Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard

 Je suis souvent d’accord avec Krol mais pour ce roman nos avis divergent, il vous faut,donc lire ce qu’elle écrit pour vous faire votre idée sur ce roman. C’est le troisième roman de Laurent Seksik que je lis, j’ai découvert cet auteur grâce au club de lecture et j’ai beaucoup apprécié « l’exercice de la médecine » et  » le cas Eduard Einstein » . Pour ce roman, il faut lire, avant ou après, peu importe « La promesse de l’aube » . Le portrait que Romain Gary fait de sa mère est inoubliable et tellement vivant. Laurent Seksik s’appuie sur ce portrait pour nous présenter Nina, la maman de Roman, femme lutteuse et malheureuse, abandonnée par le père de son fils un certain Arieh Kacew qui restera avec toute sa nouvelle famille dans le ghetto de Wilno où comme 99 % des juifs qui y restèrent, ils furent assassinés par les nazis. L’auteur centre son roman sur les quelques jours de 1925, où accablée de dettes et de désespoir Nina avec son fils décident de partir pour la France. Plus Laurent Seksik sait rendre proche de nous la vie dans ce qui est déjà un ghetto, sous domination polonaise, plus nous avons le cœur serré à l’idée que rien n’y personne ne reste de ce morceau d’humanité. La fin en 1943 est celle qui est décrite dans tous les livres d’histoire : il ne restera rien de la famille naturelle de Romain Gary, est-ce pour cela qu’il se plaisait à s’inventer un père différent et plus romanesque : Ivan Mosjoukine.

Un père qui ne serait pas dans une fosse commune aux frontières de la Russie ou disparu dans les fours crématoires d’Auschwitz. Ou est-ce plutôt car il ne peut pardonner à son père d’avoir abandonné sa mère qu’il aimait tant. C’est le sujet du livre et c’est très finement analysé. Si je n’ai pas mis 5 coquillages, c’est que je préfère le portait que Romain Gary fait de sa mère, au début de ma lecture, j’en voulais un peu à l’auteur d’avoir affadi le caractère de Nina. Mais ce livre m’a saisie peu à peu, comme pour tous les écrits sur l’holocauste, je me suis retrouvée devant ce sentiment d’impuissance comme dans un cauchemar : je veux hurler à tous ces personnages : « mais fuyez, fuyez » . C’est pourquoi je l’ai mis dans mes préférences, Laurent Seksik parvient à nous fabriquer un souvenir d’un lieu où 40 000 êtres humains furent assassinés en laissant si peu de traces.

Citations

J’adore ce genre d’amour qui pousse à écrire ce genre de dédicace

À ma mère chérie.
À toi papa,
Tu étais mon premier lecteur.
Au moment où je t’ai fermé les yeux, j’étais en train de terminer ce roman, le premier que tu ne liras pas, mais dont tu aurais aimé le sujet parce qu’il nous ramenait tous les deux trente ans en arrière, au temps où j’étais étudiant en médecine. Du balcon de notre appartement à Nice, au 1 rue Roger-Martin-du-Gard, nous contemplions, toi et moi, l’église russe et le lycée du Parc impérial associé au souvenir de Romain Gary. Tu m’encourageais en me promettant une carrière de professeur de médecine, tandis qu’en secret je rêvais d’embrasser celle de romancier. Comme les autres ce roman t’est dédié.

Désespoir d’une mère un peu « trop »

Quand l’obscurité avait enveloppé la ville tout entière, son esprit était plongé dans le nord absolu. La tentation était alors de s’abandonner au désespoir, de s’envelopper de peine comme par grand froid d’un châle de laine. Elle éprouvait toujours un ravissement coupable à sombrer corps et âmes dans ces abîmes de désolation et de détresse.

Que cette conversation me touche entre un père et un fils juifs

-Nous sommes en 1912, au XX ° siècle !
– Ce siècle ne vaudra pas mieux que les précédents.
-Il sera le siècle du progrès, le siècle de la science, celui de la paix.
-Amen
– Il verra la fin des pogroms, la fin de l’antisémitisme.
– La fin du monde…
– une nouvelle ère s’annonce, papa, et tu la verras de tes yeux.

Où on retrouve un peu la mère de Romain Gary

Nina détestait tous les Kacew. En un sens, elle avait l’esprit de famille. Elle les détestait avec l’excès qu’elle appliquait à toute chose, les détestait sans nuances, avec une violence irraisonnée, une férocité jamais feinte. Elle excellait dans l’art de la détestation, haïssait avec un talent fou.

La vie à Wilno en 1925

La vie s’exprimait ici dans toute sa joyeuse fureur, son exaltation débordante, on était au cœur battant du ghetto, c’était le cœur vivant du monde. La clameur du jour balayait le souvenir des jours noirs. On se laissait griser par une ivresse infinie, la vie n’avait plus rien d’éphémère, le présent était l’éternité. Ces pieux vieillards à la barbe grise, ces femmes à la beauté sage, ces enfants aux yeux pétillants, ce merveilleux peuple de gueux marchait ici un siècle auparavant et arpenterait ces rues dans cent ans ce peuple là est immortel

Un homme de foi comme on les aime

Je ne peux rien te montrer qu’un monde de contraintes, de prières obligatoires, de règles à respecter, d’interdits et de lois -ne fais pas ceci, le Éternel à dit que … Mais sache que la religion, ça n’est pas que cela. C’est une affaire d’homme. L’Éternel existe avant tout en toi, dans le souffle de ton âme plus que dans l’air que tu respires. C’est simplement une sorte d’espérance, rien de plus, une simple espérance que rien ne peut atteindre, qui est immémoriale et qui se transmet, simplement de génération en génération, au-delà de la religion, de la foi, de la pratique. Une espérance indestructible, heureuse, qui fait battre le cœur même aux pires moments de haine.

Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.


Pas vraiment convaincue par cette lecture. Je me demande ce que les écrivains d’aujourd’hui vont rechercher à travers la biographie des artistes d’hier. La vie ratée de l’écrivain August Strindberg est pire qu’un mauvais roman. La lecture d’articles qui lui sont consacrés sur le net, en disent autant que ce petit livre, moins le style de l’auteure. Trois fois, cet homme tourmenté, drogué alcoolique, violent a essayé grâce à trois mariages différents de se sortir de la misère. Il a sans doute eu des sentiments pour ces trois femmes, mais aimer pour lui voulait dire les injurier et les mépriser. Je ne connais pas l’oeuvre de Strindberg et ce n’est pas ce livre qui me donnera envie de lire ces livres ni d’aller voir ses pièces.

Il reste donc le style de Régine Detambel. Pour se mettre à la place du cerveau souffrant de cet auteur, elle saccade ses phrases, supprime au maximum les verbes. Ce n’est pas agréable à lire, c’est très certainement pour rendre compte de la vie aux côté de ce grand malade de Strindberg. Les deux dernières pages, celles où elle raconte l’enterrement de cet écrivain sulfureux prennent un peu plus de hauteur. Bref, un pensum de lecture qui n’a duré qu’une soirée.

Citations

Exemple de scène et du style de l’auteure

Tu n’es qu’un coureur de dot !

Ne me touche pas

On se hait, on se bat jusqu’à tomber, au petit matin, sur notre lit, sans même ôter nos souliers, étourdis par le bruit incessant des insultes ; (…)

Souillure que de devoir l’argent à une femme, et en plus aristocrate.
Sorcière

Strindberg anarchiste

Désormais August est mûr pour crever les rois et les princes, ainsi que les barons de Suède. Tous les soirs il est au café à exciter les étudiants. Des détectives le filent. Des informateurs notent sur un carnet tout ce qu’il dit. Le roi déteste les gendelettres politiques . Un gendelettre qui veut faire la révolution, c’est ce qu’il y a de pire.

Ressenti d’une de ses ex

On ne peut se remettre des insultes de Strindberg. Personne ne le pourrait.(…) je croyais ne pas pouvoir survivre aux crachats d’August

Le Misogyne

A en croire le dramaturge, le mariage repose sur une absurdité. Où il y a une femme, ça tourne de toute manière à l’absurde.

Des propos qui ne donnent pas envie de lire Strindberg

La femme a même réussi à faire considérer la maternité comme quelque chose de sacré, et l’homme le croit, mais c’est faux d’imaginer que les femmes souffrent en accouchant, c’est un mensonge disons le franchement, en vérité elles jouissent à ce moment là d’un plaisir mille fois plus fort que celui qu’elles trouvent avec un pénis… Mon Dieu, que les hommes sont cons…

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard, il a obtenu un coup de cœur.

Je savais, grâce au billet d‘Aifelle , que je lirai ce livre, depuis j’ai lu « Anna ou une histoire française » et je ne peux encore une fois que me féliciter de ce conseil de lecture. Même si, ce n’est pas une lecture très facile, surtout la partie sur l’angoisse d’Abraham, j’ai été très touchée par ce récit. Comme Aifelle je vous conseille d’écouter son interview car elle raconte si bien tout ce qui l’habite. Alors pourquoi Abraham est-il angoissé, je n’ai pas trouvé la réponse, mais en revanche Rosie Pinhas-Delpuech a raison, si on ne connaît pas la cause on connaît bien l’heure à laquelle l’angoisse nous saisit : c’est l’heure où le soleil, même s’il illumine une dernière fois de mille feux le ciel, va se coucher et où la lumière va faire place à l’obscurité.

C’est l’heure où les enfants pleurent sans pouvoir être facilement consolés, c’est l’heure où le malade a peur de la nuit qui s’installe, c’est l’heure où le marin voudrait être au port.

Cette auteure nous entraîne dans un voyage, celui de son exil et celui de l’exil de sa langue. Ses passages sur le français des étrangers sont d’une justesse incroyable . Elle nous fait connaître aussi Israël autrement et c’est si rare aujourd’hui entendre parler positivement et simplement de ces gens qui habitent sur cette terre tellement convoitée. Elle nous raconte aussi la France des années 70 et les quelques pages sur Nanterre sont intéressantes, elle y mêle la toute nouvelle université : quelques bâtiments très laids sortis d’une friche assez triste, contrastant avec l’exigence intellectuelle des professeurs et les débats sans fin avec son amie, le murs qui cache un bidonville où des émigrés moins chanceux qu’elle s’entassent. Elle n’oublie jamais que sa condition d’étrangère peut se rappeler à elle brutalement. Et qu’elle peut se retrouver sur l’île de la Cité à faire la queue parmi les désespérés du monde pour renouveler ses titres de séjour. Finalement sa vraie patrie sera ses langues et surtout la traduction, c’est à dire encore un voyage celui qui lui permet de passer de l’hébreu au français et du français à l’hébreu. Elle n’en n’oublie pas pour autant le turc qui reste sa langue maternelle.

 

Citations

L’exil

Ils(les Russes blancs) ravivaient auprès de ces derniers, et surtout des Juifs, la mémoire des guerres, des horreurs qui les accompagnent, du déclassement qu’entraîne tout déplacement forcé, de l’exil d’un peuple qui avait la nostalgie de sa terre, de sa langue et d’une chose tout à fait indéfinissable que Dostoïevski- qui écrit « L’idiot » au cours d’un long exil à l’étranger- « le besoin d’une vie qui les transcende, le besoin d’un rivage solide,d’une patrie en laquelle ils ont cessé de croire parce qu’ils ne l’ont jamais connue ».

L’aéroport de Lod

Mon souvenir de l’aéroport de Lydda-Lod en 1966 recoupe certaines photos des « Récits d’Ellis Island » de Georges Perec et Robert Bober. Les mêmes bagages bourrés et, ficelés, inélégants, les mêmes visages un peu figés par l’attente , l’angoisse, l’excès d’émotion. En 1966, l’aéroport de Lod est un lieu unique au monde où des retrouvailles sont encore possibles entre morceaux de puzzles dispersés sur la surface de la terre ou manquants.

 

les Juifs, la terre et la nation

Détaché de la terre par des siècles d’errance, interdit d’en posséder, de la travailler, le Juif est historiquement une créature urbaine. Parmi les notions élémentaires qui me faisaient défaut par tradition et culture profonde, la terre, la patrie, le drapeau, n’étaient pas les moindres. Toujours hôtes d’un pays étranger, d’abord de l’Espagne puis de l’empire ottoman, la terre était pour nous une notion abstraite, hostile, excluante. Nous étions des locataires avec des biens mobiliers, transportables : ceux qui se logeaient dans le cerveau et éventuellement dans quelques valises. La terre appartenait aux autochtones, ils avaient construit une nation, puis planté un drapeau, et nous étions les hôtes, désirables ou indésirables selon les jours.

Le style que j’aime, cette image me parle

C’est exactement ainsi que m’est apparu Hirshka, (…) comme s’il draguait dans un filet de pêche une histoire qu’il avait traînée à son insu jusqu’aux rives de la Méditerranée.

La langue des » étrangers »

Quand on est en pays étranger, même si on en comprend la langue, on ne se comprend pas . Parfois, on n’entend pas les paroles qui sont dites. L’entendement est obstrué. On est frappé de surdité auditive et mentale. La peur qu’éprouve l’étranger et, le rejet qu’il subit, le rendent déficient. Il se fait répéter les choses, de crainte de ne pas comprendre.

Entre le jargon dissertation de la philosophie , le caquètement des commères de la rue, l’argot de l’ouvrier, celui de l’étudiant, il ne restait pas le moindre interstice pour le parler respectueux de ceux qui, depuis deux siècles, avaient élu domicile dans le français de l’étranger.

Comme Aifelle je vous conseille d’écouter cette femme

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard. Traduit de l’anglais par Claire Desserrey

 Les écrivains ont, à chaque époque, leur façon de se raconter. Au XVIIe siècle, on n’avait peu l’habitude de se répandre en confidences sur sa vie privée, surtout pour un philosophe. Même Montaigne au XVIe n’a écrit sur lui-même que pour nous faire comprendre qu’il « portait en lui l’humaine condition » et donc nous ne connaissons rien, ou presque, de ses amours ancillaires ou autres ! On sait peu de choses sur une petite Francine, enfant d’une servante en place à Amsterdam chez le libraire qui accueillera Descartes, elle est née en juillet 1635 et morte en 1640. La servante, sa mère, savait écrire et Descartes écrivit lors de la mort de l’enfant qu’il avait connu « le plus grand regret qu’il eût jamais senti de sa vie ». Voilà les source sûres qui donnent corps à ce roman « historique ».

L’auteure du XXIe Siècle, cherche à donner vie à cette Héléna que Descartes aurait séduite et avec qui il a eu une enfant.C’est particulièrement compliqué pour l’auteure, Genevre Glasfurd, car elle a bien du mal à imaginer les sentiments et les réflexions d’une femme de cette époque. Le fait que cette servante sache lire et écrire suffit-il pour l’imaginer indépendante et libérée des carcans de son époque ? Ce ne sont là que des hypothèses qui ne sont guère convaincantes, d’ailleurs on sent que l’écrivaine, par soucis de vérité sans doute, ne sait pas trop quel parti prendre : Héléna est à la fois très religieuse et éprise de liberté.

Cette histoire d’amour entre une servante protestante et un grand écrivain français catholique dont on sait historiquement que peu de chose, prend trop de place dans le roman. La description des difficultés pour écrire librement un livre de philosophie dans des pays dominés par un pouvoir religieux obscurantiste est beaucoup plus intéressante. Et puis, comme dans tout roman historique, le fait d’amener le lecteur à vivre dans une société du temps passé, nous fait découvrir une autre époque et d’autres lieux mais j’étais mal à l’aise parce que je sentais bien que l’auteure voulait donner une forte personnalité à une jeune femme dont on sait si peu de choses, même si le fait de savoir lire et écrire était peu banal, cela n’en fait pour autant la « femen » du XVIIe.

Lisez l’avis de Dasola qui a aimé cette lecture et qui souligne la qualité d’écriture de cette écrivaine à laquelle je n’ai pas vraiment été sensible. Même si ce roman se lit facilement.

Citations

L’importance des écrits pour Descartes

Qu’est ce qu’un livre ? Les élucubrations de mon cerveau. Des mots, écrits à la plume avant d’être imprimés. Des pages, assemblées et reliées, diffusées. Lorsqu’il paraît, un livre est une chose incroyable, il a de la la force, des conséquences. Il peut remettre en cause d’anciens dogmes, désarçonner les prêtres les plus convaincus, mettre à bas des systèmes de pensée.

Ambiance de l’époque en Hollande

Nous passons devant le marché aux poissons et l’église Pieterskerk ; un homme a été mis au pilori, pieds nus et sans manteau, avec à côté de lui un écriteau où l’on peut lire : FORNICATEUR.

J’ai lu ce livre lors d’un séjour à Ouessant et malgré les beautés de la nature offertes par le vent et la mer, je ne pouvais m’empêcher d’être saisie d’effroi par tant de souffrances imposées à un enfant qui ne pouvait pas se défendre contre la folie de son père. Je me suis souvenue de la discussion de notre club, le livre a reçu un coup de cœur, mais plusieurs lectrices étaient choquées par l’attitude de la femme. En effet, celle-ci va passer sa vie à faire « comme si » : comme si tout allait bien, comme si tout était normal, et avec la phrase que le petit Émile a entendu toute sa vie « Tu connais ton père », elle croit effacer toutes les violences et tous les coups reçus.

Oui son père est fou et gravement atteint, il entraîne son fils dans sa folie, en faisant de ce petit bonhomme de 12 ans asthmatique et fragile un vaillant soldat de l’OAS, mais oui aussi, je suis entièrement d’accord avec mes « co »-lectrices sa mère est largement complice du traitement imposé par ce fou furieux à sa famille. Lorsque son père sera enfin interné et que le fils adulte révèle aux psychiatres ce qu’il a subi enfant, sa mère quitte son fils sur cette question incroyable :

Et c’est quoi cette histoire ? Tu étais malheureux quand tu étais enfant ?

L’autre question que pose ce roman, c’est la part de la fiction et de la réalité. C’est évident que l’auteur raconte une partie de son enfance, et nous fait grâce à cela revivre ce qu’a représenté la guerre d’Algérie pour une partie de la population. À cause de ce livre, j’ai relu la déclaration de Salan lors de son procès, il exprime à quel point lui, le général le plus décoré de l’empire colonial français a souffert de voir ses conquêtes disparaître peu à peu dans le déshonneur des promesses non-tenues aux populations qui soutiennent ses idée. La grandeur de la France et de son drapeau c’était, pour lui, de tenir face aux barbares, c’est à dire ceux qui ne veulent pas être français. Le père d’Émile use et abuse de ce genre de discours et dans cette tête de malade cela lui donne tous les droits. Comme tout paranoïaque, il a raison contre tout le monde et invente une histoire mensongère et folle de plus quand il risque d’être mis devant ses contradictions.

Bien sûr, il y a toujours une forme d’impudeur à faire de sa souffrance un roman lu par un large public, et je suis souvent critique face au genre « auto-fiction », mais lorsque l’écrivain sait donner une portée plus large à ses souvenirs au point de nous faire comprendre les mécanismes de ce qui rend une enfance insupportable, je ne ressens plus l’impudeur mais au contraire une sorte de cadeau fait à tous ceux qui tendent la main aux enfants malheureux car on peut donc s’en sortir sans répéter les mêmes erreurs. Et puis il y a le style, j’apprécie beaucoup celui de Sorj Chalandon, tout en retenu même quand on est aux limites du supportable.

Citations

Style de Sorj Chalandon

Il y avait un mort avant le nôtre, des dizaines de voiture, un deuil en grand. Nous étions le chagrin suivant. Notre procession à nous tenait à l’arrière d’un taxi.

la vie de famille

Il l’a regardée les sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent . Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

Après des actes de violence de son père un mensonge de paranoïaque

J’étais bouleversé. Je n’avais plus mal. Mon père était un compagnon de la Chanson. Sans lui, jamais le groupe n’aurait pu naître. Et c’est pourtant sans lui qu’il a vécu. Ils lui avaient volé sa part de lumière. Son nom n’a jamais été sur les affiches, ni sa photo dans les journaux . Il en souffrait . Ceux qui ne le savaient pas étaient condamnés à dormir sur le palier.

C’était il y a trois ans. Depuis, maman n’a plus allumé la radio. Et plus jamais chanté.

Rôle de la mère

Ce jour-là, en allant voter contre l’autodétermination, il avait écrit « Non » sur les murs. Le soir, il avait perdu. Il a hurlé par la fenêtre que la France avait trahi l’Algérie. Et aussi lui, André Choulans. Il est ressorti à la nuit tombée . Il est rentré plus tard, avec du sang sur son imperméable kaki et les mains abîmées.
Le regard épouvanté de ma mère, visage caché entre ses doigts. Elle a gémi
– Mon Dieu, ta gabardine !
– T’inquiète pas la vieille, c’est du sang de bicot.
Elle a secoué la tête.
– Le sang c’est comme le vin, c’est dur à ravoir, a-t-elle dit simplement.

Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard Thème roman et peinture.

Ce livre m’est vraiment tombé des mains, il m’a aussi rendue triste et mise en colère. Tombé des mains, lors du fastidieux rappel des 16 ans de procédure pour régler la succession du peintre. Triste, que l’auteur cherche à mettre en lumière ce que de leur vivant, Pierre et Marthe ont préféré taire. Mise en colère, car le roman n’apporte rien à la compréhension de l’œuvre de Pierre Bonnard. On ne sait pas grand chose sur cette Marthe épouse de Bonnard, ni lui ni elle n’ont voulu dévoiler les secrets de la vie de cette femme. Pourquoi diantre, faut-il aller remuer les rares pistes dévoilant l’origine de Marthe qu’il a peinte si souvent pour laisser à la postérité de très beaux nus, troublants sensuels et souvent très érotiques. Pourquoi raconter les 16 ans de procès de la succession de Pierre Bonnard ? Est ce que cela rend plus présent l’œuvre de ce peintre ? Bien sûr que non, cette enquête ne mène à pas grand chose sinon à se dire qu’ils ont voulu tous les deux préserver leur intimité et ne dévoiler que ce qui se voit sur de magnifiques tableaux.

Citation

Voilà tout ce que l’on sait sur Marthe

La jeune femme se mire dans les miroirs de la maison, dans les yeux de Pierre, sur les toiles. Elle met son corps au service de son amant, autant dire de l’art.

Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard

Déçue ! j’avais pourtant bien aimé « le club des incorrigibles optimistes » un peu moins « la vie rêvée d’Ernesto G. » et vraiment très peu celui-là. Bref, pas sûre que j’en lise un autre, de cet auteur. Jean-Michel Guenassia se plaît à découvrir les dessous de la grande Histoire . Ici il s’attaque à un fait divers tragique qui a certainement privé l’humanité d’un artiste qui avait encore tant à nous dire à travers sa peinture. Comment est mort vraiment Vincent Van Gogh, on est sûr d’une chose, il est mort des suites d’un coup de feu. Mais qui a tiré ? lui ? Des enfants qui jouaient ? Un homme rencontré peu de temps avant ? et ensuite pourquoi n’a-t-on pas pu extraire la balle pour lui sauver la vie ? Le docteur Gachet était-il compétent ? Quand on va à Auvers toutes ces hypothèses sont évoquées, celle du suicide aussi évidemment, avec une véritable interrogation à propos de l’arme. Un pistolet sera bien retrouvé dans un champ en 1960 mais est-il celui qui a servi et qui s’en est servi ?

Fort de toutes ces interrogations Jean-Michel Guenassia, invente un amour entre Marguerite Gachet et Vincent Van Gogh. Pourquoi pas ? Que ce peintre ait pu émouvoir jusqu’à la passion une jeune fille de province vivant sous la domination d’un père peu sensible à ses volontés d’émancipation, c’est possible. Ce n’est qu’une hypothèse de plus. Je l’ai acceptée au début, espérant qu’elle permette de mieux comprendre ce génie de la peinture. Et c’est là que le roman est faible car si la jeune fille sent immédiatement la force de ce peintre et que quelques descriptions de sa façons de peindre sont attirantes, le génie de Vincent Van Gogh ne devient pas plus familier pour autant. Ce n’est pas très surprenant car l’auteur a vraiment très peu de documents pour étayer sa thèse. Vincent n’a jamais parlé de Marguerite Gachet à son frère. La partie artistique est quelconque et je n’ai guère cru à l’intrigue amoureuse.

Je retiendrai une chose qui est connue mais qui est bien expliquée ici : on peut être une copiste géniale et ne rien avoir à apporter à l’art, autrement dit ne pas être un artiste. Ainsi certains tableaux du musée d’Orsay seraient des copies de la main de Marguerite Gachet dont ce célèbre portrait de son père. Il est vrai que Vincent dans les lettres à Théo parle d’un portrait et pas de ce deuxième. Pas plus qu’il ne parle de son amour pour Marguerite. Et surtout que se cache-t-il derrière le regard dans le vague du Docteur qui aurait laissé mourir sciemment Vincent Van Gogh ? Dans ce cas il mériterait grandement l’opprobre de Jean-Michel Guenassia.

Le vrai acheté par quelqu’un qui ne l’expose jamais.

Et le faux ? celui qui est à Orsay

Citations

le père et le frère de Marguerite Gachet

Ils sont tellement prévisibles, leur égocentrisme est tellement forcené que cela serait risible si je n’en avais autant de tristesse. Chaque année, je n’y fais pas allusion , pour voir s’ils y penseront, et je ne suis pas déçue : ils m’ont oublié.

Les lieux peints par Vincent Van Gogh et les impressionnistes

Nous étions au bord de L’oiseau, c’est un lieu que Vincent affectionne particulièrement. A cette époque cet endroit ressemblait au paradis terrestre, le grand saccage commençait à peine, nous n’avions pas conscience que l’homme était en train de tout défigurer…Quand on voit les bords de Seine tels que les ont peints les impressionnistes et ce qu’ils sont devenus, nous ne pouvons qu’être atterrés de la destruction systématique de ce qui était si beau.

20161206_113108Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard et coup de cœur de mon club

4Un coup de cœur également de ma part pour ce livre témoignage entre fiction et réalité. Ce roman m’a beaucoup intéressée, et pas seulement pour la découverte de la vie d’Albert Achache-Roux qui s’arrête à Auschwitz en 1943. Ce livre permet de découvrir l’Algérie, les effets des décret Crémieux sur la population juive de ce pays, les violences antisémites de la part des colons pendant l’affaire Dreyfus. Comme Brigitte Benkemoun découvre, à sa grande surprise, assez vite, que son grand-oncle était homosexuel, cela lui permet de réfléchir sur l’homosexualité dans une famille juive à la fin du XIXe siècle.

En plus de tous ces différents centres d’intérêts, on suit avec passion l’enquête de l’auteure. Quelle énergie ! Elle ne laisse rien passer, dès qu’une petite fenêtre s’entrouvre, elle fonce pour en savoir un peu plus. Elle tire sur tous les fils, elle suit toutes les pistes qui l’amène à mieux connaître Albert, ce richissime homme d’affaire adopté par un certain Monsieur Roux. Elle finit par comprendre ce que cache cette adoption : la solution que trouvait, parfois, des homosexuels à cette époque pour vivre tranquillement leur vie à deux. Elle cherche obstinément qui a pu dénoncer son oncle et finalement nous donne un portrait saisissant de la tragédie des homosexuels qui se mêle ici au nazisme et à la chasse aux juifs à Nice menée par l’horrible Aloïs Brunner (qui a sans doute tranquillement fini ses jours à Damas en 2010). Il est aidé dans cette chasse par des Russes blancs qui ont retrouvé là, les habitudes des tsaristes. Elle ne fait pas qu’une œuvre de biographe, elle remplit les nombreux blancs de la vie d’Albert par tout ce qu’elle connaît de la vie de sa famille, c’est pourquoi son livre se situe entre le roman et la biographie. Et nous la découvrons elle, une femme passionnée et passionnante.

Citations

Ashkénaze et Sépharade

Ces Ashkénaze d’Alsace Lorraine, dépêchés par le Consistoire de Paris pour « civiliser » leurs coreligionnaires, s’échinent à transmettre la décence et l’orthodoxie. Mais ils adressent des rapports accablés à leur hiérarchie , émouvantes par les youyous et le bazar oriental

Découverte de son homosexualité en 1908

Qui qu’il soit, il est « anormal », quoi qu’il dise, il est condamnable. Est-il en train de devenir fou, ou serait-ce plutôt une maladie ? Entre toutes, la plus honteuse : une perversion, une inversion, une erreur épouvantable qui l’a fait homme … Par moments, il se force, il se blinde, espérant se soigner ainsi comme d’une fièvre qui finira par passer. Il réprime les pulsions et les émotions, et il se mûre en lui-même , dans cette prison intime où les désirs sont interdits.

La famille juive en Algérie

Sans doute étouffé par la famille et la communauté, dans ce monde où l’individu n’existe que dans le groupe et où chacun se comporte forcément comme les autres, sous le regard de tous

Richesse

Et cette propriété sur les hauteurs de Nice illustre son ascension sociale : les bourgeois vivent près de la mer, les aristocrate la surplombent.

Dernière phrase du livre

Je suis l’héritière de ton monde. Et ce livre est le petit caillou qu’une mécréante croit laisser sur une tombe qui n’existe pas.

20160918_124104Traduit de l’espagnol par Eduardo Jime.

3
S’il s’agit bien ici d’un roman d’espionnage, il s’agit surtout de découvrir un aspect peu connu de la guerre d’Espagne. Et loin de suivre les exploits d’une « James Bond girl », on est, sans doute, plus près de la réalité en matière d’espionnage, presque tout se passe dans un salon de couture. Et si la jeune Sira sait habiller les femmes qui ont les moyens de dépenser des fortunes pour se vêtir alors que l’Espagne est ravagée par la misère, elle sait aussi écouter les conversations, qu’elle rapporte fidèlement aux autorités britanniques.

Le cœur du roman, et une grande partie de son intérêt c’est de nous raconter ce moment particulier où Franco après sa victoire contre les républicains a hésité à s’engager auprès des allemands qui l’avaient si bien aidé dans ses combats. Cette jeune Sira est dabord une femme assez sotte qui a failli finir en prison pour les beaux yeux d’un malfrat . Mais elle luttera de toutes ses forces pour s’en sortir et créera à Tanger un salon de couture pour clientèle huppée, elle fréquente une population cosmopolite du plus bas de l’échelle sociale à la maîtresse du gouverneur. Elle est recrutée par les services britanniques et repart à Madrid. La situation de l’Espagne n’occupe pas une grande place dans ce roman mais les quelques pages qui lui sont consacrée sont absolument terribles.

J’ai des réserves sur ce récit , car il contient trop d’ingrédients dont les auteurs ont tellement abusés : la jeune fille sans père qui est finalement reconnue par son géniteur qui se trouve être une des grandes fortunes d’Espagne ; un bel amoureux qui n’en veut qu’à son argent ; une jeune couturière qui démarre de rien et qui à force de travail devient riche et recherchée par toute la haute société ; et pour couronner le tout un futur mari bien comme il faut …. Ça fait beaucoup, mais malgré cela, j’ai lu avec intérêt ce moment de l’histoire espagnole.

Citations

Personnalité britannique peu sympathique

Sa résistance à l’alcool se révélait stupéfiante, presque comparable aux mauvais traitements infligés à la domesticité. Il s’adressait à eux en anglais, de mauvaise humeur, sans prendre la peine de considérer qu’ils ignoraient totalement sa langue, et quand il se rendait compte qu’ils n’avaient rien compris, il se mettait à hurler en hindi, la langue de ses anciens domestiques à Calcutta, comme si, pour les employeurs de maison, il existait une langue universelle.

La misère en Espagne après la guerre civile

Madame Engracia est à moitié aveugle et elle déambule dans les rues ; elle a l’air folle elle remue avec un bâton tout ce qu’elle trouve. Dans ton quartier, il n’y a plus ni chats ni pigeons, ils les ont tous mangés …. Andeita a été éventrée par un obus un après midi en traversant la rue Fuencarral pour rejoindre son lieu de travail….Sole a eu des jumeaux ; cadeau d’un milicien qui a disparu sans meme leur laisser un nom ; comme elle n’a pas pu garder les enfants, parce qu’elle n’avait pas de quoi les entretenir, ils ont été emmenés à l’hospice, et elle n’a plus eu de nouvelles On raconte qu’elle se vend maintenant aux débardeurs du marché de la Cebada, elle demande une peseta par passe, sur place, contre le mur ; elle traîne dans le coin, elle ne porte pas de culotte, elle soulève sa jupe dès que les camionnettes arrivent, aux premières lueurs de l’aube.

20160908_1133254
J’avais tellement apprécié « les forêts de Ravel » que je me suis précipitée sur ce roman. C’est encore une fois Sandrine qui m’a fait noter son arrivée dans une rentrée littéraire trop encombrée pour moi. Michel Bernard a deux talents, il sait décrire la guerre dans toute son horreur et les sentiments patriotiques qui conduisent des hommes jeunes à risquer leur vie. Et cet auteur sait aussi raconter la création artistique. Le premier remord de Monet, c’est l’histoire de ce jeune talentueux, courageux et très beau Frédéric Bazille  qui est mort pendant la guerre de 1870, alors que Monet est réfugié à Londres loin des tumultes des armes. Frédéric Bazille c’est ce grand jeune homme allongé sur ce tableau.dejeuner-pouchkine

Le début du roman commence par la quête du père de Frédéric, il veut retrouver son fils, Michel Bernard nous décrit, alors, ce qu’a représenté cette défaite de la France. Une armée mal préparée, une république toute neuve qui n’a pas pu se défendre des soldats prussiens qui venaient de vaincre Napoléon III. La quête de ce père, fou de chagrin, à travers le pays dévasté, puis son retour sur ses terres avec le corps de son fils pour qu’il soit enterré dignement est bouleversant. On retrouve le talent de cet écrivain pour nous parler de la guerre comme il l’avait fait pour raconter celle que Maurice Ravel a faite en 14-18.

L’autre qualité du roman de Michel Bernard , c’est de nous faire partager l’élan créateur de ce peintre. Et ce sera le second remord de Monet que son amour pour Camille dont il a laissé de nombreux portraits . L’écrivain cerne au plus près les sensations du peintre et nous comprenons peu à peu les forces qui l’ont poussé à créer toute sa vie. Le roman suit l’artiste à Londres, à Argenteuil, sous le soleil, sous la neige, il épouse les différents moments de la vie de Monet et nous retrouvons des tableaux si célèbres et tant de fois admirés. Comme celui-ci dont j’ai toujours trouvé la lumière si belle :monet-la-piePuis viendra, pour Monet, le moment des séries et toujours la remise en question de son travail que ce soit à travers les peupliers, la cathédrale de Rouen. Je crois qu’après avoir lu ce roman, on comprend mieux la quête de la lumière pour les peintres en particulier les impressionnistes. Et quel superbe final que cette réalisation de son jardin de Giverny et sa séries des nymphéas. Monet a réussi sa vie, je ne sais toujours pas s’il a eu des remords mais ce qui est sûr, c’est qu’il a offert à la France une oeuvre magistrale à laquelle Michel Bernard rend un très bel hommage.

Citations

Les phrases que j’aime lire

Les cyprès, lanternes des morts au soleil de la Méditerranée, fusaient au-dessus des murs du cimetière.

L’élan patriotique

Les armées prussiennes étaient entrées en France et marchaient sur Paris. Cela avait décidé Frédéric, le doux rêveur Frédéric, à s’engager. Il avait lui aussi trouvé stupide ce conflit, stupide ce régime à bout de souffle, stupides ces généraux carriéristes ressassant les nostagies impériales. La défaite et l’invasion changeaient tout. Le pays était malheureux, la France était blessée, il fallait faire son devoir.

La création des nymphéas

Les teintes glauques, où les effets de lumières assourdis mêlaient l’air et l’eau, baignaient voluptueusement le regard blessé du peintre. Une autre dimension des choses vivantes lui apparaissaient qu’il n’aurait pas su voir quand il était jeune. Elle était supérieure, il le sentait, parce qu’elle lui apportait une certaine sérénité dans la contemplation. Il avait fallu la longue préparation d’une vie pour l’atteindre et le comprendre. Il y a vingt ans, il avait deviné que quelque chose était là, qui l’attendait, mais c’était encore trop tôt. Impatient, tumultueux et désordonné, il s’était prématurément jeté à la conquête de ce qu’il fallait encore attendre. Maintenant, devant ses yeux usés, un monde intermédiaire s’ouvrait, neuf pour lui et vieux comme la Création.

thm_nympheas-paneel-c-ii