Édition Zoé . Traduit de l’anglais par Christine Raguet

Et pour une fois le nom de la traductrice est sur la couverture, bravo aux éditions Zoé.
Il y avait pour ce livre tant de tentatrices ,que je savais que je le lirai, heureusement que je n’avais pas dit quand ! Aifelle en novembre 2019, Athalie en octobre 2019, et Kathel en juin 2020. À chaque fois, je me disais que ce roman était pour moi, je confirme totalement cette impression. Merci à vous de m’avoir guidée vers ce roman.

Dans un quartier chic du Cap, deux femmes vieillissent, rien ne les unit, si ce n’est une haine farouche. Toutes les deux deviennent veuves au début du roman. Marion, la femme blanche architecte était mariée à un certain Marc, elle découvre que celui-ci ne lui a laissé que des dettes . La vente d’un tableau acquis il y a bien longtemps pourrait la tirer d’affaire, il s’agit d’un tableau de Pierneef peintre qui a une belle côte aujourd’hui en Afrique du Sud :

Seulement voilà , Hortensia a entrepris des travaux et une grue s’est abattue sur sa maison et le tableau a disparu. Ne croyez surtout pas que cette anecdote soit très importante. En fait ce qui est important c’est pourquoi ces deux femmes sont arrivées à se haïr avec une telle force : Hortensia, sait mieux que quiconque déceler le racisme ordinaire qui dicte la conduite de Marion. Celle-ci a déjà perdu le contact avec ses enfants à cause de ses comportements humiliants pour leur employée Agnes. Hortensia n’a plus d’illusion sur l’humanité, et elle sait très bien débusquer toutes les petitesses de chacun même si elle est souvent méchante, elle est aussi très drôle et j’ai beaucoup appréciée quand elle bouscule le côté dame patronnesse de Marion. C’est une femme qui a très bien réussi dans le design et qui au contraire de Marion , n’a aucun soucis d’argent. Son mari Peter meurt et laisse une clause très étrange dans son testament. Il demande à Hortensia de prendre contact avec Emée une jeune femme de 40 ans qui est sa fille légitime. Il manque un élément pour que le décor soit planté. La maison dans laquelle habite Hortensia a été conçue par Marion et celle-ci aurait voulu l’habiter. Les deux femmes vont être amenées à devoir se supporter. Il n’y aura pas de renversement de situation mais une sorte de paix des braves ! Au fil de l’histoire on en apprend beaucoup sur le racisme ordinaire en Grande-Bretagne, et les horreurs de l’Afrique du Sud . La façon dont l’auteure nous présente les deux personnalités est passionnante. Tout en se doutant de la suite, on laisse l’auteur nous emmener sur les chemins de deux femmes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Il n’y a pas de « gentilles » mais des femmes qui ont connu une vie originale, la dureté d’Hortensia cache une grande intelligence et une sensibilité qui n’a jamais pu s’épanouir complètement . Marion est plus prévisible mais on la sent prête à abandonner quelques une de ces certitudes. Enfin !

Bref, je joins ma voix à celles qui ont avant moi découvert ce roman, c’est un roman qui m’a laissé une très forte impression et dont j’ai savouré toutes les pages.

Citations

 

Le ton est donné

La rivalité était assez tristement célèbre pour que les autres représentantes du comité se tiennent en retrait afin d’assister au spectacle. Il était de notoriété publique que les deux femmes partageaient une haine et une haie, qu’elles élaguaient l’une comme l’autre avec une ardeur qui démentait leur âge.

Marion et Hortensia

-Je suis convaincu que si on les contraignait, ces gens auraient du mal à justifier leur droit. Des gens à l’affût d’argent facile, si vous voulez mon avis.
– Quand vous dites ces gens, ce que vous voulez dire en fait, c’est « des Noirs », si j’ai bien compris ?
– Absolument pas et je voudrais..
– . Marion, je ne suis pas d’humeur aujourd’hui à supporter votre sectarisme. J’ai le souvenir précis de vous avoir demandé de garder vos conversations racistes pour votre propre salle à manger.

 Le mari d’Hortensia

Peter n’avait jamais été croyant, mais il avait affecté des postures de croyant qu’Hortensia n’avait jamais été capable de déchiffrer parfaitement. Il sifflotait « Morning has broken », puis l’entonnait, mais il s’embrouillait dans les paroles, le cantique disparaissant dans sa gorge. Il jouait au golf le dimanche, mais à Noël il voulait des chants de Noël. Et maintenant, il meurt et voilà qu’il veut une église.

Les sentiments d’Hortensia

Hortensia en vint à comprendre la qualité de sa vie aurait grandement gagné à connaître plus de colère et moins de ressentiment. Le ressentiment est différent de la colère. La colère est un dragon brûlant tout le reste. Le ressentiment dévore vos entrailles, perfore votre estomac.

L’intelligence et la jeunesse

Hortensia était en désaccord avec l’opinion répandue qui veut que les jeunes aient l’esprit vif et de la jugeote. Au contraire, sur ses vieux jours, elle avait découvert que les jeunes (d’une manière générale) se protégeaient sous une sorte de douillet cocon d’idées arrêtées, qui les mettaient à l’abri du monde et que l’on pouvait aisément prendre pour de l’intelligence, à la condition que vous, l’observateur, manquiez un peu de vigilance dans vos appréciations.

L’ histoire du papier toilette(qui permet de comprendre la photo d’Athalie)

Lara avait couru à l’office pour aller chercher un rouleau de papier toilette et elle était revenue avec le papier simple épaisseur.
« Celui-là est pour Agnes, avait hurlé sa grand-mère, avant de marmonner  » pourquoi est-ce qu’elle va mettre ses affaires dans mon office ? »
 La fillette eut l’air troublée. Pourquoi sa grand-mère achetait-elle deux qualités de papier toilette ? « Parce que » avait dit Marion.
 Parce que le double épaisseur est plus cher et que, compte tenu de sa condition, il paraissait parfaitement raisonnable de penser qu’Agnes se contenterait du simple épaisseur. La fillette posait des questions sur les choses auxquelles Marion n’avait jamais eu de raison de réfléchir, mais c’était ainsi -la voilà la raison. Mais les dégâts avaient déjà été faits. Lara était contrarié, Marelena était contrariée. Elle consola sa fille et fit une moue réprobatrice à sa mère. « Je croyais qu’après tout ce temps tu en aurais fini avec ces choses-là. » Marion était jugée. Amère à l’idée d’être mal comprise, elle souleva l’affaire avec Agnès.
« Pourquoi mets-tu tes rouleaux de papier toilette dans mon office Agnes ? Quand les courses arrivent, quand tu vides les sacs, prends ce qui te revient et mets-le dans ton studio.
-Non, patronne.
-Quoi ?
Agnès avait rarement l’occasion d’utiliser le mot « non » quand elle parlait avec Marion. En fait, Marion ne pouvait se rappeler qu’une seule fois elle l’avait entendu l’employer.
-Celui-ci n’est pas mon papier papier toilette, patronne. Le mien, je l’achète moi-même. – Pourquoi achètes- tu ton propre papier ? avait demandé Marion. Quel changement avait bien pu se produire ? Elle travaillait ici depuis des dizaines d’années et connaissait les règles. Agnès, qui était en train d’essayer les petites taches sur le marbre du plan de travail de la cuisine, haussa les épaules.
– J’avais besoin de quelque chose de meilleure qualité, patronne.
Un jour, peu après cette conversation, alors qu’Agnes était occupée avec le linge sale, Marion se glissa dans le studio pour en inspecter la salle de bain. Là se trouvait le papier toilette en cause. Triple épaisseur. Elle rougit et, pour ne jamais être en reste, lors de son déplacement suivant chez Woolworths Marion choisit une grande quantité de rouleaux de papier toilette triple épaisseur pour elle-même.

Vieillir

– De toute façon, je suis trop vieille. Je ne peux pas avoir un copain. J’ai toutes sortes de douleurs. Trop.
-C’est ainsi, et oui.
-Quoi ?
-Ça. Vieillir. Avoir de plus en plus de douleurs.
 Marion fit une grimace.
-Et essayer de tout réparer.
– Et ça marche ?
-Quoi ?
-D’essayer de tout réparer ?
– Pas vraiment. J’ai quatre enfants, Hortensia. Trois à qui je n’ai pas parlé depuis presque un an. Je ne les vois jamais. Marelena, mon aînée , elle appelle, mais j’ai toujours l’impression, quand on parle, qu’elle me braque un revolver sur la tempe. Et que j’en braque un sur la sienne.

 

 

 

 

Éditions Rivages . Traduit de l’anglais (Étais-Unis) par Martine Aubert.

Je l’avais repéré chez Katel mais je sais que vous êtes plusieurs à en avoir parlé. J’ai bien aimé ce roman mais sans en faire un coup de coeur . Je commence par mes réserves pour ensuite aller vers ce qui m’a permis d’aller au bout des 576 pages (roman américain oblige !).

Le fil conducteur du roman c’est une maison du XIX ° siècle qui s’effondre sur ses occupants. En 1871 , la famille de l’instituteur Thatcher Greenwood est divisée à propos de leur voisine Mary Treat personnage qui a vraiment existé. En 2016, la maison (enfin le roman montrera que ce n’est pas si simple) est occupée par la famille de Willa et Iano Tavoularis .
Voilà pour les présentations, le roman se divise donc en chapitres qui alternent en 1871 et en 2016. C’est ma première difficulté, à peine est-on bien installé avec une des deux familles qu’il faut la quitter pour sauter les siècles et entrer dans une autre problématique. Il y a aussi chez cette auteure des « trucs » pour lier les deux parties du roman que j’ai trouvés complètement artificiels . Le dernier mot du chapitre sert de titre au chapitre précédent. Dans l’histoire qui se passe en 2016 il y a un bébé qui pleure beaucoup, on entendra des pleurs de bébé dans une réunion en 1871. Ce sont des détails, ce qui m’a le plus gênée, c’est le politiquement correct des propos du roman. L’héroïne de 1871 est une femme remarquable et reconnue à son époque qui ne semble en rien porter les thèses féministes d’aujourd’hui. La montée de Trump en 2016 est incarné par un grand père acariâtre, raciste et borné . Et l’idéal de vie d’un des personnages la fille de Willa se passe à Cuba où tout semble paradisiaque. En lisant ce roman, j’ai pensé que pour que l’Amérique redevienne une grande nation il faudrait que les démocrates cultivés fassent des efforts pour ne pas uniquement mépriser les « trumpistes » sans chercher à les comprendre.

Et pourtant j’ai aimé lire ce roman . Car il décrit bien une Amérique que nous avons vue se déchirer lors des dernières élections. On voit aussi comment une classe moyenne est toujours à la limite de la pauvreté. On voit aussi, combien il a été difficile pour les Américains des siècles passés de s’affranchir de la pensée religieuse . On sait que pour beaucoup d’habitants de ce grand pays Darwin est un auteur maudit qui contredit la sainte Bible. Le pire étant, qu’aujourd’hui encore, c’est l’opinion de certains américains. Mary Treat est une scientifique reconnue dès son époque et qui a entretenu une correspondance avec Darwin et tous les grands noms de l’époque. Le personnage de l’instituteur est une fiction romanesque mais qui permet de représenter la difficulté d’inculquer dans une petite ville une réflexion scientifique, surtout sans prononcer le nom de Darwin qui équivaudrait à une mise à pied immédiate. La ville a été créée par un Charles Landis -personnage historique- un promoteur entré en politique pour assouvir sa soif d’argent et de pouvoir (encore une allusion !) . Pour Willa en 2016 les difficultés sont avant tout financières. Elle cherche par tous les moyens à sauver la maison qui s’effondre. Elle pense que Mary Treat y a habité et veut donc faire classer sa maison, elle découvre qu’elle a habité en face dans une maison actuellement démolie, elle pense alors que c’est la maison de l’instituteur mais hélas ! pour elle cette maison est plus récente. Tout cela avec le soucis de la fin de vie de son beau-père qui comme beaucoup d’américains est mal couvert par son assurance maladie. Et l’arrivée chez son fils aîné d’un bébé que la mort brutale de sa belle fille (donc de la maman du bébé) rendra orphelin de mère . Son fils Zeke sera incapable de faire face au deuil de sa femme et à l’arrivée du bébé. Et j’oubliais la vieillesse et la mort de son chien qui semblent plus l’affecter que l’horreur de la fin de vie de son beau père dont les membres sont « bouffés » par la gangrène à cause de son diabète.

Une plongée dans l’Amérique et qui permet de mieux comprendre pourquoi elle est si divisée aujourd’hui.

 

Citations

Le statut des professeurs d’université aux US

Des tas d’universitaires passaient leur vie à courir de ville en ville après leur titularisation. Ils constituaient une classe nouvelle de nomades cultivés, qui élevaient des enfants sans vraiment pouvoir répondre à la question de savoir où ils avaient grandi. Dans une succession de maisons provisoires, avec des parents qui avaient des horaires de folie, voilà la réponse. Des enfants qui faisaient leurs devoirs dans un couloir pendant que leurs parents étaient en réunion de professeurs. Qui jouaient à cache-cache avec les mômes des physiciens et des historiens de l’art sur la pelouse de quelque doyen pendant que les adultes sifflaient du chablis bon marché et se lamentaient en chœur contre leur chef de département. Et aujourd’hui, sans une plainte, Iano avait accepté un poste d’enseignant qui faisait insulte à un homme possédant de telles références.

D’où vient le titre en français mais je ne trouve pas cela très clair.

– Mais nous sommes des créatures comme les autres. La vérité de Mr. Darwin est incontestable.
-Et parce qu’elle est vraie, nous la contesterons comme le font les êtres vivants. Nos yeux ne sont pas neufs, pas plus que nos dents et nos griffes. J’entrevois hélas un grand travail de sape pour retrouver nos vieilles suprématies, madame Treat. Nulle créature n’accepte facilement de vivre à découvert.
 – À découvert, nous nous tenons dans la lumière.
– À découvert, nous nous savons destinés à mourir.

L’immigration mexicaine

– Je vois. Les migrants mexicains illégaux ont envahi ton usine, ont mis les types blancs à terre, les ont conduit à la sortie, et puis ils ont dit à l’entreprise : « Hé patron nous, on n’a pas besoin des salaires minimums syndicaux. »
C’est comme ça que ça s’est passé ?
 – Pas exactement.
– Les lois ont changé de sorte que les propriétaires d’usines ont eu les moyens de casser les grèves, dans les années quatre-vingt. Je le sais, je couvrais l’actualité syndicale à l’époque. L’échelle des salaires s’est effondré. Tu le sais, Nick. Tu as pas été forcé de prendre une retraite anticipée ?
Nick ne répondit pas. Elle savait que le licenciement l’avait blessé dans sa fierté. Willa eut un pincement au cœur, pas de sympathie envers un compagnon d’infortune, mais d’excitation au souvenir de son secteur et des polémiques passionnantes. Les reporters plus âgés s’étaint moqués d’elle, qui venait travailler en basket pour qu’on l’envoie couvrir un affrontement sur un piquet de grève, mais les infos qu’elle en ramenait ne les faisaient plus rire du tout. Elle était tellement inexpérimentée à l’époque, pas facile d’acquérir le style cool du journaliste professionnel, et de ne pas aborder ces sujets de manière émotionnelle. Même s’ils se prenaient des bombes lacrymogènes.
-S’il n’y a que des travailleurs Mexicains dans cette usine aujourd’hui, ajouta-t-elle, consciente de s’adresser à un sourd, c’est parce que personne d’autre ne veut faire un boulot aussi dangereux pour un salaire minable.

Pour toutes les personnes qui ont connu des bébés qui ne veulent pas dormir

Le bébé gagnait en civilité mais continuait à résister aux siestes de l’après-midi plus férocement qu’il semblait possible chez un bébé de cinq mois. Il en venait à être si fatigué que sa tête molle s’affaissait sur sa tige, mais même avec le biberon de l’après-midi il refusait de d’assoupir comme un bébé normal. Il tétait son lait maternisé le front plissé jusqu’à ce que son déjeuner liquide fasse place à un sifflement gazeux, puis hurlait aux injustices de la vie. Willa avait essayé de lui proposer un deuxième biberon à la suite du premier. Tout le monde avait tenté quelque chose, le bercer, le promener, voire le laisser « pleurer jusqu’à épuisement » comme les experts le recommandaient aujourd’hui, mais cet enfant était capable de pleurer des heures.

Édition folio Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud

 

L’appel à la sainteté et au sacrifice de soi, les illusions et la superstition nécessaire disparaissaient du monde à cette époque déjà 

 

Le 18 décembre 2018, Dominique faisait paraître un billet sur ce roman et immédiatement cela m’a tentée. Comme on peut le constater, je ne suis pas très rapide dans la concrétisation de mes tentations !

Je dois d’abord dire que j’ai failli lâcher cette lecture au bout de cent pages. Gros avantage des blogs et d’internet, on peut relire les billets même quelques années plus tard, je suis donc retournée sur son blog et cela m’a donné un second souffle pour finir ma lecture. Heureusement ! car c’est un excellent roman de plus très original.
Pourquoi ai-je failli l’abandonner ? Parce qu’il présentait une vision trop idyllique, à mes yeux, de l’univers des sœurs, ici, les petites sœurs des pauvres. Et que, comme moi je suppose, vous connaissez des récits personnels, ou des romans, décrivant toute la perversité avec laquelle l’église catholique a contraint des consciences, parfois avec violence au nom du « bien ».

Pourquoi aurais-je eu tort d’arrêter ma lecture ? Parce que je n’aurais pas dû oublier que petites sœurs des pauvres ont été les pionnières et souvent les seules à lutter contre la précarité au début du 20° siècle. Dans ce roman, on parle de Jeanne Jugan qui est originaire de ma région et dont la vie, à l’image des sœurs de Brooklyn, est faite d’abnégation et de courage mais aussi de jalousie et de perfidies dont elle a été victime.

Le roman commence par le suicide de Jim, mari d’Annie et père de Sally . Les sœurs font tout ce qu’elles peuvent pour éviter à la famille le déshonneur d’un suicide hélas la presse a dévoilé cette mort par le gaz qui aurait pu faire sauter tout l’immeuble. Si sœur Saint-Sauveur n’arrive pas à faire dire une messe ni à faire enterrer en terre catholique le malheureux Jim, au moins sauve-t-elle Annie de la misère la plus absolue en l’employant à la blanchisserie du couvent. Ainsi Sally va-t-elle naître et grandir au milieu des sœurs. On voit peu à peu différents caractères se dessiner, celle qui règne sur la blanchisserie : Illuminata a un caractère bourru mais elle se prend d’affection pour Annie et Sally et elle est jalouse de Jeanne une sœur plus jeune qui va comprendre qu’Annie a besoin parfois de souffler un peu et lui permet de sortir du couvent.
A Brooklyn dans la communauté irlandaise , l’alcool, la misère, les naissances trop rapprochées sont le lot d’une population qui essaie tant bien que mal de s’en sortir. J’ai retrouvé dans ces descriptions l’ambiance d’une série que j’ai beaucoup aimé et qui se passe dans les années 50 en Grande-Bretagne : « Call The Midwife » .

Plusieurs personnages secondaires apparaissent qu’il ne faut surtout pas négliger, car ils vont se réunir pour former la trame romanesque de cette plongée dans le début du 20° siècle dans le New York de la grande pauvreté. Monsieur Costello, le livreur de lait, marié à une femme amputée d’une jambe et tout le temps malade – la description des soins qu’il faut lui administrer sont d’un réalisme difficilement soutenable. La famille Tierney qui malgré les difficultés et les nombreuses naissances est marquée par la joie de vivre . J’ai appris grâce à cette famille que pour éviter de faire la guerre de Sécession on pouvait payer un remplaçant mais si celui-ci revenait blessé la famille se devait, au moins moralement, mais souvent financièrement l’aider à s’en sortir.

Le décor est planté, la jeune Sally ira-t-elle vers les modèles qui ont bercé son enfance et deviendra-elle nonne à son tour ? Elle a bien failli le faire, mais un terrible voyage en train lui a montré qu’elle n’avait pas l’âme assez forte pour supporter l’humanité souffrante (et déviante). Ira-telle vers une vie familiale avec Patrick Tierney ? Mais pour cela il faudrait qu’elle abandonne sa mère qui a tant fait pour elle.
Oui, il va y avoir une solution mais il ne faut pas top s’étonner qu’à l’âge adulte Sally ait eu des tendances à la dépression !

Un excellent roman, qui vaut autant pour les descriptions précises et très (trop parfois pour moi) réalistes de la communauté pauvre irlandaise de Brooklyn, que pour les rapports entre les religieuses, que par sa construction romanesque très bien imaginée. Si j’ai une petite réserve c’est que j’ai trouvé un inutilement compliqué de comprendre qui était en réalité le narrateur, mais cela permet de ne pas divulgâcher la fin. Comme je fais partie des gens qui aiment mieux connaître le dénouement avant de lire un roman, évidemment j’ai été plus agacée que séduite par ce procédé.
Mais ce n’est qu’un tout petit bémol par rapport à l’intérêt de ce roman qui a reçu le prix Fémina pour le roman étranger, en 2018, c’est vraiment plus que mérité, car c’est un très bel hommage aux femmes à toutes les femmes !

 

Citations

 

La pauvreté

Sœur Lucy dit à Sally qu’un bon mari était une bénédiction – un bon mari qui allait au travail tous les jours, ne dilapidait pas son salaire au bar ou sur les champs de courses, ne battait pas ses enfants et ne traitait pas sa femme en esclave – mais une bénédiction rare à tout le moins.
Elle dit : Même un bon mari est capable d’épuiser sa femme. Elle dit : Même une bonne épouse est susceptible de se transformer en sorcière ou en poivrote ou, pire, en bébé ou en invalide, afin de tenir son très bon mari à l’écart de son lit.

Éducation sexuelle de la jeune novice dans un voyage en train

« Et même si je suis sûr, poursuivit-elle, qu’un petit bébé bonne sœur ne connaît rien à ces choses-là, je peux vous affirmer qu’on a jamais vu un homme avec un pénis aussi minuscule. » Elle brandit son petit doigt pâle. L’ongle, la chair même se terminaient en une pointe ourlée de crasse. Puis la femme fourra le doigt dans sa bouche et referma les lèvres dessus. Elle écarquilla les yeux comme sous le coup de la surprise. Lorsque elle ressortit son doigt, il était humide et taché de rouge à lèvres à sa base. Ensuite elle posa sa main, aux doigts repliés dans sa paume sur ses larges cuisses et remua son petit doigt humide contre le tissu noir de sa jupe.  » Vous imaginez, dit-elle avec désinvolture, une fille de ma taille passant sa vie à chevaucher un truc de cette taille là ? » Sally détourna les yeux, le visage brûlant.

J’aime bien cette description d’une dispute familiale

Ainsi s’acheva la dispute. Ils étaient tous les deux tout rouge. Ils se passèrent tous les deux la langue sur les lèvres, satisfaits, pour lécher les postillons des mots qu’ils venaient de crier. Les disputes de leurs parents, nous raconta notre père, éclataient soudainement, comme une bagarre de rue, puis se terminaient tout aussi vite. La paix redescendait. Ça ressemblait au bonheur.
Leurs six enfants en vinrent à comprendre qu’on pouvait trouver une certaine satisfaction à faire enrager un être aimé

 

Traduit de l’anglais ( ?) préfacé et annoté par Pierre Nordon Édition livre de poche

J’ai tellement souffert à la lecture de la biographie « Virginia » d’Emmanuel Favier que j’ai suivi les conseils que vous aviez mis en commentaires : relire l’œuvre de cette grande écrivaine. J’ai commencé par « Mrs Dalloway » si je suis certaine de l’avoir lu dans ma jeunesse , je pense être passée à côté de son originalité. Pour une fois, je dois avouer que les notes et la préface m’on beaucoup aidée à comprendre toute la portée de ce roman. D’abord pour la compréhension de lieux, car je connais mal Londres et les lieux permettent à l’écrivaine de situer immédiatement la scène dans une réalité sociale que les notes m’ont bien expliquée. Puis, j’ai suivie de plus près les changements de narrateurs et enfin tous les fils qui se croisent au rythme des heures égrenées par Big Ben. Je rappelle le sujet : Clarissa Dalloway une femme de la haute société britannique va donner, le soir même, une réception. Sa journée sera occupée par les le choix des fleurs et les différentes rencontres qu’elle fait (ou non). La plus importante étant sans dont celle avec l’homme qu’elle a aimé puis repoussé dans sa jeunesse, Peter Walsh. Nous suivons aussi tous ceux qui lui ont permis d’être aujourd’hui Clarissa Dalloway avec en contre point, la journée tragique de Septimus Smith, soldat revenu de la guerre 14/18, qui se suicidera à la fin de la journée, car la médecine était incapable de le sortir de son traumatisme dû à la violence de ce qu’il a subi pendant la guerre.

Vous le savez aussi, sans doute, ce qui fait toute l’originalité du style de l’auteur c’est que celle-ci s’efface entièrement et laisse chaque personnage évoluée dans ses pensées personnelles. C’est donc le maillage serré de tous ces dialogues intérieurs qui nous permet de connaître et comprendre Carissa Dalloway et aussi de mieux connaître la société anglaise qui, après la première guerre mondiale, domine encore une grand partie de la planète.

C’est un belle réussite de faire comprendre aussi bien la vérité de cette époque en ne décrivant qu’une seule journée. Je comprends que l’on parle de chef d’œuvre littéraire. Si j’ai quelques réserves, c’est que rien ne coule de source dans cette lecture, je le redis sans les notes je n’aurais pas pu comprendre tout ce que Virginia Woolf voulait nous dire.

 

Citations

 

Portrait de Clarissa Dalloway

Elle ne se relâchait en aucun sens du terme, elle était droite comme une flèche, un peu rigide à dire vrai. Elle disait qu’ils avaient une sorte de courage qu’elle respectait la de plus en plus à mesure qu’elle prenait de l’âge. Il y avait beaucoup de Dalloway dans tout cela naturellement ; c’était imprégné d’esprit civique, d’Empire britannique, de réforme des tarifs douaniers, bref l’esprit de la classe dominante n’avait pas manqué de déteindre sur elle. Avec deux fois plus d’intelligence que lui, il fallait qu’elle voit les choses avec son regard à lui – une des tragédies de la vie conjugale. Avec l’esprit qu’elle avait, il fallait toujours qu’elle cite Richard – comme si on ne savait pas à la virgule près ce que pense et Richard en lisant le Morning Post du matin.

C’est bien compliqué l’éducation anglaise (c’était avant les blogs !)

L’un de ses hommes à l’instruction imparfaite, autodidactes dont toute l’éducation provient de livres empruntés dans des bibliothèques publiques, le soir après la journée de travail, sur le conseil d’auteurs connus consultés par courrier.

Remarque si vraie sur les prénoms

Londres n’a fait qu’une bouchée de millions de jeunes gens du nom de Smith ; et ne se souciait guère de prénoms extraordinaires comme Septimus par lesquels des parents pensaient distinguer leurs enfants.

Portrait d’Elizabeth la fille de de Clarissa qui fait penser aux photos de Virginia Woolf adolescente.

Elle avait tendance à être passive. Il lui manquait d’être expressive, mais elle avait de beaux yeux, des yeux de Chinoise, orientaux et, comme disait sa mère, de si jolies épaules et un port si droit qu’elle était toujours délicieuse à regarder ; et ces derniers temps, tout spécialement le soir, quand quelque chose l’intéressait, car elle ne s’excitait jamais, elle était presque belle, majestueuse, sereine. À quoi pouvait-elle penser ? Tous les hommes tombaient amoureux d’elle et elle trouvait vraiment cela horriblement ennuyeux. C’était le commencement. 

Humour ?

Elle aimait bien les malades. Et tous les métiers sont ouverts aux femmes de votre génération, avait dit Miss Kilman. Donc elle pourrait être médecin. Où avoir une ferme. Les animaux sont souvent malades.

 

Édition livre de poche

  1. Livre reçu en cadeau et lu avec attention car j’avais lu beaucoup d’avis positif sur les blogs que je suis, en particulier Krol , qui depuis ne lâche plus cet auteur et bien d’autres lectrices ou lecteurs dont j’ai oublié de noter le nom. Ce roman a reçu le grand prix des lectrices de « Elle », le prix « Psychologie » du roman inspirant, et le premier prix « Babelio ». Une jolie carte de visite pour cet auteur que je découvre donc longtemps après l’engouement pour ce roman. Cet écrivain a une écriture très personnelle et envoutante, on le suit dans tous les tours et détours de son histoire . De plus, quand tous les fils sont dénoués on se rend compte que tous les hasards qui auraient pu rendre cette histoire peu crédible suivait en réalité la logique d’un super prédateur. L’histoire est racontée par les différents personnages de ce drame, ils ne savent qu’une partie de la vérité et Rose qui confie sa vie à des carnets n’a jamais su (ou pu) faire les bons choix. Il faut dire que son père l’a jetée dans la gueule d’un « ogre » qui va la violer et la torturer , elle avait tout juste quatorze ans et n’ose pas faire confiance à Edmond le seul personnage de ce terrible endroit qui semble ne lui vouloir aucun mal . Celle qu’il appelle la Reine Mère fait avec son fils Charles un duo au service du mal, hélas ! Edmond ne pourra pas sauver Rose du destin qui l’attend. Elle aura donc un enfant qui lui sera enlevé et est destinée à finir dans un asile psychiatrique à la merci du docteur troisième élément du trio infernal dans les griffes desquelles la pauvre Rose est tombée. Il y a une lueur d’espoir à la toute fin du roman, qui ressemble à un rêve plus qu’à la réalité.
    J’ai aimé ce roman, son écriture et sa construction. J’ai aimé aussi la difficulté de raisonner des personnages même s’ils ne savent pas prendre les bonnes décisions. Mais c’est ce qui m’a empêcher de mettre cinq coquillages à ce livre c’est ce côté excessif dans l’horreur : trop de fatalités ont nuit à la vraisemblance du récit. Je me disais sans cesse « trop c’est trop ». Mais cette nuance dans le concert d’éloges ne m’empêchera de lire les autres romans de cet auteur.

Citations

Remarque qui ne concerne pas seulement les prêtres

Faut-il vieillir pour voir grandir le doute de n’avoir pas été à la hauteur de ma mission ?
Vieillir, est-ce la seule façon d’éprouver durablement la foi ?

Les femmes dans le monde paysan

 On était quatre filles, nées à un an d’écart. J’étais l’aînée. Les filles valent pas grand-chose pour des paysans, en tout cas, pas ce que des parents attendent pour faire marcher une ferme, vu qu’il faut des bras et entre les jambes de quoi donner son nom au temps qui passe, et moi et mes sœur, on a jamais rien eu de ce genre entre nos jambes. Si j’ai pas entendu mille fois mon père dire que les filles c’est la ruine d’une maison, je l’ai pas entendu une seule.

Les hommes

Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent du sang, ou même les deux à la fois, et puis les lâche. Lâche, comme Edmond. Parce qu’être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange. À ce qui me semblait, Edmond, l’avait toujours fait des pas de côté, alors, je voyais pas bien pourquoi il se mettrait d’un seul coup en travers du chemin du maître, surtout pour une fille comme moi. Malgré son boniment et ses regrets, j’y croyais pas une seconde.

La folie

J’imagine que pas vouloir laisser souffrir quelqu’un qu’on aime, c’est être fou, aller contre la souffrance que Dieu aurait décidé de nous faire subir. Ici, il y a que des gens bloqués dans une souffrance qu’ils ont jamais acceptée, c’est la seule vérité, c’est pour ça qu’ils se réfugient de l’autre côté de cette souffrance, dans un temps qui file à l’envers, alors crois pas que je suis folle …

 

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude et Jean Demanuelli. Édition Cherche midi.

 

Livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio

Ouf ! j’ai terminé cet énorme pavé de 560 pages ! Énorme : car je n’ai absolument pas apprécié cette lecture que je m’étais engagée à lire dans le cadre d’une masse critique de Babelio. Le sujet m’intéressait, j’avais compris que c’était un roman historique et qui devait me permettre de revivre la peste de Londres au XVII ° siècle – en période de pandémie cela me semblait une bonne idée que de se plonger dans des épidémies meurtrières du passé. Le roman se situe dans le milieu juif qui commençait tout juste à se réinstaller en Angleterre après les horreurs de l’inquisition en Espagne et au Portugal. Mais ce n’est pas du tout le thème le plus important du roman. L’auteure a voulu cerner ce qui aurait pu se passer à cette époque si une femme avait voulu se mêler d’écriture et de philosophie. Il s’agit donc d’une oeuvre d’une féministe qui veut faire comprendre la condition de la femme. D’ailleurs elle le dit clairement dans son interview que l’on peut lire à la fin du livre :

Question : Comment vous est venue l’idée de ce roman ? 
Réponse : Dans une chambre à soi, Virginia Woolf pose la question suivante : si William Shakespeare avait eu une sœur aussi douée que lui, quelle aurait été son sort ?
Elle apporte elle-même une réponse succincte à la question. « Elle mourut jeune … Hélas, elle n’écrivit jamais une ligne. « 
Woolf a raison bien sûr. C’était le sort le plus vraisemblable qui pouvait échoir à une femme de cette période douée d’un esprit développé. Les conditions dans lesquelles vivaient alors les femmes leur rendaient virtuellement impossible toute expression artistique ou intellectuelle.
La fiction romanesque commence par une découverte de manuscrits datant des années 1660, dans une très belle demeure du XVII° à Londres. Ensuite les chapitres se succèdent soit à Londres avec Esther au service d’un rabbin rendu aveugle par les tortures de l’inquisition, soit à Londres du XXI° siècle avec Helen Watt et son jeune assistant Aaron Levy. Les deux destinées sont construites en parallèles : Esther doit cacher à sa communauté qu’elle lit et écrit et même trahira son rabbin tant respecté pour pouvoir dialoguer avec Spinoza. Helen Watt est obligée de cacher ses découvertes le plus longtemps possible car personne, aujourd’hui encore, n’est prêt à admettre qu’une femme puisse atteindre un tel degré en matière philosophique. Toutes les deux sont dans l’urgence de la maladie, la peste pour Esther et la maladie de Parkinson qui ronge le cerveau d’Helen. Enfin les deux ont connu un véritable amour qui a bouleversé leurs certitudes. Ce roman décrit aussi l’ivresse de la découverte de vieux documents par des historiens et les rivalités du monde universitaire. Il décrit aussi les différences entre la froideur britannique et l’enthousiasme déplacé des américains.
Tout cela aurait pu m’intéresser mais je n’ai jamais accroché à cette lecture qui a pourtant reçu toutes les louanges de la presse américaine. La « construction étourdissante » dont parle la quatrième de couverture m’a semblé d’une lourdeur incroyable. Je vais peut-être me mettre à dos les féministes américaines mais je trouve le projet malhonnête. Certes, les femmes du XVII° étaient interdites de créations littéraires et artistiques et on peut supposer qu’une jeune fille de religion juive avait encore moins d’opportunités de se libérer des carcans de la tradition pour se permettre de philosopher avec Spinoza. Autant un exemple pris dans la réalité m’aurait intéressée mais inventer un tel personnage me semble vouloir faire correspondre l’idéologie de l’auteure à la réalité historique.
Quant-à la partie XXI° siècle, l’auteure met ses personnages dans des tensions qui rappellent celle des juifs ayant connu l’inquisition et la peste de Londres, et je n’y ai pas cru non plus, évidemment !
Et comme l’auteure essaie d’être dans la précision historique et psychologique la plus proche de ce qu’elle croit être la réalité, il lui faut presque six cent pages pour ne me convaincre ni dans l’histoire ancienne ni dans les conflits universitaires britanniques actuels . À ce roman trop bavard, je préfère et de loin la réponse lapidaire de Virginia Woolf. :
« Elle mourut jeune … Hélas, elle n’écrivit jamais une ligne. « 

 Citation

Les femmes juives au XVII° siècle

Je comprends très bien ton désir de l’étude, mais tu dois réfléchir au choix qui se présente à toi. Je ne peux pas faire comme si Dieu t’avait créée homme, et par conséquent capable de vivre de son esprit et de son savoir. Dieu a mis en nous des désirs innombrables. Mais nous les contrôlons pour pouvoir vivre. J’ai été obligé, pour ma part, de maîtriser mes propres désirs quand la perte de ma vue m’a interdit de devenir le savant que je voulais être, ou de fonder une famille. Je regrette vraiment, dit-il en baissant encore la voix, de t’avoir induite à croire que tu pourrais être une érudite. Tu en avais l’étoffe, cependant.

La fuite du Portugal , parole de la mère juive rebelle.

« Quand ma mère et moi nous sommes enfuies de Lisbonne, c’était pour sauver nos vies. Pas nos vies de juive. Nos vies, tout court. Nous nous sommes enfuies parce que même si nous ne récitions jamais une prière, même si ma mère et mes tantes allaient danser après leur festin du vendredi, même ainsi, les prêtres voulaient nous traîner dans leur chambre de torture. »

Dialogue en Israël au XX° siècle

« Donne-moi le nom d’un pays, n’importe lequel, et je te parlerai de l’époque où il ne pensait qu’à tuer les Juifs. Sais-tu que des nazis allaient recruter des paysans locaux en Russie pour les aider à noyer les Juifs, avant qu’ils aient trouvé des méthodes d’extermination plus efficaces ? Trente mille morts en deux jours à Babi Yar. » Un silence. 
 » Par noyade.
– Dror arrête.
-Je veux que tu essaies d’imaginer ça. 
Elle le regarda effarée.
 » Moi, je l’imagine. On ne peut pas noyer les gens en masse tu vois, il faut procéder individuellement. Peux-tu imaginer ce que c’est que de forcer un enfant, une femme, un homme à garder la tête sous l’eau ? Et pas juste une seconde comme si tu agissais par réflexe avant d’avoir eu le temps de réfléchir. Noyer quelqu’un suppose que tu le maintiennes … Il faut que tu continues jusqu’à l’extinction de toute vie » conclut-il d’une voix brisée.

Traduit du norvégien par Alain Gnaedig

Édition Folio

C’est à propos de « Mer Blanche » chez Jérôme que j’ai eu très envie de découvrir Roy Jacobsen. Merci à lui et à toutes celle et ceux qui ont dit tant de bien de ce roman qui m’a permis de découvrir la Norvège du début du XX° siècle. J’ai été un peu étonnée que ce roman plaise tant à Jérôme que j’imagine plus tenté par des lectures du monde urbain dur et violent. Mais je suppose que ce qui lui a plu, comme à tout ceux qui aiment et aimeront ce roman, c’est son écriture sans aucun pathos pour décrire un monde d’une dureté incroyable. La nature d’abord aussi grandiose que cruelle, elle ne laisse aucun répit aux habitants d’une petite île du nord de la Norvège au sud des îles Lofoten. Les tempêtes détruiront plusieurs fois le hangar que la famille essaie de dresser pour faire sécher le poisson. Les hivers si longs que bêtes et hommes risquent de mourir de faim puisque la principale ressource est constituée par le poisson qu’il faut aller pêcher loin plus au nord quand le climat le permet. Sur l’île voisine, plus grande et plus riche une usine achète le poisson pour le transformer. Et sur cette île aussi vit un pasteur au cœur sec, en tout cas trop sec pour prendre en charge deux petits qui viennent de perdre leur père, le directeur d’usine et dont leur mère sombre dans la folie. C’est donc l’héroïne de ce roman, Ingrid qui les prendra en charge et les ramènera sur sa petite île Barroy. Pourtant elle aussi doit faire face à la mort de son père et la grave dépression de sa mère. Tragédies successives mais racontées avec une telle pudeur que le lecteur souffre en silence et respect pour le courage de ses enfants que les difficultés forcent à devenir adultes si vite. On suit avec angoisse les efforts de son frère Lars pour améliorer le quotidien d’une petite famille qui est souvent plus proche de l’anéantissement que de la survie.

Un grand moment de lecture et qui en dit long sur la dureté des temps anciens en Norvège.

Citations

Je suppose que cela décrit la crise de 29

Quel soulagement de voir un homme rentrer sain et sauf chez lui, même s’il arrive à l’improviste. Il y a la crise dans le pays et dans le monde, des faillites et des budget réduit, des gens doivent quitter leurs ferme, d’autres perdent leur travail, et les gars de l’équipe d’artificier dans laquelle il était le contremaître a été renvoyer chez eux avec mon salaire à peine de quoi couvrir ce qu’il avait déjà dépensé.

Les chaises

Quand Barbro a grandi sur Barroy, les filles n’avaient pas de chaises. Elle mangeait debout…..
Mais Barbro se souvenait ce que c’était de ne pas avoir de chaise si bien que, le jour où elle eut la sienne, elle emporta partout avec elle, au hangar à bateaux, à la remise, et même dans les prés ; elle s’asseyait dessus et observait les animaux, le ciel, les pies huîtrières sur la rive. Un meuble à l’extérieur. C’est faire du ciel un toit et de l’horizon le mur d’une maison qui s’appelle le monde. Personne n’avait jamais fait cela. Ils ne parvinrent jamais à s’y habituer.

Vivre sur une île

Un îlien n’a pas peur sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil, il lui faut prendre ses cliques et ses claques, déménager et s’installer dans un bois ou dans une vallée, comme tout le monde. Ce serait une catastrophe, un îlien a l’esprit sombre, il n’est pas raide de peur, mais de sérieux.

Les tempêtes

Mais, en règle générale, les tempêtes sont brèves, et c’est durant l’une d’elles que les feuilles disparaissent. Il n’y a pas beaucoup d’arbres sur l’île, mais il y a assez d’ arbustes à baies, de bouleaux nains et de saules qui, à la fin de l’été, ont des feuilles jaunes qui virent au marron et au rouge à des vitesses variées, si bien que l’île ressemble à un arc-en-ciel sur terre pendant quelques jours de septembre. Elle garde cette allure jusqu’à ce que cette petite tempête attaque les feuilles par surprise et les emporte dans la mer, et métamorphose Barroy en un animal loqueteux à fourrure marron. Elle va rester ainsi jusqu’au printemps, si elle ne ressemble pas alors à un cadavre aux cheveux blancs sous les rafales et la grêle, quand la neige violente arrive , disparaît, revient encore et forme des congères comme si elle tentait d’imiter la mer sur terre.

Le mépris

Gertha Sabina Tommesen réussi à appeler Barbro « l’idiote » trois fois pendant qu’elle lui montre la chambre où elle va dormir avec l’autre bonne, qui vient des îles elle aussi, mais qui est bien plus jeune que Barbro. Elle explique que l’idiote doit s’attendre à être appelée à l’usine quand il y a des arrivées de harengs, même au milieu de la nuit, comme les autres femmes de la maison.

 

Édition Quidam (version poche)

J’avais été intriguée par ce que Keisha avait écrit à propos d’Owana , mais les commentaires sur son blog à propos de l’ETA m’avaient un peu refroidie. J’ai donc acheté et lu celui-ci qui, de plus, est paru en poche. C’est peut de dire que j’ai apprécié cette lecture, elle m’a transportée loin de ma Bretagne natale, au Québec, là où tant de Bretons ont trouvé du sens à leur vie et ont fait fortune : comment se sont-ils conduits là-bas ? Sans doute ni mieux ni moins bien que les protagonistes des personnages mis en scène par Éric Plamondon dans ce roman qui s’appuie sur des faits historiques : le 11 juin 1981 la police du Québec débarque dans la réserve de Restigouche pour confisquer les filets à saumons des Indiens Mi’gmaq. C’est là et à cette époque que l’auteur a décidé de faire vivre Océane une jeune indienne qui va malheureusement croiser la route de redoutables prédateurs . Elle rencontre aussi un homme qui va l’aider à se sortir d’un piège redoutable et une institutrice française qui lui donnera le goût des études. Le suspens à travers cette nature superbe est haletant et j’ai retrouvé mes plaisirs d’enfance lorsque je passais une grande partie de la nuit à lire Jack London -dont il est aussi- question ici aussi. Car c’est la grande force de ce roman, dans des chapitres très courts, il rappelle tout ce qui a constitué ce grand pays, pourquoi et comment on en est arrivé à réduire les indiens à ce qu’ils sont aujourd’hui . On suit la remontée dans le temps du passé de ces territoires comme le saumon qui remonte le fleuve et lorsqu’il est Taqawan, c’est à dire un saumon d’eau douce qui jaillit hors des chutes d’eau pour assurer la survie de son espèce le lecteur se sent transformer. Oui, ce roman emporte et pourtant il est très court, chaque chapitre en deux ou trois pages apporte un petit cailloux à un édifice qui ouvre nos yeux sur un nouveau monde. On peut, sans doute, lui reprocher d’être trop manichéen mais la charge contre les colonisateurs de ces régions me semble plutôt mesurée : en même temps qu’on enlevait des filets aux Indiens, le gouvernement laissait des compagnies privatiser des rivières entières pour que de riches Américains puissent satisfaire leur envie de pêcher tranquillement. Tous les faits sont historiques, les rassembler dans un même roman donne une force peu commune à cette histoire, qui se termine sur l’espoir que la jeune Océane trouve dans l’étude du droits des lois qui permettront aux Indiens de se défendre autrement qu’en s’opposant à la police. Pour celles et ceux qui trouvent que ce roman est trop à charge recherchez et lisez ce que l’église catholique a fait aux enfants indiens. Le terme de génocide est sans doute un peu fort mais l’horreur est absolue.

Citations

Les scènes d’autrefois avant l’arrivée des blancs

Quand le soleil a dépassé la pointe de la baie, un éclaireur rentre au village. Parti depuis trois jours, il revient avec une mauvaise nouvelle. Les ennemis du Sud, ceux de la tribu du Grand Aigle, arrivent. Il faut rapidement éteindre le feu, rapatrier les enfants, défaire les wigwams préparer les canots. Pour ce petit groupe, la fuite se fait souvent par la mer. C’est le meilleur moyen de ne pas laisser de traces et de s’éloigner au plus vite. Alors méthodiquement, parce que cela fait partie de leur vie, et que chacun sait ce qu’il doit faire, on lève le camp. En fin d’après-midi, ils prennent la mer pour fuir l’ennemi lancés sur le sentier de la guerre. Si tout se passe bien, ils seront hors d’atteinte avant la nuit. On campera et on continuera un peu plus loin demain. Les ennemis du Sud repartiront bredouilles à moins qu’ils ne croisent un groupe moins prudent et le déciment . Le Grand Aigle est vorace. 
Le lendemain, ils reprennent donc la mer pour se mettre à l’abri de tout danger pour un long moment. C’est du moins ce qu’ils croient. Les douze canots glissent au large vers l’estuaire du grand fleuve. Un canot de guerrier est en tête du convoi, un autre à l’arrière. Ceux du milieu transportent femmes, enfants et vieillards. Ceux qu’ils doivent pagayer pagayent. Le dernier canot laisse flotter dans son sillage une branche de sapin de la longueur d’un homme. Attachée à la poupe, elle traîne dans les ondulations salées d’une eau baignant un continent qu’on a pas encore baptisé en l’honneur d’Amerigo Vespucci. La branche qui glisse derrière et un leurre. En ce jour où la tribu est partie bâtir son nouveau campement, une énorme gueule surgit des profondeurs et se referme sur la branche. Le dernier canot tangue, le leurre est arraché, les guerriers lancent des cris d’avertissement, il est là, ramener vers la terre, ramer vite vers la terre. Pendant que la ligne des embarcations bifurque vers la rive et que la cadence des rameurs s’accélère, un des guerriers du dernier cadeau canaux prépare les lances et détache un ballot de cuire. Bientôt un aileron émerge. On tire du ballot une peau qui servait de porte à un wigwam. On la lance dans la mer. L’aileron passe et plonge. La peau a disparu. Arqués sur les rames, les autres ne regardent pas derrière. Il faut gagner la plage au plus vite. L’aileron a resurgi et fonce vers la dernière embarcation. Une fois sa proie choisie, la bête s’entête. Cette fois, elles frôle le frêle esquif et reçoit en échange une pointe de lance hauteur de la dorsale. La forme noire plonge, disparais, reviens dans le sillage du canot d’écorce. Les hommes sont prêts. Ils savent que les chance d’échapper aux monstres des mers sont faibles. Ils savent que les Corses ne résiste pas aux dents de cet ennemi là. Comme il revient, on jette une autre peau pour le tromper à nouveau mais cette fois il ne mord.pas. Il arrache la pagaie des mains du rameur le plus fort. L’esquif ralenti. D’un autre paquet, on sort des morceaux de saumon séché. À l’assaut suivant, la gueule se satisfait de la chair de poisson, repart, tourne vite et revient. Les autres canots ont déjà parcouru la moitié de la distance. Ils sont bientôt en sûreté. Le dernier canot, lui, perd du terrain. Ses occupants n’ont plus qu’une rame, une lance, un ninog, trois peaux de castor et leurs vêtements. Quand la bête repasse. Le ninog se brise violemment sur son flanc. Ce trident conçu pour la pêche au saumon ne peut rien contre la créature. Les trois hommes se rapprochent de la terre. Il vient de jeter la dernière peau de castor pour occuper les crocs de l’assaillant. Le guerrier au milieu du chant, celui avec la lance, retire son pagne en cuir en vue de la prochaine attaque. il est prêt à jeter son vêtement quand la charge arrive, de côté cette fois-ci. Il se lève, tangue et brandit sa lance au-dessus de l’écume. Il veut donner le coup de grâce à cette chose qui s’en prend à lui et à ses frères. La gueule surgit. La gueule s’ouvre. La lance s’enfonce dans le nez noir de la chose. L’homme est soulevé. Accroché à la lance, il monte vers le ciel, s’envole puis retombe. Il retombe dans la gueule béante. Son flanc droit s’affale sur les dents qui se referme. L’homme est avalé comme un phoque par une nature plus grande que lui. À peine a-t-il le temps de hurler qu’il est emporté sous l’eau.

En 1981

La police assiège le territoire des Amérindiens. Les bateaux fendent l’eau et déchirent les filets. Côté Nouveau-Brunswick, le pont Van Horne est bloqué par la gendarmerie royale. Les Indiens sont encerclés par la cavalerie. Le ton monte. On serre les rangs. On se regroupe. Le pouvoir veut en découdre. Ça s’appelle une démonstration de force. On ordonne de reculer. On repousse. Sa gueule, ça crie, ça prie . Les gyrophares tournent à vide dans le soleil de juin. Il est bientôt midi. Sur l’eau, les gardes se lancent à l’abordage. Ils saisissent, confisquent. La moindre protestation dégénère. Un colosse d’un mètre quatre vingt dix, dans la police depuis trois ans, empoigne Bob Bany, qui met trop de temps à sortir de son bateau. Il lui aboie de se grouiller. Baby fait ce qu’il peut avec sa jambe de bois. Le policier tire, arrache la chemise, le plaque à terre, un coup de genou dans les côtes l’air de rien,un point sur la nuque parce qu’il faut qu’il obtempère. La clé de bras disloqué l’épaule. Un cri de douleur jaillit, étouffé par un « fuck you » hargneux. Ils sont maintenant 4 sur le dos de l’homme à terre. Il n’avait qu’à obéir. Refus de se plier aux ordres des représentants de l’autorité. Il n’avait qu’à ne pas traîner. Ils lui maintiennent les jambes et lui passe les menottes. Un coup de matraque dans le dos pour finir. Les forces de l’ordre sont en train de sauver le Québec des terribles agissements de ces sauvages qui ne veulent jamais rien entendre. Il faut les discipliner et, leur apprendre. On est dans la province de Québec, sur le territoire provincial. Quiconque s’y trouve doit obéir aux lois et aux injonctions venues de la capitale. Le ministre a dit, la police exécute. Elle répand la parole de l’ordre par le bout des fusils, les gaz lacrymogènes et les barreaux de prison.

Mon pays c’est l’hiver

Je suis né dans le froid. La glace et la neige sont dans mes veines. Il n’y a pas de ciel plus clair et d’air plus pur qu’au milieu de l’hiver. Il n’y a pas d’odeur plus parfumée que celle de la neige fraîchement tombée sur les branches des sapins. Il n’y a pas de silence plus parfait que celui d’une nuit étouffée sous les flocons d’un début de tempête. J’aime cette saison parce que les choses y sont claires. On sait exactement ce qui se passe dans les bois quand tout est blanc. La moindre forme de vie laisse une trace. Les branches sans feuilles permettent de voir clairement des corneilles en haut des cimes. Les rivières sont des routes pour s’enfoncer au plus profond de l’inconnu. On est pas emmêlé dans les broussailles, on file droit, en raquettes ou en ski-doo. C’est une sensation de fuite qui n’est possible que dans la neige. Ceux qui se plaignent du froid n’ont jamais passé une nuit dehors à moins quinze devant un feu de camp et sous la lune qui éclaire comme en plein jour. 

Il a vraiment l’air sincère. Ses yeux se sont mis à briller. Elle a envie de lui demander s’il a un peu de sang indien pour parler ainsi mais elle sait que c’est la dernière question à poser à quelqu’un dans ce coin de pays. Elle a suffisamment gaffé lors de son arrivée pour savoir que le sujet est plutôt sensible. Le vieux fermier qui lui loue sa maison en planche vers tu lui as dit. :
Au Québec, on a tous du sang indien. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains.
 
https://www.youtube.com/watch?v=CH_R6D7mU7M

 

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Et quand je pense que j’ai hésité à choisir ce livre et cela parce que j’avais vu qu’il s’agissait de Tchernobyl …
C’est un grand bonheur ce roman, jusqu’à la dernière ligne. On regrette d’être arrivé à la page 150 aussi rapidement. Mais pourquoi donc cet enthousiasme ?
– D’abord à cause du personnage de Baba qui vit aussi bien avec les vivants que les morts, elle est si attachante dans sa simplicité et son naturel. Son ancien métier d’aide soignante lui a permis de se faire une idée assez précise de la nature humaine : ni trop idéalisée ni trop pessimiste.
Elle a un sens de la répartie à toute épreuve, et cela parce qu’elle n’a plus peur de rien puisqu’elle est une morte en sursis depuis si longtemps.
Comme elle parle assez régulièrement à Yégor son mari mort depuis un certain temps, Elle nous fait aussi connaître la vie avant l’explosion de la centrale nucléaire. On retrouve, alors, les hommes russes alcooliques violents et de bien mauvais pères. Mais aussi le plaisir de vivre dans un petit village avec la nature accueillante et nourricière autour de chaque maison.
– Les autres habitants du village sont tous des zombies rescapés de la catastrophe de Tchernobyl mais ils préfèrent mourir là que loin de chez eux dans des villes peu accueillantes et dans des immeubles vétustes.
– Le village va se souder autour d’un meurtre d’un homme qui avait décidé pour se venger de sa femme de venir dans ce village y faire mourir sa petite fille.
– Notre Baba va y tenir un rôle important mais son vrai soucis c’est de réussir à lire la lettre que sa petite fille Laura lui a envoyée. Comme Baba ne lit que Le russe elle ne peut même pas deviner en quelle langue est écrite cette lettre.
Évidemment je ne peux divulgâcher tous les ressorts de l’intrigue romanesque mais ce roman est si bien agencé que cela contribue au plaisir de la lecture.
Je suis ravie de participer avec ce roman au mois de novembre de la littérature allemande comme l’avait suggéré Eva, car ce livre tout en légèreté et humour tranche complètement avec ce que je reproche aux auteurs allemands. Je les trouve souvent trop didactiques et un peu lourds. Si, ici, le sujet reste tragique le caractère de Baba Dounia qui nous permet de sourire souvent le rend pourtant beaucoup plus proche de nous.

Citations

Son mari Yégor

Autrefois, mes pieds étaient fins et délicats, poudrés de la poussière qu’ils soulevaient dans la rue, magnifiques dans leur nudité. Yégor les aimaient. Il m’a interdit de marcher pieds nus parce qu’à la seule vue de mes orteils, les hommes avaient déjà le sang qui leur montait à la tête.
Maintenant, quand Yégor passe me voir, je montre du doigt les deux boudins ficelés dans des sandales de marché et je dis : Tu vois ce qui reste de la splendeur d’antan ? 
Alors il rit et il affirme que mes pieds sont toujours aussi jolis. Depuis qu’il est mort, il est très poli, l’hypocrite.

Les vieux journaux

Dans le « Paysanne » que je feuillette, il y a des recettes à faire avec de l’oseille, un patron de couture, une brève histoire d’amour dans un kolkhoze et une liste d’arguments contre le port du pantalon pour les femmes, sauf au travail. Le magazine date de février 1986.

Maria sa voisine

Je me dis que Maria n’aurait jamais dû venir ici. Ce ne sont pas les radiations. C’est le calme qui lui fait du mal. Maria a sa place en ville, où elle peut tous les jours avoir son lot de querelles chez le boulanger du coin. Ici, comme personne n’a envie de se disputer avec elle, elle ne se sent plus exister , et son corps gonfle tandis que son âme rétrécit.

Le conducteur de bus

Boris raconte ce qu’il a vu à la télé. De la politique, encore et toujours ; l’Ukraine, le Russie, l’Amérique. Je n’écoute que d’une oreille. Bien sûr, c’est important la politique, mais si on veut manger de la purée un jour, c’est quand même à nous de biner les pommes de terre.

C’est bien vrai ….

Mon travail m’a enseigné que les gens n’en font toujours qu’à leur tête. Ils demandent des conseils, mais en réalité, ils n’ont que faire de l’avis des autres. De ce qu’on leur dit, ils ne retiennent que ce qui leur convient, et ils ignorent le reste. J’ai appris à ne pas donner de conseils, à moins qu’on ne me le demande expressément. Et à ne pas poser de questions.

Un soir de la vie d’une femme aide-soignante en Russie

Je ne retrouve mes esprits que le soir venu. Il est dix heures , les enfants dorment dos à dos dans le grand lit et je sors leur cahier de leur cartable pour contrôler leurs devoirs. La vaisselle est lavée , les chaussettes reprisée. Je suis loin d’exceller dans les tâches ménagères, mais je fais de mon mieux. Je vais à la cuisine et je bois un verre d’eau du robinet. Elle a un goût salé, le goût de mes larmes. Au fond, je ne suis qu’une femme comme des millions d’autres, mais ça ne m’empêche pas d’être malheureuse. Quelle imbécile je fais.

 

Chez Albin Michel

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis partie, grâce au talent d’Antonin Varennes, dans le Paris de 1900, complètement chamboulé par l’exposition universelle, j’ai suivi la jeune et belle Aileen Bowman correspondante de presse d’un journal new-yorkais. Elle a imposé à son rédacteur en chef son séjour à Paris. Elle nous permet de découvrir cette ville courue par les artistes, ce qui va du classicisme absolu tant vanté par Royal Cortissoz, le critique d’art à qui le gouvernement américain a confié le choix des tableaux, par exemple celui qui lui plait le plus et dont il dit :

Puissante, avait déclaré le critique . Simple et fort. Équilibré. Parlant d’elle-même. Il y a chez cette bête la force tranquille et la persévérance des travailleurs américains de la terre.

Aillen a tendance à n’y voir qu’un taureau dans un étable et préfère les nus de Julius Stewart qui lui fera découvrir le Paris des artistes (Picasso y faisait ses débuts), l’auteur nous fait vivre dans le détail l’élaboration des tableaux de cet artiste mi-américain mi-français (comme elle)

 

 

Nous suivons aussi la construction de l’exposition universelle qui fait de Paris un village de décors et où on invite les populations indigènes à se donner en spectacle. C’est là, la première raison de la venue à Paris d’Ailleen , elle veut retrouver son demi-frère Joseph jeune métis mi-indien mi -blanc qui est devenu fou à cause de ce partage en lui de civilisations trop antinomiques, il fait partie du spectacle que les indiens donnent à Paris mais il n’est que souffrance et apporte le malheur partout où il passe ; encore que… la fin du roman donne peut être un autre éclairage à ses actes terribles..

On suit aussi l’énorme enthousiasme qu’apporte la révolution industrielle ; le progrès est alors un Dieu qui doit faire le bonheur des hommes, c’est ce que pensent en tout cas aussi Rudolf Diesel qui expose son moteur révolutionnaire, et Fulgence Bienvenüe, qui construit le métro avec un ingénieur Charles Huet marié à une si jolie femme.
Enfin le dernier fil, c’est le combat des femmes pour pouvoir exister en dehors du mariage et de la procréation et en cela Aileen aussi, est une très bonne guide.
On suit tout cela et on savoure les récits foisonnants d’une autre époque, la belle dit-on souvent, certainement parce qu’elle était pleine d’espoirs qui se sont fracassés sur les tranchées de la guerre 14/18.

 

 

Citations

Conseils de son père

Arthur lui donnait des conseils sur la façon d’affronter le monde : savoir se taire, garder sa poudre au sec, être toujours prête. Et peut-être aussi être belle. À la façon dont Arthur Bowman appréciait la beauté : quand elle naissait d’une harmonie entre un objet et son utilité, une personne et la place qu’elle occupait dans le monde.

Réflexion sur le passé

La maîtrise du temps, l’instruction, est aux mains des puissants. Les peuples, occupés à survivre, n’en possèdent pas assez pour le capitaliser, le faire jouer en leur faveur. Ils empilent seulement les pierres des bâtiments qui leur survivront.

Propos prêtés à Rudolf Diesel vainqueur du grand prix de l’exposition universelle

Vous ne croyez pas, comme Saint-Simon, que les ingénieurs seront les grands hommes de ce nouveau siècle ? Que la technologie apportera la paix et la prospérité ?
 Il lui fallut encore un peu de silence pour trouver ces mots, ou le courage de répondre.
– Je suis un pacifiste, madame Bowman , mais je sais que ce ne sont pas les ouvriers ni la masse des pauvres qui lancent les nations dans des guerres. Il faut avoir le pouvoir des politiciens pour le faire. Et politiciens ne se lanceraient pas dans des conflits armés s’ils n’avaient pas le soutien des scientifiques, qui garantissent les chances de victoire grâce à leurs découvertes et leurs inventions. Non je ne partage pas l’optimisme du comte de Saint-Simon.

Réflexion sur la bourgeoisie et la noblesse en 1900

Les bourgeois comme les Cornic et mes parents sont convaincus que la bonne éducation de leurs enfants est leur meilleure défense contre les préjugés dont ils sont victimes. Ils se trompent.Les aristocrates, dont les privilèges sont l’héritage du sang, ne méprisent rien tant que l’éducation.