Édition Gallmeister traduit de l’américain par Sophie Asnalides

A obtenu un coup de cœur au club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Comment classer ce roman qui a tant plu aux lectrices et au lecteur de notre club de lecture : roman social , parce qu’il décrit si bien la société d’une petite ville de l’Arkansas groupée autour d’un pasteur charismatique, roman policier parce qu’il y a des meurtres, thriller parce que le suspens bien que prévisible est très bien mené. C’est tout cela et beaucoup plus. Parlons d’abord du contexte, le jour de Pâques la famille du pasteur Richard Weatherford est réunie pour célébrer le Seigneur en ce jour qui célèbre sa résurrection. Celui-ci est tourmenté car il a eu une relation homosexuelle avec un jeune de son village, Gary Doane . Celui-ci a décidé de fuir le village et la domination du pasteur avec de l’argent soutiré au pasteur pour ne pas dévoiler ces relations. Tout se passe en cette journée de Pâques et l’on sent que l’on va vers une catastrophe si prévisible. Mais le plus important n’est pas là, même si l’intrigue est très bien menée, à aucun moment on est dans l’interprétation des faits mais dans les faits eux-mêmes. Chaque chapitre tourne autour d’un personnage du village et peu à peu le village apparaît devant nos yeux et c’est vraiment très intéressant. Le titre dit tout de l’ambiance de Stock, cette petite ville où tout le monde connaît tout le monde et se surveille avec peu de charité chrétienne même si le pasteur est bien le personnage tutélaire de ce roman. On est dans l’Amérique profonde qui ne croit ni à le théorie de l’évolution ni à la liberté de penser. Un pas de travers et vous voilà rejeter de ce petit village qui donne envie de fuir. Mais pour cela, il faut un peu d’argent et c’est bien là le nerf de la guerre. Même si on sent bien que rien ne peut s’arranger, je ne peux pas dire que j’avais prévu la fin. Ce roman conviendra à toutes celles et tous ceux qui sont persuadés que les bons sentiments ne mènent pas le monde, même quand ils sont prêchés tous les dimanche d’une voix tonitruante. Un excellent moment de lecture que j’aimerais partager avec vous.

PS . Ce billet est écrit depuis longtemps, mais tout à fait par hasard il résonne avec l’actualité. On y voit, en effet, les ravages que provoquent le risque de mettre à jour une relation homosexuelle qui révèlerait la part d’ombre d’un homme puissant.

 

Citations

La famille du pasteur

Papa, comment c’est possible qu’il y ait des gens qui pensent qu’on descend des singes ? – Je ne sais pas, mon fils. Hitler a dit que si on veut que les gens croient un mensonge, il suffit de le répéter sans arrêt. Les anticléricaux ne cessent de répéter leur discours sur l’évolution et les gens l’accepte sans le remettre en question. Ils entendent des hommes instruits avec des diplômes impressionnants qui pérorent sur les singes, des fossiles, que sais-je d’autre, ils se disent : « Bon je n’y comprends rien, mais je suppose que ça doit être vrai si ces gens intelligents le croient. »

Dialogue entre la femme du pasteur et une amie

Non, je vous ce que tu veux dire, dit Sandy. Femme de pasteur c’est un job qui occupe nuit et jour.
– Tout à fait. Et j’aime ça. Je ne me plains pas. Mais cette position est très exigeante, un peu comme celle de la femme d’un homme politique. Beaucoup de gens la qualifieraient à peine de boulot, mais en réalité, c’est assez proche de la manière dont Ginger Rogers qualifiait ses danses avec Fred Astair.
– « Je faisais tout ce qu’il faisait, mais à reculons et en talons. »

Le cœur du roman : monologue du pasteur

Ce que je ne suis pas, c’est un homosexuel. Cela n’existe pas, les homosexuels. Le concept de l’identité gay est un mensonge du diable, fondée sur les idées fausses que l’homosexualité est un état de l’être. Si les homosexuels existent, alors Dieu a dû créer les homosexuels, donc, non, il ne peut pas y avoir d’homosexuels. Il n’y a que des actes homosexuels, et on peut choisir ou non de commettre ces actes. Je peux me détourner de mon péché.

Le dépressif

Vachement déprimant, comme idée. Soit c’était un raté et sa grange est là, à pourrir au bord de la route, soit il avait réussi et sa grange est là, à pourrir au bord de la route.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Albin Michel

 

Dans cette période qui devrait normalement être celle de la fréquentation des cimetières, je vais vous parler d’un roman pour lequel je ne suis pas enthousiaste, même si j’ai eu quelques bons moments pendant la lecture. Violette Toussaint née Trénet est gardienne de cimetière. Quand je dis « née » je ne vous dis pas l’essentiel : Violette est née sous « x » et une sage femme l’a prénommée Violette car à la naissance sa peau violacée l’avait condamnée à ne pas survivre, puis Trénet sans doute parce qu’elle aimait ce chanteur. Violette rencontre son destin sous les traits de Philippe Toussaint un trop beau garçon qui passe son temps à faire l’amour aux femmes, la sienne, celles des autres et toutes les filles qui en ont envie. De cette union mal assortie naîtra une petite fille Léonine et sept ans de bonheur intense pour Violette, même si son mari continue à courir les femmes dans toute la région. Le malheur de Philippe vient d’une mère Chantal Toussaint qui méprise sa belle fille et cherche à transmettre à son fils son propre mépris. Un accident terrible va survenir, mais je ne peux, sans divulgâcher le récit, vous le raconter. Les plaisirs de lecture de ce gros roman, vient des différentes anecdotes liées aux histoires de cimetière. Violette aime son métier et accueille avec respect les malheur des uns et des autres, c’est cet aspect qui m’a le plus intéréssée. J’avoue que l’intrigue autour de la mort de sa petite fille de sept ans, m’a beaucoup moins passionnée et surtout, je ne crois pas du tout aux deux personnages principaux. On est dans la caricature ou dans l’esquisse de personnages mais pas dans la richesse de la complexité de l’humain. L’histoire se tisse lentement au gré d’incessants retour en arrière ou de changements de personnages, on s’y perd un peu. Ce n’est pas ce qui m’a le plus dérangée, mais je ne comprends pas trop cette envie de rendre le roman aussi sinueux . Pour finir par un happy-end très prévisible. Comme je le disais en commençant, il y a de très bonnes petites histoires autour du cimetière, qui rendent ce roman parfois très agréable à lire, mais sinon il faut accepter le côté « romanesque », dans le mauvais sens du terme, des personnages. Cela m’a fait penser aux romans d’Anne Gavalda en plus caricatural.( Et je précise que parfois je prends plaisir à lire Anne Gavalda – comme pour ce roman que je suis loin d’avoir entièrement rejetée.)

 

Citations

Portrait de son mari

Le jour de la parution de l’article, Philippe Toussaint est rentré de la feue ANPE la mort dans l’âme : il venait de réaliser qu’il allait devoir travailler. Il avait pris l’habitude que je fasse tout à sa place. Avec lui, niveau fainéantise, j’avais gagné le gros lot. Les bons numéros et le jackpot qui va avec.

J’aime bien ce genre de remarques

Demain, il y a un enterrement à 16 heures. Un nouveau résident pour mon cimetière. Un homme de cinquante cinq ans, mort d’avoir trop fumé. Enfin, ça, c’est ce qu’on dit les médecins. Ils ne disent jamais qu’un homme de cinquante cinq ans peut mourir de ne pas avoir été aimé, de ne pas avoir été entendu, d’avoir reçu trop de factures, d’avoir contracté trop de crédits à la consommation, d’avoir vu ses enfants grandir et puis partir, sans vraiment dire au revoir. Une vie de reproches, une vie de grimaces. Alors sa petite clope et son petit canon pour noyer la boule au ventre, il les aimait bien.
On ne dit jamais qu’on peut mourir d’en avoir eu trop souvent trop marre.

Une enfance et un couple sans amour.

Je crois que j’ai toujours eu ce réflexe, celui de ne pas déranger. Enfant, dans les familles d’accueil, je me disais : « Ne fais pas de bruit, comme ça cette fois tu resteras, ils te garderont. » Je savais bien que l’amour était passé chez nous il y a longtemps et qu’il était parti ailleurs, entre d’autres mur qui ne seraient plus jamais les nôtres.

Moment d’humour

Maintenant, ma dernière volonté, c’est de me faire incinérer et qu’on jette mes cendres à la mer. 
-Vous ne voulez pas être enterrée près du comte ? 
-Près de mon mari pour l’éternité ?!Jamais ! J’aurais trop peur de mourir d’ennui !
-Mais vous venez de me dire que ce sont les restes qu’on enterre ici. 
-Même mes restes pourraient s’ennuyer près du comte. Il me fichait le bourdon.

 

Édition Gallimard

Cet auteur est un habitué de Luocine, il sait me faire rire et aussi m’émouvoir. « Charlotte » est certainement le livre qui m’a le plus touchée, j’ai même pleuré en lisant « Mes souvenirs » adoré « La délicatesse » et été déçue par « Nos séparations »

J’ai beaucoup hésité entre trois ou quatre coquillages, mais en tant qu’habitué de Luocine, David Foenkinos bénéficie d’un préjugé favorable. Dans ce roman, l’auteur nous fait prendre conscience du travail de l’écrivain. C’est très à la mode de parler de l’inspiration et de la difficulté de renouveler son inspiration et c’est pour ce côté « dans le vent » que je suis passée de quatre à trois coquillages. Mais c’est aussi un roman qui traite avec tellement de légèreté et d’humour de la création romanesque et de notre vie de tous les jours, que je lui ai rendu son quatrième coquillage  !

L’auteur est donc en panne d’inspiration, et décide d’arrêter la première personne qu’il rencontre pour en faire son personnage de roman . Cela tombe sur Madeleine Tricot, femme assez âgée (on dirait, aujourd’hui, à risques) qui a travaillé dans la mode, chez Chanel, auprès de Karl Lagerfeld . Son roman s’étendra à la famille de sa fille, Valérie, qui a épousé Patrick Martin d’où le titre du roman. L’auteur doit aussi gérer sa séparation. Après quelques années de vie commune, Marie vient de le quitter en lui disant qu’elle préfère vivre seule qu’avec lui. Entre la fiction et la réalité qui passe par la plume de l’écrivain, on assiste surtout à une excellente mise en scène de la création romanesque et du plaisir que doit éprouver tout écrivain à dominer chaque personnage obéissant à sa toute puissance. Mais dans la réalité ? Et bien, oui cela ne se passe pas comme ça, même si on aimerait parfois qu’un écrivain nous anime pour avoir le courage de brûler les rideaux d’un chef pervers et manipulateur ou de mettre toutes ses économies pour aller jusqu’à Los Angeles retrouver son amour de jeunesse. C’est un roman très léger et qui se lit très vite et en plus qui sort le lecteur de la morosité ambiante. Ces quelques allusions aux quotidiens sont bien croquées sans être plombantes. Je suis très sensible l’humour de cet écrivain. Il me donne le sourire même si, comme il le dit dans ce texte, son roman n’est certainement pas écrit pour durer cent ans, il permet de passer une très bonne soirée.

 

Citations

Sujet de roman

Je m’étais senti excité par mon intuition, mais voilà que j’en étais déjà à écrire sur la nécessité de ne pas recongeler des produits décongelés. Quelques années après avoir obtenu le prix Renaudot, je sentais le frisson du déclin me parcourir le dos.

Humour des notes en bas de page

Certes, en sortant du 17° arrondissement de Paris à 10 heures du matin, j’avais peu de chance de tomber sur une go-go danseuse.

Humour

 Ma capacité de séduction ressemblait depuis un moment à un film de Bergman (sans les sous-titres).

Je crois cela aussi

J’ai l’impression qu’on peut tout savoir d’une personne en observant les livres qu’elle possède.

Dialogue avec un ado

– Vraiment, tu n’as pas de passion ? Demandai-je avec désinvolture, m’efforçant d’éviter un ton culpabilisateur.
– Moyen.
– C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi moyen ?
– Ça veut dire j’ai moyen des passions.
– D’accord… Et la musique, tu aimes ça ? Les poster… Tu aimes Angel ?
– Pas spécialement. J’ai fait des trous dans le mur quand j’étais petit, alors je les cache avec des posters.
– Tu écoutes quoi ?
– Il n’y a rien qui me vient, là.
– Et ton temps libre, tu l’occupe comment ?
– Je joue en ligne avec des potes.

Remarque assez juste

Ah, j’ai compris. Votre roman, c’est pour déterrer les histoires de famille. Tout ce qui fait mal.
– Mais non…je n’irai pas contre votre volonté.
– C’est ce qu’ils disent tous. Je ne lis pas beaucoup de romans contemporains, mais je vois bien qu’écrire est souvent un moyen de régler ses comptes.

Harcèlement au travail

Ce matin, Desjoyaux l’avait convoqué pour lui proposer un rendez-vous dans trois jours . Quel supplice . Pourquoi ne lui avait-il pas signifié immédiatement ce qu’il voulait lui dire ? Il allait passer les jours suivants avec une boule au ventre . Desjoyaux n’avait rien laissé percevoir dans son regard , un visage suisse. Le degré suprême du harcèlement , c’est façon froide et presque souriante de commettre un meurtre salariale . Il y avait forcément du sadisme dans cette attitude ; il était bien conscient, vu le contexte général, qu’il ferait souffrir un employé en lui annonçant qu’il le verrait trois jours plus tard ; pire, il avait ajouté « impérativement » le voir. Les mots ont un sens. Impératif veut dire que c’est majeur, déterminant ; cela sent la condamnation.

Vérité et fiction : dilemme de l’écrivain

Ainsi, le vrai pareil souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.

 

Éditions Points . Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

 

Merci à celle grâce à qui ce livre est arrivé jusqu’à moi. Il me revient donc, de vous donner envie de lire au plus vite ce roman qui ne connaît peut-être pas le succès qu’il mérite. Je vous invite à partir avec Tadek Zagourski à la rencontre de son père Stefan Zagourski. Ils ne se sont pas vus depuis plus de vingt ans, Tadek vit en Israël et Stefan croupit dans une maison de retraite à Varsovie. La femme de Tadek ne supporte plus son mari qui tente d’être écrivain et qui surtout traîne un mal-être qui le réveille toutes les nuits par des cauchemars horribles. Elle le quitte en emmenant avec elle leur fils. Seul et encore plus malheureux, Tadek se tourne vers son passé et se souvient de son père qu’il a quitté lorsqu’il avait six ans. Sa mère, son frère, ses sœurs tous les gens qui ont connu son père lui déconseille de faire ce voyage pour retrouver l’homme qui les a martyrisés pendant leur enfance. Pour les sauver de cette terrible influence, sa mère a fui en Israël car elle était juive et a pu empêcher son père de les rejoindre car lui ne l’était pas . Ce retour vers cet homme violent qui est devenu un petit vieux très diminué complètement imbibé de Vodka nous vaut une description impitoyable de la Pologne de 1988, encore sous le joug soviétique, et une plongée dans la guerre 39/45 avec l’évocation du sort réservés aux juifs polonais et des violences entre les différentes factions des partisans. Son père est un héros de cette guerre, il a subi pendant six mois les tortures de la gestapo à Lublin sans trahir aucun de ses amis, puis sera interné au camp de Majdanek dont il s’évadera, ensuite il sera utilisé comme liquidateurs des collaborateurs polonais. Pour tuer un homme ou une femme de sang froid il lui faudra boire au moins une bouteille de vodka par jour. Après la guerre, il restera quelqu’un de violent et fera peur à tout le voisinage, il s’en prendra hélas à sa femme et à ses enfants toujours quand il était sous l’emprise de cette satanée vodka, enfin plus que d’habitude. Tadek va rechercher quels liens unissaient ce père à ses enfants pour retrouver le sens de sa propre paternité. Cet aspect du roman est bouleversant : comment un enfant quelles que soient les violences qu’il a vécues recherche toujours le lien qui l’unissait à un père même imbibé d’alcool dès le matin – car c’est ce que Stefan boit au petit déjeuner à la place du café. Dans cette relation amour/haine, Tadek doit petit à petit faire son chemin et obliger son père à dévoiler tous les côtés les plus noirs de son passé aussi bien sur le plan de la violence que sur le plan sentimental.

C’est un sacré voyage que je vous propose mais je suis certaine que vous ne pourrez pas laisser ces deux personnages avant d’avoir refermer le livre et que vous découvrirez encore tant de choses que je ne vous ai pas dites. Vous irez de beuverie en beuverie, mais, comment voulez vous arrêter de boire dans pays si catholique où, à chaque fois que l’on boit, on vous dit : « soyez béni : Na zdrowie »  ! ! ?

Encore une remarque, l’auteur nous promène dans le temps et dans l’espace en Israël, aujourd’hui en Pologne en 1988 , 1970 et 1940, mais cela ne rend pas la lecture difficile, on passe sans difficulté d’un moment ou d’un lieu à l’autre car on suit la reconstruction de Tadek et on espère qu’il arrivera un jour à dormir sans être réveillé par ces horribles cauchemars dont son père portent une grande part de responsabilité.

 

Citations

 

 

Genre de dialogues que j’adore  : nous sommes en Israël la femme de Tadek va le quitter

Elle a dit. J’en ai marre de cette vie de chien, je me crève le cul pour le gosse et pour toi, alors que toi, tu n’es ni un mari, ni un père. Tu nous enfermes dans ton rêve bancal et tu t’apitoies sur ton sort à longueur de journée.
– Tout de même, je fais la vaisselle, ai-je bredouillé pour ma défense. Et je m’occupe du jardin.
– C’est quand, la dernière fois que tu t’es occupé du jardin ? On dirait un dépotoir.
– Ce n’est pas la saison. J’attends le printemps.
– Et l’évier aussi, il attend le printemps ?
– Non, la nuit. Je fais la vaisselle la nuit.
– D’accord. Fais la vaisselle la nuit, attends printemps. Sauf qu’à partir d’aujourd’hui, tu feras ça tout seul. Je refuse de porter à bout de bras un parasite qui glande et se laisse aller. Qui ne fait que rester assis à fumer, à boire et à accuser la terre entière de son impuissance.

La Pologne après la guerre

C’est là-bas qu’on les a regroupés. Tous les Juifs de la région. On les a obligés à creuser un grand trou, et ensuite on leur a tiré dessus et on les a enterrés dedans. Mais pendant trois jours, la terre a continué à bouger. Tu comprends ? Et elle continue à bouger encore aujourd’hui. Je l’ai vu de mes propres yeux. Si tu t’approches trop, ils peuvent t’attraper par la jambe et t’entraîner au fond.

Sa mère au volant en Israël

Ma mère est une conductrice épouvantable. Elle roule trop vite et ralentit subitement sans raison. Elle est capable de changer de voie sans mettre son clignotant ni regarder dans le rétro, puis de vouloir retourner dans sa file initiale, mais en hésitant tellement qu’elle embrouille les conducteurs autour d’elle. Ou alors elle peut tout à coup dévier et rouler sur la bande d’arrêt d’urgence comme si c’était une voie normale.

Scène bien décrite d’une enfance marquée par la violence d un père

Ma mère est debout à la fenêtre de la cuisine et fume une cigarette. La vaisselle sale du dîner s’entasse dans l’évier. Ola est plongée dans un roman. Anka fait ses devoirs. Robert et moi jouons au rami. Silence. Chacun vaque à ses occupations. Soudain, dans la cage d’escalier, le bruit d’une porte qui claque, puis des pas qui montent lentement. Mon frère se crispe. Maman lance un regard inquiet vers le seuil. Anka et Ola se figent et tendent l’oreille. Moi aussi j’écoute, ces pas s’approchent et se précisent, au bout de quelques instants on comprend avec soulagement que ce n’est pas papa. On peut donc retourner à nos activités, sauf qu’on sait très bien que plus il rentrera tard, plus il sera saoule. Ne nous reste qu’à espérer qu’il le soit au point de s’écrouler en chemin ou chez un de ses amis de beuverie.

L’alcool tient une part importante du roman

Tante Nella avait un lourd passé d’alcoolique, tout comme son mari, un conducteur de train qui la frappait dès qu’il avait un coup dans le nez. À chaque fois, elle s’enfuyait et venait se réfugier dans notre appartement. Elle savait que c’était le seul endroit où il n’oserait pas la poursuivre. Au bout de quelques heures, quand il était enfin calmé, il débarquait chez nous, s’agenouillait à ses pieds et la suppliait de revenir.

En Pologne après la guerre

C’est un garçon rondouillard, blond, avec une raie sur le côté et de bonnes joues bien rouges. Il ne sort jamais seul, il est toujours accompagné par quelqu’un de sa famille, parce que dans notre quartier, un tel enfant se promenant seul, ça ressemblerait à une sardine blessée dans une mer infestée de barracudas voraces.

L’âge

L’âge, ça ne compte jamais, pour rien. Pour la baise non plus. Et encore moins pour la castagne. Ce n’est qu’une question de capacité, et tant qu’on y arrive – on le fait.

Humour polonais pendant le communisme

Qu’est-ce que tu veux ? Ici, tout le monde fait semblant de travailler, alors le gouvernement fait semblant de payer, comme ça, ça s’équilibre.

La recherche de la reconnaissance paternelle

Bien plus tard, j’ai constaté que, toute notre vie, nous cherchons à obtenir une sorte de reconnaissance de notre père mais que, pour ce que j’en ai compris – et je ne comprends sans doute pas grand-chose-, nous n’y arrivons quasiment jamais. Et peu importe que le père soit un fils de pute et un minable, on s’obstine, comme quand on était petit.

Tadek  : être un homme et un père

Tel était mon rôle : être dans sa chambre en cas de besoin, m’asseoir à côté de lui sur une chaise ou m’allonger sur le tapis et m’endormir, peu importe, le principal c’était que je sois dans les environs, papa gardien, prêt à défendre le château fort qui les abritait, lui et sa mère. C’était leur droit et mon devoir, sauf que mes capacités s’étaient tellement amenuisées au fil du temps que j’ai fini par cesser d’essayer. Bien sûr, j’étais l’homme, et je le serai toujours, celui qui ouvre les bocaux quand personne n’y arrive, qui sait déboucher le lavabo, qu’on réveille à deux heures du matin pour aller voir ce que sont ces bruits en provenance de la salle de bain, de la porte d’entrée ou du jardin. Mais ce n’était pas ce que je voulais. Oui, moi, j’avais espéré être autre chose.

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »

 

 

 

Édition Viviane Hamy. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman a obtenu un coup de cœur à notre club et je lui mettrai bien dix coquillages si je le pouvais … Je l’ai refermé et je suis restée sans voix un peu comme lorsque le silence s’installe après un morceau de musique parfaitement interprété. Un peu comme à la fin du concerto pour violon de Chostakovitch dont les différents mouvements sont autant de chapitres du roman. .

Chostakovitch aura été le jouet de Staline pendant près de dix-sept ans. Dix-sept années au cours desquelles le gros chat tout-puissant a joué avec la souris, l’étouffant entre ses griffes jusqu’à lui faire entrevoir la couleur de la mort, puis la laissant filer, le temps pour elle de se terrer dans sa terreur, reprendre sa respiration, puis bondissant à nouveau sur sa poids, sous sa moustache un indéfinissable rictus. Et ainsi de suite, une alternance de deux coups et de faveurs, dix-sept années durant.

Cet air inquiet du grand compositeur est à l’image de l’angoisse qui hante la famille du grand chef d’orchestre Claessens qui a dirigé l’OSR (L’Orchestre de la Suisse Romane) . Le roman se situe pendant les funérailles du chef pendant lesquelles sa fille pianiste virtuose va jouer une adaptation pour piano de ce concerto de Chostakovitch. Chaque mouvement lui permet d’évoquer une des souffrances de sa famille, sous le regard implacable d’un père peu soucieux de l’épanouissement des siens. Sa femme qu’il a épousée trop jeune, était jeune cantatrice israélienne que son mari abandonnera peu à peu à la folie et à son silence se tournant vers des jeunes filles toujours plus jeunes et toujours cantatrices. Son fils, qu’il poussera pour qu’il devienne un prodige. Jusqu’à le pousser lui aussi vers le silence. Et enfin, elle, sa fille virtuose qui se demande sans cesse si elle doit sa renommée à son nom où à sa superbe chevelure rousse. Mais au-delà du drame familial ce livre permet de comprendre la vie des musiciens virtuoses et leur tragique destin, c’est si dur d’être toujours au mieux de sa forme sous les regards de milliers de spectateurs. Mais il y a la musique, celle qui parfois les entraîne au delà de tout dans un plaisir absolu et qui laisse le public sans voix. C’est le deuxième roman que je lis qui parle de ce concerto, j’avais beaucoup aimé aussi le roman d’Olivier Bass : »la musique des Kerguelen « et cela avait aussi permis à l’auteur de faire ressentir la souffrance du compositeur face à l’ogre stalinien. Un superbe roman, écrit dans un style que j’ai adoré , j’aimerais vraiment partager ce plaisir de lecture avec vous.

 

Citations

Cabotinage d’un chef d’orchestre.

Claessens tournait le dos à la masse et affrontait l’orchestre. Sous ses yeux, le pupitre où reposait la partition, ouverte à la dernière page. C’est ainsi qu’il demandait au régisseur de la lui disposer. Il patientait,.mains jointes sur le pubis, jusqu’à ce que les applaudissements cessent, en profitait pour fixer chaque musicien droit dans les yeux. Puis, une fois le silence installé, il refermait sa partition en prenant soin de bien la faire claquer. Et, dans un geste éminemment ostentatoire, il la poussait sur le bord du pupitre afin que chacun voie, dans l’orchestre comme dans la salle, qu’il dirigeait de mémoire.

 À moi qui lui demandait un jour (je n’avais pas 10 ans alors) pourquoi il imposait au technicien de lui ouvrir l’inutile partition non pas à la première page, mais bien à la dernière, il avait répondu : « Pour qu’elle claque mieux à l’oreille du public. Le poids des pages, tu comprends, rouquine, le poids des notes. C’est à ce moment-là que le concert commence. »

La carrière d’un musicien classique

Dans le monde de la musique classique, il y a ce qu’on appelle « les connaisseurs ». Si l’on veut faire carrière, il est indispensable de les caresser dans le sens du poil. Ce sont eux qui décident du sort des solistes en déterminant ce qui relève du bon et du mauvais goût. Cet establishment composé d’une poignée de journalistes, d’agents, de dirigeants de maison de disques, de musiciens et de professeurs, auxquels viennent s’ajouter quelques riches mélomanes, se choisit ses champions, les portent aux nues, leur fournit soutien inconditionnel et parfois financier à chaque étape de leur progression. En échange, il faut filer doux, flatter, remercier, faire des courbettes, surtout ne pas sortir des clous. 
Qu’un artiste décide de suivre une ligne différentes, orienter sa recherche dans une autre direction sans en demander la permission à ses gardiens du temple, et c’est la profession entière qui, comme un seul homme, lui tourne le dos. La pire des punitions n’est jamais la critique, même acerbe, mais l’oublie. Lorsque le téléphone cesse de sonner. Lorsque le musicien passe de mode. Son carnet de bal se vide pour ainsi dire du jour au lendemain. D’autre, plus jeunes, plus photogéniques , jugés plus talentueux ou plus singuliers, se bousculent pour signer les contrats sa place. La traversée du désert commence.

Le nocturne de Chostakovitch

Le violon, vaincu, épuisée, et laissé seul à macérer . D’abord il bouge à peine. Il ne peut plus que reprendre timidement le thème intimé par les bases. Cette fois c’est bien fini pour lui, c’est du moins ce qu’il laisse à penser. Or la vie revient progressivement, sans que l’on sache quel fol espoir la lui a insufflée. Le violon solo finit par se relever, dégoulinant, hagard, et fixe l’orchestre faisant office de bourreau bien en face. Et pendant les cinq interminables minutes que dure « la cadence », il va se ruer à l’assaut, percutant la glace froide et transparente du silence, la couvrant de son sans choc après choc, tentative après tentative jusqu’à sombrer dans la folie de celui qui n’a pas d’autres porte de sortie.

Le violon

Le violoniste et son violon sont censés ne faire qu’un, et le prestige de l’un déteint assurément sur l’autre. À tel point que l’on se demande parfois si ce n’est pas l’instrument qui fait le champion.

Où mène le cabotinage !

Lorsqu’il est réapparu, aussi subitement qu’il s’était éclipsé, j’ai compris que quelque chose avait lâché à l’intérieur. Son visage avait changé. Plus lisse. Moins expressif. Sur chaque tempe, une discrète cicatrice. Il n’avait pas eu à pousser plus loin que Montreux, ou pullulent les cliniques esthétiques, pour se donner l’illusion d’une nouvelle jeunesse. C’était sa première véritable incursions dans le registre pathétique. Ce ne devait pas être la dernière.

La peur ou le trac

Ma peur, je l’appelle le chien noir. 
C’est au matin du concert qu’il se manifeste toujours. Dès le réveil. J’ouvre les yeux, je l’aperçois au pied du lit, assis, à me fixer, attentif, curieux, les oreilles dressées.
 Ma peur est un bâtard, entre le chien-loup et Le corniaud de caniveau. Son pelage charbon a des reflets bleuté. Sur son poitrail, une tâche blanche, la taille d’une pièce de cinq francs. Parfois je suis tentée de la toucher. Parfois j’aimerais prendre un couteau de boucher et le lui enfoncer, juste là, hauteur du cœur. Mais je n’ai jamais osé. Je me dis que, sans lui, ce serait encore pire, car alors je ne pourrai plus regarder ma peur en face.

Édition Buchet-Castel

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

J’ai un faible pour cet auteur qui raconte si bien le milieu dont je suis originaire. Je ne sais absolument pas si ce roman peut plaire à un large public, car il se situe dans un microcosme que peu de gens ont connu : les logements de fonction pour les institutrices et instituteurs des écoles primaires. J’ai envié celles et ceux de mes amis filles et fils d’instit, comme moi, qui pouvaien,t en dehors des heures d’ouverture scolaires, faire de la cour de récréation leur aire de jeux. Le roman se situe en 1975, année où s’impose un peu partout la mixité ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Le roman commence par une tragédie évitée de peu : la chute de Philippe 11 ans du toit de l’école. En effet, si les enfants du roman jouent assez peu dans la cour, ils investissent le grenier qui donne sur le toit. Bien sûr après l’intervention des pompiers pour sauver l’enfant, ils seront interdits de grenier et se réfugieront sur un terrain vague. Ce qui me frappe dans ce roman, c’est l’incroyable liberté dont profite ces enfants. Ils sont laissés à eux même beaucoup plus que ce que je connais des enfants de cette époque. Leur terrain vague est mitoyen d’une ligne de chemin de fer, ils ont, évidemment, interdiction de la traverser , ce qu’ils font, évidemment !
Le livre se divise en quatre chapitre, la présentation des résidents du groupe scolaire Denis Diderot, le second s’appelle « Automne », puis « Printemps » et enfin « Été ». Cela permet de suivre tout ce petit monde une année scolaire, l’auteur raconte avec précision toutes les tensions et des relations plus ou moins réussies entre les enseignants. Il y a donc quelques intrigues qui, à mes yeux, sont secondaires par rapport à l’intérêt principal du livre : je n’avais pas idée à quel point les mœurs de l’école ont évolué : entre la paire de claque (« bien méritée, celle-là ! ») que les instituteurs et institutrices n’hésitent pas à distribuer, les cheveux sur lesquels ils tirent au point d’en arracher des touffes (« ça t’apprendra à faire attention ! »), les oreilles qui gardent les traces d’avoir été largement décollées à chaque mauvaise réponse ou manquement à la discipline (« ça va finir par entrer, oui ou non ! »), aucun enfant d’aujourd’hui ne reconnaîtrait son école ! J’ai aimé tous les petits changement de la vie en société, nous sommes bien sûr après 1968, une référence pour l’évolution des mœurs mais en réalité, comme souvent, il a fallu bien des années pour que cela soit vrai et que les enfants ne soient plus jamais battus à l’école même si chez eux ce n’est pas encore acquis en 2020…

 

Citations

 

Les gauchers

Michèle soupire car Dieu sait à quel point Philippe est empoté. Ce n’est pas de sa faute, à expliquer le rééducateur, c’est à cause de sa patte gauche, c’est un gaucher franc (parce qu’apparemment il y en a des hypocrites, des qui se font passer pour gaucher alors qu’en fait ils sont droitier, heureusement qu’on ne compte pas Philippe parmi ces fourbes-là) et, à partir de là, on ne peut pas remédier à son handicap.

Autre temps autres mœurs

Tous les parents s’accordent à dire que c’est un excellent maître parce qu’avec lui, au moins, ça file droit et qu’on entendrait une mouche voler. On concède qu’il est un peu soupe au lait et qu’il monte facilement en mayonnaise, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Du côté des parents, on aime les proverbes et les expressions consacrées. Et l’ordre, surtout. On ne cille pas devant les témoignages de touffes de cheveux arrachés ou de gifles retentissantes. On répète que c’est comme ça que ça rentre et tu verras plus tard au service militaire.

Édition Acte Sud, traduit de l’allemand par Rose Labourie 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un roman intéressant lu qui se lit très vite. Un homme part faire une course à vélo et en solitaire dans un endroit très escarpé sur l’île de Lanzarote, appartenant à l’archipel des Canaries.

Il est épuisé mais ressent une urgence à accomplir cet exploit. Très vite nous apprenons qu’il est sujet à des crises de panique incontrôlables qui lui rendent la vie très douloureuse alors qu’il a, comme on dit, « tout pour être heureux ». Une femme qu’il aime, deux enfants, un travail et un choix de vie de couple qui correspond à ses engagements. Les deux parents se sont mis à mi-temps pour élever les petits sans que cela nuise à la vie professionnelle de l’autre. Seulement, sans le prévenir « la chose » le saisit et il doit alors lutter de toutes ses forces pour revenir à la réalité. Evidemment comme moi, et tous les lecteurs je suppose vous avez compris que la solution se trouve en haut de la montagne. Je sais que beaucoup d’entre vous détestez que l’on vous divulgâche le suspens alors je n’en dirai pas plus.
J’ai bien aimé dans ce roman l’analyse des couples d’aujourd’hui. En réaction avec l’éducation de leurs parent sil essaient d’être impliqués à part égale dans l’éducation et les tâches ménagères. Et pourtant rien n’est simple , et cela n’évite pas certaines tensions. J’ai beaucoup aimé aussi que le drame principal soit raconté du point de vue d’un enfant de quatre ans, cela donne beaucoup de force au récit.
Alors pour quoi est ce que je manque d’enthousiasme à propos de ce roman , j’ai beaucoup aimé sans en faire un coup de cœur parce que l’histoire ne m’a pas passionnée ; malgré le talent certain de l’écrivaine.

Citations

Nouvelle organisation des couples d’aujourd’hui

Theresa et lui travaillent à mi-temps. Ils se répartissent les enfants et le travail. C’est important pour eux. Ils ont pris sur eux pour imposer leur modèle à leur employeur, et le cabinet d’expert-comptable de Theresa s’est même montré plus coopératif que la maison d’édition de livres pratiques orientée à gauche où travaille Henning. L’éditeur a été jusqu’à le menacer à mots couverts de licenciement, il a fallu que Henning lui promette d’emporter du travail à la maison pour que son employeur mette de l’eau dans son vin. Teresa appelle ça « travailler à plein-temps, être payé à mi-temps ». Au moins comme ça, Henning peut faire sa part au quotidien. « Organisation » est le mot magique. Souvent, il travaille sur ses manuscrits tôt le matin ou tard le soir, ce qui ne l’empêche pas d’avoir le sentiment désagréable de ne plus s’occuper des livres aussi bien qu’avant. Par chance, aucun de ses auteurs ne s’est plaint jusque-là.
 Le principal, c’est de ne pas faire comme leurs parents. La mère de Henning était célibataire et se tuait à la tâche. Et la mère de Theresa s’occupait des enfants seule pendant que son mari était au travail. Pour Henning et Theresa, c’était clair dès le départ, il voulait autre chose. Une solution moderne. Du 50/50 plutôt que du 24/7.

Traumatisme

Maintenant, il sait. Il souffre d’un traumatisme, et d’un grave, n’importe quel psychologue le confirmera. Pendant trente ans, il a vécu sur un réservoir souterrain, sur une grotte, en faisant tout pour ne pas voir le trou qui menaçait de l’engloutir.

 

Traduit de l’anglais (États -Unis) par Vincent Raynaud, Édition Globe.

 

Je mets rarement les livres de ma liseuse sur mon blog car je pense que j’aurais toujours le temps de le faire et puis j’oublie car ils sont toujours à mes côtés. C’est un peu les cas de « Hillbilly élégie ». D’abord je dois dire que le titre m’étonne, autant je trouve que cet essai décrit très bien cette population regroupée sous le nom de « Hillbilly » autant je ne trouve aucun caractère élégiaque à ce récit. Sauf, et c’est sans doute l’explication du titre, l’incroyable ténacité de ses grands-parents à qui il doit tout. D’ailleurs il leur adresse ce livre

Pour Mamaw et Papaw, mes Terminators à moi

Dans son introduction, il explique très bien qu’il est exceptionnel, non parce qu’il est diplômé de Yale, mais parce qu’il vient de la « Rust-Belle » c’est à dire d’une région de l’Ohio qui produisait autre fois de l’acier et qui maintenant est peuplée de gens dans la misère des petits boulots ou du chômage. Cet essai m’a permis de rencontrer une partie de la population américaine que l’on ne connaît pas très bien. Issues de l’émigration écossaise et irlandaise, ces familles très soudées se sont regroupées dans cette région autour des aciéries nord américaines. Ces usines demandaient des hommes forts et résistants à la fatigue et la souffrance au travail. On voit très bien le genre de personnalités masculines que cela pouvait engendrer. Aujourd’hui, il n’y a plus d’aciéries et il ne reste que la misère et les mauvais comportements. Mais aussi un esprit clanique qui empêche les « Hillbilly » de partir dans des régions où l’on trouve du travail. J.D Vance est issue d’une de ces familles , et il est très bien placé pour nous décrire ce qui détruit ce groupe social. Sa mère est dépassée par la misère, les nombreux maris et la drogue, il lui reconnaît une qualité : elle a toujours choisi des hommes qui étaient gentils avec les enfants. J.D n’a donc pas été maltraité par ses nombreux beaux-pères. Mais ce qui l’a sauvé de la répétition du modèle parental, c’est la stabilité que lui a offert le foyer de ses grands-parents. Pour lui, la clé de la défaite et le plongeon dans la misère c’est l’instabilité du foyer et la clé du sauvetage c’est au contraire un foyer stable où l’enfant peut trouver des modèles sur lesquels s’appuyer pour affronter les différentes difficultés de la vie en particulier l’école. Venant de ce milieu très pauvre et violent, il peut en décrire les rouages de l’intérieur. Une idée qui revient souvent chez lui, c’est l’importance de prendre conscience que l’individu fait des choix : avoir un bébé sans avoir fini l’école c’est un choix, prendre de la drogue c’est un choix, frapper un enfant c’est un choix … Mais plus que tout offrir à un enfant un milieu stable l’aidera à se construire, car tous les pièges du déclassement social sont là juste derrière la porte de son foyer : l’alcool, le chômage, la violence, la drogue, l’échec scolaire… Si aucun adulte n’a eu confiance dans le jeune alors il tombera certainement, dans ces pièges. (Et pourront alors devenir le héros des romans sur les déclassés des USA que certains d’entre nous aimons tant !)

Pourquoi n’ai-je mis que trois coquillages ? Car j’ai trouvé le livre répétitif , la vie et l’amour de ses grands parents sont vraiment très touchants et m’ont beaucoup intéressée et même si je comprends bien que J.D Vance ait été obligé de passer par une description minutieuse du milieu des « Hillbilly »pour nous faire comprendre, à la fois, d’où il venait et pourquoi, il est le seul de sa communauté à être sorti de Yale, c’est très (trop, pour moi !) long .

Et depuis j’ai lu les billets de Ingamic qui pour des raisons différentes a aussi quelques réserves sur ce livre. De Kathel et de Keisha .

Citations

Sa famille

Pour employer un euphémisme, j’ai une relation « compliquée » avec mes parents, dont l’un s’est battu toute sa vie ou presque contre une forme d’addiction. Ce sont mes grands-parents qui m’ont élevé. Aucun d’eux n’a terminé le lycée et très peu de gens dans ma famille, même élargie, sont allés à l’université. Les statistiques le prouvent : les gosses comme moi sont promis à un avenir sombre. S’ils ont de la chance, ils parviendront à ne pas se contenter du revenu minimum, et s’ils n’en ont pas ils mourront d’une overdose d’héroïne – comme c’est arrivé à des dizaines de personnes la seule année dernière, dans la petite ville où je suis né.

 

Le contexte social

Au contraire, je me reconnais dans les millions de Blancs d’origine irlando-écossaise de la classe ouvrière américaine qui n’ont pas de diplômes universitaires. Chez ces gens-là, la pauvreté est une tradition familiale -leurs ancêtres étaient des journaliers dans l’économie du Sud esclavagiste, puis des métayers, des mineurs, et, plus récemment, des machinistes et des ouvriers de l’industrie sidérurgique. Là où les Américains voient des « Hilliliies », des « Rednecks » ou des « Whiste trash », je vois mes voisins, mes amis, ma famille.

Sa ville

Près d’un tiers de la ville, environ la moitié de la population locale, vit sous le seuil de pauvreté. Et la majorité des habitants, elle, juste au-dessus. L’addiction aux médicaments s’est largement diffusée, les gens se les procurent sur ordonnance. Les écoles publiques sont si mauvaises que l’État du Kentucky en a récemment pris le contrôle. Les parents y mettent leurs enfants parce qu’ils n’ont pas les moyens de les scolariser ailleurs. De son côté, le lycée échoue de façon alarmante à envoyer ses élèves à l’université. Les habitants sont en mauvaise santé et, sans les aides du gouvernement, ils ne peuvent même pas soigner les maladies courantes. Plus grave encore, cette situation les rend aigris – et s’ils hésitent à se confier aux autres, c’est simplement parce qu’ils refusent d’être jugés.

Exemple sordide

J’étais en première quand notre voisine Pattie téléphona à son propriétaire pour lui demander de faire réparer des fuites d’eau du plafond de son salon. Lorsque celui-ci se présenta, il trouva Pattie seins nus, défoncée et inconsciente sur son canapé. À l’étage, la baignoire débordait – d’où les fuites. Visiblement, elle s’était fait couler un bain, avait avalé des cachets puis était tombée dans les vapes. Le sol de l’étage était endommagé, ainsi qu’une partie des biens de la famille. Voilà le vrai visage de notre communauté : une junkie à poil qui bousille le peu de chose qu’elle possède. Des enfants qui n’ont plus ni jouets ni vêtements à cause de l’addiction de leur mère.

Son cas personnel

Je ne dis pas que les capacités ne comptent pas. Elles aident, c’est certain. Mais comprendre qu’on s’est sous estimé soi-même est une sensation puissante – que votre esprit a confondu incapacité et efforts insuffisants. C’est pourquoi, chaque fois qu’on me demande ce que j’aimerais le plus changer au sein de la classe ouvrière blanche, je réponds : « Le sentiment que nos choix n’ont aucun effet. » Chez moi, les marines ont excisé ce sentiment comme un chirurgien retire une tumeur.
Tu peux le faire tout donner

 

Faire des choix

Quand les temps étaient durs, quand je me sentais submergé par le tumulte et le drame de ma jeunesse, je savais que des jours meilleurs m’attendaient, puisque je vivais dans un pays qui me permettrait de faire les bons choix, choix que d’autres n’auraient pas à leur disposition. Aujourd’hui, lorsque je pense à ma vie et à tout ce qu’elle a de réellement extraordinaire – une épouse magnifique, douce et intelligente, la sécurité financière dont j’avais rêvé enfant, des amis formidables et une existence pleine de nouveautés –, je me sens plein de reconnaissance pour les États-Unis d’Amérique. Je sais, ça sonne ringard, mais c’est ce que j’éprouve.

La classe populaire la désinformation et la presse

Certaines personnes pensent que les Blancs de la classe ouvrière sont furieux ou désabusés à cause de la désinformation. À l’évidence, il existe une véritable industrie de la désinformation, composée de théoriciens conspirationnistes et d’extrémistes notoires, qui racontent les pires idioties sur tous les sujets, des prétendues croyances religieuses d’Obama à l’origine de ses ancêtres. Mais les grands médias, y compris Fox News, dont la malignité n’est plus à démontrer, ont toujours dit la vérité sur la citoyenneté d’Obama et sa religion. Les gens que je connais savent pertinemment ce que disent les grands médias en la matière. Simplement, ils ne les croient pas. Seuls 6 % des électeurs américains pensent que les médias sont « tout à fait dignes de confiance ». Pour beaucoup d’entre nous, la liberté de la presse – ce rempart de la démocratie américaine – n’est que de la foutaise. Si on ne se fie pas à la presse, qui reste-t-il pour réfuter les thèses conspirationnistes qui envahissent sans partage Internet. Barack Obama est un étranger qui fait tout ce qu’il peut pour détruire notre pays. Ce que les médias nous disent est faux. Dans la classe ouvrière blanche, beaucoup ont une vision très négative de la société dans laquelle ils vivent. Voici
La liste est longue. Impossible de savoir combien de gens croient à une ou plusieurs de ces histoires. Mais si un tiers de notre communauté met en doute la nationalité du président – malgré d’innombrables preuves –, il y a tout lieu de penser que d’autres thèses conspirationnistes sont elles aussi à l’oeuvre. Ce n’est pas du simple scepticisme libertarien à l’égard des pouvoirs publics, sain dans toute démocratie. Il s’agit d’une profonde défiance à l’encontre des institutions de notre pays, qui gagne le cœur de la société.

Changement de classe sociale

Nous vantons les mérites de la mobilité sociale, mais elle a aussi son revers. Celle-ci implique nécessairement une forme de mouvement – vers une vie meilleure, en principe –, mais aussi un éloignement de quelque chose. Or on ne choisit pas toujours les éléments dont on s’éloigne.

 

Conséquences d’une enfance difficile

Ceux qui ont subi de multiples expériences négatives de l’enfance ont une plus forte probabilité d’être victimes d’anxiété et de dépression, d’avoir des maladies cardiaques, d’être obèses et de souffrir de certains cancers. Ils ont aussi une plus forte probabilité de connaître des difficultés à l’école et de ne pas réussir à avoir des relations stables à l’âge adulte. Même le fait de trop crier peut miner le sentiment de sécurité chez un enfant, affaiblir sa santé mentale et entraîner à l’avenir des problèmes de comportement.

Édition Verdier

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Anne Pauly perd son père éprouve le besoin de le raconter et d’en faire un livre. Elle se rapproche de celui qui n’a pas été un homme facile. Si, dans le voisinage et dans la famille, le monde a de bons souvenirs de sa mère très pieuse et cherchant à faire le bien autour d’elle son père alcoolique et très violent dans ses propos n’est pas très attirant. Il laisse une maison qui est véritable Capharnaüm dans lequel l’auteure se perd . Elle comprend que ce père qui lui manque tant est un être à plusieurs facettes. Elle raconte la violence du deuil et combien il est difficile de gérer l’absence. Elle écrit bien et, si le sujet vous touche, vous pourrez avoir de l’intérêt à lire ce récit. J’avoue ne pas trop comprendre l’utilité de tels livres même si, parfois, au détour d’une phrase ou d’une révélation, je peux être très émue.

 

 

Citations

Charmante famille

Je revoyais papa couteau à la main, immense et ivre mort, courir après maman autour de la table en éructant, Lepelleux, arrête de péter dans la soie et occupe-toi de ton ménage plutôt que de sauter au cou du curé. C’est indéniable : bourré, il avait vraiment le sens de la formule, même si, dans la réalité, personne ne portait de culotte de soie ni ne sautait au cou du curé. Prodigue et ample, ma mère, tardive dame patronnesse en jupe-culotte denim, c’était, il est vrai, investi dans les activités de paroisse, qui au fond ne lui ressemblait guère, pour échapper à ses excès à lui d’alcool, de colère et de jalousie.

Alcoolisme

Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu’un boit pour échouer ou échoue parce qu’il boit.

Le pouvoir des chansons

Et puis là, sans prévenir, le refrain m’a sauté à la figure comme un animal enragé : « Mais avant tout, je voudrais parler à mon père. » Dans mon cœur, ça a fait comme une déflagration et je me suis mise à sangloter sans pouvoir m’arrêter. Félicie est remontée en voiture juste après, effarée, se demandant ce qui avait bien pu se passer entre le moment où elle était parti payer et le moment où elle était revenue. Comme je n’arrivais pas à lui répondre, elle a redémarré toutes fenêtres ouvertes dans le vent du soir et c’est en entendant le reste de la chanson qu’elle a fini par comprendre. Mes toutes dernières larmes sont sorties ce jour-là. J’avais enfin accepté. Si on m’avait dit que Céline Dion m’aiderait un jour dans ma vie à passer ce style de cap, je ne l’aurais pas cru. La catharsis par la pop-check.
(Je me suis retrouvée en pleurs en entendant Serge Réggiani chanter « ma liberté » dans des circonstances analogues.)