Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg.
C’est un livre absolument génial, d’ailleurs, Keisha l’a mis deux fois sur son blog ! La petite souris jaune dont j’aime beaucoup les idées de lecture, l’a aussi plébiscité. J’avais emporté le livre Rosa Montero dont j’ai déjà chroniqué « le territoire des barbares » et « le roi transparent » dans un voyage aux Açores, j’aime beaucoup relier un voyage à une bonne lecture. Je suppose que cette auteure va être ravie, elle vient d’obtenir 5 coquillages pour la première fois sur Luocine, et encore si je pouvais lui mettre tous les coquillages de la plage, je les lui mettrais sans aucune hésitation. C’est un livre génial et j’ai eu envie de le recopier en entier, tellement j’ai peur d’oublier ces purs moments de bonheur total, je voudrais apprendre ce livre par cœur pour pouvoir le citer sans effort, Rosa Montero donne des clés sur ce qui l’amène à écrire :
Je pourrais dire aussi que j’écris pour supporter l’angoisse de la nuit. Dans l’agitation fébrile de l’insomnie, pendant qu’on se tourne et se retourne dans son lit, on a besoin de penser à quelque chose pour ne pas voir les menaces envahir les ténèbres.
À travers de courts chapitres, tous très intéressants, elle traite des différents moments de la création littéraire. C’est vivant, varié et drôle. On la suit aussi dans ses amours, déceptions et emballements mais ce n’est pas une autobiographie car l’imagination de la romancière n’est jamais bien loin. Il ne s’agit pas, non plus, d’un essai exact et méticuleux au sujet de la création romanesque mais d’un livre qui permet de faire vivre la création. D’ailleurs ses amours avec » M » pourraient donner lieu à 3 romans différents qui lui restent à écrire. Rosa Montero foisonne d’idées, « la folle du logis » envahit toute sa vie et ses réflexions. Ce livre est aussi un régal pour la balade qu’il nous fait faire chez les romanciers les plus variés. Les portraits sont rapides et jamais méchants, j’ai remis, grâce à elle, dans mes listes le livre de Victor Klemperer que je voulais lire depuis longtemps à propos du langage totalitaire. On est en bonne compagnie avec tous les auteurs dont elle parle bien mais elle n’est jamais, vis à vis d’eux, dans une admiration béate. Je suis ravie de ce qu’elle a écrit sur Goethe dont l’oeuvre m’a tellement ennuyée et pourtant, j’ai essayé tant de fois de le lire. Je suis contente qu’elle rappelle la méchanceté stupide de Sainte-Beuve contre Stendahl. Car c’est aussi cela son livre, un cheminement avec des auteurs connus qui sont dans toutes les mémoires des écrivains et des lecteurs. Elle sait qu’entre écrire et lire, si elle était obligée de choisir, elle garderait la lecture qui, pour elle, représente les fondations à tout acte d’écriture. (J’en suis restée aux fondations ! !)
Citations
Souvenirs familiaux
Ma sœur Martina et moi échangeons parfois, comme des images, certaines scènes du passé : c’est à peine si le foyer familial dessiné par chacune de nous a des points communs. Ses parents s’appelaient comme les miens et habitaient une rue portant le même nom mais ce ne sont absolument pas les mêmes personnes.
Nous inventons nos souvenirs, ce qui revient à dire que nous nous inventons nous – mêmes car notre identité se trouve dans notre mémoire, dans le récit de notre biographie.
L’écrivaine
Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d’écailles au milieu des eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c’est le tuer.
La mort
Les romanciers, scribes incontinents, décrochent inlassablement des mots contre la mort, comme des archers postés sur les créneaux d’un château fort en ruine. Mais le temps est un dragon à la peau dure qui dévore tout. Nul ne se souviendra de la plupart d’entre nous dans un siècle ou deux : ce sera exactement comme si nous n’avions pas existé. L’oubli total de nos prédécesseur est une chape de plomb, la défaite qui préside à notre naissance et vers laquelle nous nous dirigeons. Notre pêché originel.
Ecrire
Aussi longtemps qu’ils restent dans les limbes rutilantes de l’imaginaire, dans le domaine des projets et des idées, nos livres sont absolument merveilleux, les meilleurs qu’on ait jamais écrits. C’est plus tard que les choses se gâtent, au moment où on se met à les fixer mot après mot dans la réalité, comme Nabokov épinglait ses malheureux papillons sur du liège, quand on les transforme inexorablement en choses mortes, en insectes crucifiés, même si on les recouvre de poudre d’or.
L’engagement
Parfois, une même personne peut avoir des comportements différents : se montrer héroïque face à certaines menaces et lamentables en d’autres circonstances. Le très célèbre manifeste de Zola en faveur de Dreyfus est toujours cité comme exemple de l’engagement moral et politique de l’écrivain et Zola a dû sans aucun doute faire preuve de courage pour écrire son « J’accuse » plein de fureur, pratiquement seul face à tous les bien-pensants. Mais on oublie que ce même Zola avait refusé trois ans plus tôt de signer le manifeste à Oscar Wilde, condamné à deux ans d’emprisonnement dans les terribles geôles victoriennes pour homosexualité.
L’envie d’être lu
Dieu sait d’où nous vient ce besoin impérieux qui fait de tous les écrivains des éternels indigents du regard des autres.
L’écriture dite féminine
Quand une femme écrit un roman dont le personnage est une femme tout le monde considère qu’elle parle des femmes mais quand un homme écrit un roman dont le héros est un homme, tout le monde considère qu’il parle du genre humain.
L’écriture et la lecture
On écrit pour apprendre, pour savoir, et on ne peut entreprendre ce voyage vers la connaissance si on emporte avec soi des réponses préalables.
Car lire c’est vivre une autre vie.
Un lecteur vit plus longtemps que les autres car il ne veut pas mourir avant d’avoir terminé le livre commencé.
(d’après les propos de Graciela Cabal)
Le roman
C’est pourquoi le roman est le genre littéraire que je préfère, celui qui se prête le mieux au caractère décousu de la vie. La poésie aspire à la perfection, l’essai à l’exactitude, le drame à l’ordre structurel. Le roman est l’unique territoire littéraire où règnent là même imprécision, la même démesure que dans l’existence humaine.