Édition Hauteville. Traduit de l’anglais États-Unis) par Florence Moreau

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je ne veux pas être trop sévère avec ce roman, car ce n’est pas si souvent qu’un pur roman d’amour, nous est proposé au club de lecture. Mais voilà je n’ai pas réussi à m’intéresser à la passion de Roya qui tombe éperdument amoureuse de Bahman, en entendant celui-ci prononcer son prénom.

Une passion sous fond des évènements de 1953 en Iran qui voient la mise à l’écart de Mohammad Mossadegh, premier ministre démocrate au profit du Shah soutenu par les Anglais et les Américains.

Les deux amoureux s’étaient donné rendez-vous dans un parc mais Bahman ne viendra pas. Il faut attendre la fin de vie de Bahman pour comprendre l’incroyable complot ourdi par sa mère avec la complicité du libraire de Téhéran.
J’espère ne pas trop vous en dire. Si vous aimez la romance tragique plongez vous dans cette histoire qui a deux temporalités : 2013 avec Roya qui a refait sa vie avec un américain Walter, ils sont tous les deux médecins. Elle retrouve par un hasard romanesque son premier amour dans une maison de retraite assez proche de chez elle. En 1953 , en Iran son grand amour pour Bahman se heurte à l’hostilité de la mère de celui-ci qui trouve Roya trop ordinaire pour son fils. C’est intéressant de voir le poids des femmes dans ce pays qui semblent si misogyne. Ce roman permet de revivre cette période très compliquée que beaucoup d’Iraniens considèrent comme la seule parenthèse démocratique dans leur pays , Mohammad Mossadegh, qui sera chassé par un coup d’état orchestré par l’Angleterre et les Etats-Unis qui voulaient mettre la main sur le pétrole iranien.

Un roman à l’image des poèmes persans qui sont parait-il de sublimes poèmes d’amour qui n’a pas su me séduire. Il faut dire qu’une grande partie de l’intérêt du livre est dévoilé dans une lettre posthume à la fin du récit : une incroyable manigance pleine de perfides, pour pouvoir accepter ce genre de récit il aurait fallu que le reste du récit soit à la hauteur de ce suspens, ce qui n’est vraiment pas le cas.

Je vous laisse avec Rumi le poète que lisent tous les jeunes Iraniens en mal d’amour :

Écoute du jasmin l’austère et dolent thrène*,
De la séparation il relate les peines :
Depuis que de mon plant on déroba ma veine,
Je tire les sanglots et des rois et des reines !

(Thrène : mélopée, est une lamentation funèbre chantée lors de funérailles)

Citation

Dialogue qui m’a fait sourire.

 – J’adorerais que mes filles deviennent les prochaines Marie Curie de ce monde, déclara Baba au petit déjeuner, alors que la famille savourait des « naans » fraîchement préparés, accompagnés de fromage frais et de confiture aux griottes. Ah oui, j’adorerais ! Ou même de célèbres auteurs. ( Il adressa un sourire à Roya) Comme cette Américaine – Helen comment, déjà ? Keller ?
– Sauf que je ne suis pas sourde, Baba, fit observer Roya.
– Ni aveugle, renchérit Zari.
– Je ne vois pas le rapport, intervint Maman, avant de demander à ses filles de manger plus vite.
– Il faut être sourde et aveugle pour avoir une chance de devenir Helen Keller, déclara Zary fière de sa connaissance des grandes figures américaines. 
– Muette. N’oublie pas muette, marmonna Roya.

Édition Payot
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Un premier roman, que j’ai lu aussi vite que je l’oublierai. Amélie Fonlupt (un nom qui me rappelle de bons souvenirs : celui du pédiatre qui a suivi mes enfants à Rennes, mais cela n’a rien à voir !) fait revivre trois générations de femmes du Cap Vert. La grand-mère, venue en France car elle ne supportait plus la misère de son pays, la mère Reine, installée en France et qui serait très heureuse si son mari arrêtait de jouer de poker, et Léna le personnage principal qui va s’évader de son milieu grâce au piano.
L’écriture est très rapide et cela donne l’impression d’un survol plus que d’un ancrage dans le monde des émigrés capverdiens. Le Cap Vert est un pays soumis à des intempéries qui ravagent les sols et réduisent à la misère une population paysanne qui pouvait juste survivre. Ce sont les femmes dans ce pays comme dans beaucoup d’autres qui se confrontent aux difficultés pour leurs enfants, les hommes s’exilent. Arrivée en France, la grand-mère n’hésite pas à faire des ménages pour élever sa fille Reine, qui a son tour fera des ménages, sa santé l’ayant empêchée de poursuivre ses études.
On sent bien tout le courage de ces femmes et aussi la fatalité des destins auxquels Léna veut échapper.
La galerie de portraits dans ce roman ne m’ont, hélas, pas convaincue, ils sont pourtant sympathiques mais je les ai trouvés sans consistance : Max son petit frère qui est harcelé dans son collège, l’Algérienne concierge au verbe haut qui fait des gâteux à longueur de journée, le professeur de musique du collège qui initiera Léna au piano, les riches patrons de Reine.
C’est compliqué d’expliquer quand un roman, avec des aspects qui auraient pu me plaire, ne prend pas, je pense que tout vient du style de l’écrivaine : trop rapide et trop facile sans doute.
Je dois lui reconnaître une qualité à ce roman … depuis cette lecture je « ré » écoute Césaria Évoria

Citations

Un début qui m’a plu

Le 27 août 1941, donc, Mamé naissait à São Miguel, dans le nord de l’île de Santiago, tandis que Cesaria Évoria venait au monde à Mindelo sur l’île de São Vicente. Un hasard amusant qui fut cependant sans incidence puisque, de comment elles n’eurent pas grand chose si ce n’est cette date, ce pays et une volonté farouche de sortir du commun. Toujours est-il que des deux vous n’avez entendu parler que de la seconde(…) Vous ignorez peut-être qu’à sa mort trois jours de deuil furent décrétés au Cap Vert, et un aéroport fut rebaptisée à son nom. C’est bien vous avez écouté la chanteuse grâce à qui un pays s’est fait entendre, mais dès lors que vous n’avez pas connu ma grand-mère, ce n’est pas tout.

Une lignée de femmes.

 Alors si ma mère avait su que dans ma chambre j’écoutais du piano, si elle avait su qu’après l’école je faisais semblant de rester plus longtemps à l’étude pour pouvoir m’attarder dans la salle de musique, là, elle aurait paniqué à raison. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Je venais d’une lignée de femmes auxquelles on avait dit que le rêve était un luxe à la portée des gens qui en ont les moyens. Je n’avais pas le droit. Vouloir être artiste était insensé, cela n’était pas pour nous. nous qui ne possédions pas grand chose. Il fallait trouver un vrai travail, avec un salaire à la fin du mois.
Édition Albin Michel
Traduit de l’allemand par Dominique Autrant
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Feuilles allemandes

Un livre parfait pour le mois de la découverte de la littérature allemande surtout à la veille du 11 novembre. Cette auteure Monika Helfer est autrichienne, elle a puisé son inspiration dans sa propre famille. Le titre en allemand « die bagage » (les bagages) me parle davantage. Je trouve qu’il donne mieux l’idée de ce qu’on trimballe avec soi  : les richesses et les fragilités qui seront de tous nos voyages de la vie. Les héritages c’est plus abstrait. La vie familiale de l’auteure est marquée par la guerre 14/18 , c’est là que se creusera le drame qui marquera sa grand-mère, son grand- père et tous leurs enfants et petits enfants, rejetés par une partie du village (le curé en tête) parce que sa grand mère trop belle sera accusée d’adultère pendant que son mari est à la guerre. « Les fâcheux » comme on les nomme au village vivront donc en marge de cette société peu tolérante mais dont, cependant, plusieurs personnes viendront en aide à des gens qui n’ont rien fait pour mériter cet ostracisme.

L’auteure décrit avec une grande tendresse sa grand mère qui rendait jalouse toute les femmes du village, tant les hommes la trouvait belle . Monika Helfer fait des constants allers et retours dans sa mémoire personnelle en faisant revivre les gens tels qu’elle même les a connus et ce que l’on lui a raconté pour construire un récit qui permet au lecteur de savoir qui elle est aujourd’hui. Riche et blessée à la fois d’avoir dans ses bagages toutes ses histoires où pour le dire comme le traducteur d’être l’héritière de ses « fâcheux » à qui elle dédie son livre. Sa propre mère ne sera jamais acceptée, ni même nous dit l’écrivaine, regardée par son propre père car celui-ci soupçonnera sa femme de l’avoir conçue avec un bel allemand de passage ou avec le maire du village, personnage trouble qui fait de drôles d’affaires pas très légales avec ce grand-père.
Cette plongée dans le monde rural autrichien est très agréable à lire et on comprend que l’auteure aime le tempérament de sa grand-mère une si belle amoureuse.
Je trouve toujours étrange, quand je lis des romans autrichiens, combien le nazisme est passé sous le silence. Le mot n’est même pas prononcé alors qu’elle parle de cette période puisqu’elle évoque la vie d’un oncle qui a déserté pendant la campagne de Russie et a eu une femme et un enfant russes.
Autant la guerre 14/18 est ressentie comme un drame à travers l’absence du père de famille autant le nazisme autrichien semble n’avoir eu aucune conséquence sur cette famille. Ça me dérange parce que cela est représentatif de l’état d’esprit des Autrichiens : le nazisme ce sont les Allemands pas eux .
Que cela ne vous empêche pas de lire ce livre il nous fait découvrir une ruralité qui n’a rien d’idyllique malgré le cadre enchanteur des montagnes autrichiennes.
Et voici le billet d’Eva . (J’avais déjà lu ce roman quand Eva a fait paraître son billet mais je garde tous les livres venant de littérature allemande pour le mois de novembre.)

Citations

Les sentiments dans une région rurale.

 Josef aimait sa femme. Lui-même n’avait jamais employé ce mot. En patois ce mot n’existait pas. Il n’était pas possible de dire « Je t’aime » en patois. le mot ne lui était donc jamais venu à l’esprit. Maria était à lui. Et ils voulaient que Maria soit à lui et qu’elle lui appartienne, ça voulait dire d’abord le lit, et ensuite la famille.

Départ pour la guerre 14.

 Les quatre hommes avaient mis des fleurs sur leurs chapeaux et s’étaient envoyé un petit verre en vitesse. Le maire offrait le schnaps en tant que représentant de l’empereur et il tira un coup de feu en l’air. Une bande de gamins accompagna les pioupiou, comme on appelait les conscrits. Mais seulement jusqu’au village suivant, ensuite ils firent demi-tour. De là, les futurs soldats continuèrent seuls jusqu’à L., mais ils ne marchaient pas au pas, ils ne chantaient plus et ils étaient passablement dessoûlés. Ils parlaient des choses qu’il y avait à faire et qu’ils feraient bientôt, comme s’ils devaient être de retour chez eux dans quelques jours ou dans quelques semaines. Ils ôtèrent les fleurs de leurs chapeaux et les jetèrent au bord du chemin. maintenant qu’il n’y avait plus personne de chez eux pour les voir, à quoi
bon ?

Phrases terribles.

 Oncle Lorenz avait trois enfants au pays, il tenait ses deux fils pour des bons à rien, et cela avant même qu’ils aient pu devenir bon à quoi que ce soit, si bien qu’ils n’étaient rien de venu du tout, l’un des d’eux s’est pendu à un arbre. 

Éditions Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Cela fait très longtemps que je n’ai pas autant souri à la lecture d’un livre. J’espère que vous savourerez les extraits que j’ai choisis ; j’ai failli recopier des pages entières, tellement j’appréciais l’esprit si caractéristique du XVIII° siècle de cet auteur. Louis-Henry de La Rochefoucauld est drôle, ne se prend jamais au sérieux et manie l’ironie aussi bien que Voltaire (que pourtant il déteste !). Mieux que l’ironie, je parlerai plutôt d’humour car l’auteur n’a aucune pitié pour lui ni pour les descendants de sa si noble famille.

En deux mots voici l’histoire, l’auteur rencontre dans un café Louis XVI et sa pauvre épouse Marie-Antoinette et, en panne d’inspiration, il décide d’écrire un livre pour réhabiliter la mémoire de ce roi. Au passage, il égratigne l’idéal révolutionnaire, mais on peut l’excuser sa famille a payé un lourd tribut à la chasse aux aristocrates – quatorze personnes auront la tête tranchée ou seront noyées ou fusillées car elles étaient apparentées à sa famille.

Le livre parcourt notre époque avec un regard décalé qui lui donne le droit de tout dire même ce qui peut sembler inconvenant . Je dois dire que le dernier quart du livre est moins pertinent et la défense des gilets jaunes comme bastion de l’esprit français ne m’a guère convaincue. Je passe au delà de cette réserve tant j’étais bien avec son interprétation de la révolution et de ses difficultés dans la vie actuelle.

 

 

Citations

J’adore l’humour de cet écrivain( il faut rapprocher ces deux passages) :

Son ancêtre à la cour du roi Louis XVI

 Chaque matin, à son réveil, il (Liancourt) tirait la chemise de nuit royal par la manche droite le premier valet s’occupait de la manche gauche.

lui

En 2018, j’occupais la charge de grand-maître de la garde-robe de ma fille. Quand j’habillais Isaure le matin, je ne réglais pas que la question épineuse de la manche droite : les caisses de mon ménage étant ce qu’elles étaient, je n’avais pas les moyens d’engager un premier valet pour la manche gauche.

C’est simple mais j’aime bien que ce soit dit comme ça :

 Je passais là-bas trois semaines chaque été avec mes soeurs, mon frère Jean, mes cousins Alexandre et Charles-Henri et les nombreuses vaches du coin, élégantes montbéliardes qui venaient brouter jusqu’aux abords de la maison. Elles étaient tolérées, les touristes, non. 

Les repas

Nous, les enfants, étions soignés par les plats du terroir de Mme Bichet, robuste cuisinière qui eut la chance de mourir avant d’avoir entendu parler de recettes au quinoa et d’allergies au gluten.

J’ai éclaté de rire et c’est si rare !

– Vous êtes quoi, vous, La Rochefoucauld ? Duc ?
– Bien que je porte le prénom des princes de Condé, je ne suis rien, Votre Majesté. Un modeste comte sans la moindre terre.
– Un comte hors-sol. mais enfin, c’est fâcheux ! il faut y remédier. 

– Aucun homme politique n’en a encore fait sa priorité.

Interview d Arielle Dombasle :

 Souriant jusqu’aux oreilles, elle m’a sorti ces mots typiquement thalasso qui m’ont secoué plus qu’un jet tonifiant : 
 « Moi, Louis Henri, je veux bien mourir pour le peuple, mais sûrement pas vivre avec le peuple ! »

Propos d ‘aristo

Je ne sais plus qui parlait de la perpétuelle déception du peuple par la bourgeoisie, du perpétuel massacre du peuple et par la bourgeoisie… Les démocrates-républicains prétendent représenter le peuple, mais, dès que les gens du peuple pointent le bout de leur nez, ils sortent les blindés de la gendarmerie, leur tirent dessus et prennent la poudre d’escampette. On me diras que je caricature, je ne caricature pas : c’est comme ça que les Thiers traitent le tiers état.

Seuil Jeunesse

 

J’ai tellement aimé Black Bazar que je me doutais bien que ce conte pourrait m’intéresser et ravir les enfants. Je ne connaissais pas l’illustratrice Yuna Troël, elle accompagne cette histoire avec un grand talent. Le dessin du coq et celui du grand père sont d’une ressemblance étonnante et cela donne une petite touche d’humour. Je me vois bien raconter cette histoire à des enfants de trois à six ans. L’album est grand, on peut passer du temps sur chaque image. Je suis certaine que nombre d’enfants aimeraient comme le petit fils du chef Moukila, se retrouver dans la savane au milieu des animaux qui font rêver tous les petits des villes européennes.

Ce conte est à la fois drôle , tout en humour, et comme tout conte porteur d’une leçon de vie. L’enfant doit apprendre à respecter les animaux qui sont la réincarnation d’un ancêtre plus ou moins lointain. Car c’est bien connu, chaque homme a un double-animal . (Ce n’est pas Luocine qui contredira cet adage, puisque vous êtes accueilli sur son blog, par un fou de bassan ).

Quand on a envie de faire un bon repas, comment respecter ce coq qui est vieux et réveille les villageois la nuit . C’est un malin ce coq, il échappe plusieurs fois à son triste sort. Vous devinez la fin ?

Je pense que malgré la mort du grand-père les enfants aimeront ce conte et s’amuseront des ruses du vieux coq.

 

Voici l’opinion de deux enfants

Clémentine 4 ans et demi

 

J’ai bien aimé cette histoire. Le grand-père est mort parce qu’on a coupé la tête de son double- animal . Les dessins sont jolis parce qu’il y a beaucoup de couleurs. Le coq est très vieux et très joli, le grand père est très vieux. L’histoire est un peu triste car le, grand père est mort.

 

Moi, mon animal totem , c’est le hérisson

 

Arthur 6 ans et demi

J’aime bien cette histoire mais elle est très triste car le grand-père meurt. Il y a un petit garçon qui n’écoutait pas trop et des gens n’ont pas compris que c’était les dernières paroles du grand-père. Mais le grand-père n’est pas mort assassiné, il est mort parce qu’il était très vieux. S’il y a les plumes du coq autour de lui c’est parce qu’on a tué son double-animal . Je trouve que les dessins sont très bien. Et on voit bien que le coq est très vieux.

 

 

Moi, mon animal totem, c’est le serpent . (Influence de Harry Potter ?)

Édition Actes Sud Jacqueline Chambon . Traduit de l’anglais(États-Unis) par Gaëlle Rey

 

Aifelle m’a donné envie de découvrir cette auteure à travers un autre titre « Dans la course » , un des commentaires parlait de ce roman que j’ai donc lu. J’ai cherché dans la campagne bretonne ce qui pouvait évoquer l’Amazonie pour faire ma photo, j’ai eu un peu de mal ! mais vous avez quand même l’eau et les herbes.

Si par hasard vous avez envie d’aller en Amazonie (ce qui n’est pas mon cas) lisez ce roman avant pour avoir une idée de ce que vous pourrez y trouver. Entre les moustiques tueurs, les serpents, les plantes toxiques voire mortelles, la chaleur gorgée d’humidité, se cachent des tribus indiennes certaines sympathiques d’autre pas. L’horreur absolue ! Dans cet enfer une jeune scientifique part à la recherche d’une spécialiste des médicaments pour avoir des explications sur la mort de leur collègue qui était déjà parti à la recherche de cette spécialiste. Pour ne pas attraper la malaria, elle prend des médicaments qui lui donnent des cauchemars abominables, ce qui permet à l’auteure de nous faire comprendre son passé. Son père était Indien (de l’Indes) et sa mère du Minnesota. Elle a peu connu son père qui s’est séparé de sa mère pour vivre en Indes et y a refait sa vie. Ce n’est pas du tout le thème principal du roman, même si cela explique sans doute une part du caractère de Marina Singh. Ce roman raconte comment des chercheurs essaient de trouver de nouveaux médicaments dans la jungle amazonienne si riche en biodiversité. Il y a du suspens autour de la mort d’Anders Eckman, dont je ne peux rien dire sans me mettre à dos toutes les anti-divulgâcheuses. En revanche, je peux vous parler de la très antipathique Dr Swenson employée par le même laboratoire que Marina et Anders pour trouver un médicament qui permettrait d’allonger la période de fertilité des femmes. Les femmes indiennes qui accueillent ces scientifiques ne connaissent, en effet, pas de perte de fertilité durant toute leur vie. C’est bien là le but des recherches pour lesquelles le Dr Swenson est rémunéré, mais si elle ne donne pas les résultats de ses recherches, c’est qu’elle veut, avant, trouver un médicament efficace contre la malaria. Elle sait que ce médicament ne sera pas financé par son laboratoire car il n’intéressera pas les femmes américaines. On peut reconnaître les débats actuels sur les médicaments chers (remdesivir) et ceux qui ne coutent rien (l’hydroxychloroquine).

Les histoires d’amour compliquées de Marina, son attachement à un petit enfant indien ne m’ont pas du tout passionnée. En revanche la course aux médicaments et les descriptions de la vie en Amazonie m’ont beaucoup marquée. Si j’ai des réserves sur ce roman, c’est parce qu’aucun personnage n’est vraiment sympathique. J’ai besoin de me sentir bien avec les personnages et entre le Dr Swenson en grand patron détestable et méprisant tout le monde et les amours de Marina, je n’étais bien avec personne. En plus, j’étais plongée dans l’univers – très bien décrit- que je déteste le plus au monde (sans y être jamais allée !)  : la forêt amazonienne.

Citations

 

Une belle lettre d’amour du Dr Ekman

Tous les jours ou presque, j’ai mal à la tête et j’ai peur qu’un de ces minuscules animaux d’Amazonie ne soit en train de creuser un trou de ses dents pour atteindre mon cortex cérébral, et la seule chose au monde que je désire, la seule chose qui donnerait du sens ou de la légitimité à mon existence, serait de pouvoir poser ma tête sur tes genoux. Tu passerais ta main dans mes cheveux, je sais que tu me ferais pour moi. Tel est ton courage, telle est ma chance.

L’arrivée au Brésil

À l’extérieur, l’air était si épais que l’on aurait pu mordre dedans et en mastiquer un morceau. Jamais les poumons de Marina n’avait inhalé tant d’oxygène, tant d’humidité. À chaque inspiration, elle avait l’impression d’emmagasiner dans son corps d’invisibles particules florales, et que de minuscules spores s’installaient entre les cils vibratiles de ses organes pour y prendre racine. Un insecte frôla son oreille dans un bourdonnement si perçant que la tête de Marina bascula en arrière comme si elle avait reçu un coup. Un autre insecte lui mordit la joue tandis qu’elle levait la main pour chasser le premier. Il n’était pas dans la jungle, mais dans un parking. L’espace d’un instant, des éclairs de chaleur illuminèrent un banc de nuages menaçant a des kilomètres au sud avant de les ramener dans la pénombre.

L’horreur absolue pour moi

À la tombée de la nuit, les insectes les assaillirent par nuées. Carapaces dures et souples, mordeurs et piqueurs, grésillant, vrombissant et bourdonnant : tous, jusqu’au dernier, déployèrent leurs ailes de papier et vinrent percuter avec une rage folle les yeux, la bouche et le nez des trois seuls êtres humains qu’il purent trouver. (…) « Le Dr Rapp disait que le travail des entomologiste était facile, dit le Dr Swenson en tournant le dos à l’assaut des insectes. Ils n’avaient qu’à allumer une lumière et tous les spécimens accouraient. »

En période où l’on conteste les recherches en médecine lire de tels faits fait froid dans le dos

Étude clinique mener à Tuskege, en Alabama, de 1932 à 1972, par des médecins américain qui étudièrent l’évolution de la syphilis sur des participants auxquels ils refusaient de donner un traitement curatif pour pouvoir continuer leur recherche.

 

 

 

Autant notre mémoire a été marquée par l’indépendance de l’Algérie autant celle du Maroc est beaucoup moins traitée par les écrivains. Tout semble se passer plus facilement au Maroc, et pourtant ! Voici un roman qui montre que ce pays a connu son lot de violences. Mais ce n’est pas l’unique intérêt de ce livre bien au contraire. L’auteure puise dans ses origines marocaine par son père et française par sa mère l’objet de son roman. Elle décrit de l’intérieur les difficultés d’un couple métissé en 1945 à Meknes et c’est passionnant. On comprend bien ce qui a motivé sa mère à suivre son amour ce beau marocain venu délivrer la France pendant la seconde guerre mondiale. On comprend aussi combien pour Amine son père, il est difficile de s’imposer comme Marocain et d’être rejeté par les colons et aussi par les autochtones qui lui reprochent son mariage. À force d’un travail complètement fou, ils arriveront à créer une ferme dans les alentours de Meknes, et Mathilde sans être heureuse trouvera une place dans le pays en soignant la population dans un dispensaire où elle accueillera toute la population pauvre du Bled. Comme toujours quand il s’agit de romans sur les pays du Maghreb, la condition de la femme est insupportable et pourtant ce sont bien les femmes qui permettent aux familles de tenir. L’auteure décrit très bien le sentiment de rejet de la population colonisatrice et les difficultés de l’enfant qui se sent méprisée par les petites filles qui se croient supérieures seulement parce qu’elles sont « françaises ». Un jour les sœurs de son école organisent une visite et, grâce à ce roman, j’ai découvert le sort de esclaves chrétiens du XVIII siècle. Pour une fois les rapports étaient inversés, ce ne sont plus les occidentaux qui font souffrir les Arabes, mais les traitements sont tout aussi cruels. Les pauvres esclaves qui ont construit ces labyrinthes étaient descendus par des trous et ne remontaient jamais à la lumière du jour. Ils mourraient d’épuisement car ils étaient très mal nourris. Ce lieu se visite encore aujourd’hui à Meknes :

 

 

Citations

Paroles de colons

Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, mais il sera beau ce pays quand nous ne serons plus là pour faire fleurir les arbres, pour retourner la terre, pour y appliquer notre acharnement. Qu’est-ce qu’il y avait ici avant que nous arrivions ? Je te le demande ! Rien.
Moi je le connais ces arabe. Les ouvriers sont des ignare, comment veux-tu ne pas avoir envie de les rosser ? Je parle leur langue, je connais leur travers. Je sais très bien ce qu’on dit sur l’indépendance mais ce n’est pas une poignée d’agités qui va me reprendre des années de sueur et de travail.

Le cherghi

Au début du mois d’août, le cherghi se leva et le ciel devint blanc. On interdit aux enfants de sortir car ce vent du Sahara était la hantise des mères. Combien de fois Mouilala avait-elle raconté à Mathilde histoire d’enfant emportés par la fièvre que le chergui charrie avec lui ? Sa belle-mère disait qu’il ne fallait pas respirer cet air vicié, que l’avaler c’était prendre le risque de brûler de l’intérieur, de se dessécher comme une plante qui fane d’un coup. À cause de se vent maudit, la nuit arrivait mais sans apporter de répit. La lumière faiblissait, le noir recouvrait la campagne et faisait disparaître les arbres mais la chaleur, elle, continuait a peser de toute sa force, comme si la nature avait fait des réserves de soleil

Regret de ne pas avoir fait d’études

Adolescente, Mathilde n’avait jamais pensé qu’il était possible d’être libre toute seule, il lui paraissait impensable, parce qu’elle était une femme, parce qu’elle était sans éducation, que son destin ne soit pas intimement lié à celui d’un autre. Elle s’était rendu compte de son erreur beaucoup trop tard et maintenant qu’elle avait du discernement et un peu de courage il était devenu impossible de partir. Les enfants lui tenaient lieu de racines et elle était attachée à cette terre, bien malgré elle. Sans argent, il n’y avait nulle part où aller et elle crevait de cette dépendance, de cette soumission.

Description des médecins

Il était beau dans sa blouse blanche, ses cheveux noirs peignés en arrière. Il était très différent de l’homme jovial qu’elle avait rencontré la première fois il lui sembla que ses yeux cernés étaient un peu tristes. Il portait sur son visage cette fatigue qui est propre aux bons médecins. Sur leurs traits on voit, comme en transparence, les douleurs de leurs patients, on devine que ce sont les confidences de leurs malades qui courbent leurs épaules et que c’est le poids de ce secret de leur impuissance qui ralentit leur démarche et leur élocution.

L’honneur d’un Marocain qui a épousé une Française

Il la fixa et Mathilde eut alors l’impression que les yeux d’Amine s’agrandissaient que ses traits se déformaient, que sa bouche devenait énorme et elle sursauta quand il se mit à hurler : « Mais tu es complètement folle ! Jamais ma sœur n’épousera un Français ! »
Il attrapa Mathilde par la manche et la tira de son fauteuil. Il la traîna vers le couloir plongé dans l’obscurité, « Tu m’as humilié ! » Il lui cracha au visage et, du revers de la main la gifla.

Femmes battues

Aïcha connaissaient ces femme aux visages bleus. Elle en avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. À l’époque, elle croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes.

 

J’ai lu tous les livres de cette auteure, Jai rédigé un billet pour « Ru » et « Man ». J’aime beaucoup ses textes et celui-ci m’a donné envie de relire « RU » qui a connu un si grand succès. Vi explore encore une fois ses origines vietnamiennes et son adaptation à la culture occidentale . Cela passe par l’histoire de sa famille qui était une famille de riches notables intellectuels du Vienam . Sa mère est issue d’une famille de commerçants aisés et très travailleurs. C’est cet aspect qui la sauvera elle et ses enfants. (Le père n’a pas fui avec eux.) À Montréal sa mère avec un courage incroyable réussira dans la restauration. Vi, pourra faire des études et retournera au Vietnam dans le cadre d’actions humanitaires. Ce roman fait la part belle aux sentiments amoureux, de sa mère d’abord qui souffrira des infidélités de son mari sans jamais se plaindre, et puis de la jeune fille qui associe liberté intellectuelle et liberté amoureuse. On sent très bien dans ce livre que les traditions vietnamiennes ne résistent pas au monde occidental. Encore une fois ce roman se divise en de courts chapitres qui sont autant de courtes nouvelles qui dévoilent peu à peu les strates de la personnalité de Vi. Une lecture dépaysante et très émouvante comme tous les livres de cette auteure, on peut sans doute lui reprocher de se répéter un peu, mais, quand, comme moi on l’apprécie, c’est un plaisir à chaque fois renouveler.

 

 

Citations

 

 

Les « boat people »

Mon prénom ne me prédestinait pas à faire face aux tempêtes en haute mer et encore moins à partager une paillote dans un camp de réfugiés en Malaisie avec une dame âgée qui pleura jour et nuit pendant un mois sans nous expliquer qui étaient les quatorze jeunes enfants qui l’accompagnaient. Il fallut attendre le repas d’adieu à la veille de notre départ vers le Canada pour qu’elle nous raconte soudainement sa traversée. Ses yeux avaient vu son fils se faire trancher la gorge parce qu’il avait osé sauter sur le pirate qui violait sa femme enceinte. Cette mère s’est évanouie au moment où son fils et sa bru avaient été jetés à la mer. Elle ne connaissait pas la suite des événements. Elle se souvenait seulement de s’être réveillée sous des corps, au son des pleurs des quatorze enfants survivants.

 

Le Québec

 Nous sommes arrivés dans la ville de Québec pendant une canicule qui semblait avoir déshabillé la population entière. Les hommes assis sur les balcons de notre nouvelle résidence avez tous le torse nu et le ventre bien exposé, comme les Putai, ces bouddhas rieurs qui promettent aux marchands le succès financier et, aux autres, la joie s’ils frottaient leur rondeur. Beaucoup d’hommes vietnamiens rêvaient de posséder ce symbole de richesse, mais peu y parvenaient. Mon frère Long n’a pas pu s’empêcher d’exprimer son bonheur lorsque notre autobus s’est arrêté devant cette rangées de bâtiment où l’abondance était personnifiée à répétition : « Nous sommes arrivés au paradis au paradis.

 

Édition Poche Folio

 

Après avoir lu de cette auteure, grâce au club de lecture, « Le Ciel par dessus les Toits » j’ai eu très envie de découvrir un peu plus cette écrivaine mauricienne. Si l’île Maurice est synonyme pour beaucoup d’entre nous de vacances sur des plages de sable blanc, de mer bleu azur, sous un soleil toujours présent, cette île a représenté pour des populations noires un lieu d’esclavage et lorsque celui-ci a pris fin, une terre d’immigration pour des Indiens fuyant une misère absolue dans leur pays.

Loin de ces impressions paradisiaques, ce roman se situe en 1890 : l’île Maurice est alors sous domination britannique, depuis une trentaine d’années, mais les plantations restent la propriété de riches planteurs français qui recherchent à tout prix une main d’œuvre bon marché pour remplacer leurs anciens esclaves. Les noirs habitent aussi cette île mais refusent de se faire maltraiter par les propriétaires blancs, peu d’entente sont possibles avec les Indiens qui acceptent des conditions de travail dont eux mêmes ne veulent plus. En peu de chapitres, les problèmes sont très bien posés. On comprend d’autant mieux tous les problèmes qui assaillent dès leur arrivée ces malheureux Indiens sur l’île Maurice que chaque personnage nous est présenté avant leur départ dans leur lieu de vie d’origine. On comprend alors, pourquoi ils partent, mais aussi comment ils vont être forcément déçus car trop de fables irréalistes, comme ces pièces d’or que l’on trouve en soulevant des rochers, leur obscurcissent le cerveau !

Ce roman nous permet de comprendre la situation des Indiens en 1890, certains sont accablés par les dettes que leurs parents ont contractées, un des personnage est seulement joueur de poker et perd tout l’argent de ses parents aux cartes, une jeune femme de sang royal doit brûler sur le bûcher de son mari mort à la chasse, un autre croit rejoindre son frère… Tous se retrouvent sur un bateau : l’Atlas qui après des mois de navigation d’autant plus éprouvante que les Indiens craignent beaucoup la mer, ils débarquent apeurés sur l’île « Meuriche » et trouvent une condition qui se rapproche plus de l’esclavage que celle de travailleurs pauvres et précaires.

J’ai beaucoup aimé ce livre, certainement parce que je ne savais pas grand chose de cette immigration mais aussi parce que cette auteure sait très bien raconter, j’ai quitté à regret ses personnages et j’aurais aimé les suivre un peu plus longtemps. Il y a un aspect qui m’a beaucoup intéressée : à quel point l’enfermement dans les traditions de l’Inde asservit la population et empêche les plus pauvres de s’émanciper, mais à quel point également, ces carcans représentent un lieu rassurant face à un inconnu encore plus menaçant que la servitude que l’on connaît bien. Le roman l’annonce mais ne le décrit pas, visiblement les Indiens sauront grâce à leur courage et à leur force de travail devenir une partie très importante de la population active de l’île et à finalement s’enrichir même sans trouver les fameuses pièces d’or qui ont fait briller les yeux de leurs ancêtres.

 

Citations

Les dettes des paysans pauvres

Quand il emprunta cinquante roupies au zamindar, les deux hommes étaient convenus d’un kamia C’était un contrat où l’on troquait sa sueur, son labeur et parfois la chair et le labeur de ses enfants contre de l’argent. Tant que les cinquante roupies et les intérêts sur le prêt n’étaient pas remboursés, Devraj Lal s’engageait à travailler les terres du zamindar pour la moitié d’un salaire. Il s’engageait aussi à ce que son fils reprenne le kamia s’il décédait avant d’avoir remboursé les cinquante roupies. Ce qui arriva moins d’un an après et son fils, Chotty se trouva en devoir d’honorer une dette qu’il n’avait pas contractée.
Cela faisait dix années que Chotty travaillait pour le zamindar. Les intérêts sur le prêt avaient grandi comme le blé : vite. Et Chotty, semblait–il, ne travaillait pas aussi vite que le blé. Il avait amassé quelques roupies mais plusieurs fois son fils était tombé malade ou le zamindar décrétait qu’il n’avait pas bien fait son travail ou encore ce qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps, la bibi se plaignait.

Être veuve

Il n’y avait rien de pire que de survivre à son mari. Donner naissance à une fille en premières couches ou toucher un paria étaient des manquements terribles mais être veuve était innommable. Ici, depuis des siècles, dans les familles de sang royal, les femmes montaient sur le bûcher avec leur mari. C’était une tradition comme une autre. De toute façon, que ferait une femme sans son mari ? Qui voudrait d’une veuve quand les jeunes filles vierges ne manquaient pas ? Surtout, qui prendrait le risque d’accueillir une femme qui porte tellement le mauvais œil qu’elle finit veuve ?

Les rapports des noirs anciens esclaves et les indiens nouvellement arrivés

« Je t’ai eu, Malbar. Vous croyez supérieur, hein, tous, tous autant que vous êtes ? Vous venez ici, vous léchez le cul des blancs, vous faites vos village, vous amassez de l’argent, vous achetez des terrains et ensuite, vous vous prenez pour des blancs. Vous nous crachez dessus. Nous sommes des êtres inférieurs pour vous. Vous aussi, vous fouettez vos employés … Tu vas voir, Malbar. Tu vas voir ce que c’est que pourrir en prison. Tu travailleras sous le soleil et comme nous, tu soulèveras les pierres et tu pourriras loin des tiens. »

Traduit du norvégien par Alain Gnaedig

Édition Folio

C’est à propos de « Mer Blanche » chez Jérôme que j’ai eu très envie de découvrir Roy Jacobsen. Merci à lui et à toutes celle et ceux qui ont dit tant de bien de ce roman qui m’a permis de découvrir la Norvège du début du XX° siècle. J’ai été un peu étonnée que ce roman plaise tant à Jérôme que j’imagine plus tenté par des lectures du monde urbain dur et violent. Mais je suppose que ce qui lui a plu, comme à tout ceux qui aiment et aimeront ce roman, c’est son écriture sans aucun pathos pour décrire un monde d’une dureté incroyable. La nature d’abord aussi grandiose que cruelle, elle ne laisse aucun répit aux habitants d’une petite île du nord de la Norvège au sud des îles Lofoten. Les tempêtes détruiront plusieurs fois le hangar que la famille essaie de dresser pour faire sécher le poisson. Les hivers si longs que bêtes et hommes risquent de mourir de faim puisque la principale ressource est constituée par le poisson qu’il faut aller pêcher loin plus au nord quand le climat le permet. Sur l’île voisine, plus grande et plus riche une usine achète le poisson pour le transformer. Et sur cette île aussi vit un pasteur au cœur sec, en tout cas trop sec pour prendre en charge deux petits qui viennent de perdre leur père, le directeur d’usine et dont leur mère sombre dans la folie. C’est donc l’héroïne de ce roman, Ingrid qui les prendra en charge et les ramènera sur sa petite île Barroy. Pourtant elle aussi doit faire face à la mort de son père et la grave dépression de sa mère. Tragédies successives mais racontées avec une telle pudeur que le lecteur souffre en silence et respect pour le courage de ses enfants que les difficultés forcent à devenir adultes si vite. On suit avec angoisse les efforts de son frère Lars pour améliorer le quotidien d’une petite famille qui est souvent plus proche de l’anéantissement que de la survie.

Un grand moment de lecture et qui en dit long sur la dureté des temps anciens en Norvège.

Citations

Je suppose que cela décrit la crise de 29

Quel soulagement de voir un homme rentrer sain et sauf chez lui, même s’il arrive à l’improviste. Il y a la crise dans le pays et dans le monde, des faillites et des budget réduit, des gens doivent quitter leurs ferme, d’autres perdent leur travail, et les gars de l’équipe d’artificier dans laquelle il était le contremaître a été renvoyer chez eux avec mon salaire à peine de quoi couvrir ce qu’il avait déjà dépensé.

Les chaises

Quand Barbro a grandi sur Barroy, les filles n’avaient pas de chaises. Elle mangeait debout…..
Mais Barbro se souvenait ce que c’était de ne pas avoir de chaise si bien que, le jour où elle eut la sienne, elle emporta partout avec elle, au hangar à bateaux, à la remise, et même dans les prés ; elle s’asseyait dessus et observait les animaux, le ciel, les pies huîtrières sur la rive. Un meuble à l’extérieur. C’est faire du ciel un toit et de l’horizon le mur d’une maison qui s’appelle le monde. Personne n’avait jamais fait cela. Ils ne parvinrent jamais à s’y habituer.

Vivre sur une île

Un îlien n’a pas peur sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil, il lui faut prendre ses cliques et ses claques, déménager et s’installer dans un bois ou dans une vallée, comme tout le monde. Ce serait une catastrophe, un îlien a l’esprit sombre, il n’est pas raide de peur, mais de sérieux.

Les tempêtes

Mais, en règle générale, les tempêtes sont brèves, et c’est durant l’une d’elles que les feuilles disparaissent. Il n’y a pas beaucoup d’arbres sur l’île, mais il y a assez d’ arbustes à baies, de bouleaux nains et de saules qui, à la fin de l’été, ont des feuilles jaunes qui virent au marron et au rouge à des vitesses variées, si bien que l’île ressemble à un arc-en-ciel sur terre pendant quelques jours de septembre. Elle garde cette allure jusqu’à ce que cette petite tempête attaque les feuilles par surprise et les emporte dans la mer, et métamorphose Barroy en un animal loqueteux à fourrure marron. Elle va rester ainsi jusqu’au printemps, si elle ne ressemble pas alors à un cadavre aux cheveux blancs sous les rafales et la grêle, quand la neige violente arrive , disparaît, revient encore et forme des congères comme si elle tentait d’imiter la mer sur terre.

Le mépris

Gertha Sabina Tommesen réussi à appeler Barbro « l’idiote » trois fois pendant qu’elle lui montre la chambre où elle va dormir avec l’autre bonne, qui vient des îles elle aussi, mais qui est bien plus jeune que Barbro. Elle explique que l’idiote doit s’attendre à être appelée à l’usine quand il y a des arrivées de harengs, même au milieu de la nuit, comme les autres femmes de la maison.