20151215_112915Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

3Je dédie ce livre à mon fils heureux papa d’une petite fille qui a un an aujourd’hui. S’il lit ce roman, il y retrouvera toutes les angoisses de sa mère lorsqu’il était adolescent. Il s’agit, en effet d’un roman sur l’addiction au monde connecté. Isabelle Jarry nous plonge dans un futur pas très éloigné du nôtre. L’homme a réussi à créer des androïdes capables d’une certaine forme d’intelligence donc, d’autonomie. Pour lutter contre les méfaits d’un temps trop long passé devant des écrans, la société impose des cures de désintoxication d’une semaine à tous ceux qui ne savent pas se déconnecter du monde virtuel. C’est ainsi que commence le roman : Tim se retrouve brutalement dans un de ces centres pour une semaine sans possibilité de prévenir Today, son androïde, qui, à force d’interactions, est devenu pour lui beaucoup plus qu’un robot, il est son véritable assistant et son compagnon de vie.

Le roman permet de suivre deux survies, celle de Tim qui se retrouve confronté à la nature et qui s’inquiète sans cesse pour son androïde qu’il voudrait au moins prévenir de son absence. Or il ne le peut pas puisque le principe de la cure est de priver brutalement le patient de tous ses liens avec le monde virtuel. L’autre personnage en errance, c’est Today (l’androïde) dont l’existence est sans cesse menacée par des rencontres plus au moins hostiles.

Le roman ne décrit pas un monde déshumanisé et la relation de Tim et de Today n’a rien d’impossible. À travers leurs deux expériences, l’auteure nous fait revivre notre société dans des aspects à la fois tragiques et amusants. Les recherches de Tim portent sur la survie après une catastrophe nucléaire, et il rentre donc en contact avec un sage japonais qui est resté vivre à 40 kilomètres de Fukushima, ça c’est pour l’aspect tragique mais pas désespéré puisque ce Japonais a réussi à survivre dans une nature délaissée par l’homme donc de plus en plus belle. Le côté léger et drôle vient des personnages rencontrés par Tim et Today, le chef de cuisine, parodie de ceux présentés à la Télévision, la cantatrice quelque peu décatie, le clochard lubrique…

Bien sûr, on retrouve dans ce roman une opposition entre la vie dans la nature et le monde moderne connecté mais ce n’est pas pour autant un roman moralisateur ni trop simpliste. Et une fois n’est pas coutume, le mot de la fin est donné à l’androïde pas à l’humain. J’ai quelques réserves, encore une fois – ça devient de plus en plus fréquent- les passages en anglais ne sont pas traduits. Mais surtout, j’aurais aimé en savoir plus sur Tim et sur ce qu’il va devenir enfin l’histoire de plusieurs personnages ne me semble pas finie. l’auteure laisse à notre imaginaire le destin de plusieurs personnages : je me suis sentie abandonnée par l’écrivain , que deviendra Mme Hauvelle la chercheuse aigrie, et Mirène la cantatrice clochardisée et surtout Tim, c’est un peu dur de ne pas savoir où va le personnage principal , je suis désolée pour toutes celles qui détestent qu’on « divulgache » les intrigues mais voici la dernière phrase concernant Tim

Il ne savait pas où il allait….

Je n’en dis pas plus pour garder mes lecteurs et lectrices, mais moi je trouve ça frustrant. C’est la raison pour laquelle je n’ai mis que 3 coquillages alors que, jusqu’à l’avant dernier chapitre, je pensais en mettre quatre. L’auteure prépare peut-être une suite ?

Citations

La place de l’homme dans la nature

L’être humain lui-même était si faible… La nature dans son exubérance, sa force insurmontable, son inépuisable énergie, sa faculté à essaimer et à se reproduire, la nature l’avait nargué dès le début. Pourquoi, à l’instar des autres espèces, n’avait-il pas accepté la place qu’il occupait , prédateur des uns, proie des autres, maillon dans la chaîne de la vie ? Pourquoi avait-il voulu échapper à cette condition, imposer sa loi ?

Le Haïku qui donne son titre au roman

La voix du rossignol s’éloigne
La lumière s’éteint
Magique aujourd’hui

20151109_162509Traduit de l’anglais israélien par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet.

Présentation de son éditeur

Si une roquette peut nous tomber dessus à tout moment, à quoi bon faire la vaisselle ?

Mais je citerais volontiers également Jérôme qui m’a fait découvrir cet auteur

C’est simple, si je devais un jour devenir écrivain (ce qui n’arrivera jamais, je vous rassure), j’aimerais pouvoir écrire comme Etgar Keret !

5
Comme je le comprends, depuis son article, datant du 4 septembre 2015, ce petit recueil m’accompagne partout, il est sur ma liseuse ce qui est très pratique, je peux même lire au golf en attendant que mes amis terminent leur partie. Il m’accompagne également dans ma réflexion après le 13 novembre 2015. Les Israéliens savent mieux que quiconque ce que cela veut dire de vivre avec des bombes qui explosent, et d’être entourés de pays qui sont prêts à vous rayer de la carte à la moindre faiblesse. Ils ont, donc, parmi eux des écrivains comme Etgar Keret qui avec un humour à la Woddy Allen sait se moquer des travers juifs et surtout de lui-même sans pour autant renier qui il est et d’où il vient.

Je sais que nous sommes nombreuses à préférer les romans aux nouvelles, mais ici on n’a pas l’effet habituel de ce genre littéraire, en général ce que l’on redoute c’est un passage d’une histoire différente à une autre qui empêche de se sentir bien dans ce que l’on vient de lire car cela change trop vite. Ici, on accompagne la vie d’Etgar Keret , celle de son fils Lev et de son épouse, à la fois dans leurs souvenirs et leurs difficultés quotidiennes . Le lecteur va du sourire, à l’éclat de rire , le tout teinté d’une très grande émotion. Pour savoir écrire de cette façon, à la fois détachée mais très sensible, sur tous les petits aspects de la vie avec un enfant, les tragédies de la vie et du monde , il faut un talent qui force mon admiration. se dessine, alors, une personnalité d’écrivain qui n’a rien d’un super héros, mais qu’on a envie d’aimer très fort car il donne un sens à la vie.

Citations

Vue sur mer en Sicile

Parce que, enfin, je la connais très bien cette mer : c’est la même Méditerranée qui est à deux pas de chez moi à Tel-Aviv, mais la paix et la tranquillité que respirent les gens du coin sont des choses que je n’avais jamais rencontrées. La même mer mais débarrassée du lourd nuage existentiel, noir de peur que j’ai l’habitude de voir peser sur elle.

Son père

« En réalité, la situation est idéale, me dit-il très sérieusement tout en me caressant la main. J’adore prendre les décisions quand les choses sont au plus bas. la situation est une telle drek(merde) pour l’instant que ça ne peut que s’arranger : avec la chimio, je meurs très vite ; avec les rayons je me tape une gangrène de la mâchoire ; quant à l’opération, tout le monde est sûr que je ne survivrai pas parce que j’ai quatre-vingt-quatre ans. Tu sais combien de terrains j’ai acheté comme ça ? Quand le propriétaire ne veut pas vendre et que je n’ai pas un sou en poche ? »

Moment d’émotion

– Mais pourquoi ? insista Lev. Pourquoi un père doit protéger son fils ?

Je réfléchis un instant avant de répondre « Écoute, dis-je en lui caressant la joue, le monde dans lequel nous vivons est parfois très dur. Alors la moindre des choses c’est que tous ceux qui naissent dans ce monde aient au moins une personne pour les protéger.

– Alors et toi ? demanda Lev. Qui te protégera, maintenant que ton père est mort ? »

Je n’ai pas fondu en larmes devant lui mais plus tard ce soir-là, dans l’avion de Los Angeles, j’ai pleuré.

Difficulté d’être chauffeur de taxi

Le taxi est un mode de transport dans lequel toit est fait pour la seule satisfaction du client. Les malheureux chauffeurs conduisent toute la journée et n’ont pas de toilettes à bord, où aurait-elle voulu qu’il se soulage dans le coffre ?

Sa femme qui a « un mauvais fond »

« je vais sûrement pas aller au mariage d’un type qui sent le bouc que tu as connu dans une salle de gym où tu as mis les pieds même pas deux semaines, a déclaré ma femme avec beaucoup de détermination.

SONY DSCLu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard dans le thème « mère fille ».

5Je me demande qui d’entre les participantes du club découvrira à cette occasion Annie Ernaux, je dois avouer que, s’il y en a une, je l’envie un peu. Je me souviens du choc que fut pour moi ses premiers romans. J’ai commencé par « la Place » et je n’ai jamais quitté cette auteure. En relisant « Une femme » pour notre future rencontre, je me suis demandée si j’allais découvrir des aspects que j’avais oubliés. Et bien oui, je ne me souvenais pas à quel point, elle réfléchissait sur sa façon d’écrire :

Mon projet est de nature littéraire, puisqu’il s’agit de chercher une vérité sur ma mère qui ne peut être atteinte que par des mots. ( C’est-à-dire que ni les photos, ni mes souvenirs, ni les témoignages de la famille ne peuvent me donner cette vérité). Mais je souhaite rester, d’une façon, au-dessous de la littérature.

À part cet aspect que j’ai trouvé très intéressant, j’ai tout retrouvé : cette mère qui parle trop fort qui aime sa fille mais qui sait si mal le lui dire. Cette façon dont elle a poussé sa fille vers les études et la réussite mais qui était aussi le chemin vers la séparation avec le monde de son enfance.

À l’église, elle chantait à pleine voix le cantique de la vierge, « J’irai la voir, un jour, au ciel, au ciel ». Cela me donnait envie de pleurer et je la détestait.

Elle avait avait des robes vives et un tailleur noir en « grain de poudre », elle lisait « Confidences » et « La mode du jour » ; Elle mettait ses serviettes avec du sang dans un coin du grenier, jusqu’au mardi de la lessive.

Quand je la regardais trop, elle s’énervait, « tu veux m’acheter ». 

Je trouvais ma mère voyante. Je détournais les yeux quand elle débouchait une bouteille en la maintenant entre ses jambes. J’avais honte de sa manière brusque de parler et de se comporter, d’autant plus vivement que je sentais combien je lui ressemblais.

À chaque fois que je lis ce livre, je suis saisie par la justesse de cette analyse, je crois qu’Annie Ernaux explique mieux que quiconque que changer de culture : passer de « Nous deux » à « Proust » , c’est une rupture absolue, un exil définitif et comme tout exil c’est très douloureux. Cela passe par des moments qui peuvent être violents :

À certains moments, elle avait dans sa fille en face d’elle, une ennemie de classe.

Pour celles et ceux qui n’ont pas encore lu cette auteure, j’enfonce des portes ouvertes en rappelant que, ce que l’on remarque tout de suite, c’est son style, tout en retenu et pourtant dévoilant tout ce qui peut être su par l’autre même ce qui d’habitude est caché. Dans ce « roman » ce qui me touche le plus c’est ce cri d’amour, cette fille a su écrire son amour à sa mère, Annie Ernaux est maintenant une grande dame de la littérature de notre époque et celle qui l’a mise au monde, cette femme un peu rude, un peu trop voyante peut être fière de sa fille.

Voici le moment télévisé où je l’ai découverte, le lendemain j’allais acheter son livre. Que de souvenirs !

SONY DSCTraduit de l’anglais (États-Unis) par Martine Béquié et Anne-Marie Augustyniak.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard , thème « relation mère fille »

4Cela fait longtemps que je n’ai pas ressenti un tel plaisir de lecture, je voulais absolument ne plus quitter, Taylor le personnage principal qui n’a pas sa langue dans sa poche, Lou-Ann qui n’est que gentillesse, Mattie qui aide les malheureux candestins, Estevan qui parle si bien l’anglais…. Je trouve que dans le thème « mère fille » ce roman est parfaitement choisi par notre bibliothécaire préférée. Pour plusieurs raisons, car c’est d’abord le récit de la naissance du sentiment maternel. Marietta-Missy-Taylor est une jeune fille qui a décidé de sortir de son Kentucky natal pour vivre une vie indépendante, or dès les premiers jours , une vieille indienne lui met dans les bras une toute petite fille qui visiblement a vécu un très lourd traumatisme. Taylor va apprendre à aimer Turtle-Avril et devenir sa mère. Il faut dire que sa propre mère, femme de ménage a eu cette qualité incroyable, d’aimer sa fille et de trouver tout ce qu’elle fait absolument formidable.

C’est la deuxième raison pour laquelle je trouve ce livre bien choisi, l’amour admiratif d’une mère est un cadeau précieux qui donne des forces pour toute la vie. Je dois dire que je ne résiste pas aux romans qui mettent en scène des « cabossés de la vie » qui au lieu de continuer à se détruire, joignent leurs forces pour franchir les obstacles et aller vers le bonheur. J’ai à propos de ce roman , relu ce qui s’est passé au Guatemala, encore une tragédie maintenant oubliée, elle est ici évoquée à travers le coupe d’Estevan et Esperanza à qui on a arraché leur petite fille.

Le roman situe tous les personnages au moment de leur survie, pour leur adaptation à la vie quotidienne c’est une autre histoire, on espère qu’ayant vécu le pire, ils vont y arriver. Ce roman est servi par des effets de langue, qui doivent être encore plus délicieux en américain, l’arrivée dans le langage de la petite Turtle sont drôles et inattendus, et l’adoption par Taylor dans sa langue rugueuse de jeune fille peu éduquée de l’anglais raffiné d’Estevan, professeur d’anglais au Guatemala sont savoureux mais sonnent un peu plats en français. Grâce à Keisha (je me doutais bien qu’elle avait lu cette auteure !). J’ai vu qu’il y avait une suite que je vais m’empresser de lire, j’aime bien son expression que je me permets de citer : c’est un livre « doudou ».

Citations

Le caractère de Taylor Greer

J’avais décidé depuis longtemps que, si j’avais pas les moyens de m’habiller chic, je m’habillerais mémorable.

La description de Lou-Ann

Elle était du genre à aller chercher les ennuis juste pour montrer qu’on n’avait pas besoin d’être une « pompon girl  » pour se faire sauter . Le problème c’est que ça ne vous rapporte rien. C’est comme un gosse qui fait des tours de vélo en se lâchant des pieds et des mains et s’ époumone pour attirer l’attention de sa mère. Eh bien, la mère en question ne lèvera pas les yeux tant qu’il ne se sera pas fracassé la tête contre un arbre.

Avoir un enfant

Elle ne cachait pas que son désir le plus cher était d’être grand-mère. Dès que la grosse Irène prenait le bébé, ce qui n’était pas fréquent, Mrs Hoge déclarait : « Irène, ça te va à ravir ». Comme si vous deviez faire un enfant parce que ça vous va bien.

L’Oklahoma

Ces étendues désespérément plates de l’Oklahoma avaient fini par me donner mal aux yeux croyez moi . J’avais l’impression qu’il fallait toujours regarder trop loin pour distinguer l’horizon.

20151113_120910Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

4L’ennuie avec les lectures du Club comme avec la tenue du blog, c’est que j’enchaîne la lecture les livres trop rapidement. Pour certains, ce n’est pas si grave car ils font partie de la lecture détente, et je suis ravie de partager ces moments avec les lectrices et lecteurs de mon blog. D’autres résonnent plus profondément en moi, et je veux les lire et relire jusqu’à ce que je les possède et qu’ils m’appartiennent. Les livres ne m’ont jamais appartenu parce qu’ils sont bien rangés dans mes rayonnages, cela je l’ai cru dans ma jeunesse. Ils m’appartiennent parce que je sais me souvenir, en les évoquant, du plaisir qu’ils ont su me procurer. Avec Carole Martinez, il faut du temps pour savourer son histoire et sa façon de la raconter.

Toutes les lectrices qui aiment ses livres sont sous le charme de son écriture passionnée. Aussi bien « les fanas de livres » que Asphodèle et Krol. Cette écriture mérite qu’on la déguste par petites touches, sans se presser qu’on puisse laisser cette histoire et la reprendre juste pour le plaisir de s’entendre raconter une histoire tragique. Tragique comme ces petites filles mariées au sortir de l’enfance dans une France de 1361, si rude, ravagée par la peste, la guerre de cent ans et les compagnies armées qui un temps désœuvrées par le traité de Brétigny soumettent les populations aux violences rapines et pillages.

Carole Martinez sait mettre son écriture au service de ce qu’elle imagine de cette époque. Sous sa plume, les légendes , la religion, les faits historiques se mélangent et nous avons l’impression comme la petite Blanche de presque douze ans, d’être emportés sur les flots de la Lou sans pouvoir maîtriser notre destin. D’être submergés par l’angoisse et la peur des hommes capables de déchaînements de violence. Cette violence et cette absence de respect pour la vie d’enfants si fragiles et si exposés aux maladies, rend la mort presque douce. Roman étrange qui ne tient que par cette écriture à deux voix, celle de la mémoire de l’enfant qui est devenue « la vieille âme » et qui éclaire parfois la voix de « la petite fille » qui a bien du mal à comprendre ce qui lui arrive.

Citations

La présence du Diable

SONY DSCLu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Françoise Adelstain

4
Un livre d’une grand qualité, car il sait transmettre une forte émotion, tout en respectant les codes de bienséance britanniques. Un homme au sommet de la gloire dans le système juridique anglais, « le vieux Filth »  : Failed in London try in Hong-Kong (acronyme qui veut dire « si tu échoues à Londres essaie à Hong-Kong » mais le mot veut aussi dire sale ou saleté), est respectable et très respecté, connu et admiré pour son savoir juridique. Après une brillante carrière à Hon-Kong, il revient dans le Dorset.

Le roman commence, lorsqu’il se retrouve veuf et très âgé. Ce veuvage auquel il ne s’attendait pas va l’entrainer dans une pérégrination vers son passé. Il est un enfant des colonies britanniques, ce qui veut dire qu’à six ans, il est brutalement séparé de la femme qui l’élevait pour partir au pays de Galle ou de vagues tantes lui ont trouvé une famille d’accueil. Rudyard Kipling parlera, lui aussi de cette incroyable violence faite à des enfants : les colons britanniques avaient si peur que leurs enfants se lient aux indigènes qu’ils préféraient s’en séparer pendant les longues années de 5 ou 6 ans à 18 ans.

Ce vieux Monsieur digne, qui ne peut pas exprimer ses sentiments et qui est, pour tout son entourage, la respectabilité même va peu à peu par toutes petites touches nous livrer ses souffrances, celles de son enfance sont énormes et il est soudain incapable de finir sa vie sans s’y confronter de nouveau. Au passage nous connaitrons ses amitiés, ses amours et son couple beaucoup moins simple qu’il n’y paraît.

Le roman est traversé par des personnalités pour le moins étranges. Les deux tantes qui devaient s’occuper de leur neveu sont complètement dérangées, typiquement anglaises peut être ? Essentiellement intéressées par le golf et pas du tout par le bien être d’un enfant dont elles n’avaient pas demandé à s’occuper. C’est très émouvant de voir le regard des autres vis à vis de ce vieux Filth, regard qui s’arrête à son allure, à sa respectabilité, à son élégance, à sa dignité, et le long et douloureux cheminement de cet homme vers une autre vérité , celle qui a bien failli l’anéantir.

PS : Ce roman a déçu deux lectrices du club et n’a donc pas reçu de coup de cœur, je le regrette . Elles ont trouvé cet homme peu sympathique et le roman bavard, je donne leurs arguments par honnêteté, mais je ne suis pas du tout d’accord. J’aimerais bien lire d’autre avis sur ce roman.

Citations

Un nouveau mot pour moi

Sa somnolence postprandiale

Le veuvage d’un vieil homme

Désormais à près de quatre vingts ans, il vivait seul dans le Dorset. Sa femme , Betty, était morte, mais il papotait souvent avec elle en vaquant dans la maison. 

Une enfance malheureuse

Il n’avait pas bu de lait depuis son départ de chez Ma Didds, au pays de Galles. Elle devait être ici. « Tu ne sors pas de ce placard tant que tu n’as pas bu ce verre de bon lait et tu as intérêt à ne pas remuer les pieds parce qu’il y a un trou en dessous aussi profond qu’un puits, et on n’entendrait plus jamais parlé de toi. » Enfermé toute la journée, jusqu’à l’heure du coucher, il avait six ans.

L’idéal féminin de bien des hommes

Mrs Ingoldby fut le premier amour anglais d’Eddie. Il ignorait qu’une femme si peu compliquée pût exister. Calme et rêveuse, souvent vous apportant une tasse de thé sans raison particulière sauf par affection ; satisfaisant tous les caprices d’un mari colérique dont elle ne se plaignait pas. Ravie sans jamais se lasser des surprises que réservait chaque nouveau jour.

Les mémoires

SONY DSCLu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

4
Une excellente surprise que la lecture de ce roman. Surprise, pourquoi ? Car il a été couronné par le prix Fémina 2015, et que je suis de plus en plus déçue par les livres récompensés, je finis par avoir un réflexe un peu stupide de fuite. Ce roman est vraiment très touchant, il est écrit d’une façon originale pour raconter une famille, en particulier la vie des grands-parents de l’auteur, des gens hors du commun. Mère-grand est rennaise, d’une horrible famille confite en dévotion, en sentiment de supériorité et désargenté mais qui veulent « paraître » et tenir leur rang (je me demande si je lirai, un jour, un livre où on dit du bien de Rennes, ma ville natale, que je n’ai jamais beaucoup appréciée).

La famille du grand-père rescapé des pogroms du centre de l’Europe, aura bien du mal, évidemment à survivre au nazisme et à la collaboration française. Le clan Boltanski a donné naissance à une kyrielle d’êtres remarquables : la grand-mère écrivaine sous le pseudonyme d’Annie Lauran, le grand-père de l’académie de médecine, un fils artiste plasticien reconnu Christian, un autre linguiste qui est le père de Christophe notre auteur journaliste. Lui seul pouvait nous raconter de l’intérieur ce qui faisait le quotidien de cette famille, marquée par « la cache » du grand-père pendant les deux dernières années de guerre. En progressant dans leur lieu de vie, un hôtel particulier (dans tous les sens du terme) avenue de Grenelle à Paris, à la manière du Cluedo (la comparaison est de l’auteur) nous approchons de plus en plus près de ce qui est l’âme de cette famille  : La Cache.

Mais avant d’y arriver nous passerons par toutes les pièces qui sont autant d’occasions de cerner au plus près la personnalité de de Myriam Boltanski, née Marie-Élise Ilari-Guérin, atteinte de poliomyélite et qui passera sa vie à nier son handicap et à refuser la vieillesse. Femme étonnante qui a insufflé à tous les siens l’énergie de la vie. Tout le clan est là resserré autour de celle qui fut abandonnée par sa propre famille à l’âge de 4 ans pour des raisons de commodités financières. On connaîtra tous leurs rituels, décrits avec beaucoup d’humour, les réceptions où les invités finissent par apporter de quoi se nourrir, la façon de s’endormir tous dans la même chambre au pied des lits des grands parents, l’absence d’hygiène corporelles, l’horreur de la maison de Mayenne héritage de la marraine adoptive, grand baraque humide sans aucun confort. On verra leur engagement communiste et auprès du FLN. Sans doute la conséquence de la guerre, j’aurais aimé qu’on en sache plus sur ce qu’ils pensent aujourd’hui de ces engagements là.

Il y a une absente, la propre mère de l’auteur qui laissera son fils vivre dans cet appartement plutôt qu’auprès d’elle, sans que l’on sache pourquoi , elle ne fait sans doute pas partie du fameux clan Boltanski

Citations

L’importance des objets qui ont peuplé les souvenirs de l’auteur

Objet mythique des films italiens des années 50, la Fiat de deuxième génération, dite Nuova 500, faisait penser à un bocal pour poisson rouge, à un sous marin de poche, à un ovni, et moi son passager, à un Martien projeté sur une planète inconnue. Dans son pays d’origine, on l’appelait la « bambina ». Moins flatteur, les Français l’avait surnommé le « pot à yaourt ».

La peur transmise

Cette appréhension, ma famille me l’a transmise très tôt, presque à la naissance. Petit, j’avais la phobie du sable chaud, des vagues, des champignons sauvages, des herbes hautes, des arbres serrés les uns contre les autres, des ténèbres, des vieilles dames affables que je confondais avec des sorcières, des araignées et, plus généralement, de toute forme d’insecte.

Le coté juif de son père adopté par sa mère

En signe de réjouissance, elle sortait alors ses plus belles assiettes, celle en porcelaine bleue. Les creuses pour la soupe, les plates pour la viande. Plus qu’un festin, elle nous offrait un passé. Elle nous reliait à une histoire qui n’était pas la sienne. Elle sacrifiait à un culte ancien dont elle avait adopté les rites. Elle accomplissait un genre d’eucharistie. Son potage roboratif au goût acidulé et à l’odeur de chou contenait consubstantiellement l’âme des Boltansky.

L’importance des meubles des meubles de famille et la bourgeoisie rennaise

Il subsistait tant bien que mal avec une maigre pension d’instituteur,entouré de quelques meubles de famille qu’elle reconnaissait, malgré leur réapparition dans un tout autre contexte. Elle disait qu’il avait recréé sous les tropiques l’appartement rennais de leur enfance, tout en apparence et en mensonge, à la fois bourgeois et misérables.

L’hygiène

En tant qu’ancien vice-président de l’Union internationale d’hygiène scolaire et universitaire, Grand-papa avait théorisé ce laisser-aller général : « Dans un monde propre, il faut être sale, répétait-il. Les bactéries nous protègent. » Ne pas se laver était, selon lui, un moyen de renforcer nos défenses.

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C’est « la souris jaune » qui m’a conduite à lire ce livre, qu’elle en soit remerciée, c’est un excellent moment de lecture. Antoine Sénanque est un médecin écrivain, je ne sais pas si ces auteurs-médecins forment un club, mais on peut remarquer qu’ils nous offrent souvent des romans de bonne qualité. Antoine, le narrateur porte le même nom que l’auteur, j’espère pour son entourage que c’est son seul point commun. Car autant en roman ou en film c’est le genre de personnage que j’adore autant dans la vie réelle cela doit être très pénible. Antoine est un homme qui est affublé d’une lucidité hors du commun , et qui voit très bien tous les défauts des gens à commencer par les siens. Il n’a aucune illusion et ne se cache aucune difficulté de la vie. Il est affublé d’un copain Félix, que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi. Et avec ce caractère, ce psychiatre décide de recommencer des études d’histoire. Sa confrontation avec la glorieuse institution de la Sorbonne vaut le détour.

D’ailleurs tout vaut le détour dans ce roman ; je vous garantis quelques fous rires, ou au moins une franche détente. La scène où le téléphone portable, intentionnellement glissé dans la poche de son ennemi, sonne l’air de la Walkyrie à un moment très inopportun m’a beaucoup détendue. J’ai beaucoup aimé aussi sa dissertation sur les guerres de religion, et les transferts de violences auxquels ce psychiatre s’est laissé aller ce jour là.

Un roman drôle, décapant et jouissif, un de mes critères pour savoir s’il me plaît , c’est lorsqu’à longueur de pages je note des passages en me disant, avec ça tout le monde aura envie de le lire. Notre société est là devant nos yeux décrite par un Woody Allen à la française.

Citations

Portrait de Félix

Félix ne fait jamais la gueule. Jamais. son humeur est bonne. Désespérément . Il est venu au monde avec son sourire imprimé comme une tache de naissance. C’est mon meilleur ami, je ne lui veux aucun mal. mais j’avoue qu’une baisse de forme passagère n’altérerait pas nos rapports. Sans lui souhaiter une dépression majeure, un petit accès mélancolique de temps en temps serait vivifiant pour notre désormais très vieille amitié.

J’ai un ami Félix. Un garçon qui trouve toujours les mots qui ne me servent à rien.

Portrait de Luce-Ismène que le narrateur appelle Lucienne, femme de Félix

Elle a comme qualité essentielle un sens de l’économie hypertrophié et comme défaut principal un sens de l’économie hypertrophié.

Nous l’avons rencontrée ensemble à l’école, à dix-sept ans. elle était blonde mince, délicate, avec des formes provocantes qui nous provoquaient. Elle ressemblait à Brigitte Bardot. Elle a vieilli comme elle.

Description d’un phobique

Il est arrivé chez moi pour une angoisse sévère de l’infection, avec des constructions élaborées qui pouvaient entraîner des conséquences. Une hospitalisation, par exemple, au service d’infectiologie de la Salpêtrière pour suspicion de fièvre hémorragique au virus Ebola, après un contact peu intime avec les singes du Jardin des plantes.

Son frère Thierry

Les conseils boursiers de Thierry sont coulés dans le béton dont on entoure les pieds de ceux qui ont trahi la mafia, juste avant de les jeter dans un fleuve. En calculant les économies que j’ai faites en ne suivant aucune de ses suggestions, j’ai l’impression de lui devoir beaucoup.

Sa belle-mère Madeleine et les Polonais

Tout ce qui est mauvais sur terre est polonais pour Madeleine. le raz de marée qui a dévasté la Thaïlande est polonais. Les électeurs de l’extrême droite sont polonais, comme les médecins qui ne savent pas soigner les maux de gorge . En réalité, le grand amour de ma belle-mère était un polonais, lucide, qui l’abandonna, lui laissant au ventre le souvenir d’Élisabeth.

Remarque pertinente

– Tu sais il gagne à être connu

On ne dit jamais l’inverse, qu’on perd à être connu. C’est pourtant vrai de tout le monde

Les Américains

Il y a toujours un prédicateur qui dort sous le T-shirt d’un Américain

Le mal du pays

J’avais le mal du pays facile. A quatorze ans, j’ai dû être rapatrié pour cause de spleen parisien. De Pontoise. Avec l’âge, les distances se sont étirées, mais je ne passe jamais la Loire sans un pincement au cœur.

L’optimiste

Personne ne sait qu’un homme qui ne fait pas de mal à son prochain n’est qu’un psychopathe qui n’a pas encore décompensé.

20151010_105342Traduit, de façon si agréable que l’on pense que ce roman est écrit en français, par Laurent LOMBARD.

Après l’horreur du 13 novembre à Paris, nous devons, nous, les blogueurs et blogueuses amoureux des livres, surveiller qu’aucune petite lumière chargée de culture, d’espoir et d’humanité ne s’éteigne à jamais.

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C’est un article d’Aifelle, suivi de tous vos commentaires, qui m’ont dirigée vers cette lecture. Quel petit bijou ! Totalement inclassable, mais dans une langue si belle que l’on pourrait oublier la narration. Je comprends bien pourquoi toutes les blogueuses qui aiment l’évocation de la nature ont été subjuguées, moi j’y suis moins sensible et pourtant la langue poétique Antonio Moresco a su complètement me séduire. J’ai lu et relu les descriptions des arbres, des plantes, des vols d’hirondelles. Tout est d’une majesté mais aussi d’une précision à couper le souffle. Autant l’histoire ne se décide pas entre le réel et le surnaturel, autant les évocations de tous les éléments sont pratiquement l’œuvre d’un scientifique spécialiste de la nature. De l’infini petit jusqu’à de l’infini de l’univers. C’est grâce à cela que j’ai accepté de ne pas exactement comprendre si l’enfant et la petite lumière sont de notre monde ou pas, si le narrateur les rejoint dans l’infini de l’univers ou dans la mort. Un jour la nature sera là pour engloutir toutes les créations humaines à l’image de ce village de montagne abandonné par les hommes et régulièrement secoué par des tremblements de terre.

Citations

La beauté d’une description qui sonne juste

Quand il y a la lune, on voit distinctement, éclairé comme en plein jour par sa lumière spectrale, le talus de la petite route envahi par la végétation, les précipices d’où monte un bruit d’eau creusant son lit dans les antres sonores des montagnes imprégnées de pluie, les hautes silhouettes des arbres qui se découpent sur le ciel. Il n’y a que la nuit, dans la lumière lunaire, que l’on comprend ce que sont les arbres, ces colonnes de bois et d’écume qui s’élancent vers l’espace vide du ciel.

Un châtaigner et la question du livre

En face, plus bas, sur l’à-pic recouvert de forêts, se dresse un châtaigner moitié vivant et moitié mort. Sa haute cime s’élève, nue et blanche, sur le vert des arbres, pétrifiée, tandis que le reste est un déchaînement luxuriant de feuilles. Il y en a beaucoup d’autres comme ça, des châtaigniers surtout, je crois. Certains sont presque complètement morts, et se découpent sur la forêt dans leur évidence spectrale. Mais, de quelque point de ces troncs fossiles, quand c’est la saison, partent deux ou trois branches chargées de bogues à se briser.
Parfois je m’arrête devant un de ces arbres et je le regarde.
– Mais comment on peut vivre comme ça ? je lui demande. C’est impossible pour les hommes : ou ils sont vivants ou ils sont morts. Enfin, c’est ce qu’on croit…

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Un livre différent, un bel objet et des photos qu’on n’oublie pas. L’imaginaire se remplit pour un moment d’images de feu, de croûtes, de farine, d’eau. Geneviève Hofman est une artiste photographe reconnue, et chacune de ses expositions sont des moments de doux bonheurs. Elle recherche à chaque fois à interpeler notre regard au-delà de nos évidences. Comme le dit si bien dans l’introduction Héloïse Conésa (conservatrice responsable de la collection de photographie contemporaine de la BnF) :

Si la photographe s’attache depuis plus de trente ans à représenter ce qu’elle nomme sobrement les « matières » : linge, marbre, chaux et sable de l’estran, ce n’est pas tant pour en sonder les caractéristiques que pour les transformer en surfaces de projection propices aux analogies.

J’étais au vernissage de son exposition dans le fournil du boulanger où sa recherche a commencé, et comme beaucoup de gens je suis repartie avec son livre et un pain de Thierry Depaix, propriétaire du fournil artisanal de Saint Cast-Guildo, sous les regards complices du boulanger et de la photographe. Les textes permettent aussi de comprendre ce qui a motivé quatre ans de travail, comprendre la magie de cet aliment si simple et si fondamental. La longue et très riche introduction « du » grand spécialiste du pain Steven Laurence Kaplan se termine par un très bel hommage :

Aucun photographe avant Geneviève Hofman n’a su rendre à cette pâte son statut primordial de chose vivante.

Si les photos m’ont entièrement séduite, j’ai été, également, agréablement surprise par la qualité des textes qui savent allier l’information à l’intensité des sensations ressenties par l’auteure-artiste dans les différents fournils.

Pour donner envie de tourner les pages une photo mais qui est tellement plus belle dans le livre !

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Nicolas Supiot referme la porte derrière lui pour garder la chaleur et pendant une heure environ, la pâte va « pousser », grandir, « maturer ; on va laisser le temps aux chaînes de protéines du gluten de se dérouler et de s’agripper les unes aux autres, sans brusqueries, dans un mouvement d’expansion. La pâte peut et va tranquillement lever, tout en restant tendre et d’une grande douceur, de celle qui remplit maintenant toute la pièce.