Traduit de l’anglais (Ètats-Unis) par Brice Matthieussent ; collection 10/18

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

J’ai oublié sur quel blog j’avais lu qu’il fallait absolument lire ce petit roman de John Fante, mais quand je l’ai vu au club de lecture de notre médiathèque, j’étais très contente. Oui, c’est un excellent moment de lecture tout en humour grinçant et méchant qui décoiffe, parfois un peu trop pour moi. Le personnage principal est un écrivain qui trouve un soir un énorme chien devant chez lui. Un chien de race Akita qui, sur cette photo, semble bien sympathique mais qui est un véritable danger dans une famille qui n’allait pas non plus très bien avant son arrivée

Ce chien mérite très bien son nom, Stupide, il saute sur tout ce qui lui semble un compagnon sexuel acceptable et comme il est très puissant cela donne des scènes aussi comiques que gênantes. L’écrivain, narrateur de ce roman se sent mal de tous les livres qu’il ne réussit plus à écrire. Il se sent raté aussi bien socialement que dans sa vie familiale. Même s’il le raconte avec beaucoup d’humour, on sent son désespoir à l’image de la scène finale qui donne peu d’espoirs sur la survie de son mariage. Ce roman raconte aussi très bien le choc des familles lors des départs des enfants qui occupaient une place si importante au quotidien dans la maison. J’ai trouvé très originale dans ce roman la peinture de chaque personnage, on peint souvent la famille américaine comme une force en soi. Dans les films, les séries, les romans, la famille made-in US semble un lieu d’engagement et de résistance à toute épreuve. Ici, au contraire chaque individualité est caractérisée par une destinée propre et leur seul point commun lors de ce roman c’est ce chien, qu’elle le rejette ou l’aime. Un point de vue et un humour très particulier qui fait du bien en contre point des images trop lisses que nous renvoie « la culture » américaine : John Fante est issu de l’immigration italienne, et a connu la misère, ceci explique cela. Je ne voudrais pas donner une fausse image de ce livre qui est surtout très drôle même si on sent une grande tristesse sous cette façon de rire de tout et surtout de lui.

 

Citations

Beaucoup de pères pourraient écrire cela

Jimmy avait cinq mois, et je l’ai détesté comme jamais parce qu’il avait des coliques et braillait encore plus que Tina. Les hurlements d’un enfant ! Faites-moi avaler du verre pilé, arrachez-moi les ongles, mais ne me soumettez pas aux cris d’un nouveau-né, car ils se vrillent au plus profond de mon nombril et me ramènent dans les affres du commencement de mon existence.

Un père reste une fille s’en va

Pendant qu’Harriet sanglotait dans le patio, je suis allé dans mon bureau écrire à Tina une lettre que je ne posterai jamais, je le savais, quatre ou cinq pages éplorées d’un gamin qui avait laissé tomber son cornet de glace par mégarde. Mais je lui disais tout, ma culpabilité, mon terrible désir de pardon. Quand je l’ai relu, la force et la sincérité de ma prose m’ont bouleversé. Je l’ai trouvé par endroits très belle, j’ai même envisagé d’en tirer un bref roman, mais je n’avais pas mon pareil pour tomber en extase devant ma prose, je n’ai pas eu trop de mal à déchirer ce que j’avais écrit et à le mettre à la poubelle.

Chez Albin Michel

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis partie, grâce au talent d’Antonin Varennes, dans le Paris de 1900, complètement chamboulé par l’exposition universelle, j’ai suivi la jeune et belle Aileen Bowman correspondante de presse d’un journal new-yorkais. Elle a imposé à son rédacteur en chef son séjour à Paris. Elle nous permet de découvrir cette ville courue par les artistes, ce qui va du classicisme absolu tant vanté par Royal Cortissoz, le critique d’art à qui le gouvernement américain a confié le choix des tableaux, par exemple celui qui lui plait le plus et dont il dit :

Puissante, avait déclaré le critique . Simple et fort. Équilibré. Parlant d’elle-même. Il y a chez cette bête la force tranquille et la persévérance des travailleurs américains de la terre.

Aillen a tendance à n’y voir qu’un taureau dans un étable et préfère les nus de Julius Stewart qui lui fera découvrir le Paris des artistes (Picasso y faisait ses débuts), l’auteur nous fait vivre dans le détail l’élaboration des tableaux de cet artiste mi-américain mi-français (comme elle)

 

 

Nous suivons aussi la construction de l’exposition universelle qui fait de Paris un village de décors et où on invite les populations indigènes à se donner en spectacle. C’est là, la première raison de la venue à Paris d’Ailleen , elle veut retrouver son demi-frère Joseph jeune métis mi-indien mi -blanc qui est devenu fou à cause de ce partage en lui de civilisations trop antinomiques, il fait partie du spectacle que les indiens donnent à Paris mais il n’est que souffrance et apporte le malheur partout où il passe ; encore que… la fin du roman donne peut être un autre éclairage à ses actes terribles..

On suit aussi l’énorme enthousiasme qu’apporte la révolution industrielle ; le progrès est alors un Dieu qui doit faire le bonheur des hommes, c’est ce que pensent en tout cas aussi Rudolf Diesel qui expose son moteur révolutionnaire, et Fulgence Bienvenüe, qui construit le métro avec un ingénieur Charles Huet marié à une si jolie femme.
Enfin le dernier fil, c’est le combat des femmes pour pouvoir exister en dehors du mariage et de la procréation et en cela Aileen aussi, est une très bonne guide.
On suit tout cela et on savoure les récits foisonnants d’une autre époque, la belle dit-on souvent, certainement parce qu’elle était pleine d’espoirs qui se sont fracassés sur les tranchées de la guerre 14/18.

 

 

Citations

Conseils de son père

Arthur lui donnait des conseils sur la façon d’affronter le monde : savoir se taire, garder sa poudre au sec, être toujours prête. Et peut-être aussi être belle. À la façon dont Arthur Bowman appréciait la beauté : quand elle naissait d’une harmonie entre un objet et son utilité, une personne et la place qu’elle occupait dans le monde.

Réflexion sur le passé

La maîtrise du temps, l’instruction, est aux mains des puissants. Les peuples, occupés à survivre, n’en possèdent pas assez pour le capitaliser, le faire jouer en leur faveur. Ils empilent seulement les pierres des bâtiments qui leur survivront.

Propos prêtés à Rudolf Diesel vainqueur du grand prix de l’exposition universelle

Vous ne croyez pas, comme Saint-Simon, que les ingénieurs seront les grands hommes de ce nouveau siècle ? Que la technologie apportera la paix et la prospérité ?
 Il lui fallut encore un peu de silence pour trouver ces mots, ou le courage de répondre.
– Je suis un pacifiste, madame Bowman , mais je sais que ce ne sont pas les ouvriers ni la masse des pauvres qui lancent les nations dans des guerres. Il faut avoir le pouvoir des politiciens pour le faire. Et politiciens ne se lanceraient pas dans des conflits armés s’ils n’avaient pas le soutien des scientifiques, qui garantissent les chances de victoire grâce à leurs découvertes et leurs inventions. Non je ne partage pas l’optimisme du comte de Saint-Simon.

Réflexion sur la bourgeoisie et la noblesse en 1900

Les bourgeois comme les Cornic et mes parents sont convaincus que la bonne éducation de leurs enfants est leur meilleure défense contre les préjugés dont ils sont victimes. Ils se trompent.Les aristocrates, dont les privilèges sont l’héritage du sang, ne méprisent rien tant que l’éducation.

Édition Sonatine. Traduit de l’anglais par Julie Sibony 

Tout est faux dans cet excellent roman , même ma classification. Non ce n’est pas tout à fait un roman policier, non Saint-Louis dans le Haut Rhin n’est pas la ville de province sinistre que le personnage Manfred Baumann se plaît à nous décrire, non, la préface que j’ai lue -sans rien trop la comprendre au début- ne dit pas la vérité sur l’auteur sauf sans doute cette citation de Georges Simenon dont je n’ai pas eu le temps de vérifier l’authenticité

tout est vrai sans que rien ne soit exact.

Je ne peux tout vous dire sur ce roman incroyablement bien ficelé sauf qu’on y boit beaucoup -et pas que de l’eau-, qu’il décrit avec beaucoup de talent les ambiances des habitués dans les bars restaurants de province et que vous connaîtrez petit à petit Manfred Baumann, cet homme torturé et enfermé dans des habitudes qui lui servent de règles de vie. Le coiffeur et d’autres habitués fréquentent régulièrement le café restaurant « La cloche » ici tout le monde connaît, Baumann comme directeur de l’agence bancaire sans rien savoir de lui.

 

Le policier l’inspecteur Gorski, a un point commun avec Manfred Bauman, mais comme ce point n’est dévoilé qu’à la fin, je ne peux pas vous en parler sans divulgâcher l’intrigue. Les deux personnages n’ont rien de remarquables sinon qu’ils sont tous les deux issus de cette petite ville et qu’ils ont peu d’illusion sur l’humanité. Le policier a plus de cartes dans sa manche et surtout une fille Clémence qui lui donne le sourire, pour sa femme, qui appartient au milieu chic de Saint-Louis c’est plus compliqué et ce n’est pas certain que son mariage tienne très longtemps. Manfred, lui aussi, vient des quartiers chics mais il a été orphelin très jeune et a été élevé par un grand père qui ne l’aimait guère. Les femmes sont un gros problème pour lui, et il est heureux dans son café en « reluquant » le décolleté d’Adèle Bedeau, celle qui disparaît . Il s’enfonce dans un mensonge qui fera de lui un coupable possible et les bonnes langues du café ne vont pas tarder à se délier. C’est un roman d’ambiance où chaque personnage est décrit dans toute sa complexité, où la vie de cette petite ville nous devient familière, mais dans ce qu’elle a de sombre et d’ennuyeux, c’est sans doute ce qu’on peut reprocher au roman, je suis certaine que l’on peut être joyeux et insouciant à Saint Louis dans le Haut Rhin. Pour conclure c’est un livre que je recommande chaudement (malgré l’ennui qu’a ressenti Gambadou) à tous les amateurs de romans policiers, et à tous ceux qui n’apprécient pas ce genre ; je ne suis donc pas étonnée qu’il ait reçu un coup de cœur à notre club de lecture.

 

Citations

Propos masculin

 Petit et Cloutier, bien que tous deux mariés, parlaient rarement de leur épouse et, quand ils le faisaient, c’était toujours dans les mêmes termes péjoratif. Lemerre, lui, n’avait jamais pris femme. Il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il était « contre le fait d’avoir des animaux à la maison ».

Le décor

Bref, les gens de Saint-Louis sont exactement comme les gens d’ailleurs, que ce soit dans les petites villes tout aussi ternes ou nettement plus clinquantes.
 Et comme les habitants de n’importe quel autre endroit, ceux de Saint-Louis ont une certaine fierté chauvine de leur commune, tout en étant conscient de sa médiocrité. Certains rêvent d’évasion, où vivent avec le regret de n’être pas partis quand ils en avaient l’occasion. Mais la majorité vaquent à leurs affaires sans prêter grande attention à leur environnement.

le Policier

Ce qui l’ intéressait n’était pas tant dans le fait que quelqu’un mente que la façon dont il le faisait . Souvent , les gens allumaient une cigarette ou s’absorbaient un peu brusquement dans une activité sans aucun rapport avec le sujet . Ils n’arrivaient plus à soutenir son regard . Des femmes se tripotaient les cheveux . Les hommes , leur barbe ou leur moustache .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un livre étonnant qui commence une série que je ne connaissais pas l « Égo-histoire », qui se définit ainsi :

une forme d’approche historiographique et de courant d’écriture historique à travers laquelle l’historien est censé analyser son propre parcours et ses méthodes de manière réflexive et distanciée. (Wikipédia) . 

Il peut très bien se glisser dans une de vos valise pour accompagner vos vacances. Même si il n’est pas qu’un livre léger et plaisant de souvenirs d’une famille intellectuelle parisienne, ceci n’est, en effet, qu’un tout petit aspect de ce livre, qui cherche à atteindre des buts beaucoup plus larges, plus « scientifiques » trouver en quoi les vacances organisées par ses parents s’inscrivent dans une conduite sociologique ne correspondant pas exactement à l’originalité à laquelle elle semblait à l’époque répondre. C’est certainement l’aspect qui lui a enlevé un ou deux coquillages sur Luocine, car j’ai trouvé ces explication très répétitives, on comprend assez vite mais l’auteur a besoin d’y revenir plusieurs fois sans rien ajouter au propos. Le second aspect m’a beaucoup touchée : que se cache-t-il derrière cette injonction paternelle « Soyez heureux !«  ? Toutes les difficultés des rescapés de la Shoah sont dans ces deux mots et la façon dont son père a rendu ses enfants « heureux » est extraordinaire à la fois de simplicité mais aussi de courage . Enfin le dernier aspect, ce sont les souvenirs de cet enfant qui a comme tous les enfants préfèrent jouer avec ses amis plutôt qu’écouter les explications savantes à propos des ruines grecques et romaines.

Un livre que j’ai beaucoup aimé malgré les bémols que j’ai évoqués.

 

Citations

Ambiance familiale marquée par la Shoah

Dans ma famille, le bonheur représentait un tel enjeu qu’il en devenait non seulement inaccessible, mais vicié, légèrement putréfié, pas si désirable que cela. C’est une perversion dont je ne me suis jamais tout à fait remis. Le seul remède à cette maladie de l’âme consistait à rompre le soupçon et a décidé immédiatement, toutes affaires cessantes, que je pouvais être heureux, pour aucune autre raison que j’en avais le droit. 

 

Le camping -car

Si les moquerie de mes camarades me mettaient mal à l’aise , c’est parce que je sentais qu’elles visaient bien plus que des vacances : notre identité familiale , notre mode de vie , notre « style » , la personnalité de mes parents , donc l’éducation que je recevais d’eux. Partir en camping-car révélait un certain niveau de revenu, mais aussi l’absence de traditions familiales et de racine ; un certain capital culturel, et aussi un manque de savoir-vivre ; une inclination au ridicule, mais aussi une liberté d’esprit, une capacité de détachement, par fierté ou indifférence au qu’en-dira-t-on.

Liberté

j’étais libre parce qu’il n’y avait pas de ceinture à l’arrière et que nous nous déplacions dans l’habitacle pendant les trajets
 parce que je pouvais flâner dans les musées sans les visiter
 parce que je pouvais rester des heures à jouer dans les vagues
 j’étais libre parce qu’on campait n’importe où, sur les plages, les débarcadère, les parkings, au bout des jetées , dans les clairières
parce que mon sac de couchage était un vaisseau spatial, avec des manettes et des cadrans intégrés
j’étais libre parce que aucun cahier de vacances ne venait prolonger le travail scolaire de l’année
parce qu’une pression se relâchait
l’urgence était suspendue
parce qu’on changeait de destination tous les ans
parce que nos spots ne figuraient sur aucun guide de voyage
et que cela ne coûtait rien de se perdre, l’égarement n’étant qu’un autre chemin
j’étais libre de m’éprouver Juif errant, tout en étant protégé par un État 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je n’ai pas trop accroché à ce roman qui possède pourtant des qualités certaines. Un homme, devenu SDF par manque d’amour et de réussite passe son temps sur la frontière Franco-Italienne dans les Alpes. Il y croise un autre « chemineau » qui a été moine chartreux autrefois et à eux deux, ils représentent ceux que notre société ne peut pas accepter : des itinérants qui n’attendent plus rien de la société des hommes. Coublevie, notre SDF, s’arrête parfois dans le Café du Nord, lieu de réunion d’une bande de paumés alcoolisés. Mais dans ce café vit aussi Camille, la fille du bistrotier, qui éveille des convoitises masculines, car elle est jeune et si belle. Et puis c’est le drame, un des habitués est retrouvé assassiné.
Je ne vous en dis pas plus car je divulgâcherai ce roman. La force de son propos tient dans le fait que nous sommes dans la tête de Robert Coublevie qui est loin d’avoir les idées claires. Ce roman m’a fait un peu penser à Farrago, qui est un de mes romans préférés. On suit ici aussi une errance de quelqu’un qui a si peu de chance de s’en sortir mais qui connaît très bien la nature où il trouve refuge. Ici, c’est la montagne et cela nous vaut de très belles descriptions. D’où viennent donc, mes réserves ? Certainement de l’aspect répétitif des situations et des descriptions. Le cerveau embrumé de Robert a peu à peu endormi mon intérêt. Mais je suis sûre que ce roman peut trouver son public et j’y ai trouvé de très belles pages.

Citations

 

Portrait

J’ai pas encore parlé de Tapenade, un autre habitué du café du Nord, une relation de bureau en quelques sortes, retraités agent supplétif, j’en sais rien, mais un type heureux, fier d’être en vie et surtout fier de rien branler, avec un bon sourire de Chérubin céleste et, juste au-dessus, un tas de cheveux gras et filasse que c’en est une désolation. Le vrai poivrot des jours heureux… Mounir l’appelle première pression à froid mais c’est un peu long et le type boit jamais bière, seulement des petits jaunes… Je préfère Tapenade.

Réflexion

La mémoire, c’est un piège. Elle rassemble nos échecs et nos déceptions, elle classe toutes ces misères, elle les accumule dans le foutoir intime, là où ça pourrit sans ordre et sans façon. Crois-moi, elle nous fait vraiment souffrir, la mémoire, genre élancements dentaux, vieilles caries qui se réveillent. 

Réflexion dans une chapelle

C’est pas Dieu qui importe. C’est ce truc-là, le téléphone. On passe notre vie à le tapoter, le guetter, le consulter et, dès qu’il reste muet une demi-heure, on pète de trouille. On a vraiment peur qu’il reste silencieux. Avec Dieu, le silence, quand même, on a l’habitude.

Paysage de montagne

On arrive à la chapelle de Constance avec sa petite croix en pierre, sa fontaine dans un tronc de mélèzes, ces fleurs et son toit de bardeaux. 
Je la connais, cette chapelle.
 C’est là, dans un recoin, le long du ruisselet canalisé en fontaine, que sortent les premières violette, les toutes premières de l’année, celle qui sentent la guimauve, l’enfance et la Résurrection. Cette fois, en plus des violettes, l’églantier est en boutons… Je tends le.doigts vers les roses sauvages qui pointent leur nez au milieu des épines.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Après « la Fractale des Raviolis » et « la Variante chilienne » voici « Habemus Piratam », et je sais que les puristes vont me reprocher d’avoir oublié « La baleine Thébaïde » mais je la retrouverai bien un jour cette baleine. Ma photo dit mon angoisse : par quel câble pourrait passer le célèbre hacker Alexander pour pirater mon ordinateur et s’installer sur Luocine pour vanter des livres que je n’aurais même pas lus ? Je me joins à Dasola pour vous dire  : « quel roman et que de dangers romancés ou pas court notre monde sur les différents « cloud » « dark-web » et autres faces cachées de sites à l’allure inoffensive » . Comme l’auteur est Pierre Raufast , ne vous attendez pas à faire facilement la part entre le vrai du faux, et surtout ne faites pas trop confiance à vos recherches sur Internet , car le diable d’homme est capable de créer de fausses références sur Google. Le plus important n’est pas là , laissez vous emporter par son imagination sans limite et dites-vous bien que pour un hacker, rien n’est impossible, même pas devenir propriétaire de la Sainte Chapelle … Et puis entre temps vous vous amuserez avec les histoires d’un petit village de montagne où on a failli se battre pour une histoire de petite culotte.

Bref un moment de lecture comme je les aime, jouissif , mais aussi un poil inquiétant, pas tant pour l’acte de propriété de la Sainte Chapelle que pour la capacité de nuisance des malfaisants sur le Net, comme ceux qui font que tous les jours, je supprime 15 à 20 commentaires sur mon blog : pour des placements financier, des médicaments moins chers et aussi efficaces que ceux que vous trouverez en pharmacie, pour des substitut du viagra mille fois plus puissants, pour des images pornographiques de femmes ou d’hommes, pour des rencontres « hot » avec des partenaires de votre choix. Bref des pollueurs qui ne sont que des robots mais qui ne m’amusent pas tellement. Alors que, le roman de Pierre Raufast m’a lui, beaucoup amusé. Et la morale est pratiquement sauve , enfin presque ! vous jugerez par vous même.

 

Citations

 

Est ce vrai ?

De fil en aiguille, il repensa à ce décret de Nicolae Ceausescu, interdisant la pratique du Scrabble car « trop intellectuel et subversif ». Et s’il avait eu raison ?

J’aime l’humour de cet auteur :

Le prêtre se passa la main sur le visage. Il n’était ici que depuis deux ans, mais connaissait déjà tous les vices de ses petits vieux -les seuls à venir se confesser chaque vendredi dès sept heures du matin.
Cela ne volait pas très haut : des cerises chapardées dans un verger, un home se soulageant régulièrement dans le puits d’un voisin pour perpétuer la vengeance de son père et une rixe datant de 1923, quelques lettres anonymes dénonçant un pain trop cuit ou des cadavres de bouteilles mal triées dans le local poubelle.
Des crimes ordinaires dans ce village de trois mille habitants, perché en haut de la vallée de Chantebrie.

Les commérages

Francis remarqua que la vieille avait posé ses sacs de courses à terre et s’était installée dans sa verticalité, ce qui augurait une bonne demi-heure de bavardages oiseux

Les joies des hackers

Une fois dans le réseau d’entreprise, je ciblai la machine de production qui contrôlait les énormes transformateurs centraux. De la belle machine, un logiciel très performant…Mais qui datait de 1993. Autant dire une antiquité, dans notre métier. Cette version d’Unix ressemblait à un gruyère suisse. Je n’avais que l’embarras du choix pour devenir « root  » et maître du monde.
Les informaticiens de cette entreprise avaient toutefois bien fait les choses. Conscients des risques de ce système obsolète et de la gravité des enjeux, ils l’avaient isolé derrière un pare-feu. Un peu comme le portier d’une boîte de nuit qui contrôle qui rentre et qui sort.
Pour administrer ce pare-feu, ces génies avaient créé des comptes avec des mots de passe sans doute long comme le bras. Mais ils avaient oublié d’effacer les comptes par défaut installée par le constructeur.
Utilisateur :admin. Mot de passe ; admin.
J’adore mon boulot. C’est comme faire le tour d’une maison cadenassée et y trouver une fenêtre ouverte par mégarde. Jubilatoire.

Tout se pirate …..

Pirater un ordinateur « air gap », c’est à dire déconnecté d’un réseau, est le Graal de tout hacker.

Tactiques de pirates informatiques

Voilà comment on pénètre un Fort Knox informatique : en prenant tout son temps , en avançant doucement mais sûrement , en passant par le fiston et sa peur de décevoir papa . Ici , comme ailleurs, les points faibles sont souvent humains. Il suffit d’exploiter une des émotions primaires : la peur, la colère, l’amour ou la tristesse.

 

 

Traduit de l’américain par Mathilde Bach

 

Bien présenté par mes blogs préférés, je savais que je lirai à mon tour ce roman de 952 pages (en édition poche). Aucune déception et un coup de cœur pour moi, je rejoins Keisha, Jérôme, Kathel pour dire que ce premier roman de Nathan Hill est un coup de maître. Son seul défaut est d’avoir voulu tout raconter l’Amérique qui va mal en un seul roman. Tout ? pas complètement puisque le racisme n’y est pas évoqué. Le fil conducteur est tenu par Samuel abandonné par sa mère à l’age de 11 ans, il est devenu professeur de littérature dans une petite université, le roman raconte sa quête pour retrouver et comprendre sa mère. Il fera face d’abord à une certaine Laura, étudiante qui a mis le principe de la triche au cœur de son activité intellectuelle ; puis, on le voit passer son temps à jouer dans un monde virtuel où il tue, des nuits entières, des dragons et des orques, on découvre grâce à cela l’univers des joueurs « drogués » par les jeux vidéo. À cause de cette passion nocturne il est bien le seul à ne pas savoir que sa mère fait le « buzz » sur les réseaux sociaux. On la voit sur une vidéo qui tourne en boucle jeter des cailloux sur sur un candidat à la présidence des Etats-Unis, un sosie de Trump, un certain Parker qui ressemble tant au président actuel. Pour que Samuel comprenne le geste de sa mère, il faudra remonter aux événements qui ont secoué Chicago en 1968 et pour mettre le point final à cette longue quête retrouver les raisons qui ont fait fuir la Norvège au grand-père de Samuel en 1941. Toutes les machinations dont sont victime Samuel et sa mère ne sont finalement l’oeuvre que d’un seul homme qui a tout compris au maniement des médias et à celui des foules ? Je ne peux pas en dire plus sans divulgâcher l’intrigue romanesque.

Mais pour moi ce n’est pas l’essentiel, ce qui m’a complètement accrochée, c’est le talent de Nathan Hill pour décrire différentes strates de la société nord-américaine. Quand il nous plonge dans le monde des joueurs complètement drogués aux jeux vidéo, on sent qu’il s’est parfaitement renseigné sur leurs habitudes et le roman devient pratiquement un documentaire, je ne savais pas que l’on pouvait s’enrichir en vendant des objets virtuels qui n’existent que dans un jeu. Les mœurs des étudiants américains nous sont plus familières : il y a du Philippe Roth dans les ennuis de Samuel avec le politiquement correct de l’université mené par une étudiante qui préfère tricher plutôt que travailler.
Les entreprises américaines qui se soucient si peu de leurs employés, la police de Chicago qui, en 1968, s’est comportée plus comme une milice néo-fasciste que comme une police d’une grande démocratie, et les manœuvre des candidats à la présidence des Etats-Unis tout cela enrichit le roman peut être trop ? Je remarque que plus les romans français s’allègent plus les romans nord-américains s’allongent.

 

Citations

Portrait

Il sait bien à quel point c’est désagréable et condescendant de corriger la grammaire de quelqu’un dans une conversation. C’est du même ordre que d’être à une fête et relever le manque de culture de son voisin,c’est d’ailleurs précisément ce qui est arrivé à Samuel lors de sa première semaine à l’université. Dans un dîner de présentations organisé chez la doyenne de l’université, sa patronne,une ancienne prof de Lettres qui avait grimpé les échelons administratifs un à un. Elle avait bâti le genre de carrière académique tout à fait typique  : elle savait absolument tout ce qu’il y avait à savoir dans un domaine extraordinairement restreint (sa niche à elle, c’était la production littéraire pendant la Grande Peste) . Au dîner, elle avait sollicité son avis sur une partie spécifique des « Contes de Canterburry », et, lorsqu’il avait hésité, s’était écriée, un peu trop fort :  » Vous ne l’avez pas lu ? Oh, ça alors, doux Jésus. « 

Le produit livre

Je construit des livres. C’est surtout pour créer une valeur. Un public. Un intérêt. Le livre, c’est juste l’emballage, le contenant….ce qu’on crée en réalité, c’est de la valeur. Le livre,c’est juste l’une des formes sous lesquelles se présente cette valeur, une échelle, un emprunt.

Hypocondriaque

Il était d’une franchise et d’une impudeur totales sur les détails de son état. Il parlait comme les gens atteints d’une maladie terrible, de cette manière qu’a la maladie d’éclipser toute notion de pudeur et d’intimité. Racontant par exemple son désarroi en matière de priorité quand il avait la diarrhée et la nausée  » en même temps »

Les nouvelles mode pour les régimes alimentaires américaines.

Je vais commencer un nouveau régime bientôt. Le régime pléisto . T’ en as entendu parler ?
-Nan.
-C’est celui où tu manges comme au pléistocène. En particulier l’époque tarentienne, dans la dernière période glaciaire. – Comment on sait ce qu’ils mangeaient au pléistocène  ?
-Grâce à la science. En fait, tu manges comme un homme des cavernes, sauf que t’as pas à t’inquiéter des mastodontes. Et en plus, c’est sans gluten. L’idée, c’est de faire croire à ton corps que tu as remonté le temps, avant l’invention de l’agriculture.

Mœurs capitalistes aux USA

Sa société déposa le bilan. Et ce, malgré le mémo qu’elle avait diffusé auprès de ses employés deux jours seulement auparavant, annonçant que tout allait pour le mieux, que les rumeurs de faillite étaient exagérées, qu’ils ne devaient en aucun cas vendre leurs actions, voire qu’il pouvait même penser en acquérir davantage vu leur dévaluation actuelle. Henri l’avait fait, il y avait appris par la suite qu’au même moment leur PDG revendait toutes ses parts. Toute la retraite de Henry était ainsi passée dans un tas d’actions qui ne valaient plus un clou, et lorsque la société sortit de la faillite et émit de nouvelles actions, elle ne furent proposées qu’au comité exécutif et aux gros investisseurs de Wall Street. Henri se retrouva donc sans rien. Le confortable bas de laine qu’il avait mis des années à remplir s’était évaporé en un seul jour.

Tricher

Et cependant, même de cela elle doutait, car si ce n’était pas grave qu’elle triche pour un devoir, alors dans ce cas pourquoi ne pourrait-elle pas tricher pour tous les devoirs. Ce qui était un peu embêtant car l’accord qu’elle avait passé avec elle-même au lycée quand elle avait commencé à tricher, c’est qu’elle avait le droit de tricher autant qu’elle voulait maintenant à condition que plus tard, quand les devoirs deviendraient vraiment important, elle se mette à travailler pour de vrai. Ce moment n’était pas encore arrivé. En quatre ans de lycée et une année d’université, elle n’avait rien étudié étudier qu’elle puisse qualifier de vraiment important. Donc elle continuait à tricher. Dans toutes les matières. Et à mentir. Tout le temps. Sans le moindre sentiment de culpabilité.

Fin d’une discussion avec une étudiante qui a copié son de voir sur internet

Laura sort en trombe de son bureau et,une fois dans le couloir, se retourne pour lui crier dessus : « Je paie pour étudier ici ! Je paie cher ! C’est moi qui paie votre salaire,vous n’avez pas le droit de me traiter comme ça ! Mon père donne beaucoup d’argent à cette école ! Bien plus que ce que vous gagnez en un an ! Il est avocat et vous allez avoir de ses nouvelles ! Vous êtes allé beaucoup trop loin ! Vous allez voir qui commande ici »

Humour

Tu serais étonné du nombre de médicaments très efficaces qui ont été développés à l’origine pour traiter les problèmes sexuels masculins. C’est, concrètement, le moteur principal de toute l’industrie pharmaceutique. Remercions le Seigneur que les dysfonctionnement sexuel masculin existent.

La retraite

Tous les endroits semblaient aussi horribles les uns que les autres, car ce qu’on ne dit jamais sur les voyages à la retraite, c’est que pour en profiter il faut pouvoir supporter un minimum la personne avec qui vous voyagez. Et rien que d’imaginer tout ce temps passé ensemble, en avion, au restaurant, dans des hôtels. Sans jamais pouvoir échapper l’un à l’autre, le côté de leur arrangement actuel était qu’il pouvait toujours prétendre que la raison pour laquelle ils se voyaient si peu, c’était qu’ils avaient des emplois du temps chargés, pas qu’ils se détestaient cordialement.

Un concerto dont il est question dans ce roman

Max Bruch n’a pas reçu un centime pour cette oeuvre

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Ce roman a été chaudement défendu par une partie des lectrices du Club et cela lui a valu de participer « au coup de cœur des coups de cœurs » de l’année 2017/2018.
J’avais déjà essayé de le lire, mais l’écriture m’avait immédiatement rebutée. Je ne suis pas à l’aise lorsque je sens que, de façon artificielle, l’écrivain adopte une style « poétique » . Ici , cela passe par des mots vieillis qui ne rajoutent pas grand chose au récit : Corroyage, Extrace, Hierophante, Hongroye. Et puis par un rythme de phrases très particulier. L’écrivain dit qu’il a voulu décrire le basculement d’une petite ville de province : Besançon qu’il ne nomme pas (mais il dit que c’est la ville où est né Victor Hugo), vers le monde moderne pendant les années 1970/1980. Mais ce n’est vraiment qu’une toile de fond très lointaine à une vie de famille totalement perturbée par la mort d’un jeune enfant, le petit frère du narrateur. Sa mère va continuer à le faire vivre dans son imaginaire et dans sa folie, elle lui dresse un couvert, fait son lit, achète des vêtements et des fournitures scolaires pour lui…. Le père essaiera d’oublier tout cela dans l’alcool. Mais ce drame semble très lointain car il est vu à travers les yeux d’un enfant. Je pense que la seule façon d’aimer ce livre c’est d’aimer la langue de cet auteur, langue à laquelle je n’ai pas été sensible. Les deux passages que j’ai notés vous permettront, je l’espère, de vous faire une idée par vous même.

Citations

le linge qui sèche

Marguerite-des-Oiseaux possédait des culottes semblables à des voiles. Des culottes de trois trois-mâts que l’on imaginait gréées sur son fessier et que le moindre pet gonflait comme un grand foc afin de la propulser de la cuisine aux latrines. Les culottes de grand-mère, simples esquifs, ne prenaient pas le large et ressemblaient plutôt à des taies d’oreiller munies de deux grands trous. Celles de maman étaient à peine un peu moins prudes et formaient presque un V du côté de l’entre-cuisse. Quant aux slips de Lucien : inexistants. Elle les pendait ailleurs, Fernande, avec ses culottes à elle, dans un bûcher fermé à clé, hors de la vue des cuistres. Quand on a épousé un Monsieur d’importance qui possède pardessus, brillantine et joues flasques, on exhibe pas ces choses de basse extrace aux yeux du tout-venant.

Effet de style « poétique »

 Il possédait en lui, quelque chose d’inné, de bestial, comme un cri des cavernes lorsqu’un premier orage illumina la grotte ; un cri qui se serait transmis le silex en silex, de tison en disant, de feu en feu, de foyer en foyer, de forge en forge, et qui aurait fini par échouer, ici, entre ses mains de forgeron, comme il l’était sans doute écrit de toute éternité tant il semblait évident que Jacky avait dû naître d’un ventre de fer en fusion entre deux cuisses de lave au temps des grandes fissures cambriennes tandis que les volcans projetaient dans les menus quelques myriades d’enclumes phosphorescentes.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière.

Laissez moi vous dire une chose. On est jamais trop vieux pour apprendre.


Après Dominique, Kathel, Keisha et tant d’autres, je viens vous recommander la lecture de cette épopée. Voici le sujet, tel que le raconte la quatrième de couverture :

«  lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-et-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l’Odyssée d’ Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s’affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d’une croisière thématique sur les traces d’Ulysse. »

 Daniel Mendelsohn a écrit un roman concernant la famille de sa mère assassinée lors des massacres de la Shoah : « Les Disparus » -récompensé par le prix Médicis en 2007-, livre qui m’avait beaucoup marquée . (C’était avant Luocine, et je me promets de le relire). Il consacre donc ce temps romanesque et son talent d’écrivain à la quête de la personnalité de son père. Il le fait à travers l’analyse minutieuse de l’Odyssée, ce si difficile retour d’Ulysse vers son royaume d’Ithaque, son épouse Pénélope et son fils Télémaque. On y retrouve tous les récits qui ont construit une partie de notre imaginaire. Ulysse et ses ruses, Pénélope et sa fidélité à toute épreuve, Télémaque, ce fils qui recherche son père, mais aussi le Cyclope, Circé, Calypso, les enfers… tous ces récits, grâce au talent du professeur Daniel Mendelsohn, nous permettent de réfléchir à la condition humaine. On aurait, je pense, tous aimé participer à ce séminaire au cours duquel ce grand spécialiste de la littérature grecque et latine, n’assène pas son savoir mais construit une réflexion commune aux participants et au professeur grâce aux interventions pertinentes de ses étudiants. Je n’ai pas très bien compris si tous connaissent le grec ancien ou si (comme cela me semble plus probable) seul le professeur peut se référer au texte originel. L’épopée prend vie et se mêle à la quête de l’auteur. Qui se cache derrière ce père taiseux, incapable de montrer ses sentiments à ses enfants ou à son épouse ? Certainement plus que la personnalité d’un père ingénieur devant lequel son fils tremblait avant de lui avouer qu’il ne comprenait rien aux mathématiques. Au détour d’une réaction d’étudiant, d’une phrase analysée différemment, nous comprenons de mieux en mieux ces deux fortes personnalités si différentes. On se prend à rêver que tous les pères et tous les fils sachent un jour entreprendre ce voyage vers une réelle connaissance de l’autre. Daniel est écrivain et professeur, le chapitre intitulé ‘Anagnorisis« , où il s’agit bien de « reconnaissance » se termine ainsi :
Quand vous enseignez, vous ne savez jamais quelles surprises vous attendent : qui vous écoutera ni même, dans certains cas, qui délivrera l’enseignement.
Et il avait commencé 60 pages auparavant de cette façon :
Une chose étrange, quand vous enseignez, c’est que vous ne savez jamais l’effet que vous produisez sur autrui ; vous ne savez jamais, pour telle ou telle matière, qui se révéleront être vos vrais étudiants, ceux qui prendront ce que vous avez à donner et se l’approprieront -sachant que « ce que vous avez appris d’un autre professeur, une personne qui s’était déjà demandé si vous assimileriez ce qu’elle avait à donner….
Quel effet de boucle admirable et toujours recommencée, oui nous ne sommes au mieux que des transmetteurs d’une sagesse qui a été si bien racontée et mise en scène par Homère. J’ai beaucoup de plaisirs à raconter les exploits d’Ulysse à mes petits enfants qui s’émerveillent à chaque fois du génie du rusé roi d’Ithaque, j’ai retrouvé le livre dans lequel enfant j’avais été passionnée par ces récits. Et je crois que comme le père et le fils Mendelsohn, j’aimerais faire cette croisière pour confronter mes souvenirs de récits à ces merveilleux paysage de la Grèce.
Peut-être que comme Jay, je trouverai que l’imaginaire est tellement plus riche que la réalité, et puis hélas je n’ai plus de parents à retrouver car il s’agissant bien de ça lors de cette croisière « sur les pas d’Ulysse » permettre à Daniel de retrouver la facette qu’il ne connaissait pas de son père, celui qui sait s’amuser et se détendre et faire sourire légèrement la compagnie d’un bateau de croisière. Bien loin de l’austère ingénieur féru de formules de physique devant lequel tremblait son plus jeune fils.

Citations

Relations d’un fils avec un père qui n’aime pas qu’on fasse des petites manières ou des histoires.

Lorsque mon père racontait cette histoire, il passait rapidement sur ce qui, à moi, me semblait être la partie la plus intéressante – la crise cardiaque, sa précipitation, à mon sens, poignante à rejoindre mon grand-père, l’action, en un mot – et s’étendait sur ce qui avait été pour moi, à l’époque, le moment le plus ennuyeux : les rotations de l’avion. Il aimait raconter cette histoire, car pour lui, elle montrait que j’avais très bien su me tenir : j’avais supporté sans me plaindre l’assommante monotonie de tous ces ronds dans l’air, de tout cette distance parcourue sans avancer. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait mon père, qui avait horreur que l’on fasse des histoires, et même à cette époque, malgré mon jeune âge, je comprenais vaguement qu’en donnant une légère inflexion caustique au mot « histoires », c’était en quelque sorte ma mère et sa famille qu’il visait. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait papa d’un hochement de tête approbateur. « Il est resté sagement assis, à lire, sans un mot ».
 De longs voyages, sans faire d’histoires. Des années ont passé depuis ce long périple de retour, et depuis, j’ai moi-même eu à voyager en avion avec des enfants en bas âge, et c’est pourquoi, lorsque je repense à l’histoire de mon père, deux choses me frappent. La première, c’est que cette histoire dit surtout à quel point « lui » s’était bien tenu. Elle témoigne de la façon exemplaire dont il a géré tout cela, me dis-je maintenant : en minimisant la situation , en faisant comme s’il ne se passait rien d’anormal, en donnant l’exemple et restant lui-même tranquillement assis, et en résistant -contrairement à ce que j’aurais fait car, à bien des égards, je suis davantage le fils de ma mère et le petit-fils de Grandpa – à la tentation d’en rajouter dans le sensationnel ou de se plaindre.
La seconde chose qui me frappe quand je repense aujourdhui à cette histoire, c’est que pendant tout le temps que nous avons passé ensemble dans l’avion , l’idée de nous parler ne nous a pas effleurés un instant.
Nous avions nos livres et cela nous suffisait.

Les questions que posent les récits grecs et qui nous concernent toujours.

Nous savons bien sûr que « l’homme » n’est autre Ulysse. Pourquoi Homère ne le dit-il pas d’emblée ? Peut-être parce que, en jouant dès l’abord de cette tension entre ce qu’il choisit de dire (l’homme) et ce qu’il sait que nous savons (Ulysse), le poète introduit un thème majeur, qui ne cessera de s’intensifier tout au long de son poème, à savoir : quelle est la différence entre ce que nous sommes et ce que les autres savent de nous ? Cette tension entre anonymat et identité sera un élément clé de l’intrigue de l’odyssée. Car la vie de son héros dépendra de sa capacité de cacher son identité à ses ennemis, et de la révéler, le moment venu, à ses amis, à ceux dont il veut se faire reconnaître : d’abord son fils, puis sa femme, et enfin son père.

Message d Homère

 L’Odyssée démontre la vérité de l’un des vers les plus célèbres et les plus troublants, que le poète met dans la bouche d’Athena à la fin de la scène de l’assemblée : »Peu de fils sont l’égal de leur père ; la plupart en sont indignes, et trop rares ceux qui le surpassent. »

Le plaisir des mots venant du grec

Les récits de Nestor sont des exemples de ce que l’on appelle les récits du « nostos ». En grec, « nostos » signifie « le retour ». La forme pluriel du mot, « nostoi », était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée au retour des rois et chefs de guerre grecs qui combattirent à Troie. L’Odyssée est-elle même un récit du « nostos », qui s’écarte souvent du voyage tortueux d’Ulysse à Ithaque pour rappeler, sous forme condensée, Les « nostoi » d’autres personnages, comme le fait ici Nestor -presque comme s’il craignait que ces autres histoires de « nostoi » ne survivent pas à la postérité. Peu à peu, le mot « nostoi », teinté de mélancolie et si profondément ancrée dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, « algos », pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amère que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie « la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer », mais comme nous le savons, ce foyer, surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est « nostalgie ».

L’implication de l’écrivain dans le récit de l’odyssée

J’avais hâte d’aborder l’épisode de la cicatrice d’Ulysse, où se trouve mêlé dans deux thèmes essentiels de l’Odyssée : la dissimulation et la reconnaissance, l’identité et la souffrance, la narration et le passage du temps. Mais une fois de plus, j’ai dû me rendre à l’évidence, les étudiants ne s’intéressaient pas du tout au même chose que moi. Seul Damien, le jeune Belge, avait parlé de la cicatrice d’Ulysse sur notre forum. Sans doute, me dis-je, est-ce parce que je suis écrivain que cette scène me fascine plus qu’eux : car tout l’intérêt de la composition circulaire est de fournir une solution élégante au défi technique qui se présente à quiconque veut entrelacer le passé lointain à la trame d’un récit au présent en gommant les sutures.

Pour comprendre ce passage, il faut savoir que l’auteur est homosexuel. Cela avait été difficile pour lui de le dire à ses parents. Mais son père ne l’avait pas jugé à l’époque. Il est en train de faire une croisière sur « les pas d’Ulysse ». Il est adulte et son père est très vieux. Dialogue père fils

Papa, attends, insistai-je. Donc, si je comprends bien, il y a eu un garçon gay amoureux de toi dans le Bronx, c’est de lui que te vient ton surnom de « Loopy », et tu n’as jamais songé à m’en parler ?
Mon père baissa les yeux. C’est simplement, Dan, que… Je ne savais pas trop comment t’en parler.
Que répondre à cela ? Alors j’ai fait comme mon père : j’ai été sympa avec lui.
C’est bon, dis-je. Au moins, maintenant, c’est fait. Bon Dieu, papa…
Il appuya sur un bouton de son iPad et l’ Iliade émit une lumière bleutée dans la pénombre. Ouais, on dirait… Puis il leva les yeux et dit : c’est une croisière sur l’Odyssée, n’oublie pas. Chacun a une histoire à raconter. Et chacun a… son talon d’Achille.
Oui, sans doute.

Traduit de l’allemand par Georges STURM. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Il est très rare que je lise des romans policiers, mais c’est tout l’intérêt de ce club de lecture : se laisser guider vers des romans que j’ignorerais autrement. Ce roman permet de revivre le terrible hiver 1947 à Hambourg. Il y a fait un froid sibérien de janvier à mars. Et dans cette ville bombardée qui n’a pas encore eu le temps de se reconstruire, la population grelotte, a faim et vit pour une grande’ partie des plus pauvres dans des conditions de promiscuité terribles. Beaucoup de gens fuyant les russes, ou n’ayant plus de maison s’entassent dans des hangars ou des bunkers et doivent leur survie à la fouille des décombres laissés par les bombardements. Sur ces ruines, quatre corps nus seront découverts, un homme deux femmes et une fillette (le fait est réel, la police n’a jamais pu savoir qui étaient ces gens et n’a pas pu trouver leur assassin). L’enquête est menée par un policier Frank Stave, un adjoint qu’il n’apprécie pas Maschke, un anglais (Hambourg est encore en 1947 sous domination britannique) James C. MsDonald. La vie après le IIIe Reich à Hambourg est beaucoup plus passionnante que l’enquête elle-même (mais c’est une non-spécialiste du genre « policier » qui le dit !).

Au début j’étais gênée par le côté larmoyant du policier : oui les Allemands ont souffert après la guerre mais étant donné le traitement qu’ils avaient réservé à l’Europe, je me sentais peu de compassion. Et puis, peu à peu, les personnages se sont étoffés et on sent que pour revivre, l’Allemagne doit faire face à son passé, beaucoup essaient de le faire, mais aussi que l’on ne peut pas tourner la page brusquement. Les Allemands qui avaient vu leurs maisons détruites par les bombes anglaises étaient dans la misère et dans le désespoir car ils se sentaient aussi coupables que victimes. Cela donne une ambiance étrange que cet écrivain a parfaitement rendu. On sent aussi qu’il faudra beaucoup de temps pour que les Allemands prennent conscience de l’étendue des horreurs que les nazis ont commises. Hambourg est rempli de réfugiés, de personnes déplacées, mais aussi de bourreaux qui se cachent parmi tous ces gens et espèrent ainsi échapper à la justice.

Ce roman plaira sans doute aux amateurs des enquêtes policières, avec des flics un peu glauques et ayant trop vu d’horreurs pour garder confiance dans la bonté des hommes. Mais même les non-lecteurs du genre aimeront ce roman qui se situe à une époque très intéressante, celle où les Allemands n’ont pas encore réalisé l’étendue des horreurs nazies et où ils doivent mettre leur fierté dans leur poche et accepter que les vainqueurs qui les occupent et qui ont détruit leurs villes soient les maîtres de leur pays.

Citations

En 1947 à Hambourg

Il arrive que de jeunes Hambourgeois, dont certains viennent juste d’être libérés d’un camp de prisonniers des Alliés, chahutent des soldats britanniques dans les rues sombres, par fierté nationale comme ils disent, sans toutefois oser aller plus loin. Stave quant à lui ne ressent aucune haine des occupants, même si c’est bien une bombe anglaise qui lui a ravi Margarethe. Confusément, il se sent honteux des crimes des nazis, et c’est pourquoi, même si l’idée lui paraît perverse, il se sent libéré d’un poids face aux dévastations de la ville et à sa vie anéantie. Une perte et des privations comme punition méritée. On est devant des temps nouveaux. Peut-être.

Les survivants des camps 1947 Hambourg

Et quand un solliciteur a supporté patiemment toutes les humiliations, la Croix-Rouge lui accorde une ration spéciale : un pain, une boîte de corned-beef, cinq tickets repas- déjeuner dans une cantine publique, huit semaines de rations supplémentaires sur la présentation de la carte. C’est tout. Parce que les praticiens de la chambre des médecins de Hambourg ont décrété, je cite,  » qu’en règle générale l’état sanitaire et le niveau d’alimentation des détenus des camps est absolument satisfaisant ».