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Édition Viviane Hamy. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman a obtenu un coup de cœur à notre club et je lui mettrai bien dix coquillages si je le pouvais … Je l’ai refermé et je suis restée sans voix un peu comme lorsque le silence s’installe après un morceau de musique parfaitement interprété. Un peu comme à la fin du concerto pour violon de Chostakovitch dont les différents mouvements sont autant de chapitres du roman. .

Chostakovitch aura été le jouet de Staline pendant près de dix-sept ans. Dix-sept années au cours desquelles le gros chat tout-puissant a joué avec la souris, l’étouffant entre ses griffes jusqu’à lui faire entrevoir la couleur de la mort, puis la laissant filer, le temps pour elle de se terrer dans sa terreur, reprendre sa respiration, puis bondissant à nouveau sur sa poids, sous sa moustache un indéfinissable rictus. Et ainsi de suite, une alternance de deux coups et de faveurs, dix-sept années durant.

Cet air inquiet du grand compositeur est à l’image de l’angoisse qui hante la famille du grand chef d’orchestre Claessens qui a dirigé l’OSR (L’Orchestre de la Suisse Romane) . Le roman se situe pendant les funérailles du chef pendant lesquelles sa fille pianiste virtuose va jouer une adaptation pour piano de ce concerto de Chostakovitch. Chaque mouvement lui permet d’évoquer une des souffrances de sa famille, sous le regard implacable d’un père peu soucieux de l’épanouissement des siens. Sa femme qu’il a épousée trop jeune, était jeune cantatrice israélienne que son mari abandonnera peu à peu à la folie et à son silence se tournant vers des jeunes filles toujours plus jeunes et toujours cantatrices. Son fils, qu’il poussera pour qu’il devienne un prodige. Jusqu’à le pousser lui aussi vers le silence. Et enfin, elle, sa fille virtuose qui se demande sans cesse si elle doit sa renommée à son nom où à sa superbe chevelure rousse. Mais au-delà du drame familial ce livre permet de comprendre la vie des musiciens virtuoses et leur tragique destin, c’est si dur d’être toujours au mieux de sa forme sous les regards de milliers de spectateurs. Mais il y a la musique, celle qui parfois les entraîne au delà de tout dans un plaisir absolu et qui laisse le public sans voix. C’est le deuxième roman que je lis qui parle de ce concerto, j’avais beaucoup aimé aussi le roman d’Olivier Bass : »la musique des Kerguelen « et cela avait aussi permis à l’auteur de faire ressentir la souffrance du compositeur face à l’ogre stalinien. Un superbe roman, écrit dans un style que j’ai adoré , j’aimerais vraiment partager ce plaisir de lecture avec vous.

 

Citations

Cabotinage d’un chef d’orchestre.

Claessens tournait le dos à la masse et affrontait l’orchestre. Sous ses yeux, le pupitre où reposait la partition, ouverte à la dernière page. C’est ainsi qu’il demandait au régisseur de la lui disposer. Il patientait,.mains jointes sur le pubis, jusqu’à ce que les applaudissements cessent, en profitait pour fixer chaque musicien droit dans les yeux. Puis, une fois le silence installé, il refermait sa partition en prenant soin de bien la faire claquer. Et, dans un geste éminemment ostentatoire, il la poussait sur le bord du pupitre afin que chacun voie, dans l’orchestre comme dans la salle, qu’il dirigeait de mémoire.

 À moi qui lui demandait un jour (je n’avais pas 10 ans alors) pourquoi il imposait au technicien de lui ouvrir l’inutile partition non pas à la première page, mais bien à la dernière, il avait répondu : « Pour qu’elle claque mieux à l’oreille du public. Le poids des pages, tu comprends, rouquine, le poids des notes. C’est à ce moment-là que le concert commence. »

La carrière d’un musicien classique

Dans le monde de la musique classique, il y a ce qu’on appelle « les connaisseurs ». Si l’on veut faire carrière, il est indispensable de les caresser dans le sens du poil. Ce sont eux qui décident du sort des solistes en déterminant ce qui relève du bon et du mauvais goût. Cet establishment composé d’une poignée de journalistes, d’agents, de dirigeants de maison de disques, de musiciens et de professeurs, auxquels viennent s’ajouter quelques riches mélomanes, se choisit ses champions, les portent aux nues, leur fournit soutien inconditionnel et parfois financier à chaque étape de leur progression. En échange, il faut filer doux, flatter, remercier, faire des courbettes, surtout ne pas sortir des clous. 
Qu’un artiste décide de suivre une ligne différentes, orienter sa recherche dans une autre direction sans en demander la permission à ses gardiens du temple, et c’est la profession entière qui, comme un seul homme, lui tourne le dos. La pire des punitions n’est jamais la critique, même acerbe, mais l’oublie. Lorsque le téléphone cesse de sonner. Lorsque le musicien passe de mode. Son carnet de bal se vide pour ainsi dire du jour au lendemain. D’autre, plus jeunes, plus photogéniques , jugés plus talentueux ou plus singuliers, se bousculent pour signer les contrats sa place. La traversée du désert commence.

Le nocturne de Chostakovitch

Le violon, vaincu, épuisée, et laissé seul à macérer . D’abord il bouge à peine. Il ne peut plus que reprendre timidement le thème intimé par les bases. Cette fois c’est bien fini pour lui, c’est du moins ce qu’il laisse à penser. Or la vie revient progressivement, sans que l’on sache quel fol espoir la lui a insufflée. Le violon solo finit par se relever, dégoulinant, hagard, et fixe l’orchestre faisant office de bourreau bien en face. Et pendant les cinq interminables minutes que dure « la cadence », il va se ruer à l’assaut, percutant la glace froide et transparente du silence, la couvrant de son sans choc après choc, tentative après tentative jusqu’à sombrer dans la folie de celui qui n’a pas d’autres porte de sortie.

Le violon

Le violoniste et son violon sont censés ne faire qu’un, et le prestige de l’un déteint assurément sur l’autre. À tel point que l’on se demande parfois si ce n’est pas l’instrument qui fait le champion.

Où mène le cabotinage !

Lorsqu’il est réapparu, aussi subitement qu’il s’était éclipsé, j’ai compris que quelque chose avait lâché à l’intérieur. Son visage avait changé. Plus lisse. Moins expressif. Sur chaque tempe, une discrète cicatrice. Il n’avait pas eu à pousser plus loin que Montreux, ou pullulent les cliniques esthétiques, pour se donner l’illusion d’une nouvelle jeunesse. C’était sa première véritable incursions dans le registre pathétique. Ce ne devait pas être la dernière.

La peur ou le trac

Ma peur, je l’appelle le chien noir. 
C’est au matin du concert qu’il se manifeste toujours. Dès le réveil. J’ouvre les yeux, je l’aperçois au pied du lit, assis, à me fixer, attentif, curieux, les oreilles dressées.
 Ma peur est un bâtard, entre le chien-loup et Le corniaud de caniveau. Son pelage charbon a des reflets bleuté. Sur son poitrail, une tâche blanche, la taille d’une pièce de cinq francs. Parfois je suis tentée de la toucher. Parfois j’aimerais prendre un couteau de boucher et le lui enfoncer, juste là, hauteur du cœur. Mais je n’ai jamais osé. Je me dis que, sans lui, ce serait encore pire, car alors je ne pourrai plus regarder ma peur en face.

Édition JC Lattès. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai découvert avec ce roman cet écrivain franco-djiboutien d’expression française qui vit entre la France et les États-Unis où il est professeur à l’université de Washington. Il est l’auteur de récit qu’il dit lui-même largement inspiré de son enfance. Dans une conversation avec sa fille, Béa, celle-ci lui demande : « Pourquoi tu danses quand tu marches ? » . Cette question de sa petite fille de quatre ans fait remonter en lui une enfance à Djibouti alors colonie française. Elle s’appelait alors TFAI (Territoire français des Afars et des Issas). L’auteur retrouve son âme d’enfant pour raconter à sa fille ses peurs et sa vision du monde enrichie de celle de sa grand-mère qu’il appelle Cochise car elle semble habiter par toute la mémoire de son peuple et d’une sagesse qui l’aidera à surmonter différentes épreuves de son enfance

Petit garçon, il est chétif et souvent souffre douleur de garnements plus prêts que lui à se défendre dans un monde où tout n’est que misère et dureté. En réalité sa chance est d’avoir été chétif et peu capable de se défendre dans ce monde impitoyable. Il va s’emparer des mots et de la lecture et faire des études littéraires qui le conduiront à sa véritable destinée : celle d’être un écrivain francophone au charme, à la poésie et à l’humour inoubliables. Comment ne pas être ému et en même temps sourire aux remerciements que l’on trouve à la fin de son roman qui raconte si bien combien la poliomyélite a bouleversé son enfance .

 J’adresse mes affectueuses remerciements aux femmes qui ont su me choyer pendant les jours sombres ou lumineux de l’enfance.
Et j’adresse mes vifs remerciements aux rampes et d’escalier d’immeuble, du métro et d’ailleurs. 
Sans oublier les escalators.
 Et les ascenseurs.
Il évoque aussi la colonisation, qui semble loin de l’enfant. Il en a accepté les valeurs au point de croire qu’être français de France était bien supérieur à être français du TFAI ! Mais cela ne l’empêche pas de poser des questions et d’entendre une autre façon de présenter la soi-disant postériorité des colonisateurs. Leurs bienfaits, comme le creusement du canal de Suez a bénéficié uniquement aux Anglais et Français pas du tout aux habitants de la région. Cet aspect de ses souvenirs sont comme une toile de fond au récit, qui met en valeur le récit de cet homme qui explique à sa petite fille combien sa vie était compliquée. Ses seules joies, il les doit à une grand-mère extraordinaire et à la lecture. Rien ne l’empêchait d’aller vers la lecture. Il affrontait même le terrible Johnny et sa bande pour quémander aux filles « Paris Match » ou même « Nous Deux » pour satisfaire ce besoin d’évasion. Sa jalousie par rapport à son petit frère qui se porte bien et qui fait de si beaux cacas est très drôle. Je suis certaine que sa petite fille complètement occidentalisée a beaucoup aimé apprendre à connaître son père de cette façon. Et je pense aussi que l’on peut faire lire ce roman à tous les jeunes français qui ont, sans doute, une vie si facile qu’ils n’ont aucune idée de la chance qu’ils ont de pouvoir réussir grâce à l’école. L’auteur ne cherche absolument à faire la morale ni à se donner en exemple mais il raconte si bien que l’on comprend parfaitement ce qu’il a vécu et on part avec lui dans les environs de Djiboutis dans les années soixante-dix.

Citations

Un style que j’aime :

Après un soupir un peu là, d’un œil inquisiteur Maman ausculta mon visage. Elle avait senti que quelque chose ne tournait pas rond mais elle n’en était pas absolument certaine. Je ne fis rien pour l’aider. Persistant dans le mensonge, je me mis à siffloter un petit air de mon invention. Sans le savoir, j’imitais les grandes personnes qui se donnent un air important en traversant la nuit les ruelles de notre quartier du Château-D’eau. Je souriais à maman. Pour une fois. Pour la tromper. Pour garder ma douleur aussi. Ma douleur est une île déserte, pensais-je au plus profond de moi, elle m’appartient. Elle ne saurait se partager. Je ne m’explique pas aujourd’hui Pourquoi j’ai persisté à mentir à maman. Ces mots m’auraient recousu le cœur lorsque Johnny m’avait fait injustement souffrir, encore fallait-il que je lui confie ma peine.

Un long passage qui peut faire comprendre tout le charme de ce roman-souvenirs

Pas de doute, Ladane était innocente. Elle venait de la brousse, ses parents ne pouvaient plus la garder auprès d’eux parce qu’ils étaient pauvres ou morts. Je ne comprenais pas comment des adultes pouvaient faire des dizaines d’enfants et après les laisser partir où les déposer ici ou là comme s’ils étaient une valise encombrante. J’étais enragé par des adultes et j’imaginais que plus jeunes, les parents de Ladane était de l’espèce terroriste de Johnny et sa bande qui ne semaient que la violence sur leur chemin. Dès que j’évoquais ses parents, la bonne Ladane me regardait avec des yeux de chiot apeuré . Pourtant elle n’était plus une gamine. C’était une jeune femme désirable qui allait sur ses dix-sept ans. Enfin c’est ce qu’elle disait à tout le monde car elle venait de la brousse et là-bas, dans les djebels, personne ne connaissait sa vraie date de naissance. Personne n’avait poussé de chanson le jour de sa naissance. Personne n’avait préparé un gâteau comme Madame Annick pour ses enfants. Personne n’avait prévenu l’imam ou l’officier de l’état-civil. Mais où est-ce que j’avais la tête Béa, il n’y avait pas de mosquée dans le djebel. Les ouailles devaient se débrouiller toutes seules dans les gourbis, c’est-à-dire dans des trous dans la montagne qui n’avait ni électricité ni vaisselle. Elles ne profitaient pas de la science religieuse pour les aider à grandir. Je savais par grand-mère Cochise que ces gens-là avaient tous les yeux un peu rapprochés, les sourcil en accent circonflexe. Ils avaient l’air idiot car toutes les nuits, les enfants cherchaient la lumière dans leur gourbi plus sombre que le cul de Satan. Même que certains n’essuyaient pas la bave qui leur pendait aux lèvres, on les appelait les crétins du djebel. Ils finissaient bouchers ou assassins. Heureusement que Ladane avait échappé à la sécheresse et à la famine du djebel. Même si chez nous, elle devait travailler du chant du coq au coucher du soleil. Même si elle courait dans le coin de la cour qui servait de cuisine pour faire tinter les casseroles et remettre à maman le plat de haricots blancs ou la soupe de pois chiches que mon paternel adorait. Dès qu’elle entendait le boucan d’enfer de la Solex de mon père, Ladane bondissait comme un fauve. Elle restait en faction jusqu’à la fin du dîner. Ensuite, elle devait laver les ustensiles et ranger la cuisine. Si papa la Tige laissait quelque chose au fond de son assiette, il fallait le remettre à la matrone. Grand-mère rappelait à Ladane qu’il ne fallait pas se gaver de nourriture dans la nuit car ce n’était pas très bon pour la digestion sauf pour les enfants comme Ossobleht qui devaient se goinfrer à toute heure et laisser comme preuves des cacas bien souples et bien malodorants. Grand-mère adorait les humer avec joie et émotion. Elle préférait les cacas verts et jaunes d’Ossobleh qui allait vers ses cinq ans à mes crottes de bique. Ce n’était pas de ma faute si je n’aimais pas manger, si ma jambe me faisait toujours mal, si la visite au médecin n’avait rien donné ou six cette guibole me remplissait de honte. Ce n’était pas de ma faute si Ladane avait atterri chez nous et si j’aimais les yeux châtaigne de cette fille du djebel qui était beaucoup plus âgée que moi. Dans un an ou deux, grand-mère lui trouverait un mari, un boucher du djebel peut-être. Et moi je devais trouver un mur contre lequel j’irai me cacher, sangloter et pousser mais lamentations à l’abri de la matrone.

Dialogue avec sa tante

 À mi-chemin de notre trajet, un ballet de gros camions bâchés, remplis de légionnaires français, est arrivé dans le sens inverse. J’avais le sentiment qu’il nous dévisageaient. Mon cœur battait la chamade mais ma tante ne donnait pas l’impression de ralentir sa course, ni de se soucier du trafic. Essoufflé, je me suis arrêté. Ma tante a fait de même, pas contente du tout.
– Avance, nous n’allons pas rester au milieu du trottoir.
J’ai eu la bonne idée de lui poser une question juste pour reprendre mon souffle. C’était toujours comme ça, je devais compter sur mon cerveau quand mes jambes me faisaient défaut.
-Pourquoi sont-ils chez nous ?
-Comment ça ?
-Mais pourquoi sont-ils arrivés chez nous ? – Parce qu’ils sont nos colonisateurs.
– Nos co…. ?
– Parce qu’ils sont plus fort que nous.

 

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Merci, merci à Patrice et au mois de livres de langue allemande en novembre 2019. C’est un vrai cadeau ce livre et je vous le conseille à toutes et tous. Mais vous l’avez peut-être déjà lu, puisque Maxim Leo a reçu le prix du livre Européen en décembre 2011 pour cet essai. Prix tellement mérité, car rien ne peut plus contribuer à la construction européenne que ce genre d’essai qui décrit si minutieusement les malheurs d’une Europe en guerre puis divisée par un mur infranchissable pour les habitants de la RDA. Maxim va nous faire comprendre tous ces aspects de l’Europe grâce à sa famille qui est à la fois originale et tellement ordinaire. En tout cas pour sa famille paternelle, si son père n’est jamais totalement entré dans les cases des critères de la RDA, son grand-père a été un nazi ordinaire puis un habitant de la RDA tout aussi ordinaire. Mais cette phrase traduit trop pauvrement la compréhension que nous aurons de Werner ce grand père qui s’est si peu intéressé à son fils. En revanche, la famille de sa mère est beaucoup plus originale . Son grand père Gerhard Leo a été obligé de fuir avec son propre père l’Allemagne nazi parce qu’il était d’origine juive. En France, Gerhard rentrera dans la résistance et devient un véritable héros, il a raconté ses exploits dans un livre que je lirai peut-être. S’il est resté en RDA , c’est parce qu’il a trop vu en RFA d’anciens nazis ne pas être du tout inquiétés et même devenir des cadres de la nation. Ensuite, nous voyons la vie des parents de Maxim qui essaient de tout faire pour se plaire en RDA, sans pour autant adhérer complètement au système. Et enfin avec lui, Maxim ce petit garçon qui ne croit pas du tout aux valeurs communistes et qui ressemble tellement à tous les enfants du monde. Son parcours permet de toucher du doigt la vie de l’Allemagne de l’Est. C’est à la fois tragique et ridicule. Tragique, car il a failli ne pas pouvoir poursuivre ses études et qu’il craint toujours d’être repéré par la Stasi. Ridicule, quand on voit les efforts de la directrice pour convaincre les enfants qu’ils ont de la chance d’être des enfants choyés de la RDA alors qu’ils n’ont presque rien pour jouer ou pour se distraire. Et lorsque le dernier chapitre arrive avec les manifestations de Leipzig qui annonceront la fin de ce régime absurde on sent que cela s’est joué à très peu de choses. Mais les Allemands sont maintenant réunis dans un même pays, on se demande alors si Maxim Leo écrira la suite pour nous expliquer pourquoi le parti néo-Nazi se réclamant ouvertement des théories d’Hitler fait un si bon score dans son ancien pays. À ce propos vous pouvez écouter sur le podcast du Nouvel Esprit Public une émission qui compléterait bien cette lecture.

 

 

Citations

Le travail de journaliste en 1966 en RDA

On énumère aussi les mots devenus indésirables parce que l’ennemi s’en est emparés, le nom des produits que l’on n’a plus le droit de mentionner parce qu’ils sont en pénurie. Il y a des mois où personne ne peut écrire « machine à laver » ou « Pneu de voiture ». La »Social-démocratie » est proscrite pendant deux ans, le « Parlement » et le. »Front populaire angolais » pendant six semaines seulement.

Le journalisme en RDA

Anne note que la plupart des chefs de service ne sont pas de vrais journalistes, mais des soldats du parti en service commandé. Les bon journaliste n’en sont pas membres, ce qu’elle trouve étrange, puisque le parti est tout de même censé être l’élite. Comme il n’y a guère de place pour leur texte à eux, la plupart sont presque totalement désœuvrés. À midi, on commence à boire dans les bureaux. Ce sont les chefs de service qui boivent le plus. Les collègues tentent de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues. Il y a des intrigues, des dénonciations, des campagnes. Accessoirement, on fait un journal.

Jeux des enfants dans le Berlin d’après guerre

Parfois ils sortent de la ville et se rendent à Marzahn, où l’on déverse dans une fosse des munitions trouvées. Ils font du feu, ils jettent des cartouchière de fusils-mitrailleurs et se mettent à couvert. Le bruit des balles qui partent en sifflant dans tous les sens est si épouvantable que certains en font dans leur pantalon. Les grands cassent les détonateurs des obus de DCA et versent la poudre noire dans des sacs. Ils entrent dans des ruines dont les cheminées tiennent encore debout. Ils placent l’explosif en bas, dans le bac du poêle ; des lacets plongés dans du désherbant leur servent de mèches. Et lorsque, derrière, la charge éclate , lorsque l’immense cheminée s’effondre comme un géant touché à mort, ils crient et dansent de joie. Les adultes ne demandent jamais où ils étaient passés. Ils mènent leur propre vie.

Fait peu connu, pourtant cela se passe en France

Werner, sous-officier de la Wehrmacht, a échappé à la mort sur le front et a été enfermé dans un camp où il a vu ses camarades mourir par centaines.

Un nazi ordinaire

 Il semble que, comme beaucoup d’autres, Werner, à l’époque, était persuadé qu’une vie meilleure se préparait. Il voyait que les choses avançaient, que sa vie devenait plus belle, que tout d’un coup même les enfants d’ouvriers avait une chance. Dans sa famille, personne avant lui n’était jamais allé au sport d’hiver. Il était aussi le premier à avoir vu la mer. Même s’ils avaient eu l’argent pour le faire, ses parents n’auraient jamais eu l’idée de louer un fauteuil cabine au bord du Wannsee ou d’acheter une bouteille de vin au thé dansant. Werner se sent l’âme d’un gagnant, d’un homme qui a tiré le gros lot. « Tout d’un coup tout semble possible. » Écrit-il, et c’était sans doute très précisément le sentiment qu’avaient beaucoup de personnes à cette époque. Hitler a relevé les petits, rapetissé les grands.

Portrait d’un homme qui sait s’adapter à tous les systèmes

Werner était peut-être l’un de ces hommes qui fonctionnent correctement dans pratiquement tous les systèmes et pratiquement tous les rôles. Il aurait tiré le meilleur de n’importe quelle situation. Son bonheur de vivre n’aurait pas été menacé si Hitler avait gagné la guerre ou si lui-même s’était par hasard finalement retrouvé à l’Ouest il aurait certainement été un bon peintre de décor s’il n’était pas devenu un bon directeur d’établissement scolaire. Tout comme, auparavant, il avait été un bon mouleur, un bon soldat, un bon prisonnier. Et désormais un bon citoyen de la RDA.

Pourquoi son grand père résistant à préféré la RDA

Dans cette interview, pour la première fois, Gerhard parle de la culpabilité, il explique pourquoi des gens comme lui était à ce point enchaînés à ce pays. Il évoque l’espoir qui était le sien après la guerre : celui de construire une nouvelle société dans laquelle les nazis n’auraient plus jamais la moindre chance. Il a vu, explique-t-il, des criminels de guerre siéger au gouvernement et des génocidaire percevoir des pensions considérables, tout cela à l’Ouest. Ce genre de chose, affirme-t-il, n’existait pas en RDA. Et cela comptait plus que tout le reste.

Une anecdote amusante, Maxim a 11 ou 12 ans en RDA

Un jour du mois de novembre 1982, la directrice de notre école, Mme Reichenbach, arriva en trombe dans le vestiaire. Nous sortions tout juste du cours d’éducation physique. Madame Reichenbach nous annonça, les larmes aux yeux  » « Il s’est passé quelque chose de très grave. Leonid Brejnev, le secrétaire général soviétique, est mort ». Le silence régna un moment, ensuite, nous ne pûmes nous empêcher de rire, parce que Kai Petzold, tout nu derrière madame Reichenbach , cherchait désespérément son slip. Madame Reichenbach ne comprenait pas ce qui se passait, elle n’entendit que nos rires étouffés et quitta la salle furieuse. Nous avions en principe, l’heure suivante, un cours de mathématiques, mais la directrice entra dans notre classe et nous annonça qu’après cet incident, chacun d’entre nous devait écrire une rédaction sur Leonid Brejnev. Il s’avéra que certains d’entre nous ignorait totalement de qui il s’agissait. Madame Reichenbach se remit à pleurer et annonça en criant que cette histoire aurait des conséquences. Mais il ne se passera rien du tout, si ce n’est que quelques mois plus tard un nouveau secrétaire général du PCUS (Iouri Vladimirovitc Andropov) mourut et que personne ne nous en parla à l’école.

Comment une bonne idée peut ne servir à rien.

À partir de la sixième, nous avions une fois par semaine un cours de travail productif. Nous nous rendions dans une usine de métallurgie qui produisait des pièces pour les chauffages au gaz. Ils ne savaient vraisemblablement pas quoi faire de nous, raison pour laquelle nous passions des heures à trier des vis que l’on remettait en vrac après notre départ pour occuper la classe suivante.

Régis Debray et Gilles,Perrault et François Mitterand en 1987

Régis Debray nous parle aussi de Tamara Bunke, une femme originaire de la RDA qui se trouvait à l’époque à côté du Che. « Une femme hors du commun, une combattante », dit-il. mon français assez médiocre ne me permet pas de tout comprendre ; mais ce que je saisis, c’est que tout le monde, dans cette maison, trouve que la RDA est fantastique. Gilles Perrault dit que je devrais être fier de vivre dans un pays révolutionnaire comme celui-là, parce que seule la révolution libère vraiment les gens. Je n’ose pas le contredire, entre autres parce que je vois à quel point ces phrases rendent Gerhard heureux.
 Mais je ne discerne pas la logique de tout cela. Comment peut-on loger dans une villa pareille et chanter les louanges de la RDA ? Ou bien faut-il justement habiter dans ce type de demeure pour pouvoir le faire ? J’ignore quelle image ces gens ont de la RDA, et même s’il y ont déjà été. Régis Debray nous confie un secret. Il exerce des fonctions de conseiller politique auprès du président de la République française, François Mitterrand, et dit que celui-ci a lui aussi beaucoup d’estime pour la RDA.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

La quatrième de couverture vous le dira, ce roman raconte la rencontre de Lucie Paugham, marionnettiste célèbre pour adultes qui a souffert dans son enfance du suicide de son père, qui avant de se pendre, avait lancé à la cantonade devant sa famille rassemblée devant le film, « Les tribulation d’un chinois en Chine » :

« Qu’est ce qui pourrait bien m’empêcher de me suicider ce soir ? »

Or trente ans plus tard son voisin au cinéma lui dit :

« Donnez-moi une bonne raison, un seule de ne pas me suicider cette nuit ».

Le roman est lancé, Lucie va faire entrer cet Alexandre Lannier dans sa vie et risquer de tout perdre. Mais au passage nous aurons découvert le drame de la famille Paugham, les aigreurs de la mère de Lucie, le déséquilibre affectueux de sa sœur, la difficulté du couple de Lucie et Philippe, leurs relations à leurs enfants et surtout, surtout l’incroyable métier de marionnettiste qui m’a vraiment donner envie d’aller voir des spectacles de marionnettes pour adultes ce que je n’ai encore jamais fait. Lorsque les déplacements et les spectacles recommenceront, je me fais la promesse d’aller voir le festival mondial de spectacles de marionnettes le problème c’est que cela se passe à Charleville-Mézières et que déjà ce n’est pas une ville qui m’attire et qu’en plus c’est la région la plus touchée par le Covid-19 ! ! ! Si cette lecture reçoit quatre coquillages, elle le doit à la découverte, pour moi, de la relation entre le marionnettiste et sa marionnette car sinon je reproche à cette romancière d’esquisser des personnages plus que de les traiter en profondeur ou en finesse.

 

Citations

En période de confinement voici des bruits que l’on n’entend plus !

Faire la queue m’humilie et la liesse me dérange. Le consensus m’emmerde tout autant que le succès programmé, le bruit et les pop-corn.

Remarque intéressante

Un philosophe a dit que les autres nous sauvent de la répétition. C’est vrai, mais pas tout le temps et pas avec tout le monde. J’ajouterai que dans une rencontre, quelle qu’elle soit, tout nous est donné, d’emblée. Nous disposons dès les premiers instants d’indice troublants qui devraient nous alerter. Mais nous sommes éduqués pour que tout se passe bien avec les autres et sans même nous en apercevoir, nous modelons l’étrangeté à notre mesure pour la rendre familière et vivable.

C’est hélas vrai !

La phrase est pour le bègue une ascension interminable et douloureuse dont l’intérêt et le sens se perdent en route

Rapports avec sa mère

J’ai passé ma vie à ne pas vouloir ressembler à ma mère. Aujourd’hui encore, je reste vigilante même si mon existence est aux antipodes de la sienne. Pourtant, quand je lui rends visite, deux ou trois fois par an, notre ressemblance physique me brise le moral à la manière d’une mauvaise habitude qu’aucun effort ne pourra jamais corriger. Je me vois dans trente ans et ce que je constate me déplaît souverainement. J’imagine que mes rondeurs deviendront son embonpoint, que ma peau aura la tremblotante mollesse de ses bajoues de cocker et que mon cul plat s’évasera comme le sien. Ma mère nous a donné sa laideur en héritage. Je n’y peux pas grand-chose

 

Traduit du polonais par Margot Carlier, Édition Noir sur Blanc,Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Olga Tokarzuk qui, malgré son prix Nobel de littérature en 2018, m’était totalement inconnue, est véritablement un grand nom de la littérature contemporaine. Je ne vous renvoie pas à l’article de Wikipédia (qui m’a permis d’en savoir plus sur cette immense écrivaine) et je vous décourage de le lire si vous ne voulez pas vous gâcher le plaisir de lire ce roman qui est y est décrit sans aucun attention pour les lecteurs qui n’aiment pas que l’on leur raconte le dénouement avant de se lancer dans la lecture. Nous sommes ici sur la frontière tchèque au sud de le Pologne, dans une région de forêts et de collines. Une femme âgée qui a été autrefois ingénieure, vit dans une petite maison en totale harmonie avec la nature. Elle garde les maisons voisines qui ne sont habitées que l’été et donne quelques cours d’anglais dans une école primaire. Elle a deux amis, un traducteur de William Blake et Matoga son voisin dont le fils est policier. Elle passe une grande partie de son temps à écrire à la police pour dénoncer les pratiques des chasseurs. Elle trouve particulièrement cruel que ceux-ci attirent les animaux en leur offrant de la nourriture dans ce qu’elle appelle des « Ambons » qui- loin d’être des meubles religieux- sont des sortes de promontoires remplis de foin ou de fruits, les chasseurs pouvant alors tirer sur les bêtes qui se nourrissent sans se donner le mal de les chercher dans la forêt. Mais voilà que, dans ce village, une succession de morts suspectes troublent tous les habitants, les morts sont des chasseurs et des hommes enrichis par des pratiques douteuses et qui peuvent avoir un rapport avec la mafia russe. Mais elle, notre narratrice sait qu’il s’agit là de vengeances des animaux qui ne supportent plus d’être assassinés par des chasseurs cruels et sans cœur. Elle le sait d’autant plus qu’elle lit dans les astres et les planètes et que tout y est écrit. Elle en informe, à travers une multitude de lettres, la police qui la prend pour une folle. Et nous lecteurs ? et bien aussi curieux que cela puisse paraître, on aimerait tant que cela soit possible qu’on se laisse embarquer dans ses raisonnements. Je ne vous en dis pas plus. Je vous laisse savourer cette lecture qui est un hymne à la nature et aussi, une très bonne description de la société polonaise, cette auteure le fait avec un humour incroyable, on est vraiment bien dans tous les récits qui peuplent ce roman. Elle nous rend aussi un grand service en nommant tous les personnages par des surnoms qui sont tellement plus faciles à retenir que les prénoms polonais . Par exemple son ami Matoga s’appelle en réalité Świetopęlk . Avouez que c’est plus facile de prononcer, et de retenir, Matoga, il en va ainsi de « Grands-pieds », « Bonne-nouvelle » et tous les autres. Un roman fabuleux et magique et « un peu » moins sombres (grâce à l’humour) que les romans polonais que j’ai lus récemment. Et qui a beaucoup plu aussi à Krol.

 

 

Citations

Une astrologue avertie

En général, il est très peu loquace. Selon moi, il doit avoir Mercure en Capricorne, un signe de silence, ou bien en conjonction, en carré ou peut-être en opposition avec Saturne. Cela pourrait être aussi un Mercure rétrograde -ce qui est typique pour un introverti.

Humour

Selon moi, il aurait plus d’une fois mérité une punition, voire même la prison. J’ignore pourquoi il n’a jamais subi la conséquence de ses actes. Peut-être était-il sous la protection des anges, il arrive parfois qu’ils s’engagent du mauvais côté.

Les hommes vieillissants

J’ai ma théorie sur le sujet. L’âge venant, beaucoup d’hommes souffrent d’une sorte de déficit, que j’appelle. »autisme testostéronien », il se manifeste par une atrophie progressive de l’intelligence dite sociale et de la capacité à communiquer, et cela handicape également l’expression de la pensée. Atteint de ce mal, l’homme devient taciturne et semble plonger dans sa rêverie. Il éprouve un attrait particulier pour toutes sortes d’appareils et de mécanismes. Il s’intéresse à la Seconde Guerre mondiale et aux biographies de gens célèbres, politiciens et criminels en tête. Son aptitude à lire un roman disparaît peu à peu, étant entendu que l’autisme dû à la testostérone perturbe la perception psychologique des personnages.

Les actualités vues par quelqu’un qui ne regarde que la chaîne météo

À l’heure du café, on présente généralement le bulletin météorologique pour les skieurs. Il montre l’univers rugueux des monts, piste et vallées, avec leur enveloppe neigeuse ô combien capricieuse -la peau rêche de la terre n’est blanchie par la neige qu’à certains endroits. Au printemps, les skieurs cèdent la place aux allergique et l’image devient plus colorée. Des courbes douces déterminent les zones à risques. La couleur rouge indique les zones où la nature attaque le plus vigoureusement. Durant tout l’hiver, elle a attendu, endormie, pour frapper enfin les défenses immunitaires particulièrement fragile de l’homme. Un jour viendra où elle aura notre peau. À l’approche du weekend apparaissent les prévisions pour le trafic, mais elle se limite en réalité à quelques rares autoroutes. Cette répartition de la population humaine en trois groupes -skieurs, allergiques et conducteurs, je la trouve très convaincante. C’est une typologie simple et claire. Les skieurs, ce sont les hédonistes. Ils se laissent glisser sur les pentes. Les conducteurs préfèrent tenir leur sort bien entre leurs mains, quitte à faire souffrir leur colonne vertébrale, après tout, la vie n’est pas simple. Les allergiques, enfin, sont toujours en guerre. À l’évidence, je suis une allergique.

Le portrait de l’écrivaine (autoportrait ?)

L’écrivaine arrive habituellement au mois de mai, dans sa voiture remplie de livres et de nourriture exotique. Je l’aide à décharger et à défaire ses bagages, car elle souffre de la colonne vertébrale. Elle porte une minerve. À cause d’un accident, paraît-il. Mais peut-être est-ce en raison du temps passé à écrire que sa colonne vertébrale s’est détraquée. Elle me fait penser à quelqu’un qui aurait vécu les derniers jours de Pompéi -on dirait qu’elle est couverte de cendres : son visage est gris, ses lèvres aussi, tout comme ses yeux et ses cheveux, attachés avec un élastique et relevés en chignon. Si je la connaissais moins bien, j’aurais sans doute lu ces livres. Mais puisque je la connais, j’ai trop peur de cette lecture. Peur de me reconnaître, présentée d’une façon que je ne pourrai certainement pas comprendre. Ou d’y retrouver mes endroits préférés qui, pour elle, n’ont pas du tout la même signification que pour moi. D’une certaine façon, des gens comme elle, ceux qui manient la plume, j’entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n’être qu’un œil qui ne cesse d’observer, transformant en phrase tout ce qu’il voit, tant et si bien qu’un écrivain dépouille la réalité de ce qu’elle contient de plus important. : l’indicible.

Parler (avec humour) aux morts

Ma mère se tenait là, vêtue d’une robe d’été à fleurs, un sac en bandoulière. Elle était inquiète, désorienté.
– Nom de Dieu, mais qu’est-ce que tu fais ici, maman ? Me suis-je écriée, surprise.
 Elle a plissé les lèvres comme si elle voulait me répondre, puis elle est restée ainsi à les remuer durant un moment, mais sans produire le moindre son. Finalement, elle a renoncé. Ses yeux inquiets lançaient des regards circulaires sur les murs, sur le plafond. Elle ne savait plus où elle se trouvait. De nouveau, elle a tenté de me dire quelque chose et de nouveau elle y a renoncé.
-Maman… Murmurai-je, en essayant de capter son regard fuyant.
J’étais furieuse contre elle, parce qu’elle était morte depuis un certain temps déjà. Non mais je rêve ! Les mères qui ne sont plus de ce monde ne se comportent pas ainsi.

Les courses en ville en Pologne et les subventions européennes

Nous nous présentions sans rechigner aux interrogatoire, profitant de ce déplacement en ville pour accomplir un tas de choses, acheter des graines, déposer une demande de subvention de l’Union européenne, nous sommes aussi allés au cinéma

Une astrologue particulièrement douée…

Cette fois-ci, j’analysais scrupuleusement le programme télé, que j’avais imprimé avec le maximum de chaînes possibles, et je cherchais à établir un lien entre l’argument des films diffusés un jour donné et la configuration des planètes. Des liens réciproques se dégageaient avec un caractère d’évidence.

Remède contre les cauchemars

Il y a un vieux remèdes contre les cauchemars qui hantent les nuits, c’est de les raconter à haute voix au-dessus de la cuvette des WC, puis de tirer la chasse.

Portrait du dentiste

Selon moi, le dentiste aurait pu devenir l’attraction touristique du coin si seulement son activités avait été légale. Malheureusement, quelques années auparavant, on l’avait privé du droit d’exercer son métier pour abus d’alcool. C’est tout de même curieux que l’on interdise pas l’exercice de ce métier pour mauvaise vue, car cette affection peut s’avérer bien plus dangereuse pour le patient. Quant au dentiste, il portait des verres épais, dont un était collé avec du ruban adhésif.

Toujours cet humour

Je dois avouer que c’était un bel homme, malgré son ventre proéminent qui l’enlaidissait. Il était sûr de lui, séduisant, sa carrure jupitérrienne faisait excellente impression . Eh bien, oui ! cet homme était né pour gouverner. D’ailleurs, il ne savait rien faire d’autre.

 

Édition JC Lattès traduit de l’anglais(Royaume-Uni) par Dominique Edouard.

En période de confinement, la lecture reste une bon dérivatif. Je ne sais pas trop l’expliquer mais j’ai eu besoin de trouver un roman plus « agréable » pour ne pas dire « facile », pour retrouver ce plaisir qui, chez moi, est une seconde nature. C’est pour cela que je vous propose ce roman que vous pouvez classer dans la rubrique « pour le sourire » et « so british » . J’ai déjà lu de cet auteur « Passé Imparfait » qui était plus réussi sur le plan de l’intrigue romanesque. Comme je n’arrivais absolument plus à lire depuis que tous les soirs, j’entends le nombre de morts augmenter et l’épidémie frapper à nos portes sans pouvoir me réfugier auprès de mes enfants et petits enfants ce qui est, pour moi, le viatique le plus sûr, j’ai pris ce roman sur ma pile, il m’a fait sourire et je l’ai lu jusqu’au bout avec attention. Certes ce n’est pas le roman du siècle et en d’autre temps, j’aurais été plus critique et sans doute je l’aurais lu plus rapidement mais les circonstances étaient telles, que cette vie d’Anglais de la haute société a été un très bon dérivatif. (Comme vous le savez sans doute Julian Felowes est le créateur de « Downton Abbey ») . Il a choisi pour ce roman deux univers qu’il connaît bien, celui de la noblesse anglaise et le monde des acteurs. Le snobisme est partout mais celui qui me ravit est celui des grandes familles anglaises. L’intrigue est simplissime trop sans doute, une jeune femme très belle réussit à épouser un noble anglais fortuné, cela veut dire pour elle un enfermement dans la campagne anglaise avec un mari qu’elle va vite trouver ennuyeux. (une Emma Bovary en puissance ?) Un trop bel acteur vient troubler son mariage et lui apporte la satisfaction sexuelle et une vie qu’elle croit plus trépidante, mais… Je ne divulgâche pas plus surtout que ce n’est vraiment pas le plus intéressant. Julian Fellowes est un excellent analyste de l’âme humaine et un observateur de ces deux mondes qu’il connaît bien. Il y a en lui une grande bienveillance pour les faiblesses humaines ce qui enlève du mordant à son récit mais en fait un roman agréable à lire. Personne n’est à l’abri du snobisme sauf, peut-être, la reine d’Angleterre puisqu’elle remplit toutes les cases ! Les autres, tous les autres ont toujours au dessus de leur catégorie sociale quelqu’un qu’ils aimeraient fréquenter pour « faire bien » et montrer qu’ils sont, grâce à cette fréquentation, une personne importante. Les amis du narrateur, David et Iabelle Easton, obsédés par la maison Broughton (les riches châtelain du coin) m’ont fait penser à ce passage de Proust qui décrit si bien lui aussi le snobisme :

l’absence de relations avec les Guermantes,—pourrait bien avoir été non pas subie, mais voulue par lui, résulter de quelque tradition de famille, principe de morale ou vœu mystique lui interdisant nommément la fréquentation des Guermantes. « Non, reprit-il, expliquant par ses paroles sa propre intonation, non, je ne les connais pas, je n’ai jamais voulu, j’ai toujours tenu à sauvegarder ma pleine indépendance ; au fond je suis une tête jacobine, vous le savez. Beaucoup de gens sont venus à la rescousse, on me disait que j’avais tort de ne pas aller à Guermantes, que je me donnais l’air d’un malotru, d’un vieil ours. Mais voilà une réputation qui n’est pas pour m’effrayer, elle est si vraie ! Au fond, je n’aime plus au monde que quelques églises, deux ou trois livres, à peine davantage de tableaux, et le clair de lune quand la brise de votre jeunesse apporte jusqu’à moi l’odeur des parterres que mes vieilles prunelles ne distinguent plus. » Je ne comprenais pas bien que pour ne pas aller chez des gens qu’on ne connaît pas, il fût nécessaire de tenir à son indépendance, et en quoi cela pouvait vous donner l’air d’un sauvage ou d’un ours. Mais ce que je comprenais c’est que Legrandin n’était pas tout à fait véridique quand il disait n’aimer que les églises, le clair de lune et la jeunesse ; il aimait beaucoup les gens des châteaux et se trouvait pris devant eux d’une si grande peur de leur déplaire qu’il n’osait pas leur laisser voir qu’il avait pour amis des bourgeois, des fils de notaires ou d’agents de change, préférant, si la vérité devait se découvrir, que ce fût en son absence, loin de lui et « par défaut » ; il était snob.

Oui des snobs, il y en a partout et dans tous les pays mais ils sont rarement aussi drôle que les Britanniques qui en plus le font souvent avec humour. et c’est peut être le bon moment de réécouter la chanson de Boris Vian

 

Citations

Le couple

Vu de l’extérieur, il semble essentiel à la survie de nombreux mariages que chaque conjoint devienne le fidèle complice des tricheries de l’autre. 

Portrait d Édith

Édith avait une de ces bouches ciselées, aux lèvres admirablement dessinées, rappelant celle des actrices de cinéma des années 40. Et puis, il y avait sa peau. Pour les Anglais , vanter le teint d’une femme est l’ultime ressource lorsqu’on est en panne de compliments. L’on évoque généralement un joli teint quand on parle des membres les moins flamboyants de la famille royale.

Particularisme anglais (mais je connais bien des français qui adorent cela aussi)

Les Anglais, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, adorent l’exclusivité. Mettez trois anglais dans une pièce et il inventeront une règle pour empêcher un quatrième de se joindre à eux. Ce qui rendait Édith différentes, c’est que la plupart des gens, en tout cas les membres de la noblesse, feignent de n’attacher aucune importance à leurs privilèges. Reconnaître le plaisir que l’on éprouve d’être invité alors que le public doit payer son billet, de franchir une barrière, ou pénétrer dans une pièce dont les autres sont exclus, ne vous attirera que des regards d’incompréhension des aristocrates (vrais ou faux. Les douairières chevronnées se contenteront sans doute d’un haussement de sourcil désapprobateur pour indiquer que l’idée même dénote d’un manque de savoir-vivre navrant. Si stupéfiante que soit la malhonnêteté de tout cela, la discipline avec laquelle ces gens-là respectent leurs inébranlables règles force le respect.

Très bonne analyse

Dans l’ensemble, les gens privilégié ne sont pas du genre à geindre. On ne parle pas de ces ennuis, ça ne se fait pas. Une promenade d’un pas vif ou un bon cordial sont leur façon de réagir lorsqu’ils ont des peines de cœur ou d’argent. La presse populaire décrit souvent leurs froideur or ce n’est pas le manque de sentiments qui les rend différents, plutôt leur habitude de ne pas les exprimer. Élevés dans cette discipline de pudeur, ils n’apprécient évidemment pas les débordements d’émotion chez les autres, et sont sincèrement désorientés par le chagrin des classes laborieuses, ces mère en sanglots que l’on traîne et soutient jusqu’à l’église pour l’enterrement de leur enfant, ces veuves de soldat photographiées en larmes, lisant sa dernière lettre. Le mot même de « conseiller » les révulse. Sans doute ne comprennent-ils pas que toute tragédie nationale ou personnelle -guerre meurtrière, attentat, accident de la route, offre aux gens plus simples l’occasion de connaître une célébrité éphémère. Pour une fois dans leur vie, ils peuvent apaiser le désir obsédant, et tellement humain, de vedettariat , de reconnaissance publique de leur condition. Un besoin que les privilégiés ne s’expliquent pas parce qu’ils ne le ressentent pas. Eux sont nés sur le devant de la scène.

Discussion politique

L’issue de la discussion n’avait aucune importance pour aucun d’entre nous, il n’empêche que l’appuie que m’apportait Tommy agaçait Henri. Comme tous les représentants les moins intelligents de sa classe, il s’imaginait que sur chaque sujet, du choix d’un porto à l’euthanasie, il existe une façon correcte de penser et qu’il suffit de la formuler pour emporter la position. Vu qu’il ne s’adresse généralement qu’à des gens de leur bord, la partie est souvent facile à gagner.

La lady la plus aboutie

Lady Uckfield parlait de lui comme on parle d’un vieil ami mais comme elle cachait toujours ses sentiments, y compris à elle-même, j’étais incapable d’évaluer leur degré d’intimité.

Le personnage principal tombe amoureux

Elle s’appelait Adela Fitzgerald, son père était un baronnet Irlandais, un des plus anciens, précisa-t-elle parfois d’un ton tranchant. Elle était grande, jolie, sérieuse et je perçus aussitôt que j’avais toutes les chances d’être heureux auprès d’elle pour le restant de mes jours. Aussi fus-je très occupé dans les mois qui suivirent à la convaincre de cette évidence qui, je dois l’admettre, lui paraissait moins criante qu’à moi.

Comparaison : femme d’aristocrate et femme de star

La femme d’un comte est une authentique comtesse. Les gens ne voient pas simplement en elle le moyen d’accéder à son mari. De plus, si la famille qu’elle a épousée à conserver ses biens, ce qui était le cas des Broughton, elle peut régner en souveraine sur le micro-royaume de son mari. En revanche, la femme d’une star n’est… que sa femme. Rien de plus. Les gens ne la courtisent que pour s’insinuer dans les bonnes grâces de la vedette. Il n’y a aucun domaine sur lequel régner. Le royaume de son mari, ce sont les studios et la scène où elle n’a pas sa place. Lorsqu’elle y fait de rares apparitions, elle dérange même plutôt, inactive parmi des gens en train de travailler.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition La librairie du XXI°siècle Seuil

Il existe parfois des petits bijoux littéraires que l’on a envie de partager avec le monde entier. C’est le cas pour ce conte auquel on ne saurait ni ajouter ni enlever un seul mot. La tragédie du XX° siècle nous apparaît dans toute son horreur sous une forme de conte que l’on ne pourra pas raconter à nos enfants. Du premier mot au dernier, j’ai tout aimé de cette lecture et je pense qu’elle renouvelle complètement notre regard sur la Shoa. Il s’agit d’un bébé jeté, en 1942, d’un des trains de marchandises dont on connaît la destination aujourd’hui et recueilli par une pauvre femme qui va le sauver. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, lisez-le, j’aimerais tant savoir ce que vous en pensez et surtout, surtout …. ne vous dites pas : « Ah, encore un livre sur ce sujet ! » .

 

 

Citations

Le début

Il était une fois, dans un bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.

Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas « le Petit Poucet ». Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…

L’apparition du bébé

Alors apparaît, oh merveille, l’objet, l’objet qu’elle appelait depuis tant de jours de ses vœux, l’objet de ses rêves. Et voilà que le petit paquet, l’objet à peine défait, au lieu de lui sourire et de lui tendre les bras, comme le font les bébés dans les images pieuses, s’agite, urgent, serre les poings les brandissant bien haut dans son désir de vivre, torturé par la fin. Le paquet proteste et proteste encore.

Retour du père des camps

Il avait vaincu la mort, sauvé sa fille par ce geste insensé, il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort. Il eu le courage de jeter un dernier regard sur la fillette retrouvée et reperdue à jamais. Elle faisait déjà l’article à un nouveau chaland montrant de ces petites mains la provenance du fromage en désignant du doigt la chèvre chérie et sa maman adorée.

L’épilogue

Voilà, vous savez tout. Pardon ? Encore une question ? Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? Une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre afin de livrer d’urgence leurs marchandises, oh combien périssables. Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentration, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la cendre, ni les larmes. Rien de tout cela n’est arrivé, rien de tout cela n’est vrai.

 

 

Édition Gallimard

 

Je me souviens encore du plaisir que j’ai eu à lire « Balzac et la petite tailleuse chinoise » , et lorsque j’ai vu ce roman à la médiathèque, je me suis souvenue avoir lu un billet sur le blog « Journal d’une lectrice », je n’ai pas hésité, je suis donc partie avec cet auteur qui raconte si bien son pays dans la ville côtière de Putian. Yong Shen est le fils du charpentier du village, il sera marqué à tout jamais par un sermon d’un pasteur américain qui parle lui aussi d’un fils de charpentier. Il devient chrétien et fabricant de sifflets pour des colombes.

Il passe un certain temps auprès de ce pasteur et de sa fille Mary. Puis, il fait des études de théologie mais auparavant, il sera marié pour respecter d’obscures superstitions. Il revient chez lui, et il apprend que sa femme a donné naissance à une enfant aux yeux clairs, Helai, cette enfant fera son bonheur et son malheur à la fois. S’il n’en est pas le père biologique, il l’a élevée avec amour mais en périodes de folies révolutionnaires être fille de pasteur, être brillante intellectuellement, et avoir des yeux bleus , s’avèrent très dangereux . Alors, après la période de bonheur ou Yong Shen a été pasteur à l’abri de son arbre chéri, né en même temps que lui : l’aguilaire qui est -si j’ai bien compris- l’arbre qui donne de l’encens, viennent les différentes épisodes de la révolution communiste. Le « grand bon en avant », sera suivi par la révolution culturelle et si Yong Shen n’y laisse pas sa vie, il y laisse son âme et sa foi.

 

Comme souvent dans un bon roman qui s’appuie sur la tragédie historique et sur la folie des hommes, il y a des moments de détentes et même de rire. L’émeute provoquée par l’opération du petit garçon chinois d’une ectopie testiculaire est à la fois, bien racontée et très drôle, tout le village est persuadé que le médecin blanc s’en prend à la virilité de l’enfant chinois. Comme on traverse plus de la moitié d’un siècle -et quel siècle !-, ce roman est très dense et fourmille d’histoires et de personnages très divers. Même les personnages secondaires sont intéressants et lorsque le rouleau compresseur s’abat sur le peuple, il n’y a pas beaucoup de recoins pour se cacher et échapper à la terrible remise au pas de tout un peuple.

Les souffrances du pasteur reconnu comme traître à la cause du peuple et dénoncé par sa propre fille qui veut sauver sa vie et celle de son enfant sont à peu près insoutenables s’il n’y avait pas le talent de ce grand écrivain qui embarque son lecteur dans des descriptions poétiques et un monde fait de beauté et de rêve. La tragédie et la mort sont présentes jusqu’à la dernière ligne mais elle est accompagnée par le « Concerto en ré majeur de Beethoven » et cela donne une impression qui s’élève au-delà de la réalité de la souffrance humaine .

 

Citations

Traditions

C’était le ruban de satin rouge que la famille Yong espérait depuis huit ans, car, selon la coutume, à Putian, on accrochait un ruban rouge à un arbre de sa maison, pour annoncer au monde que l’épouse était enceinte.

Yong Sheng est torturé par les communistes en 1949. Il est alors directeur de l’orphelinat

Un petit de sept ou huit ans s’approcha du révolutionnaire. 
« Vous pouvez faire redescendre notre directeur ? 
-Tu ne dois plus l’appeler directeur, mais ordures impérialiste. 
-Vous pouvez faire redescendre notre impérialiste s’il vous plaît ? 
-Bon point pour toi, je vais le faire redescendre, et procéder à la deuxième partie de son interrogatoire. »

Les réunions publiques sous la révolution culturelle

Les paysans présents depuis le matin étaient rentrés déjeuner chez eux, mais sitôt leur repas pris, ils revinrent avec leurs enfants, et des tabourets bas pour s’asseoir. Assister à une séance de critique n’était pas un acte gratuit. Selon le barème en vigueur, une demi-journée de présence rapporter cinq points à un homme, quatre à une femme, trois au vieillard, ou malade et aux handicapés. Quant aux cadres non rémunérés par l’État, ils touchaient une prime, en plus de leur salaire régulier.

Le manchot, en tant qu’ancien droitier réhabilité, jouissait théoriquement de ses droits civiques, mais en pratique, il n’était jamais autorisé à assister à une réunion politique de la commune. Non pas qu’on lui refusât la petite compensation financière ou la journée de repos qu’impliquait une participation à de tels rassemblements, pour les paysans et les ouvriers c’était moins dur que de journée de travail, mais son statut de consigner le mettait à part. Chaque mois, en tant que boucher en attente d’emploi, il était rémunérée par le district, qui ne l’autorisait pas assister aux meetings et l’obligeait à travailler. 

Torturé pendant la révolution culturelle

La plaque de ciment de dix kilos y exerçait une pression telle que l’acier pénétrait profondément dans sa chair. La large tuméfaction qui s’était formée autour ne cessait de gonfler. Ses vertèbres cervicales semblaient sur le point de se briser.(…)
Il songea que les concepteurs de la plaque de ciment étaient d’une intelligence redoutable. Il avait vraiment été inspirés. Avec leurs inventions, il avait écrit, au vingtième siècle, un nouveau chapitre des lois de la gravité, plus le fil de fer sur lequel reposait le poids de la plaque était fin, plus la gravité en démultipliait la pesanteur. 
Il leva la tête, et, à travers la sueur épaisse qui brouillait et ses yeux, il aperçut devant lui le visage de Mao, comme une apparition confuse, entourée d’un halo trouble. C’était un portrait du président que ses accusateurs avaient installé devant lui, pour la réunion de critique .
 » Président Mao, je suis vraiment incurable. Mon infection idéologique est trop grave. Vous me donnez l’occasion d’être critiqué par les masses, mais, alors que je suis à genoux devant vous, mon cerveau malade se préoccupe encore des notions physique que j’ai étudié à la faculté de théologie, et la seule chose à laquelle je suis capable de penser, c’est la loi de la gravité découverte par un occidentale. Grâce à votre Révolution culturelle, j’espère pouvoir enfin rompre a jamais rien qui m’attache encore à la pensée des impérialiste. »

 

 

Édition Rouergue

 

Je dois cette lecture à Krol qui avait été très enthousiaste pour un autre roman d’Hélène Vignal, que je lirai à l’occasion celui-ci était à la médiathèque. Il se trouve que ce jour là il y avait une exposition qui va bien avec le thème du roman dont je vais vous parler. Il s’agissait de portrait de personnes âgées qui ont toutes en commun de se faire porter des livres car elles ne peuvent que difficilement se déplacer. J’ai adoré ces portraits :

Une exposition qui part à la rencontre de nos aînés…

 

De la même façon, j’ai beaucoup aimé le portrait de Jamie la grand-mère de la narratrice Louise. Cette femme qui passe son temps à soupirer, à ranger une maison ou rien de dépasse, à faire des mots fléchés et des sudoku saura-t-elle comprendre sa petite fille et s’ouvrir aux joies du camping. Parce que les vacances dont rêve Louise c’est de passer huit jours avec sa mère et son ami Théo à Bénodet. Rien ne se passe comme prévu, sa mère doit repartir travailler et Louise doit renoncer à ses vacances au camping. Or, Théo son ami homosexuel, a tout autant qu’elle besoin de ces huit jours loin de ses parents à qui il ne peut absolument pas parler de son homosexualité. Beaucoup de thèmes se croisent dans ce roman pour ado, mais qui peut facilement être lu par des adultes. La guerre d’Algérie, (c’est bizarre mais j’ai lu deux livres à la suite qui parlaient de cette guerre), la difficulté de se comprendre entre génération, l’homosexualité, mais surtout la façon dont une personne, ici Jamie, peut passer à côté du bonheur en s’enfermant dans des habitudes mortifères. Beaucoup d’humour dans ce roman, la scène où dans « la famille parfaite » du camping, les parents veulent persuader l’enfant que, puisqu’il aime les courgettes et les concombres « il doit aimer les cornichons » est très drôle. Je ne sais absolument pas si les ado aiment cet auteur mais je l’espère de toutes mes forces car elle parle de tout avec une légèreté et un sérieux qui fait du bien sans oublier son humour.

 

Citations

Les phrases d’ado que j’aime

Moi, je regardais un feuilleton américain en faisant la patate devant la télé.

Mon grand-père était-il un soldat sanguinaire ? Genre vétérans du Vietnam façon couscous ?

 

Quand elle repousse sa grand-mère

Ces phrases sonnent comme un mauvais sort. Je m’écarte comme si elle venait de me piquer avec un rouet empoisonné de sorcière. J’en veux pas, moi de sa vie compliquée. J’en veux pas de ses « jamais », des ses « tu verras », chargés comme des bombardiers. Je ne veux pas que la vie s’occupe de moi. Je veux m’occuper de ma vie toute seule. Sans subir, comme elle. Sans languir après des trucs qui n’arrivent jamais. Sans espérer que demain ça ira mieux. Sans attendre que les gens soient morts pour les comprendre.

Portrait très bien dessiné en une phrase

Elle s’éloigne, martiale,la bouche comme un smiley à l’envers, les joues qui pendent, l’œil noir, en poussant un soupir offensé.

 

Édition j’ai lu

Je le dis tout de suite : n’attendez pas un billet objectif. J’aime cet auteur et je vais ne dire que du bien de ce livre que j’ai refermé à regret, j’aurais voulu rester encore un peu avec ces personnages. Laurent Seksik a été élevé par des parents aimants et, en retour, il éprouve pour eux une grande affection. On peut alors imaginer un livre guimauve dégoulinant de bons sentiments. Et bien non, on peut parler d’amour et de respect filial sans ennuyer personne. Laurent Seksik décrit ici la disparition de son père et l’énorme difficulté qu’il éprouve à se remettre de ce deuil. Dans une famille juive, cela dure officiellement un an et comme il nous le dit, il aurait aimé que cela dure encore plus longtemps. Il nous manque aussi à nous, ce père qui a si bien su raconter à son fils l’histoire de sa famille. Le roman se situe au moment où Laurent Seksik retourne en Israël, un an après l’enterrement de son père pour célébrer, justement, la fin du deuil. Dans l’avion, il rencontre une jeune Sandra, qui lui donne la réplique et cherche à comprendre pourquoi il aime tant son père, elle, qui semble avoir toutes les raisons de détester le sien ! Elle est comme le négatif de l’amour ensoleillé de Laurent pour son père et leur conversation nous permet de mieux cerner la personnalité de ce père tant aimé. Comme souvent dans les familles juives, l’amour dont les parents entourent leurs enfants est à la fois constructif et étouffant, il se mêle de tout, ce père, du choix des études de son fils et de ses fréquentations féminines. La scène dans l’aéroport de Nice est digne d’un film de Woody Allen, je vous la laisse découvrir. Mais son père, c’est aussi, un homme généreux qui est aimé des gens simples, qui se donnent du mal pour faire un beau discours pour des enterrements de gens sans famille. Et c’est certainement la personne qui a le plus compté dans la vie de l’écrivain Laurent Seksik, médecin pour plaire à sa mère écrivain pour que son père soit fier de lui : un fils obéissant donc..

 

Citations

Son père

– Papa, tu me jures que cette histoire est vraie ?
– Si cette histoire n’était pas vraie, pourquoi l’aurais-je inventée ?

L épisode Derrida

« Tu te souviens qu’enfant, à Alger, j’étais dans la classe de Jacques Derrida. Mais t’ai-je raconté qu’en sixième je l’ai aidé à plusieurs reprises à résoudre des problèmes de mathématiques ? »
Je ne voyais pas où il voulait en venir.
« Si Jacques Derrida en est là aujourd’hui, c’est grâce à ceux qui l’ont aidé et peut-être ai-je été l’un des premiers avec ces devoirs de mathématiques. Peut-être que Derrida me doit une fière chandelle et peut-être même que la philosophie française nous en doit une aussi ! Je me suis renseigné. Le frère de Jacques Derrida vis à Nice, il possède une pharmacie à Cimiez. Tu vas aller le trouver, lui rappeler l’épisode du devoir de mathématiques. Il transmettra. Le Jacques que j’ai connu était un garçon d’honneur. Il saura faire pour toi ce que j’ai accompli hier pour lui. »
Je bataillai ferme durant quelques semaines, mais on ne refusait rien très longtemps à mon père.
Un samedi après-midi, après qu’il m’eut déposé au volant de sa nouvelle Lancia sur le trottoir de l’officine, j’en franchis le seuil et avançait d’un pas hésitant et inquiet à l’intérieur de la pharmacie déserte en ce début d’après-midi, avec le secret espoir qu’aucun membre de la famille Derrida ne s’y trouvât ce jour-là. Derrière le comptoir, un homme à l’imposante tignasse brune et frisée qui n’était pas sans rappeler celle du philosophe me suivait d’un regard où luisait une pointe d’ironie. Il me demanda ce dont j’avais besoin. Devant mon silence il sourit d’un air entendu. « Je comprends, jeune homme, je suis passé par là. » Il se rendit dans un coin de la boutique et avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit pour le retenir, revint avec une boîte de préservatifs. « C’est la première fois je suppose ? » poursuivit-il d’un ton enjoué et complice. J’acquiesçait du menton, cherchant dans mes poches de quoi payer. « Laisse fit-il avec un geste de mansuétude, cette fois là, elle est pour moi. » Il glissa la boîte au creux de ma main, me donna, en se penchant au-dessus du comptoir, une petite tape sur le coude comme un dernier encouragements.
 Je remontai dans la voiture, la boîte de préservatifs au fond de ma poche, l’air le plus assuré possible. Mon père demanda si cela s’était bien passé. J’ai eu un hochement de tête approbateur en réprimant un sentiment de honte. Je préférerais qu’il croie à l’ingratitude un ancien camarade plutôt qu’à la lâcheté de son fils.

 Le philosophe Jacques Derrida ne fut en rien dans la publication, des années plus tard, de mon premier roman. Je lui dois en revanche mon premier rapport protégé.

Juif et gentil

Je crains que Samuel ne soit pas prêt à succomber aux sirènes d’une Gentille, comme certains disent chez vous. Même si je suis convaincue qu’il n’est pas insensible à mes charmes, les hommes sont prévisibles, vous savez. Mais dès qu’il se sent céder aux visées qu’il a sur mon décolleté, je suis sûr qu’il doit entendre la voix de sa mère : »Samuel, cette fille n’est pas pour toi. Elle va t’égarer hors du droit chemin ! Tes grands-parents, tes arrières grands-parents n’ont pas vécu et ne sont pas morts en bons juifs pour que tu fêtes Noël autour du sapin ! »

Dialogue père fils

 – Moi, je l’ai vu, cette Élodie, elle est splendide.
– Oui, elle est splendide mais surtout… Elle est juive, n’est-ce pas ?
– Et qu’est-ce que tu as contre les Juifs ?
– Absolument rien.
– Je suis heureux d’apprendre que nous ne logeons pas un antisémite à la maison… Mais laisse-moi te dire aussi que tu as tort de ne pas accorder une petite chance au destin !
– D’abord, je ne vois pas en quoi Élodie Tolila serait une chance et, et deuxièmement, je ne crois pas au destin.
– Il me semble qu’en ce moment tu ne crois plus en grand-chose, fiston…
J’allais déclarer que je croyais en « l’amour », mais je me retins prudemment d’ajouter quoi que ce soit.

Petite leçon d’histoire donnée par le père du narrateur

L’archiduc François-Ferdinand avait été assassiné à Sarajevo par un groupe de nationaliste serbe. Son oncle, l’empereur austro-hongrois, y a vu une perte irréparable pour l’humanité tout entière et a trouvé ce prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie qui, depuis des lustres, refusait son annexion en exerçant là une atteinte insupportable à l’intégrité de son territoire, même si l’empereur n’avait jamais foutu les pieds à Sarajevo puisque le soleil ne se couchait jamais sur son empire et que ces gens-là n’ont pas que ça à faire. Tout ce beau monde a sonné la mobilisation générale depuis les salons des châteaux où ils vivaient en paix afin que la morale soit sauf. C’était compter sans les Russes, qui ont toujours envie d’en découdre et décidèrent de venir au secours des Serbes par affinité naturelle puisque les uns et les autres sont de la même obédience orthodoxe et qu’il est plus commode de mourir fraternellement en priant le même seigneur qu’avec un type qui croit prier le bon Dieu alors qu’il implore le mauvais. Le Kaiser Guillaume a très mal pris la chose, parce que les Allemands sont très à cheval sur les principes, et jamais à un million de morts près. Le Kaiser a donc déclaré la guerre aux Russes même si le tsar était aussi son cousin, parce que c’est chez ces gens-là, Laurent, l’esprit de famille se résume à jouer aux petits soldats à l’heure du thé mais avec de vrais gens et à balles réelles. Comme les Français ont le sens de l’honneur, on ne nous enlèvera pas ça, et qu’on ne laisse pas attaquer un Russe sans réagir vu qu’on aurait des accointances depuis toujours même si je n’ai jamais rien ressenti de particulier, la France a déclaré la guerre aux Boches… Et voilà pourquoi, fiston j’ai perdu mon père a sept ans et la Nation a fait de moi son pupille, sans que je lui aie rien demandé.