Je ne pense pas qu’il faille attendre de cet auteur une vérité historique, mais il sait si bien embarquer son lecteur dans le grand siècle qu’on prend un réel plaisir à lire ce livre. et comme lui, on prend parti pour Fouquet (avec La Fontaine et Madame de Sévigné) contre Louis XIV et surtout Colbert. L’image de mon livre d’histoire d’école primaire de Colbert se frottant les mains avant de se mettre au travail pour le bien de la France et de son roi, en a pris un sérieux coup. Pour Paul Morand, si Colbert se frottait les mains, c’etait surtout pour amasser une fortune personnelle, pour lui et ses enfants.L’écrivain saura émerveiller son lecteur par la description de la fête donnée à Vaux pour le Roi, le passionner par le récit du procès qui tint en haleine la France des lettres de ce temps, et enfin l’émouvoir en lui racontant le sort de celui qui fut poursuivi par l’injustice royale.
Louis XIV, avec amertume, pense à Versailles qui n’a pas d’eau ; il n’a jamais vu pareil surgissement, cette féerie de sources captées, ces nymphes obéissant à d’invisibles machines. Il se fait expliquer comment la rivière d’Anqueil a été domestiquée, resserrée dans des lieux de tuyaux d’un plomb précieux. Fouquet ne lui dit peut être pas que ce plomb appartient à l’Etat, vient d’Angleterre sans payer de douane, mais Colbert le dira au roi. Car Colbert est là, déguisant sa haineuse passion, qui observe tout, envie tout.
Vaux, énorme échec pétrifié ; mais ce n’est pas l’échec d’un fou, ce fut le décor d’une réussite parfaite, qui n’a duré qu’une seule soirée, celle du 17 aout 1661.
Si même il fut malhonnête et damnable, Fouquet, du moins, était généreux et bon, tandis que Mazarin, Colbert, Séguier, la Montespan, bien d’autres héros de ce temps, furent à la fois malhonnête et méchants.
Fouquet est l’homme le plus vif, le plus naturel, le plus tolérant, le plus brillant, le mieux doué pour l’art de vivre, le plus français. Il va être pris dans un étau, entre deux orgueilleux, secs, prudents, dissimulés, épurateurs impitoyables.