Voici une nouvelle raison de tenir mon blog, et cette raison je la dédie à toutes celles qui ont eu ces temps derniers envie d’arrêter le leur, en espérant que cela leur redonnera l’envie de continuer car la lecture des blogs divers et variés font partie de mes plaisirs de vie. Je me suis promis de relire un tome par été de « La recherche du temps perdu », je l’ai lu depuis longtemps et essayé plusieurs fois de le relire. Mais je me croyais obligée (je me demande bien pourquoi !) de commencer par le début, cela fait que je connais assez bien (avec Proust , il faut toujours rester modeste sur la connaissance de son œuvre) « du Côté de chez Swann » et « à l’Ombre des jeunes filles en fleurs ». Je pense donc qu’en dehors des challenges proposés par les amis, on peut se donner à soi-même des défis en pensant les mettre sur son blog.
Mettre des coquillages à ce chef d’œuvre, c’est un peu stupide, mais Proust me ravit trop et sa lecture me fait un tel bien que je veux le clamer haut et fort. De même la petite madeleine sur ma photo est quelque peu kitsch, il me pardonnera surement mes fautes de goûts lui qui sait si bien décortiquer les ressorts de l’âme humaine. « Le temps retrouvé » dans mon édition est en deux tomes, le premier commence par une soiré à Tassonville chez Gilberte l’épouse de Robert de Saint-Loup et est traversé par la guerre 14/18. Le second par une invitation chez la duchesse de Guermantes , soirée lors de laquelle Proust (ou le narrateur de « la Recherche ») comprendra la nécessité dans laquelle il se trouve d’écrire son œuvre alors que tous les acteurs qu’il a dépeints jusqu’à présent sont au bord de la grande vieillesse. On y trouve, donc, les clés qui motivent la création artistique. Je voudrais dire à tous ceux que la lecture de Proust rebute, qu’il peut être lu de façons tellement différentes qu’il n’est pas possible que l’une d’entre elles ne leur corresponde pas. Bien sûr, il reste son style et ses phrases si longues que parfois on s’y perd, mais voilà , au début on se force, puis on s’habitue et enfin on adore. Je tiens aussi à dire qu’on s’amuse beaucoup en lisant ce grand auteur car il sait mieux que quiconque croquer les travers de gens qui se croient tellement au dessus du « commun ».
Vous pouvez l’apprécier pour la justesse de l’analyse de l’âme humaine, à l’opposé de Zola (autre classique relu cet été), aucun personnage n’est forcé et même si le trait est parfois féroce, c’est toujours dit avec beaucoup d’élégance, ainsi, Madame Verdurin que l’on a vu mépriser les grands de ce monde au début de « la recherche », les fréquente de plus en plus et que nous dit Proust :
On peut remarquer , d’ailleurs, qu’au fur et à mesure qu’augmenta le nombre de gens brillants qui firent des avances à Mme Verdurin, le nombre de ceux qu’elle appelait les « ennuyeux »diminua. Par une sorte de transformation magique, tout ennuyeux qui était venu lui faire une visite et avait sollicité une invitation devenait subitement quelqu’un d’agréable et d’intelligent.
C’est tellement vrai !
On peut aussi savourer les traits d’esprit volontaires chez le Duc de Guermantes…
Si son mari arrivait vraiment ou s’il n’enverrait pas une de ses dépêches dont M. De Guermantes avait spirituellement fixé le modèle : « Impossible venir, mensonge suit. »
… ou involontaire chez Françoise :
« Au commencement de la guerre on nous disait que ces Allemands c’était des assassins, des brigands, de vrais bandits des Bbboches. …. » Si elle mettait plusieurs b à Boches, c’est que l’accusation que les Allemands fussent des assassins lui semblait après tout plausible, mais celle qu’ils fussent des Boches presque invraisemblable à cause de son énormité.
La méchanceté ordinaire des salons :
Certes, je m’attendais à vous voir partout ailleurs qu’à un des grands tralalas de ma tante, puisque tante il y a » ajouta-t-elle d’un air fin , car étant Mme de Saint-Loup depuis un peu plus longtemps que Mme Verdurin n’était entrée dans la famille, elle se considérait comme une Guermantes de tout temps et atteinte par la mésalliance que son oncle avait faite en épousant Mme Verdurin, qu’il est vrai elle avait entendu railler mille fois devant elle , dans la famille , tandis que , naturellement, ce n’était que hors de sa présence qu’on avait parlé de la mésalliance qu’avait faite Saint-Loup en l’épousant.
Dans la première partie du « Temps retrouvé » la description de la vie parisienne à l’arrière du front est d’une justesse étonnante, deux scènes ont retenu mon attention , la première c’est Madame Verdurin qui, malgré les restrictions alimentaires dues à la guerre, a réussi à se faire prescrire « son » croissant du matin par le docteur Cottard accompagnant son café , car, sans ces deux ingrédients, elle souffre de migraines. Elle lit avec « Horreur » le torpillage du Lusitania tout en essuyant les miettes de son croissant. Et à l’opposé , lorsque l’un des neveux de Françoise se fait tuer sur le front, laissant une très jeune veuve tenir seul un café qu’ils venaient d’acheter, l’oncle et la tante du jeune homme qui vivaient une retraite tranquille viendront l’aider à tenir ce café sans se faire payer.
On peut aussi apprécier des descriptions aussi bien des lieux que des personnages, j’ai beaucoup aimé cette évocation de la vieillesse :
.. qu’on eût dit qu’elle était un être condamné, comme un personnage de féerie, à apparaître d’abord en jeune fille, puis en épaisse matrone, et qui deviendrait sans doute bientôt en vieille branlante et courbée. Elle semblait, comme une lourde nageuse qui ne voit plus le rivage qu’à une grande distance, repousser avec peine les flots du temps qui la submergeaient.
ou de la princesse de Nassau :
Née presque sur les marches d’un trône, mariée trois fois, entretenue longtemps et richement par de grands banquiers, sans compter les mille fantaisies qu’elle s’était offerte, elle portait légèrement, comme ses yeux admirables et ronds, comme sa figure fardée et comme sa robe rose, les souvenirs embrouillés de ce passé innombrable.
Enfin dans la deuxième partie, la réflexion sur la création artistique est absolument passionnante, c’est plus compliqué de donner des citations appropriés à son propos, j’ai été particulièrement sensible à la nécessité d’écrire et à la force qu’il lui faut pour aboutir dans ce projet, en particulier ne pas se laisser divertir par les événements du monde pour éviter d’écrire
Aussi combien se détournent de l’écrire, que de tâches n’assume-t-on pas pour éviter celle-là. Chaque événement, que ce fût l’affaire Dreyfus, que ce fût la guerre, avait fourni d’autres excuses aux écrivains pour ne pas déchiffrer ce livre – là, ils voulaient assurer le triomphe du droit, refaire l’unité morale de la nation, n’avaient pas le temps de penser à la littérature. Mais ce n’étaient que des excuses parce qu’ils n’avaient pas ou plus de génie, c’est à dire d’instinct. Car l’instinct dicte le devoir et l’intelligence fournit des prétextes pour l’éluder.
Enfin lire Proust c’est se régaler de petites phrases tellement justes :
Les vrais paradis sont ceux qu’on a perdus
Et ne peut-on dire cela aujourd’hui encore pour tous ceux qui se font leur opinion à travers les média ? :
Ce qui est étonnant, dit-il, c’est que ce public qui ne juge ainsi des hommes et des choses de la guerre que par les journaux est persuadé qu’il juge par lui-même.
Je termine par cette phrase que je trouve si belle :
Le bonheur est salutaire pour le corps, mais c’est le chagrin qui développe les forces de l’esprit.
Un site parmi tant d’autres que je recommande à tous ceux et celles qui veulent se familiariser avec Proust et ceux et celles et ceux qui veulent savourer leur plaisir de lecture avec un vrai connaisseur :
Proust ses personnages.