Édition l’Olivier, 158 pages, octobre 2023

 

Je n’ai jamais été chez moi chez moi.

 

J’ai encore oublié de noter la blogueuse qui m’a tentée mais elle se reconnaitra, je l’espère ; Voici le billet de « mot à mot » et celui de Anna-yes Mon biblioblog. C’est un livre qui raconte un rejet de la vie familiale incroyable, si fort, que l’autrice-narratrice a non seulement rejeté son milieu social -ses parents appartenaient à la classe ouvrière du Canada dans une ville petite (pour le Canada) grande pour la France : Kitchener, dans l’Ontario 230 000 habitants, mais elle a aussi, renié sa langue, l’anglais, son nom de famille pour trouver sa liberté de penser et d’écrire en français. Elle a donc vécu au Québec et est devenue traductrice en trois langues car elle parlait aussi l’espagnol. J’emploie le passé car Lori Saint-Martin est morte à Paris en 2022, c’est assez tragique que cette ville qu’elle a tant aimée soit aussi la ville qui l’a vue mourir.

J’ai voulu lire ce livre car j’aime bien le sujet de l’apprentissage des langues, et son cas est très particulier : elle n’a pas appris le français, elle a fait de cette langue sa langue d’élection. On peut l’écouter parler, elle est effectivement totalement à l’aise en français avec quelques traces d’accent québécois mais très légères. Je pense que lorsqu’elle arrivait à Paris, elle devait immédiatement prendre les intonations françaises.

Tout ce qu’elle dit sur la richesse que cela procure d’avoir plusieurs langues m’ont semblé très juste, surtout venant d’une anglophone qui pourrait visiter le monde entier en ne parlant que sa propre langue. Mais j’ai moins compris la violence du rejet de son milieu d’origine. Sa mère, même trop grosse et habillée en polyester de couleurs vives, ne mérite pas selon moi autant de rejet. Elle a sûrement mal aimé sa fille, mais elle l’a laissé aussi faire ce qu’elle voulait. D’ailleurs à la fin , elle le dit elle-même, c’est grâce à sa mère qui voulait parler anglais à ses petits enfants qu’elle élèvera ses propres enfants dans les deux langues le français avec leur père québécois, et l’anglais avec elle.

J’écris ce billet quelques jours après avoir fini le livre et je me rends compte qu’hélas, je garde plus dans mon souvenir le rejet de son milieu que le charme de savoir plusieurs langues.

Je trouve assez étonnant qu’elle ait réussi à surmonter son malaise de l’adolescence en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage du français et pas dans l’anorexie qui lui tendait les bras si on comprend ce qu’elle subissait à table. Je me souviens aussi des différents professeurs de français qu’elle a eus, un homme seulement et de cette femme qui pendant tout son cours leur faisait réciter les conjugaisons des verbes ! Méthode au combien active, mais le plus bizarre, c’est qu’elle avoue avoir plus appris avec ce prof qu’avec celle, sympathique et vivante qui essayait de les faire parler ! Paradoxe intéressant !

Une femme remarquable qui a un nombre de récompenses incroyables pour ses traductions, elle a traduit de l’espagnol au français également et voulait découvrir l’allemand qui était la première langue de Kitchener qui s’est d’abord appelé Berlin. Mais la vie s’est arrêtée brutalement et elle n’en a pas eu le temps. Malgré mes réserves, je conseille ce roman à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à l’apprentissage des langues et au passage d’une culture à une autre.

 

Extraits

Début .

 Je voudrais que chaque page de ce livre soit la première page. Commencer par partout. Ça commence par partout, je pense. Tout me semble être le début. 
Mon nom n’est pas le nom de mon père.
Ma vie n’est pas la vie de ma mère.
Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour que ma mère ne puisse pas me lire.
 Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour pouvoir respirer alors que j’avais toujours étouffé. Je raconte ici l’histoire d’une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs.

Sa mère .

 Ma mère était grosse, mon père était gros, ma sœur était potelée, bientôt grosse. « You’re such à bony thing ! » disait ma mère je m’installais à sa table d’un air dégoûté et je touchais à peine à ses plats. J’avais horreur des viandes bon marché, à la fois coriace et étrangement molle, des pommes de terre et des carottes mijotées jusqu’à la fadeur jaunâtre dans le jus de cuisson. J’avalais un à un les petits pois en boîte chacun avec sa gorgée de lait, comme des aspirines. Malgré les haut-le-cœur, il fallait terminer son assiette.
 Ne pas gaspiller, l’obsession. Si on reçoit un paquet, on le déballe avec soin, on défroisse ce papier et on le range avec le moindre bout de ficelle,  » ça peut toujours servir ». On mange les restes jusqu’à la dernière miette,  » c’est passé mais tout de même m ». Pieds qui puent à cause des chaussures bon marché, vêtements choisis sur le présentoir « 2 pour 1 » : deux moches valent mieux qu’un beau.

Le pire c’est d’aller dans ces musées et de ne rien voir.

 Mes parents et, je crois aussi, ma sœur, ont vécu et sont morts sans mettre les pieds dans un musée d’art. Je les ai jugés sévèrement pour cette raison. Maintenant je pense aux barrières qui font qu’on n ‘entre pas dans certains endroits même si la porte en est ouverte 

Qui est l’autrice  ?

Mon histoire, c’est une histoire d’ascension sociale, de honte et d’orgueil, d’une fille qui mène la bataille de sa mère, d’une mère défaite par la victoire de sa fille.

Le titre ;

Who do you think you are ? You’re nobody special. Rengaine de ma mère devant mon désir -insultant, blessant, incompréhensible – d’un ailleurs.
« Pour qui te prends tu ? » la phrase est plus profonde qu’elle n’en a l’air. Si on l’entend vraiment comme une question, et non une rebuffade (« tu n’es pas aussi bonne que tu le penses ») , elle signifie qu’on peut se prendre pour quelqu’un d’autre et se transformer. 

 

 

 


Édition La peuplade Roman, octobre 2023, 190 pages, 

traduit du Croate par Chloé Billon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

En un peu moins 200 textes assez courts, souvent moins d’une demi page, cette auteure veut nous faire comprendre les horreurs de la guerre qui a vu s’affronter les Croates et les Serbes au début des années 1990. L’enfant a bien du mal à comprendre ce qu’il faut faire pour être du bon côté et elle a surtout envie de garder sa part d’enfance et de jeux avec ses amis. Toute guerre est certainement atroce et le pire certainement ce sont les guerres civiles qui voient s’entretuer des populations qui ont vécu ensemble de longues années. Il ne faut plus être Serbe, ni coco (communiste) ni garder un portrait de Tito. Pour être un bon Croate, il faut être baptisé .
L’enfant a bien du mal à comprendre et elle perçoit les horreurs sans les comprendre.

Je n’ai malheureusement pas beaucoup aimé le procédé, ni les chapitres si courts, ni le fait de découvrir cette réalité avec des yeux d’une petite fille. Peut-être suis-je passée à côté du charme de cette écriture ? Je verrai bien si vous, êtes plus positifs que moi sur ce roman.

 

Extraits

Début.

Lola
 Papy est allé derrière la maison, dans le jardin. Derrière la grange. On a quand même entendu le coup de feu. J’ai défait mon bandage et j’ai dit que j’irais à l’école le lendemain. Le matin, j’ai enlevé du portail de la cour le panneau « Chien méchant ».

Logique de l’enfant.

Trois garçons de la 7e A5 étaient allongés dans la neige bourrés
 » Je vais te tirer comme un lapin ! » à crié le papa de Mate.
Une paire de gifles, et il la rebalancé dans la neige. Il l’a tout de suite relevé et a dit on rentre à la maison. Sa mère avait l’air triste et tremblait de froid en tenant le vélo.
 Heureusement que le papa de Mate est venu à vélo parce que sur un vélo, tu ne peux pas à la fois rouler dans la neige et tenir un fusil à la main


Édition Charleston, 437 pages, janvier 2024

Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

J’avais beaucoup aimé « Pour que chantent les montagnes » et j’ai donc lu avec intérêt ce deuxième roman qui a pour sujet l’après de la guerre du Vietnam ; L’écrivaine construit son roman sur plusieurs temporalités et plusieurs personnages qui vont se retrouver dans les deux derniers chapitres.

La temporalité la plus ancienne se passe au Vietnam en 1969, deux très jeunes filles veulent sauver leurs parents du poids d’une dette et pour cela vont quitter leur village natal pour devenir « hôtesse » dans un bar à Saïgon. La plus âgée pense vivre une vie amoureuse avec un officier américain : Dan, un pilote d’hélicoptère, Quand Kim (de son vrai nom Thran) lui annonce sa grossesse, Dan s’enfuit. Ces deux filles seront un des fils de l’histoire, le deuxième fil est constitué par Phong, un enfant métissé Vietnamien et américain noir, il veut absolument retrouver son père américain, enfin le troisième fil, c’est Dan en 2016, qui avec sa femme est revenue au Vietnam .

On voit donc que le sujet principal est le sort des enfants métissés au Vietnam. L’écrivaine connaît bien le sujet et fait preuve d’une grande objectivité, il n’y a pas des bons et des méchants, la guerre bouleverse toutes les valeurs et la population est victime. Les soldats américains sont évidement les méchants, mais ce sont aussi des pauvres gosses assez paumés conduits à faire des actes qu’ils seront amenés à regretter toute leur vie quand ils ont survécu. En tout cas c’est la cas de Dan. Nous apprendrons peu à peu la raison de ses cauchemars récurrents, mais jamais l’auteure ne l’excuse d’avoir laissé Kim se débrouiller seule avec ce bébé à venir.

Si les deux sœurs ont été amenées à se prostituer, ce sont pour des raisons économiques et on sent que pour les soldats ce sont des filles qui aiment ça , pour les Vietnamiennes c’est une façon de se sortir de la misère. quand elles commencent à croire à l’amour elles sont perdues car c’est toujours à sens unique.
Pour les enfants métis, c’est l’horreur car ils sont le témoignage vivant des conduites de leurs mères avec les soldats ennemis, on les appelle de toutes sortes de nom racistes mais de toutes façon ils sont pour tout le monde des « poussières de vie »  : Phong, qui a la peau noire est deux fois rejeté comme métis et comme noir. Mais les USA se sentant un peu coupable de leur sort permettra à ces enfants de faire une demande d’exil pour venir vivre dans un pays qui semble un pays de rêve pour le Vietnam qui est très pauvre . Le pauvre Phong sera deux fois victime d’une arnaque, la première fois une riche famille vietnamienne prétendra l’avoir adopté pour pouvoir partir tous ensemble en Amérique. La supercherie est découverte et sa demande est rejetée quand 10 ans plus tard, il renouvelle sa demande en ayant donné toutes ses économies à un escroc qui s’enrichit sur des naïfs du genre de Phong. Pourtant, il a réussi à construire sa vie grâce à la gentillesse de sa femme et il a deux enfants.

Enfin il reste le couple de Dan et Linda qui sont revenus au Vietnam, Dan pour retrouver si possible son enfant et Linda pour aider son mari à vaincre ses fantômes. Le couple aura du mal à ne pas se séparer lorsque peu à peu Dan révèlera son passé.

Pourquoi j’ai quelques réserves sur ce deuxième roman ? Je lui reconnais de grandes qualités d’objectivité, c’est que l’on sent trop l’envie de construire une histoire cohérente qui sans se finir par un happy end, se termine d’une façon optimiste Je reconnais que je n’avais rien lu sur les enfants métis de soldats américains au Vietnam mais cela n’a pas suffit à provoquer chez moi un enthousiasme que je pourrai partager avec vous.

Extraits

Début.

« La vie est un bateau, avait dit sœur Nhã la religieuse qui avait élevé Phong. Dès lors que ce bateau quitte son port d’attache qu’est le ventre de la mère, sa course se poursuit au gré des courants. Mais si le bateau renferme assez d’espoir, de fou en lui-même, de compassion, de curiosité, alors il peut affronter toutes les tempêtes de la vie. »

Un vétéran marqué par la guerre.

Dan ouvrit les yeux. Certains passagers riaient de soulagement. Les turbulences étaient passées.
 Il cligna des yeux, le visage brûlant de colère et de honte, puis secoua la tête pour tenter de chasser les images qui l’avaient assailli, mais dans son esprit tout était encore parfaitement vif : son mitrailleur, Ed Rappa, posté à la porte faisant le signe de croix et embrassant le sol après chacune de leur mission ; son chef d’équipe, Neil Hardesty qui mâchait son chewing-gum la bouche ouverte ; son copilote Reggie McNair, inspectant ses chaussettes porte-bonheur trouées par les mite, qu’il portait toujours en vol. Dan aurait aimé pouvoir leur dire combien il était désolé.
Pourquoi avait-il survécu et pas eux ? Cette question Dan se l’était posée un nombre incalculable de fois au cours des quarante-cinq dernières années.

Les enfants des vétérans.

 Beaucoup de vétérans refusent tout simplement de reconnaître leurs enfants quand ces derniers les retrouvent. Il peut y avoir de nombreuses raisons. Par exemple certains de ces hommes ignoraient qu’ils avaient engendré des enfants au Viêt Nam. D’autres sont traumatisés et ne veulent plus entendre parler de leur passé. Retrouver des membres de la famille est plus complexe qu’on ne le pense.

 

 


Édition stock, août 1995, 266 pages

Je suis allée vers ce roman car je suis très rétive à la Science Fiction mais que j’aime bien aussi changer d’avis sur mes a priori. le billet de Karine était tellement enthousiaste que j’ai immédiatement pensé voilà une bonne occasion de sortir de mes idées toutes faites.

Je reconnais, à Jacqueline Harpman, un vrai talent d’écrivaine, car on part sans aucune difficulté dans son histoire . Elle a une imagination féconde et le sens du détail. Dans la première partie du roman nous sommes avec la narratrice la plus jeune des quarante femmes enfermées dans une cave surveillée sans cesse, jour et nuit, par des gardiens. Les règles sont strictes, elles ne doivent jamais se toucher, ni s’isoler, elles doivent être vues par leurs gardiens à tout moment. La narratrice sait moins de choses que les femmes plus âgées mais elle comprend vite que tout manquement aux règles leur vaut des coups de fouet terribles. Elles ne peuvent pas non plus se suicider et sont donc « condamner » à attendre, attendre quoi ? rien si ce n’est de mourir. Elles sont nourries et survivent donc jour après jour. La narratrice se rapproche de Théa une de ces femmes qui lui explique le monde dans lequel elle vit. Et puis un jour … la porte de la cage est ouverte et les gardiens sont partis. Commence alors la deuxième partie du livre l’enfermement dans un monde extérieur qui n’existe plus. Les femmes organisent leur survie à l’air libre, c’est d’autant plus facile que la terre est couverte de petites guérites qui mènent à des caves et où elles trouvent nourriture et vêtements. Et aussi … à des cadavres de quarante femmes ou quarante hommes. Les survivantes vieilliront puis mourront les une après les autres sans jamais avoir la moindre explication de ce qu’il s’est passé. Bien sûr l’intérêt du roman ne vient pas du réalisme de l’histoire : c’est de la science fiction ! Il y a eu une catastrophe sur la terre et des gens très méchants ont pris le contrôle des humains. Une seule poignée de survivantes arrivent à se sauver des cages dans les caves et maintenant. ? Quel est le sens de ce livre ? « l’accès à la condition humaine » comme l’annonce la quatrième de couverture ? Pour moi non, la condition humaine n’a de sens que dans l’interaction entre les hommes alors que la narratrice réduit son personnage à la solitude totale.

Je l’ai dit en commençant ce billet, je reconnais à cette écrivaine une force narrative intéressante, j’ai suivi avec intérêt la façon dont cette femme se frotte à un monde dont elle ne connaît pas les codes puisqu’elle a grandi dans la cave et essaie de comprendre les bribes du monde d’avant qui lui parviennent. Quand je suis devant ce genre de lectures, je me demande toujours pourquoi les écrivains ont besoin d’imaginer de telles catastrophes pour nous faire réfléchir. Pour moi la science-fiction a du sens quand elle nous permet d’analyser notre monde. Le chef d’oeuvre dans le genre c’est Orwell et « 1984 » et aussi « la ferme des animaux ». Mais ici c’est gratuit et sans aucune explication ni sur la catastrophe initiale, ni sur la force dominatrice, alors je trouve cela gratuit. L’autre remarque que je me suis faite : pour tout le clan des antidivulgâcheuses (dont je ne fais pas partie) comment avez vous vécu que ce livre vous mette en attente d’une explication qui ne viendra jamais ?

 

Extraits

Début.

 Depuis que je ne sors presque plus je passe beaucoup de temps dans un des fauteuils, à relire les livres. Je ne me suis intéressée que récemment aux préfaces. Les auteurs y parlent volontiers d’eux-mêmes, ils expliquent pour quelles raisons ils ont rédigé l’ouvrage qu’ils proposent. J’en suis surprise : n’était-il donc pas plus évident dans ce monde là que dans celui où j’ai vécu de transmettre le savoir qu’on a pu acquérir ?

La mémoire.

 Y a-t-il dans le travail de la mémoire une satisfaction qui se nourrit d’elle-même et ce dont on se souvient compte-t-il moins que l’activité de se souvenir

La dignité humaine.

 Moi, je trouvais tout naturel, quand j’allais uriner de m’asseoir sur le siège des toilettes en continuant la conversation où j’étais engagée, les rares fois où je conversais. Les vieilles maugréaient furieusement, elles parlaient d’indignité et d’être ravalées au rang de la bête. Si si tout ce qui nous différencie des bêtes est de se cacher pour déféquer, la condition humaine me paraît tenir à peu de chose, pensais-je.

Le cœur du récit.

 Au début -enfin pas vraiment au début, car il y a une période dont personne n’a un souvenir clair, mais après, à partir du moment où les choses s’organisent dans nos mémoires, nous savons que nous réfléchissions tout le temps. Ils auraient pu te tuer, mais ils ne tuent pas ou te retirer, t’envoyer ailleurs, s’il y a d’autres prisons semblables à celle-ci, mais là ton arrivée aurait constitué une information, et la seule chose dont nous soyons sûres est qu’ils veulent qu’on ne sache rien. Nous avons fini par supposer qu’ils t’ont laissé ici parce que toute décision peut être examinée, et que leur absence de décision marquait la seule chose qu’ils veulent qu’on sache, et qui est que nous ne devons rien savoir.


Édition Calmann Levy, août 2021, 343 pages

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Le thème de notre club était l’aristocratie, donc, ce roman avait toute sa place : le baron de Testacceca , descendant d’une famille haute en couleur des Corbières, est propriétaire d’un château fort. Mais rien ne va bien dans cette famille de ce baron colérique qui fait facilement le coup de poing avec des gens du village qui se vengeront. Diane, la mère fait tout ce qu’elle peut pour maîtriser son diable de mari, et tenir à flots le peu de finances de cette famille, ensemble ils ont deux enfants Clémence une bricoleuse de génie et Pierre qui adore sa soeur et qui est un peu étrange .

L’auteur évoque cette région avec ses légendes et ses merveilleux paysages, on sent qu’il connaît et aime les Corbières. Léon essaie de faire du vin pour gagner de quoi réparer son château, mais la famille va être expropriée car leur château est classé et ils sont incapables de l’entretenir. Le maire est un malhonnête et leur vole une parcelle pour en faire un lotissement alors que celle-ci était classée inconstructible, mais par une entourloupe, il arrive en quelques jours à acheter le terrain et à le classer en zone à urbaniser. C’est peu crédible mais peu importe, cela permet à l’auteur d’imaginer une guerre entre les gens du château et les malhonnêtes du village.

Je pensais au début que cette histoire allait me plaire, mais je m’y suis beaucoup ennuyée, je ne me suis intéressée à aucun des personnages , sans être antipathiques ils ne m’ont pas semblé incarné . Je pense que ce récit manque d’humour ou de réalisme. On est entre deux eaux, le personnage du père, Léon , qui adore les bagarres aurait gagné à être drôle. L’histoire tourne au drame et à la tragédie sans que je ressente la moindre tristesse . Bref je suis passée à côte de ce roman dont j’ai aimé cependant les descriptions d’une nature si belle : les Corbières.

Voici l billet de Sylire , avis qui rejoint un peu le mien

J’avais oublié que j’avais lui un livre qui m’avait bouleversée « Avant la longue flamme rouge »

Extraits

Début.

 Pierre passe sous l’aine, et enfonce le couteau au renflement du croupion dont il tient écartés les bords caoutchouteux. Il y a encore quelques heures, ce perdreau volait dans la campagne à la recherche d’une femelle avec qui partager son nid de paille et de boue beurrée. La chair cède. Les vaisseaux s’entortillent autour de la lame. Les entrailles apparaissent : le foie couleur guimauve, le cœur dans un liquide délié, la graisse cireuse, l’intestin, la vessie aux reflets grenadine. Pierre extirpe ensuite les poumons qui ont l’air chacun d’être le cœur d’un animal plus grand et, surtout moins mort.

Le vin des Corbières .

Non pas un de ces reglingards qu’on vous sert sur du pain noir avec un pot de mayonnaise, ni une de ces piquette tellement chargée en levure qu’elles ont moins un goût de raisin que de banana split aux champignons ; pas plus qu’une de ces imitations prétentieuse de médoc, à la sapidité d’écharde, fabriquée en trouillard des copeaux de chêne et du sucre pommade.

J’aime bien cette baronne.

La baronne Mahault, qui entreprit de mener une attaque pour détruire le Panthéon, en 1788, sous prétexte qu’elle le trouvait trop laid (« un téton de truies sur un coffre en or »)

Remarque exacte.

 Depuis dix ans, d’un bout à l’autre du département, les centres-villes se vident, tandis que leurs alentours se remplissent de maisons identiques, de rond-points bizarroïdes et de lampadaires.

Édition Acte Sud, 254 pages, août 2023.

Petite question : suis-je la seule à ne pas aimer lire les livres de cette maison d’édition qui ne peuvent jamais s’ouvrir complètement sauf à casser le dos du livre ?

 

Ceci dit, j’aime très souvent les romans que cette maison édite. Ce n’est pas ma première rencontre avec cet auteur, mais c’est la première fois que j’écris un billet à propos de lui sur Luocine.
Un roman difficile à lire car il faut suivre deux histoires qui n’ont comme point commun que la folie guerrière des hommes. On commence à suivre la survie d’un déserteur dégoûté par les violences de la guerre, celles qu’il a commises, celles qu’il a vues commettre. L’auteur utilise un style très particulier pour exprimer cette violence, il va à ligne à chaque virgule, j’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi. Mais la langue est belle même si elle exprime ce qu’il y a de pire chez l’humain. Le soldat va être confronté à une femme qui a subi aussi le pire de la guerre . Je ne vais pas plus loin dans ce récit qui est terriblement anxiogène comme l’est sans aucun doute la violence de la guerre.
En parallèle, on suit une réunion le 10 et 11 septembre 2001, qui réunit des grands chercheurs en mathématiques pour célébrer Paul Heudebert, un personnage fictif qui aurait écrit des recherches essentielles au camp de Buchenwald. Communiste convaincu, il a choisi de rester en RDA. Il est très amoureux d’une femme qui, elle, est restée en RFA, leur fille Ingrid ira sans difficultés apparentes de l’Allemagne de l’ouest avec sa mère à celle de l’est. Cette partie est écrite de façon classique et nous permet de revisiter la guerre, le nazisme et de la division entre l’Ouest et l’Est, l’effondrement du communisme, puis l’attentat du 11 septembre qui fera tourner court la fameuse réunion. Les explications pour comprendre tous les enjeux du couple Heudebert ne seront dévoiler qu’à la fin du roman et c’est évidemment tragique.
J’ai un peu de mal à voir l’intérêt du mélange des deux histoires. Bien sûr, on comprend ce qu’a voulu faire l’auteur, montrer que la guerre est toujours là et toujours avec les mêmes horreurs. Mais pour moi il s’agit de deux histoires qui n’arrivent pas à se rejoindre.

Un beau roman, pas toujours facile à lire, mais on y revit tellement de problèmes de notre époque, c’est aussi un bel hymne aux mathématiques mais sans lien évident avec l’autre sujet

 

 

Extraits

Début.

II a posé son arme et se débarrasse avec peine de ses galoches dont l’odeur (excréments, sueur moisie) ajoute à sa fatigue. Les doigts sur les lacets effilochés sont des brandirons secs, légèrement brûlés par endroits ; les ongles ont la couleur des bottes, il faudra les gratter à la pointe du couteau pour en retirer la crasse, boue, sang séché, mais plus tard, il n’en a pas la force ; deux orteils, chair et terre, sortent de la chaussette, ce sont de gros verts maculés qui rampent hors d’un tronc sombre, noueux à la cheville.

Dieu pour le soldat.

 Il continue à marcher,
 Seigneur c’est bientôt le jour de la Passion,
 tu as honte quand tu penses à Son Nom -le fusil contre toi tu traverses Sa nature,
toute chose chante Ses louanges et fleurit Sa gloire,
il traverse les buissons, écoute les ailes qui claquent les branches qui remuent.

Style et mise en page …

 l’enfance parvient à te faire oublier la guerre et la faim,
 l’enfance rôde, c’est un monstre comme un autre,
 tu t’allonges sur la chaleur de la grande pierre plate du seuil.
Il réussit à fermer les yeux sans qu’apparaissent des visages torturés aux bouches sanglantes et aux cernés,
 ton corps, après l’eau, après le soleil, perd l’odeur électrique, de graisse et de sang, que la guerre a donné,
 haut dans le ciel les oiseaux et les avions tournent.

Le camp de Gur.

Que je fasse des mathématiques fascine mes camarades d’internement (on n’est pas détenu, ici, on est « interné » : nuance que mon niveau de français ne me permet pas réellement de saisir). Pour passer le temps, je lance des problèmes simples comme le ferai un prof de math – les quatre-vingts camarades de baraquements (Espagnols, Allemands, Juifs de toute ‘Europe) s’amusent à essayer de les résoudre. Ici on garde le papier (rare) pour les lettres : les maths, c’est sur les murs, avec des morceaux de pierre ou de charbon !

Un moment d’humour.

 Cet ajout se révéla aussi néfaste qu’hilarant : au lieu de se cumuler, ces deux forces semblaient soit se conjuguer inutilement, soit s’annuler. Les oublis étaient oubliés deux fois, les bévues doublement répétées. On aurait dit un dessin tracé par deux stylos à bille attachés entre eux par un élastique, des parallèles ne se rejoignant jamais, malgré tous leurs efforts, contraintes par Euclide soi-même.

Emmy Noether.

 Que vous a-t-elle enseigné (Emmy Noether) ? Paul prend alors son air pénétré, qui cache souvent chez lui une réponse ironique, qui en l’occurrence ne l’est même pas : « elle m’a appris que les mathématiques étaient l’autre nom de l’espoir ».

Les mathématiques.

 Les mathématiques sont un voile posé sur le monde, qui épousent les formes du monde, pour l’envelopper entièrement ; c’est un langage et c’est une matière, des mots sur une main, des lèvres sur une épaule ; la mathématique s’arrache d’un geste vif : on peut y voir alors la réalité de l’univers, on peut la caresser comme le plâtre des moulages, avec ses aspérités, ses monticules, ses lignes, qu’elles soient de fuite ou de vie.

 


Édition Gallimard NRF juin 2023 . 202 pages

Encore un roman sur l’extermination des Juifs et aussi des Tziganes organisée par les Nazis, mais bien aidés par en Hongrie par les « Croix Flêchées ». Ce qui rend ce livre lisible malgré les horreurs que l’on connaît mais qui sont tellement difficiles à lire c’est que les deux fillettes qui ont fui l’extermination se soutiennent et vivent dans un zoo où les animaux sont tellement plus faciles à vivre que les humains ivres de sang. La petite juive Sheindel, et le petite Tzigane Izeta se sont retrouvées dans le zoo de Budapest et aident les animaux à survivre à la guerre. Elles sont aidées par un soldat Dumitru de l’armée rouge originaire de Roumanie, qui est vétérinaire. Leurs rapports avec les animaux permettent d’alléger l’horreur de cette lecture. Et puis, après la guerre, les deux petites sont séparées, l’une ira vivre en Israël, l’autre retrouvera les Tziganes en Europe. Et Dumitru ira au goulag où sa mère va mourir. Il en reviendra et s’occupera de chevaux, Sheindel le retrouvera mais, en revanche, Izeta et elle n’arriveront pas à se rejoindre. La dernière partie du roman voit l’arrivée d’un journaliste, Frédéric qui a des points commun avec le correspondant de guerre et auteur, Jean Hatzfeld. Il suit la guerre en Croatie puis en Bosnie, cette région à de nouveau connu une guerre civile avec son lot de pillages, de bombardements, de viols et d’exterminations.

Ce roman se lit facilement même s’il raconte la partie la plus noire de l’humanité . Mais j’ai une réserve, qui vient sans doute que j’ai vraiment beaucoup lu sur ce sujet et que, et le mélange de la vérité historique et de l’imaginaire n’a pas très bien fonctionné (pour moi). En peine guerre de Bosnie, le narrateur reprend une histoire de zoo, mais cette fois, le journaliste dit clairement que c’est une fiction qu’il a inventée car la réalité était trop horrible. Alors qu’en est-il pour la vie des deux petites filles dans le zoo de Budapest pendant la guerre ?

Extraits

Début.

La scène se répétait, rien n’allait et il faisait un froid de canard. Muni d’une fourche qu’elle maniait avec peine, une fillette incitait des dromadaires à sortir de leur stalle, sourde à leurs blatèrements que les murs renvoyaient en écho. Ils refusaient de quitter le fond, qu’ils ne cessaient de longer dans une bousculade exaspérée.

Images terribles qui doivent hanter tous les descendants des juifs d’Europe centrale.

 À cet instant un cortège surgit dans la rue Király. En tête des miliciens coiffés de leurs calots verts marchaient d’un pas trop impulsif pour être cadencé. Derrière, un premier rang de femmes ; les suivait une foule d’hommes, le plus souvent cravatés, et encore des femmes silencieuses avec leurs enfants. Des hommes vêtus d’habits religieux marchaient en petits groupes, il y en a qui s’étaient bandé la tête d’un tissu pour dissimuler des blessures ou simplement la nudité de leurs joues qu’ils avaient sans doute été obligés de raser en guise d’humiliation. Ils avançaient au rythme des militaires hongrois et des gendarmes allemands fusils à la main Tous ne portaient pas l’étoile jaune, ils levaient les mains à hauteur d’épaule, rien dans leur comportement ne trahissait la panique. La marche n’était troublée que par les cris des miliciens. Sur les trottoirs, on chuchotait, les passants s’arrêtaient sauf ceux qui filaient pour ne plus voir.

L’autre thème du livre : les animaux .

Quand tu parviens à te tenir immobile dans un endroit sauvage, avec de la chance, tu vois un animal venir à toi, te rendre visite, répondit Sheindel. Rien de comparable avec un animal qui passe par hasard et marque un temps de surprise. Ou un animal à l’affût que l’on observe avec des jumelles en évitant d’écraser des branches sèches sous ses bottes. Un animal qui s’approche de toi à petits pas, le museau frémissant, c’est fantastique pour la simple raison qu’il vient pour toi.

 

Édition la Table Ronde, collection la petite Vermillon, 1937 puis 1999 et Janvier 2024, 410 pages.

Traduit de l’anglais par Frédérique Daber

 

Dès que je saurai qui a été ma tentatrice (ou, mais cela m’étonnerait, mon tentateur) , je mettrai un lien vers son blog.

Je me réjouissais tellement de lire ce roman et de partir loin des horreurs mêmes bien décrites de l’antarctique, mais, malgré mon envie de me plaire chez les nobles anglais habitant l’Irlande, j’ai été déçue par ce roman.

Comme le dit Nathalie Crom dans sa préface , il fallait bien connaître de l’intérieur la noblesse protestante qui vit en Irlande pour décrire avec autant de minutie leur quotidien. Cela est certainement vrai, mais voilà, est ce que cette vie est intéressante ? pour moi à l’évidence la réponse est … pas trop !

Le roman commence dans une maison genre manoir aux apparences d’un château au bord d’une rivière aux eaux sombres, Garonlea. Les habitants au début du XX° siècle y sont particulièrement malheureux, car ils vivent sous l’autorité de la femme d’Ambrose un mari falot qui ne conteste jamais les décisions, même les pires, de son épouse Lady Charlotte McGrath. Leur fils, Desmond vit en pension loin de cet endroit qui suinte l’ennuie et la méchanceté mais les quatre filles sont tyrannisées par cette mère sans même penser à se révolter, sauf la petite dernière Diana. Muriel restera tout sa vie au service de son horrible mère, Enid sera mal mariée à Arthur qu’elle a cru aimer, Violette aura un vrai mariage .
La deuxième partie, voit l’arrivée de Cynthia la fiancé puis l’épouse de Desmond qui s’installe en face à Rathglass, voilà une jeune femme lumineuse qui va éteindre peu à peu le règne de Lady Charlotte. Hélas la guerre 14/18 verra la mort de Desmond mais aussi le bonheur de Diana qui vient vivre avec Cynthia et fuit l’horrible demeure de Garonlea. elle sera d’un grand secours pour sa belle soeur et ses neveux Simon et Sue pour qui la belle Cynthia n’a aucune tendresse, d’autant plus qu’ils ont tous les deux peur de monter à cheval ! Pourtant seule occupation digne d’un noble anglais

La boucle du roman se termine quand Simon hérite de Garonlea et que Cynthia arrache à cette demeure toutes les traces du passé, en luttant contre son fils qui pour s’opposer à sa mère qui n’a pas su l’aimer, ni lui ni sa soeur, veut redonner à cette demeure l’allure qu’elle avait sous le règne de sa grand-mère la méchante Lady Charlotte. Au grand désespoir de Diana qui a été si malheureuse quand elle était enfant à Garonlea.

À quoi s’occupent ces gens dont les revenus semblent sans limite ? La chasse et les fêtes , voilà tout. Dans cette Irlande où dans ces famille-là on passe son temps à se moquer des balourds d’Irlandais, on vit entre soi sans aucun rapport ni avec les domestiques ni avec la population. Le roman se concentre sur les décors des demeures, les détails des vêtements des femmes, et toutes les péripéties de la chasse et les chevaux. Pour faire une comparaison de la célèbre série Downton Abbey, ce serait les Crawley sans les domestiques ni le village. On passerait notre temps de réception en réception et la série n’aurait assurément aucun succès. Malgré les histoires d’amour de la belle Cynthia.

C’est le cas pour ce roman, avec, il est vrai une analyse très poussée des sentiments de chaque personnage, mais comme ils ne sont pas ancrés dans une réalité , leurs personnalités semblent venir ex nihilo, comme des données intangibles : Lady Charlotte est méchante, Cynthia est brillante, Diana est gentille et sera dévouée à Cynthia toute sa vie …

Bref un roman que j’ai lu sans grand intérêt , il faut dire que ma passion pour le belles robes et les bals est limitée, je reconnais quand même à cette écrivaine une honnêteté sans faille à propos de les description de la vie oisive et superficielle de la noblesse protestante qui vit au milieu d’Irlandais qui, un jour, les chasseront avec violence de leur pays.

 

Extraits

Début.

Comme nous connaissons mal les premières années du xxe siècle. 1901, 1902, 1903 et jusque 1914 : les années de brume. Loisirs, richesse, espace, premiers automobilistes en cache- poussière, courage des pionniers de l’aviation, certes tout cela nous impressionne. Mais nous ne ressentons pas vraiment cette époque, du moins pas comme nous ressentons celle de la guerre mondiale. Là, nous sommes véritablement conscients.

Portrait de la mère tyrannique.

Lady Charlotte French-McGrath, qui marchait derrière ses filles, était un abominable tyran, littéralement bouffi de vanité familiale et d’un effroyable orgueil de caste. Elle avait une vision étrange de sa propre puissance, vision qu’elle avait bel et bien réalisée en vivant surtout à Garonlea, en compagnie d’un époux dévoué, d’enfants terrorisés et de nombreux fermiers et serviteurs. Elle avait vécu à Garonlea, elle y avait souffert, elle en était le chef suprême.

Le père.

Ambrose French-McGrath, l’homme qui avait conçu ces jeunes filles, était un être triste et inquiet qui préférait nettement la compagnie de ses inférieurs à celle de ses égaux par la naissance et la position sociale.
Il était terriblement fier de sa maison et de sa terre et sa fierté était émouvante : c’était celle de locataire à vie (…)
Il y avait si peu de choses à dire lorsqu’on voulait parler d’Ambrose, cet homme falot, triste et tendre. Sa personnalité était comme camouflée dans les circonstances de sa vie : « fils du vieux Desmond McGrath, le type le plus drôle du monde », « sa femme est étonnamment efficace », « meilleure chasse à la bécasse de toute l’Irlande », voilà ce qu’on disait d’Ambrose. De sa personne jamais rien.

Tenir son rang.

 Cynthia, la vie et l’âme de ces lieux. Cynthia, l’hôtesse modèle. La mère accomplie. La châtelaine vénérée de Garonlea, accusée d’avoir l’indécence de paraître malheureuse. Le malheur était un attribut de l’échec. C’était une incorrection envers ses invités que de laisser voir de la tristesse en une si joyeuse occasion. On ne devait pas se laisser aller un seul instant.

Les tenues de la jeunesse des filles de Lady Charlotte.

 Comment se faisait-il que ce temps de leur jeunesse pût paraître à présent comique ? À l’époque romantique où elles les portaient, ces vêtements leur avaient semblé parfaits. Tout ce que l’on trouvait à dire pour leur défense maintenant, c’était qu’ils ne différaient pas tellement de ceux d’aujourd’hui. Il était impossible de dire ; « Nous étions ravissantes dans ces vêtements. Les hommes n’avaient d’yeux que pour nos seins rebondis. Nous avions des principes auxquels nous croyions dur comme fer. Nous n’étions pas grossières, malheureuse, et plates comme le sont nos filles. »
Pas malheureuse ? Cette façon de nier l’évidence, aussi, était typique de l’époque.

Bon résumé de la vie de cette noblesse

Elle avait beaucoup aimé ses vêtements. Elle les avait choisis avec un goût sûr et original, les avait portés avec le plus grand succès et les avait appréciés bien au-delà de tout de utilitaire. Parce qu’ils faisaient partie d’elle, de sa beauté, de son prestige et de sa puissance, la moindre intrusion dans cette garde-robe de fantômes et de souvenirs l’eût enragé. Toutes ces robes étaient à elle, elles étaient sa vie. Pas un passé vague et indistinct. Elles avaient souligné sa beauté, lui avaient été chaudes ou légères, avaient vécu avec elles des heures d’amour, de terrible solitude, de vive satisfaction.

Je n’aime pas ce genre de procédé.

( en plus on attend évidemment la suite, mais en réalité ici rien ne va se passer autrement que la continuité roman)

Supporter cette première éclipse de son autorité. Tout cela l’épuisait. Mais elle eût souffert plus encore si elle avait su où cela allait la mener.

 


 


Édition Au Diable Vau Vert , avril 2023, 210 pages.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mawson savait qu’il n’existait pas de mot pour en parler, puisque les mot étaient une façon de communiquer entre les Homme et que le Sud était par essence totalement inhumain. 

Je me trouve devant une difficulté pour mettre des coquillages, je dois en mettre 5 pour la qualité d’écriture et deux pour mon plaisir de lecture. Alors ce sera 3 : une côte bien mal taillée !

Je m’explique : Justine Niogret , sait, oh combien, faire ressentir la souffrance de ceux qui sont partis explorer ce continent dans le froid extrême, le blizzard, les glaciers qui cachent des crevasses où peuvent mourir hommes et chiens …. Mais c’est tellement horrible que je me suis demandée pourquoi je m’infligeais cette lecture !

Au début du XX° siècle, les hommes veulent explorer toute la planète terre. Parmi les endroits les plus inhospitaliers, il y a les pôles. Nous suivons donc l’expédition de Mawson, et ses deux amis pour aller le plus loin possible sur l’antarctique. Tout le talent de l’autrice est de nous faire ressentir dans notre chair, les épreuves que ces hommes doivent endurer, pour rien ou presque. La seule douceur vient des relations de respect et d’amitié que les trois hommes tissent entre eux.

D’abord le froid, un froid humide qui gèle au point, parfois, de maintenir la tête d’un homme renversée en arrière car la capuche a durci dans cette position. Le vent qui souffle si fort qu’on ne s’entend pas et qui empêche parfois pendant deux ou trois jours toute progression. La difficulté du terrain qui ne correspond que rarement à un glisse rapide, ce ne sont souvent que des suites de stries profondes de glace qui blessent les pieds des chiens, et enfin les terribles crevasses cachées par des ponts de glace qui peuvent s’effondrer à tout moment, entraînant dans des abysses sans fin, chiens traineaux et humains. Il faut aussi compter sur la nourriture qui n’est jamais suffisante et si compliquée à réchauffer. Et puis, il y a les chiens qui sont des compagnons indispensables mais qui s’épuisent quand la nourriture vient à manquer et comme le titre le dit, il faudra qu’ils servent de nourriture aux chiens plus vaillants et aux humains .
Il ne restera qu’un homme presque moribond de cette expédition qui n’a servi à rien mais qui est l’occasion pour cette écrivaine de nous faire partager son talent si évocateur.
Si vous aimez les sensations fortes, si vous êtes moins impressionnable que moi, lisez ce livre c’est un modèle d’efficacité littéraire.

 

Extraits

Début .

 Hors de la tente, un des chiens se mit à hurler. On ne pouvait guère entendre son cri, mais on le ressentait, dans la chair : une vibration organique, vivante, au milieu des rugissements de vents si durs qu’ils en devenaient minéraux.

Le vent.

Mawson avait croisé des tempêtes, aussi bien sur terre que sur mer : elles restaient toujours à une certaine échelle humaine. On pouvait imaginer la volonté d’un Dieu ou d’une déesse s’en prenant aux hommes et à leurs constructions, voulant leur faire revenir en bouche le goût de la boue des débuts du monde. Il y avait de la sauvagerie, mais une sauvagerie que l’on pouvait appréhender. Ici, c’était autre chose. Ici le vent dansait à sa façon et rien, absolument rien, ne savait danser avec lui.

Se nourrir.

 Ici, on ne mangeait pas pour grossir, grandir, se sentir repu. On mangeait pour repousser encore le moment de la mort.

Le danger du soleil sur la glace.

Mawson connaissait le soudain éclat de lumière pure, reflété par une glace aussi translucide qu’un cristal. Il se souvenait très vivement de cet instant brutal où le soleil frappe sans aucun filtre au fond de l’œil et de la brûlure atroce ressentie par la cornée, frappée comme par la foudre.

Une horreur de plus.

Johnson avait toujours été une gentille bête, loyale et travailleuse. Les hommes furent attristés de sa mort. Ils tentèrent de découper sa viande en lamelles avant de la faire bouillir dans l’eau, et d’y ajouter quelques pincées de pemmican. Le repas les laissa affamés. Les chiens dévorèrent la carcasse, arrachant les tendons et les cartilages, déchirant la peau, broyant le crâne. Mawson se surprit à se demander s’il les enviait de prendre plaisir à ce repas. Lorsqu’il vit la chienne gober les dents nues Johnson tombées dans la neige, il estima que non.

La mort ou presque .

 Ici était la terre du dénuement, ici était la terre de la mortification. Pouvait-il mourir, en avait-il le droit, seulement, tant qu il lui restait de quoi manger et de quoi avancer  ? Peut-être pas. Était-ce la faute de ce continent était-ce sa volonté de consumer par les flammes de la glace tout ce qui s’y trouvait ? Non sa rudesse composaient toute sa nature. Mawson pouvait-il en vouloir à la banquise ? Il savait qu’il nourrissait une colère contre elle un ressentiment profond, brutal.

 


Édition Stock janvier 2024

 

En 1720, le roi de France, Louis XV, a décidé que la Louisiane serait une terre française, et pour cela il faut peupler cette région, donc y envoyer des femmes : c’est le thème de ce gros roman de 550 pages. Le premier envoie fut une catastrophe car les femmes ne voulaient pas partir et ont résisté jusqu’au bout. Les autorités s’y prennent donc autrement et réussissent à convaincre des femmes de s’embarquer à Lorient sur un navire appelé « la Baleine », direction la Louisiane, le mariage et surtout la procréation car il s’agit avant tout de peupler cette région de bons petits français.

Le roman commence à la Salpêtrière, où sont retenues prisonnières, pour des raisons les plus diverses, de très jeune filles. Nous allons y rencontrer connaître les héroïnes du roman : Geneviève la plus âgée, dont les parents qui cultivaient les vers à soi en Provence, ont tout perdu dans un incendie, Pétronille qui a une tâche blanche sur le visage et dont les parents se sont débarrassés , Etiennette et Charlotte deux orphelines élevées à la Salpêtrière . Les conditions de vie dans cet asile pour jeunes filles et jeunes femmes sont absolument horribles et on comprend qu’un ailleurs les ait tentées.

La deuxième partie c’est le voyage, on peut imaginer l’horreur de cette traversée sous le regard sévère des bonnes sœurs, heureusement sujettes au mal de mer ce qui donne un peu de liberté aux passagères. Pendant le voyage des liens se créent, une histoire d’amour avec un marin et des liens amoureux entre Charlotte et Etiennette. Un abordage de pirates puis, enfin, plus mortes que vives, leur arrivée en Louisiane

Troisième partie : le destin de ces pauvres filles qui sont mariés à des rustres pour la plupart et qui vivent dans des conditions très hostiles : une nature difficile à supporter et des populations indiennes qui voient d’un mauvais œil ces gens qui leur volent leur terre.
L’autrice a recherché sérieusement ce qu’elle a pu trouver dans les archives de ces faits historiques et à partir de là elle a construit une intrigue romanesque. Autant la toile de fond historique m’a intéressée autant le romanesque m’a semblé plaqué et je n’ai pas du tout adhéré aux personnalités qu’elle a choisies de mettre en scène. L’intrigue amoureuse entre Charlotte et Geneviève n’est pas passionnante et les tourments psychologiques de la pauvre Charlotte m’ont quelque peu lassée. Comme ces femmes ont la sympathie de l’autrice, elles sont « évidemment » proches des Indiens (les Natchez) et s’offusquent du sort qui leur ait réservé et elles essaient d’être « gentilles » avec le esclaves noirs.

La description de la situation des Natchez de leurs révoltes et finalement de leur extermination par les Français m’a beaucoup intéressée .

Une déception pour ce roman dont j’attendais beaucoup, car je n’avais encore rien lu sur ce sujet. La quatrième de couverture annonce une série télévisée à partir de ce livre, je pense que cela peut donner de belles images et peut être que le romanesque passera mieux.

Extraits

Début.

Paris, mars 1720
 Marguerite doit dresser une liste. Elle replie la lettre de l’avocat général, s’efforce de trouver une meilleure posture pour sa jambe raide. Après la pluie de ces derniers jours, la douleur enfle de ses orteils à sa cuisse, bourgeonne jusque dans les articulations de ses mains. C’est l’heure où les filles ont quitté les ouvroirs, où les voix récitant les derniers psaumes se sont tues, où les sœurs officières lui ont remis leurs derniers inventaires. Les atelier sont fermés et les artisans retirés dans leurs logements. On n’entend même plus les prisonnières des loges aux folles.

L’état des prisons en 1720.

 Comme tous les hivers, le système d’évacuation qui longe le mur à l’est de la Salpêtrière à débordé quand les eaux épaisses de la Seine se sont mises à couler trop vite ; la prison trempe dans une odeur aussi solide que de la boue séchée, de la fiente d’oiseau.

Consoler une enfant de la mort de son père.

 Elle envie la tristesse simple, abyssale de sa fille. Hier, en voyant le cercueil pour la première fois, la petite s’est mise à sangloter, et Geneviève lui a raconté une histoire pour l’apaiser. Une fois sous terre, le cercueil se transformerait à nouveau en chêne, ses planches se feraient racines. Un arbre invisible jaillirait et ses branches deviendraient des échelles, hautes et biscornues. Elles mèneraient jusqu’aux nuages.