Traduit de l’anglais (Irlande) par Isabelle D. Philippe. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard thème : « en chantant ».
Pour une fois, je crois qu’il vaut mieux voir le film que lire le livre qui l’a inspiré.
Film d’Alan Parker.
Le film est très drôle, visiblement, j’admire le talent des cinéastes qui savent à partir d’un tel livre faire un excellent film. On sent bien cependant toute la vie qui jaillit des dialogues mais c’est très très pénible à lire. Pour vous faire une idée je vous recopie un passage, tout le roman est écrit sous cette forme là. J’ai fini par survoler plus que vraiment le lire.
Citation
Création du groupe
-Tous ces trucs à la noix sur l’amour, la campagne et les rendez-vous avec les meufs dans les supermarchés ou au McDonald, c’est fini, à la masse. C’est malhonnête, déclara Jimmy.C’est bourgeois… -Merde ! -C’est des trucs ringards, Dieu merci ! -Qu’est ce qui marche alors ? lui demanda Outspan -Je vais te le dire. Le sexe et la politique. -Quoi ? -Le vrai sexe. Pas le genre sentimental « Je te tiendrai la main jusqu’à la fin des temps » Baiser, foutre… tu vois ce que je veux dire ? -Je crois. -Mais on ne peut pas dire « foutre » dans une chanson objecta Derek…
Je suis mort. C’est pas le pire qui pouvait m’arriver.
J’ai besoin de cet auteur, j’ai besoin de son humour, il me fait tellement de bien depuis sa « Grammaire impertinente » jusqu’à « Mon autopsie ». Il me fait éclater de rire même si je suis seule, et dans mon blog, peu de livres ont eu ce pouvoir. Evidemment, après, je partage les extraits de son livre avec tous ceux et toutes celles qui ont ri avec Pierre Desproges, un exemple des grands amis de cet auteur.
Dans « Mon autopsie », Jean-Louis Fournier répond à la critique qu’on lui a sans doute faite de s’être moqué de toute sa famille sauf de lui. Dans ce livre, il se passe donc lui-même sur le grill de son esprit caustique, il ne s’épargne guère, après son père alcoolique, sa mère du Nord , ses deux enfants handicapés, sa fille religieuse, sa femme qu’il a tant aimé, le voilà, lui l’écrivain. Lisez ce roman vous saurez tout sur Jean-Louis Fournier, disséqué par une jeune étudiante en médecine. Évidemment, l’auteur a besoin que cette jeune femme soit belle et émouvante. Au fur et à mesure qu’elle s’arrête sur telle ou telle partie de son corps, des souvenirs lui reviennent. Il cherche aussi à comprendre cette jeune femme et sa vie amoureuse. Les dialogues sont savoureux. Le livre ne se raconte pas vraiment, j’ai recopié quelques passages pour vous donner envie de l’ouvrir. Il réussit même à nous faire accepter que lui aussi va mourir et que ce n’est peut-être pas si triste (personnellement son humour me manquera).
Citations
Un chapitre entier pour vous
Laissez moi rire
Égoïne a découvert sur mon torse un tatouage au niveau du cœur, » S’il vous plaît ne me ranimer pas do not disturb ».
Il était destiné à mon dernier médecin, il a compris le message. Elle a ri. Toute ma vie j’ai voulu faire rire. Le faire encore, après ma mort, m’est délicieux.
Petit, je me déguisais, j’improvisais des sketchs. À l’école, mon goût de faire rire m’a coûté cher. En retenue tous les dimanches, j’étais le mauvais exemple de la classe. Pour me faire remarquer je n’étais jamais à cours d’idées, jusqu’à mettre une statue de la Sainte Vierge plus grande que moi dans les chiottes. Là, je fus mis à la porte. Mais j’avais fait rire ma mère.
Pour un bon mot, j’étais prêt à tout. Pour éviter des poursuites judiciaires, j’ai même utiliser l’humour. Poursuivi pour avoir stationné dans la cour des départs de la gare du Nord, j’ai reçu un courrier m’enjoignant de payer pour arrêter les poursuites. J’ai écrit à Madame la SNCF que je refusais l’arrêt des poursuites, je tenais à être châtier pour expier. Je lui demandais une dernière faveur, être déchiqueté par le Paris Lille en gare d’Arras.
Les poursuites se sont arrêtées.
Pour moi l’humour était un dérapage contrôlé, un antalgique, une parade à l’insupportable, une écriture au second degré, une arme à double tranchant, un détergent. Il nettoie, comme la pyrolyse, brûle les saletés, efface les tâches, les préjugés, les rancœurs et les rancunes.
Plus tard, dans mes livres, j’ai essayé de rire de tout.
De la grammaire, de l’alcoolisme de mon père, de l’hypocondrie de ma mère, de mes enfants handicapés, de ma vieillesse et j’ai voulu rire de ma mort…
J’en connais d’autres, tous élevés chez les curés
Quand j’étais petit, un curé, à la confession, avant de me donner l’absolution, m’avait dit que la nuit il fallait prier avec ses mains, ça évitait de tripoter ses « parties honteuses ».
Ça ne m’a pas empêché de continuer.
Je me sortirais. Les pensées impures étaient-elles des péchés mortels ? Évidemment, je n’osais le demander à personne.
Ma jeunesse a été empoisonnée par le péché mortel, et la peur d’aller en enfer.
Si drôle
Plus de mille fois j’ai récité » Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».
Heureusement, Dieu ne m’a jamais exaucé
On pleure quand on arrive sur terre, pourquoi on râle quand on doit partir ?
Jamais content.
J’appelais pour donner des nouvelles, rarement pour en demander, et il ne fallait pas que ça dure longtemps.
» Ce qui m’intéresse le plus chez les autres c’est moi » a écrit Francis Picabia.
Cette phrase me va comme un gant.
Et pour vous faire « mourir » de rire son ami si drôle
Plongée dans des œuvres très longues et trop sérieuses, j’ai eu besoin de lire un livre qui me fasse sourire. Ce pauvre petit Icare, qui préfère (et de loin) qu’on l’appelle Courgette, a réussi à me faire passer une excellente soirée. J’ai recopié le début du livre pour donner l’idée du ton et de la façon de raconter. Derrière ce qui n’est qu’une fable autour de l’enfance malheureuse, apparaissent aussi tous les récits des enfants qui sont broyés par des parents injustes et violents. J’ai quand même été un peu agacée par le côté « tout finira bien » pour notre petite « Courgette » qui voulait voir la vie en couleurs. La vie de cet enfant avait tout pour finir en tragédie, une mère alcoolique et violente, un père totalement absent. Le roman commence alors que, par malheur, il tue sa mère croyant « tuer » le ciel que sa mère invoque sans cesse pour expliquer tous ses malheurs. Un gendarme au grand cœur, va être touché par ce petit bonhomme et va faire de son mieux pour l’aider à sortir de ce marasme.
Le charme du roman vient du style, l’enfant ne comprend aucune image ni cliché, si son père est parti avec une poule, c’est pour lui une poule comme celle qui sont dans la cour de ses voisins paysans. Le procédé est assez répétitif et j’ai du mal à croire qu’un enfant de 9 ans soit aussi peu capable de compréhension au deuxième degré de sa propre langue. Ensuite, sa naïveté est trop totale et trop pure. J’ai donc des réserves sur ce roman, mais cela ne m’a absolument pas empêché de le lire avec grand intérêt. Comme je l’ai dit, c’est une fable et je souhaite qu’elle vous fasse autant de bien qu’elle m’en a fait et je souhaite aussi que les enfants mal-aimés trouvent tous un homme ou une femme qui les aimera assez fort pour les remettre sur le chemin de l’espoir et de la vie.
Le début
Depuis tout petit, je veux tuer le ciel à cause de maman qui me dit souvent :
– Le ciel, ma courgettes, c’est grand pour nous rappeler qu’on est pas grand-chose dessous.
– La vie, ça ressemble en pire à tout ce gris du ciel avec ces saloperies de nuages qui pissent que du malheur.
-Tous les hommes ont la tête dans les nuages. Qu’ils y restent donc, comme ton abruti de père qui est parti faire le tour du monde avec une poule.
Des fois, maman dit n’importe quoi.
J’étais trop petit quand mon papa est parti, mais je vois pas pourquoi il aurait emmené une poule au voisin pour faire le tour du monde avec. C’est bête une poule : ça boit la bière que je mélange aux graines et après ça titube jusqu’au mur avant de s’écrouler par terre.
Et c’est pas sa faute si maman raconte des bêtises pareilles. C’est à cause de toutes ces bières qu’elle boit en regardant la télé.
Et elle râle après le ciel et elle me tape dessus alors que j’ai même pas fait de bêtises.
Et je finis par me dire que le ciel et les coups ça va ensemble.
Si je tue le ciel, ça va calmer maman je pourrais regarder tranquille la télé sans me prendre la raclée du ciel.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Hœpffner avec la collaboration de Catherine Goffaux.
Le récent article de Keisha m’a amenée à relire ce roman que j’avais abandonné, il m’a fallu toute la force de sa conviction pour que je le termine. J’ai failli plus d’une fois faire comme Sandrine renvoyer ce roman aux oubliettes. Il est construit autour d’un texte perdu, caché, présenté comme « unique » et « superbe », il donne, donc, au lecteur une seule envie : le lire à son tour pour partager et comprendre ce plaisir mais les extraits qui sont donnés sont (pour moi) des flops, cette déception a entraîné une partie de mon désamour pour ce ce livre.
Extrait du livre présenté comme un chef d’oeuvre
Pendant l’age du verre, chacun pensait qu’une partie de son corps était extrêmement fragile. Pour certains c’était une main, pour d’autres un fémur, et d’autres encore pensaient que c’était leur nez qui était en verre. L’âge du verre avez suivi l’âge de la pierre en tant que processus évolutif de correction, avait introduit un sentiment nouveau de fragilité dans les relations humaines qui encourageait la compassion.
Pourquoi autant de mystère autour d’un texte aussi inintéressant ! Mais le pire n’est pas là, le côté absolument insupportable de ce roman c’est sa construction. Les personnages sont reliés entre eux par des fils qui sont si emmêlés que l’on ne sait pas ce qui les rapproche. Il y a cependant de très beaux passages, les évocations des différents aspects de l’extermination des juifs de Pologne et d’Europe centrales. Le poids de tous ces morts et les souvenirs qui ne peuvent plus être ravivés par les vivants mais qui se sont arrêtés alors que les parents, les frères les sœurs, les amants et amantes avaient encore le reste de leur vie à partager avec la fratrie ; cela finit par étouffer les survivants. J’aurais tant voulu apprécier ce livre, je suis bien triste de ne pas y être parvenue.
Citations
Une mère envahissante
Quand je disais que j’allais dans ma chambre elle m’appelait : « Que puis-je faire pour toi, je t’aime tellement », et j’avais toujours envie de dire,mais sans jamais le faire : Aime- moi moins.
Le grand amour
Et si l’homme avait autrefois été un garçon qui avait promis qu’il ne tomberai jamais amoureux d’une autre fille tant qu’il vivrait a tenu promesse, ce n’est pas parce qu’il était têtu ni même loyale. Il ne pouvais pas faire autrement. Et, après s’être caché pendant trois ans et demi, caché son amour pour un fils qui ne savait même pas qu’il existait ne paraissait pas impensable. Pas si c’était ce que la seule femme qu’il aimerait jamais lui demanderait de faire. Après tout, quelle importance si un homme doit cacher une chose de plus lorsqu’il a complètement disparu ?
Un juif réfugié au Chili et le poids de la découverte du sort de ceux qui sont restés en Pologne.
La guerre s’acheva. Petit à petit, Livinov apprit ce qu’était devenu sa soeur Myriam, et de ses parents, et de quatre autres frères et sœurs (ce qui était arrivé à son frère aîné André, il ne put le deviner qu’à partir de probabilité). Il apprit à vivre avec la vérité. Pas à l’accepter, mais vivre en sa compagnie. C’était comme s’il vivait avec un éléphant. Sa chambre était minuscule et, chaque matin, il devait se glisser le long de la vérité simplement pour se rendre à la salle de bains. Pour atteindre l’armoire et sortir des sous-vêtements, il lui fallait passer à quatre pattes sous la vérité, en priant qu’elle ne choisisse pas ce moment précis pour s’asseoir sur son visage. La nuit, quand il fermait les yeux, il la sentait planer au-dessus de lui.
Ce festival permet de voir deux sortes de films. Les films en compétition qui sont des films de jeunes réalisateurs et qui ont le mérite d’être audacieux et permettent de se rendre compte que même sans gros budget on peut réaliser des films qui ont beaucoup d’intérêt.
Depuis quelques années je participe à ce festival avec ma sœur, et c’est important de le faire à deux car parfois au bout d’une dizaine de films, on se décourage et à deux on se remotive.
Pour les films en compétition un film que nous avons adoré a eu le Hitchcock d’or du jury
Seule la terre
Un film de Francis Lee.
Film qui a pour sujet central, l’homosexualité dans une ferme anglaise. Mais qui est surtout un éveil au sentiment amoureux. Très beau film très sensible. Aucun personnage n’est dans la caricature, tout est plausible et filmé avec beaucoup de délicatesse.
Notre film préféré qui n’a eu aucune récompense.
Jawbone
Un film de Thomas Napper.
Nous avons pleuré et été très émues par le personnage principal un ancien boxeur. Son combat le plus difficile n’est pas celui où il reçoit le plus de coups. C’est un alcoolique et cet homme qui a un courage incroyable se laisse dominer par l’alcool. Ce film est servi par des personnages secondaires très émouvants.
Pili , Hitchcock du public
Film documentaire de Leanne Welham.
Les femmes africaines portent beaucoup sur leur dos. Et cette maman Pili, contaminée par le Sida que son mari lui a transmis avant de l’abandonner a touché le cœur des festivaliers. Ce film a été tourné par les femmes du village qui jouent leur propre rôle et cela donne un accent de vérité à ce film qui se passe en Tanzanie.
Trois films en compétition, nous ont moins plu :
Une prière avant l’aube
D’un français Jean Stéphane Sauvaire qui raconte le parcours d’un jeune drogué anglais dans les prisons thaïlandaises . C’est encore la boxe qui lui permettra de s’en sortir mais que de violence avant la lueur d’espoir ! C’est tiré d’une histoire vraie.
Daphné
De Peter Mackie Burns, une très jolie actrice pour un film dont nous n’avons pas du tout compris l’intérêt. En revanche la présidente du Jury Nicole Garcia aurait aimé récompenser ce film , il a obtenu le prix du scénario alors que justement, je n’ai pas vu qu’il y en avait un, de scénario.
England is mine
De Mark Gill, un film qui raconte l’adolescence du chanteur Morrissey avant qu’il ne soit célèbre. Un personnage odieux que le film n’arrive pas à rendre intéressant.
Dans les avant-premières nous n’avons pas pu tout voir mais ne ratez surtout pas dès qu’il passera :
À l’heure des souvenirs
De Ritesh Batra.
Nous avons eu la chance que l’acteur principal Jim Broadbent vienne nous présenter son film. C’est un petit chef d’oeuvre, on ne peut absolument pas le raconter sans risquer de ce faire traiter de divulgâcheuse, et pour une fois je suis absolument d’accord. Tout l’intérêt du film vient de ce que l’on se prend de sympathie pour certains personnages et que peu à peu la réalité transforme notre opinion. Peut-être, en ai-je trop dit déjà !
Une belle rencontre
De Lone Sherfig.
J’ai adoré ce film, même si j’ai trouvé la fin un peu longuette, mais c’est sans doute l’effet festival : le rythme s’accélère qu’on le veuille ou non. L’histoire : les anglais décident en 1942, de tourner un film pour remonter le moral des Britanniques. Un film dans un film, avec en toile de fond la guerre c’est vraiment passionnant. Le numéro d’acteur de Bill Nighly est génial.
In Another life
De Jason Wingard.
C’est trop dur les films sur l’immigration actuelle, cela passe par Calais et et tout me bouleverse dans ce genre de film. J’ai juste une remarque, je n’arrive pas à comprendre pourquoi la Grande Bretagne semble pour eux un Eldorado et la France un enfer.
Patrick’s day
De Terry Mc-Mahon.
Les rapports entre la mère et son fils schizophrène sont poignants et la souffrance de cet homme très bien rendu. Nous avons toutes les deux (ma sœur et moi)été très émues par ce film.
Final portrait
De Stanley Tucci.
C’est toujours un peu compliqué les films sur la création artistique, ici on suit bien les évolutions du peintre et sculpteur Giacometti mais quel odieux personnage !
La mort de Staline
De Armando Lanucci.
Ce film respecte bien la vérité historique mais fait des hauts dignitaires soviétiques : des marionnettes absolument creuses, lâches, stupides qui veillent simplement à sauver leur peau . Le film ne choisit pas entre humour et tragédie et c’est un peu gênant.
Un documentaire, culpabilisant et pas très bien fait à notre avis.
Douleur de la mer
De Vanessa Redgrave.
Une séance de courts métrages
À boire et à manger mais c’est assez normal le genre veut ça.
et enfin nous avons eu la chance de voir aussi…
Confident Royal
De Stephen Frears.
Un classique dans le genre des films britanniques. Que tous ceux et toutes celles qui aiment Downton Abbey se précipitent !
Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot.
Les cinq coquillages veulent dire, tout simplement, qu’il faut lire ce livre car il nous en apprend tant sur une période qu’on voudrait à jamais voir bannie et fait réfléchir sur la langue du monde politique qui veut manipuler plus que convaincre. Rosa Montero dans « la folle du logis« en parlait et elle m’a rappelé que je voulais le lire depuis longtemps. À mon tour de venir conseiller cette lecture à toutes celles et tous ceux qui se posent des questions sur le nazisme en particulier sur l’antisémitisme des Allemands. Ce pays hautement civilisé qui en 1933 permit que l’on inscrive à l’entrée de l’université de Dresde où Victor Klemperer enseignait la philologie :
« Quand le Juif écrit en allemand, il ment. »
Comment cet homme qui se sent tellement plus allemand que juif peut-il comprendre alors, qu’aucun de ses chers confrères n’enlèvent immédiatement cette pancarte ? Cet homme qui a failli laisser sa vie pour sa patrie durant la guerre 14-18 ne peut accepter le terrible malheur qui s’abat sur lui. Pour ne pas devenir fou, il essaie d’analyser en bon philologue la langue de ses bourreaux. Il cachera le mieux qu’il peut ses écrits et leur donnera une forme définitive en 1947. Comment a-t-il survécu ? contrairement à son cousin Otto le chef d’orchestre, il est resté en Allemagne, marié à une non-juive ; il a survécu tout en subissant les lois concernant les Juifs alors qu’il était baptisé depuis de longues années. La veille des bombardements de Dresde, il devait être déporté avec sa femme, les conséquences tragiques du déluge de feu qui s’est abattu sur sa ville lui ont permis de fuir en dissimulant son identité.
Son essai montre de façon très précise comment on peut déformer l’esprit d’un peuple en jouant avec la langue et en créant une pseudo-science . Il semble parfois ergoter sur certains mots qui ne nous parlent plus guère, mais ce ne sont que des détails par rapport à la portée de ce livre. Il est évident que Victor Klemperer réussit à survivre grâce à l’amour de sa femme et le dévouement d’amis dont ils parlent peu. Il est tellement choqué par la trahison des intellectuels de son pays qu’il a tendance à ne rien leur pardonner et être plus attentif aux gens simples, qu’ils jugent plus victimes du régime que bourreaux . Pour ceux qui avaient la possibilité de réfléchir, il démontre avec exactitude qu’ils ont failli à leur mission d’intellectuels. Malheureusement dans un passage dont je cite un court extrait, on voit que sa clairvoyance s’est arrêtée au nazisme et qu’il est lui-même aveuglé par l’idéologie communiste. Le livre se fait poignant lorsque Victor Klemperer se laisse aller à quelques plaintes des traitements qu’il subit quotidiennement. Que ce soit » le bon » qu’il reçoit pour aller chercher un pantalon usagé réservé aux juifs, puisqu’il ne peut plus acheter ni porter des vêtements neufs, ou le geste de violence qui le fait tomber de la plate-forme du bus, seul endroit que des juifs peuvent utiliser dans les transports en commun. Avec, au quotidien, la peur d’enfreindre une des multiples règles concernant les juifs et l’assurance, alors, d’être déporté : avoir un animal domestique, avoir des livres non réservés aux juifs, dire Mendelssohn au lieu du « juif Mendelssohn », sortir à des heures où les juifs n’ont pas le droit d’être dehors, ne pas laisser la place assez rapidement à des aryens, ne pas claironner assez fort « Le juif Klemperer » en arrivant à la Gestapo où de toutes façon il sera battu plus ou moins fortement … un véritable casse-tête qui fait de vous un sous-homme que vous le vouliez ou non.
Lors de la réflexion sur le poids des mots et des slogans en politique, j’ai pensé que nous avions fait confiance à un parti qui s’appelle « En marche », et que ces mots creux ne dévoilaient pas assez, à travers cette appellation, les intentions de ceux qui allaient nous gouverner. En période troublée, les mots comme « République » ou « Démocratie » sont sans doute plus clairs mais engagent-ils davantage ceux qui s’y réfèrent ?
Citations
Pour situer ce livre, on peut lire ceci dans la préface de Sonia Combe
À la fin de la guerre, Victor Klemperer et à double titre un survivant. Tout d’abord, bien entendu, parce qu’il a fait partie de ces quelques milliers de Juifs, restés en Allemagne, qui ont échappé à la déportation. Mais, en second lieu, parce qu’il demeure ce qu’il a toujours été, un Juif irrémédiablement allemand, un rescapé de la « symbiose judéo-allemande », de ce bref moment de l’histoire allemande qui permit la sécularisation de l’esprit juif, l’acculturation des juifs et leur appropriation de l’univers culturel allemand. Quoi qu’il en soit de la réalité de cette symbiose, aujourd’hui le plus souvent perçu comme un mythe ou l’illusion rétrospective d’une relation d’amour entre Juifs et Allemands qui ne fut jamais réciproque, Klemperer est l’héritier spirituel de cette Allemagne fantasmé et désiré – au point qu’elle restera, quoi qu’il arrive et pour toujours, sa seule patrie possible.
La mauvaise foi des scientifiques allemands de l’époque nazie
Le congrès de médecine de Wiesbaden était lamentable ! Ils rendent grâce à Hitler, solennellement et à plusieurs reprises, comme « Au Sauveur de l’Allemagne »-bien que la question raciale ne soit pas tout à fait élucidée, bien que les « étrangers » , August von Wassermann médecin allemand 1866 1925, Paul Ehrlich,médecin allemand 1854 1915 prix Nobel de médecine en 1908 et Neisser aient accompli de grandes choses. Parmi « mes camarades de race » et dans mon entourage le plus proche, il se trouve des gens pour dire que ce double « bien que » est déjà un acte de bravoure et c’est ce qu’il y a de plus lamentable dans tout cela. Non, la chose la plus lamentable entre toutes, c’est que je sois obligé de m’occuper constamment de cette folie qu’est la différence de race entre Aryens et Sémite, que je sois toujours obligé de considérer tout cet épouvantable obscurcissement et asservissement de l’Allemagne du seul point de vue de ce qui est juif. Cela m’apparaît comme une victoire que l’hitlérisme aurait remportée sur moi personnellement. Je ne veux pas la lui concéder.
L’influence Nazie dans les couches populaires.
Frieda savait que ma femme était malade et alitée. Un matin, je trouvais une grosse pomme au beau milieu de ma machine. Je levais les yeux vers le poste de Frieda et elle me fit un signe de tête. Un instant plus tard, elle se tenait à côté de moi : « pour ma petite mère, avec toutes mes amitiés ». Puis d’un air curieux et étonné, elle ajouta : » Albert dit que votre femme est allemande. Est-elle vraiment allemande ? »
La joie que m’avait causée la pomme s’envola aussitôt. Dans cette âme candide qui ressentait les choses de manière absolument pas nazie mais, au contraire, très humaine, s’était insinué l’élément fondamental du poison nazi ; elle identifiait » Allemand » avec le concept magique d’ » Aryen » ; il lui semblait à peine croyable qu’une Allemande fut mariée avec moi, l’étranger, la créature appartenant à une autre branche du règne animal ; elle avait trop souvent entendu et répété des expressions comme « étrangers à l’espèce », » de sang allemand », « racialement inférieur », « nordique » et « souillure raciale » : sans doute n’associait-elle à tout cela aucun concept précis, mais son sentiment ne pouvait appréhender que ma femme pût être allemande.
L’auteur se pose cette question :
Mais voilà que le reproche que je m’étais fait pendant des années me revenait à l’esprit, ne surestimais-je pas, parce que cela me touchait personnellement de manière si terrible, le rôle de l’antisémitisme dans le système nazi ?
Non, car il est à présent tout à fait manifeste qu’il constitue le centre et, à tout point de vue, le moment décisif du nazisme dans son ensemble. L’antisémitisme, c’est le sentiment profond de rancune éprouvés par le petit-bourgeois autrichien déchu qu’était Hitler ; l’antisémitisme, sur le plan politique, c’est la pensée fondamentale de son esprit étroit. L’antisémitisme, du début jusqu’à la fin, le moyen de propagande le plus efficace du Parti, c’est la concrétisation la plus puissante et la plus populaire de la doctrine raciale, oui, pour la masse allemande c’est identique au racisme. effet, que sait la masse allemande des dangers de l » negrification » (Verniggerun) et jusqu’où s’étend sa connaissance personnelle de la prétendue infériorité des peuples de l’Est et du Sud-Est ? Mais un Juif, tout le monde connaît ! Antisémitisme et doctrine raciale sont, pour la masse allemande, synonyme. Et grâce au racisme scientifique ou plutôt pseudo-scientifique, on peut fonder justifier tous les débordements et toutes les prétentions de l’orgueil nationaliste, chaque conquête, chaque tyrannie, chaque extermination de masse.
Originalité de l’antisémitisme nazie
Dans les temps anciens, sans exception, l’hostilité envers les Juifs visait uniquement celui qui était en dehors de la foi et de la société chrétienne ; l’adoption de la confession et des mœurs locales avait un effet compensateur, et (au moins pour la génération suivante) oblitérant. En transposant la différence entre Juif et non-Juifs dans le sang, l’idée de race rend tout compensation impossible, elle rend la séparation éternelle et la légitime comme œuvre de la volonté divine
Aveuglement sur le communisme
Car il est urgent que nous apprenions à connaître le véritable esprit des peuples dont nous avons été isolés pendant si longtemps, au sujet desquels on nous a menti pendant si longtemps. Et l’on ne nous a jamais menti autant que sur le peuple russe… Et rien ne nous conduit au plus près de l’âme d’un peuple que la langue… Et pourtant, il y a » mettre au pas » et « ingénieur de l’âme » -tournures techniques l’une et l’autre. La métaphore allemande désigne l’esclavage et la métaphore russes, la liberté.
Le cogneur et le cracheur les deux hommes de la Gestapo qui ont tourmenté Klemperer pendant de longues années, ils les opposent aux intellectuels
Le cogneur et le cracheur, c’étaient des brutes primitives (bien qu’ils eussent le grade d’officier), tant qu’on ne peut pas les assommer, il faut supporter ce genre d’homme. Mais ce n’est pas la peine de se casser la tête dessus. Alors qu’un homme qui a fait des études comme cet historien de la littérature ! Et, derrière lui, je vois surgir la foule des hommes de lettres, des poètes, des journalistes, la foule des universitaires. Trahison, où que se porte le regard.
Il y a Ulitz, qui écrit l’histoire d’un bachelier juif tourmenté et la dédie à son ami Stefan Zweig, et puis au moment de la plus grande détresse juive, voilà qu’il dresse le portrait caricatural d’un usurier juif, afin de prouver son zèle pour la tendance dominante.
Deux livres qui se suivent traduits par le même traducteur, j’aimerais tant confronter mon opinion à la sienne. Autant je me suis sentie enfermée dans le bon roman « les filles au lion » autant je me suis sentie libre dans celui-ci. Libre d’aimer , libre de croire à l’histoire , libre d’imaginer les personnages. La cuisine et la recherche (parfois très compliquée) des bons aliments sont à le mode visiblement dans tous les pays. L’avantage de prendre comme fil conducteur la cuisine , c’est de traverser toutes les couches de la société américaine. Entre le grand bourgeois raffiné qui peut payer un repas d’exception et le petit mitron qui épluche les légumes l’éventail des personnalités et des situations est assez large. L’avantage aussi, c’est que comme pour toute forme d’art, seul le travail paye. Et devenir une chef mondialement connue comme le personnage Eva Thorvald est une tension de tous les instants entre les exigences de la vie et celle du créateur.
Dans ce roman, la très bonne cuisine n’est pas tant une sophistication de la cuisson que l’exigence de la qualité des produits. Toute création cache une souffrance et celle d’Eva vient de sa naissance , abandonnée par sa mère , orpheline trop tôt d’un père qui a juste eu le temps de lui donner le goût de la bonne nourriture, elle rame pour survivre d’abord au lycée. Ah ! les lycées américains la violence qui y règne est d’autant plus surprenante que ce n’est pas l’image que j’en avais. Souvent quand j’interrogeais les étudiants américains sur leurs années lycée, ils me disaient que cela représentait pour eux un grand moment de bonheur, alors que les jeunes Français détestent presque toujours leur lycée. Le roman s’intéresse ensuite à différents personnages, l’on croit quitter Eva mais on suit son parcours et sa progression comme chef d’exception à travers les rencontres qu’elle est amenée à faire, elle n’est plus alors le personnage principal, et cela nous permet de comprendre un autre milieu à travers une autre histoire.
On passe du concours de cuisine consacré aux barres de céréales où toutes les mesquineries habituelles dans ce genre de compétition sont bien décrites, à l’ouverture de la chasse aux cerfs d’une violence que je ne suis pas prête d’oublier. La scène finale rassemble les éléments du puzzle de la vie d’Éva dans un moment d’anthologie romanesque et culinaire. Finalement c’est au lecteur de réunir tous les personnages, j’ai relu deux fois ce roman pour être bien sûre d’avoir bien tout compris. Un grand moment de plaisir dans mon été qui était plutôt sous le signe de romans plus tristes et je le dois à Aifelle qui avait été tentée par Cuné et Cathulu.
Citations
Légèreté et d’humour explication du lutefisk
Peu importe que ni Gustaf ni sa femme Elin, ni ses enfants n’aient jamais vu, et encore moins attrapé, assommé, fait sécher, trempé dans la soude, retrempé dans l’eau froide, un seul poisson à chair blanche, ni accompli la délicate opération de cuisson nécessaire pour obtenir un aliment qui, quand il était préparé à la perfection, ressemblait à du smog en gelée et sentait l’eau d’aquarium bouillie.
Toujours le lutefisk
Lars, quant à lui, fut stupéfait par ces vieilles scandinaves qui vinrent le trouver à l’église pour lui dire : » Un jeune homme qui prépare le lutefisk comme toi aura beaucoup de succès auprès des femmes ». Or, d’après son expérience, la maîtrise du lutefisk provoquait généralement du dégoût, au mieux de l’indifférence, chez ses rencards potentiels. Même les filles qui prétendaient aimer le lutefisk ne voulaient pas le sentir quand elles n’en mangeaient pas, mais Lars ne leur laissait pas le choix.
Rupture amoureuse
« – Mais en attendant, contentons-nous d’être amis. »
Will avait déjà entendu cette phrase et il avait appris à ne plus écouter ce que disait la fille ensuite parce que c’était du baratin.
Le maïs
Anna Hlavek cultivait un produit rare, presque inouï : une variété de maïs à pollinisation libre qui n’avait pas changé depuis plus de cent ans. D’après ce qu’elle savait, Anna avait hérité d’un stock de semences ayant appartenu à son grand-père, qui les avait achetés par correspondance ….en 1902. C’était exactement le même maïs que mangeait les arrières-grands-parents d’Octavia dans leur ferme près de Hunter dans le Dakota du Nord : des grains charnus, fermes et juteux qui explosaient dans la bouche, si sucrés qu’on aurait pu les manger en dessert.
Classe aisée américaine
Octavia qui avait grandi à Minnetonka, entouré de gens fortunés au goût sûr, qui avait obtenu des diplômes d’anglais et de sociologie à Notre-Dame, dont le père était avocat d’affaires et la belle-mère un ancien mannequin devenue représentante dans l’industrie pharmaceutique, était destinée à épouser un homme comme Robbe Kramer. Elle n’aspirait pas à une vie meilleure que celle qu’elle avait connue dans son enfance ; elle n’avait pas besoin d’être plus riche, juste aisée, auprès d’un ami comme Robbe, attaché au même style de vie. Elle serait heureuse, elle le savait, de l’accompagner dans ses dîner de bienfaisance politique, et de charmer les épouses moins intelligentes de ces futurs associés. Elle avait même appris à jouer au golf, elle savait confectionner vingt sept cocktails différents, elle pouvait regarder un match des Minnesota Vikings et comprendre ce qui se passait sans poser de questions.
J’avais apprécié avec quelques réserves « Miniaturiste« , je n’ai donc pas hésité à me plonger dans son nouveau roman. Cette auteure sait captiver son lectorat. Et je m’en voudrais de vous dévoiler tous les ressorts de l’intrigue. Tout tourne autour d’un tableau qui a été peint en Espagne au début de la guerre civile. L’intrigue romanesque se passe en deux lieux et en deux temps. En Grande-Bretagne en 1957, dans la galerie d’art Skelton dirigée par un certain Edmund Reed et une Femme Marjorie Quick, notre apprentie écrivaine Odelle Bastien vient se présenter pour un poste de dactylo. Elle est originaire des Caraïbes et dans l’Angleterre de ces années-là, on sent très bien le rejet des « gens de couleurs ».
L’autre moment se passe en Espagne à côté de Malaga, une famille germano-britannique vit là pour aider Sarah Schloss, épouse d’Harold négociateur d’œuvres d’art, à sortir de sa dépression. Leur fille Olive peint mais en cachette de son père qui, elle en est certaine, n’apprécierait pas les tableaux d’une femme et encore moins de sa fille. La famille est aidée par Izaac et Teresa Robles, deux jeunes espagnols originaires du village. On assiste au début des violences qui amèneront la guerre civile espagnole et à une passion à la fois pour la peinture et l’amour charnel. La jeune Olive est une grande artiste qui aimerait tant que son père ne la regarde plus comme une jeune fille dilettante de la bonne société. La guerre en Espagne puis le sort des juifs vont complètement battre les cartes de façon telle que personne ne puisse s’y retrouver. En 1957, le jeune Lawrie Scott vient dans la galerie où travaille Odelle faire évaluer le tableau qui a de tout temps accompagné sa mère : « les filles au Lion » , Odelle qui commençait à s’adapter à la vie londonienne, ne s’attendait pas à la violence de la réaction de sa patronne Marjorie Quick. Il faudra les 500 pages du roman pour que tous les fils se dénouent.
Jessie Burton est vraiment maître des intrigues et nous les suivons avec intérêt car elle sait mettre en toile de fond la réalité historique et elle raconte très bien. Et pourtant… encore une fois, j’ai quelques réserves peu partagées par la blogosphère. J’ai lu ce roman avec beaucoup d’attention , on ne peut pas faire autrement qu’être attentive car sinon on perd vite le fil. Je devrais savoir gré à Jessie Burton de cela. Mais voilà, je me suis aussi sentie prisonnière de cette intrigue et j’avais plus envie de finir ma lecture que de la retrouver les personnages tous les soirs et rester rêver avec eux . Pour moi, elle en fait trop. C’est comme un filet qui nous enserre, je perds ma liberté quand je la lis. Je pense que cette auteure ne me convient pas tout à fait , heureusement elle a beaucoup d’admiratrices parmi les blogs que j’apprécie donc vous pourrez lire des avis enthousiastes qui me contredisent.
Citations
Description de Londres
Je devenais une observatrice expérimenté des poussées irrégulières et des cicatrices de l’habitat londonien. Les codes postaux, la brique, rosier ou pas, le décrottoir, la hauteur du perron ou son absence constituaient un langage que j’avais appris. Vous ne pouviez pas vivre ici sans remarquer les différences entre les rues où régnaient la paix ou le chaos, un chien galeux vautré près du caniveau, des enfants en haillons, une haie de buis bien taillée, un rideau soulevé qui dansait. À Londres il existait de nombreuses façons de vivre, mais peu de façon de changer de vie.
La création féminine en peinture 1936
Sais-tu combien d’artistes vend mon père ? Vingt six, la dernière fois que j’ai compté. Sais-tu combien il y a de femmes parmi eux ? Aucune. Pas une seule. Les femmes en sont incapables, figure-toi. Elles n’ont pas de vision. Pourtant si je ne m’abuse, elles ont des yeux, des mains, un cœur et une âme.
Racisme ordinaire en 1957
Elle ne connaissait pas d’autres gens de couleur, m’a-t-elle confié le jeudi de cette première semaine. Quand je lui ai répondu que je n’en connaissais pas non plus, en tout cas pas sous ce nom, elle m’a regardé avec une expression d’un vide abyssal.
Un portrait bien croqué
À vingt et un ans, Pat Rudge était la dernière descendante d’une longue lignée d’habitants de l’East End. Une choucroute laquée tenait en équilibre sur sa tête et elle avait assez de khôl autour des yeux pour maquiller cinq pharaons.
Le cinéma français vu par un Anglais
» Vous préférez peut-être aller voir un de ces films français où les gens n’arrêtent pas d’entrer, de sortir et de se regarder ? »
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Bisseriex. Livre lu grâce à Babelio et offert par les éditions « le nouveau pont ».
Pat Conroy fait partie des auteurs qui savent me transporter dans un autre monde et dans un autre genre de vie. J’ai lu tous ses romans et sa mort m’a touchée. Le monde dans lequel il me transporte, c’est la Louisiane ou l’Alabama. Il sait me faire aimer les états du Sud, pourtant souvent peu sympathiques. Il faut dire qu’il vient d’une famille pour le moins non-conventionnelle : sa mère qui se veut être une « parfaite dame du Sud », n’est absolument pas raciste, car si elle est en vie, c’est grâce à une pauvre famille de fermiers noirs qui l’a nourrie alors qu’elle et ses frères et sœurs mouraient de faim pendant la grande dépression. Le racisme, l’auteur le rencontrera autant à Chicago dans la famille irlandaise qu’à Atlanta mais sous des formes différentes. L’autre genre de vie, c’est sa souffrance et sans doute la source de son talent d’écrivain : une famille « dysfonctionnelle », un père violent et des enfants témoins d’une guerre perfide entre parents dont ils sont toujours les premières victimes.
Ce livre est donc paru (en France ?) après la mort de son auteur et explique à ses lecteurs pourquoi malgré cette enfance absolument abominable il s’est réconcilié avec ses deux parents. Il montre son père « le grand Santini » sous un jour différent grâce au recul que l’âge leur a donné à tous les deux. Cet homme aimait donc ses enfants autant qu’il les frappait. Il était incapable du moindre mot de gentillesse car il avait peur de les ramollir. Plus que quiconque le « grand Santini » savait que la vie est une lutte terrible, lui qui du haut de son avion a tué des milliers de combattants qui menaçaient les troupes de son pays. Un grand héros pour l’Amérique qui a eu comme descendance des enfants qui sont tous pacifistes.
Pat Conroy a fait lui même une université militaire, et il en ressort écœuré par les comportements de certains supérieurs mais aussi avec une certaine fierté de ce qu’il est un … « Américain » . Il décrit bien ces deux aspects de sa personnalité, lui qui pendant deux ans est allé enseigner dans une école où il n’y avait que des enfants noirs très pauvres. Il dit plusieurs fois que l’Amérique déteste ses pauvres et encore plus quand ils sont noirs. Mais il aime son pays et ne renie pas ses origines.
On retrouve dans cette biographie l’écriture directe et souvent pleine d’humour et dérision de cet écrivain. Il en fallait pour vivre chez les Conroy et s’en sortir. On reconnaît aussi toutes les souffrances qu’il a si bien mises en scène dans ses romans. On peut aussi faire la part du romanesque et de la vérité, enfin de la vérité telle qu’il a bien voulu nous la raconter. Ce livre je pense sera indispensable pour toutes celles et tous ceux qui ont lu et apprécie Pat Conroy
Citations
Un des aspect de Pat Conroy son estime pour certains militaires
À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.
Genre de portrait que j’aime
Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.
Toute famille a son barjot
Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.
Son père
Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».
Humour que l’on retrouve dans les romans de Pat Conroy
-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.
-Pourquoi ?
– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires
La sœur poète et psychotique
Ma sœur Carole Ann a vécu une enfance vaillante et sans louange mais surtout une enfance d’une solitude presque insupportable. Elle aurait été un cadeau pour n’importe quelle famille mais passa inaperçue la plupart du temps. À tout point de vue, c’était une jolie fille qui n’arrivait pas à la hauteur des attentes des mesures et de sa mère. Malgré elle, Peg Conroy avait le don insensé de faire croire à ses filles qu’elles étaient moches.
Son rapport à l’Irlande
Dans mon enfance, tout ceux qui me frappaient était irlandais, depuis mon père, ses frères et ses sœur, jusqu’aux nonnes et aux prêtres qui avaient été mes enseignants. Je percevais donc l’Irlande comme une nation qui haïssait les enfants et qui était cruelle envers les épouses.
L’éloge funèbre de Pat Conroy à son père
Il ne savait pas ce qu’était la mesure, ni même comment l’acquérir. Donald Conroy est la seule personne de ma connaissance dont l’estime de soi était absolument inébranlable. Il n’y avait rien chez lui qu’il n’aimait pas . Il n’y avait rien non plus qu’il aurait changé. Il adorait tout simplement l’homme qu’il était et allait au devant de tous avec une parfaite assurance. Papa aurait d’ailleurs aimé que tout le monde soit exactement comme lui.
Son obstination été un art en soi. Le grand Santini faisait ce qu’il avait à faire, quand il le voulait et malheur à celui qui se mettait en travers de son chemin.
Traduit par André Fayot post face de Bertrand Fillaudreau.
La lecture de ce livre de mémoires me prouve que la blogosphère a permis à mes goûts littéraires d’évoluer. J’ai pris un grand plaisir à cette lecture que je dois à Dominique ( elle même remercie Keisha). Je voulais connaître cet homme qui est considéré comme le « père des parcs nationaux aux USA » . Mes enfants y font des balades extraordinaires chaque été et leurs photos donnent envie de s’y rendre. J’ai toujours cet étonnement face à ce paradoxe, le pays le plus pollueur de la planète est aussi celui qui semble adorer le plus la nature vierge. Plusieurs lectures récentes convergent pour me donner l’impression que l’homme agriculteur est devenu le plus grand prédateur des espèces végétales et animales. Faire pousser du blé ne peut se faire qu’aux prix de souffrances infinies pour l’homme et la nature.
John Muir, les souffrances, il connaît, élevé par un père d’une rigueur qui frise le tortionnaire, il a connu les pires brimades physiques dès son enfance : coups, engelures, travaux de forçat ; il a tout accepté au nom d’un respect filial qui lui vient, on se demande pourquoi ? et comment ?
Toute son enfance, surtout son émerveillement de la nature qui s’offre à lui quand il arrive dans le Wisconsin, est très agréable à lire et on suit avec attachement les péripéties de chaque découverte qu’offrent ces lieux souvent encore vierges. La fin est beaucoup moins passionnante, il est vrai qu’il ne s’agit plus de son enfance. Cet enfant à 10 ans est capable de comprendre la trigonométrie tout seul avec des livres, à 14 ans de construire des horloges sans plan préalable, il a vraiment une intelligence totalement hors norme. Il a appris à lire et à écrire seul ou presque à 4 ans. Il parle latin et allemand. J’aurais aimé qu’il raconte mieux son adaptation au monde des adultes quand il ne vit plus sous la férule de ce père que j’ai détesté tout au long du livre.
Citations
Éducation écossaise fin du XIXe
Je ne vois rien qui puisse me pousser aujourd’hui à concentrer plus fort mon attention que quand j’étais enfant, ce que réussissait le fouet -une gigantesque raclée le plus souvent. Les instituteurs écossais de la vieille école ne passaient pas leur temps à tenter de trouver des chemin raccourcis vers la connaissance, ni d’expérimenter les dernières trouvailles en matière de méthode psychologique, tellement en vogue de nos jours. Il n’était pas question de rendre nos bancs confortables, ni nos leçons faciles. On nous collait seulement de but en blanc devant nos livres, comme des soldats face à l’ennemi, en nous ordonnant d’un ton sans réplique : « Allez au travail ! Apprenez vos leçons ». Et à la moindre erreur, si minime fût-elle, c’était le fouet, car avait été fait cette extraordinaire découverte, aussi simple que définitive, et tellement écossaise, qu’il existait une relation directe entre la peau et la mémoire, et qu’irriter celle-là stimulait celle-ci au degré souhaité quel qu’il fût.
Les bagarres
Quand on avait la chance de finir un combat sans un œil au beurre noir, on échappait généralement à une dégelée à la maison et une autre le lendemain matin à l’école, car les autres traces de l’échauffourée pouvaient être lavées facilement au puits près de l’église, ou bien dissimulées, ou mise au compte des aspérités du terrain ; tandis qu’un œil poché ne pouvait trouver d’autre explication qu’une bagarre en règle. La double correction en était la sanction inéluctable mais sans aucun effet : les bagarres se continuaient sans la moindre accalmie, comme les ouragans, car aucune autre punition que la mort n’aurait pu supprimer la vieille agressivité atavique qui brûlait dans nos veines de païens, pas plus qu’on arrivait à nous faire admettre que père et maître pouvaient légitimement nous étriller aussi laborieusement pour notre bien, tout en refusant le plaisir de nous castagner les uns les autres pour le même bien.
Genre de livres où Wikipédia rend bien des services ….
Et il en allait tout de même avec les calopogons, les pogonies, les spiranthes et quantité d’autres populations végétales. Le magnifique turban de Turc ( Lilium superbum), qui croît sur les berges des cours d’eau, était rare chez nous, alors que le lis orangé poussait en abondance en terrain sec sous les chênes à gros fruits et nous rappelait bien souvent la plate-bande de tante Ray en Écosse. Grâce à ses fleurs rouge écarlate, l’asclépiade tubéreuse ou herbe à ouate attirait des volées de papillons et produisait de superbes masses de couleur.
Une éducation à la dure
Mes aventures me remettent en mémoire l’histoire de ce garçon qui, en escaladant un arbre pour voler un nid de corbeau, tomba et se cassa la jambe, mais qui, sitôt guéri, se força à grimper jusqu’au sommet de l’arbre du haut duquel il avait culbuté.
La prégnance de la morale
Comme à l’ensemble des petits écossais, on nous enseignait la plus stricte abnégation, à propos et hors de propos, à faire fi de la chair et à la mortifier, à veiller à garder nos corps soumis aux préceptes de la Bible et à nous punir sans merci pour toute faute commise ou simplement imaginée. Lorsque, en aidant sa sœur à ramener les vaches, un gamin usa un beau jour d’un terme défendu : « faudra que je l’dise à papa, fit la jeune fille horrifiée. J’le lui dirai, qu’t’as dit un vilain mot…
-J’ai pas pu l’empêcher d’me v’nir répondit l’enfant par manière d’excuse. C’est pas pire de le dire tout haut que de l’ penser tout bas ! »
Après avoir décrit le Wisconsin comme le paradis des oiseaux , il décrit cette scène horrible (cette espèce de pigeons a complètement disparu, on comprend pourquoi !)
Les pigeons, à ce moment-là, étaient rares un grand nombre de personnes, équipées de chevaux et de chariot, et armées de fusil, de longues perches, de pots à soufre, torches de poix, etc, avaient déjà planté leur camp sur le pourtour deux fermiers installés à plus de cent milles de là avaient amené quelques trois cents porcs pour les faire engraisser sur les pigeons massacrés. Un peu partout, des gens employés à plumer et à saler ce qui avait déjà été mis de côté étaient assis au milieu de monceaux d’oiseaux. La terre était couverte d’une couche de fiente de plusieurs pouces d’épaisseur. Quantité d’arbre de deux pieds de diamètre étaient brisés guère au-dessus du sol, et les branches de beaucoup d’autres parmi les plus hauts et les plus étendus avaient cédé, comme si un ouragan avait balayé la forêt.
Au coucher de soleil, pas un pigeon n’était encore arrivé. Mais un cri général s’éleva tout à coup : » Les voilà ! ». Ils étaient encore loin, mais le bruit qu’ils faisaient me rappelait, en mer, un violent coup de vent qui passe à travers les gréements d’un navire dont on a serré les voiles. Des milliers furent bientôt abattus à coups de perche, mais les oiseaux ne cessaient pas pour autant d’affluer. Puis les feux s’allumèrent et un tableau aussi terrifiant que superbe se mit en place. Les pigeons qui se déversaient à flots se posaient partout, les uns sur les autres, si bien qu’il se formait des masses compactes sur toutes les branches. Ça et là des perchoirs roulaient avec fracas, et, dans leur chute en abattaient des centaines d’autres, précipitant les groupes extrêmement serrés d’oiseaux dont étaient chargé le moindre rameau, spectacle de conflit et de tumulte. Je m’aperçus qu’il était parfaitement inutile de parler ou même de crier au gens qui m’entouraient. Les coups de fusil, on les entendait rarement, et ce n’est qu’en voyant les hommes recharger leurs armes que je comprenais qu’ils avaient tiré. Personne n’osait s’aventurer à l’intérieur du périmètre du carnage. On avait parqué les cochons en temps utile, le ramassage des morts et de blessés étant remis au lendemain matin. Les pigeons affluaient toujours, et ce ne fut qu’après minuit que je perçus une diminution du nombre des arrivants. Le vacarme dura toute la nuit.
Vers les premières lueurs du jour, le bruit s’atténua quelque peu ; longtemps avant qu’on pût distinguer les formes, les pigeons commencèrent à s’en aller dans une direction différente de celle où ils étaient venus la veille, de sorte que quand le soleil se leva tout ce qui était capable de voler avait disparu. Ce fut alors le hurlement des loups qui se fit entendre, et l’on vit arriver furtivement renards, lynx, couguar, ours,raton laveur, opossum et putois, tandis que des aigles des éperviers de différentes espèces, accompagnés d’une armée de vautour, approchaient pour tenter de les évincer et d’avoir leur part de butin.
Les auteurs du carnage se mirent alors à avancer parmi les morts, les mourants et les mutilés et à ramasser les pigeons et aller mettre en tas, ce jusqu’à ce que chacun ait autant qu’il voulait, après quoi les cochons furent laisser libres de dévorer les restants.
L’inconfort total
Dans toute la maison, il n’y avait en fait de feu que le fourneau de la cuisine, avec son foyer de cinquante centimètres de long sur vingt cinq de large et autant de haut – à peine de quoi y mettre trois ou quatre petites bûches-, autour duquel, lorsqu’il faisait – 20 dehors, les dix personnes que nous étions dans la famille grelottaient, et sous lequel nous trouvions, le matin, nos chaussettes et nos grosses bottes imprégnées d’eau gelée en bloc. Et nous n’avions pas même le droit de ranimer ce misérable petit feu dans sa boîte noire pour les dégeler. Non, nous devions y comprimer nos pieds endoloris et tout palpitant d’engelures, au prix de douleurs pires qu’une rage de dent, et filer au travail.
Je crois relire homo sapiens : le malheur de la révolution agricole
Dans ces temps reculés, longtemps avant l’arrivée des machines qui nous épargnent tant de peine, tout (ou presque) ce qui touchait à la culture du blé imposait des travaux éreintant – faucher sous la chaleur des longues journées de la canicule, râteler et lier des gerbes, faire les meules et battre le grain -, et je me disais bien souvent que la façon brutale, frénétique, que nous avions de faire sortir le grain de terre ressemblait trop à une excavation de tombes.