Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Voici mon deuxième auteur de ma famille affective. C’est encore d’un deuil dont il s’agit, celui de son frère. Ils sont quatre garçons, dans la famille, Daniel a partagé pendant onze ans sa chambre avec son frère de quatre ans son aîné. C’était le préféré de la famille, et comme il le lui avouera plus tard ce n’est pas toujours facile de porter ce titre sur ses épaules. Lui, Daniel, c’est celui qui rate l’école dans une famille ou être reçu à une grande école , si possible polytechnique était la règle, ce n’était pas facile non plus. Mais Daniel avait Bernard qui d’une simple phrase savait le rassurer. Quand l’enfant rentre très triste avec de très mauvaises notes, et qu’il hurle de colère le plus fort qu’il le peut : « je suis con, je suis con » d’une voix douce son frère lui répond

– Mais non, si tu étais con, je le saurais !

Citations

Manger ou dîner ?

L’heure tournant, je me lavais :
– Bon, ce n’est pas tout ça mais il faut qu’on y aille, on va manger chez les R.
Ma tante me regarda comme si elle avait avalé son dictionnaire. 
-Mais non, voyons, vous allez « dîner », chez les R.
Mon frère tempera doucement. 
-Oui, et tu connais Daniel, il en profitera certainement pour manger quelque chose. Toute notre vie je me suis alimenté à son humour.

Vocation ?

Il était ingénieur en aéronautique, spécialiste des vibrations. Il aurait préféré les eaux et forêts, les arbres, les animaux. Il aurait fait un bon éthologue. Des concours d’entrée en décidèrent autrement. Ainsi va la vie dans certaines familles qui ont accès aux grandes écoles, recalé à ce concours ci, reçu à celui-là, tu aurais aimé t’occuper d’oiseau, tu t’occupes d’avion. La préférence ? Qu’est-ce que ce caprice, au regard du rang à tenir ?

Humour

La probabilité jouait un grand rôle dans sa vie, le pire étant sûr -question de probabilités-, il n’y avait aucune raison de dramatiser. Nous échangions beaucoup de blagues autour de la probabilité. La veille de mon permis de conduire il me conseilla de convaincre l’inspecteur qu’il valait beaucoup mieux traverser les carrefour à cent quatre-vingt à l’heure qu’à vingt
 – Neuf fois moins de chances de percuter un autre véhicule, Monsieur l’Inspecteur.

Le couple

C’est donc l’histoire d’un couple, me disais-je, où le mari ne m’aura jamais dit de mal de sa femme qui ne m’en n’aura jamais dit du bien.

Ce jour je vais publier deux romans de deux auteurs pour lesquels j’éprouve de l’affection. Cela ne se dit pas, sauf sur un blog. Tous les deux font partie de ma famille de lectures, et tous les deux racontent le deuil.

Je lis tous les livres de cet auteur qui me tombent sous la main, celui-là c’est la souris jaune qui me l’a conseillé, qu’elle en soit remerciée. C’est un très beau livre, qui explique bien des failles et des difficultés d’être à fond dans la vie qui sont évoquées dans tous les livres de Jean-Philippe Blondel. Lorsqu’il avait 18 ans un accident de voiture a tué sa mère et son frère, c’est son père qui conduisait et celui-ci meurt quatre ans plus tard. Plombé par ces deux tragédies, le narrateur très proche de l’auteur, sans aucun doute, a bien du mal à trouver l’envie de « rester vivant » . Avec beaucoup d’humour et en restant très pudique, il arrive à nous faire comprendre et partager sa souffrance. Ce que j’apprécie chez lui, c’est que jamais il ne s’apitoie sur lui, jamais il ne fait pleurer sur son sort. Sa vision de l’Amérique est original et tout en suivant une chanson de Lloyd Cole Rich qui l’amènera à Morro Bay. 

Mais aussi à Las Vegas où il a bien failli se perdre lui et et aussi Laura et Samuel. Ce sont ses amis et leur trio est compliqué, Laura c’st son ex qui est maintenant la petite amie de Samuel qui est son ami pour toujours. Ce road movie lui permet de faire des rencontres intéressantes et même la loueuse de voiture qui semble d’un banal achevé se révélera plus riche qu’il ne s’y attendait. Bien curieuse famille où lui était l’enfant raté à côté du frère parfait qu’il entendait pourtant pleurer très souvent la nuit dans son lit.

la chanson qu’ils ont chanté pendant leur voyage à propos de laquelle il dit

Je devrais écrire un mail à Lloyd Cole.

Je commencerai par « Tu vois, Lloyd, un jour, j’y suis allé, à Morro Bay ».

Un jour, j’en suis revenu aussi. Et après, la vie a repris ses droits.

 

Citations

Style

Nous restons un moment comme ça, inutiles, sur le trottoir. Il n’y a presque personne dans les rues de la ville. On est un vendredi 2 mai. Le nuage de Tchernobyl s’est arrêté au frontière française. Il fait bon. Je sens des picotements dans mes mains et dans mes pieds. Je remarque une tache de peinture rouge sur le mur d’en face. Samuel se dandine d’une jambe sur l’autre. Il demande ce qu’on fait maintenant. Je veux voir du monde. Sentir la sueur et l’alcool. Nous optons pour le seul café qui reste ouvert jusqu’à trois heures du matin. En marchant, j’oublie que je sors de l’hôpital, j’oublie que je devais me faire opérer le lendemain, j’oublie que mon père est mort sur une route de campagne. La seule chose dont je me souviens, c’est que j’ai vingt deux ans ans.

Le deuil

Nous avons pris la voiture tous les quatre, au grand dam de mon oncle – qui ne voyait pas ce que Samuel avait à voir avec tout ça. Laure, encore, à la limite. Mais Samuel, non. J’ai simplement dit : » Il vient aussi. » Et tout le monde a obéi. Être le roi du malheur, ça a quand même des avantages. Les sujets se plient de mauvaise grâce à vos désirs, mais ils n’ont pas assez de cran pour vous contredire.

Une vision originale de Las Vegas

Je me sens instinctivement bien à Las Vegas.

C’est le centre du monde de l’oubli.

Traduit de l’américain par Mathilde Bach

 

Bien présenté par mes blogs préférés, je savais que je lirai à mon tour ce roman de 952 pages (en édition poche). Aucune déception et un coup de cœur pour moi, je rejoins Keisha, Jérôme, Kathel pour dire que ce premier roman de Nathan Hill est un coup de maître. Son seul défaut est d’avoir voulu tout raconter l’Amérique qui va mal en un seul roman. Tout ? pas complètement puisque le racisme n’y est pas évoqué. Le fil conducteur est tenu par Samuel abandonné par sa mère à l’age de 11 ans, il est devenu professeur de littérature dans une petite université, le roman raconte sa quête pour retrouver et comprendre sa mère. Il fera face d’abord à une certaine Laura, étudiante qui a mis le principe de la triche au cœur de son activité intellectuelle ; puis, on le voit passer son temps à jouer dans un monde virtuel où il tue, des nuits entières, des dragons et des orques, on découvre grâce à cela l’univers des joueurs « drogués » par les jeux vidéo. À cause de cette passion nocturne il est bien le seul à ne pas savoir que sa mère fait le « buzz » sur les réseaux sociaux. On la voit sur une vidéo qui tourne en boucle jeter des cailloux sur sur un candidat à la présidence des Etats-Unis, un sosie de Trump, un certain Parker qui ressemble tant au président actuel. Pour que Samuel comprenne le geste de sa mère, il faudra remonter aux événements qui ont secoué Chicago en 1968 et pour mettre le point final à cette longue quête retrouver les raisons qui ont fait fuir la Norvège au grand-père de Samuel en 1941. Toutes les machinations dont sont victime Samuel et sa mère ne sont finalement l’oeuvre que d’un seul homme qui a tout compris au maniement des médias et à celui des foules ? Je ne peux pas en dire plus sans divulgâcher l’intrigue romanesque.

Mais pour moi ce n’est pas l’essentiel, ce qui m’a complètement accrochée, c’est le talent de Nathan Hill pour décrire différentes strates de la société nord-américaine. Quand il nous plonge dans le monde des joueurs complètement drogués aux jeux vidéo, on sent qu’il s’est parfaitement renseigné sur leurs habitudes et le roman devient pratiquement un documentaire, je ne savais pas que l’on pouvait s’enrichir en vendant des objets virtuels qui n’existent que dans un jeu. Les mœurs des étudiants américains nous sont plus familières : il y a du Philippe Roth dans les ennuis de Samuel avec le politiquement correct de l’université mené par une étudiante qui préfère tricher plutôt que travailler.
Les entreprises américaines qui se soucient si peu de leurs employés, la police de Chicago qui, en 1968, s’est comportée plus comme une milice néo-fasciste que comme une police d’une grande démocratie, et les manœuvre des candidats à la présidence des Etats-Unis tout cela enrichit le roman peut être trop ? Je remarque que plus les romans français s’allègent plus les romans nord-américains s’allongent.

 

Citations

Portrait

Il sait bien à quel point c’est désagréable et condescendant de corriger la grammaire de quelqu’un dans une conversation. C’est du même ordre que d’être à une fête et relever le manque de culture de son voisin,c’est d’ailleurs précisément ce qui est arrivé à Samuel lors de sa première semaine à l’université. Dans un dîner de présentations organisé chez la doyenne de l’université, sa patronne,une ancienne prof de Lettres qui avait grimpé les échelons administratifs un à un. Elle avait bâti le genre de carrière académique tout à fait typique  : elle savait absolument tout ce qu’il y avait à savoir dans un domaine extraordinairement restreint (sa niche à elle, c’était la production littéraire pendant la Grande Peste) . Au dîner, elle avait sollicité son avis sur une partie spécifique des « Contes de Canterburry », et, lorsqu’il avait hésité, s’était écriée, un peu trop fort :  » Vous ne l’avez pas lu ? Oh, ça alors, doux Jésus. « 

Le produit livre

Je construit des livres. C’est surtout pour créer une valeur. Un public. Un intérêt. Le livre, c’est juste l’emballage, le contenant….ce qu’on crée en réalité, c’est de la valeur. Le livre,c’est juste l’une des formes sous lesquelles se présente cette valeur, une échelle, un emprunt.

Hypocondriaque

Il était d’une franchise et d’une impudeur totales sur les détails de son état. Il parlait comme les gens atteints d’une maladie terrible, de cette manière qu’a la maladie d’éclipser toute notion de pudeur et d’intimité. Racontant par exemple son désarroi en matière de priorité quand il avait la diarrhée et la nausée  » en même temps »

Les nouvelles mode pour les régimes alimentaires américaines.

Je vais commencer un nouveau régime bientôt. Le régime pléisto . T’ en as entendu parler ?
-Nan.
-C’est celui où tu manges comme au pléistocène. En particulier l’époque tarentienne, dans la dernière période glaciaire. – Comment on sait ce qu’ils mangeaient au pléistocène  ?
-Grâce à la science. En fait, tu manges comme un homme des cavernes, sauf que t’as pas à t’inquiéter des mastodontes. Et en plus, c’est sans gluten. L’idée, c’est de faire croire à ton corps que tu as remonté le temps, avant l’invention de l’agriculture.

Mœurs capitalistes aux USA

Sa société déposa le bilan. Et ce, malgré le mémo qu’elle avait diffusé auprès de ses employés deux jours seulement auparavant, annonçant que tout allait pour le mieux, que les rumeurs de faillite étaient exagérées, qu’ils ne devaient en aucun cas vendre leurs actions, voire qu’il pouvait même penser en acquérir davantage vu leur dévaluation actuelle. Henri l’avait fait, il y avait appris par la suite qu’au même moment leur PDG revendait toutes ses parts. Toute la retraite de Henry était ainsi passée dans un tas d’actions qui ne valaient plus un clou, et lorsque la société sortit de la faillite et émit de nouvelles actions, elle ne furent proposées qu’au comité exécutif et aux gros investisseurs de Wall Street. Henri se retrouva donc sans rien. Le confortable bas de laine qu’il avait mis des années à remplir s’était évaporé en un seul jour.

Tricher

Et cependant, même de cela elle doutait, car si ce n’était pas grave qu’elle triche pour un devoir, alors dans ce cas pourquoi ne pourrait-elle pas tricher pour tous les devoirs. Ce qui était un peu embêtant car l’accord qu’elle avait passé avec elle-même au lycée quand elle avait commencé à tricher, c’est qu’elle avait le droit de tricher autant qu’elle voulait maintenant à condition que plus tard, quand les devoirs deviendraient vraiment important, elle se mette à travailler pour de vrai. Ce moment n’était pas encore arrivé. En quatre ans de lycée et une année d’université, elle n’avait rien étudié étudier qu’elle puisse qualifier de vraiment important. Donc elle continuait à tricher. Dans toutes les matières. Et à mentir. Tout le temps. Sans le moindre sentiment de culpabilité.

Fin d’une discussion avec une étudiante qui a copié son de voir sur internet

Laura sort en trombe de son bureau et,une fois dans le couloir, se retourne pour lui crier dessus : « Je paie pour étudier ici ! Je paie cher ! C’est moi qui paie votre salaire,vous n’avez pas le droit de me traiter comme ça ! Mon père donne beaucoup d’argent à cette école ! Bien plus que ce que vous gagnez en un an ! Il est avocat et vous allez avoir de ses nouvelles ! Vous êtes allé beaucoup trop loin ! Vous allez voir qui commande ici »

Humour

Tu serais étonné du nombre de médicaments très efficaces qui ont été développés à l’origine pour traiter les problèmes sexuels masculins. C’est, concrètement, le moteur principal de toute l’industrie pharmaceutique. Remercions le Seigneur que les dysfonctionnement sexuel masculin existent.

La retraite

Tous les endroits semblaient aussi horribles les uns que les autres, car ce qu’on ne dit jamais sur les voyages à la retraite, c’est que pour en profiter il faut pouvoir supporter un minimum la personne avec qui vous voyagez. Et rien que d’imaginer tout ce temps passé ensemble, en avion, au restaurant, dans des hôtels. Sans jamais pouvoir échapper l’un à l’autre, le côté de leur arrangement actuel était qu’il pouvait toujours prétendre que la raison pour laquelle ils se voyaient si peu, c’était qu’ils avaient des emplois du temps chargés, pas qu’ils se détestaient cordialement.

Un concerto dont il est question dans ce roman

Max Bruch n’a pas reçu un centime pour cette oeuvre

Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Avant les camps, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. À présent nous avons eu notre compréhension des choses.

J’ai déjà lu, et j’avais été très touchée par l’Histoire d’une Vie, le décès de Aharon Appenfeld en janvier 2018 a conduit notre bibliothécaire à mettre ce livre au programme de notre club. Cette lecture est un nouvel éclairage sur la Shoah. L’auteur y rassemble, en effet, ses souvenirs sur les quelques mois après la libération des camps de concentration. Nous suivons Théo Kornfeld qui veut retrouver sa maison familiale en Autriche. Dans des chapitres très courts, le jeune homme raconte son errance à travers une Europe ravagée par la guerre, et sa volonté de retrouver son père et surtout sa mère, il est peu à peu envahi par ses souvenirs d’enfance. Avant la guerre, sa mère, visiblement bipolaire, entraîne son fils dans tous les lieux où l’on peut écouter des concerts de Bach en particulier les monastère chrétiens et petites chapelles isolées même si elle en est parfois rejetée comme « salle juive ». Elle entraîne aussi son mari vers une faillite financière, lui qui travaille comme un fou pour satisfaire tous les besoins de sa trop belle et fantasque épouse. L’errance de Théo à peine sorti de son camp, lui fait croiser les « rescapés ». Chaque personne essaie de retrouver une once de dignité pour repartir vers d’autres horizons. C’est terrible et chaque vie révèle de nouvelles souffrances, je pense à cette femme qui s’installe sur le bord de la route pour apporter des soupes chaudes et réconfortantes aux personnes qui viennent d’être libérées et qui sont sur les routes. Elle ne peut pas se remettre d’avoir empêché sa sœur et ses deux nièces de s’exiler en Amérique avant l’arrivée des nazis, elles sont mortes maintenant et en nourrissant les pauvres ères échappés à la mort elle essaie d’oublier et de revivre.

Entre rêve et hallucination, Théo livre un peu les horreurs dont il a été témoin, et surtout il redonne à chacune des personnes dont il se souvient une personnalité complexe qui ne se définit pas par le numéro gravé sur son bras, ni par sa résistance ou non aux coups reçus à longueur de journée. Tout ce que raconte Théo se passe dans une atmosphère entre rêve et réalité, il est trop faible pour avoir les idées très précises et les souvenirs de l’auteur viennent de si loin mais ils ne se sont jamais effacés c’est sans doute pour cela qu’il dit de ses journées qu’ils sont « d’une stupéfiante clarté ». Un livre qui vaut autant par la simplicité et la beauté du style de l’auteur que par l’émotion qu’il provoque sans avoir recours à un pathos inutile, ici les faits se suffisent à eux mêmes.

 

 

Citations

 

L’enfance du narrateur avant la Shoah

Tandis que ses camarades de classes étaient rivés à leur banc dur, sa mère et lui voguaient sur des rails lisses, avalant de longues distances dans des trains luxueux. Le père était inquiet, mais il n’avait pas la force de stopper un désir si puissant. Il enfouissait sa tristesse dans la librairie, jusque tard dans la nuit.
Il essayait parfois d’arrêter la mère.  » Le petit n’est pas allé à l’école depuis une semaine. Ses notes sont catastrophiques. »
– Ce n’est pas grave, ce qu’il perçoit durant le voyage est plus important et l’armera pour la vie. »
-Je baisse les bras, concluait Martin en reconnaissant sa défaite

Passion ou folie de sa mère

La vieille Matilda dispensait bon sens et quiétude. Considérant d’un œil réprobateur la passion de la mère pour les églises les monastères, elle la sermonnait : »Tu dois aller prier à la synagogue. Les prières atteignent leur destinataire lorsqu’on suit le rite de ses ancêtres. »
Mais la mère rétorquait que dans les synagogues il n’y avait ni sérénité, ni musique, ni images bouleversantes, le plafond était nu et le cœur ne pouvait s’exalter.

L’après guerre

Le lendemain il s’engagea sur une route large et lisse, en direction du nord. Un camion était couché après un virage, moteur pointé vers le ciel, donnant à l’habitacle une expression de mort veines. Théo le contempla un instant avant de se dire qu’il trouverait sûrement de dans un briquet des cigarettes fines.
 Des accessoires militaires étaient éparpillés au milieu de boîte en carton et de bouteilles de bière qui avait été projeté de toutes parts.

 La langue des camps

Au camps, on parlait une autre langue, une langue réduite, on utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots était le vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l’estime, lui avait confié : « J’ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n’avons presque plus de mots dans nos bouches. »

 

Traduit de l’anglais (Écosse) par Aline Azoulay-Pacvõn.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

Ces deux romans écossais se suivent et ont des points communs. Tous les deux retracent le parcours d’enfants martyrs. Ce roman-ci ne le dit pas immédiatement, nous suivons d’abord la vie d’Eleanor et nous pouvons alors penser qu’il s’agit d’un roman que l’on dit « fell good », le genre est bien représenté chez nos amis britanniques. Cette jeune femme, sans être autiste possède cette qualité ou ce défaut de dire la vérité telle qu’elle lui apparaît et aussitôt qu’il lui semble important de la dire, c’est à dire tout de suite et surtout, elle n’a aucun des codes qui facilitent la vie en société. Évidemment, cela ne lui apporte pas que des amis. elle vit seule et est enfermée dans des manies de vieilles filles. Voilà qu’elle tombe amoureuse d’un jeune et beau chanteur et pour ses beaux yeux (les yeux ont une importance que l’on découvre plus tard) sa vie va basculer elle se fait épiler, achète des vêtements à la mode, va chez le coiffeur…. Sa mère avec qui elle s’entretient régulièrement lui donne de bien curieux conseils et surtout rabaisse sa fille à la moindre occasion. Dis comme ça, je n’imagine pas que vous ayez envie de lire ce roman. Mais ce n’est que l’apparence de ce roman. Derrière cette façade qui va se lézarder bien vite apparaît une toute autre histoire, triste à sangloter. C’est très bien raconté et hélas crédible. Les indices de l’autre histoire sont distillés peu à peu dans le roman et deviennent au trois quart le cœur même du récit. On comprend alors le drame d’Eleanor, on voudrait tant faire partie de ceux qui peuvent la consoler ces gens dans le récit existent, elle va peu à peu les rencontrer. J’ai beaucoup apprécié que ces personnes positives ne soient pas trop idéalisées, elles aussi ont leurs problèmes et leurs imperfections. On espère aussi qu’elle apprendra à se protéger de la perversité et de la méchanceté et qu’enfin, elle saura aller vers des personnes qui ne la détruiront plus. Son regard naïf impitoyable sur les comportements humains sont souvent très drôles et cela permet d’aller au bout des révélations qu’Eleanor avait enfouies au plus loin de son inconscient. Cela fait si mal parfois de se confronter à la réalité. J’ai quelques réserves sur ce roman et pourtant je l’ai lu très vite, à la relecture les indices qui fourmillent m’ont un peu gênée. J’ai beaucoup hésité en 3 ou 4 coquillages. Finalement j’en suis restée à 3 car je préfère le précédent sur un thème assez semblable. Aifelle est beaucoup plus positive que moi donc à vous de décider.

 

Citations

Méconnaissance des codes sociaux

Au final, mon projet Pizza s’est révélée extrêmement décevant. L’homme s’est contenté de me coller une grande boîte en carton dans les mains, de prendre mon enveloppe, et de l’ouvrir sans égard pour moi. Je l’ai entendu marmonner dans sa barbe « putain de merde » en comptant son contenu. J’avais amassé des pièces de 50 pence dans un petit plat en céramique, c’était l’occasion idéale de les utiliser. J’en avais glissé une de plus pour lui mais n’ai reçu aucun merci. Grossier personnage.

On connait ce genre de rire

Elle a l’art de se faire rire tout seul, mais personne ne s’amuse beaucoup en sa compagnie.

C’est bien vrai !

J’ai remarqué que la plupart des personnes qui portent des tenues de sport dans la vie de tous les jours sont les moins susceptibles de pratiquer une activité athlétique.

Toute vérité est-elle bonne à dire ?

-Je peux aller vous chercher un verre, a hurlé l’homme essayant de couvrir le morceau suivant… 
-Non merci, ai-je dit Je préfère refuser, parce que si j’acceptais, il faudrait que je vous offre un verre en retour, et je crains de ne pas avoir envie de passer en votre compagnie le temps nécessaire à vider deux verres.

Le travail de graphisme

J’ai cru comprendre que les clients étaient souvent incapables d’exprimer leurs besoins et que, au bout du compte, les designers devaient élaborer leurs créations à partir des vagues indices qu’ils parvenaient à articuler. Après de nombreuses heures de travail effectuées par toute une équipe de créatifs, le résultat était soumis à l’approbation du client, qui déclarer alors. « Non. C’est exactement ce que je ne veux pas. »

Le processus tortueux devait se répéter plusieurs fois avant que le client ou la cliente finissent par se déclarer satisfait du résultat. À tous les coups, disait Bob, la création validée était plus ou moins identique à la première œuvre proposée, rejetée d’emblée par le client.

J’ai ri !

Sans doute pour libérer des places de parking le crématorium et à un endroit très fréquenté. Je n’étais pas sûre d’avoir envie d’être incinérée. Je préférais l’idée de servir de nourriture aux animaux du zoo, ce serait à la fois proenvironnementale et une belle surprise pour les grands carnivores. Je ne savais pas si on pouvait faire cette demande. Je me suis promis d’écrire au WWF pour me renseigner.

 

Traduit de l’anglais écosse par Céline Schwaller 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Véritable coup cœur pour moi que je n’explique pas complètement. Je vais énumérer ce qui m’a plu :

  • J’ai retrouvé l’ambiance des films britanniques que j’apprécie tout particulièrement au festival de Dinard.
  • J’ai adoré les sentiments qui lient les deux héroïnes, deux sœurs différentes mais qui s’épaulent pour sortir de la mouise.
  • Je suis certaine que, lorsqu’on va mal, la beauté de la nature est une source d’équilibre.
  • Les personnages secondaires ont une véritable importance et enrichissent le récit.
  • La mère va vers une rédemption à laquelle on peut croire.
  • La fin n’est pas un Happy-End total mais rend le récit crédible.
  • Le caractère de la petite est drôle et allège le récit qui sinon serait trop glauque.

Voilà entre autre, ce qui m’a plu, évidemment la survie dans la nature encore sauvage des Highlands est difficile à imaginer, pour cela il faut deux ingrédients qui sont dans le roman. D’abord un besoin absolu de fuir la ville et ses conforts. Sal l’aînée en fuyant l’horreur absolue de sa vie d’enfant a commis un geste qui ne lui permet plus de vivre chez elle. Il faut aussi que les personnes soit formées à la survie en forêt, et Sal depuis un an étudie toutes tes façons de survivre dans la nature. Malgré ces compétences, les deux fillettes auront besoin d’aide et c’est là qu’intervient Ingrid une femme médecin qui a fui l’humanité elle aussi, mais pour d’autres raisons. Sa vie est passionnante et c’est une belle rencontre. C’est difficile à croire, peut-être, mais j’ai accepté ce récit qui est autant un hymne à la nature qu’un espoir dans la vie même quand celle-ci a refusé de vous faire le moindre cadeau.

Les Highlands :

 

Citations

La maltraitance

J’avais envisagé de le raconter pour Robert et qu’il comptait bientôt aller dans la chambre de Peppa aussi qu’il battait m’man et qu’il était saoul et défoncé tout le temps. Mais je savais que la première chose qui se passerait serait qu’il se ferait arrêter et qu’on nous emmènerait et qu’on serait séparé parce que c’est ce qui se passait toujours. En plus personne ne croirait que m’man n’était pas au courant et on l’accuserait peut-être de maltraitance ou de négligence et elle irait en prison. J’avais lu des histoires là dessus sur des sites d’informations, où la mère était condamnée et allait en prison et où le beau-père y allait pour plus longtemps parce que c’était lui qui avait fait tous les trucs horribles comme tuer un bébé ou affamer une petite fille, mais il disait que la mère avait laissé faire et elle se faisait coffrer aussi. Ils accusent toujours la mère d’un gamin qui se fait maltraiter au frapper, mais c’est toujours l’homme qui le fait.

L’étude de la survie

Tout en attendant à côté du feu éteint d’entendre quelque chose j’ai essayé de mettre un plan au point. Les chasseurs essaient de prévoir la réaction de leur proie pour savoir où et quand il les trouveront, ils savent ce qu’elles cherchent comme de l’eau et de la nourriture et ils adaptent leur propre comportement en fonction. Les prédateurs exploitent les besoins des proies pour essayer de les attraper quand elles sont les plus vulnérables comme lorsqu’elles font caca ou se nourrissent.

La nature

C’était la première fois que je voyais des blaireaux ailleurs que sur un écran et même s’ils étalent plus gros qu’on aurait pu le croire ils se déplaçaient en souplesse avec leur dos qui ondulait. Les deux plus petits ont commencé à fouiner dans la neige et les feuilles et l’un d’eux n’arrêtait pas de partir et de revenir en courant vers les autres comme s’il voulait jouer. Le gros a humé l’air puis il est parti sur une des pistes qui venait presque droit sur nous. Les deux autres l’ont suivi et tous les trois se sont approchés de nous en ondulant et la m’man m’a saisi la main et me l’a serrée quand je l’ai regardée elle avait la bouche ouverte sur un immense sourire et ses yeux étaient tout écarquillés et brillant comme si elle n’en revenait pas. Comme les trois blaireaux s’approchaient de plus en plus de notre arbre on est resté parfaitement immobile. Ils ont continué d’avancer et on les entendait gratter dans la neige et on voyait les poils gris et noir de leur pelage bouger et ondoyer à mesure qu’ils marchaient. À environ quatre mètres de nous le gros s’est arrêté puis il a levé la tête et nous a regardé bien en face. Il nous fixait dans les yeux tandis que les deux autres avaient le nez baissé et continuaient de renifler et de gratter la terre derrière lui. Ils ont levé les yeux à ce moment là et nous ont fixé tous les trois. J’avais envie de rire parce qu’ils avaient l’air carrément surpris avec leurs petites oreilles dressées. M’man relâchait son souffle très doucement. On est restées comme ça pendant que les minutes passaient dans le bois silencieux, maman et moi sous un arbre en train de fixer trois blaireaux.

Traduit de l’espagnol Vanessa Capieu

J’ai tellement aimé « une mère » que je n’ai pas hésité à lire ce roman, j’aurais dû me méfier, j’ai beaucoup de mal à comprendre l’amour absolu des maîtres pour les chiens. Je comprends très bien que l’on aime bien son animal de compagnie et qu’on le traite bien, mais j’aime qu’il reste un animal et non pas le substitut d’une personne. Ici, c’est le cas, le chien devient le remplaçant de l’être aimé et aussi bien pour la mère que pour toute la famille le deuil d’un chien semble équivalent à la mort d’un être humain. On retrouve dans ce récit le charme d’ « Une mère » et certains passages sont drôles. Mais l’effet de surprise n’existe plus on sait qu’Amalia ne perd la tête qu’en apparence et qu’elle veut surtout que ses trois enfants connaissent une vie plus heureuse que la sienne. Ce qui n’est pas très difficile. Ses efforts pour trouver un nouveau compagnon à son fils sont souvent aussi drôles qu’inefficaces. Elle s’est mise en tête que cet homme doit être Australien, blond, vétérinaire et gay évidemment ! pas si simple à trouver mais cela ne l’empêche pas de chercher et de poser des questions étonnantes à tous les Australiens (ils sont heureusement peu nombreux !) êtes vous Vétérinaire ? êtes vous homosexuels?et inversement aux homosexuels ; êtes vous vétérinaire …

Bref un roman assez drôle mais qui reprend trop les effets du premier roman, je me suis donc beaucoup moins amusée.

Citations

Mort d’un chien

Cette impossibilité à définir, ce trou noir d’émotion, fait de sa mort des limbes étranges dont il est difficile de partager l’intensité, parce que pleurer un chien, c’est pleurer ce que nous lui donnons de nous, et qu’avec lui s’en va la vie que nous n’avons donnée à personne, les moments que personne n’a vu. Lorsque s’en va le gardien des secrets, s’en vont également avec lui les secrets, le coffre, le puzzle rangé dedans et aussi la clé, et notre vie en reste tronquée.

 

 Un éclat de rire

(Pour le comprendre vous devez savoir qu’Amalia qui perd un peu la tête essaie de cacher à sa fille -très écolo- qu’elle est encore tombée assez rudement par terre sans les protections que celle-ci lui a fait acheter. La serveuse Raluca d’origine chinoise avait donc donné à Amalia des torchons remplis de glaçons parce que ses genoux sont couverts de bleus)

« Alors tu veux pas torchon ? »
 Nouveau sourire de maman. Sylvia pousse un feulement et Emma un haussement d’épaules.
« Non, ma fille, répond maman. J’en ai plein chez moi, je te remercie. Maintenant que je sais que tu en vends, à si bon prix, en plus, je te les prendrais à toi quand j’en aurai besoin. C’est promis. Je n’irai plus les acheter au marché. »
 Et comme Raluca reste plantée là sans rien comprendre, le plateau en l’air, manifestement prête à demander des précisions que maman n’est pas le moins du monde disposée à donner, et que Sylvia ouvre de nouveau la bouche, elle ajoute :
« Et si tu as des culottes, mais des organique, hein dis-le moi surtout. Tu sais, précise-t-elle avec un clin d’œil entendu, de celles qui font le ventre plat. »
Silva et Raluca se regardent et Emma, qui bien sûr est tout autant perdue que Sylvia, baisse la tête et se passe le main sur le front.

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Ce roman a été chaudement défendu par une partie des lectrices du Club et cela lui a valu de participer « au coup de cœur des coups de cœurs » de l’année 2017/2018.
J’avais déjà essayé de le lire, mais l’écriture m’avait immédiatement rebutée. Je ne suis pas à l’aise lorsque je sens que, de façon artificielle, l’écrivain adopte une style « poétique » . Ici , cela passe par des mots vieillis qui ne rajoutent pas grand chose au récit : Corroyage, Extrace, Hierophante, Hongroye. Et puis par un rythme de phrases très particulier. L’écrivain dit qu’il a voulu décrire le basculement d’une petite ville de province : Besançon qu’il ne nomme pas (mais il dit que c’est la ville où est né Victor Hugo), vers le monde moderne pendant les années 1970/1980. Mais ce n’est vraiment qu’une toile de fond très lointaine à une vie de famille totalement perturbée par la mort d’un jeune enfant, le petit frère du narrateur. Sa mère va continuer à le faire vivre dans son imaginaire et dans sa folie, elle lui dresse un couvert, fait son lit, achète des vêtements et des fournitures scolaires pour lui…. Le père essaiera d’oublier tout cela dans l’alcool. Mais ce drame semble très lointain car il est vu à travers les yeux d’un enfant. Je pense que la seule façon d’aimer ce livre c’est d’aimer la langue de cet auteur, langue à laquelle je n’ai pas été sensible. Les deux passages que j’ai notés vous permettront, je l’espère, de vous faire une idée par vous même.

Citations

le linge qui sèche

Marguerite-des-Oiseaux possédait des culottes semblables à des voiles. Des culottes de trois trois-mâts que l’on imaginait gréées sur son fessier et que le moindre pet gonflait comme un grand foc afin de la propulser de la cuisine aux latrines. Les culottes de grand-mère, simples esquifs, ne prenaient pas le large et ressemblaient plutôt à des taies d’oreiller munies de deux grands trous. Celles de maman étaient à peine un peu moins prudes et formaient presque un V du côté de l’entre-cuisse. Quant aux slips de Lucien : inexistants. Elle les pendait ailleurs, Fernande, avec ses culottes à elle, dans un bûcher fermé à clé, hors de la vue des cuistres. Quand on a épousé un Monsieur d’importance qui possède pardessus, brillantine et joues flasques, on exhibe pas ces choses de basse extrace aux yeux du tout-venant.

Effet de style « poétique »

 Il possédait en lui, quelque chose d’inné, de bestial, comme un cri des cavernes lorsqu’un premier orage illumina la grotte ; un cri qui se serait transmis le silex en silex, de tison en disant, de feu en feu, de foyer en foyer, de forge en forge, et qui aurait fini par échouer, ici, entre ses mains de forgeron, comme il l’était sans doute écrit de toute éternité tant il semblait évident que Jacky avait dû naître d’un ventre de fer en fusion entre deux cuisses de lave au temps des grandes fissures cambriennes tandis que les volcans projetaient dans les menus quelques myriades d’enclumes phosphorescentes.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Schneiter. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un roman qui est construit comme une suite de fragments de vie, autour des souvenirs de Jacqueline Woodson, écrivaine spécialiste de littérature pour la jeunesse. Dans ce livre, c’est sa propre jeunesse qui l’occupe et elle se souvient, d’abord de la mort de sa mère qu’elle a essayé de toutes ses forces d’oublier. C’était avant Brooklyn, quand la famille vivait dans une ferme du Tennesse : »SweetGrove ». Moments de bonheurs bouleversés par la mort. Celle de Clyde le frère de sa mère mort au combat au Vietnam. Puis celle de sa mère qui ne surmontera jamais ce deuil, alors le père entraîne ses deux enfants à Brooklin, « où est maman ? » demande le petit frère d’August (prénom féminin, celui de la narratrice), « elle vient demain ou après demain ou encore après » répond inlassablement August qui est surtout attirée par les trois filles qui semblent posséder les clés pour vivre heureuse à Brooklin.

L’auteure sait si bien nous les décrire ces quatre filles qui parcourent les rues de la grande ville en se tenant par les épaules et en se défendant quand elles le peuvent de tout le mal que peuvent faire les habitants d’un quartier voué à la misère que nous la voyons cette bande : Sylvia Angela Gigi et August, on entend leurs rires et leurs peurs. Leurs vies peuvent devenir très vite tragiques et la réussite ne tient qu’à leur courage et à leur détermination. Le père est un personnage attachant, qui se soucie de l’éducation, on peut imaginer son bonheur d’avoir réussi à élever ses deux enfants dans un quartier où les dangers les guettaient à tous les coins de rue. Malgré tous les événements qui forment comme le décor de la vie de cette petite fille : les émeutes qui font fuir les rares blancs de son quartier, les pillages des quartiers chics et la drogue déjà bien implantée à Brooklyn, ce n’est pas, finalement, le tragique qui l’emporte mais l’optimisme et la fraîcheur de l’enfance qui arrive à devenir adulte sans trop se perdre.

Citations

Être noire : discours d’une mère à sa fille

Sa mère lui dit qu’elle avait les yeux de son arrière-grand-mère. « Elle est venue au monde en Caroline du Sud, par un papa chinois et une maman mulâtre. » Gigi regarde à ses yeux, légèrement bridés, marron foncé. « Les cheveux aussi, enchaîna sa mère, soulevant les tresses de Gigi. Lourds et épais comme les siens. »
 » Ta seule malédiction, c’est ta peau sombre. Je te l’ai transmise, conclut sa mère. Tu dois inventer un moyen de dépasser ta couleur. Inventer ta voie pour y échapper. Reste à l’ombre. Ne la laisse pas devenir plus foncée. Ne bois pas de café. »
 

Mot d’enfant

Une fois, j’étais petite, ma mère m’avait demandé ce que je voulais être quand je serai grande. « Une adulte » avais-je rétorqué. Mon père et elle avaient éclaté de rire.

La vraie misère

Un homme qui avait grandi dans notre quartier marchait dans les rues en uniforme de l’armée. Manchot. Il avait appris à tenir une seringue entre ses dents et à s’injecter avec sa langue, de la cam dans les veines au niveau de l’aisselle.

Quel livre ! Je l’ai lu deux fois. Une fois, pour comprendre d’où venait cette Naïma si courageuse, celle qui peut soulever des montagnes pour arriver à voyager en Algérie mais qui a tant de mal à faire parler son père. Et puis je l’ai relu tranquillement sans me dépêcher en allant à chaque événement voir ce qu’on disait sur la toile des événements évoqués par l’auteure.

Je suis tombée sur des reportages qui à eux seuls feraient des romans et j’ai encore plus admiré le talent d’Alice Zeniter de ne pas avoir alourdi son récit des habituels prises de position sur l’Algérie. Elle mène son récit sur une ligne de crête très inconfortable comme l’a été la vie de ces algériens qui refusaient le FLN sans pour autant accepter la colonisation. Trop favorable à la France, elle aurait minimisé le racisme et surtout le traitement des harkis après 1962 en France. Trop proche des combattants , elle aurait passé sous silence des crimes révoltants et le rejet de sa propre famille . Elle porte ces contradictions en elle mais ne veut plus être une victime de cette histoire.

Alors elle nous raconte tout, depuis l’Algérie jusqu’au Paris d’aujourd’hui en passant par les camps de Rivesaltes où on a parqué des Harkis comme s’ils étaient coupables de quelque chose. Refusés et assassinés en Algérie, ils étaient très mal vus en France. Ensuite c’est la vie en HLM qu’on n’appelait pas encore Cité . Son père fait partie de ceux qui se sont emparés de ce que la France offrait grâce à l’école pour s’en sortir . Sa fille, qui ressemble à l’auteure, est donc la troisième génération, celle qui veut connaître ses origines mais qui hélas ne retrouve qu’une Algérie marquée par une autre guerre : celle de l’intolérance islamiste. Cette Algérie-là, est encore perdue pour elle qui assume une vie de femme libre.

Il ne faut pas réduire ce roman à l’Algérie, aux Harkis et aux cité, mais grâce à cet éclairage, l’auteure nous fait revivre la France des années 60 jusqu’à aujourd’hui. J’ai retrouvé des ambiances et des moments de moments de ma jeunesse, le Paris d’Hamid c’est aussi le mien, la vie en province était si étriquée que seule la capitale pouvait donner ce sentiment de liberté . Je pense aussi que cette écrivaine a trouvé un territoire où elle n’est pas « perdue » : l’écriture. et j’espère, pour le plus grand plaisir de ses lectrices et lecteurs qu’elle y reviendra très vite

Citations

Un adage contraire aux célèbre « Vivons heureux vivons cachés » des gens du Nord

– Si tu as de l’argent, montre le.
C’est ce qu’on dit ici, en haut comme en bas de la montagne. C’est un commandement étrange parce qu’il exige que l’on dépense toujours l’argent pour pouvoir l’exhiber. En montrant qu’on est riche, on le devient moins. Ni Ali ni ses frère ne penseraient à mettre de l’argent de côté pour le faire « fructifier » ou pour les générations à venir, pas même pour les coups durs. L’argent se dépense dès qu’on l’a. Il devient bajoues luisantes, ventre rond, étoffes chamarrées, bijoux dont l’épaisseur et le poids fascinent les européennes qui les exposent dans des vitrines sans jamais les porter. L’argent n’est rien en soi. Il est tout dès qu’il se transforme en une accumulation d’objets.

Dicton

Ici on dit que les dettes se couchent comme des chiens de garde devant la porte d’entrée et défendent à la richesse d’approcher.

Humour

Il m’a filé une baffe et je suis redescendu avec le cousin qui m’insulte tant qu’il pouvait en disant que j’avais fait mal à son honneur, à sa réputation. Tu y crois, toi, Hamid ?
Youssef se tourne vers le petit garçon, avec un large sourire
-Même pour faire la Révolution, il faut être pistonné….

Les cités des années 60

 Le Pont- Féron offre à Clarisse et Hamid une haie d’honneur faite de barres décrépites, d’antennes de télévision tordues, de chaussées défoncées, de vieux assis devant les immeubles, leurs bouches à demi vide ou bien brillantes de dents en or, les sacs plastiques à leurs pieds contenant un mélange de médicaments et de nourriture. Il semble à Hamid qu’il a suffi qu’il s’absente un an pour que la cité s’effondre sous le poids de l’âge. Elle fait partie de ces constructions qui n’ont d’allure que flambant neuves et qui vieillissent comme on pourrit La conjoncture s’ajoute au faiblesse de son architecture pour faire craquer les murs, la crise sonne le glas des trente glorieuses et écrase ce quartier de travailleurs qui travaillent de moins en moins.

L’homme algérien ne trouve plus sa place

Il y a la télévision. Celui qui ne fait rien la regarde. C’est comme ça, en France. Mais comment rester chef de famille lorsque l’on regarde la télévision aux côtés de ses enfants et de sa femme ? Quelle différence y a-t-il entre soi et les enfants ? Soi et l’épouse ? La télévision et le canapé effacent les hiérarchies, les structures de la famille pour les remplacer par un avachissement similaire chez chacun.

  Très bien vu !

  Et en guise de modernité, de glamour politique, qu’est-ce qu’on vous a proposé -et pire- qu’est-ce que vous avez accepté ? Le retour de l’ethnique. La question des communautés à la place de celle des classes. Alors les dirigeants pensent qu’ils peuvent apaiser tout tension avec une jolie vitrine de minorités, une tête comme la leur, en haut de l’appareil d’État, sûrement, ça va calmer les gens de la cité. Il nous montre Fadela Amara, Rachida Dati, Najat Vallaud-Belkacem au gouvernement. La peau brune, Le nom arabe, ça ne suffit pas. Bien sûr, c’est beau qu’elles aient pu réussir avec ça ‘ ça n’était pas gagné- mais c’est aussi tout le problème, elles ont réussi. Elles n’ont aucune légitimité à parler des ratés, des exclus, des désespérés, des pauvres tout simplement. Et la population maghrébine de France, c’est majoritairement ça, des pauvres.

Paris

Hamid s’enivre de Paris tant qu’il peut. Il voudrait pouvoir s’injecter la ville, il l’aime, il est amoureux d’une ville, il ne croyait pas que c’était possible mais il ne veut plus la quitter. Ici, tout les monuments sont célèbres et les visages anonymes. Les photographies et les films font que Paris semblent appartenir à tous et Hamid, plongée en elle, réalise qu’elle lui manquait alors même qu’il n’y avait jamais posé le pied.

C’est bien observé

 Hamid et Gilles jalousent François qui sert des mains ici et là et surjoue pour eux le fait d’avoir ici ses habitudes. Ils découvrent que l’anonymat de la grande ville, qui les libère, crée aussi le besoin paradoxal de lieux où l’on peut entrer et être reconnus.