, un peu à l’image de sa mère qui aura du mal à exprimer ses sentiments vis à vis de son fils. La pudeur lui est sans doute naturelle mais on devine que les souffrances ont fermé son cœur et l’ont laissée sans voix comme si l’horreur l’empêchait à tout jamais de montrer la moindre faiblesse. Deux personnages accepteront de raconter les massacres, Eusébie, la mère de Stella la petite fille qui se réfugie dans le Jacaranda devant chez elle dès qu’elle se sent mal. Eusébie qui n’a rien voulu dire à sa fille, le fera devant des milliers de personnes dans le stade , où tous les ans se réunissent les Rwandais qui ne veulent pas oublier. Elle est survivante d’un massacre qui a vu mourir ses 5 enfants, son mari et ses voisins . Stella est née après et elle veut comprendre son pays, elle recueillera les confidences de sa grand-mère Rosalie qui lui raconte le Rwanda d’avant , ce pays où on ne cherchait pas à savoir si on était Hutu ou Tutsi.

L’autre rescapé de ce génocide c’est Claude, qui a vécu un moment avec Milan en France, il fait partie de la famille de sa mère, mais celle-ci le renverra au Rwanda sans aucune explication. Quand Milan revient au Rwanda, c’est toujours vers Claude qu’il revient. Il cherche à l’aider même financièrement sans grand résultat. Le coup de machette qui a été porté à la tête de Claude l’empêche de pouvoir faire des études et comme toute sa famille a été assassinée il décide très tôt de se venger en tuant à son tour l’assassin de sa famille qui est pour l’instant emprisonné. Il vit chez Sartre un Hutu qui recueille des orphelins Tutsis .

C’est vrai que l’on se perd un peu au milieu de tous ces personnages, mais la ligne directrice de l’auteur est claire : comment pardonner et comment vivre ensemble, les victimes étant obligées de vivre au milieu de leurs bourreaux ? C’est si difficile et le lecteur se demande tout le temps si c’est possible. L’auteur veut aussi nous aider à comprendre le génocide mais c’est si énorme que cela reste incompréhensible. Traiter des êtres humains de « cafards » et les déshumaniser explique- t’il toute la haine avec laquelle les Hutus ont recherché le moindre Tutsi pour l’assassiner à coups de machette. Je reste avec mes questions et ma peine de devoir perdre encore un peu plus mes illusions sur l’humanité

Extraits

Deux débuts

Premier en italique.

 Stella s’était précipité dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. Son ami, son enfance, son univers. Les hommes aux machettes étaient sales, luisants de sueur, satisfaits d’eux-mêmes. Elle avait poussé un cri de terreur avant de tomber à genoux dans l’herbe, la main pressée sur son ventre, le visage en feu. 
Depuis ce jour Stella est internée.

Deuxième début.

 1994
La guerre ! J’ignore pourquoi j’ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m’a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté  : »la guerre ? » J’ai répété : « Oui, la guerre.  » Je n’allais quand même pas avouer que je n’avais rien foutu, que j’étais un tire-flanc qui passait son temps à rêvasser et à écouter du rock. Il fallait trouver une explication convaincante, impossible à vérifier, et qui puisse émouvoir le conseil de classe.

L’insoutenable témoignage d’un responsable des tueries.

 C’est Gaspard qui a insisté pour qu’on ne tue pas les autres dans la bananeraie. Il ne faisait que répéter les ordres du bourgmestre qui avait demandé de ne pas laisser les corps pourrir sur les collines pour des questions d’hygiène. C’est Gaspard qui a eu l’idée de déshabiller les Tutsi et de récupérer les habits avant qu’ils ne soient tâchés de sang. Les autres étaient d’accord, ils voulaient offrir de beaux cadeaux à leurs filles et à leurs épouses en rentrant le soir chez eux après le travail. Quand le groupe a été entièrement nu, nous nous sommes mis en route. J’en vois certains, ici, dans cette assemblée qui me regarde comme un criminel. Mais ce jour-là, en traversant le village, les mêmes qui me jugent aujourd’hui étaient sur le bord du chemin à pointer les Tutsi du doigt, à se moquer du corps des femmes, à leur cracher dessus, à leur jeter des pierres, à les traiter de cafards et de serpents. J’ai peut-être tué de mes mains mais vous les avez toutes condamnés à mort par vos regards sans pitié, vos mots et vos pensées. Vous ne valez pas mieux que moi ! Je devais dire cela. Je continue. Là-haut, sur la colline se trouvait une fosse d’aisance que nous avions déjà utilisée pour jeter quelques Tutsi dans les premiers jours des massacres. Une fois devant, les petites filles se sont agenouillées et ont commencé à s’excuser d’être tutsi. Les femmes savaient que c’était fini. Nous avons précipité toute la famille dans la fosse sceptique. Après nous avons rebouché avec une dalle de béton.

Les Belges.

 Le 16 avril 1994, les patients et de nombreuses personnes ayant trouvé refuge dans le bâtiment ont été abandonnées par les soldats belges. Je me souviens des images à la télé, de ces milliers de personnes levant les bras en l’air, implorant l’aide du contingent belge, qui finit par évacuer uniquement les Occidentaux et leurs animaux de compagnie alors que l’hôpital était cerné par les tueurs.