Traduit de l’américain par Josée Kamoun.
Je suis un peu dubitative sur ce roman d’un des écrivains qui m’a le plus marquée . « La Tache » me semble un pur chef d’œuvre. J’ai lu un billet à propos de celui-ci sur un des blogs que je lis régulièrement, (j’ai évidemment oublié de noter mais si la personne se reconnaît je mettrai un lien) et je me suis précipitée. Je ne suis pas déçue …Mais … J’hésite toujours devant les romans qui refont l’histoire. Quel intérêt d’imaginer qu’Hitler soit tué à la guerre 14/18 ou assassiné par des allemands qui ont compris la folie meurtrière de celui qui sera responsable, entre autre, de la Shoah , ou qu’il soit reçu à son examen d’entrée aux beaux arts de Vienne ?
Bien sûr cela permet de mettre en valeur la part du hasard dans le déroulement de l’histoire, mais justement le hasard a voulu que cela ne se passe pas comme ça. Et quelle est exactement la part du hasard ? Le roman de Philip Roth a cela de bien, qu’il s’ appuie sur une connaissance fine des USA de 1940. Effectivement à cette époque, l’entrée en guerre de cette grande puissance, pour délivrer les pays européens du joug nazi n’était pas gagnée, il met donc en lumière toutes les tendances qui poussaient les Américains à préférer la paix avec Hitler à la guerre avec Staline. C’est un rappel assez intéressant, choisir entre deux maux ce n’est pas si simple, entre l’horreur des états islamistes et les dirigeants liberticides des états du Moyen Orient , beaucoup d’intellectuels français ont longuement hésité et hésitent encore.
Il y a un aspect du roman que j’ai trouvé très faible : Lindbergh aurait donc collaboré avec les nazis parce qu’ils détenaient son fils. C’est tellement une révélation du style de la presse à sensations que je me suis demandé si Philip Roth ne montait pas cette histoire pour excuser le héros de son enfance d’avoir eu de fortes sympathies nazies. Car l’enfant juif qui collectionne les timbres ne peut pas se séparer du timbre à l’effigie du héros de toute l’Amérique : Lindbergh , alors que celui-ci a reçu de la main même de Göering « La Croix de l’Aigle Allemand », médaille décernée à tous ceux qui ont aidé et aimé l’Allemagne d’Adolf Hitler. Il se sent coupable de garder ce timbre comme son frère se sentira honteux d’avoir fait de beaux dessins de l’arrivée de l’aviateur sur le sol américain.
À la fin du roman, on peut lire des éléments de la biographie de Lindbergh, on se rend compte, alors, que Philippe Roth a tout simplement rendu réelles les prises de position de Lindbergh et de l’America First , association qui aurait bien poussé l’aviateur à poser sa candidature à la présidence des États Unis.
Le plus intéressant, c’est la vie de la famille Roth et de la communauté juive, la force de la vie familiale qui permet de résister à toutes les influences destructrices de la politique antisémite qui s’installent au début sournoisement , puis, quand Lindbergh est élu, la peur qui envahit peu à peu leur quartier et la description des difficultés à bien réagir en se croyant protégés, puisque comme son père, beaucoup d’entre eux ont toujours eu confiance dans les lois de leur pays. La famille avec toutes les personnalités qui ont entouré son enfance rendent ce roman très attachant. Philippe Roth imagine que les premières lois prises contre la communauté juive, c’est de demander aux juifs de s’assimiler et pour cela, les forcer à déménager dans des villes où ils sont moins nombreux et à envoyer leurs enfants dans des familles non juives, pour qu’ils deviennent de parfaits petits américains mais cela a surtout comme résultat de briser l’énergie familiale.
Communautarisme ou nation, un débat qui a des répercussions dans notre société. Pour résumer j’aurais adoré ce roman sans la partie uchronie, mot que j’ai appris à propos de ce roman.
Citations
La vie dans les familles juives
Elle m’échappe, ta morale, oncle Herman. Tu veux pas que je devienne un voleur, mais ça ne te gêne pas que je travaille pour un voleur.-Steinheim n’est pas un voleur, c’est un entrepreneur. Ce qu’il fait, ils le font tous, dit mon père. Ils n’ont pas le choix, le bâtiment c’est un coupe – gorge. Mais ses immeubles ne s’écroulent pas, que je sache . Il ne fait rien d’illégal. Alvin, si ?-Non, il baise les ouvriers jusqu’à l’os, c’est tout. Je ne savais pas que ta morale était pour.
L’assimilation
Leur judéité n’était pas une infortune ou une misère dont ils s’affligeaient, et pas davantage une prouesse dont ils tiraient fierté. Leur être leur collait à la peau sans qu’il leur vienne à l’idée de s’en débarrasser. Leur judéité était tissée dans leur fibre, comme leur américanité . Elle était ce qu’elle était ce quelle était, ils l’avaient dans le sang, et ils ne manifestèrent jamais le moindre désir d’y changer quoi que ce soit , ou de la nier, quelles qu’en soient les conséquences.