Éditions Les Escales. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Bouet.

Titre original Friends and Stangers
550 pages … encore un gros pavé américain qu’un bon écrivain français écrirait en une centaine de page. J’ai hâte que les cours d’écriture des universités américaines aident les futurs auteurs à synthétiser ce qu’ils ont à nous dire..
Ceci dit, le sujet est intéressant deux femmes vont s’apprécier l’une (Sam) est étudiante et a un peu plus de vingt ans, l’autre (Élisabeth) est une femme de quarante ans écrivaine, elle a connu un grand succès avec un premier roman. Elle vient d’avoir un bébé et voudrait pouvoir avoir du temps pour se remettre à écrire. Pour cela, elle va embaucher Sam comme baby-sitter.
Les deux vont devenir « amies » alors que beaucoup de choses les opposent : l’âge d’abord et leur milieu d’origine : Elisabeth vient d’une famille désunie mais très très riche, Sam vient d’une famille unie mais de revenus modestes.
Le roman explore avec lenteur où se logent les différences dues à l’argent.
Au bas de l’échelle les employées mexicaines qui font la cuisine et le ménage à qui l’on retire peu à peu les rares avantages que leur métier leur avait offert (couverture médicale, emploi stable).
Un peu moins victime de la dureté de la vie aux USA les américains moyens qui ont fait des erreurs d’adaptation face au monde connecté.
George le père du mari d’Élisabeth qui avait une petite compagnie de taxi et qui sera ruiné par l’arrivée d’Uber.
Les parents de Sam ne peuvent empêcher que leur fille s’endette pour pouvoir faire des études.
Très au-dessus il y a les amies de Sam dont les parents payent les frais de l’université et trouvent des stages intéressants pour leur fille. Et le père d’Élisabeth dont la fortune semble ne pas avoir de limites.
Les deux femmes s’entendent bien et le petit bébé Gill (Gilbert) profite de l’amour de ses deux femmes. Mais l’une et l’autre vont intervenir de façon fort maladroite dans la vie d’autrui. L’intervention de Sam s’avérera catastrophique pour les employées qu’elle voulait défendre. Celle d’Élisabeth sera bénéfique pour Sam sur le plan professionnel. Moins sur le plan sentimental.
Grâce au personnage de George qui milite pour montrer que l’Amérique fonctionne comme « un arbre creux », le roman aborde tout ce qui va mal dans cette société. Par cette image il veut faire comprendre que comme un arbre qui semble splendide en fait ce pays a sacrifié sa classe moyenne et s’effondrera un jour. Il cherche à motiver les gens pour qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas responsables individuellement de ce qui leur arrive mais qu’ils sont victimes d’un système injuste qu’ils contribuent eux mêmes à alimenter. Si lui a fait faillite avec sa compagnie de taxis c’est parce qu’Uber a sous payé des hommes pour utiliser des voitures de moindre qualité et ne leur a donné aucun avantage social. Pas de couverture maladie pas de retraite …
C’est évidemment pire quand il s’agit de mexicains sans papier.
Il faut hélas (pour moi) lire tout cela à travers les méandres de la pensée d’Élisabeth qui peut se permettre de déchirer le chèque de trois cent mille dollars de son père car celui-ci trompe sa mère allègrement. Les difficultés post naissance de cette femme sont tellement puériles : l’allaitement, les forums de ses anciennes amies de Brooklin, les embryons congelés pour l’éventuelle deuxième five, sa difficulté à trouver l’inspiration pour un deuxième roman, aucun de ses sujets ne m’a vraiment intéressée. Pas plus que les amours de Sam, et ses difficultés à jongler entre une amie cuisinière et les étudiantes friquées, deux mondes que tout sépare elle sera bien la seule à croire que l’on peut les réunir. Et que dire de ce bébé qui se résume à des joues rebondies et des bouclettes. Qui, oh surprise ! ne dort pas la nuit et fait ses dents. Il est au centre du roman mais ne prend jamais vie.
Quant au mari et son invention de barbecue solaire c’est juste une image positive sans intérêt.
Bref un roman classique que j’ai lu attentivement dont le seul intérêt réside dans la difficulté de la classe moyenne à s’adapter au monde connecté qui détruit les valeurs des solidarités humaines américaines qui les unissaient auparavant.

Citations

Chater avec ses amies

 Elles ne se parlaient jamais de vive voix il n’y avait ni bonjour ni au revoir, juste une conversation en cours qu’elle reprenait et arrêtait plusieurs fois dans une même journée. Si sa meilleure amie lui téléphonait, cela signifiait soit que quelqu’un était mort, soit, à l’époque où elles habitaient toutes les d’eux à Brooklyn qu’elle s’était enfermée dehors.

Les épouses dévouée

 Le cours de l’histoire était émaillé de récits de femmes épaulant des hommes qui se lançaient dans des « aventures ». Leur foi, la bonne volonté avec laquelle elles acceptaient de vivre sans jamais prendre de congés, sans remise à neuf de leur maison ni soirée en amoureux, tout cela au service de la Grande Idée, étaient récompensées à terme. La femme qui croyait finissait plus riche que dans ses rêves les plus fous, et se consacrait alors à des activités qu’elle pratiquait en dilettante, comme par exemple diriger une association caritative éponyme, ou bien s’acheter la petite librairie de son lieu de villégiature préféré. 
Le cri de guerre du grand homme : » Rien de tout cela n’aurait été possible sans elle. »

Cela est très bien vu.

Dimanche, avec mon groupe de discussion, il y a eu une intervention de Hal Donahue, le propriétaire du magasin de chaussures du centre ville. Après soixante années d’activités, ils mettent la clé sous la porte. Il nous a expliqué qu’il y a quelque temps, des clients se sont mis à venir dans son magasin pour essayer trois ou quatre paires de chaussures pour eux et leurs enfants et ensuite, sous ses yeux, ils allaient regarder sur leur téléphone, s’ils pouvaient les trouver pour moins cher en ligne. Vous savez ce que Hal a dit ? il a dit : « Je leur souhaite bonne chance. Est ce qu’Amazon va financer l’équipe junior de baseball ou un char pour le quatre juillet ? »

Humour.

 Vous n’imaginez pas le nombre de grands-mères qui meurent le jour de remise d’un devoir. À ma connaissance, avec les partiels, c’est la principale cause de décès chez les grands- parents.

Les différences sociales.

 Isabella avait décroché son stage que parce qu’un ami de son père s’en était mêlé. Quand Lexi leur avait parlé de ses propositions d’emploi et qu’elles l’avaient félicitée, elle avait dit :
– Ma tante est agente littéraire, et pas des moindres. Elle a rendu un service c’est tout.
 Tant de camarades de Sam avait fait des stages non rémunérés au cours de l’été pendant qu’elle travaillait pour pouvoir payer ses frais de scolarité. 
Pourtant, bizarrement, jusqu’à présent Sam n’avait pas compris que la richesse n’était pas uniquement une question d’argent mais aussi une histoire d’opportunités.

 

 


Éditions Livre de poches. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon

Cette fois, c’est un merci sans aucune réserve que j’adresse à Krol qui m’a fait découvrir ce recueil de nouvelles, qui avait aussi bien plu à Aifelle et à bien d’autres blogueuses. La construction de ce recueil est intéressante, car s’il s’agit de treize nouvelles qui se passent toutes à Crosby, une petite ville sur la côte du Maine, le personnage principal, Olive Kitteridge, une grande femme au fichu caractère est présente dans toutes les nouvelles sans toujours être le personnage principal, loin de là. Donc, on finit par connaître à la fois le lieu mais aussi les différents personnages de la petite ville et nous évoluons avec eux en laissant passer les années, à peu près une trentaine d’années.

Olive a un fils Christopher qui aura besoin d’une psychothérapie assez longue pour comprendre qu’il peut vivre et aimer sa mère sans en avoir peur. Car, oui, Olive a fait peur à de nombreuses personnes, à ses élèves quand elle était professeure de mathématiques au collège de Crosby et à bien d’autres habitants. Mais pas à Henry son mari qui lui n’était que gentillesse et qui était aimable avec tout le monde. Dans une des nouvelles une femme se demande comment il fait pour la supporter et une autre lui répond mais parce qu’il l’aime.
Il est beaucoup question d’amour dans ces nouvelles et cela jusqu’à la dernière page où le coeur d’Olive va s’ouvrir pour un « abruti » de républicain !

Toute une Amérique défile devant nous yeux et pour une fois ça n’est ni glauque ni violent, pour autant ce n’est pas un monde à l’eau de rose en réalité c’est une plongée dans la vraie vie et c’est incroyablement sensible et même passionnant alors que le plus souvent il ne se passe pas grand chose : juste la vie, d’êtres normaux dans une petite ville américaine mais c’est raconté avec un talent qui m’a séduite à mon tour.

 

Citations

L’enterrement après l’accident de chasse.

À la fin de la cérémonie, six jeunes hommes portèrent le cercueil le long de l’allée centrale. Olive donna un coup de coude à Henry, et ce dernier hocha la tête. L’un des porteurs – parmi les dernier- avait un visage si blanc, une expression si accablée qu’Henry craignait qu’il lâche le cercueil. C’était Tony Kuzio qui, quelques jours plus tôt, ayant pris Henry Thibodeau pour un cerf dans la pénombre du petit matin, avait pressé la détente et tué son meilleur ami.

Portrait de la mère du marié .

La robe d’Olive -un élément important de cette journée, naturellement, puisqu’elle est la mère du marié- est taillée dans une mousseline vaporeuse verte imprimée de motifs de géraniums d’un rose tirant sur le rouge. En s’allongeant, Olive prend bien garde de ne pas la froisser et la dispose de façon à préserver sa décence si quelqu’un venait à entrer. Olive est une grosse femme. elle en a parfaitement conscience mais comme elle n’a pas toujours été aussi grosse, elle doit encore se faire à cette idée. Certes, elle a toujours été grande et c’est souvent sentie pataude, mais le fait d' »être grosse » est venu avec l’âge. Ses chevilles ont gonflé, ses épaules ont enflé jusqu’à faire des plis derrière son cou, et elle a désormais des poignées et des mains d’homme. Ça prèoccupe Olive -bien sûr bien que ça la préoccupe. Parfois, en privé, ça la préoccupe même terriblement. Mais à ce stade de la vie, elle n’est pas prête à se priver du réconfort de la nourriture, et tant pis si, en cet instant, elle ressemble à un phoque gras et assoupi enveloppé dans une sorte de bandages en gaze.

Propos à la sortie de la messe : Olive cherche à ne pas dire ce qu’elle pense.

À côté d’Olive Kitterige, attendant elle aussi comme tout le monde. Molly Collins vient justement de se retourner pour regarder l’épicerie. Elle soupire. 
« Une femme si gentille. Ça n’est pas juste. »
Olive Kitteridhe, dont la robuste charpente dépasse d’une tête MollyCollins, prends ses lunettes de soleil dans son sac à main et, une fois qu’elle les a enfilées, plisse les paupières et jette un regard sévère à cette femme qui vient de proférer une telle bêtise. Quelle idée stupide, de penser que la vie pouvait être juste. Mais elle répond tout de même « c’est une femme gentille, c’est vrai « en se tournant pour admirer le forsythia près de la salle des fêtes.

Olive et ses belles filles .

 Olive pris la décision d’accepter tout en bloc. La première fois, il avait épousé une femme méchante et autoritaire, cette fois elle était gentille et Idiote. Bah, ça ne la regardait pas, après tout. C’était la vie de son fils.

 

Édition Buchet-Chastel. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Un petit roman bien sympathique, sur un sujet qui m’intéresse : le création des « livres des heures » au 15° siècle.

Ces illustrations sont tellement riches et variées ! Je me souviens d’une exposition dans une bibliothèque qui m’avait complètement séduite.

L’auteure imagine un personnage féminin (En 2022 ce serait trop banal que ce soit un homme !) qui lutte pour pouvoir devenir, elle aussi, comme son grand-père, son père, une artiste en enluminures. L’intrigue est vraiment trop attendue pour moi : sa mère ne veut que la marier et déteste qu’elle veuille devenir peintre mais grâce à son grand-père elle finira par s’imposer. La belle Marguerite va connaître un amour passion pour un « maure » qui passait par là et devra finalement se marier pour donner un père au bébé qu’elle attend.
L’intérêt du roman réside dans la reconstitution d’une ville Paris qui se remet doucement de la guerre de cent ans, et la description des techniques des coloristes qui nous ravissent encore aujourd’hui.

Un roman dont je vais très vite oublier l’intrigue mais qui m’a fait passer un bon moment dans les ateliers parisiens d’enluminures.

 

Citations

La couleur et le Moyen Âge

 Les maisons des petites gens sont couleur de bois, de pierre, de boue, de chaume, leur mobiliers de terre cuite, d’étain, leurs habits d’étoffe non teinte ou si peu. Le Moyen Âge est friand de couleurs vives autant que d’épices. La couleur est l’apanage de la nature, de nature divine, des Hommes qui en ont extrait les secrets et de ceux qui peuvent se les payer. Plus elle est vive, saturée, plus elle est enviable, enviée. Elle est la marque du puissant, de la cathédrale, du jour de fête et de procession avec ses étendards. L’absence de couleur est signe de pauvreté, d’insignifiance, d’inexistence, de mort.

 

Le sujet du roman.

 Si, comme il se doit, Marguerite équipera son livre d’heures de calendrier liturgique, d’extraits d’évangiles, d’un petit office de la Vierge organisé selon les heures canoniales, elle prendra quelques libertés. d’autres avant elle en ont prit. Il est commun que le propriétaire de livres d’heures cherche à rentabiliser sa mise, car le coût en est très élevé. On y inscrira toutes sortes de choses, des recettes locales de tisanes, d’onguent, en passant par les dates des naissances et des morts des membres de la famille. Alors pourquoi pas des pensées, des échappées intime ? Voilà pour le fond . 
Et sur la forme ?
D’austères au XII° siècle, les livres d’heures vont prendre vie, couleurs au fil du temps. Des prières, comme d’une terre, vont en pousser s’enguirlander de branches, de feuilles, de forêts entières.

 


Édition les presses de la cité

Traduit de l’anglais (Irlande) par Valérie Bourgeois

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Seriez-vous prêtes à partir trois jours dans une maternité à Dublin en 1918, avec la sage-femme Julia Power qui fait office de cheffe de service pour les futures mères atteintes de la terrible grippe qui, comme vous le savez sans doute, a fait plus de morts que la deuxième guerre mondiale.

Je vous préviens ce ne sera pas un séjour de tout repos, chaque (long) chapitre porte le nom d’une couleur : les couleurs qui suivent l’inexorable avancée d’une maladie que l’on ne savait pas soigner.
Rouge : comme les prémices de la grippe qui donne effectivement cette couleur aux joues .
Marron : lorsque la malade a encore une infime chance de s’en sortir.
Bleu : comme la couleur des ongles quand hélas la fin s’annonce.

Noir : quand la mort est définitive.

Et entre ces moments , vous comprendrez combien la guerre 14/18 a brisé des vies dont celle du frère de Julia qui est revenu tellement traumatisé qu’il est totalement mutique. De plus en Irlande, le patriotisme est mis à mal par les indépendantistes qui trouvent que cette guerre sert plus les intérêts des Anglais que ceux des Irlandais. Le personnage du docteur Lynn qui est historique permettra à Julia Power d’ouvrir les yeux sur le rôle des Anglais dans son pays. Cette femme de bonne famille protestante s’est engagée dans les rangs du « Sinn Fein » tant elle était révoltée par la misère dans laquelle on maintenait des populations pauvres catholiques irlandaises.
Vous découvrirez aussi le triste sort des enfants nés hors mariage ou des orphelins remis aux institutions catholiques.

Le roman est soutenu par des sentiments d’amitié (et même plus ) qui se tissent entre une jeune bénévole , Bridie Sweeney et Julia. C’est grâce à cette fille de 19 ans que nous découvrons toute l’horreur des conditions des enfants livrés aux bonnes sœurs . Vous vivrez aussi une épidémie qui par certains aspects rappellent celle que nous connaissons : les mêmes rumeurs, les mêmes conduites irrationnelles. Et les limites de la science. Et surtout vous vivrez la souffrance des accouchements des femmes quand si peu d’aides pouvaient leur être apporté.

C’est un roman qui se lit facilement même si on est parfois rempli d’effroi face ce que nous découvrons sur ce pays ces horribles traditions catholiques et la misère des conditions des femmes qui à 25 ans pouvait avoir huit enfants mais plus une seule dent et un corps si affaibli que la grippe n’est qu’une petite secousse qui les précipite dans la tombe. Je vous ai prévenu vous passerez trois jours dans le sang, les odeurs de pisse, la peur de la mort qui rôde et qui ne fait aucun cadeau, mais je pense que vous admirerez le courage de ces femmes. Oui, il s’agit bien de combattantes même si le titre original était plus poétique : « the pull of the stars » et est plus proche d’un beau moment du récit celui ou Janet et Bridie passe une nuit sur le toit de l’hôpital à regarder les étoiles. Et plus proche aussi du mot « fluenza » dont je ne connaissais pas la signification avant ce roman.

Je ne me suis adressée qu’aux femmes dans ce billet mais je suis certaine que les hommes pourraient aussi aimer ce roman pour peu qu’ils acceptent d’entendre parler de ce qui le dégoûtent parfois dans la maternité. et l’accouchement, en tout cas, je l’espère.

 

Citations

Portrait physique d’une femme pauvre irlandaise.

 J’aurais été tentée d’inscrire « Usée jusqu’à l’os ». Mère de cinq enfants à 24 ans, descendante sous-alimentée de générations d’Irlandais sous-alimentés, le teint livide, les yeux rouges, la poitrine presque inexistante, les pieds plats et les membres maigrelets, avec des veines semblables à un entrelacs de ficelle bleue, Eileen Devine a marché toute sa vie d’adulte au bord d’un gouffre. Au fond, cette grippe l’a juste fait basculer dans le vide.

Le saviez-vous ?

Bien sûr, on peut toujours accuser les étoiles, commente-t-elle.
– Pardon ? 
– C’est le sens du mot « influenza », l’autre nom de la grippe.  » Influenza delle stelle » : l’influence des étoiles. Pour les italien du Moyen-âge, cette maladie prouvait que le ciel gouvernait leur existence et que certaines personnes avaient littéralement une mauvaise étoile.

Rumeurs en cas de pandémie.

 – J’ai fait si attention, mademoiselle. Je me suis même gargarisée avec du vinaigre de cidre et je suis allée jusqu’à le boire.
 J’acquiesce en gardant pour moi mon opinion. certains se reposent sur la mélasse pour échapper à la pandémie, d’autre sur la rhubarbe. comme s’il y avait forcément un remède maison capable de nous sauver tous. J’ai même rencontré des imbéciles persuadés de ne rien avoir à craindre parce qu’ils portaient du rouge.

Le retour des soldats dans le contexte irlandais.

 Drôle d’époque pour les vétérans invalides de Dublin. Dans la même journée, Tim peut serrer la main d’un vieillard qui le remerciera de s’être engagé, puis se faire traiter de tire au flanc par une veuve au motif qu’il est rentré sain et sauf de la guerre, ou entendre un passant lui crier que ce sont des vermines de soldats qui ont rapporté la grippe chez nous. Mais quelque chose me dit qu’un prétendu rebelles nationalistes lui a reproché d’être un pion à la solde de l’empire et lui a jeté des ordures à la figure.

Une femme médecin qui a défendu l’indépendance irlandaises .

Il y a cinq ans encore, je portais à peu près le même regard que vous sur la question nationale, mademoiselle Power, dit-elle d’un ton très courtois qui me déconcerte. J’ai d’abord défendu la cause des femmes, puis le mouvement des travailleurs. J’espérais une transition pacifique vers une Irlande autonome qui traiterait avec davantage de bienveillance les ouvriers, les mères et les enfants. Mais au bout du compte, j’ai compris que même s’ils faisaient semblant depuis quarante ans de s’intéresser aux principes du « Home Rule », les Britanniques entendaient bien continuer à nous envoyer promener. Ce n’est qu’à ce moment la, après m’être beaucoup interrogée, je vous assure, que je suis devenue ce que vous appelez une terroriste.

Les « bonnes » sœurs et les filles mères.

 Pour avoir commis le crime de tomber enceinte, Honor White loge dans une institution caritative qui la punit en exigeant qu’elle prenne soin de son bébé et de celui d’autres femmes. Elle doit aux bonnes sœurs une année entière de sa vie afin de rembourser ce qu’elle dépense pour l’emprisonner durant tout ce temps. C’est là une logique bizarre et fallacieuse. 
-Et au bout d’un an …. est-ce que les mères peuvent repartir avec leur enfant ? 
Sœur Luc ouvre de grands yeux.
– L’emmener ? pour en faire quoi ? la plupart de ces filles ne veulent sûrement rien tant que d’être débarrassées de ce fardeau et de la honte qui l’accompagne.

 

Édition Plon . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quel livre ! Quand j’ai refermé ce livre de souvenirs, j’ai eu un besoin d’un moment de silence avant de rédiger mon billet. Le silence qui a essayé d’étouffer les cris de ces Arméniens spoliés de tous leurs biens, torturés, abandonnés dans le désert, assassinés puis turquifiés et oubliés.

Pourtant tous les 24 avril les Arméniens de la diaspora française défilent devant les ambassades turques pour que ce génocide soit enfin reconnu.
Le livre est un retour dans la mémoire d’une jeune femme née en France d’une famille arménienne qui s’est exilée de Turquie en 1960 . Cette plongée dans le passé se fait à travers les pièces de la maison familiale qui, à travers un objet ou une photo, lui permettent d’évoquer son enfance et la vie des membres de sa famille. Toute la difficulté de cet exercice est de confronter ses expériences personnelles suffisamment douloureuses puisqu’elle a voulu fuir à tout jamais cette maison, à celles autrement plus tragiques de la destinée des Arméniens en Turquie .
C’est un récit parfois très vivant et très gai, on aimerait participer aux réunions de famille autour de plats qui semblent si savoureux, les grand mères et les tantes qui ne parlent que le turc sont des femmes qui n’ont peur de rien. Et pourtant d’où viennent-elles ? Le blanc total de la génération d’avant 1915 plane sur toutes les mémoires. Le récit devient plus triste quand l’auteur évoque son père. Sa compréhension d’adulte n’empêche pas sa souffrance d’enfant de remonter à la surface. Cet homme a été brisé par l’exil auquel il a consenti pour assurer à ses enfants un meilleur avenir mais d’une position d’orfèvre à son compte en Turquie il est devenu employé en France. Est ce cela qui a aigri son caractère et rendu sa position de pater familias insupportable aux yeux de sa fille ?
À travers toutes les pièces de cette maison, Annaïs Demir recherche une photo de sa mère. Une photo où on la verrait dans toute sa beauté de jeune femme libre avant un mariage qui l’enfermera dans une vie faite de contraintes. Son amour pour son mari est, sans aucun doute, plus le fruit d’une obligation due aux liens combien sacrés du mariage que d’une attirance vers cet homme .
À partir de chaque détail de la vie des membres de cette grande famille, on imagine peu à peu le destin de la petite fille puis de la jeune fille qui est devenue cette écrivaine, mais on comprend surtout la tragédie du peuple Arménien qui apparaît dans toute sa violence absolument insupportable et si longtemps niée.
Un livre que je n’oublierai jamais et j’espère vous avoir donné envie de le lire.

Citations

Retour douloureux aux sources.

Je sens que je dois mettre entre parenthèses ma vie de critique d’art, mon cercle d’amis, les vernissages, les premières de ciné, les concerts, les cafés en terrasse, mes habitudes et mes passions. Renoncer à tout ce que j’ai construit seule ces dernières années pour entrer dans une antique pelisse plein d’accrocs. Une vieille peau de bête, éliminée par endroits et rugueuse à d’autres, qui me retombe sur les épaules jusqu’à m’étouffer. 
À moins qu’il ne s’agisse finalement d’une Gorgone cherchant à me pétrifier. Intense et glaçante, elle m’agrippe du regard. imperturbable, elle a déjà englouti la plupart de ceux qui l’ont habitée. Et maintenant ce serait mon tour ?

Un long passage qui me fait plaisir d’être française.

À leur arrivée en France, dans les années 60, ils ont pu respirer, n’ayant plus à dissimuler leur identité culturelle et cultuelle, ni passer leur langue sous silence comme s’il s’agissait d’une pratique honteuse. Ils n’étaient plus ces « infidèles » suspects, ces « gavours », contre lesquels on pouvait se retourner en temps voulu. Ils ne craignaient plus rien. Ils avaient le droit d’exister en tant qu’Arméniens nés en Turquie sans subir le racisme antichrétien dont ils avaient fait l’objet dans leur pays. Ils allaient devenir des citoyens français et moi, qui venais de naître en France, avant eux. Sept ans après leur départ d’Istanbul, je symbolisais le passage à une ère nouvelle. À leurs yeux, je n’avais donc pas besoin de pratiquer le turc, la langue de nos ennemis ancestraux. La langue du pays dont mes parents s’affranchissaient enfin. Un divorce tant désiré que le turc devenait automatiquement pour moi, l’enfant d’un monde libre, la langue interdite. c’était le passé. Ils avaient décidé de tout changer. Vivre en version originale. Sous-titrée dans la langue du pays qu’il s’était choisi. Ils ne s’adressaient donc à moi qu’en arménien depuis ma naissance. parce que ce que j’étais leur dernier enfant, le seul né ailleurs qu’en Turquie. Sur le territoire français et, de fait, par le droit du sol, de nationalité française. Née dans un pays où nous étions libres de vivre en paix notre vie de français d’origine arménienne. Notre culte ne regardait que nous et ne figurait pas sur nos papiers d’identité.

Les massacres d’Arméniens .

 Elle venait de Yozgat, un « vilayet » (province) du centre de l’Anatolie ou les pillages, les viols, les décapitations la hache et autres bases besognes avaient été plus virulentes encore que partout ailleurs en 1915. Le degré d’abomination dans ces exterminations massives dépendait de l’état mental et moral du Valy (représentant du sultan)qui dirigeait chacune des régions de l’empire. Et, à Yozgat, ils avaient eu affaire à l’un des plus sanguinaires de ces sadiques en bande organisée.

Les toilettes à la turque dans la cour des immeubles parisiens.

Mais lorsqu’il s’agissait de faire ses besoins, cela devenait plus compliquée. Tout se passait hors de l’appartement. Pas sur le palier mais au fond de la cour, été comme hiver. Dans des cabanons qu’on fermait avec un frêle crochet. Des toilettes « à la tourka », comme disait tante Arsiné en roulant le « r ». N’est-ce pas le summum de la tragédie que de continuer à entendre parler quotidiennement de l’ennemi ancestral, même dans les lieux d’aisances de son pays d’exil, en plein Paris ? Ironie du sort, les turcs s’illustraient là sans le moindre panache autour d’une invention aussi primitive et putride qu’un pauvre trou dans lequel le toute un chacun venait vider ses entrailles.

Sa famille.

 Je les vois même défiler sous mes yeux. De temps à autres effrayante, d’autres fois émouvante, souvent « attachiante » : voilà à quoi ressemble ma famille. Question ambiance, on a le sentiment que tout le monde s’amuse à mettre les doigts dans la prise juste pour s’entendre respirer. Cela a quelque chose à voir avec un incommensurable besoin d’affection.

Évocation de sa mère couturière .

 L’atelier, c’est là qu’elle passait le plus clair de son temps, chantant et cousant comme une Cendrillon d’Orient. pas un jour sans qu’elle ait donner de la voix ou taquiner la muse. À tel point que ses chants, que j’entends dès que j’entre dans la maison, s’intensifient dans l’atelier. Mais tous ces airs me serrent la gorge. C’est dans cette bombonne de verre qu’elle avait l’air le plus heureuse. Plutôt qu' »une chambre à soi » si chère à Virgina Wolf, cette pièce à part où chaque femme devrait pouvoir s’épanouir librement, ma mère jouissant, elle, d’un « temple de la soie » regorgeant de trésor qui me transportait d’un coup d’œil à Samarcande où Ispahan.

Le génocide.

On jalousait leurs biens on en voulait à leurs maisons, à leur terre et à l’or que les Turcs imaginaient qu’ils détenaient. Par conséquent, on les avait désarmés et délestés de ce qu’ils avaient de plus précieux. On les menait maintenant en troupeaux aux abattoirs. Pour procéder à leur lente mises à mort en toute impunité. Certains à pieds, d’autres entassés dans des wagons à bestiaux. Destination le désert de Syrie au plus fort des températures de l’Orient. Il était bien assez vaste pour étouffer leurs pleurs, leurs cris et jusqu’à leur râle ultime. Tortures, viols, assassinats, pillages, déportations et autres humiliations. des morts par centaines de milliers. Des charniers. Une déferlante de l’horreur et de sadisme s’était abattue sur les maisons arméniennes.

 

Edition pocket

J’avais remarqué ce roman sur de nombreux blogs dont celui de Géraldine , et il m’attendait dans sa pile, bien sagement … Le succès au début de la campagne présidentielle des idées du candidat du mouvement « Reconquête » auprès des catholiques traditionalistes m’ont poussée à sortir ce livre de sa pile.
Quand on lit ce roman, on peut se dire que l’auteure pousse le trait critique un peu loin, et puis on se souvient des propos de certains membres de ce tout nouveau parti et on se dit que non, ces gens sont persuadés qu’ils ont une croisade à mener et qu’ils doivent ramener les Français vers leurs valeurs. Ils vivent tellement entre eux qu’ils sont incapables de s’ouvrir aux autres.
La pauvre Sixtine est victime de son milieu et épouse un polytechnicien membre actif des milices chrétiennes des Frères de La Croix. On retrouve dans cette première partie toutes les valeurs que ces différentes sectes catholiques veulent inculquer aux enfants . Sixtine est très vite enceinte et ce qui aurait dû être la plus grande joie de sa vie s’avère être un véritable calvaire. Elle est malade tout le temps et n’a pas le droit de se plaindre. De petites failles entre elle et l’idéologie extrémiste de son mari commencent à s’installer, le choix du prénom pour commencer, tout le monde appelle ce bébé qui n’est pas encore né Foucault sans lui demander son avis. Et puis, un soir, son mari meurt en allant attaquer un concert punk. Sixtine aimerait savoir si, avant lui-même de mourir son Pierre-Louis n’est pas responsable de la mort d’un participant au concert.
De cette différentes failles et du détestable caractère de sa belle mère naîtra sa révolte et sa fuite vers l’Aveyron, où elle rencontrera des gens vivant dans des valeurs opposées à celle de sa belle famille. Peu à peu Sixtine sortira de sa coquille et de l’influence négative de l’emprise de la secte religieuse. Cela ne se fera pas du jour au lendemain et la fin du roman relève plus de l’imaginaire que du possible. Sa mère lui avait caché le secret de sa naissance et c’est grâce aux liens retrouvés avec sa famille maternelle que Sixtine et Adam, son fils, vont pouvoir enfin vivre leur vie.

C’est un beau roman, facile à lire et qui permet de comprendre les excès d’une si petite partie des catholiques. Ce qui me semble absolument incroyable c’est comment ils peuvent imaginer rallier la majorité des Français à leur cause. En particulier les femmes ! En revanche lorsque l’on a été élevé dans ce genre de communautés, il est presqu’impossible d’aller vers d’autres idées. Du moins c’est ce que dit ce roman et ce que nous voyons autour de nous (de loin pour moi), dans les familles élevées dans ce genre de sectes qui ont en commun d’avoir refusé les réformes prônées par Vatican II .

 

Citation

Quel programme !

Mes enfants sur vos épaules repose une lourde tâche, celle d’être des époux catholiques dans un monde païen, celle d’être des parents de nouveaux petits croisés qui devront vivre au milieu de ce peuple de renégats. Pierre-Louis et Sixtine, tous les enfants que Dieu vous donnera seront une grâce et une bénédiction. Comme disait notre fondateur, le frère André,  » en ces temps de décadence et d’apostasie, cela devient même un devoir ». Chers Pierre-Louis et Sixtine, et vous, peuple des fidèles, inculquer la foi catholique et romaine à ces enfants que nous espérons nombreux. Je ne peux que vous inviter à suivre les commandements édictées dans la Genèse :  » Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la ! »

 

 

Édition Quai Voltaire , Traduit de l’anglais par Jeannette Short-Payen

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Une petite plongée dans le monde abbayes du début du XVII° siècle, après la mort du roi Henry IV, dans un couvent de nonnes où l’accusation de sorcellerie n’est jamais bien loin et permet tous les abus. C’est un récit assez compliqué, une histoire de vengeance imaginée par un cerveau supérieur et féroce, un certain Guy Le Merle qui a été humilié dans sa jeunesse par un évêque tout puissant. Pour mener à bien sa vengeance, il doit utiliser les capacités de celle qu’il appelle mon Ailée parce que (du temps où elle était saltimbanque) elle se promenait sur des fils tendus dans les airs. Celle-ci a trouvé refuge dans un couvent pour élever sa fille Fleur et pendant quatre ans, elles mèneront toutes les deux une vie paisible sous l’autorité d’une mère supérieure dont l’esprit de charité faisait régner un certain bonheur dans cette abbaye de l’île de Noirmoutier, c’est amusant de voir une région que l’on connaît bien vivre sous la plume d’une auteure étrangère et situer ces descriptions au XVII° siècle , le passage du « Goa » aura évidemment son importance ! Il faut dire que l’auteure à une mère française elle a peut-être passé des vacances dans cette région.

Pour parvenir à ses fins, Le Merle dissimulé sous les traits d’un prêtre va utiliser une toute jeune nonne qu’il va mettre à la tête de cette abbaye, celle-ci voit le diable partout et les pauvres sœurs iront de châtiment en châtiment. Cette nonne est en réalité la soeur de l’évêque dont il veut se venger. Je m’arrête là pour ne pas trop en dire sur le suspens qui sous-tend ce récit. Tout le charme de ce roman vient de ce qu’on ne sait pas jusqu’à la dernière page si le personnage du « Merle » est uniquement cruel et s’il est capable d’amour pour son « Ailée ». J’ai trouvé cette histoire de vengeance bien compliquée et si j’ai retenu ce roman c’est plutôt pour la description de la vie des nonnes dans les abbayes, mais je reproche aussi à l’auteure de voir tout cela avec des yeux de femmes du XXI° siècle pour qui faire la différence entre la foi et la crédulité est si facile à faire. C’est un roman historique qui éclaire d’un œil sans complaisance la religion du XVII° siècle et la condition des femmes dans les couvents, et rien que pour cela il peut vous plaire.

 

Citations

La fondation des abbayes.

 Fondée il y a quelques deux cent ans par une communauté de frères prêcheurs, l’abbaye est très vieille. Elle a été payée grace à l’unique devise qui a court pour l’église : la crainte d’être damné. En ces temps d’indulgence et de corruption, une famille noble ne pouvaient assurer sa position dans le royaume qu’en attachant son nom à une abbaye.

Des propos qui sentent le XXI° siècle plus que le XVII° mais c’est très bien dit.

 Je n’ai jamais cru en Dieu.En tout cas, pas à celui auquel nous avons l’habitude de nous adresser, ce grands joueur d’échecs qui, de temps en temps, baisse le regard vers son échiquier, déplace les pièces selon les règles connues de lui seul et daigne regarder son adversaire bien en face et avec le sourire du grand maître qui sait d’avance qu’il va gagner la partie. Il doit y avoir, me semble-t-il une horrible paille dans l’esprit de ce créateur qui s’obstine à mettre ses créatures à l’épreuve jusqu’à ce qu’il les détruise, qui ne leur accorde un monde regorgeant de plaisir que pour l’heure annoncer que tout plaisir est péché, qui se complaît à créer une humanité imparfaite mais s’attend à ce qu’elle aspire à l’infini perfection ! Le Démon, au moins, joue franc-jeu, lui. Nous savons exactement ce qu’il veut de nous. Et pourtant, lui-même, le Malin, le Génie du mal travaille secrètement pour l’Autre, le Tout Puissant. À tel maître, tel valet.

Toujours l’effet des connaissance d’aujourd’hui sur une description du passé .

 Je leur ai recommandé d’éviter les jeûnes excessifs, de ne boire que l’eau du puits et de se laver au savon matin et soir. 
 » À quoi cela pourra-t-il bien servir ? » a demandé soeur Thomasine en entendant ce conseil. 
Je lui ai expliqué que parfois des ablutions régulières empêchaient les maladie de se propager. 
Elle a eu l’air un peu convaincue de cela. « Je ne vois pas comment ! a-t-elle dit. Pour éloigner le démon, ce n’est pas d’eau propre et de savon dont on a besoin, c’est de l’eau bénite ! »

 


Édition Zulma . Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Appelés en 2013 à élire le plus beau mot de leur langue, les Islandais ont choisi un substantif de neuf lettres désignant une profession médicale : Ijósmóðirin, sage femme. Dans son argumentaire, le jury souligne qu’il unit deux mots magnifiques : móðir qui signifie mère et Ijós, lumière.

Ce roman m’a fait du bien dans des moments où le monde devenait fou . Partir dans les réflexions d’une sage-femme elle même petite fille et arrière petite fille de sage-femme et découvrir l’Islande ancienne et actuelle m’a permis d’oublier la guerre et toutes ses conséquences. J’ai eu envie de noter beaucoup de phrases qui me plaisaient, ma préférée est sans doute celle que prononçait sa grand-tante à chaque naissance

Bonjour petit être. Tu es le premier et le dernier toi en ce monde.

Le reste du livre est constitué par une recherche pour comprendre ce que la grand-tante a voulu léguer à sa petite nièce. Dans son appartement que l’héroïne devra rénover, elle trouve une correspondance avec une amie Galloise et surtout des textes qui pourraient être publiés. Mais que voulait vraiment dire Frida ? Tout ce que l’on comprend c’est que sa recherche associait la naissance à la lumière. Ce n’est pas très facile de comprendre ce que sa tante voulait dire, d’ailleurs sa petite nièce renoncera à vouloir le faire publier.
Les moments que nous passons dans l’Islande actuelle, nous vivons des accouchements, une tempête d’hiver et une belle ballade vers les aurores boréales . Ce n’est sans doute pas un grand roman car il est trop décousu à l’image de la tentative de sa grand-tante de comprendre l’humanité mais on y est bien, je l’ai lu avec grand plaisir et j’espère retenir ma phrase préférée.

 

 

Citations

Naissance

Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse. 
Il ouvre les yeux pour la première fois. 
Et voit la lumière. 
Il ignore qu’il vient de naître.
 Je lui dis, bienvenue, mon petit.
 Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t-shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
 Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
 Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs. 
– Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente. 
C’est leur troisièmes fils. 
– Ils sont tous nés en décembre, commente le père. 
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)

Des phrases que j’aimerais retenir.

 L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
 Il n’y a pas grand chose sous le Soleil 
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier. 
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.

 Présentation de ses parents (je me demande ce que sont des cercueils qui ne sont pas à usage unique ? ? ?.)

 Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.

Repas en famille.

 Au dernier repas de familles, ma mère a passé toute la soirée à parler de la mort. Papa hochait régulièrement la tête et mon beau-frère l’écoutait avec attention. Après, il est allé dans la cuisine pour remplir le lave-vaisselle et mes parents ont continué à discuter du prix des cercueils, de leur qualité et des commandes en cours.

Les journées d’hiver en Islande.

 Je tente de lui expliquer que le jour se lève et prend fin très vite après, finalement j’exprime les choses d’une autre manière : le Soleil apparaît à l’horizon peu avant midi et disparait vers trois heures. L’aube s’étire en longueur toute la matinée et trois heures après la parution de la lumière, l’air s’assombrit à nouveau et le soleil s’enfonce dans la mer.

La philosophie de sa grand-tante sage femme comme elle.

 Même si elle ne croyait pas en l’homme, ma grand-tante avait foi en l’enfant. Ou disons plutôt : elle ne croyait en l’homme qu’en deçà de 50 cm. Cela correspond également aux récits de ses collègues de la maternité. selon elle, il y avait d’une part l’être humain et d’autre part, l’enfant. tout ce qui était petit, et de préférence plus petit que petit, vulnérable et faible, suscitait son intérêt et éveillait sa tendresse, que ce soit dans le monde des hommes, dans le règne animal ou végétal.

Point final.

 Là où les manuscrits se contredisaient, c’est que même si ma grand-tante prévoyait la disparition de l’être humain, elle supposait qu’il y aurait dans le monde du futur une place non seulement pour les animaux et les plantes, mais aussi pour les enfants. Et pas uniquement eux puisque deux autres catégories y seraient également représentées . D’une part les gens qui avaient conservé leur âme d’enfant, « qui s’amusaient à souffler sur les graines de pissenlits et savaient s’étonner », et d’autre part – ce qui n’a rien de surprenant, a souligné ma sœur- les poètes.
Voici les listes des mots qui veulent dire brouillard et neige en islandais je les ai pris en photo car c’est trop compliqué à écrire.

=

Édition Seuil . Traduit de l’anglais par Karine Lalechère

Lu dans le cadre de Masse Critique

 

Voici une bonne pioche chez Babelio, sans être un total coup de coeur ce roman est très intéressant et j’espère vous donner envie de le lire. L’auteure est britannique de parents chypriotes. Elle s’intéresse à deux scandales qui se passent à Chypre, l’un concerne le braconnage des petits oiseaux migrateurs, l’autre beaucoup plus révoltant concerne des employées de maison étrangères qui sont exploitées par des agences plus où moins mafieuses. Ces femmes devront toute leur vie rembourser l’agence qui les a fait venir, elles espèrent s’enrichir pour, le plus souvent, faire vivre leur famille alors que les seules personnes qui vont gagner beaucoup d’argent ce sont les propriétaires des agences. Les Chypriotes qui les utilisent n’imaginent pas les difficultés que traversent ces femmes. Pour la bonne société chypriotes ce sont des femmes interchangeables qui leur rendent tous les services possibles sans pour autant chercher à les connaître.

Ce roman s’appuie sur un fait divers qui a secoué Chypre : des femmes employées ont brutalement disparu. La police ne cherche absolument pas à savoir ce qui s’est passé, le hasard permettra de découvrir qu’il s’agit d’un crime odieux de femmes sans défense.

Le roman suit le destin d’une de ces femmes : Nisha , une jeune maman Skri Lanquaise, elle va aider Petra à élever Aliki l’enfant qu’elle a eu alors que son mari est mort avant la naissance de ce bébé. Un jour Nisha disparaît le roman va raconter l’enquête de Petra qui va ouvrir les yeux sur la vie de Nisha , elle a mauvaise conscience et se rend compte à quel point ces femmes sont malmenées dans son pays. Elle découvre aussi que Nisha lui a caché son amour pour Yiannis son jeune voisin, car elle avait peur d’être renvoyée si Petra avait connu cette relation amoureuse. Yiannis est est un Chypriotes que la crise de 2008 a totalement ruiné et il doit sa survie au braconnage des oiseaux migrateurs ce sont de tous petits oiseaux que les restaurateurs s’arrachent. Il gagne beaucoup d’argent mais il sait aussi que s’il veut s’arrêter, il risque sa vie car au dessus de lui les commanditaires de cette pratique de braconnage, il y a des gens très puissants et qui sont prêts à tout pour cacher cette pratique mais aussi pour qu’elle continue.

Un sujet très intéressant mais j’ai un petit bémol pour le style que j’ai trouvé assez plat. Malgré cette dernière remarque je pense que ce livre trouvera un public assez large.

 

Citations

Voici une bonne façon d’apprendre la table de 9.

Si tu me demandes combien font 7 fois 9, je sais que la réponse commence par 6. Et que le second chiffre, c’est toujours celui d’avant, moins 1. Par exemple, 8 fois 9 font 72, 7 et 2. 
(PS regardez bien la table de 9
1 fois 9 =9
2 fois 9 = 18
3 fois 9 = 27
4 fois 9 = 36
5 fois 9 = 45
6 fois 9 = 54
7 fois 9= 63
8 fois 9 = 72
9 fois 9 = 81
10 fois 9 = 90
certes quand on l’écrit ça marche mais pour dire spontanément « 7 fois 9 = 63 cela demande une gymnastique de la mémoire qui me semble compliquée, moi quand j’étais enfant pour la table de 9 je me disais  : 7 fois 9 = 70 – 7 = 63 .)

Le crack de 2008.

 Avant la crise de 2008, la Laiki banque était en plein essor. elle s’apprêtait à devenir le véhicule d’investissement européen pour le fonds d’état de Dubaï et elle a joué un rôle pivot dans l’industrie des services financiers de Chypre. Elle accueillait à bras ouverts les nouveaux entrepreneurs russes qui arrivaient avec des valises remplies de billets et créaient sur l’île des sociétés administrées par des avocats et des comptables locaux. Les transferts d’argent entre la Russie et Chypre avaient atteint des montants astronomiques. La banque avait même géré les affaires de Slobodan Milosevic. Dans les années 1990, son gouvernement avait transféré des milliards de dollars en espèces par notre intermédiaire, en dépit des sanctions des Nations Unies.

 Son expansion agressive en Grèce fut fatale à la Laiki. Le bilan était sous-capitalisée au moment de la crise financière mondiale et ce fut la dégringolade. La banque fut démantelée. Je perdis mon emploi, mes économies et ma femme -dans cet ordre.

Un policier caricatural ?

 Je ne peux pas m’amuser à chercher ces étrangères. J’ai du travail. Si elle ne revient pas, c’est sans doute qu’elle est passée au nord. C’est ce qu’elles font. Elles vont du côté turc dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. Ces femmes sont des animaux, elles obéissent à leur instinct. Ou à l’argent. Vous devriez rentrer chez vous et débarrasser sa chambre. Si elle n’est pas de retour à la fin de la semaine, appelez l’agence pour demander qu’on vous envoie une autre bonne.

L’horreur de la guerre à Chypre.

 Une seule fois, j’ai entendu mon père parler avec savoir d’avant -une voix sincère et bienveillante-, et ce fut pour dire qu’il avait tué un ami au combat. Il ne nous avoua jamais son nom.
 Ces années d’après guerre m’ont appris une leçon que je n’ai pas oubliée : on pouvait se refermer en soi-même, et, comme mon père, ne jamais retrouver la sortie.

Exemple de ce que vivent les femmes étrangères domestiques à Chypre.

Mutya Santos, une autre Philippine, venait de Manille. Elle s’entendait bien avec sa première employeuse et dînait avec elle chaque soir. À la mort de la vieille dame, on l’avait placée chez un homme qui essayait constamment de la tripoter, entrait dans la salle de bain quand elle était sous la douche et se glissait dans sa chambre pendant son sommeil. Elle s’était plainte à l’agence qui avait refusé d’intervenir. Lorsque son patron l’avez appris, il l’avait congédiée. Elle aussi s’était retrouvée sans rien, avec une énorme dette à rembourser. 

 

Édition Phébus. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru

Ce roman m’a été offert car j’avais bien aimé « Dans la Forêt » de la même auteure. J’ai plus de réserves sur celui-ci qui connaît cependant un beau succès sur la blogosphère . J’ai eu un plaisir certain à découvrir les destins croisés de Cerise et Anna. Ces deux femmes ont, au même âge, avorté pour Anna, eu un bébé pour Cerise. Nous retrouvons ces deux femmes à d’autres moments clés de leur vie. Cerise éprouvera pour sa fille Mélody un amour si fort qu’elle pensait que rien ne pourrait briser leur entente fusionnelle. Anna se réalisera comme photographe auprès d’un homme attentif avec qui elle aura deux enfants. Elle cachera à tous son avortement et pense mener sa vie sans que cela prenne trop de place.

Pour Cerise la vie est faite de toutes les difficultés d’une mère célibataire pour qui la survie est toujours remise en cause par le moindre problème, et elle va les accumuler, les problèmes ( un peu trop à mon goût). Cela nous vaut l’habituel plongée dans le monde des exclus de la prospérité américaine.
Avec Anna nous partageons la vie d’une femme qui se demande si sa vocation d’artiste vaut la peine de bousculer sa famille en particulier ses deux petites filles.

A travers des rebondissements tragiques pour Cerise, plan galère pour Anna, ses deux femmes se retrouveront et permettront à l’une comme à l’autre un nouveau départ dans leur vie.

J’ai retrouvé les longueurs habituelles pour ce genre de roman américain, plus de six cent pages ! Je peux parfois avoir plaisir à rester longtemps avec des personnages et des lieux mais dans ce roman je me suis trouvée avec des personnalités figées dans des attitudes et des situations qui me semblaient plus proches de la démonstration ou du cliché que de personnes réelles. La révolte de Mélody à l’adolescence tellement traitée dans tous les romans, séries et films américains est un grand classique. Ainsi que la misère de ceux qui en sont réduits à vivre dans un mobile-home comme Cerise avant d’être réduite à dormir dans la rue après le tragique incendie dans lequel son bébé trouvera la mort.
De l’autre côté la difficulté à être une bonne mère quand on veut se réaliser à travers son travail artistique et permettre à son mari de trouver un job à la hauteur de ses ambitions intellectuelles est un sujet intéressant mais déjà traité dans bien des romans.Voilà ma réserve principale, je n’ai pas réussi à croire aux deux personnages de femmes. Je ne voudrais pas que mon opinion l’emporte sur votre envie de lire ce roman qui reçoit des éloges en grande partie mérités .

 

Citations

L’œil de la photographe

Bien avant d’avoir tenu un appareil photo entre les mains, elle s’était aperçue que, juste en regardant un objet ordinaire, elle pouvait le transformer en quelque chose de rare et d’étrange. Cette sensation que les autres enfants obtenaient en tournant sur eux-mêmes ou en se laissant rouler dans la pente des collines, elle l’éprouvait en scrutant de toutes ses forces le robinet en laiton du mur latéral, ou le moineau qui sautillait sur la terre polie en dessous des balançoires, au point bientôt de ne plus voir que le lustre de l’usure sur le bec du robinet ou l’étincelle dans l’œil du moineau.

Remarque de la mère des dessins de Cerise à propos de son père.

Je ne sais pas du tout d’où tu tiens ça, pas de moi, en tout cas, ça c’est sûr, ni de ton père, disaient-elles avant d’enchaîner, pleine d’amertume : Ton père n’était même pas fichu de se dessiner un avenir.

Dieu

 Parfois, elle essayait de prier, comme Sylvia et Jon le lui avaient conseillé. Mais des réponses qui lui venaient quand elle tentait d’adresser ses réflexions à Dieu pour qu’il lui serve de guide ne ressemblaient jamais à ce qui aurait plu à Sylvia et à Jon, si bien que Cerise se disait qu’elle s’y prenait mal, que ses prières passaient sans doute à côté de Dieu sans l’atteindre, comme quand elle composait un faux numéro et se retrouvait avec un inconnu au bout du fil.

Tellement vrai

 Personne n’a le choix, ajouta doucement sa grand-mère. on se dit toujours, « je ne pourrais pas le supporter », mais quand ça arrive, on voit que c’est la seule option possible : supporter.

Des femmes dans le malheur

 Parfois les femmes pleuraient, et les larmes qui coulaient sur leurs joues fatiguées jusqu’à leur de menton tremblant paraissaient minuscules comparées à leur ocean de souffrances. Cerise trouvait une sorte de réconfort dans leur histoire et dans ces larmes -pas par ce qu’elle aimait voir toujours plus de souffrances, mais parce que la souffrance était la vrai conditions des humains. C’était logique que les gens souffrent, logique que rien n’aille bien très longtemps. En regardant les autres femmes se rassembler autour de celles qui pleuraient, pour lui tapoter le dos et essuyer ses larmes, Cerise se sentait presque de la famille, presque de la famille des femmes qui la réconfortait.