Édition mercure de France

 

Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et les dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur.

 

Un livre précieux d’une rare délicatesse sur un sujet sensible, l’exil des populations indiennes vers l’île Maurice pour être employées dans les plantations de cannes à sucre. Nathasha Appanah a déjà décrit sous forme de roman – Les rochers de Poudre d’or– cet aspect de la colonisation . J’avais fait de ce roman un coup de coeur contrairement à « la noce d’Anna » , mais j’aime beaucoup le style pudique de cette écrivaine que j’avais découvert dans « le ciel au dessus des toits », c’est elle, encore qui m’avait fait découvrir un aspect peu connu de la deuxième guerre mondiale dans « le dernier frère » .

Cette fois l’écrivaine parle de sa propre famille, et on sent toute la pudeur que cette famille qui l’a tant aimée et combien cela a rendu difficile ses recherches sur leur passé. Sa famille arrive dans l’île en 1834, comme elle le raconte déjà dans « les rochers de Poudre d’or » franchir l’océan Indien était à cette époque un tabou total pour les croyants hindous. Mais la misère et la faim sont certainement des moteurs plus forts que la religion. Elle a bien connu ses grands-parents qui sont sortis du système des plantations, son grand père a eu un geste violent contre un contre-maître. À cette occasion l’écrivaine raconte combien les indiens ont toujours prétendus être de bons employés respectueux de leurs supérieurs. Personne ne s’enorgueillit du geste du grand-père, bien au contraire.

Elle regrette que sa grand-mère ne lui ait pas appris le « telugu » sa langue maternelle, elle n’a pas non plus cherché à lui donner la religion hindou, sa petite fille était dans le monde moderne : celui de l’anglais du français et de la religion catholique. En revanche, elle lui a appris à faire « ce qu’il faut  » sans jamais être vulgaire. Le mariage de sa grand-mère avait été arrange par des « marieuses » qui sont allées un peu vite en besogne, sans doute pour que les autorités ne sachent pas que ce jour là on mariait des enfants : le grand-père avait 14 ans et sa future femme 12. Pour faire encore plus vite ce jour là on organise le mariage de deux personnes son grand-père et son cousin. Comme le cousin est très petit contrairement au grand père qui mesure 1 mètre 80, on lui a choisi une petite femmes. Mais les deux mariages se sont passés si vite que le grand-père s’est retrouvé avec la femme qui était destinée à son cousin … Le couple s’est bien entendu et aura une dizaine d’enfants.( Dont le père de l’auteure).

L’ensemble de ce témoignage, m’a beaucoup touchée mais je garde en mémoire un passage en particulier : le père de Nathacha Appanah , décide un jour de faire visiter l’Inde à son père et de retrouver leur village d’origine. Ce voyage avait été préparé depuis longtemps et devait durer un mois, mais le grand-père est revenu au bout d’une semaine, le grand-père était trop triste de voir l’extrême pauvreté dans laquelle vivaient les gens de son village natal. Il est revenu en disant je suis Mauricien ! Pour moi cela souligne bien l’impossible retour aux origines de ceux qui s’exilent pour réussir.

Le livre est agrémenté de photos qui sont autant de jalons de la vie de l’auteure, je suis très émue par celle-ci. Je trouve beaucoup de force à cet homme aux bras ballants et une telle inquiétude dans les yeux de cet enfant aux jambes trop maigres dans des chaussures trop grandes.

un billet chez Mot à Mot 

Extraits

 

 

Début avec en illustration une superbe photo d’un vol d’étourneaux.

Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame -jeanne.
 Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat aux vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout-à-bout ces mots forment une phrase et soudain cette phrase serait ma première, mon évidence.

L’arrivée des coolies indiens.

 Mon trisaïeule porte le numéro 358444, il avait 45 ans. Ma trisaïseuille avait 39 ans, les autorités britanniques lui attribuent le 358445 et leur fils, âgé seulement de 11 ans est le numéro 358448. Ces numéros me bouleversent, je sais qu’ils devaient les retenir ou les avoir sur eux comme laissez-passer quand ils se déplaçaient hors de la plantation de champs de canne. Ce sont ces chiffres qui les identifient d’abord et avant tout, pas leur nom qui est trop compliqué, pas leur visage qui ressemble à tant d’autres, pas leur langue que personne ne comprend vraiment.

La peur ancestrale de l’eau.

  À qui vais-je avouer que j’ai peur de l’eau ? c’est ridicule.
 Qu’elle soit bleue, ou verte, ou grise, ou transparente, une fois dedans, dès que je n’ai plus pied, elle m’a fait l’effet d’une eau noire où je vais m’enfoncer, qui va m’avaler entière. Partout c’est pareil. L’océan Indien, l’Atlantique, la Manche, la Méditerranée, les piscines les bras d’eau, les canaux, les réservoirs, les rivières, les bassins.
 Je me demande si on peut être étreint par une croyance ancienne qui n’est pas à proprement parler la vôtre. Je me demande si les peurs peuvent rester tapi pendant plusieurs générations et ressurgir. C’est un sentiment, une incapacité, un tabou qui seraient transmis comme on transmet un trait, une manière de tenir sa cuiller, une façon de marcher.

Sa grand-mère.

Je ne connais pas exactement le nombre d’enfants dont a accouché ma grand-mère. J’ai j’entendu treize, j’ai entendu quinze. Seuls sept ont survécu : quatre filles et trois garçons. Enceinte, ma grand-mère travaillait jusqu’au dernier moment dans les champs. Elle a raconté à ma mère qu’elle ne laissait personne connaître exactement le terme de sa grossesse parce qu’elle ne voulait pas de mauvais œil sur elle et sur son enfant à naître. Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu’elle se sentait fiévreuse et rentrer à la maison. Là, elle accouchait toute seule accroupie sur une toile de jute.

La domination .

Elle qui louait et craignait la trinité hindoue (Brahma, Shiba, Vishnou) entrait dans une église catholique à la veille de chacun de mes examens. Elle allumait une bougie devant la statue de la Vierge Marie et priait pour moi. Et pour les examens de l’école, elle avait plus confiance dans « le dieu des Blancs, le dieu qui parle français et anglais » me confiait-elle.
Voilà un autre des effets de la vie dans les plantations coloniales, de la vie de dominé. On finit par croire que non seulement sa langue maternelle est inférieure mais que dans certains domaines, ses dieux ancestraux le sont aussi ….

 


Édition Sabine-Wespieser

 

Après « Avant que les ombres s’effacent » , voici ma deuxième rencontre avec cet auteur. Et ce récit a été encore un vrai plaisir de lecture, au moins pour les trois quart, j’avoue avoir été moins intéressée par le personnage de Laura qui termine l’histoire de cette étonnante famille italienne, romaine, plus exactement. D’un côté la famille maternelle représentée par une comtesse qui est la quintessence de la noblesse catholique italienne. Le talent de l’auteur c’est de nous la rendre drôle même quand elle tyrannise toute sa famille ; il faut dire qu’elle a eu beaucoup de mérite de garder à flot cette famille car son mari qui ne pense qu’à ses maîtresses a dilapidé toute la fortune la sienne et presque toute celle de sa femme. Il fallait « paraître » et organiser des réceptions pour le gotha romains et cela « la comtesse » sait le faire mieux que tout le monde à Rome. Sa fille, Elena va épouser Giuseppe, un enfant d’une vieille famille juive romaine, le pendant de la comtesse, c’est Zia Rachele qui est la bonté même . Grâce à Giuseppe on découvrira le sort des juifs sous le fascisme et leurs difficultés, même s’ils ont survécu, à oublier leur peur. Dans cette grande maison vit aussi un concierge tout dévoué à Rachele et toute la famille. Ce sont des juifs non pratiquants, mais la soeur de Giuseppe partira vivre en Israël, même si toute sa famille cherche à l’en dissuader, elle partira quand même mais deux ans après l’avoir annoncé.

J’ai moins aimé le personnage de Laura la fille d’Elena et de Giuseppe qui va d’errance en errance sans que l’on sache bien pourquoi, elle permet à l’auteur de décrire les années noires de l’Italie , celles des attentats et des engagements politiques hasardeux. Laura risquera même d’y être mêlée de plus près qu’elle ne l’imaginait en fréquentant son professeur spécialiste de la littérature russe. Elle ne rêvait que d’une aventure sexuelle et sera fort déçue de ne pas parvenir à ses fins. Les rapports de Laura et de sa famille en particulier sa jalousie vis à vis de sa soeur m’ont carrément ennuyée. Dommage, car j’étais bien avec tous les autres membres de sa famille.

Ce qui fait le charme de cet auteur c’est son style et son humour et c’est sans doute plus facile d’avoir de l’humour sur des événements moins tragiques ou plus lointains que les attentats qui ont endeuillé l’Italie des années de jeunesse de Laura .

 

Extraits

 

Début.

« NONNA » ADÉLAÏDE, la grand-mère maternelle de Laura, autrement nommée la « comtessa », qui tenait à ce titre de noblesse hérité du défunt père des enfants -le seul apport conséquent de celui-ci à leur union, selon les dires de la vieille dame-, descendant d’une longue lignée d’aristocrates désargentés .

Un bilan de vie séquelle raconte avec humour.

Au delà de la crainte de lier les dernières années que Dieu lui concédait de vivre avec un tire au flanc libertin et de l’imposer qui pis est, à ses enfants et petits-enfants, elle n’avait nulle envie d’exposer aux yeux d’un inconnu sa nudité chiffonnée – elle n’était pas si décatie non plus. En dernière analyse, si elle n ‘avait connu, bibliquement parlant, que le père de ses enfants, se faire secouer tel un prunier par un érotomane, au moment de se mettre au lit en quête de sommeil bien mérité, ne lui manquait pas le moins du monde, sauf à tisser une liaison qui viendrait l’aider à redorer les lustres ternis au fil des ans…. On n’était jamais à l’abri d’une bonne surprise, n’est ce pas ?

Humour.

 Non par conviction républicaine, si tant est qu’il eût jamais une conviction dans la vie, hormis l’entrecuisse des femmes ….

J’adore cette grand mère .

 Elle avait des principes auxquels elle n’aurait dérogé pour rien au monde, comme laisser choir dans sa gorge quelque breuvage que ce fût qui n’eût transité par de la porcelaine de Limoges ou du pur cristal taillé de Murano, le rebord dûment doré à l’or fin.

Le passage par les psychologues (Leur fille, Laura, demande à ses parents d’aller voir un psychologue )

 … sans s’imaginer un instant qu’avec son mari, ils ouvraient la boîte de Pandore et engageaient leur fille sur une voie tordue de plusieurs décennies, où elle irait de gourou à gourou dans une éternelle insatisfaction. L’un lui laisserait entendre qu’elle était un haut potentiel intellectuel, normal d’être incomprise de la majorité des êtres humains, de niveau plutôt moyen, voire médiocre ; l’autre la traiterait comme une servante, la rabaisserait plus bas que terre, ramassant les miettes dès qu’elle ferait mine de changer de boutique, mais tous lui expliqueraient la nécessité vitale de payer à prix d’or leur écoute, de la budgétiser au même titre, si ce n’est en priorité, que se nourrir et d’avoir un toit sur la tête.

 


Édition Philippe Ry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent

Deux énormes coups de cœur à suivre c’est rare et cela fait du bien !

Ce roman est absolument magique et très prenant. Il s’agit d’une histoire d’amour au sein d’une famille traditionnelle chrétienne de grands notables égyptiens. Tarek, fils d’un médecin reconnu du Caire, suit les traces de son père et obéit aux injonctions familiales en se mariant et en essayant de fonder une famille. Sa vie va être bouleversée par la rencontre d’Ali, un jeune prostitué musulman qui lui demande de soigner sa mère. Atteinte, on le comprendra petit à petit, d’une maladie dégénérative terrible, la maladie de Huntington. Un amour très fort unira les deux hommes, mais hélas, Ali disparait, et Tarek fuit au Canada. Il ignorait que sa propre femme était enceinte, il a un fils Rafik qui veut savoir, comprendre et connaître ce père dont personne ne lui parle dans sa propre famille.
La force du roman tient, bien sûr, à l’écriture absolument superbe et à la construction du récit. Dans la première partie nous suivons Tarek, on comprendra à la fin du roman l’utilisation du « tu » comme si Tarek se parlait à lui-même, on sent que ce personnage se cherche et on découvre tout le poids de l’Égypte, les notables, la misère et les traditions. Mais aussi la chaleur de cette famille qu’il va trahir en assumant d’abord sa sexualité puis en fuyant à l’autre bout du monde. Ensuite nous entendons, Farik son fils qui, par petites touches, essaye de comprendre cette histoire. Mais celle qui sait tout la mère de Tarek et grand mère de Farik, ne dit rien, elle sait trop de choses pour pouvoir parler. Heureusement, il y a la bonne Fateya, celle qui, par sa cuisine apporte de la douceur dans cette famille si raide, celle qui sait tout car elle écoute aux portes. Et enfin, nous saurons tout au sujet d’Ali qui a vraiment aimé Tarek, mais qui, s’il était resté près de lui entraînait toute cette famille dans l’opprobre du « quand dira-ton » égyptien qui fait qu’on peut utiliser les services d’un prostitué mais jamais au grand jamais avouer son homosexualité.

Un roman qui m’a emportée et j’espère que vous le lirez vous aussi

Extraits

Début.

Le Caire 1961
– Quelle voiture voudrais-tu plus tard ?
Il avait posé cette simple question, mais tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples.

La mort de son père.

 Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, et le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.

Le métier d’Ali.

 – Tu veux dire que toi… et lui… ?
 Il fit une moue faussement outrée.
– Tu crois que tu fais le seul métier où les gens acceptent qu’on les palpe ?
 Tu n’arrivais plus à contenir ton rire. L’image de ce magnat de coton craint dans tout pays et surpris par son amant au moment d’évoquer ces problèmes d’impuissance, était plus savoureuse que toutes les « nokats » égyptiennes que l’on avait pu te raconter.

La rumeur.

 Le bruit se répandit qu’un garçon de mauvaise vie t’assistait dans ta pratique médicale. Les gens aiment parler de « mauvaise vie  » : cela revient à dire en creux que la leur est irréprochable. Il est toujours commode de laver son âme au vice des autres. Tu n’aurais pas su dire les chemins que cette rumeur avait empruntés mais son origine était claire : elle portait la signature de d’Omar. Lui qui avait reconnu Ali dans ton cabinet quelques semaines au paravent connaissait bien cette règle élémentaire : qui n’est pas le chasseur devient rapidement la proie. Il avait donc tiré le premier coup

Ce que Tarek , médecin, sait de l’homosexualité.

 Tu ne savais pas grand chose de l’homosexualité. Il s’agissait pour les uns d’un motif de plaisanterie, pour les autres d’une perversion venue de l’Occident, mais rarement de thème dont on discute.

Un joli mot « déchagriner ».

 Tu faisais mine de t’attendrir de ses récits de jeune mère, d’avoir hâte de rencontrer celui qui partageait sa vie. Ce n’est pas tant que ses histoires t’importaient mais tu étais heureux de retrouver ta sœur d’entendre cette voix familière déchagriner son quotidien. Ce que vous vous disiez était finalement secondaire.

 

 


Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 

Édition Babel Acte Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce mois de janvier 2024,le thème du club de lecture, autour des photos, permet à la bibliothécaire de ressortir des romans peu lus et pourtant intéressants. Cette écrivaine Anne-Marie Garat, a été récompensée par des prix littéraires et a connu un succès certain mais pas tellement pour ce roman. Spécialiste de l’image, elle rend hommage aux artistes de la photographie et dans ce roman, elle cherche à faire comprendre le poids de la photo pour celui qui la prend comme pour celui qui la regarde. Évidemment, en 1990, quand elle écrit ce roman, on en est au début du numérique, la photo d’art aujourd’hui existe-t-elle encore ? De toute façon la photographe professionnelle qui est décrite vit en 1986, elle prend donc des photos avec des pellicules et les tire elle-même avec les procédés argentique. Tout le roman tourne autour d’une famille de la région de Blois, qui possède une belle propriété, et le personnage important c’est une certaine Constance, mère de Madeleine (qui fête ses 96 an en 1986), et de Romain qui mourra en 1914, victime de la guerre alors qu’il n’a pas combattu : il est tombé et ne s’est jamais relevé !.
Tout est vraiment bizarre dans cette famille, Constance avait 14 ans en 1885 quand un juge lui a parlé gentiment. Elle déclare qu’il va l’épouser. À partir de là tout va dérailler, elle n’épousera pas le juge mais elle fera tout pour que son fils le devienne (juge !). Elle aura deux filles dont elle ne s’occupe absolument pas, trouvera une technique pour avorter de tous les bébés que son mari lui fera à chaque retour de voyage sauf de ce petit garçon qu’elle aimera d’un amour fusionnel. Celui-ci a une passion prendre des photos de sa maison au même endroit tous les ans. Constance a deux sœurs et Madeleine la plus jeune élèvera son petit neveu Jorge qui est amoureux de Milena la photographe professionnelle. Elle même vient d’un pays communiste et ses parents ne veulent pas lui raconter leur fuite. Fuite qui l’a beaucoup marquée. Ses parents ont été des ouvriers exploités, sa mère en usine et elle mourra d’une infection causée par un outil de l’usine, son père n’a pratiquement pas de retraite car il n’a pas été déclaré correctement. Jorge est le fils de Thérèse, la petite fille de Constance, et elle a sauvé un enfant juif pendants la guerre. Toutes les histoires se mêlent car l’auteure ne respecte pas la chronologie et il y a de quoi se perdre. Je trouve que l’auteur a voulu parler de tous les faits de société qui sont importants pour elle, et l’ont révoltée mais c’est trop touffu : la condition des femmes du début du siècle, la guerre de 14/18, la femme bourgeoisie qui s’ennuie en province, les enfants juifs cachés, l’exploitation des ouvriers, la condition sociale des émigrés, et la création artistique à travers la photographie. (et j’en oublie)

Le livre tient surtout pour son style, Anne-Marie Garat aime faire ressentir l’angoisse et les situations tendues à l’extrême, elle a un style très recherché parfois trop, et, même dans ses phrases, on peut se perdre.

Extraits

Début.

 Constance a rencontré le juge un dimanche de juin dans le parc de Mme Seuvert. Elle a quinze ans à peine et remplit sans effort apparent, avec l’indolence charmante, un peu froide avec la complaisance appliquée des jeunes filles d’alors son rôle de figurante dans les visites de voisinage.

Un portrait (et un peu d’humour , c’est rare).

 Et puis maigre, très propre, toute lustrée de deuil soyeux, et le front encore jeune et perdu sous sa mantille de dentelle noire armée par coquetterie de la canne à pommeau de feu Seuvert ; la figure fraîche, rose de joue, l’œil comme un grand café et l’oreille très fine, affectant un air de complaisance détachée, d’indulgente ignorance pour les liens et les plans qui se trament chez elle.

La vieille dame de 96 ans.

 « Alors tu es venue juste pour me souhaiter mon anniversaire. Tu fais bien, c’est le dernier. Je dis ça tous les ans, remarque. Je finirai par avoir raison. »

J’ai du mal avec ce genre de phrases poétiques (sans doute) mais que je ne comprends pas !

 Elle a froid , elle a mal au ventre, là où sont entrées les photographies, comme d’une déchirure froide. Elle a mal des images qui se fixent lentement dans sa chambre noire.

Les ronces.

 Le roncier semble inerte, cependant il est mû d’une puissance de guerre souveraine qui arme les rameaux d’épines redoutables, les allonge et les déploie en tous sens, hors de toute logique, dans une ignorance insultante de son désir enfantin. Planté là, le roncier pousse. Il puise dans la terre noire sa force vitale, sa méchanceté native. Il dresse devant l’enfant le mur de sauvagerie incompréhensible, la vésanie* hostile, insensée des choses qui existent. Indépendantes, naturelles. Indestructibles, insensibles, qui le rejettent à sa solitude impuissante.
(vésanie* veut dire folie)

L’importance du titre.

 Rendue à ce seuil, elle se souvient d’une image de porte noire ouverte sur les cris, l’indicible souffrance. Celle dont ni le père ni la mère ne révèlent ce qu’on trouve au delà. Parce que chacun a sa chambre noire. Apprends à y entrer, jusqu’au plus profond de son obscurité. Dans une totale solitude à en admettre l’obscurité. À y survivre.


Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.

 


Éditions Allary. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Un roman très étonnant dont le sujet est la souffrance des jeunes adolescents soignés dans des centres psychiatriques.
On commence le récit avec Jérôme, un trentenaire que sa femme Léa va quitter car il ne veut pas d’enfants.
Il lui faut retourner vers son enfance pour expliquer pourquoi il ne peut pas avoir d’enfant et pourquoi « une fille ce serait pire ». Lorsqu’il a dû être interné dans un centre, il y a rencontré une jeune fille Colette dont il est immédiatement tombé amoureux. Hélas ! elle se suicidera et lui devra continuer sa vie. Il a réussi à vaincre ses démons et à vivre.
La souffrance de ces jeunes, est très bien racontée . On ressort de ce livre avec plein d’interrogations et une série de citations dont on voudrait se souvenir à jamais.
L’auteur dans une interview dit que le système capitaliste est responsable de cette souffrance . Je n’en suis pas du tout sûre mais même si cela le semble inexact cela ne m’a pas empêchée pas d’avoir été très intéressée par ce texte.
Citations que j’aime et qui ont aidé Jérôme à se sortir de son mal être d’adolescent
Romain. Gary :
La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres.
Mark Twain :
Chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de vous, arrêter et de réfléchir.
Steinbeck :
La force est d’aimer le faible

Extraits

Début .

Le mot le plus utilisé dans une conversation entre deux êtres humains est « Je . La photo la plus likée sur Instagram est celle d’un œuf. Selon Amazon, les livres les plus consultés sont la bible et la biographie de Steve Jobs.

Un moment très fort du livre quand il décrit les cinq « dragons voici le premier , ils commencent tous parce ne savais pas » :

 Je les jugeais parce que j’ignorais tout.
Je ne savais pas que la rousse famélique qui regarder ses pieds s’appelait Vinciane, qu’elle avait seize ans et de bonnes raisons de ne pas lever les yeux. J’ignorais qu’après la mort de sa mère, son père pressé de pouvoir baiser sa nouvelle copine sans avoir a étouffer ses soupirs, lui avait construit une cabane au fond du jardin pour qu’elle y emménage. Je ne savais pas que, lorsque cette femme l’avait quitté, son père l’avait rapatriée dans la maison pour faire la bouffe et qu’un soir sur deux, lorsque la nuit tombait, il passait dans sa chambre. Je ne savais pas que cet enculé lui mettait un sac en plastique sur la tête pendant qu’ils la violait parce qu’il ne la trouvait pas assez joli.

Une réflexion intéressante .

 Avant les parents étaient heureux d’annoncer la naissance de la petite Joséphine. Il y avait une filiation de haut en bas. On venait de quelque part. Maintenant, sur les faire-part, il y a la photo de la petite Joséphine et il est écrit : « Me voilà ! » comme si la gamine était tombée d’un arbre. Qu’elle ne venait finalement de nulle part. Qu’elle naissait hors de tout arbre généalogique. C’est ça que le monde veut créer  : des générations d’êtres humains isolée qui ne viennent de nulle part. Et sont donc incapable de collaborer pour savoir où aller.

 


Édition Babel Actes Sud

 

On a si peu de raison de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, ou Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end.

 

J’ai lu beaucoup d’avis positifs sur ce roman qui me tardait de découvrir. J’avais bien aime « leurs enfants après eux » et donc j’avais hâte de me plonger dans cette lecture. Ce ne fut pas chose aisée, car plusieurs fois j’ai laissé tomber la lecture pour y revenir et finalement je suis ravie de m’être accrochée à cette histoire.

Nicolas Mathieu ne juge pas ses personnages, ils les laissent grandir et évoluer dans la région qu’il connaît bien autour de Nancy. Hélène et Christophe sont de la même petite ville, l’une a été une élève brillante et fait une carrière exceptionnelle dans un cabinet d’audit. L’autre après avoir été un hockeyeur reconnu (et la coqueluche des lycéennes) est resté dans sa ville et est commercial pour une boîte d’aliment pour animaux de compagnie.

Aucun des deux n’est vraiment heureux, Christophe voit sa femme qui l’a déjà quittée partir loin de son lieu de vie et donc le séparer de son petit garçon Gabriel qu’il adore. Hélène n’aime plus son mari et après avoir fait une dépression (dans ce milieu on dit » burn-out ») a demandé de revenir vivre près de son lieu de naissance. Son cabinet d’audit est chargé de réorganiser la région « Grand- Est » qui résulte de la fusion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. C’est une femme de dossiers et qui connaît parfaitement son affaire, elle espère devenir associée dans son cabinet d’audit.

À travers leur enfance, l’auteur décrit la classe moyenne qui s’en sort tant bien que mal, plutôt mal pour le père de Christophe à la tête d’un magasin de sport. Des vacances à la Grande Motte pour Hélène et ses parents, et un été à l’île de Ré avec son amie de coeur dont le père a les mains baladeuses.

Ils sont adultes maintenant et le travail d’Hélène nous permet de plonger dans les rouages de l’administration et le roman est alors très intéressant et très bien documenté. C’est pour moi la grande réussite de ce livre. On sent très bien d’où viennent les cadres qui ont entouré Emmanuel Macron. D’ailleurs si je me souviens bien , on lui a reproché d’avoir usé et abusé de cabinet de conseils. L’auteur n’en fait nullement une caricature, mais on sent très bien que ces hommes très compétents sont peu solubles dans la réalité française et laisse une place confortable au Rassemblement National de Marine Le Pen.

Christophe et Hélène auront une histoire commune qui leur fera du bien même si elle ne dure pas très longtemps.

C’est un roman sérieux et bien construit mais je m’y suis souvent ennuyée, mais, paradoxalement, à cause de ses qualités. Comme l’auteur veut rester objectif et ne pas embraquer son lecteur dans des jugements trop facile, cette neutralité empêche l’empathie de s’installer entre moi et ses personnages. Mais quand je vois le nombre de passages que j’aimerais retenir je me dis qu’il y a beaucoup d’excellentes choses dans ce roman et de trois je suis passé à quatre cooquillages.

 

Citations

Début.

La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qu’il attendait, de toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut.
Hélène était pourtant une femme organisée. 

Le problème du couple.

 Depuis qu’ils étaient revenus vivre en province, Philippe semblait considérer qu’on n’avait plus rien à lui demander. Après tout, il avait laissé tombé pour elle un poste en or chez Axa, ses potes du badminton et, globalement, des perspectives sans commune mesure avec ce qui existait dans le coin. Tout ça, parce que sa femme n’avait pas tenu le coup. D’ailleurs, est-ce-qu’elle s’était seulement remise d’aplomb ? Ce départ forcé restait entre eux comme une dette. C’est en tous cas l’impression qu’Hélène avait.

Une quadragénaire qui va mal.

Pourtant, sur le papier elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans « Elle », un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elles se trimballait sans le savoir.

Les illusions de l’amour .

 Elle avait eu quinze ans, et comme n’importe qui, sa dose de lettres et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l’avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t’aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l’intimité d’une chambre à coucher. À présent Jenn était grande. Elle savait à quoi s’en tenir. L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
 L’amour c’étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l’autre bleu dans la salle de bain.

Le point de vue des parents.

 Ils sont pris dans cette tenaille des parents qui encouragent leurs gosses et sans bien que chaque pat accompli les laisses un peu plus loin derrière. Sur le quai de la gare, ils voient le train rapetissé au loin et prendre de la vitesse. Parfois c’est plus fort qu’elle, Mireille a envie de mettre un coup d’arrêt à cette épouvantable accélération.

L’adolescence .

 L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille mais ce qui existait, l’enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon est la ouate, les vacances à la Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On y reviendra plus.

Portrait peu flatteur.

 Elle connaissait vaguement le premier, un jeune type déjà chauve qui portait des Church’s et une veste cintrée. Aurélien Leclerc. II prétendait occuper le poste de dircom adjoint. Les mauvaises langues assuraient qu’il n’était en réalité qu’adjoint du dircom. Quoi qu’il en soit, il avait fait Sciences Po. Il ne fallait en général pas attendre dix minutes avant qu’ils le rappelât.

L’informatique et une municipalité.

 Après tout, elle n’avait jamais eu besoin que de cent cinquante heures pour remettre à plat l’épouvantable imbroglio des services informatiques de cette ville, un bordels digne d’un roman russe ou l’argent et l’énergie se perdaient dans d’invraisemblables circuits de décisions qui superposaient pas moins de trois organigrammes distincts. Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. Quand on pensait que les habitants confiaient leur numéro de carte bleue à ce système digne des soviets pour payer la cantine des gosses ou leur carte de résident, ça laissait songeur.

Sortir de son milieu social.

 Quand ses parents font l’apologie de la simplicité, lui donne ses cousins en exemple, quand ils critiquent les ambitieux, les parvenus, ceux qui exhibent leur réussite, quand ils vantent le mérite des bosseurs, des manuels, des bricolos, des débrouillards, de ceux qui passent entre les gouttes, mamailleurs et autres contrebandiers du jour le jour. Quand ils lui disent on va t’envoyer à la campagne, ça t’apprendra à vivre, quand ils mettent l’article défini devant un prénom, le Dédé, la Jacqueline, le Rémi, alors Hélène sent un câble se tendre en elle. D’instinct, sans savoir, elle refuse tout cela en bloc. Chaque signe de cette manière d’être la gifle. Elle préfère encore crever que vivre comme ça, modeste et à sa place. Elle a la grosse tête. Une petite bêcheuse.

La création du grand Est.

 Car avant que n’advienne ce Grand Est qui devait faire la fortune des cabinets de consulting en général et d’Elexia en particulier, les anciennes régions disposaient naturellement de leurs propres organisations, lesquelles résultaient d’années d’usage , de replâtrages divers et de particularismes indigènes. Surtout, au sommet de chacune des dites organisations trônait un chef qui n’entendait pas céder sa place. Au départ, nul n’avait jugé utile de solliciter une expertise extérieure pour pour mener à bien cette fusion ordonnée depuis Paris, les ressources étant évidemment disponibles en interne. Mais après si mois de réunions improductive, de coups fourrés entre comités directeurs, et face à la menace une reprise en main par l’autorité administrative,le recours à un tiers avait fini par s’imposer.
Hélène débarquait donc en pleine guerre picrocholine et trouvait dans chaque organisme où elle intervenait des équipe irréconciliables et une poignée de cadres au bord de la crise de nerf 

Le monde des cabinet d’audit.

 Depuis qu’elle est rentrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costume bleu qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démonter à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait le faire mieux, accompagner les service du RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés aux gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.

 

 


Édition Folio

Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent, ce que l’on est. 

 

Quel plaisir de rencontrer à nouveau cet auteur qui m’a si souvent enchantée à travers ses récits . Sur Luocine vous ne trouverez que « Homo Erectus », « Romanesque » qui m’avait un peu étonnée et la BD « le guide mondial des records » , parce que tous les autres je les ai lus avant Luocine.

Il était temps que je connaisse un peu mieux sa vie et d’où lui vient cette extraordinaire faculté de m’embarquer dans ses histoires. Je me doutais bien qu’il était d’origine italienne mais pour le reste … Ses parents sont d’une tristesse infinie, son père alcoolique et sa mère profondément malheureuse de vivre en France n’ont pas su donner du bonheur à leurs enfants. En revanche ce juron italien, « Porca Misera » que l’on peut traduire par « putain de vie » ou « chienne de vie », il a l’impression de l’avoir entendu à longueur de journée dès le réveil de son père. En plus Tonino est le dernier enfant, né bien après les autres, il n’a donc pas vécu avec la fratrie qui aurait pu égayer ses journées. Le plus surprenant pour moi c’est qu’il n’aimait pas lire alors qu’il le dit lui-même cela lui aurait permis de s’évader de cet univers gris et même souvent très noir ! Il n’empêche que lorsqu’il s’accroche à la lecture de Maupassant « Une vie » il comprend bien mieux que n’importe quel analyste distingué le drame de Jeanne ! Cet enfant qui a adopté la langue française, alors que ses parent n’ont fait que « subir » la vie en France, a su lui rendre un grand hommage. J’ai aimé aussi ce qu’il raconte de ses voisins qui sont d’une si grande gentillesse avec lui et toute sa famille ce qui l’empêchera toujours de penser que les Français sont racistes

 

Son art à lui, c’est d’inventer des histoires, trouver des personnages et de les faire vivre, il ne puise pas dans les livres ses intrigues et ses caractères mais dans le sens de l’observation des autres. J’ai été contente de mieux le connaître et j’ai souffert avec lui lorsqu’il a connu une période de dépression doublée d’agoraphobie sévère. On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi tous ses personnages ont des des fêlures énormes et restent toujours humains. Benaquista, c’est un rire un peu triste en connaissant mieux sa vie on se dit qu’il aurait pu être tragique. Mais c’est avant tout un conteur prodigieux.

Citations

Début du livre.

Je revois mon père à table, lancé dans une litanie haineuse contre la terre entière, pendant que nous ses enfants, attendons qu’il boive son dernier verre. Parce qu’il l’a rempli à ras bord, il procède sans la main, et le voilà penché, les lèvres posées sur le rebord du verre pour en espérer la première gorgée, puis il le vide d’un trait. Il entreprend alors un périlleux parcours vers son lit, seul. ou soutenu par ma mère les soirs ou il a forcé la dose.

L’inspiration d’un écrivain.

 En proie aux plaisir risqué de la réminiscence, je peux rester des heures dans cet immense labyrinthe sans savoir où il va me conduire. J’y éprouve le sentiment illusoire mais plaisant de n’avoir rien oublié de la multitude d’interactions humaines qui me constituent comme une mosaïque. C’est dans cet aéropage que je puise pour créer les personnages de fiction, volant à celui-ci un détail physique, à celle-là un trait de caractère, que j’agrège selon mes besoins et mes envies.

Pour moi cette phrase exprimé la richesse de cet auteur.

 Aujourd’hui encore, sur l’idée de culture, j’envie ceux qui savent si bien séparer le bon grain de l’ivraie. J’en suis toujours incapable.

La télévision.

 J’entends dire que la télévision a pour vocation d’informer, d’instruire et de divertir. J’en vois une autre bien plus précieuse : le soir elle crée un bruit de fond qui couvre les ressassements comme elle offre un point de mire qui nous évite de croiser les regards à table. Elle vit, s’exprime, donne à voir. Elle est la quatrième présence.

On retrouve bien là l’auteur, nous sommes en 1968.

 Un graffiti sur un mur du réfectoire me rappelle chaque jour que si je ne m’occupe pas de politique, la politique s’occupe de moi. Autant d’injonctions produisent sur moi l’effet opposé : une méfiance à vie pour toute pensée dogmatique.

L’épisode du chien qui l’a mordu.

 J’ai laissé la sidération m’envahit, il a senti la peur monter en moi, comme son maître a senti d’instinct qu’il aurait le dessus sur mon père, il l’a lu dans ses yeux.
Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent ce que l’on est.

Édition Gallimard NRF. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Ce livre ne reçoit que d’excellentes critiques, Dominique en a parlé avec enthousiasme et comme cet auteur m’avait enchanté avec Olga et le « Liseur » je savais que je lirai celui-ci. Il a évidemment toute sa place dans le mois consacré à la littérature allemande.

(Ma sixième participation pour l’année 2023)organisé par Eva et de livr’escapade 

Dans les deux précédents romans que j’ai lus de Bernhard Shlink, j’ai apprécié son regard intransigeant et lucide sur le passé de son pays. Nous sommes dans le présent avec « la petite fille ». Kaspar, fils de pasteur, fait ses études à Berlin en 1965, il est libre de fréquenter le milieu universitaire de l’est (l’inverse n’était pas possible : les étudiants de Berlin Est n’étaient pas libres de leurs mouvements) il fait la connaissance de Birgit dont il tombe amoureux et qu’il va aider à passer à l’ouest.

Le roman débute par la mort de Brigit, femme dépressive et alcoolique. Kaspar est désespéré, il retrouve les carnets de sa femme qu’il lit. Dans cette autre partie nous apprenons le lourd secret de Brigit : elle a eu un enfant d’un homme qui l’a abandonnée avant la naissance du bébé pour ensuite lui demander qu’elle lui donne ce bébé car il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Brigit refuse et demande à sa meilleure amie de laisser son bébé sur le parvis d’une église. Toute sa vie, cet abandon lui pèsera et expliquera sa neurasthénie et son alcoolisme.

La deuxième partie ainsi que la troisième sont consacrés à Sigrun la petite fille de Brigit et dont Kaspar voudrait être le grand père.

Chaque partie du roman nous permet de cerner un aspect de l’Allemagne contemporaine : l’Allemagne de l’est et le déséquilibre des anciens de l’Est qui ont bien du mal à s’adapter dans un pays qui ne reconnaît aucune des valeurs qui les ont construits dans une autre vie. Puis nous voyons les errances de leurs enfants qui cherchent à s’opposer à leurs parents en retrouvant des mouvements violents et, évidemment, le plus interdit en Allemagne  : le mouvement néo-Nazi. Pour finalement s’incarner dans un vieux parti le « völkisch » pas très loin des idées Nazi. Il prône la fierté d’être allemand, le retour à la terre, nie les atrocités du Nazisme en particulier la Shoa : Hitler ne voulait que la paix !

Dans un premier temps, toute la difficulté de Kaspar est de maintenir un lien avec cette petite fille, sans heurter les idées de ses parents, il va y arriver grâce à la musique qui ouvrira un nouveau monde à cette petite fille très douée, elle découvre, grâce à son grand père, le piano. Une très belle scène : le grand père lui fait écouter différentes musiques et la met au défit de reconnaître celle des compositeurs allemands ou étrangers. Leur rapport seront interrompus car les parents se méfient de son influence.

Quelques années plus tard, une catastrophe va arriver, liée à la révolte de Sigrun, sa violence l’entrainera trop loin. On espère quand on referme ce roman que la musique continuera à sauver la jeune Sigrun dans l’ailleurs qu’elle s’est choisie .

Un excellent roman !

Citations

 

La jeunesse de Kaspar.

 Il a vécu jusque là dans une rhénanie tranquillement catholique. Son père était un pasteur protestant ; Kaspar avait grandi avec Luther et Bach et Zinzendorf, et pendant les vacances chez ses grands parents avec des livres sur l’histoire patriotique où l’Allemagne devait sa complétude à la Prusse.

La RDA.

 Si l’on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. À la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l’on a dû s’exiler, on peut revenir. Le pays pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement.
Discours lors de la fête du mouvement « Völkish » 
« Qui le sait encore, à part nous, ce sont les clans, les musulmans et les femmes voilées et leur familles. Ils veulent s’emparer de l’Allemagne, ils veulent faire de notre pays leur pays. Mais nous ne les laisserons pas faire. Nous somme prêts au combat. Sur le sol allemand nous croisons. Du sol allemand nous tirons notre force. À notre communauté allemande appartient l’avenir allemand. »

Un allemand ordinaire .

Kaspar c’était toujours tenu à l’écart de tout. Il était membre de l’église, qu’il fréquentait parfois sans croire en Dieu, mais sans jamais se charger d’une tâche. Sans endosser aucune responsabilité, il était membre de la chambre de commerce et d’industrie, et de l’Union des éditeurs et libraires allemands. La politique l’avait quelquefois irrité au point qu’il l’envisage d’adhérer à un parti. Il avait été parfois invité à s’engager dans l’association Citoyens pour le parc. Mais à part des votes rassurants et quelques ramassages occasionnels de papiers, gobelets et bouteilles en traversant ledit parc, il en était resté là. 

Dialogue incroyable .

 « Tu as bien un livre sur Rudolf Heβ. Il est plein de mensonges. Tous ces livres ici son plein de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre. Il voulait la paix. Et les Allemands n’ont pas tué les juifs . »
Kaspar s’assit par terre face à elle.
« Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ?
– Ils sont achetés. Ils sont payés . Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous nous opprimer et nous exploiter.

Le grand père et sa petite fille.

 « Mais je peux quand même être fiers d’être allemande. »
Kaspar à nouveau tourna dans un chemin et stoppa. 
« Je ne sais pas. Je trouve qu’on ne peut être fier que de quelque chose qu’on a fait. Mais peut-être qu’on peut voir les choses autrement. »
Il montra du doigt le paysage de collines, des champs, le bois et le village sur le quel tombait le soleil et un autre village dans un creux, dont on ne voyait que le clocher et quelques tpits. Le soleil était déjà bas, cela allait donner un magnifique crépuscule.
« J’aime mon pays, je suis heureux de parler sa langue, de connaître les gens que ce pays me soit familier. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être un Allemand, il me suffit d’être heureux. »