Éditions de l’Olivier

L’expérience concentrationnaire est incommunicable.

C’est c’est une histoire racontée à des sourds par des muets

Quatrième livre de cette auteure sur Luocine, c’est visiblement une écrivaine que j’apprécie sans jamais être totalement enthousiaste , petit rappel : le remplaçant, Ce Coeur changeant, les bonnes intentions.

Ce roman est , une fois encore, agréable à lire mais la construction est surprenante, on a l’impression, certainement fausse, que l’écrivaine écrit au fil des jours sans savoir très bien où elle va et où elle mène son lecteur.
Au départ, il y a un projet assez vague de créer un lieu pour vieillir avec ses amis, un peu comme ses grands-parents, rescapés d’Auschwitz l’avait fait dans une tour du 13°. Elle revisite donc ses souvenirs, très marqués évidemment par le poids de la Shoah, mais aussi, de ce que représente pour elle, le vieillissement. Son livre est comme un kaléidoscope, avec des petites pépites lumineuses mais qui ne se raccrochent pas à un ensemble.
Comme je suis, parfois, un peu comme la vieille femme écossaise qui l’avait interpellée lors d’un colloque en lui demandant de quel droit elle parlait de la vieillesse et de la guerre, elle qui ne l’était pas, vieille, et qui ne l’avait pas vécue, la guerre, en regardant la très joie femme de soixante ans qui a écrit ce livre, je me suis plusieurs fois demandé ce qu’elle connaissait de la vieillesse physique, qui arrive vers 80 ou 90 ans. Et toujours avec mon esprit mal placé, j’ai pensé que cela lui permettrait d’écrire un autre livre dont le sujet serait « la vieillesse physique commence plus tard que je ne l’imaginais ».

Stop, pour mon mauvais esprit ! Cette écrivaine ne saurait totalement me déplaire car nous avons un auteur fétiche commun : Jean Pierre Minaudier. Et puis, lorsque l’on passe plusieurs soirées avec ce livre, en étant parfois , amusée , triste ou le plus souvent étonnée, on ne peut pas être trop sévère. Pourtant, je sais que j’oublierai ce roman, cette longue déambulation dans sa mémoire et tous les gens qui la peuplent.
Sa grand-mère qui lui donne la recette d’un gâteau dans son accent qui la rend si attachante. Sa mère qu’elle a tant aimée et elle qui sait qu’elle porte en elle même la petite fille, l’adolescente, la femme et la mère .

Je ne pense pas qu’elle construira son phalanstère pour vieillir avec ses amis, mas elle a déjà réussi à les réunir dans son livre

 

Extraits

 

Le Début.

 Mes grands parents maternels, Boris et Tsila Jampolski, avaient 65 ans lorsqu’ils ont acheté sur plan, un appartement de deux pièces avec balcon au huitième étage d’une tour dans le XIII° arrondissement de Paris. J’ai écrit leur adresse -194 rue du Château des Rentiers 75013 Paris- sur des enveloppes et des cartes postales pendant près de trente ans.

J’aime cette façon de raconter.

 À 17 ans et un jour j’ai modelé un nouvel idéal en m’inspirant cette fois d’une amie que je trouvais plus jolie, plus intelligente et plus mûre que moi. Je m’achetais les mêmes vêtements qu’elle. Toutefois comme nos morphologies différaient ce qui la sublimait -faisant d’elle tantôt une princesse bulgare tantôt une ballerine de Degas- faisait de moi une brave une brave fille de ferme. Le constat de ce nouvel échec aurait pu mettre fin à ma manie de l’idéalisation. Mais non. J’aimais et j’aime toujours admirer. C’est mon moyen de transport fétiche. Je veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu importe que j’y parvienne ou non, car le plaisir est garanti par le trajet.

La recette de cuisine du gâteau de sa grand-mère.

« Combien tu mets de farine ? » lui ai-je demandé. « Un péï »,a-t-elle répondu. « Et combien de sucre ? » « Un péï. » « Comme la farine alors ? »  » Non, pas comme la farine,. Un péï. » J’ai laissé tomber. Elle a ajouté l’hile, à batti avec le battèr, elle a kisinéï, dans sa kisine, à sa façon qui ne serait jamais la mienne, et j’ai accepté de perdre pour toujours la saveur de mon gâteau préféré. J’ai accepté l’idée que quand elle mourrait, le gâteau mourrait avec elle.

Vieillir.

-C’est quoi, le pire, pour toi dans le fait de vieillir ?
– La douleur. Le mouvement entravé. La fin de la souplesse. La laideur. J’ai j’ai honte de tout, de mes cheveux, de mon visage, de mes mains, de mes pieds (je ne parle pas du reste). C’est comme si je polluais l’espace visuel collectif. Cela me rend malade de timidité. Je ne sais pas comment m’habiller, comment m’asseoir, comment me relever. J’ai l’impression de m’être endormie dans un corps et de m’être réveillée dans un autre.

Je comprends sa mère.

Ce qui ressemble à un paradoxe n’en est pas un : indisponible elle l’était, pour boire un café, se promener bavarder au téléphone. Mais fiable et présente, elle l’était aussi, pour s’occuper des enfants, me conduire en voiture, m’aider à préparer un repas. Autrement dit, si c’était pour le plaisir -le sien en particulier-, c’était souvent non. Si c’était pour se rendre utile c’était toujours oui.

Le brouillon et la vie.

À l’école, on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à s’entraîner avant de « faire pour de bon » structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu’une fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncider avec la version définitive.

C’est aussi une de mes idoles.

Cela m’évoque la félicité grammaticale que j’ai éprouvée en lisant ce que Jean-Pierre Minaudier, historien reconverti en linguiste et traducteur du basque et de l’estonien, écrit concernant un suffixe présent dans la langue guarani. Cette particule que l’on ajoute à la fin de l’année permet d’en modifier la modalité, et d’indiquer ainsi différents états d’un même objet ou d’un même être. » En guarani, note-t-il, il y a non seulement un passé, mais un futur et un « frustratif » nominaux. « Chemanékue » veut dire « celui qui était mon époux, « chéménarã » « mon futur époux, et « chéménarãngue » « celui qui devait être mon époux mais ne l’est pas devenu. Je me rappelle avoir été ébahie en entendant cette déclinaison. Le génie de Minaudier n’y était pas pour rien. Avoir l’idée, pour nommer un mode grammatical, de forger le néologisme « frustratif » à fait de lui une de mes idoles.

 

 


Édition Philippe Ry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent

Deux énormes coups de cœur à suivre c’est rare et cela fait du bien !

Ce roman est absolument magique et très prenant. Il s’agit d’une histoire d’amour au sein d’une famille traditionnelle chrétienne de grands notables égyptiens. Tarek, fils d’un médecin reconnu du Caire, suit les traces de son père et obéit aux injonctions familiales en se mariant et en essayant de fonder une famille. Sa vie va être bouleversée par la rencontre d’Ali, un jeune prostitué musulman qui lui demande de soigner sa mère. Atteinte, on le comprendra petit à petit, d’une maladie dégénérative terrible, la maladie de Huntington. Un amour très fort unira les deux hommes, mais hélas, Ali disparait, et Tarek fuit au Canada. Il ignorait que sa propre femme était enceinte, il a un fils Rafik qui veut savoir, comprendre et connaître ce père dont personne ne lui parle dans sa propre famille.
La force du roman tient, bien sûr, à l’écriture absolument superbe et à la construction du récit. Dans la première partie nous suivons Tarek, on comprendra à la fin du roman l’utilisation du « tu » comme si Tarek se parlait à lui-même, on sent que ce personnage se cherche et on découvre tout le poids de l’Égypte, les notables, la misère et les traditions. Mais aussi la chaleur de cette famille qu’il va trahir en assumant d’abord sa sexualité puis en fuyant à l’autre bout du monde. Ensuite nous entendons, Farik son fils qui, par petites touches, essaye de comprendre cette histoire. Mais celle qui sait tout la mère de Tarek et grand mère de Farik, ne dit rien, elle sait trop de choses pour pouvoir parler. Heureusement, il y a la bonne Fateya, celle qui, par sa cuisine apporte de la douceur dans cette famille si raide, celle qui sait tout car elle écoute aux portes. Et enfin, nous saurons tout au sujet d’Ali qui a vraiment aimé Tarek, mais qui, s’il était resté près de lui entraînait toute cette famille dans l’opprobre du « quand dira-ton » égyptien qui fait qu’on peut utiliser les services d’un prostitué mais jamais au grand jamais avouer son homosexualité.

Un roman qui m’a emportée et j’espère que vous le lirez vous aussi

Extraits

Début.

Le Caire 1961
– Quelle voiture voudrais-tu plus tard ?
Il avait posé cette simple question, mais tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples.

La mort de son père.

 Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, et le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.

Le métier d’Ali.

 – Tu veux dire que toi… et lui… ?
 Il fit une moue faussement outrée.
– Tu crois que tu fais le seul métier où les gens acceptent qu’on les palpe ?
 Tu n’arrivais plus à contenir ton rire. L’image de ce magnat de coton craint dans tout pays et surpris par son amant au moment d’évoquer ces problèmes d’impuissance, était plus savoureuse que toutes les « nokats » égyptiennes que l’on avait pu te raconter.

La rumeur.

 Le bruit se répandit qu’un garçon de mauvaise vie t’assistait dans ta pratique médicale. Les gens aiment parler de « mauvaise vie  » : cela revient à dire en creux que la leur est irréprochable. Il est toujours commode de laver son âme au vice des autres. Tu n’aurais pas su dire les chemins que cette rumeur avait empruntés mais son origine était claire : elle portait la signature de d’Omar. Lui qui avait reconnu Ali dans ton cabinet quelques semaines au paravent connaissait bien cette règle élémentaire : qui n’est pas le chasseur devient rapidement la proie. Il avait donc tiré le premier coup

Ce que Tarek , médecin, sait de l’homosexualité.

 Tu ne savais pas grand chose de l’homosexualité. Il s’agissait pour les uns d’un motif de plaisanterie, pour les autres d’une perversion venue de l’Occident, mais rarement de thème dont on discute.

Un joli mot « déchagriner ».

 Tu faisais mine de t’attendrir de ses récits de jeune mère, d’avoir hâte de rencontrer celui qui partageait sa vie. Ce n’est pas tant que ses histoires t’importaient mais tu étais heureux de retrouver ta sœur d’entendre cette voix familière déchagriner son quotidien. Ce que vous vous disiez était finalement secondaire.

 

 


Édition Robert Laffont

 

L’aristocratie est un monde de pures formes

L’aristocrate est, par excellence, quelqu’un qui se prend pour un aristocrate.

Personne n’est obligé de lire Proust. Mais tout le monde perd à l’ignorer. 

J’ai envie de mettre 5 coquillages à cette écrivaine pour savoir mieux que beaucoup faire aimer et comprendre Proust et à nouveau 5 coquillages pour nous faire comprendre de l’intérieur ce que cela veut dire de faire partie de l’aristocratie française. 10 coquillages ! C’est dire que je ne trouve pas les mots adéquats pour décrire mon enthousiasme pour ce livre qui est qualifié d’essai et qui vaut tous les livres d’autofiction que j’ai pu lire ces derniers temps.

Laure Murat descend d’une lignée de princes de l’empire par son père et d’une noblesse de l’ancien régime par sa mère, Ines d’Albert de Luynes. Elle est rejetée de la famille, surtout de sa mère, quand elle avoue son homosexualité. Un jour en regardant « Downtown Abbey » elle a une révélation, elle comprend que sa famille est construite sur une apparences et qu’il ne faut jamais montrer les efforts (les siens ou ceux des domestiques) qu’il faut faire pour tenir son rang. Le naturel ? c’est ce qui demande le plus d’efforts quand il ne doit être ni une expression de ses sentiments, ni une affirmation de sa personnalité. La plongée dans sa famille, lui fait mesurer à quel point seules les apparences sont importantes, il faut tenir son rang et ne jamais se comporter « comme une domestique ! » . Toutes les déviances n’ont aucune importances si elles sont cachées, et en recherchant l’histoire de sa famille Laure se rend compte que sa grand-mère maternelle doit être en réalité une enfant que son arrière grand-père a fait à une nièce. Mais inutile de chercher à savoir ce qui ne sera jamais mis au grand jour.

L’autre révélation de Laure Murat, elle se trouve dans l’œuvre de Marcel Proust, d’abord parce que nombre de ses ancêtres ont servi de modèle aux aristocrates décrits par Proust. Je pensais avant de lire ce livre que c’était surtout de cela qu’elle allait nous parler, et je n’étais pas très tentée par cette lecture, j’y voyais une sorte de Bottin mondain. Mais c’est tout le contraire, elle reconnaît à cet auteur le fait qu’il a su décrire le vide de ces personnalités qui à force de ne vouloir que paraître ne sont le plus souvent que des coquilles vides. Elle est mieux placé que quiconque pour faire un sort à celui que l’on méprise parfois pour être un auteur « mondain ! » alors que justement il a su montrer qu’il n’y avait pas grand chose derrière ces façades de « bons goûts ». Ensuite, elle était bien placée pour comprendre comment Proust décrit l’homosexualité et elle retrouve encore une fois le poids du jugement de sa propre famille : ça ne se dit pas ! même si tout le monde sait que ça se fait, bien sûr. Elle enseigne aux États-Unis, dans une université californienne et elle fait découvrir Proust à des étudiants qui vivent à l’heure des textos et sous le soleil de la plage. Si loin leur semblent-ils de ce monde du début du XX° siècle français. Mais je suis certaine qu’elle sait leur montrer qu’il suffit de rentre dans cette œuvre pour s’y retrouver, car il s’agit bien encore une fois d’un auteur qui décrit « l’humaine condition »

Vous retrouverez dans son livre des extraits de la Recherche, toujours parfaitement choisis : vous n’oublierez l’attitude de la Duchesse de Guermantes lorsque son ami Swann vient de lui annoncer que, s’il ne vient pas à Florence avec elle, c’est qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre, elle lui dit de venir dîner un soir parce que là elle n’a n’a pas le temps de lui parler mais, le temps, elle le prend pour remonter changer de chaussures que son mari trouve inapproprié avec la robe qu’elle a choisie  ! ! ! (j’ai recopié ce passage dans les extraits)

On lui doit donc beaucoup à cette écrivaine, d’abord de partager avec nous sa passion pour Proust et ensuite de démystifier l’aristocratie française. Je doute que celle des autres pays soit très différente ! Mais en France, il y a eu la révolution, mais cela n’empêche pas les nobles d’aujourd’hui de se parer des titres de prince/princesse, duc/duchesse …..

Extraits

 

Début.

 Il m’a fallu des années pour comprendre une chose très simple. Elle m’a sauté aux yeux lorsqu’un soir regardant une épisode de « Downton Abbey » , j’ai découvert la scène où le maître d’hôtel sort un mètre devant la table dressée pour le dîner afin de mesurer la distance entre la fourchette et le couteau et de s’assurer que l’écart entre les couvert est le même pour chaque convive

Parler de l’aristocratie.

À ses doutes s’ajoute un piège incontournable propre à l’aristocratie, surtout lorsque l’on en sort  : dès qu’on en parle, on a l’air de se vanter. Comme si les titres nobiliaires et les noms à particule diffusaient, à peine prononcés dans l’air ambiant, l’arrogance et la vanité de toute une classe. Mais je n’ai rien à revendiquer, ni d’ailleurs à renier, d’un état civil ou les hasards de la naissance m’ont jetée. Et je n’éprouve ni fierté ni honte devant mon arbre généalogique, pour la simple raison que je ne crois pas dans une existence à l’évidence socialement déterminée, ni là la loi du sang, ni à la fatalité d’un héritage envisagé comme un destin.

 

La bonne éducation.

 On ne parle jamais de soi, on ne fait pas de vagues, on évite les sujets qui fâchent car « c’est assommant », et il est impensable de montrer quelque émotion en public. La joie et la peine, l’excitation et la douleur, l’enthousiasme et la mélancolie sont affaire de classe. « On ne pleure pas comme une domestique » répétait mon arrière grand-mère, que la haine de l’effusion avait poussée à donner un bal à la mort d’un de ses fils, engagé volontaire tombé pour la France en 1916 à l’aube de son vingtième anniversaire

Rire.

 Il y a quelques années de passage à Paris, je traversais le parc Monceau pour me rendre à un rendez-vous quand j’entends dit un homme dans mon dos lancer sur un ton impérieux : « Princesse ! ». Je me suis retournée instantanément, sans réfléchir une seconde, pour savoir ce qu’il me voulait. Il rappelait sa chienne.

Les contemporains de Proust.

 Ni Gide ni Colette, agacés à la même époque par ce mondain érudit et cérémonieux qui commettait des articles au « Figaro » n’auront plus de prescience. Et cet aveuglement persistera jusqu’au fameux refus par Gallimard du manuscrit de « Du côté de chez Swann », assorti de ce commentaire lapidaire : « Trop de duchesses ! ».

La découverte de « la recherche du temps perdu ».

 Non seulement ce monument littéraire n’était pas le fort imprenable et dont on m’avait menacée, mais il formait l’espace « intelligent » qui invitait à tourner sans fin, entrer, sortir, grimper, redescendre, emprunter tous les escaliers et arpenter tous les couloirs du Temps.

Quel hommage !

Mais le plus sidérant, c’était que toutes les scènes « lues » où l’aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes « vécues » dont j’avais été le témoin, comme si Proust, à l’image du Dr Frankenstein, élaborant sous mes yeux le mode d’emploi des créatures que nous étions.

La mère de Laure Murat.

De ma mère jamais un baiser, dont elle exécrait jusqu’à l’idée même. Ce régime ne m’était pas réservé. Elle était sous ce rapport, et sans doute sous ce rapport exclusivement, d’un égalitarisme sans défaut, au point de tous nous tenir à distance d’un simple geste d’avertissement, avec la main préventive du policier arrêtant la circulation, comme s’il y avait autour de son corps une ligne invisible à ne jamais franchir. Rien. Rien du tout.

L’annonce de son homosexualité.

Lui dire que je vivais avec une femme. Je l’ai vue se décomposer. Elle était pâle. Pas un muscle de son visage ne tremblait, mais je sentais qu’un orage intérieur, épouvantable, sinistre, s’était levé. J’accomplissais l’inconcevable. Je brisais le code. Sa réponse à ce qui n’était pas une question a tenu en deux phrases lâchées avec cette âpreté qu’elle assimilait à de la dignité :  » Tu incarnes à mes yeux l’échec de toute une éducation morale et spirituelle » , et : « Pour moi, tu es une fille perdue. » . Je l’ai vue pleurer pour la première fois. C’est cela, surtout, que ma famille m’a le plus reproché : tu as fait pleurer ta mère en public. Comme une domestique.

J’ai ri.

Une année, une de mes sœurs avait spontanément adopté le tic d’une de ses professeures d’école qui ajoutait des « eu » traînants à la suite de certains mots, comme dans « Je suis allée à la piscin-eu », sonorisation du e muet que la linguiste appelle « e prépausal ». Je vois encore la panique sur le visage de ma mère, comme si la famille Groseille au complet avait pris possession du larynx de ma sœur.

J’ai encore ri.

La seule fois qu’il a pris l’autobus de sa vie (avec moi, je devais avoir alors vingt ans) , ignorant des usages, il s’adressa directement au chauffeur pour lui communiquer l’adresse où nous nous rendrons.

Pour finir une des pages inoubliables où Proust dit tout de l’aristocratie française.

« Je voudrais tout de même savoir, lui demanda Mme de Guermantes, comment, dix mois d’avance, vous pouvez savoir que ce sera impossible.

— Ma chère duchesse, je vous le dirai si vous y tenez, mais d’abord vous voyez que je suis très souffrant.

— Oui, mon petit Charles, je trouve que vous n’avez pas bonne mine du tout, je ne suis pas contente de votre teint, mais je ne vous demande pas cela pour dans huit jours, je vous demande cela pour dans dix mois. En dix mois on a le temps de se soigner, vous savez. »

À ce moment un valet de pied vint annoncer que la voiture était avancée. « Allons, Oriane, à cheval », dit le duc qui piaffait déjà d’impatience depuis un moment, comme s’il avait été lui-même un des chevaux qui attendaient.

« Hé bien, en un mot la raison qui vous empêchera de venir en Italie ? » questionna la duchesse en se levant pour prendre congé de nous.

« Mais, ma chère amie, c’est que je serai mort depuis plusieurs mois. D’après les médecins, que j’ai consultés, à la fin de l’année le mal que j’ai, et qui peut du reste m’emporter tout de suite, ne me laissera pas en tous les cas plus de trois ou quatre mois à vivre, et encore c’est un grand maximum », répondit Swann en souriant, tandis que le valet de pied ouvrait la porte vitrée du vestibule pour laisser passer la duchesse.

« Qu’est-ce que vous me dites là ? » s’écria la duchesse en s’arrêtant une seconde dans sa marche vers la voiture et en levant ses beaux yeux bleus et mélancoliques, mais pleins d’incertitude. Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et, ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d’efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. « Vous voulez plaisanter ? » dit-elle à Swann.

« Ce serait une plaisanterie d’un goût charmant, répondit ironiquement Swann. Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela, je ne vous avais pas parlé de ma maladie jusqu’ici. Mais comme vous me l’avez demandé et que maintenant je peux mourir d’un jour à l’autre… Mais surtout je ne veux pas que vous vous retardiez, vous dînez en ville », ajouta-t-il parce qu’il savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d’un ami, et qu’il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. Mais celle de la duchesse lui permettait aussi d’apercevoir confusément que le dîner où elle allait devait moins compter pour Swann que sa propre mort. Aussi, tout en continuant son chemin vers la voiture, baissa-t-elle les épaules en disant : « Ne vous occupez pas de ce dîner. Il n’a aucune importance ! » Mais ces mots mirent de mauvaise humeur le duc qui s’écria : « Voyons, Oriane, ne restez pas à bavarder comme cela et à échanger vos jérémiades avec Swann, vous savez bien pourtant que Mme de Saint-Euverte tient à ce qu’on se mette à table à huit heures tapant. Il faut savoir ce que vous voulez, voilà bien cinq minutes que vos chevaux attendent. Je vous demande pardon, Charles, dit-il en se tournant vers Swann, mais il est huit heures moins dix. Oriane est toujours en retard, il nous faut plus de cinq minutes pour aller chez la mère Saint-Euverte. »

Mme de Guermantes s’avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. « Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure », et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s’écria d’une voix terrible : « Oriane, qu’est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez gardé vos souliers noirs ! Avec une toilette rouge ! Remontez vite mettre vos souliers rouges, ou bien, dit-il au valet de pied, dites tout de suite à la femme de chambre de Mme la duchesse de descendre des souliers rouges.

— Mais, mon ami », répondit doucement la duchesse, gênée de voir que Swann, qui sortait avec moi mais avait voulu laisser passer la voiture devant nous, avait entendu, « puisque nous sommes en retard…

— Mais non, nous avons tout le temps. Il n’est que moins dix, nous ne mettrons pas dix minutes pour aller au parc Monceau. Et puis enfin, qu’est-ce que vous voulez, il serait huit heures et demie, ils patienteront, vous ne pouvez pourtant pas aller avec une robe rouge et des souliers noirs. D’ailleurs nous ne serons pas les derniers, allez, il y a les Sassenage, vous savez qu’ils n’arrivent jamais avant neuf heures moins vingt. »

La duchesse remonta dans sa chambre.

« Hein, nous dit M. de Guermantes, les pauvres maris, on se moque bien d’eux, mais ils ont du bon tout de même. Sans moi, Oriane allait dîner en souliers noirs.

— Ce n’est pas laid, dit Swann, et j’avais remarqué les souliers noirs qui ne m’avaient nullement choqué.

— Je ne vous dis pas, répondit le duc, mais c’est plus élégant qu’ils soient de la même couleur que la robe. Et puis, soyez tranquille, elle n’aurait pas été plus tôt arrivée qu’elle s’en serait aperçue et c’est moi qui aurais été obligé de venir chercher les souliers. J’aurais dîné à neuf heures. Adieu, mes petits enfants, dit-il en nous repoussant doucement, allez-vous-en avant qu’Oriane ne redescende. Ce n’est pas qu’elle n’aime vous voir tous les deux. Au contraire, c’est qu’elle aime trop vous voir. Si elle vous trouve encore là, elle va se remettre à parler, elle est déjà très fatiguée, elle arrivera au dîner morte. Et puis je vous avouerai franchement que moi je meurs de faim. J’ai très mal déjeuné ce matin en descendant de train. Il y avait bien une sacrée sauce béarnaise, mais malgré cela, je ne serai pas fâché du tout, mais du tout, de me mettre à table. Huit heures moins cinq ! Ah ! les femmes ! Elle va nous faire mal à l’estomac à tous les deux. Elle est bien moins solide qu’on ne croit. »

Le duc n’était nullement gêné de parler des malaises de sa femme et des siens à un mourant, car les premiers, l’intéressant davantage, lui apparaissaient plus importants. Aussi fut-ce seulement par bonne éducation et gaillardise, qu’après nous avoir éconduits gentiment, il cria à la cantonade et d’une voix de stentor, de la porte, à Swann qui était déjà dans la cour :

« Et puis vous, ne vous laissez pas frapper par ces bêtises des médecins, que diable ! Ce sont des ânes. Vous vous portez comme le Pont-Neuf. Vous nous enterrerez tous ! »

 

 

Édition Presse de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mon père, Roger Alphonse Franc était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.

Un fils vit à Londres loin de Montpellier où habite son père , il veut à travers ce texte le faire revivre alors qu’ils ont toujours eu du mal (et c’est peu de le dire !) à se comprendre.

Le drame initial, c’est le fait que sa mère est morte quelques jours avant que la maison que son mari, maçon, a construite pour elle. La famille ne s’en remettra pas, le narrateur qui ressemble si fort à l’auteur deviendra un enfant difficile et un mauvais élève. La petite sœur semble aller bien mais son silence aurait dû inquiéter sa famille. Le père est fou de douleur et comprendra encore moins son fils. Il y a une scène émouvante, l’enfant est tellement compliqué que son père décide de l’envoyer dans une école militaire pour le « redresser ». Au dernier moment son père le prend dans ses bras et l’enfant continuera sa scolarité plutôt mal que bien dans sa famille.

Si on remonte dans le passé de son père, on voit un enfant qui aurait dû faire des études, mais pour cela il fallait accepter qu’un « Monsieur » les aide, l’enfant de 12 ans travaillera dans la vigne. Très vite, il deviendra un ouvrier avec une conscience prolétaire et deviendra communiste. Pendant la guerre de 1940, il réussira à revenir et ensuite il s’installera comme maçon à son compte.

Cet homme sera amoureux de sa femme qui vient d’un milieu catholique, ils auront deux enfants, l’auteur et une petite fille. Quelques bons souvenirs à la plage avec des cousins.

Après la perte de sa femme il mettra du temps à retrouver une compagne qui l’aidera à vivre. Malheureusement, sa fille la jeune sœur de l’auteur était neurasthénique et se suicidera.

Voilà à peu près les faits mais cela ne dit pas tout, loin de là ! Tout vient de la façon dont l’auteur s’exprime, il a ce talent particulier de faire sourire souvent, mais aussi il raconte si bien la tristesse de l’enfant. Et enfin il rend un bel hommage à son père, cet homme, ouvrier maçon qui écrit des poèmes en langue occitane .

 

Extraits

 

Début.

 C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un un léger effroi m’a saisi.

La maison de retraite .

À son arrivée au « chenil » -il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course-, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour un de ces pauvres pyjama rayé dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
 » Au cas où le soir où il y aurait dancing » précisa-t-il .
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour.

 Bien raconté.

Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « …. et je vous aime mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Les désillusions de la politique .

 Les voyous du Parti, les braves gens amateurs de lendemains qui chantent, sont les cocus de l’histoire. Et oui ça sentait de plus en plus le chaud. Et derrière tous ceux là se lèveront, se sont déjà levés, d’autres apprentis cocus, crapules à la petite semaine, sans compter les saints, les vertueux puants, prêts à en découdre, les amis éternels autoproclamés, de la classe ouvrière.
Dont nous ne sommes plus. 
Dieu merci. 

Les silences père fils.

Je ne sais pas parler avec lui.
C’est ainsi.
Trop de silences ont sédimenté entre nous.
Parler. De quoi ? De nous ? Des tempêtes que nous avons traversées, qui nous ont faits tels que nous sommes.

 

 


Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 

Édition Babel Acte Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce mois de janvier 2024,le thème du club de lecture, autour des photos, permet à la bibliothécaire de ressortir des romans peu lus et pourtant intéressants. Cette écrivaine Anne-Marie Garat, a été récompensée par des prix littéraires et a connu un succès certain mais pas tellement pour ce roman. Spécialiste de l’image, elle rend hommage aux artistes de la photographie et dans ce roman, elle cherche à faire comprendre le poids de la photo pour celui qui la prend comme pour celui qui la regarde. Évidemment, en 1990, quand elle écrit ce roman, on en est au début du numérique, la photo d’art aujourd’hui existe-t-elle encore ? De toute façon la photographe professionnelle qui est décrite vit en 1986, elle prend donc des photos avec des pellicules et les tire elle-même avec les procédés argentique. Tout le roman tourne autour d’une famille de la région de Blois, qui possède une belle propriété, et le personnage important c’est une certaine Constance, mère de Madeleine (qui fête ses 96 an en 1986), et de Romain qui mourra en 1914, victime de la guerre alors qu’il n’a pas combattu : il est tombé et ne s’est jamais relevé !.
Tout est vraiment bizarre dans cette famille, Constance avait 14 ans en 1885 quand un juge lui a parlé gentiment. Elle déclare qu’il va l’épouser. À partir de là tout va dérailler, elle n’épousera pas le juge mais elle fera tout pour que son fils le devienne (juge !). Elle aura deux filles dont elle ne s’occupe absolument pas, trouvera une technique pour avorter de tous les bébés que son mari lui fera à chaque retour de voyage sauf de ce petit garçon qu’elle aimera d’un amour fusionnel. Celui-ci a une passion prendre des photos de sa maison au même endroit tous les ans. Constance a deux sœurs et Madeleine la plus jeune élèvera son petit neveu Jorge qui est amoureux de Milena la photographe professionnelle. Elle même vient d’un pays communiste et ses parents ne veulent pas lui raconter leur fuite. Fuite qui l’a beaucoup marquée. Ses parents ont été des ouvriers exploités, sa mère en usine et elle mourra d’une infection causée par un outil de l’usine, son père n’a pratiquement pas de retraite car il n’a pas été déclaré correctement. Jorge est le fils de Thérèse, la petite fille de Constance, et elle a sauvé un enfant juif pendants la guerre. Toutes les histoires se mêlent car l’auteure ne respecte pas la chronologie et il y a de quoi se perdre. Je trouve que l’auteur a voulu parler de tous les faits de société qui sont importants pour elle, et l’ont révoltée mais c’est trop touffu : la condition des femmes du début du siècle, la guerre de 14/18, la femme bourgeoisie qui s’ennuie en province, les enfants juifs cachés, l’exploitation des ouvriers, la condition sociale des émigrés, et la création artistique à travers la photographie. (et j’en oublie)

Le livre tient surtout pour son style, Anne-Marie Garat aime faire ressentir l’angoisse et les situations tendues à l’extrême, elle a un style très recherché parfois trop, et, même dans ses phrases, on peut se perdre.

Extraits

Début.

 Constance a rencontré le juge un dimanche de juin dans le parc de Mme Seuvert. Elle a quinze ans à peine et remplit sans effort apparent, avec l’indolence charmante, un peu froide avec la complaisance appliquée des jeunes filles d’alors son rôle de figurante dans les visites de voisinage.

Un portrait (et un peu d’humour , c’est rare).

 Et puis maigre, très propre, toute lustrée de deuil soyeux, et le front encore jeune et perdu sous sa mantille de dentelle noire armée par coquetterie de la canne à pommeau de feu Seuvert ; la figure fraîche, rose de joue, l’œil comme un grand café et l’oreille très fine, affectant un air de complaisance détachée, d’indulgente ignorance pour les liens et les plans qui se trament chez elle.

La vieille dame de 96 ans.

 « Alors tu es venue juste pour me souhaiter mon anniversaire. Tu fais bien, c’est le dernier. Je dis ça tous les ans, remarque. Je finirai par avoir raison. »

J’ai du mal avec ce genre de phrases poétiques (sans doute) mais que je ne comprends pas !

 Elle a froid , elle a mal au ventre, là où sont entrées les photographies, comme d’une déchirure froide. Elle a mal des images qui se fixent lentement dans sa chambre noire.

Les ronces.

 Le roncier semble inerte, cependant il est mû d’une puissance de guerre souveraine qui arme les rameaux d’épines redoutables, les allonge et les déploie en tous sens, hors de toute logique, dans une ignorance insultante de son désir enfantin. Planté là, le roncier pousse. Il puise dans la terre noire sa force vitale, sa méchanceté native. Il dresse devant l’enfant le mur de sauvagerie incompréhensible, la vésanie* hostile, insensée des choses qui existent. Indépendantes, naturelles. Indestructibles, insensibles, qui le rejettent à sa solitude impuissante.
(vésanie* veut dire folie)

L’importance du titre.

 Rendue à ce seuil, elle se souvient d’une image de porte noire ouverte sur les cris, l’indicible souffrance. Celle dont ni le père ni la mère ne révèlent ce qu’on trouve au delà. Parce que chacun a sa chambre noire. Apprends à y entrer, jusqu’au plus profond de son obscurité. Dans une totale solitude à en admettre l’obscurité. À y survivre.

 

Édition Verticales

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Drôle de titre pour un texte qui parle si peu d’amour . D’ailleurs une des dernières phrase le dit si bien :

 

Elle est sa compagne, il est son compagnon 

voilà tout est dit : c’est la vie de Jeanne et Jacques que l’auteur commence en 1971 jusqu’à nos jours et leurs décès. Il ne s’y passe pas grand chose mais c’est ce que l’auteur a voulu nous raconter , une vie où il ne se passe pas grand chose.

Est ce que cela fait un roman ? À vous d’en juger. Pour moi l’aspect positif c’est de faire revivre une époque et une société, une sorte de témoignage, mais qui n’en est pas un puisque l’auteur a imaginé ces personnages.

Jeanne a été amoureuse une fois dans sa vie, d’un champion de basket même si elle l’a suivi et lui a écrit une lettre d’amour anonyme, il ne se passera rien, et elle se contentera de Jacques un brave gars pas très doué. Ensuite la vie s’enchaîne banale à souhait, et l’horloge en cuivre de la belle mère qui égrène le temps pourra être léguée à sa descendance.

 

J’oublierai très vite ce roman, et même son atmosphère, je suis agacée qu’on veuille décrire la banalité. Pour moi, aucune vie n’est banale, le regard de l’écrivain peut l’être, mais jamais le ressenti de l’être humain qui est en train de la vivre.

 

Extraits

Début .

 La première fois que Jeanne voit Pietro, c’est au gymnase où sa mère fait le ménage.
Quand c’est le jour de nettoyer les gradins, la mère embarque sa fille, on n’aura pas trop de quatre bras. Jeanne y gagne vingt francs, ça fait un petit complément à sa paye de l’hôtel. Et puis ça l’occupe.

La bière l’urine et les étoiles .

Le quatrième demi l’envoie aux chiottes. Comme c’est occupé et que ça presse, il sort se camper devant le mur latéral du bureau de poste. Trois générations de clients ont fait pareil. Le mur a encaissé des milliers de litres d’urine sans se plaindre. Une main à la braguette et la tête en l’air, Jacques cherche à localiser les étoiles apprises pendant les pêches de nuit. Il n’avait qu’à suivre l’index de son grand-père qui glissait sur le ciel comme sur une carte en égrenant les noms. La seule étoile que tu ne verras jamais c’est la bonne étoile, ponctuait l’ancien, qui endetté par une épidémie avait dû vendre ses bêtes et brader sa ferme.

La présentation chez la belle famille.

Le premier dimanche qu’elle passe chez ses parents est de Pâques. Depuis le temps que son crétin de fils l’heure parle d’elle, Gérard lui a dit : ramène la donc par ici. Les présentations on été bien faites au bal du 14, mais avec la musique il n’y avait pas moyen de discuter.
 Vers onze heures Maryvonne sur le service de table en porcelaine. Jacques se fiche d’elle. 
– On ne reçoit pas Giscard non plus.

Les expressions que Jacques prend toujours au pied de la lettre.

Niveau souplesse il a les gènes de son père persifle la mère. Et niveau caractère de cochon ceux de sa mère pinctue le père. Même si on a jamais vu que les cochon aient mauvais caractère 

Le style du livre .

Après qu’un troisièmes accident cardiaque a été le bon, Jeanne est Jacques récupère Bill en même temps que la maison. Quelque part ils ont de la chance dans leur malheur. La mère de Jeanne dit souvent qu’à toute chose malheur est bon, mais elle peut dire le contraire la minute d’après, puis passer à un sujet sans rapport comme les tickets de rationnement d’après-guerre où Christophe Dechavanne. Pourtant à la maison de retraite elle n’est pas celle qui déraille le plus.

 



Édition La Martinière

 

Les hommes de notre famille ont toujours été des salauds, de magnifiques salauds. 

 

Un récit de retour vers les souvenirs d’enfance de la narratrice (sans doute très proche de l’auteure) . Son enfance est marquée par l’origine russe de son père. Au début, on pense à un récit léger et nostalgique mais hélas la violence alcoolisée de son père donne une dimension dramatique à ce récit.

Le charme de ce roman vient du style de l’écrivaine, il est léger et drôle sauf quand la violence s’installe. Les souvenirs de la Russie sont entretenus par une grand mère qui se souvient de sa fuite de son paradis du temps où sa famille de la noblesse vivait à Saint Pétersbourg. Le plus amusant, c’est la façon dont le père de cette grand mère a gardé les comportements des nobles russes : en arrivant en France il a dépensé sans compter pour faire la fête et cela, jusqu’au dernier centime de la fortune familiale.

Le fils de cette grand-mère est le père de la narratrice, sa vie a rencontré la violence et l’alcool, les trois enfants se sont enfuis de cet univers morbide. On le comprend facilement, il n’empêche que la narratrice veut revoir une dernière fois la maison des vacances où elle a été si heureuse.
Un roman bien écrit une langue moderne qui sert bien le propos de cette écrivaine. C’est un peu léger mais c’est voulu le ton ne devient dramatique qu’à certains moments, la violence de son père, la mort de sa grand mère tant aimée.

 

Extraits

Elle retrouve son père.

 Je suis à présent une vieille petite fille qu’il pourrait enfin prendre dans ses bras mais c’est trop tard, nous n’avons jamais su. La seul chose que nous somme capables de faire, c’est de nous asseoir l’un à côté de l’autre dans la voiture (ça va ? me dit-il après vingt ans d’absence …) et de rouler dans la garrigue fenêtres ouvertes pour allez une dernière fois ensemble dans la Maison blanche aux volets clos.

Son père.

 Ma sœur mon frère et moi savions bien que ma mère lui avait tout imposé, la maison, le chien, Noël, les saisons, et les choses à prévoir.
 Peut-être que nous aussi, elle nous avait imposés ? Parfois j’en avais la sensation.
– Mais je croyais que les enfants, il faut les désirer à deux ? demandai-je à ma sœur, le soir, quand nous discutions serrées l’une contre l’autre sous les couettes.
– Tu parles ! répondait-elle. Il y a des femmes qui mettre comme cela le grappin sur des hommes.
– Le grappin ? comme pour les bateaux de pirates ?
– Oui, un peu comme ça, si tu veux  ! disait-elle en riant. Une sorte d’arbordage , !

Son grand père et l’argent.

 Il était parti de Saint-Pétersbourg en laissant toute son histoire mais il a eu le temps d’emporter une petite statue de Pouchkine un buste, qu’il m’offrit ce jour-là.
– Tiens Ptit’sa. C’est pour toi. Comme cela tu n’oublieras jamais d’où nous venons. Et sache bien que l’argent n’a aucune importance, crois moi je peux te le dire ! L’argent est une chose fragile, qui va et vient et s’épuise. Sois riche de mille autres choses ma chérie, c’est ce que t’enseigneras cette statue. Ne te laisse jamais engourdir. Souviens-toi de notre histoire et des chemins que la vie peut parfois prendre …

L’alcool.

Quand les hommes se mettent à boire, ils le font avec ceux qui passent et qu’ils ne voient même pas. Ce ne sont que des fausses amitiés, des gorges ouvertes sur le vide. Quand les hommes se mettent à boire, ils commencent à plusieurs mais finissent toujours seuls.

Une mère battue.

Les hurlements d’une mère sont une des rares choses qui vous détruisent définitivement de l’intérieur. C’est irréparable. 

 

Édition J’ai Lu

Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce que le maréchal Antonescu et son clan désignaient, en 1940, comme « le moment tant attendu de la délivrance ethnique ». une délivrance sans effusion de sans ; Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic.

Quel livre ! La journaliste a mené une enquête fouillée pour comprendre le sort des juifs en Roumanie. Elle mêle de façon très judicieuse la vie de sa propre famille d’origine juive roumaine et l’histoire du pays. Il faut vraiment lire jusqu’au bout ce livre, car les questions qu’elle se pose dans le dernier chapitre je me les posais tout le long du livre.

Anna Yes a aussi chroniqué ce livre et elle pourra voir combien ce livre m’a plu, (je l’avais lu une première fois sans mettre de billet )

Rappel historique, la Roumanie s’est retrouvée avec une forte minorité juive après la guerre 14/18 , car étant du côté des vainqueurs son territoire a été augmenté de provinces où vivaient de fortes minorités juives. Pendant la montée des nationalismes fascistes avant la guerre 39/45, ces minorités juives posent un problème important au régime nationaliste roumain. L’originalité de ce pays est de n’avoir pas déporté sa population juive de Bucarest. Ce que les archives montrent c’est que leur extermination était prévue mais le dirigeant de la Roumanie a compris que les Allemands pouvaient perdre la guerre , donc les neuf derniers mois de guerre ils ont changé de bord. La famille Deleanu, grands-parents de Sonia Devillers, était une famille juive très influente de Bucarest. Ils ont perdu tous leurs droits pendant la guerre mais pas la vie ! Ils épousent avec enthousiasme la cause communiste, et ne parlent jamais des exterminations qui ont eu lieu dans d’autres régions roumaines. Il faudra beaucoup de temps pour que ce pays accepte ses responsabilités sur l’extermination qu’elle voulue et organisée. Officiellement, la Roumanie voulait être le pays qui a défendu ses juifs.

Et puis, le communisme, a refermé le pays sur lui-même et la chasse aux juifs a recommencé. Mais, et c’est là le sujet du livre, il a su en faire une monnaie d’échange pour renflouer les caisses de cet état qui était très pauvre, car l’URSS leur a fait payer leur solidarité avec l’Allemagne. Le régime a donc échangé les juifs roumains contre ce qui manquait tant à ce pays : des cochons, des vaches, des fermes, des abattoirs …

Ainsi chaque juif qui est parti de ce pays peut savoir ce qu’il valait , car les comptes sont très bien tenus : tant de porcs pour le départ d’un juif.

À la tête de ce trafic humain, un passeur qui fait tout ce qu’il peut pour permettre aux juifs de sortir, Sonia Devillers essaie de cerner la personnalité de ce passeur, est-il un mafieux ou un sauveur ? Elle ne peut pas répondre à cette question.

La question qu’elle pose aussi à la fin de ce livre, qui lui a été suggérée par des lettres de Roumains, on peut être, choqué de voir que la vie de ses parents valait tant de porcs, ou de vaches, mais comme le disent les pauvres Roumains au moins, vous, vous pouviez sortir et vivre.

Ce qui est choquant aussi, c’est que tous ces faits ont été révélés depuis longtemps mais la presse française (elle cite Libération et le Monde) ne voulaient pas le dire car il y a eu si longtemps une Omerta sur la dénonciation de l’antisémitisme communiste. Il a fallu l’ouverture des archives de Roumanie, pour que ces faits choquants soient enfin révélés pour l’opinion publique européenne.

Il me reste aussi une question , échanger des êtres humains contre de l’argent que ce soit sous forme d’animaux ou de dollars, n’est ce pas ce que fait tout état pour récupérer des otages ? Il est vrai que ce qui est différent c’est qu’il s’agissait de Roumains persécutés parce que juifs donc otages dans leurs propres pays par leurs compatriotes.

Le livre est passionnant, et se lit très facilement mais il faut aussi savoir que c’est souvent insupportable en particulier les exterminations par les Roumains de la population juive sans aucune défense.

 

Extraits

Début.

 Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. ils ne voulaient pas mais ils n’avaient plus le choix.

La jeunesse de sa grand-mère.

La jeunesse de Gabriela, en revanche, on y avait droit, avec emphase et trépidation : sa famille remarquable, sa ville pimpante Bucarest dite le « petit Paris des Balkans » dans l’entre-deux-guerres. Ma grand-mère se targuer de trouver dans les librairies les romans français « ,le lendemain de leur sortie à Saint-Germain. »

En 1940 .

En 1940, la Roumanie en proie à un immense désordre, subit la pire des humiliations. Les belles provinces qui lui avaient été rattachées à l’issue de la Première Guerre mondiale lui furent brutalement retirées par le pacte germano-soviétique. Ces territoires largement peuplés de juifs, allaient donc passer aux mains des Russes. Et cela, on ne le pardonnerait pas aux juifs, traités de vermine invasive d’abord, de traîtres par la suite. Les youpins et les rouges allaient pactiser, c’était certain. L’exaspération nationalistes n’avait alors d’égale que la détestation du « judéo-bolchevisme ». La nation semblait menacer de désintégration. La psychose battait son plein.

Le silence de ses grands parents.

J’aurais voulu l’entendre de la bouche de mes grands parents. Obtenir une bribe, ne serait-ce qu’une bribe, de ce qu’ils avaient ressenti face à une telle démonstration de force, une telle légitimation de la rage antisémite. J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans autre émotion. Une anecdote de plus. Sans plus mes grands-parents ont tous vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti.

La Shoa organisée par les Roumains (les moyens d’exécution sont insoutenables).

 Enfin la tuerie du camp de Bogdanovka reste une des plus impressionnantes de toute la Seconde Guerre mondiale. En fait de camp, il s’agissait encore de batteries de porcs délabrées ouverte à tous les vents. Mais comme le disait le commandant alors qu’il gelait à pierre fendre : « la paille c’est pour les cochons pas pour les youpins ! » la décision d’en finir avec les huit mille détenus juifs fut prise en décembre 1941.

Négation de la Shoa sous le régime communiste.

 Au delà des procès, la Roumanie communiste avait proscrit le mot « juif ». L’ethnologue Andrei Osteanu constate qu’à l’époque le terme a été éradiqué des romans comme des textes de sciences sociales. Sous prétexte de prendre le contre-pied de la littérature et de la presse d’avant-guerre, obsédées par le péril juif, le Parti refuse de nommer les juifs pour ne pas les stigmatiser. Mais ce faisant, il finit par les effacer. Et Andrei Osteanu de rappeler qu’en régime totalitaire, « si on en parle pas, c’est que ça n’existe pas ».

La situation de sa grand-mère à Paris.

 Les exilés romains riches ne la recevaient pas parce qu’elle avait été communiste. Les intellectuels français, non plus. Ils étaient tous de gauche dans les années 1960 et 1970. Ils considéraient les communistes qui avaient fui comme des traîtres ou des fascistes déguisés. Gabriela ne se sentait aucune affinité avec une quelconque diaspora juive. Immigrée et sans travail, il était difficile de s’intégrer à la bourgeoisie parisienne. Gabriela n’avait sa place nulle part

Le troc.

 L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. Attention, pas n’importe quels porcs, des porcs de compétition, plus précieux, plus productifs, plus rentables que es citoyens qui quittaient le pays. Depuis la nuit des temps, ceux-là profitaient beaucoup et rapportaient peu : les juifs

Perec en 1981 dit ce que c’est être juif pour lui.

 « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, ou à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. »


Édition l’Atalante 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Il est rare que je déteste autant un roman et pourtant cette auteure a une belle plume (ce qui explique les deux coquillages, j’en aurais bien mis qu’un sans le style). Mais voilà pour faire comprendre, c’est elle qui le dit que chacun doit pouvoir vivre sa vie sans accepter les normes sociales , ni les règles qui pèsent sur lui, elle nous entraîne dans une fable où toutes les pires horreurs sont permises.

Une jeune femme a des yeux si laids que toutes les personnes qu’elle regarde en sont horrifiées, ses parents ont tellement honte d’elle qu’il la mettent dans une institution où on cache des femmes porteuses de tares plus ou moins monstrueuses. Peu à peu cette enfant appelée « Méduse » va se rendre compte qu’elle a des pouvoirs pour se défendre.

Voilà en gros l’histoire, mais ce que je reproche à ce roman c’est la complaisance avec laquelle l’auteure nous décrit les sévices subis par les pensionnaires (et elle-même) par des hommes libidineux.

 

Extraits

 

Début.

Je n’ai jamais versé une larme de ma vie. Ni de tristesse, ni de colère, ni de détresse, ni de douleur – encore moins de rire ou de bonheur. Pas la moindre petite larme de crocodile.

 

 

Je ne connaissais pas le vert péridot .

 Mes deux sœurs plus vieilles que moi de quelques années avaient des yeux de biche, d’un vert péridot ensorcelant, et des chevelures luxuriantes qui leur tombaient sur les reins en boucles soyeuses et lustrée.