Éditions Points . Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

 

Merci à celle grâce à qui ce livre est arrivé jusqu’à moi. Il me revient donc, de vous donner envie de lire au plus vite ce roman qui ne connaît peut-être pas le succès qu’il mérite. Je vous invite à partir avec Tadek Zagourski à la rencontre de son père Stefan Zagourski. Ils ne se sont pas vus depuis plus de vingt ans, Tadek vit en Israël et Stefan croupit dans une maison de retraite à Varsovie. La femme de Tadek ne supporte plus son mari qui tente d’être écrivain et qui surtout traîne un mal-être qui le réveille toutes les nuits par des cauchemars horribles. Elle le quitte en emmenant avec elle leur fils. Seul et encore plus malheureux, Tadek se tourne vers son passé et se souvient de son père qu’il a quitté lorsqu’il avait six ans. Sa mère, son frère, ses sœurs tous les gens qui ont connu son père lui déconseille de faire ce voyage pour retrouver l’homme qui les a martyrisés pendant leur enfance. Pour les sauver de cette terrible influence, sa mère a fui en Israël car elle était juive et a pu empêcher son père de les rejoindre car lui ne l’était pas . Ce retour vers cet homme violent qui est devenu un petit vieux très diminué complètement imbibé de Vodka nous vaut une description impitoyable de la Pologne de 1988, encore sous le joug soviétique, et une plongée dans la guerre 39/45 avec l’évocation du sort réservés aux juifs polonais et des violences entre les différentes factions des partisans. Son père est un héros de cette guerre, il a subi pendant six mois les tortures de la gestapo à Lublin sans trahir aucun de ses amis, puis sera interné au camp de Majdanek dont il s’évadera, ensuite il sera utilisé comme liquidateurs des collaborateurs polonais. Pour tuer un homme ou une femme de sang froid il lui faudra boire au moins une bouteille de vodka par jour. Après la guerre, il restera quelqu’un de violent et fera peur à tout le voisinage, il s’en prendra hélas à sa femme et à ses enfants toujours quand il était sous l’emprise de cette satanée vodka, enfin plus que d’habitude. Tadek va rechercher quels liens unissaient ce père à ses enfants pour retrouver le sens de sa propre paternité. Cet aspect du roman est bouleversant : comment un enfant quelles que soient les violences qu’il a vécues recherche toujours le lien qui l’unissait à un père même imbibé d’alcool dès le matin – car c’est ce que Stefan boit au petit déjeuner à la place du café. Dans cette relation amour/haine, Tadek doit petit à petit faire son chemin et obliger son père à dévoiler tous les côtés les plus noirs de son passé aussi bien sur le plan de la violence que sur le plan sentimental.

C’est un sacré voyage que je vous propose mais je suis certaine que vous ne pourrez pas laisser ces deux personnages avant d’avoir refermer le livre et que vous découvrirez encore tant de choses que je ne vous ai pas dites. Vous irez de beuverie en beuverie, mais, comment voulez vous arrêter de boire dans pays si catholique où, à chaque fois que l’on boit, on vous dit : « soyez béni : Na zdrowie »  ! ! ?

Encore une remarque, l’auteur nous promène dans le temps et dans l’espace en Israël, aujourd’hui en Pologne en 1988 , 1970 et 1940, mais cela ne rend pas la lecture difficile, on passe sans difficulté d’un moment ou d’un lieu à l’autre car on suit la reconstruction de Tadek et on espère qu’il arrivera un jour à dormir sans être réveillé par ces horribles cauchemars dont son père portent une grande part de responsabilité.

 

Citations

 

 

Genre de dialogues que j’adore  : nous sommes en Israël la femme de Tadek va le quitter

Elle a dit. J’en ai marre de cette vie de chien, je me crève le cul pour le gosse et pour toi, alors que toi, tu n’es ni un mari, ni un père. Tu nous enfermes dans ton rêve bancal et tu t’apitoies sur ton sort à longueur de journée.
– Tout de même, je fais la vaisselle, ai-je bredouillé pour ma défense. Et je m’occupe du jardin.
– C’est quand, la dernière fois que tu t’es occupé du jardin ? On dirait un dépotoir.
– Ce n’est pas la saison. J’attends le printemps.
– Et l’évier aussi, il attend le printemps ?
– Non, la nuit. Je fais la vaisselle la nuit.
– D’accord. Fais la vaisselle la nuit, attends printemps. Sauf qu’à partir d’aujourd’hui, tu feras ça tout seul. Je refuse de porter à bout de bras un parasite qui glande et se laisse aller. Qui ne fait que rester assis à fumer, à boire et à accuser la terre entière de son impuissance.

La Pologne après la guerre

C’est là-bas qu’on les a regroupés. Tous les Juifs de la région. On les a obligés à creuser un grand trou, et ensuite on leur a tiré dessus et on les a enterrés dedans. Mais pendant trois jours, la terre a continué à bouger. Tu comprends ? Et elle continue à bouger encore aujourd’hui. Je l’ai vu de mes propres yeux. Si tu t’approches trop, ils peuvent t’attraper par la jambe et t’entraîner au fond.

Sa mère au volant en Israël

Ma mère est une conductrice épouvantable. Elle roule trop vite et ralentit subitement sans raison. Elle est capable de changer de voie sans mettre son clignotant ni regarder dans le rétro, puis de vouloir retourner dans sa file initiale, mais en hésitant tellement qu’elle embrouille les conducteurs autour d’elle. Ou alors elle peut tout à coup dévier et rouler sur la bande d’arrêt d’urgence comme si c’était une voie normale.

Scène bien décrite d’une enfance marquée par la violence d un père

Ma mère est debout à la fenêtre de la cuisine et fume une cigarette. La vaisselle sale du dîner s’entasse dans l’évier. Ola est plongée dans un roman. Anka fait ses devoirs. Robert et moi jouons au rami. Silence. Chacun vaque à ses occupations. Soudain, dans la cage d’escalier, le bruit d’une porte qui claque, puis des pas qui montent lentement. Mon frère se crispe. Maman lance un regard inquiet vers le seuil. Anka et Ola se figent et tendent l’oreille. Moi aussi j’écoute, ces pas s’approchent et se précisent, au bout de quelques instants on comprend avec soulagement que ce n’est pas papa. On peut donc retourner à nos activités, sauf qu’on sait très bien que plus il rentrera tard, plus il sera saoule. Ne nous reste qu’à espérer qu’il le soit au point de s’écrouler en chemin ou chez un de ses amis de beuverie.

L’alcool tient une part importante du roman

Tante Nella avait un lourd passé d’alcoolique, tout comme son mari, un conducteur de train qui la frappait dès qu’il avait un coup dans le nez. À chaque fois, elle s’enfuyait et venait se réfugier dans notre appartement. Elle savait que c’était le seul endroit où il n’oserait pas la poursuivre. Au bout de quelques heures, quand il était enfin calmé, il débarquait chez nous, s’agenouillait à ses pieds et la suppliait de revenir.

En Pologne après la guerre

C’est un garçon rondouillard, blond, avec une raie sur le côté et de bonnes joues bien rouges. Il ne sort jamais seul, il est toujours accompagné par quelqu’un de sa famille, parce que dans notre quartier, un tel enfant se promenant seul, ça ressemblerait à une sardine blessée dans une mer infestée de barracudas voraces.

L’âge

L’âge, ça ne compte jamais, pour rien. Pour la baise non plus. Et encore moins pour la castagne. Ce n’est qu’une question de capacité, et tant qu’on y arrive – on le fait.

Humour polonais pendant le communisme

Qu’est-ce que tu veux ? Ici, tout le monde fait semblant de travailler, alors le gouvernement fait semblant de payer, comme ça, ça s’équilibre.

La recherche de la reconnaissance paternelle

Bien plus tard, j’ai constaté que, toute notre vie, nous cherchons à obtenir une sorte de reconnaissance de notre père mais que, pour ce que j’en ai compris – et je ne comprends sans doute pas grand-chose-, nous n’y arrivons quasiment jamais. Et peu importe que le père soit un fils de pute et un minable, on s’obstine, comme quand on était petit.

Tadek  : être un homme et un père

Tel était mon rôle : être dans sa chambre en cas de besoin, m’asseoir à côté de lui sur une chaise ou m’allonger sur le tapis et m’endormir, peu importe, le principal c’était que je sois dans les environs, papa gardien, prêt à défendre le château fort qui les abritait, lui et sa mère. C’était leur droit et mon devoir, sauf que mes capacités s’étaient tellement amenuisées au fil du temps que j’ai fini par cesser d’essayer. Bien sûr, j’étais l’homme, et je le serai toujours, celui qui ouvre les bocaux quand personne n’y arrive, qui sait déboucher le lavabo, qu’on réveille à deux heures du matin pour aller voir ce que sont ces bruits en provenance de la salle de bain, de la porte d’entrée ou du jardin. Mais ce n’était pas ce que je voulais. Oui, moi, j’avais espéré être autre chose.

Édition folio, traduit de l’américain par Josée Kamoun

 

C’est donc le troisième roman de cet auteur sur mon blog . Après « La Tache« , chef d’œuvre absolu , et « Le complot contre l’Amérique » qui m’avait un peu déçue, j’ai retrouvé dans « Un Homme » tout ce qui fait de cet écrivain un grand de la littérature contemporaine. Dans un texte assez court Philip Roth cerne la vie d’un homme de 73 ans à l’enterrement duquel nous assistons dans le premier chapitre. Grâce à une succession de flashback nous allons mieux connaître ses parents, son frère, sa fille Nancy, ses femmes et ses fils . Certains de ces personnages l’aiment ou l’ont beaucoup aimé d’autres, en particulier ses deux fils, n’éprouvent que de l’hostilité pour lui. Philip Roth sait bien décrire tous les ressorts de l’âme humaine, sans jamais forcer le trait , il n’édulcore aucun aspect négatif mais ne renie jamais ce qui a été le moteur de sa vie : il aime et a été aimé des femmes et cela a rendu le mariage compliqué pour lui, il aime la jouissance physique cela rendu aussi, la fidélité quasiment impossible. Il a bien réussi sa carrière de publicitaire mais nous n’en saurons pas grand chose si ce n’est que cela lui permet de vivre une retraite sans soucis financier. Une grande partie du roman décrit la difficulté de vivre avec les maladies qui accablent parfois les êtres vieillissants. Et lui a subi moultes opérations pour permettre à son cœur de fonctionner normalement. Alors, bien sûr, il ne peut que se poser « La Question », la seule qui devrait nous hanter tous : celle de la mort. Aucune réponse n’est donnée dans ce livre et pourtant le personnage principal se confronte à elle sans cesse, il passe même une journée dans le cimetière où sont enterrés ses parents pour bien comprendre le travail du fossoyeur, et, il est parvenu à m’intéresser à la technique du creusement d’une tombe ! J’ai aimé aussi l’évocation de sa vie de petit garçon qui faisait les courses pour son père horloger bijoutier, celui-ci lui faisait traverser New-York avec une enveloppe remplie de diamants. J’ai aimé aussi son rapport à Hollie son grand frère toujours en bonne santé. Il éprouvera même de la jalousie face à cette injustice, lui, encore et toujours, malade et Hollie dont la bonne santé est comme un contrepoint à ses propres souffrances. Son amour pour Nancy, sa fille de sa deuxième femme, est très tendre . Bref un homme tout en nuances comme sans doute les trois quart de l’humanité, banal en somme mais quel talent il faut à un écrivain pour intéresser à la banalité en faire ressortir tout l’aspect humain. Ce livre qui commence et se termine par les poignées de terre jetées sur son cercueil, comme elles l’avaient été auparavant sur celui de son père nous permet-il d’accepter un peu mieux la mort ? Aucune certitude évidemment.

 

(Je me souvenais d’avoir lu le billet de Géraldine que je vous conseille vivement.)

 

Citations

Les communautés de retraités aux USA

Il quitta Manhattan pour une communauté de retraités, Starfish Beach, à trois km de la station balnéaire où il avait passé des séjours d’été en famille, tous les ans, sur la côte du New Jersey. Les lotissement de Starfish Beach se composaient de jolis pavillons de plain-pied, coiffés de bardeaux, avec de vastes baies et des portes vitrées coulissantes donnant sur des terrasse en teck ; ils étaient réunis par huit pour former un demi-cercle autour d’un jardin paysager et d’un petit étang. Les prestations offertes aux cinq cents résidents de ces lotissement répartis sur cinquante hectares de terrain comprenaient des courts de tennis, un vaste parc avec un abri de jardin, une salle de sport un bureau de poste, une salle polyvalente avec des espaces de réunion, un studio de céramique, un atelier bois, une petite bibliothèque, une salle informatique avec trois terminaux et une imprimante commune, ainsi qu’un auditorium pour les conférences, des spectacles et les diaporamas des couples qui rentraient d’un voyage à l’étranger. Il y avait une piscine olympique découvert et chauffée en plein cœur du village, et une autre, plus petite couverte, il y avait un restaurant tout à fait convenable dans la modeste galerie marchande, au bout de la rue principale, ainsi qu’une librairie, un débit de boissons, une boutique de cadeaux, une banque, un bureau de courtage, un administrateur de biens, un cabinet d’avocat et une station-service.

Les choix de vie d’un homme qui a peur d’encombrer sa fille (Nancy)

Il rentra sur la côte, reprendre son existence solitaire. Nancy, les jumeaux et lui -ça ne tenait pas debout, de toute façon, et puis ça aurait été injuste, car il aurait trahi le serment qu’il s’était fait de maintenir une cloison étanche entre sa fille trop affectueuse et les tracas et faiblesses d’un homme vieillissant.

Je comprends ce choix

Quand il avait fui New York, il avait élu domicile sur la côte parce qu’il avait toujours adoré nager dans les rouleaux et braver les vagues, et puis parce que cette partie du littoral était associé pour lui a une enfance heureuse.

La vieillesse

La vieillesse est une bataille, tu verras, il faut lutter sur tous les fronts. C’est une bataille sans trêve, et tu te bats alors même que tu n’en n’as plus la force, que tu es bien trop faible pour livrer les combats d’hier. 

Une note d’humour

Son épouse de l’époque, sa troisième et dernière épouse (…) était une présence à haut risque. Pour tout soutien, le matin de l’opération, elle suivit le chariot en sanglotant et en se tordant les mains, et finit par lâcher  :  » Qu’est-ce que je vais devenir ? »
Elle était jeune, la vie ne l’avait pas éprouvée ; elle s’était peut-être mal exprimée, mais il comprit qu’elle se demandait ce qu’elle allait devenir s’il restait sur le billard. « Chaque chose en son temps, s’il te plaît. Laisse-moi d’abord mourir, si tu veux que je t’aide à supporter ton chagrin. »

 

 

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »

 

 

 

 

Édition ZOE traduit de l’anglais (Canada par Christian Raguet)

Après « Les Étoiles s’éteignent à l’Aube » et les incitations de Krol et d’Aifelle , j’ai retrouvé avec grand plaisir le talent de Richard Wagamese. On retrouve Franck, celui qui avait permis à son père de mourir en Indien et à nous lecteur de comprendre la beauté de la Colombie-Britannique. Cette fois encore le rapport de l’homme et de la nature est un des ressorts de ce roman que l’auteur n’a pas eu le temps de finir.

Nous retrouvons le thème de la rédemption par le retour sur soi-même qu’offrent la nature et les animaux sauvages. Emmy est une jeune femme violentée par la vie et des compagnons tous plus brutaux et alcooliques les uns que les autres. Elle a une petite fille Winnie, au milieu de tant d’horreurs quotidiennes, il ne lui reste qu’une seule volonté positive : que sa petite fille connaisse une vie meilleure que la sienne. Elle fuit donc les deux hommes qui la brutalisent et la violentent régulièrement pour sauver sa fille. Elle rencontrera Franck et son ami Roth qui travaillent avec lui à la ferme du « Vieil homme » celui qui a sauvé Franck et lui a donné le sens et le respect de la vie. Le roman suit deux traces , l’une terrible et uniquement faite de violence d’alcool et de vengeance : celle des deux hommes qui traquent Emmie pour assouvir leur vengeance, et celle de la reconstruction de Winnie et d’Emmie auprès de Franck dans les montagnes de la Colombie-Britannique.
L’auteur n’a pas eu le temps de terminer son roman, mais, il me semble que la fin est inscrite en filigrane dans ce que nous pouvons lire. Il s’agit de deux chasses, mais l’une est le fait de prédateurs qui ne sentent pas la nature dans toute sa complexité et l’autre celle d’une réconciliation avec le monde dans toutes ses facettes. Parce que ce roman n’est pas complètement fini, on sent aussi, parfois, des dialogues rapidement esquissés qui auraient demandé une relecture. Mais à côté de cela , il y a des moments splendides en particulier sur les rapports possibles entre les animaux et les hommes quand ceux-ci prennent le temps de les écouter. Un très beau livre d’un auteur qu’on aurait aimé lire encore longtemps.

 

Citations

Les loups

Ils étaient couchés sur un rocher pentu qui dépassait de l’extrémité de la saillie. Derrière eux, la lune étincelait comme un œil gigantesque. Le mâle alpha était le seul à être assis, face au disque lunaire scintillant, la tête légèrement relevé, semblable à un enfant empli d’émerveillement. Starlight reprit son souffle rapidement et se releva de toute sa hauteur. Le loup tourna la tête. Il s’observèrent : l’homme se sentit percé à jour, vu dans son intégrité, il n’avait pas de peur en lui, seulement du calme, le même que dans le regard résolu du meneur de la meute. Le loup se dressa. Il balaya du regard l’ensemble du tapis céleste moucheté d’étoiles et Starlight suivit ses yeux. L’univers, profond et éternel, était suspendu au-dessus d’eux, solennel et franc comme une prières.
 Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis il souleva son nez et lança un un hurlement glaçant face à la lune et aux étoiles éparpillées autour.

La violence faite aux enfants

Elle ne pouvait se remémorer une seule fois dans sa vie ou des hommes n’aient pas voulu la toucher, la tenir dans leurs bras, la caresser, et pendant un moment elle avait laissé faire parce que ça comblait le vide de solitude qu’elle portait en elle, orpheline placée dans une famille. Elle avait laissé faire jusqu’à ce qu’elle commence à en souffrir. Elle ne voulait pas penser à cette époque-là. Elle avait, une bonne fois pour toute, claquer la porte sur cette noirceur d’une nature particulière. Il y avait là des monstres, à l’affût, furtifs, en embuscade, attendant l’heure avant de se montrer et de s’emparer d’elle de sang-froid, avec leur sauvage mâchoire hargneuse. Elle avait senti leur présence toute sa vie. Il n’y avait jamais eu assez de lumière pour les chasser ou s’il y en avait eu, elle n’avait lui que brièvement avant de devenir l’ombre qu’elle avait connu et à laquelle elle s’était habituée depuis un temps bien trop long. Ce n’est que l’impitoyable cruauté de Cadotte qui avait précipité à la surface la vieille rage couvant en elle. Elle l’avait submergée. Elle avait déferlé sur elle comme une incontrôlable vague de peur, de négligence, d’abandon, d’aspiration, de néant, de faim, de besoin et de haine ; une haine d’un violet pur, insidieuse, furieuse, pour les hommes pour la vie, pour elle-même, pour avoir toléré ce qu’elle avait toléré qu’il lui arrive.

L’alcool

Son monde était circonscrit par la picole. Il buvait constamment. Mais elle aussi avait sa propre alliance avec l’alcool, qui semblait en accord avec celle de Cadotte. La picole permettait aux monstres et à l’obscurité de disparaître. Elle lui permettait presque d’arriver à éprouver un sentiment de joie, de liberté, et Emmy la laissait entrer dans son monde aussi souvent que s’en représentait l’opportunité. Avec Cadotte, elle se présentait tous les jours. Elle fut ivre six semaines d’affilées.

Un lieu à soi

Assister au lever et coucher du soleil est devenue la seule prière que j’aie jamais éprouvé le besoin de prononcer. Voilà mon histoire. Voilà mon chez moi. Cela vit en moi. 
Je vous vois toutes les deux, je vous vois chercher quelque part où vous installer. Très nerveuses et angoissées à l’idée de ne pas avoir de repère fixe. Effrayées, même. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas à le savoir. Mais le vieil homme m’a appris que si je peux aider quelqu’un je dois le faire. Cette terre m’a donné un endroit où poser mes pieds. Je crois que peut-être je pourrais en donner un aussi à Winnie. 
En vérité, une fois qu’il est en nous, une fois qu’on a fini par le connaître, on ne se sent plus jamais esseulé perdu ou triste. On a toujours un lieu pour porter tout cela, ou le laisser, ou lâcher prise. Et ce lieu est de nouveau en nous. Ce que je pense ? Je pense que Winnie doit avoir besoin de faire le vide. Vous aussi, si vous êtes prête.

 

Édition Intervalles ; Traduit du grec par Françoise Bienfait. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un très beau roman qui traite si bien de toutes les questions qui hantent les hommes et pas seulement ceux de notre époque. Gazmend Kapplani pose de façon lumineuse la question de l’identité grâce à un dialogue entre deux frères. L’un, Karl, a quitté l’Albanie, et est confronté à l’exil et son frère, Frédérick, qui est resté auprès de son père, un pur communiste qui a défendu « le grand dirigeant » Henver Hodja.. Les deux prénoms sont déjà porteurs de l’engagement du père  : Karl, le prénom de Marx et Frédérick, celui d’Engels . Comme il y a beaucoup d’humour dans ce récit, on verra que, si Karl en albanais est trop proche du mot signifiant « bite », en revanche en exil avoir un prénom qui ne soit pas musulman lui a été favorable pour l’obtention de papiers (vrais ou faux). On apprendra petit à petit pourquoi Karl est si viscéralement hostile à son père, à l’Albanie à son village et si loin de son jeune frère. Au fur et à mesure qu’il décrit son exil et ses difficultés, on entend la voix de Frédérick qui pense que rien ne vaut la peine de s’exiler, que l’on est toujours de son village, de son pays, de sa langue et de ses morts. Il faut dire que Gazmend Kapllani sait bien de quoi il parle, lui qui a vécu vingt-quatre ans en Grèce sans jamais avoir obtenu la nationalité. Karl, comme l’auteur, vit et enseigne en ce moment aux USA car il a fui la violence raciste des néo-nazis grecs qui le menacent de mort . Il a révélé dans ce roman (et dans la vie réelle), les meurtres horribles contre les minorités albanaises » les Tchames. Toutes ces questions autour de l’identité de l’exilé nous interpellent aujourd’hui, mais si ce livre est un coup de cœur, c’est aussi que la trame romanesque est bien menée, on suit avec étonnement Karl qui n’arrive pas à être triste de la mort de son père, et qui semble distant avec son frère que l’auteur rend attachant. Et puis, au fil des chapitres, le passé revient et avec lui les attitudes des uns et des autres aux pires moments de la dictature communiste. Alors certes, l’exil est compliqué, et la cruauté des hommes ne connaît pas de frontières, mais quand on est exilé dans sa propre famille, je crois que rien ne peut retenir celui qui, comme cet écrivain, est capable d’apprendre, de parler et d’écrire une petite dizaine de langues.

PS. Je ne suis pas complètement certaine d’avoir compris le titre. Mais est-ce le même en grec ?

Citations

Les mœurs de village

 Il était allé déposer un bouquet de fleurs et une bougie sur la tombe de sa mère. Elle était morte un an avant le départ de Karl. La version officielle avancée par la famille était qu’elle avait succombé à une attaque. Mais tout le monde savait qu’elle s’était suicidée. Un geste aussi grave ne pouvait rester secret dans une ville où les commérages allaient si bon train qu’ils n’épargnaient pas même les trous de culotte des voisins .

Les rituels

La participation au mariage avait lieu sur invitation, alors que pour les décès, les maisons restaient ouvertes à tous, riches et pauvres, puissants et mendiants. Dans cette petite ville où les gens naissaient inégaux, vivaient et mouraient inégaux, la mort était en quelque sorte une patrie qui les accueillait tous sans discrimination.

La langue de l’exil

Karl fut surpris que son père ne disent rien quand il lui annonça qu’il émigrait de nouveau. Ce n’est qu’en quittant la table à la fin du repas qu’il brisa Le silence en lui demandant tout à coup : « Tu n’en as pas assez de passer ta vie à parler la langue des autres ? »
Karl se sentit comme quelqu’un à qui l’on enlève les vêtements par un tour de passe-passe et qu’on laisse complètement nu.

L’exil

Ma patrie est celle où sont enterrés mes morts. Chaque fois qu’on s’éloigne d’eux, on perd un peu plus de son énergie, de sa vie, de son identité.

Déboulonner la statue

Lorsque la statue du dictateur bougea un peu, tout ceux qui étaient autour se mirent à la couvrir d’insultes avec leur voix enrouée. : « Abattez ce fils de putain ! », « Niquez sa mère ! » (Parce que même lorsqu’il s’agit des dictateurs, ce sont toujours les mères qui prennent, on n’a jamais entendu quelqu’un injurier le père d’un dictateur.)

La tragédie de Smyrne

La famille de Clio avait disparu dans l’enfer des flammes qui avait recouvert la ville de Smyrne. Seules sa mère et elle, qui était âgée de neuf ans à l’époque, s’en étaient sorties vivantes. Elles arrivèrent au port du Pirée après avoir traversé la mer Égée sur une barque de pêche pourrie, surchargée de réfugiés qui avaient tout perdu. Ils laissaient derrière eux les tombes de leurs ancêtres et les corps de leurs parents carbonisés dans l’incendie, piétinés à mort par la foule qu’on pourchassait, ou tout simplement disparus. Ils espéraient revenir dans quelques jours, voire dans quelques semaines, pour les rechercher ou au moins enterrer leurs morts. Ils n’étaient jamais revenus. Devant eux se présentait une terre inconnue, rempli remplie d’autochtones qui ne cachaient pas leur méfiance et leur hostilité.

La carte de séjour

Il obtint sa première carte de séjour grâce à un cousin de Clio qui travaillait au commissariat central de police d’Athènes. Une carte minuscule, toute fine, du même bleu que le drapeau grec qui flottait au-dessus de la douane quand Karl attendait sur la-terre-de-nulle-part. « Heureusement que tu as un prénom chrétien », lui dit le cousin de Clio. Le faussaire albanais lui avait dit exactement la même chose . Si on ne portait pas de prénom grec, on devait en changer pour obtenir la carte de séjour et en choisir un plus « convenable », qui n’attirerai pas l’hostilité des autorités ni les soupçons des autochtones. Des milliers d’Albanais changeaient aussi rapidement de prénom qu’on se débarrasse d’un vêtement sale après le travail, espérant ainsi obtenir ce talisman que représentait pour eux la carte de séjour.

Le mal de l’état nation

D’après Christos, le nationalisme qui avait atteint ses contrés était une asthénie psychique bien particulière, inoculée par l’Occident qui était réputé pour sa froideur et son avarice, cette maladie incurable de l’Europe avait surtout frappé les petites nations, celles qui, d’après lui étaient nées au forceps du ventre de l’Histoire et se retrouvent est totalement dépourvues de défenses immunitaires. « Nous, dans les Balkans, nous sommes les enfants orphelins de trois empires, l’Empire romain, l’Empire byzantin et l’Empire ottoman », disait-il, planté devant la carte des Balkans qui incluait Constantinople et recouvrait presque tout le mur de son long couloir. Il avait également épinglé au-dessus une large bande de papier sur laquelle il avait écrit en gros caractères : « Chercher des gens ethniquement pures dans les Balkans revient à chercher des femmes vierges dans un bordel. »

Les tabous nationaux

Chaque pays a ses « tabous nationaux ». On les appelle ainsi parce qu’ils sont profondément enfouis dans l’oubli collectif, grâce à une convention tacite établie par la majorité des membres d’une communauté, de sorte que personne ne cherche à savoir la vérité. On peut aussi qualifier « d’ignorance institutionnalisée » ou de « statu quo » ce genre de convention. Pour prendre une comparaison un petit peu triviale, on pourrait dire que cette ignorance institutionnalisé est du même ordre que l’ignorance des usagers sur le fonctionnement des égouts, tout le monde sait qu’ils existent mais personne n’en parle, sauf quand une grande panne se produit et que leur contenu écœurant se déverse dans les rues.

 

Edition Alma Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un livre sur un sujet à propos duquel j’ai beaucoup lu. Mais je pense qu’on ne lit jamais assez pour comprendre tous les aspects de la Shoah. J’ai été très intéressée par le point de vue de cette écrivaine tchèque qui vit en France et écrit en français.
Le roman commence par deux scènes fortes : à Prague, en 1953 Vladimir Vochoc fait face à un tribunal populaire, puis à l’époque contemporaine, toujours à Prague, lors d’une inondation une femme âgée ne veut pas quitter son appartement et impose d’autre part à sa fille que son enfant apprenne le français. Ces deux volontés apparaissent comme des ordres auxquels il est impossible de ne pas de soumettre. Puis nous repartons dans le passé à Strasbourg en 1938, deux femmes juives réfugiées accouchent, l’une perd son bébé, l’autre meurt en couches d’une petite fille bien vivante. La femme qui a perdu son bébé, s’empare de cette petite fille qui deviendra Josépha. Le père de cette enfant confie une poupée qui avait été préparée par son épouse pour l’enfant à naître.

L’originalité du récit vient de cette poupée de chiffon aux yeux de nacre qui suit toute l’histoire de Josépha à travers les fuites successives de la famille qui échappe de si peu à la mort. Mais le récit prend aussi une tournure plus historique grâce à un personnage qui a existé le consul à Marseille de la Tchécoslovaquie Valdimir Vochoc.

 

Celui-ci grâce à l’aide du journaliste américain Varian Fry a sauvé plusieurs milliers de juifs et de réfugiés allemands opposants au nazisme.

J’ai lu et découvert les fondements de la république tchécoslovaque qui voulait faire la place à toutes les minorités et toutes les langues qui se croisaient sur ce nouveau territoire. Si les démocraties avaient défendu cet état, le yiddish n’aurait donc pas disparu de l’Europe. Que d’occasions ratées ! Est ce que cela aurait permis à ne pas avoir à rechercher pourquoi il a fallu sacrifier environ 6 millions de juifs pour qu’enfin chacun se pose les bonnes questions face à l’antisémitisme. Le parcours de la poupée de Josépha raconte à la fois combien le filet qui se resserre un peu plus à chaque fuite est totalement angoissant pour ces pauvres juifs chassés de toute part, et combien seulement un tout petit nombre d’entre eux n’ont dû leur survie qu’à la chance et aux quelques « justes » croisés sur leur chemin. On connait cette fuite et ces angoisses, c’est bien raconté et tout est plausible mais pour moi le plus novateur dans ce récit est la rencontre avec cet ambassadeur Tchécoslovaque et son amour pour son pays.

 

Citations

Les juifs chassés de partout

Pour lui, il n’y avait pas d’endroit où aller. « Aller », c’était tout ce qui comptait. Ces différents lieux provisoires, tous ces « ici », n’étaient que des haltes de passage, plus ou moins longues, le temps de quelques générations, parfois de quelques années, le temps d’apprendre les lois du pays qui régissaient leur vie, le temps apprendre la langue, parfois le temps d’absorber et de restituer dans sa propre langue les mots et expressions d' »ici », le temps de se bercer de l’illusion d’une durée possible. Puis il fallait déjà repartir, parfois sans avoir le temps de refaire ses valises. « Avec les siècles, se disait Gustav, on a appris à flairer le roussi. Bien avant les autres. »

Conséquences de ces exils successifs

On devait être souple. Une souplesse inscrite jusque dans l’expression populaire : « prenez votre crincrin et tirez-vous. » Voilà pourquoi tous les Juifs de l’Est qui se respectent jouent du violon. C’est facile à transporter. On n’a jamais vu quelqu’un avec son piano sur le dos.

 

 

Édition Viviane Hamy. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman a obtenu un coup de cœur à notre club et je lui mettrai bien dix coquillages si je le pouvais … Je l’ai refermé et je suis restée sans voix un peu comme lorsque le silence s’installe après un morceau de musique parfaitement interprété. Un peu comme à la fin du concerto pour violon de Chostakovitch dont les différents mouvements sont autant de chapitres du roman. .

Chostakovitch aura été le jouet de Staline pendant près de dix-sept ans. Dix-sept années au cours desquelles le gros chat tout-puissant a joué avec la souris, l’étouffant entre ses griffes jusqu’à lui faire entrevoir la couleur de la mort, puis la laissant filer, le temps pour elle de se terrer dans sa terreur, reprendre sa respiration, puis bondissant à nouveau sur sa poids, sous sa moustache un indéfinissable rictus. Et ainsi de suite, une alternance de deux coups et de faveurs, dix-sept années durant.

Cet air inquiet du grand compositeur est à l’image de l’angoisse qui hante la famille du grand chef d’orchestre Claessens qui a dirigé l’OSR (L’Orchestre de la Suisse Romane) . Le roman se situe pendant les funérailles du chef pendant lesquelles sa fille pianiste virtuose va jouer une adaptation pour piano de ce concerto de Chostakovitch. Chaque mouvement lui permet d’évoquer une des souffrances de sa famille, sous le regard implacable d’un père peu soucieux de l’épanouissement des siens. Sa femme qu’il a épousée trop jeune, était jeune cantatrice israélienne que son mari abandonnera peu à peu à la folie et à son silence se tournant vers des jeunes filles toujours plus jeunes et toujours cantatrices. Son fils, qu’il poussera pour qu’il devienne un prodige. Jusqu’à le pousser lui aussi vers le silence. Et enfin, elle, sa fille virtuose qui se demande sans cesse si elle doit sa renommée à son nom où à sa superbe chevelure rousse. Mais au-delà du drame familial ce livre permet de comprendre la vie des musiciens virtuoses et leur tragique destin, c’est si dur d’être toujours au mieux de sa forme sous les regards de milliers de spectateurs. Mais il y a la musique, celle qui parfois les entraîne au delà de tout dans un plaisir absolu et qui laisse le public sans voix. C’est le deuxième roman que je lis qui parle de ce concerto, j’avais beaucoup aimé aussi le roman d’Olivier Bass : »la musique des Kerguelen « et cela avait aussi permis à l’auteur de faire ressentir la souffrance du compositeur face à l’ogre stalinien. Un superbe roman, écrit dans un style que j’ai adoré , j’aimerais vraiment partager ce plaisir de lecture avec vous.

 

Citations

Cabotinage d’un chef d’orchestre.

Claessens tournait le dos à la masse et affrontait l’orchestre. Sous ses yeux, le pupitre où reposait la partition, ouverte à la dernière page. C’est ainsi qu’il demandait au régisseur de la lui disposer. Il patientait,.mains jointes sur le pubis, jusqu’à ce que les applaudissements cessent, en profitait pour fixer chaque musicien droit dans les yeux. Puis, une fois le silence installé, il refermait sa partition en prenant soin de bien la faire claquer. Et, dans un geste éminemment ostentatoire, il la poussait sur le bord du pupitre afin que chacun voie, dans l’orchestre comme dans la salle, qu’il dirigeait de mémoire.

 À moi qui lui demandait un jour (je n’avais pas 10 ans alors) pourquoi il imposait au technicien de lui ouvrir l’inutile partition non pas à la première page, mais bien à la dernière, il avait répondu : « Pour qu’elle claque mieux à l’oreille du public. Le poids des pages, tu comprends, rouquine, le poids des notes. C’est à ce moment-là que le concert commence. »

La carrière d’un musicien classique

Dans le monde de la musique classique, il y a ce qu’on appelle « les connaisseurs ». Si l’on veut faire carrière, il est indispensable de les caresser dans le sens du poil. Ce sont eux qui décident du sort des solistes en déterminant ce qui relève du bon et du mauvais goût. Cet establishment composé d’une poignée de journalistes, d’agents, de dirigeants de maison de disques, de musiciens et de professeurs, auxquels viennent s’ajouter quelques riches mélomanes, se choisit ses champions, les portent aux nues, leur fournit soutien inconditionnel et parfois financier à chaque étape de leur progression. En échange, il faut filer doux, flatter, remercier, faire des courbettes, surtout ne pas sortir des clous. 
Qu’un artiste décide de suivre une ligne différentes, orienter sa recherche dans une autre direction sans en demander la permission à ses gardiens du temple, et c’est la profession entière qui, comme un seul homme, lui tourne le dos. La pire des punitions n’est jamais la critique, même acerbe, mais l’oublie. Lorsque le téléphone cesse de sonner. Lorsque le musicien passe de mode. Son carnet de bal se vide pour ainsi dire du jour au lendemain. D’autre, plus jeunes, plus photogéniques , jugés plus talentueux ou plus singuliers, se bousculent pour signer les contrats sa place. La traversée du désert commence.

Le nocturne de Chostakovitch

Le violon, vaincu, épuisée, et laissé seul à macérer . D’abord il bouge à peine. Il ne peut plus que reprendre timidement le thème intimé par les bases. Cette fois c’est bien fini pour lui, c’est du moins ce qu’il laisse à penser. Or la vie revient progressivement, sans que l’on sache quel fol espoir la lui a insufflée. Le violon solo finit par se relever, dégoulinant, hagard, et fixe l’orchestre faisant office de bourreau bien en face. Et pendant les cinq interminables minutes que dure « la cadence », il va se ruer à l’assaut, percutant la glace froide et transparente du silence, la couvrant de son sans choc après choc, tentative après tentative jusqu’à sombrer dans la folie de celui qui n’a pas d’autres porte de sortie.

Le violon

Le violoniste et son violon sont censés ne faire qu’un, et le prestige de l’un déteint assurément sur l’autre. À tel point que l’on se demande parfois si ce n’est pas l’instrument qui fait le champion.

Où mène le cabotinage !

Lorsqu’il est réapparu, aussi subitement qu’il s’était éclipsé, j’ai compris que quelque chose avait lâché à l’intérieur. Son visage avait changé. Plus lisse. Moins expressif. Sur chaque tempe, une discrète cicatrice. Il n’avait pas eu à pousser plus loin que Montreux, ou pullulent les cliniques esthétiques, pour se donner l’illusion d’une nouvelle jeunesse. C’était sa première véritable incursions dans le registre pathétique. Ce ne devait pas être la dernière.

La peur ou le trac

Ma peur, je l’appelle le chien noir. 
C’est au matin du concert qu’il se manifeste toujours. Dès le réveil. J’ouvre les yeux, je l’aperçois au pied du lit, assis, à me fixer, attentif, curieux, les oreilles dressées.
 Ma peur est un bâtard, entre le chien-loup et Le corniaud de caniveau. Son pelage charbon a des reflets bleuté. Sur son poitrail, une tâche blanche, la taille d’une pièce de cinq francs. Parfois je suis tentée de la toucher. Parfois j’aimerais prendre un couteau de boucher et le lui enfoncer, juste là, hauteur du cœur. Mais je n’ai jamais osé. Je me dis que, sans lui, ce serait encore pire, car alors je ne pourrai plus regarder ma peur en face.

Édition JC Lattès. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai découvert avec ce roman cet écrivain franco-djiboutien d’expression française qui vit entre la France et les États-Unis où il est professeur à l’université de Washington. Il est l’auteur de récit qu’il dit lui-même largement inspiré de son enfance. Dans une conversation avec sa fille, Béa, celle-ci lui demande : « Pourquoi tu danses quand tu marches ? » . Cette question de sa petite fille de quatre ans fait remonter en lui une enfance à Djibouti alors colonie française. Elle s’appelait alors TFAI (Territoire français des Afars et des Issas). L’auteur retrouve son âme d’enfant pour raconter à sa fille ses peurs et sa vision du monde enrichie de celle de sa grand-mère qu’il appelle Cochise car elle semble habiter par toute la mémoire de son peuple et d’une sagesse qui l’aidera à surmonter différentes épreuves de son enfance

Petit garçon, il est chétif et souvent souffre douleur de garnements plus prêts que lui à se défendre dans un monde où tout n’est que misère et dureté. En réalité sa chance est d’avoir été chétif et peu capable de se défendre dans ce monde impitoyable. Il va s’emparer des mots et de la lecture et faire des études littéraires qui le conduiront à sa véritable destinée : celle d’être un écrivain francophone au charme, à la poésie et à l’humour inoubliables. Comment ne pas être ému et en même temps sourire aux remerciements que l’on trouve à la fin de son roman qui raconte si bien combien la poliomyélite a bouleversé son enfance .

 J’adresse mes affectueuses remerciements aux femmes qui ont su me choyer pendant les jours sombres ou lumineux de l’enfance.
Et j’adresse mes vifs remerciements aux rampes et d’escalier d’immeuble, du métro et d’ailleurs. 
Sans oublier les escalators.
 Et les ascenseurs.
Il évoque aussi la colonisation, qui semble loin de l’enfant. Il en a accepté les valeurs au point de croire qu’être français de France était bien supérieur à être français du TFAI ! Mais cela ne l’empêche pas de poser des questions et d’entendre une autre façon de présenter la soi-disant postériorité des colonisateurs. Leurs bienfaits, comme le creusement du canal de Suez a bénéficié uniquement aux Anglais et Français pas du tout aux habitants de la région. Cet aspect de ses souvenirs sont comme une toile de fond au récit, qui met en valeur le récit de cet homme qui explique à sa petite fille combien sa vie était compliquée. Ses seules joies, il les doit à une grand-mère extraordinaire et à la lecture. Rien ne l’empêchait d’aller vers la lecture. Il affrontait même le terrible Johnny et sa bande pour quémander aux filles « Paris Match » ou même « Nous Deux » pour satisfaire ce besoin d’évasion. Sa jalousie par rapport à son petit frère qui se porte bien et qui fait de si beaux cacas est très drôle. Je suis certaine que sa petite fille complètement occidentalisée a beaucoup aimé apprendre à connaître son père de cette façon. Et je pense aussi que l’on peut faire lire ce roman à tous les jeunes français qui ont, sans doute, une vie si facile qu’ils n’ont aucune idée de la chance qu’ils ont de pouvoir réussir grâce à l’école. L’auteur ne cherche absolument à faire la morale ni à se donner en exemple mais il raconte si bien que l’on comprend parfaitement ce qu’il a vécu et on part avec lui dans les environs de Djiboutis dans les années soixante-dix.

Citations

Un style que j’aime :

Après un soupir un peu là, d’un œil inquisiteur Maman ausculta mon visage. Elle avait senti que quelque chose ne tournait pas rond mais elle n’en était pas absolument certaine. Je ne fis rien pour l’aider. Persistant dans le mensonge, je me mis à siffloter un petit air de mon invention. Sans le savoir, j’imitais les grandes personnes qui se donnent un air important en traversant la nuit les ruelles de notre quartier du Château-D’eau. Je souriais à maman. Pour une fois. Pour la tromper. Pour garder ma douleur aussi. Ma douleur est une île déserte, pensais-je au plus profond de moi, elle m’appartient. Elle ne saurait se partager. Je ne m’explique pas aujourd’hui Pourquoi j’ai persisté à mentir à maman. Ces mots m’auraient recousu le cœur lorsque Johnny m’avait fait injustement souffrir, encore fallait-il que je lui confie ma peine.

Un long passage qui peut faire comprendre tout le charme de ce roman-souvenirs

Pas de doute, Ladane était innocente. Elle venait de la brousse, ses parents ne pouvaient plus la garder auprès d’eux parce qu’ils étaient pauvres ou morts. Je ne comprenais pas comment des adultes pouvaient faire des dizaines d’enfants et après les laisser partir où les déposer ici ou là comme s’ils étaient une valise encombrante. J’étais enragé par des adultes et j’imaginais que plus jeunes, les parents de Ladane était de l’espèce terroriste de Johnny et sa bande qui ne semaient que la violence sur leur chemin. Dès que j’évoquais ses parents, la bonne Ladane me regardait avec des yeux de chiot apeuré . Pourtant elle n’était plus une gamine. C’était une jeune femme désirable qui allait sur ses dix-sept ans. Enfin c’est ce qu’elle disait à tout le monde car elle venait de la brousse et là-bas, dans les djebels, personne ne connaissait sa vraie date de naissance. Personne n’avait poussé de chanson le jour de sa naissance. Personne n’avait préparé un gâteau comme Madame Annick pour ses enfants. Personne n’avait prévenu l’imam ou l’officier de l’état-civil. Mais où est-ce que j’avais la tête Béa, il n’y avait pas de mosquée dans le djebel. Les ouailles devaient se débrouiller toutes seules dans les gourbis, c’est-à-dire dans des trous dans la montagne qui n’avait ni électricité ni vaisselle. Elles ne profitaient pas de la science religieuse pour les aider à grandir. Je savais par grand-mère Cochise que ces gens-là avaient tous les yeux un peu rapprochés, les sourcil en accent circonflexe. Ils avaient l’air idiot car toutes les nuits, les enfants cherchaient la lumière dans leur gourbi plus sombre que le cul de Satan. Même que certains n’essuyaient pas la bave qui leur pendait aux lèvres, on les appelait les crétins du djebel. Ils finissaient bouchers ou assassins. Heureusement que Ladane avait échappé à la sécheresse et à la famine du djebel. Même si chez nous, elle devait travailler du chant du coq au coucher du soleil. Même si elle courait dans le coin de la cour qui servait de cuisine pour faire tinter les casseroles et remettre à maman le plat de haricots blancs ou la soupe de pois chiches que mon paternel adorait. Dès qu’elle entendait le boucan d’enfer de la Solex de mon père, Ladane bondissait comme un fauve. Elle restait en faction jusqu’à la fin du dîner. Ensuite, elle devait laver les ustensiles et ranger la cuisine. Si papa la Tige laissait quelque chose au fond de son assiette, il fallait le remettre à la matrone. Grand-mère rappelait à Ladane qu’il ne fallait pas se gaver de nourriture dans la nuit car ce n’était pas très bon pour la digestion sauf pour les enfants comme Ossobleht qui devaient se goinfrer à toute heure et laisser comme preuves des cacas bien souples et bien malodorants. Grand-mère adorait les humer avec joie et émotion. Elle préférait les cacas verts et jaunes d’Ossobleh qui allait vers ses cinq ans à mes crottes de bique. Ce n’était pas de ma faute si je n’aimais pas manger, si ma jambe me faisait toujours mal, si la visite au médecin n’avait rien donné ou six cette guibole me remplissait de honte. Ce n’était pas de ma faute si Ladane avait atterri chez nous et si j’aimais les yeux châtaigne de cette fille du djebel qui était beaucoup plus âgée que moi. Dans un an ou deux, grand-mère lui trouverait un mari, un boucher du djebel peut-être. Et moi je devais trouver un mur contre lequel j’irai me cacher, sangloter et pousser mais lamentations à l’abri de la matrone.

Dialogue avec sa tante

 À mi-chemin de notre trajet, un ballet de gros camions bâchés, remplis de légionnaires français, est arrivé dans le sens inverse. J’avais le sentiment qu’il nous dévisageaient. Mon cœur battait la chamade mais ma tante ne donnait pas l’impression de ralentir sa course, ni de se soucier du trafic. Essoufflé, je me suis arrêté. Ma tante a fait de même, pas contente du tout.
– Avance, nous n’allons pas rester au milieu du trottoir.
J’ai eu la bonne idée de lui poser une question juste pour reprendre mon souffle. C’était toujours comme ça, je devais compter sur mon cerveau quand mes jambes me faisaient défaut.
-Pourquoi sont-ils chez nous ?
-Comment ça ?
-Mais pourquoi sont-ils arrivés chez nous ? – Parce qu’ils sont nos colonisateurs.
– Nos co…. ?
– Parce qu’ils sont plus fort que nous.

 

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Merci, merci à Patrice et au mois de livres de langue allemande en novembre 2019. C’est un vrai cadeau ce livre et je vous le conseille à toutes et tous. Mais vous l’avez peut-être déjà lu, puisque Maxim Leo a reçu le prix du livre Européen en décembre 2011 pour cet essai. Prix tellement mérité, car rien ne peut plus contribuer à la construction européenne que ce genre d’essai qui décrit si minutieusement les malheurs d’une Europe en guerre puis divisée par un mur infranchissable pour les habitants de la RDA. Maxim va nous faire comprendre tous ces aspects de l’Europe grâce à sa famille qui est à la fois originale et tellement ordinaire. En tout cas pour sa famille paternelle, si son père n’est jamais totalement entré dans les cases des critères de la RDA, son grand-père a été un nazi ordinaire puis un habitant de la RDA tout aussi ordinaire. Mais cette phrase traduit trop pauvrement la compréhension que nous aurons de Werner ce grand père qui s’est si peu intéressé à son fils. En revanche, la famille de sa mère est beaucoup plus originale . Son grand père Gerhard Leo a été obligé de fuir avec son propre père l’Allemagne nazi parce qu’il était d’origine juive. En France, Gerhard rentrera dans la résistance et devient un véritable héros, il a raconté ses exploits dans un livre que je lirai peut-être. S’il est resté en RDA , c’est parce qu’il a trop vu en RFA d’anciens nazis ne pas être du tout inquiétés et même devenir des cadres de la nation. Ensuite, nous voyons la vie des parents de Maxim qui essaient de tout faire pour se plaire en RDA, sans pour autant adhérer complètement au système. Et enfin avec lui, Maxim ce petit garçon qui ne croit pas du tout aux valeurs communistes et qui ressemble tellement à tous les enfants du monde. Son parcours permet de toucher du doigt la vie de l’Allemagne de l’Est. C’est à la fois tragique et ridicule. Tragique, car il a failli ne pas pouvoir poursuivre ses études et qu’il craint toujours d’être repéré par la Stasi. Ridicule, quand on voit les efforts de la directrice pour convaincre les enfants qu’ils ont de la chance d’être des enfants choyés de la RDA alors qu’ils n’ont presque rien pour jouer ou pour se distraire. Et lorsque le dernier chapitre arrive avec les manifestations de Leipzig qui annonceront la fin de ce régime absurde on sent que cela s’est joué à très peu de choses. Mais les Allemands sont maintenant réunis dans un même pays, on se demande alors si Maxim Leo écrira la suite pour nous expliquer pourquoi le parti néo-Nazi se réclamant ouvertement des théories d’Hitler fait un si bon score dans son ancien pays. À ce propos vous pouvez écouter sur le podcast du Nouvel Esprit Public une émission qui compléterait bien cette lecture.

 

 

Citations

Le travail de journaliste en 1966 en RDA

On énumère aussi les mots devenus indésirables parce que l’ennemi s’en est emparés, le nom des produits que l’on n’a plus le droit de mentionner parce qu’ils sont en pénurie. Il y a des mois où personne ne peut écrire « machine à laver » ou « Pneu de voiture ». La »Social-démocratie » est proscrite pendant deux ans, le « Parlement » et le. »Front populaire angolais » pendant six semaines seulement.

Le journalisme en RDA

Anne note que la plupart des chefs de service ne sont pas de vrais journalistes, mais des soldats du parti en service commandé. Les bon journaliste n’en sont pas membres, ce qu’elle trouve étrange, puisque le parti est tout de même censé être l’élite. Comme il n’y a guère de place pour leur texte à eux, la plupart sont presque totalement désœuvrés. À midi, on commence à boire dans les bureaux. Ce sont les chefs de service qui boivent le plus. Les collègues tentent de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues. Il y a des intrigues, des dénonciations, des campagnes. Accessoirement, on fait un journal.

Jeux des enfants dans le Berlin d’après guerre

Parfois ils sortent de la ville et se rendent à Marzahn, où l’on déverse dans une fosse des munitions trouvées. Ils font du feu, ils jettent des cartouchière de fusils-mitrailleurs et se mettent à couvert. Le bruit des balles qui partent en sifflant dans tous les sens est si épouvantable que certains en font dans leur pantalon. Les grands cassent les détonateurs des obus de DCA et versent la poudre noire dans des sacs. Ils entrent dans des ruines dont les cheminées tiennent encore debout. Ils placent l’explosif en bas, dans le bac du poêle ; des lacets plongés dans du désherbant leur servent de mèches. Et lorsque, derrière, la charge éclate , lorsque l’immense cheminée s’effondre comme un géant touché à mort, ils crient et dansent de joie. Les adultes ne demandent jamais où ils étaient passés. Ils mènent leur propre vie.

Fait peu connu, pourtant cela se passe en France

Werner, sous-officier de la Wehrmacht, a échappé à la mort sur le front et a été enfermé dans un camp où il a vu ses camarades mourir par centaines.

Un nazi ordinaire

 Il semble que, comme beaucoup d’autres, Werner, à l’époque, était persuadé qu’une vie meilleure se préparait. Il voyait que les choses avançaient, que sa vie devenait plus belle, que tout d’un coup même les enfants d’ouvriers avait une chance. Dans sa famille, personne avant lui n’était jamais allé au sport d’hiver. Il était aussi le premier à avoir vu la mer. Même s’ils avaient eu l’argent pour le faire, ses parents n’auraient jamais eu l’idée de louer un fauteuil cabine au bord du Wannsee ou d’acheter une bouteille de vin au thé dansant. Werner se sent l’âme d’un gagnant, d’un homme qui a tiré le gros lot. « Tout d’un coup tout semble possible. » Écrit-il, et c’était sans doute très précisément le sentiment qu’avaient beaucoup de personnes à cette époque. Hitler a relevé les petits, rapetissé les grands.

Portrait d’un homme qui sait s’adapter à tous les systèmes

Werner était peut-être l’un de ces hommes qui fonctionnent correctement dans pratiquement tous les systèmes et pratiquement tous les rôles. Il aurait tiré le meilleur de n’importe quelle situation. Son bonheur de vivre n’aurait pas été menacé si Hitler avait gagné la guerre ou si lui-même s’était par hasard finalement retrouvé à l’Ouest il aurait certainement été un bon peintre de décor s’il n’était pas devenu un bon directeur d’établissement scolaire. Tout comme, auparavant, il avait été un bon mouleur, un bon soldat, un bon prisonnier. Et désormais un bon citoyen de la RDA.

Pourquoi son grand père résistant à préféré la RDA

Dans cette interview, pour la première fois, Gerhard parle de la culpabilité, il explique pourquoi des gens comme lui était à ce point enchaînés à ce pays. Il évoque l’espoir qui était le sien après la guerre : celui de construire une nouvelle société dans laquelle les nazis n’auraient plus jamais la moindre chance. Il a vu, explique-t-il, des criminels de guerre siéger au gouvernement et des génocidaire percevoir des pensions considérables, tout cela à l’Ouest. Ce genre de chose, affirme-t-il, n’existait pas en RDA. Et cela comptait plus que tout le reste.

Une anecdote amusante, Maxim a 11 ou 12 ans en RDA

Un jour du mois de novembre 1982, la directrice de notre école, Mme Reichenbach, arriva en trombe dans le vestiaire. Nous sortions tout juste du cours d’éducation physique. Madame Reichenbach nous annonça, les larmes aux yeux  » « Il s’est passé quelque chose de très grave. Leonid Brejnev, le secrétaire général soviétique, est mort ». Le silence régna un moment, ensuite, nous ne pûmes nous empêcher de rire, parce que Kai Petzold, tout nu derrière madame Reichenbach , cherchait désespérément son slip. Madame Reichenbach ne comprenait pas ce qui se passait, elle n’entendit que nos rires étouffés et quitta la salle furieuse. Nous avions en principe, l’heure suivante, un cours de mathématiques, mais la directrice entra dans notre classe et nous annonça qu’après cet incident, chacun d’entre nous devait écrire une rédaction sur Leonid Brejnev. Il s’avéra que certains d’entre nous ignorait totalement de qui il s’agissait. Madame Reichenbach se remit à pleurer et annonça en criant que cette histoire aurait des conséquences. Mais il ne se passera rien du tout, si ce n’est que quelques mois plus tard un nouveau secrétaire général du PCUS (Iouri Vladimirovitc Andropov) mourut et que personne ne nous en parla à l’école.

Comment une bonne idée peut ne servir à rien.

À partir de la sixième, nous avions une fois par semaine un cours de travail productif. Nous nous rendions dans une usine de métallurgie qui produisait des pièces pour les chauffages au gaz. Ils ne savaient vraisemblablement pas quoi faire de nous, raison pour laquelle nous passions des heures à trier des vis que l’on remettait en vrac après notre départ pour occuper la classe suivante.

Régis Debray et Gilles,Perrault et François Mitterand en 1987

Régis Debray nous parle aussi de Tamara Bunke, une femme originaire de la RDA qui se trouvait à l’époque à côté du Che. « Une femme hors du commun, une combattante », dit-il. mon français assez médiocre ne me permet pas de tout comprendre ; mais ce que je saisis, c’est que tout le monde, dans cette maison, trouve que la RDA est fantastique. Gilles Perrault dit que je devrais être fier de vivre dans un pays révolutionnaire comme celui-là, parce que seule la révolution libère vraiment les gens. Je n’ose pas le contredire, entre autres parce que je vois à quel point ces phrases rendent Gerhard heureux.
 Mais je ne discerne pas la logique de tout cela. Comment peut-on loger dans une villa pareille et chanter les louanges de la RDA ? Ou bien faut-il justement habiter dans ce type de demeure pour pouvoir le faire ? J’ignore quelle image ces gens ont de la RDA, et même s’il y ont déjà été. Régis Debray nous confie un secret. Il exerce des fonctions de conseiller politique auprès du président de la République française, François Mitterrand, et dit que celui-ci a lui aussi beaucoup d’estime pour la RDA.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

La quatrième de couverture vous le dira, ce roman raconte la rencontre de Lucie Paugham, marionnettiste célèbre pour adultes qui a souffert dans son enfance du suicide de son père, qui avant de se pendre, avait lancé à la cantonade devant sa famille rassemblée devant le film, « Les tribulation d’un chinois en Chine » :

« Qu’est ce qui pourrait bien m’empêcher de me suicider ce soir ? »

Or trente ans plus tard son voisin au cinéma lui dit :

« Donnez-moi une bonne raison, un seule de ne pas me suicider cette nuit ».

Le roman est lancé, Lucie va faire entrer cet Alexandre Lannier dans sa vie et risquer de tout perdre. Mais au passage nous aurons découvert le drame de la famille Paugham, les aigreurs de la mère de Lucie, le déséquilibre affectueux de sa sœur, la difficulté du couple de Lucie et Philippe, leurs relations à leurs enfants et surtout, surtout l’incroyable métier de marionnettiste qui m’a vraiment donner envie d’aller voir des spectacles de marionnettes pour adultes ce que je n’ai encore jamais fait. Lorsque les déplacements et les spectacles recommenceront, je me fais la promesse d’aller voir le festival mondial de spectacles de marionnettes le problème c’est que cela se passe à Charleville-Mézières et que déjà ce n’est pas une ville qui m’attire et qu’en plus c’est la région la plus touchée par le Covid-19 ! ! ! Si cette lecture reçoit quatre coquillages, elle le doit à la découverte, pour moi, de la relation entre le marionnettiste et sa marionnette car sinon je reproche à cette romancière d’esquisser des personnages plus que de les traiter en profondeur ou en finesse.

 

Citations

En période de confinement voici des bruits que l’on n’entend plus !

Faire la queue m’humilie et la liesse me dérange. Le consensus m’emmerde tout autant que le succès programmé, le bruit et les pop-corn.

Remarque intéressante

Un philosophe a dit que les autres nous sauvent de la répétition. C’est vrai, mais pas tout le temps et pas avec tout le monde. J’ajouterai que dans une rencontre, quelle qu’elle soit, tout nous est donné, d’emblée. Nous disposons dès les premiers instants d’indice troublants qui devraient nous alerter. Mais nous sommes éduqués pour que tout se passe bien avec les autres et sans même nous en apercevoir, nous modelons l’étrangeté à notre mesure pour la rendre familière et vivable.

C’est hélas vrai !

La phrase est pour le bègue une ascension interminable et douloureuse dont l’intérêt et le sens se perdent en route

Rapports avec sa mère

J’ai passé ma vie à ne pas vouloir ressembler à ma mère. Aujourd’hui encore, je reste vigilante même si mon existence est aux antipodes de la sienne. Pourtant, quand je lui rends visite, deux ou trois fois par an, notre ressemblance physique me brise le moral à la manière d’une mauvaise habitude qu’aucun effort ne pourra jamais corriger. Je me vois dans trente ans et ce que je constate me déplaît souverainement. J’imagine que mes rondeurs deviendront son embonpoint, que ma peau aura la tremblotante mollesse de ses bajoues de cocker et que mon cul plat s’évasera comme le sien. Ma mère nous a donné sa laideur en héritage. Je n’y peux pas grand-chose