Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière.

Laissez moi vous dire une chose. On est jamais trop vieux pour apprendre.


Après Dominique, Kathel, Keisha et tant d’autres, je viens vous recommander la lecture de cette épopée. Voici le sujet, tel que le raconte la quatrième de couverture :

«  lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-et-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l’Odyssée d’ Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s’affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d’une croisière thématique sur les traces d’Ulysse. »

 Daniel Mendelsohn a écrit un roman concernant la famille de sa mère assassinée lors des massacres de la Shoah : « Les Disparus » -récompensé par le prix Médicis en 2007-, livre qui m’avait beaucoup marquée . (C’était avant Luocine, et je me promets de le relire). Il consacre donc ce temps romanesque et son talent d’écrivain à la quête de la personnalité de son père. Il le fait à travers l’analyse minutieuse de l’Odyssée, ce si difficile retour d’Ulysse vers son royaume d’Ithaque, son épouse Pénélope et son fils Télémaque. On y retrouve tous les récits qui ont construit une partie de notre imaginaire. Ulysse et ses ruses, Pénélope et sa fidélité à toute épreuve, Télémaque, ce fils qui recherche son père, mais aussi le Cyclope, Circé, Calypso, les enfers… tous ces récits, grâce au talent du professeur Daniel Mendelsohn, nous permettent de réfléchir à la condition humaine. On aurait, je pense, tous aimé participer à ce séminaire au cours duquel ce grand spécialiste de la littérature grecque et latine, n’assène pas son savoir mais construit une réflexion commune aux participants et au professeur grâce aux interventions pertinentes de ses étudiants. Je n’ai pas très bien compris si tous connaissent le grec ancien ou si (comme cela me semble plus probable) seul le professeur peut se référer au texte originel. L’épopée prend vie et se mêle à la quête de l’auteur. Qui se cache derrière ce père taiseux, incapable de montrer ses sentiments à ses enfants ou à son épouse ? Certainement plus que la personnalité d’un père ingénieur devant lequel son fils tremblait avant de lui avouer qu’il ne comprenait rien aux mathématiques. Au détour d’une réaction d’étudiant, d’une phrase analysée différemment, nous comprenons de mieux en mieux ces deux fortes personnalités si différentes. On se prend à rêver que tous les pères et tous les fils sachent un jour entreprendre ce voyage vers une réelle connaissance de l’autre. Daniel est écrivain et professeur, le chapitre intitulé ‘Anagnorisis« , où il s’agit bien de « reconnaissance » se termine ainsi :
Quand vous enseignez, vous ne savez jamais quelles surprises vous attendent : qui vous écoutera ni même, dans certains cas, qui délivrera l’enseignement.
Et il avait commencé 60 pages auparavant de cette façon :
Une chose étrange, quand vous enseignez, c’est que vous ne savez jamais l’effet que vous produisez sur autrui ; vous ne savez jamais, pour telle ou telle matière, qui se révéleront être vos vrais étudiants, ceux qui prendront ce que vous avez à donner et se l’approprieront -sachant que « ce que vous avez appris d’un autre professeur, une personne qui s’était déjà demandé si vous assimileriez ce qu’elle avait à donner….
Quel effet de boucle admirable et toujours recommencée, oui nous ne sommes au mieux que des transmetteurs d’une sagesse qui a été si bien racontée et mise en scène par Homère. J’ai beaucoup de plaisirs à raconter les exploits d’Ulysse à mes petits enfants qui s’émerveillent à chaque fois du génie du rusé roi d’Ithaque, j’ai retrouvé le livre dans lequel enfant j’avais été passionnée par ces récits. Et je crois que comme le père et le fils Mendelsohn, j’aimerais faire cette croisière pour confronter mes souvenirs de récits à ces merveilleux paysage de la Grèce.
Peut-être que comme Jay, je trouverai que l’imaginaire est tellement plus riche que la réalité, et puis hélas je n’ai plus de parents à retrouver car il s’agissant bien de ça lors de cette croisière « sur les pas d’Ulysse » permettre à Daniel de retrouver la facette qu’il ne connaissait pas de son père, celui qui sait s’amuser et se détendre et faire sourire légèrement la compagnie d’un bateau de croisière. Bien loin de l’austère ingénieur féru de formules de physique devant lequel tremblait son plus jeune fils.

Citations

Relations d’un fils avec un père qui n’aime pas qu’on fasse des petites manières ou des histoires.

Lorsque mon père racontait cette histoire, il passait rapidement sur ce qui, à moi, me semblait être la partie la plus intéressante – la crise cardiaque, sa précipitation, à mon sens, poignante à rejoindre mon grand-père, l’action, en un mot – et s’étendait sur ce qui avait été pour moi, à l’époque, le moment le plus ennuyeux : les rotations de l’avion. Il aimait raconter cette histoire, car pour lui, elle montrait que j’avais très bien su me tenir : j’avais supporté sans me plaindre l’assommante monotonie de tous ces ronds dans l’air, de tout cette distance parcourue sans avancer. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait mon père, qui avait horreur que l’on fasse des histoires, et même à cette époque, malgré mon jeune âge, je comprenais vaguement qu’en donnant une légère inflexion caustique au mot « histoires », c’était en quelque sorte ma mère et sa famille qu’il visait. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait papa d’un hochement de tête approbateur. « Il est resté sagement assis, à lire, sans un mot ».
 De longs voyages, sans faire d’histoires. Des années ont passé depuis ce long périple de retour, et depuis, j’ai moi-même eu à voyager en avion avec des enfants en bas âge, et c’est pourquoi, lorsque je repense à l’histoire de mon père, deux choses me frappent. La première, c’est que cette histoire dit surtout à quel point « lui » s’était bien tenu. Elle témoigne de la façon exemplaire dont il a géré tout cela, me dis-je maintenant : en minimisant la situation , en faisant comme s’il ne se passait rien d’anormal, en donnant l’exemple et restant lui-même tranquillement assis, et en résistant -contrairement à ce que j’aurais fait car, à bien des égards, je suis davantage le fils de ma mère et le petit-fils de Grandpa – à la tentation d’en rajouter dans le sensationnel ou de se plaindre.
La seconde chose qui me frappe quand je repense aujourdhui à cette histoire, c’est que pendant tout le temps que nous avons passé ensemble dans l’avion , l’idée de nous parler ne nous a pas effleurés un instant.
Nous avions nos livres et cela nous suffisait.

Les questions que posent les récits grecs et qui nous concernent toujours.

Nous savons bien sûr que « l’homme » n’est autre Ulysse. Pourquoi Homère ne le dit-il pas d’emblée ? Peut-être parce que, en jouant dès l’abord de cette tension entre ce qu’il choisit de dire (l’homme) et ce qu’il sait que nous savons (Ulysse), le poète introduit un thème majeur, qui ne cessera de s’intensifier tout au long de son poème, à savoir : quelle est la différence entre ce que nous sommes et ce que les autres savent de nous ? Cette tension entre anonymat et identité sera un élément clé de l’intrigue de l’odyssée. Car la vie de son héros dépendra de sa capacité de cacher son identité à ses ennemis, et de la révéler, le moment venu, à ses amis, à ceux dont il veut se faire reconnaître : d’abord son fils, puis sa femme, et enfin son père.

Message d Homère

 L’Odyssée démontre la vérité de l’un des vers les plus célèbres et les plus troublants, que le poète met dans la bouche d’Athena à la fin de la scène de l’assemblée : »Peu de fils sont l’égal de leur père ; la plupart en sont indignes, et trop rares ceux qui le surpassent. »

Le plaisir des mots venant du grec

Les récits de Nestor sont des exemples de ce que l’on appelle les récits du « nostos ». En grec, « nostos » signifie « le retour ». La forme pluriel du mot, « nostoi », était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée au retour des rois et chefs de guerre grecs qui combattirent à Troie. L’Odyssée est-elle même un récit du « nostos », qui s’écarte souvent du voyage tortueux d’Ulysse à Ithaque pour rappeler, sous forme condensée, Les « nostoi » d’autres personnages, comme le fait ici Nestor -presque comme s’il craignait que ces autres histoires de « nostoi » ne survivent pas à la postérité. Peu à peu, le mot « nostoi », teinté de mélancolie et si profondément ancrée dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, « algos », pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amère que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie « la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer », mais comme nous le savons, ce foyer, surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est « nostalgie ».

L’implication de l’écrivain dans le récit de l’odyssée

J’avais hâte d’aborder l’épisode de la cicatrice d’Ulysse, où se trouve mêlé dans deux thèmes essentiels de l’Odyssée : la dissimulation et la reconnaissance, l’identité et la souffrance, la narration et le passage du temps. Mais une fois de plus, j’ai dû me rendre à l’évidence, les étudiants ne s’intéressaient pas du tout au même chose que moi. Seul Damien, le jeune Belge, avait parlé de la cicatrice d’Ulysse sur notre forum. Sans doute, me dis-je, est-ce parce que je suis écrivain que cette scène me fascine plus qu’eux : car tout l’intérêt de la composition circulaire est de fournir une solution élégante au défi technique qui se présente à quiconque veut entrelacer le passé lointain à la trame d’un récit au présent en gommant les sutures.

Pour comprendre ce passage, il faut savoir que l’auteur est homosexuel. Cela avait été difficile pour lui de le dire à ses parents. Mais son père ne l’avait pas jugé à l’époque. Il est en train de faire une croisière sur « les pas d’Ulysse ». Il est adulte et son père est très vieux. Dialogue père fils

Papa, attends, insistai-je. Donc, si je comprends bien, il y a eu un garçon gay amoureux de toi dans le Bronx, c’est de lui que te vient ton surnom de « Loopy », et tu n’as jamais songé à m’en parler ?
Mon père baissa les yeux. C’est simplement, Dan, que… Je ne savais pas trop comment t’en parler.
Que répondre à cela ? Alors j’ai fait comme mon père : j’ai été sympa avec lui.
C’est bon, dis-je. Au moins, maintenant, c’est fait. Bon Dieu, papa…
Il appuya sur un bouton de son iPad et l’ Iliade émit une lumière bleutée dans la pénombre. Ouais, on dirait… Puis il leva les yeux et dit : c’est une croisière sur l’Odyssée, n’oublie pas. Chacun a une histoire à raconter. Et chacun a… son talon d’Achille.
Oui, sans doute.

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Ertel.
Livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio.com

 


Je m’étais bien promis de ne plus répondre aux tentantes sollicitations de Babelio, non pas que ce site propose de mauvais titres mais je suis obligée de lire en trois semaines, et au moment de Noël mon emploi du temps est si chargé que j’ai failli ne pas tenir les délais. Il faut dire qu’un livre de 813 pages à l’écriture assez serrée ne se dévore pas en une soirée, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un roman qui se lit facilement.

Nous entrons, en effet, très en profondeur dans les méandres de la psychologie de quatre amis new-yorkais, Jude, le plus mystérieux et celui autour duquel tourne le roman, J.B , l’artiste très doué, Malcom un architecte et Willem un acteur qui rencontre le succès. Bien malgré lui, Jude fait le malheur de tous ceux qu’ils croisent et il est incapable d’expliquer pourquoi il souffre et fait autant souffrir les autres malgré sa volonté de ne leur vouloir que du bien. Il faudra 700 pages à l’auteur pour dire toute la souffrance de cet homme dont le lecteur entrevoit la teneur peu à peu. C’est peu dire que le style de cette auteure joue avec la lenteur, elle s’y complaît et cela donne encore un énorme pavé à l’américaine. J’avais en tête la réflexion de Jean d’Ormesson disant qu’aucun auteur français contemporain (ou presque) n’était traduit en anglais et n’était connu aux États-Unis alors que presque tous les auteurs américains sont traduits en français. Je me demande même si le lectorat français n’est pas visé par les éditeurs outre-atlantique. Je me demande aussi quel lecteur ou lectrice française accepterait de lire 900 pages sur la réussite de quatre Parisiens, dont l’un se scarifierait pour oublier son enfance.

Bref trop lourd pour moi ce roman m’a surtout encombrée et pourtant il est certain que cette auteure a tout fait pour faire revivre le tragique d’une destinée d’un homme bafoué et martyrisé dans son enfance et qui ne peut pas avoir « une vie comme les autres » malgré tous ses efforts et tout l’amour qu’il suscite quand il réussit à devenir adulte.

Citations

L’argent et les artistes sans problème d’argent

Et non seulement Ezra n’aurait jamais besoin de travailler, mais ses enfants et ses petits-enfants non plus : ils pourraient créer des œuvres médiocres, invendables, parfaitement dénuées de talent, génération après génération, et ils auraient toujours les moyens, quand cela leur chanterait, d’acheter des tubes de peinture à l’huile de la meilleure qualité ou des lofts dangereusement spacieux dans le sud de Manhattan qu’ils pourraient saccager de leurs désastreuses décisions architecturales ; et, quand ils se fatigueraient de leur vie d’artiste -et JB était convaincu qu’Ezra en aurait assez à un moment-, il leur suffirait de passer un coup de fil à leur administrateur fiduciaire pour recevoir un énorme versement, d’un montant tel qu’aucun des quatre( à part, peut-être, Malcom) ne pouvait même imaginer entrevoir en toute une vie.

Les petites jeux des universitaires

Le prof de lettres classiques pour lequel il travaillait avait décidé de ne communiquer avec lui en latin ou grec ancien, y compris pour lui transmettre des instructions du type : « j’ai besoin de trombones supplémentaires », ou « N’oubliez pas de leur demander de mettre un peu plus de lait de soja dans mon cappuccino demain matin ».

Pour les juristes

Le domaine le plus authentique, le plus intellectuellement stimulant, le plus riche domaine du droit, est de loin, et le droit des contrats. Les contrats ne se réduisent pas à des feuilles de papier vous promettant un travail, une maison, ou bien un héritage, au sens le plus pur, le plus véritable, le plus large, les contrats régissent tous les domaines du droit. Quand nous choisissons de vivre en société, nous choisissons de vivre selon les règles d’un contrat, et de se soumettre aux règles qu’il nous dicte – la Constitution elle-même est un contrat, certes malléable, et la question de savoir à quel point il est malléable constitue précisément le lieu où droit et politique se croisent-, et ce sont les règles de ce contrat (qu’elles soient explicites ou non), que nous suivons quand nous nous engageons à ne pas tuer, à payer nos impôts et à ne pas voler. Mais dans ce cas précis, nous sommes à la fois les concepteurs de ce contrat et lié par lui :.en tant que citoyen américain, nous partons du principe que, dès la naissance, nous avons une obligation de respecter et suivre les termes, et nous le faisons quotidiennement.

Le droit

Mais la justice n’est pas le seul, ni même le plus important, aspect du droit : le droit n’est pas toujours juste. Les contrats ne sont pas justes, pas toujours. Mais parfois elles sont nécessaires, ces injustice, parce qu’elles sont nécessaires au bon fonctionnement de la société. Dans ce cours, vous apprendrez la différence entre ce qui est juste et ce qui est équitable et, ce qui est tout aussi important, la différence entre ce qui est juste et ce qui est nécessaire.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Peugeot.

J’ai lu ce roman grâce à la blogosphère, je mettrai les liens si, sur un commentaire, je reconnais celui où celle qui aime cet auteur. ( J’ai perdu la référence du blog où j’ai noté ce nom, c’était au début de l’été 2017.)

Le titre américain est « I know this much is true ». Ces deux titres révèlent une vérité du roman mais pas exactement la même, le titre américain insiste sur la tension qui sous tend tout le roman. On sent que Dominick, le narrateur qui essaie de sauver son frère Thomas, schizophrène, des griffes d’une institution psychiatrique répressive après qu’il s’est tranché la main dans les locaux de la bibliothèque, va dévoiler peu à peu une enfance terrible qui cache des drames qui l’empêchent aujourd’hui de reprendre pied dans sa vie. Le titre français représente le point final du roman, on ne peut construire sa vie qu’en acceptant les différents aspects de sa propre personnalité. Thomas le fragile, le malade, le protégé de la mère des deux jumeaux est finalement plus fort que le bouillant et toujours en colère Dominick, enfin c’est une façon de parler car Thomas est du côté du malheur et la répression s’abat sans pitié sur lui, la soit-disant force des vaincus est de savoir reconnaître en chacun de nous cette part de faiblesse, c’est alors que « les vaincus sont puissants » .

Wally Lamb nous plonge dans l’histoire d’une famille « dysfonctionnelle » (j’emprunte ce mot à Pat Conroy élevé à la dure lui aussi par un ancien Marine). La différence est que Ray n’est pas le géniteur des enfants, il a épousé la mère et reconnu les jumeaux. Durant toute leur enfance, il n’aura pour but que d’en faire de braves petits soldats et les endurcir pour affronter un monde qu’il sait ne faire aucune place aux faibles. Dominick s’en sort à sa façon, il affronte avec bravache cette éducation, mais Thomas réagit par les pleurs. Plus sa mère le protège, plus Ray s’énerve jusqu’à une scène terrible qui arrive après 900 pages. C’est le reproche que je fais à ce roman pourquoi faut-il à cet auteur 976 pages pour accoucher de cette souffrance qui dévore toute une vie ? Bien sûr ce roman nous permet de visiter les bas-fonds des hôpitaux psychiatriques américains, de partager les tensions de l’arrivée des immigrants italiens, de revivre le racisme ordinaire contre les indiens et les noirs, et de comprendre que la peur d’avoir du sang noir dans les veines a provoqué bien des secrets, que rien n’est pire que statut de fille mère … Bref nous sommes avec les vaincus souvent et il est vrai que nous mesurons qu’eux aussi on fait la force de ce grand pays. Mais j’aurais aimé un peu plus de concision, même si je comprends que le rythme de cette écriture vient du dévoilement progressif que Dominick réalise grâce à une thérapie très douloureuse. Au bout de tant d’horreurs, la fin heureuse a mis un peu de baume sur mon cœur tellement meurtri surtout quand je lis pendant des pages et des pages les souffrances que l’on peut faire subir à des gens sans défense dans les hôpitaux psychiatriques.

Citations

La dernière phrase

L’amour grandit dans le riche terreau du pardon ; les bâtards font de bons chiens ; La preuve de l’existence de Dieu réside dans la plénitude des choses.

Le sens du roman avec le titre français

Je suis professeur d’histoire américaine(…..)mes élèves tirent, je l’espère, la leçon que j’ai moi même tirée : l’abus de pouvoir nuit à l’oppresseur autant qu’à l’opprimé.

L’amitié entre garçons

« Comment peux-tu fréquenter le trou du c… le plus notoires de tout le lycée ? » me demandait constamment Thomas l’été ou Léo et moi étions ensemble au rattrapage d’algèbre. Certes, Léo était un vrai trou du cul, je le savais. Mais, je le répète, il était aussi tout ce que mon frère et moi n’étions pas : sans complexe, insouciant, et hyper drôle. Son toupet phénoménal nous avait fait accéder à toutes sortes de plaisirs interdits que mon béni-oui-oui de frangin aurait désapprouvé, et qui m’aurait valu des rossées de mon beau-père : les films classés X du drive-in de la route 165, le champ de courses de Narragansett, un magasin de vins, spiritueux sur la route de Pachaug Pond qui accordait aux mineurs le bénéfice du doute. Ma première cuite magistrale, je l’ai prise dans la voiture de la mère de Léo, à la Cascade en fumant des cigarettes et en faisant circuler une bouteille de Bali Hai. J’avais 15 ans.

Les expérimentations sur les malades mentaux

 Les années 70 et 78 avaient été fastes. À cette époque-là, considérant qu’en fin de compte Thomas n’était pas maniaco-depressif, on avait arrêté le lithium pour le remplacer par de la stelazine. Puis le Dr Bradbury avait pris sa retraite, et ce connais de Dr Shooner, ce nabot qui suivait désormais mon frère, avait décrété que, si ça marchait avec six milligrammes de stelazine par jour, ça marcherait d’autant mieux avec dix-huit. Il me semble encore tenir ce petit charlatan par les revers de son veston de tweed comme le jour où j’ai trouvé Thomas assis, paralysé, l’oeil vitreux, la langue pendante, bavant sur sa chemise.

Les bibliothèques

 Autrefois, le métier de bibliothécaire était un métier agréable -après tout elle aimait bien les gens. Mais à présent, les bibliothèques étaient à la merci des laissés-pour-compte et des sans-abris du quartier. Des gens qui se fichaient éperdument des livres et de l’information. Qui venaient s’asseoir là comme des légumes ou se précipitaient aux WC toutes les cinq minutes. 

Le destin et l’amour d’un fils pour sa mère

 J’étais celui qui en voulait le plus au destin de l’avoir gratifiée d’abord d’un mari inconstant, puis d’un fils schizophrène, avant de revenir lui taper sur l’épaule pour lui filer le cancer. Or je prouvais seulement que j’étais celui qui refusait le plus obstinément de se rendre à l’évidence. Si je me donnais tant de mal et si je faisais les frais de lui offrir une cuisine neuve, elle avait intérêt à vivre assez longtemps pour en profiter.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Hœpffner avec la collaboration de Catherine Goffaux.


Le récent article de Keisha m’a amenée à relire ce roman que j’avais abandonné, il m’a fallu toute la force de sa conviction pour que je le termine. J’ai failli plus d’une fois faire comme Sandrine renvoyer ce roman aux oubliettes. Il est construit autour d’un texte perdu, caché, présenté comme « unique » et « superbe », il donne, donc, au lecteur une seule envie : le lire à son tour pour partager et comprendre ce plaisir mais les extraits qui sont donnés sont (pour moi) des flops, cette déception a entraîné une partie de mon désamour pour ce ce livre.

Extrait du livre présenté comme un chef d’oeuvre

Pendant l’age du verre, chacun pensait qu’une partie de son corps était extrêmement fragile. Pour certains c’était une main, pour d’autres un fémur, et d’autres encore pensaient que c’était leur nez qui était en verre. L’âge du verre avez suivi l’âge de la pierre en tant que processus évolutif de correction, avait introduit un sentiment nouveau de fragilité dans les relations humaines qui encourageait la compassion.

Pourquoi autant de mystère autour d’un texte aussi inintéressant ! Mais le pire n’est pas là, le côté absolument insupportable de ce roman c’est sa construction. Les personnages sont reliés entre eux par des fils qui sont si emmêlés que l’on ne sait pas ce qui les rapproche. Il y a cependant de très beaux passages, les évocations des différents aspects de l’extermination des juifs de Pologne et d’Europe centrales. Le poids de tous ces morts et les souvenirs qui ne peuvent plus être ravivés par les vivants mais qui se sont arrêtés alors que les parents, les frères les sœurs, les amants et amantes avaient encore le reste de leur vie à partager avec la fratrie ; cela finit par étouffer les survivants. J’aurais tant voulu apprécier ce livre, je suis bien triste de ne pas y être parvenue.

Citations

Une mère envahissante

Quand je disais que j’allais dans ma chambre elle m’appelait : « Que puis-je faire pour toi, je t’aime tellement », et j’avais toujours envie de dire,mais sans jamais le faire : Aime- moi moins.

Le grand amour

Et si l’homme avait autrefois été un garçon qui avait promis qu’il ne tomberai jamais amoureux d’une autre fille tant qu’il vivrait a tenu promesse, ce n’est pas parce qu’il était têtu ni même loyale. Il ne pouvais pas faire autrement. Et, après s’être caché pendant trois ans et demi, caché son amour pour un fils qui ne savait même pas qu’il existait ne paraissait pas impensable. Pas si c’était ce que la seule femme qu’il aimerait jamais lui demanderait de faire. Après tout, quelle importance si un homme doit cacher une chose de plus lorsqu’il a complètement disparu ?

Un juif réfugié au Chili et le poids de la découverte du sort de ceux qui sont restés en Pologne.

La guerre s’acheva. Petit à petit, Livinov apprit ce qu’était devenu sa soeur Myriam, et de ses parents, et de quatre autres frères et sœurs (ce qui était arrivé à son frère aîné André, il ne put le deviner qu’à partir de probabilité). Il apprit à vivre avec la vérité. Pas à l’accepter, mais vivre en sa compagnie. C’était comme s’il vivait avec un éléphant. Sa chambre était minuscule et, chaque matin, il devait se glisser le long de la vérité simplement pour se rendre à la salle de bains. Pour atteindre l’armoire et sortir des sous-vêtements, il lui fallait passer à quatre pattes sous la vérité, en priant qu’elle ne choisisse pas ce moment précis pour s’asseoir sur son visage. La nuit, quand il fermait les yeux, il la sentait planer au-dessus de lui.

Traduit de l’anglais (américain) par Jean Esch.

Deux livres qui se suivent traduits par le même traducteur, j’aimerais tant confronter mon opinion à la sienne. Autant je me suis sentie enfermée dans le bon roman « les filles au lion » autant je me suis sentie libre dans celui-ci. Libre d’aimer , libre de croire à l’histoire , libre d’imaginer les personnages. La cuisine et la recherche (parfois très compliquée) des bons aliments sont à le mode visiblement dans tous les pays. L’avantage de prendre comme fil conducteur la cuisine , c’est de traverser toutes les couches de la société américaine. Entre le grand bourgeois raffiné qui peut payer un repas d’exception et le petit mitron qui épluche les légumes l’éventail des personnalités et des situations est assez large. L’avantage aussi, c’est que comme pour toute forme d’art, seul le travail paye. Et devenir une chef mondialement connue comme le personnage Eva Thorvald est une tension de tous les instants entre les exigences de la vie et celle du créateur.

Dans ce roman, la très bonne cuisine n’est pas tant une sophistication de la cuisson que l’exigence de la qualité des produits. Toute création cache une souffrance et celle d’Eva vient de sa naissance , abandonnée par sa mère , orpheline trop tôt d’un père qui a juste eu le temps de lui donner le goût de la bonne nourriture, elle rame pour survivre d’abord au lycée. Ah ! les lycées américains la violence qui y règne est d’autant plus surprenante que ce n’est pas l’image que j’en avais. Souvent quand j’interrogeais les étudiants américains sur leurs années lycée, ils me disaient que cela représentait pour eux un grand moment de bonheur, alors que les jeunes Français détestent presque toujours leur lycée. Le roman s’intéresse ensuite à différents personnages, l’on croit quitter Eva mais on suit son parcours et sa progression comme chef d’exception à travers les rencontres qu’elle est amenée à faire, elle n’est plus alors le personnage principal, et cela nous permet de comprendre un autre milieu à travers une autre histoire.

On passe du concours de cuisine consacré aux barres de céréales où toutes les mesquineries habituelles dans ce genre de compétition sont bien décrites, à l’ouverture de la chasse aux cerfs d’une violence que je ne suis pas prête d’oublier. La scène finale rassemble les éléments du puzzle de la vie d’Éva dans un moment d’anthologie romanesque et culinaire. Finalement c’est au lecteur de réunir tous les personnages, j’ai relu deux fois ce roman pour être bien sûre d’avoir bien tout compris. Un grand moment de plaisir dans mon été qui était plutôt sous le signe de romans plus tristes et je le dois à Aifelle qui avait été tentée par Cuné et Cathulu.

Citations

Légèreté et d’humour explication du lutefisk

Peu importe que ni Gustaf ni sa femme Elin, ni ses enfants n’aient jamais vu, et encore moins attrapé, assommé, fait sécher, trempé dans la soude, retrempé dans l’eau froide, un seul poisson à chair blanche, ni accompli la délicate opération de cuisson nécessaire pour obtenir un aliment qui, quand il était préparé à la perfection, ressemblait à du smog en gelée et sentait l’eau d’aquarium bouillie.

 Toujours le lutefisk

Lars, quant à lui, fut stupéfait par ces vieilles scandinaves qui vinrent le trouver à l’église pour lui dire :  » Un jeune homme qui prépare le lutefisk comme toi aura beaucoup de succès auprès des femmes ». Or, d’après son expérience, la maîtrise du lutefisk provoquait généralement du dégoût, au mieux de l’indifférence, chez ses rencards potentiels. Même les filles qui prétendaient aimer le lutefisk ne voulaient pas le sentir quand elles n’en mangeaient pas, mais Lars ne leur laissait pas le choix.

Rupture amoureuse

« – Mais en attendant, contentons-nous d’être amis. »
Will avait déjà entendu cette phrase et il avait appris à ne plus écouter ce que disait la fille ensuite parce que c’était du baratin.

Le maïs

Anna Hlavek cultivait un produit rare, presque inouï : une variété de maïs à pollinisation libre qui n’avait pas changé depuis plus de cent ans. D’après ce qu’elle savait, Anna avait hérité d’un stock de semences ayant appartenu à son grand-père, qui les avait achetés par correspondance ….en 1902. C’était exactement le même maïs que mangeait les arrières-grands-parents d’Octavia dans leur ferme près de Hunter dans le Dakota du Nord : des grains charnus, fermes et juteux qui explosaient dans la bouche, si sucrés qu’on aurait pu les manger en dessert.

Classe aisée américaine

 Octavia qui avait grandi à Minnetonka, entouré de gens fortunés au goût sûr, qui avait obtenu des diplômes d’anglais et de sociologie à Notre-Dame, dont le père était avocat d’affaires et la belle-mère un ancien mannequin devenue représentante dans l’industrie pharmaceutique, était destinée à épouser un homme comme Robbe Kramer. Elle n’aspirait pas à une vie meilleure que celle qu’elle avait connue dans son enfance ; elle n’avait pas besoin d’être plus riche, juste aisée, auprès d’un ami comme Robbe, attaché au même style de vie. Elle serait heureuse, elle le savait, de l’accompagner dans ses dîner de bienfaisance politique, et de charmer les épouses moins intelligentes de ces futurs associés. Elle avait même appris à jouer au golf, elle savait confectionner vingt sept cocktails différents, elle pouvait regarder un match des Minnesota Vikings et comprendre ce qui se passait sans poser de questions.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Bisseriex. Livre lu grâce à Babelio et offert par les éditions « le nouveau pont ».


Pat Conroy fait partie des auteurs qui savent me transporter dans un autre monde et dans un autre genre de vie. J’ai lu tous ses romans et sa mort m’a touchée. Le monde dans lequel il me transporte, c’est la Louisiane ou l’Alabama. Il sait me faire aimer les états du Sud, pourtant souvent peu sympathiques. Il faut dire qu’il vient d’une famille pour le moins non-conventionnelle  : sa mère qui se veut être une « parfaite dame du Sud », n’est absolument pas raciste, car si elle est en vie, c’est grâce à une pauvre famille de fermiers noirs qui l’a nourrie alors qu’elle et ses frères et sœurs mouraient de faim pendant la grande dépression. Le racisme, l’auteur le rencontrera autant à Chicago dans la famille irlandaise qu’à Atlanta mais sous des formes différentes. L’autre genre de vie, c’est sa souffrance et sans doute la source de son talent d’écrivain : une famille « dysfonctionnelle », un père violent et des enfants témoins d’une guerre perfide entre parents dont ils sont toujours les premières victimes.

Ce livre est donc paru (en France ?) après la mort de son auteur et explique à ses lecteurs pourquoi malgré cette enfance absolument abominable il s’est réconcilié avec ses deux parents. Il montre son père « le grand Santini » sous un jour différent grâce au recul que l’âge leur a donné à tous les deux. Cet homme aimait donc ses enfants autant qu’il les frappait. Il était incapable du moindre mot de gentillesse car il avait peur de les ramollir. Plus que quiconque le « grand Santini » savait que la vie est une lutte terrible, lui qui du haut de son avion a tué des milliers de combattants qui menaçaient les troupes de son pays. Un grand héros pour l’Amérique qui a eu comme descendance des enfants qui sont tous pacifistes.

Pat Conroy a fait lui même une université militaire, et il en ressort écœuré par les comportements de certains supérieurs mais aussi avec une certaine fierté de ce qu’il est un … « Américain » . Il décrit bien ces deux aspects de sa personnalité, lui qui pendant deux ans est allé enseigner dans une école où il n’y avait que des enfants noirs très pauvres. Il dit plusieurs fois que l’Amérique déteste ses pauvres et encore plus quand ils sont noirs. Mais il aime son pays et ne renie pas ses origines.

On retrouve dans cette biographie l’écriture directe et souvent pleine d’humour et dérision de cet écrivain. Il en fallait pour vivre chez les Conroy et s’en sortir. On reconnaît aussi toutes les souffrances qu’il a si bien mises en scène dans ses romans. On peut aussi faire la part du romanesque et de la vérité, enfin de la vérité telle qu’il a bien voulu nous la raconter. Ce livre je pense sera indispensable pour toutes celles et tous ceux qui ont lu et apprécie Pat Conroy

Citations

Un des aspect de Pat Conroy son estime pour certains militaires

À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.

Genre de portrait que j’aime

Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.

Toute famille a son barjot

 Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.

Son père

Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».

Humour que l’on retrouve dans les romans de Pat Conroy

-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.
-Pourquoi ?
– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires

La sœur poète et psychotique

Ma sœur Carole Ann a vécu une enfance vaillante et sans louange mais surtout une enfance d’une solitude presque insupportable. Elle aurait été un cadeau pour n’importe quelle famille mais passa inaperçue la plupart du temps. À tout point de vue, c’était une jolie fille qui n’arrivait pas à la hauteur des attentes des mesures et de sa mère. Malgré elle, Peg Conroy avait le don insensé de faire croire à ses filles qu’elles étaient moches.

Son rapport à l’Irlande

Dans mon enfance, tout ceux qui me frappaient était irlandais, depuis mon père, ses frères et ses sœur, jusqu’aux nonnes et aux prêtres qui avaient été mes enseignants. Je percevais donc l’Irlande comme une nation qui haïssait les enfants et qui était cruelle envers les épouses.

L’éloge funèbre de Pat Conroy à son père

Il ne savait pas ce qu’était la mesure, ni même comment l’acquérir. Donald Conroy est la seule personne de ma connaissance dont l’estime de soi était absolument inébranlable. Il n’y avait rien chez lui qu’il n’aimait pas . Il n’y avait rien non plus qu’il aurait changé. Il adorait tout simplement l’homme qu’il était et allait au devant de tous avec une parfaite assurance. Papa aurait d’ailleurs aimé que tout le monde soit exactement comme lui.

 Son obstination été un art en soi. Le grand Santini faisait ce qu’il avait à faire, quand il le voulait et malheur à celui qui se mettait en travers de son chemin.

Traduit par André Fayot post face de Bertrand Fillaudreau.


La lecture de ce livre de mémoires me prouve que la blogosphère a permis à mes goûts littéraires d’évoluer. J’ai pris un grand plaisir à cette lecture que je dois à Dominique ( elle même remercie Keisha). Je voulais connaître cet homme qui est considéré comme le « père des parcs nationaux aux USA » . Mes enfants y font des balades extraordinaires chaque été et leurs photos donnent envie de s’y rendre. J’ai toujours cet étonnement face à ce paradoxe, le pays le plus pollueur de la planète est aussi celui qui semble adorer le plus la nature vierge. Plusieurs lectures récentes convergent pour me donner l’impression que l’homme agriculteur est devenu le plus grand prédateur des espèces végétales et animales. Faire pousser du blé ne peut se faire qu’aux prix de souffrances infinies pour l’homme et la nature.
John Muir, les souffrances, il connaît, élevé par un père d’une rigueur qui frise le tortionnaire, il a connu les pires brimades physiques dès son enfance : coups, engelures, travaux de forçat ; il a tout accepté au nom d’un respect filial qui lui vient, on se demande pourquoi ? et comment ?
Toute son enfance, surtout son émerveillement de la nature qui s’offre à lui quand il arrive dans le Wisconsin, est très agréable à lire et on suit avec attachement les péripéties de chaque découverte qu’offrent ces lieux souvent encore vierges. La fin est beaucoup moins passionnante, il est vrai qu’il ne s’agit plus de son enfance. Cet enfant à 10 ans est capable de comprendre la trigonométrie tout seul avec des livres, à 14 ans de construire des horloges sans plan préalable, il a vraiment une intelligence totalement hors norme. Il a appris à lire et à écrire seul ou presque à 4 ans. Il parle latin et allemand. J’aurais aimé qu’il raconte mieux son adaptation au monde des adultes quand il ne vit plus sous la férule de ce père que j’ai détesté tout au long du livre.

Citations

Éducation écossaise fin du XIXe

 Je ne vois rien qui puisse me pousser aujourd’hui à concentrer plus fort mon attention que quand j’étais enfant, ce que réussissait le fouet -une gigantesque raclée le plus souvent. Les instituteurs écossais de la vieille école ne passaient pas leur temps à tenter de trouver des chemin raccourcis vers la connaissance, ni d’expérimenter les dernières trouvailles en matière de méthode psychologique, tellement en vogue de nos jours. Il n’était pas question de rendre nos bancs confortables, ni nos leçons faciles. On nous collait seulement de but en blanc devant nos livres, comme des soldats face à l’ennemi, en nous ordonnant d’un ton sans réplique : « Allez au travail ! Apprenez vos leçons ». Et à la moindre erreur, si minime fût-elle, c’était le fouet, car avait été fait cette extraordinaire découverte, aussi simple que définitive, et tellement écossaise, qu’il existait une relation directe entre la peau et la mémoire, et qu’irriter celle-là stimulait celle-ci au degré souhaité quel qu’il fût.

 Les bagarres

Quand on avait la chance de finir un combat sans un œil au beurre noir, on échappait généralement à une dégelée à la maison et une autre le lendemain matin à l’école, car les autres traces de l’échauffourée pouvaient être lavées facilement au puits près de l’église, ou bien dissimulées, ou mise au compte des aspérités du terrain ; tandis qu’un œil poché ne pouvait trouver d’autre explication qu’une bagarre en règle. La double correction en était la sanction inéluctable mais sans aucun effet  : les bagarres se continuaient sans la moindre accalmie, comme les ouragans, car aucune autre punition que la mort n’aurait pu supprimer la vieille agressivité atavique qui brûlait dans nos veines de païens, pas plus qu’on arrivait à nous faire admettre que père et maître pouvaient légitimement nous étriller aussi laborieusement pour notre bien, tout en refusant le plaisir de nous castagner les uns les autres pour le même bien.

Genre de livres où Wikipédia rend bien des services ….

Et il en allait tout de même avec les calopogons, les pogonies, les spiranthes et quantité d’autres populations végétales. Le magnifique turban de Turc ( Lilium superbum), qui croît sur les berges des cours d’eau, était rare chez nous, alors que le lis orangé poussait en abondance en terrain sec sous les chênes à gros fruits et nous rappelait bien souvent la plate-bande de tante Ray en Écosse. Grâce à ses fleurs rouge écarlate, l’asclépiade tubéreuse ou herbe à ouate attirait des volées de papillons et produisait de superbes masses de couleur.

Une éducation à la dure

 Mes aventures me remettent en mémoire l’histoire de ce garçon qui, en escaladant un arbre pour voler un nid de corbeau, tomba et se cassa la jambe, mais qui, sitôt guéri, se força à grimper jusqu’au sommet de l’arbre du haut duquel il avait culbuté.

La prégnance de la morale

 Comme à l’ensemble des petits écossais, on nous enseignait la plus stricte abnégation, à propos et hors de propos, à faire fi de la chair et à la mortifier, à veiller à garder nos corps soumis aux préceptes de la Bible et à nous punir sans merci pour toute faute commise ou simplement imaginée. Lorsque, en aidant sa sœur à ramener les vaches, un gamin usa un beau jour d’un terme défendu : « faudra que je l’dise à papa, fit la jeune fille horrifiée. J’le lui dirai, qu’t’as dit un vilain mot…
-J’ai pas pu l’empêcher d’me v’nir répondit l’enfant par manière d’excuse. C’est pas pire de le dire tout haut que de l’ penser tout bas ! »

Après avoir décrit le Wisconsin comme le paradis des oiseaux , il décrit cette scène horrible (cette espèce de pigeons a complètement disparu, on comprend pourquoi !)

Les pigeons, à ce moment-là, étaient rares un grand nombre de personnes, équipées de chevaux et de chariot, et armées de fusil, de longues perches, de pots à soufre, torches de poix, etc, avaient déjà planté leur camp sur le pourtour deux fermiers installés à plus de cent milles de là avaient amené quelques trois cents porcs pour les faire engraisser sur les pigeons massacrés. Un peu partout, des gens employés à plumer et à saler ce qui avait déjà été mis de côté étaient assis au milieu de monceaux d’oiseaux. La terre était couverte d’une couche de fiente de plusieurs pouces d’épaisseur. Quantité d’arbre de deux pieds de diamètre étaient brisés guère au-dessus du sol, et les branches de beaucoup d’autres parmi les plus hauts et les plus étendus avaient cédé, comme si un ouragan avait balayé la forêt.
Au coucher de soleil, pas un pigeon n’était encore arrivé. Mais un cri général s’éleva tout à coup :  » Les voilà ! ». Ils étaient encore loin, mais le bruit qu’ils faisaient me rappelait, en mer, un violent coup de vent qui passe à travers les gréements d’un navire dont on a serré les voiles. Des milliers furent bientôt abattus à coups de perche, mais les oiseaux ne cessaient pas pour autant d’affluer. Puis les feux s’allumèrent et un tableau aussi terrifiant que superbe se mit en place. Les pigeons qui se déversaient à flots se posaient partout, les uns sur les autres, si bien qu’il se formait des masses compactes sur toutes les branches. Ça et là des perchoirs roulaient avec fracas, et, dans leur chute en abattaient des centaines d’autres, précipitant les groupes extrêmement serrés d’oiseaux dont étaient chargé le moindre rameau, spectacle de conflit et de tumulte. Je m’aperçus qu’il était parfaitement inutile de parler ou même de crier au gens qui m’entouraient. Les coups de fusil, on les entendait rarement, et ce n’est qu’en voyant les hommes recharger leurs armes que je comprenais qu’ils avaient tiré. Personne n’osait s’aventurer à l’intérieur du périmètre du carnage. On avait parqué les cochons en temps utile, le ramassage des morts et de blessés étant remis au lendemain matin. Les pigeons affluaient toujours, et ce ne fut qu’après minuit que je perçus une diminution du nombre des arrivants. Le vacarme dura toute la nuit.
Vers les premières lueurs du jour, le bruit s’atténua quelque peu ; longtemps avant qu’on pût distinguer les formes, les pigeons commencèrent à s’en aller dans une direction différente de celle où ils étaient venus la veille, de sorte que quand le soleil se leva tout ce qui était capable de voler avait disparu. Ce fut alors le hurlement des loups qui se fit entendre, et l’on vit arriver furtivement renards, lynx, couguar, ours,raton laveur, opossum et putois, tandis que des aigles des éperviers de différentes espèces, accompagnés d’une armée de vautour, approchaient pour tenter de les évincer et d’avoir leur part de butin.
Les auteurs du carnage se mirent alors à avancer parmi les morts, les mourants et les mutilés et à ramasser les pigeons et aller mettre en tas, ce jusqu’à ce que chacun ait autant qu’il voulait, après quoi les cochons furent laisser libres de dévorer les restants.

L’inconfort total

 Dans toute la maison, il n’y avait en fait de feu que le fourneau de la cuisine, avec son foyer de cinquante centimètres de long sur vingt cinq de large et autant de haut – à peine de quoi y mettre trois ou quatre petites bûches-, autour duquel, lorsqu’il faisait – 20 dehors, les dix personnes que nous étions dans la famille grelottaient, et sous lequel nous trouvions, le matin, nos chaussettes et nos grosses bottes imprégnées d’eau gelée en bloc. Et nous n’avions pas même le droit de ranimer ce misérable petit feu dans sa boîte noire pour les dégeler. Non, nous devions y comprimer nos pieds endoloris et tout palpitant d’engelures, au prix de douleurs pires qu’une rage de dent, et filer au travail.

Je crois relire homo sapiens : le malheur de la révolution agricole

Dans ces temps reculés, longtemps avant l’arrivée des machines qui nous épargnent tant de peine, tout (ou presque) ce qui touchait à la culture du blé imposait des travaux éreintant – faucher sous la chaleur des longues journées de la canicule, râteler et lier des gerbes, faire les meules et battre le grain -, et je me disais bien souvent que la façon brutale, frénétique, que nous avions de faire sortir le grain de terre ressemblait trop à une excavation de tombes.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel

 Je dois la lecture de ce livre à Philippe Meyer (avec un « e » à Philippe) il anime une émission que j’écoute tous les dimanches matin, « L’esprit public » , elle se termine par une séquence que j’attends avec impatience celle des « brèves » où chaque participant recommande une lecture, un spectacle, un CD. Un jour Philippe Meyer a recommandé ce roman et ses mots ont su me convaincre. Je profite de billet pour dire que la direction de France-Culture, après avoir censuré Jean-Louis Bourlanges, évince Philippe Meyer en septembre. Je ne sais pas si des lettres de protestations suffiront à faire revenir cette curieuse direction sur cette décision, mais j’engage tous ceux et toutes celles qui ont apprécié « L’esprit public » à écrire à la direction de France-Culture.
J’ai rarement lu un roman aussi éprouvant. J’ai plus d’une fois pensé à Jérôme qui, souvent s’enthousiasme pour des écritures sèches décrivant les horreurs les plus absolues. C’est exactement ce que j’ai ressenti lors de cette lecture. Les massacres de la famille du colonel McCullough par les Comanches, celui de la famille Garcia par les rangers américains sont à peu près insoutenables parce qu’il n’y a aucun pathos mais une précision qui donne envie de vomir. Ce grand pays est construit sur des monceaux de cadavres. Je suis restée une quinzaine de jours avec les trois personnages qui, à des époques différentes, finissent par décrire exactement d’où viennent les États-Unis. L’ancêtre Elie McCullogh est né en 1836, il vivra cent ans et établira la fortune de la famille. Son passage chez les Comanches fera de lui un redoutable prédateur mais aussi un homme d’une intelligence remarquable. Son fils Peter né en 1870 ne se remettra jamais de l’assassinat par son père et ses amis de la famille Garcia des Mexicains qui avaient 300 années de présence à côté du ranch de son père, eux-mêmes avait, évidemment auparavant, chassés les Indiens. Enfin, la petite fille de Peter Jeanne-Anne McCullogh née en 1926, enrichie par le pétrole et qui sera la dernière voix des McCullogh.
La vie chez les Comanches est d’une dureté incroyable et n’a rien à voir avec les visions romantiques que l’on s’en fait actuellement. Mais ce qui est vrai, c’est que leur mode de vie respectait la nature. La civilisation nord-américaine est bien la plus grande destructrice d’un cadre naturel à l’équilibre très fragile. Entre les vaches ou le pétrole on se demande ce qui a été le pire pour le Texas. Lire ce roman c’est avoir en main toutes les clés pour comprendre la nation américaine. Tous les thèmes qui hantent notre actualité sont posés : la guerre, la pollution des sols, le racisme, le vol des terres par les colons, la place des femmes.. mais au delà de cela par bien des égards c’est de l’humanité qu’il s’agit en lisant ce roman je pensais au livre de Yuval Noah HARARI. C’est une illustration parfaite de ce que l’homme cueilleur chasseur était plus adapté à son environnement que l’agriculteur.

Citations

PREMIÈRE PHRASE

On a prophétisé que je vivrai jusqu’à cent ans et maintenant que je suis parvenu à cet âge je ne vois pas de raisons d’en douter.

Humour

On sait bien qu’Alexandre le Grand lors de sa dernière nuit parmi les vivants, a quitté son palais en rampant pour tenter de se noyer dans l’Euphrate, sachant quand l’absence de corps son peuple le croirait monter au ciel parmi les dieux. Sa femme l’a rattrapé sur la berge ; elle l’a ramené de force chez lui où il s’est éteint en mortel. Et après on me demande pourquoi je ne me suis jamais remarié.

La dure loi du Texas

 » C’est comme ça que les Garcia ont eu leur terre, en se débarrassant des Indiens et c’est comme ça qu’il fallait qu’on les prenne. Et c’est comme ça qu’un jour quelqu’un nous les prendra. Ce que je t’engage à ne pas oublier ».
Au final mon père n’est pas pire que nos voisins : eux sont simplement plus modernes dans leur façon de penser. Ils ont besoin d’une justification raciale à leurs vols et leurs meurtres. Et mon frère Phinéas est bien le plus avancé d’entre eux : il n’a rien contre les Mexicains ou contre toute autre race , mais c’est une question économique. La science plutôt que l’émotion. On doit soutenir les forts et laisser périr les faibles. Ce qu’aucun d’eux ne voit, ou ne veut voir, c’est qu’on a le choix.

les différences de comportement selon les origines

L’Allemand de base n’était pas allergique au travail : il suffisait de voir leurs propriétés pour s’en convaincre. Si, en longeant un champ, vous remarquez que la terre était plane et les sillons droits, c’est qu’il appartenait à un Allemand. S’il était plein de pierres et qu’on aurait dit les sillons tracés par un Indien aveugle, ou si on était en décembre et que le coton n’était toujours pas cueilli, alors vous saviez que c’était le domaine d’un blanc du coin qui avait dérivé jusqu’ici depuis le Tennessee dans l’espoir que, par quelque sorcellerie, Dame Nature, dans sa largesse lui pondrait un esclave.

Le charme des noms Comanches

Bien des noms Comanches étaient trop vulgaires pour être consignés par écrit, aussi, quand la situation l’exigeait, les Bancs les modifiaient. Le chef qui emmena le fameux raid contre Luneville en 1840 (au cours duquel cinq cents guerriers pillèrent un entrepôt de vêtements raffinés et s’enfuirent en haut de forme, robe de mariée et chemise de soie) s’appelait Po-cha-na-quar-hip ce qui signifiait Bite-Qui-Reste-Toujours-Dure. Mais pas plus cette version que la traduction plus délicate d’Érection- Permanente ne pouvait paraître dans les journaux,aussi décida-t-on de l’appeler Bosse-de-Bison.

Après 15 pages inoubliables pour expliquer l’utilisation de la moindre partie du corps du bison pour les Comanches, voici la dernière phrase

 On laissait toujours le cœur la même où le bison était tombé : lorsque l’herbe pousserait entre les côtes restantes, le Créateur verrait que son peuple ne prenait que ce dont il avait besoin et veillerait à ce que les troupeaux se renouvellent et reviennent encore et encore
 

Les richesses dues au pétrole

La provision pour reconstitution des gisements et quelque chose de totalement différent. Chaque année, un puits qui produit du pétrole te fait gagner de l’argent tout en te permettant de réduire des impôts.
– Tu fais un bénéfice mais tu appelles ça une perte ».
Elle voyait bien qu’il était satisfait.
– » Ça paraît malhonnête.
– » Au contraire. C’est la loi aux États-Unis.
-Quand même.
– Quand même rien du tout. Cette loi a une bonne raison d’être. Il y a des gens pour élever du bétail, même à perte : pas besoin de mesures incitatives. Alors que le pétrole, lui, coûte cher à trouver, et encore plus cher à extraire. C’est une entreprise infiniment plus risquée. Alors si le gouvernement veut que nous trouvions du pétrole, il doit nous encourager.

Le fils (d’où le titre)

Être un homme signifiait n’être tenu par aucune règle. Vous pouviez dire une chose à l’église, son contraire au bar, et d’une certaine façon dire vrai dans les deux cas. Vous pouviez être un bon mari, un bon père, un bon chrétien, et coucher avec toutes les secrétaires, les serveuses, les prostituées qui vous chantaient.

La guerre de Sécession

À la fin de l’été, la plupart des Texans étaient persuadés que si l’esclavage été aboli, le sud tout entier s’africaniserait, que les honnêtes femmes seraient toutes en danger et que le mot d’ordre serait au grand mélange. Et puis, dans le même souffle, ils vous disaient que la guerre n’avait rien à voir avec l’esclavage, que ce qui était en jeu, c’était la dignité humaine, la souveraineté, la Liberté elle-même, les droits des états : c’était une guerre de légitime défense contre les ingérences de Washington. Peu importait que Washington ait protégé le Texas des visées mexicaines. Peu importait qui le protège encore de la menace indienne.

La Californie

Une fois la sécession votée, l’ État du Texas se vida……
Des tas de sécessionnistes partirent aussi. Sur les nombreux train qui s’en allaient vers l’ouest, loin des combats, on voyait souvent flotter haut et fier le drapeau de la Confédération. Ces gens-là était bien favorables à la guerre, tant qu’ils n’avaient pas à la faire. J’ai toujours pensé que ça expliquait ce que la Californie est devenue.

Principe si étrange et malheureusement pas si faux !

Mon père a raison. Les hommes sont faits pour être dirigés. Les pauvres préfèrent moralement, sinon physiquement, se rallier aux riches et aux puissants. Ils s’autorisent rarement à voir que leur pauvreté et la fortune de leurs voisins sont inextricablement liés car cela nécessiterait qu’ils passent à l’action, or il leur est plus facile de ne voir que ce qui les rend supérieurs à leurs autres voisins simplement plus pauvres qu’eux. 

 Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard, où il a obtenu un coup de cœur. Traduit de l’américain par Josette Chicheportiche.


Véritable emballement de la blogosphère, ce livre mérite les coups de cœur qu’il a reçu chez Krol, Dominique, Aifelle, Jérôme et Noukette et beaucoup d’autres dont je mettrai les noms au fur et à mesure des commentaires. J’avais une réserve à cause de la référence à « La Route« , roman que j’avais peu apprécié. Ici l’apocalypse supposée est beaucoup plus crédible, et elle ne constitue pas l’essentiel du roman. D’ailleurs avant même que le monde s’effondre, on ne sait pas trop pourquoi, cette famille avait choisi de vivre au cœur d’une forêt. les deux filles Neil et Eva ne vont pas à l’école et sont éduquées par leurs parents, l’une sera danseuse et l’autre prépare son entrée à Harvard. Mais peu à peu le monde s’arrête et tout le confort que notre société nous procure disparaît, et finalement les deux jeunes filles doivent vivre seules au milieu d’une forêt et de rencontres pas toujours amicales. On retrouve un peu les efforts de survie que doit faire l’héroïne du « mur invisible » pour assurer sa survie mais le message est différent. Ce n’est pas, en effet, le savoir de l’homme qui va sauver les deux filles mais la connaissance de la nature. Et si ce roman, s’appelle « dans la forêt », c’est parce que leur salut viendra de ce que la forêt peut leur apporter. Comme avant elles, les rares indiens qui ont pu échapper à l’extermination programmée de leurs peuple.

Je relis en ce moment « Sapiens une brève Histoire de l’humanité » on y retrouve ce même message, la révolution agricole nous dit Yuval Noah Harari est la plus grande escroquerie de l’histoire et elle a asservi l’homme au lieu de le libérer. Nos deux héroïnes vont donc revenir au stade des « chasseurs cueilleurs » beaucoup plus adapté à la survie en forêt. Je pense que les écologistes vont adorer ce roman qui a tout pour leur plaire, de plus l’écrivaine vit au fond des bois de l’écriture de ses livres et de l’apiculture. Mais ce n’est pas qu’un roman à messages, c’est aussi une intrigue bien menée et les personnages sont intéressants et crédibles. J’ai vu le film qui a été tiré de cette histoire, il insiste beaucoup sur la rivalités et le lien entre les deux sœurs, encore un film qui est beaucoup mins intéressant que le roman. Si j’ai une petite réserve, c’est que je garde, malgré moi, un certain agacement vis à vis des Américains qui sont les plus farouches défenseurs de l’environnement et en même temps les plus grands pollueurs de la planète.

Citations

Le plaisir d’habiter un lieu isolé ,un plaisir que je ne partage pas

Voilà le vrai cadeau de Noël, nom de Dieu -la paix, le silence de l’air pur. Pas de voisins à moins de six kilomètres , et pas de ville à moins de cinquante. Bénis soient Bouddha, Shiba, Jéhovah et le service des Forêts de Californie, nous vivons tout au bout de la route !

Nell et Eva s’approprient la forêt

Petit à petit , la forêt que je parcours devient mienne, non parce que je la possède, mais parce que je finis par la connaître. Je la vois différemment maintenant. Je commence à saisir sa diversité -dans la forme des feuilles, l’organisation des pétales, le millions de nuances de verts. Je commence à comprendre sa logique et à percevoir son mystère. Où que j’aille, j’essaie de noter ce qu’il y a autour de moi – un massif de menthe, une touffes de fenouil, un buisson de manzanita ou d’amarante à ramasser maintenant ou plus tard quand je reviendrai, quand le besoin se fera sentir ou que ce sera la saison.

traduit de l’anglais américain par Laura Derajinski. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai beaucoup hésité entre 3 ou 4 coquillages, car j’ai beaucoup aimé le début de ce roman et beaucoup moins ensuite. J’ai aimé cette petite Caitlin qui s’abîme dans la contemplation des poissons à l’aquarium de Seattle en attendant sa mère qu’elle adore. Un vieil homme s’approche d’elle et un lien amical et rassurant se crée entre eux. Toute cette partie est écrite avec un style recherché et très pudique. On sent bien la solitude de cette enfant de 12 ans dont la maman travaille trop dans une Amérique qui ne fait pas beaucoup de place aux faibles. J’ai aimé aussi les dessins en noir et blanc des poissons ; Bref, j’étais bien dans ce roman. Puis catastrophe ! commence la partie que j’apprécie beaucoup moins, ce vieil homme s’avère être le grand père de Caitlin, il a abandonné sa mère alors que sa femme était atteinte d’un cancer en phase terminale. Commence alors un récit d’une violence incroyable et comme toujours dans ces cas là, j’ai besoin que le récit soit plausible. Je sais que les services sociaux américains sont défaillants mais quand même que personne ne vienne en aide à une jeune de 14 ans qui doit pendant une année entière soigner sa mère me semble plus qu’étonnant. Ensuite je n’étais plus d’accord pour accepter la fin, après tant de violence, j’ai eu du mal à accepter le happy end. On dit que c’est un livre sur le pardon, (je suis désolée d’en dire autant sur ce roman, j’espère ne pas trop vous le divulgâcher) , mais c’est justement ce que le roman ne décrit pas : comment pardonner. Bref une déception qui ne s’annonçait pas comme telle au début.

Citations

Sourire

Il s’appelle comment ?

Steve. Il joue de l’harmonica.
C’est son boulot ?
Ma mère éclata de rire. Tu imagines toujours le monde meilleur qu’il n’est, ma puce.

Le monde de l’enfance déformé par les parents

Tout est possible avec un parent. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière, et c’est ce monde-là qu’on connaît ensuite, pour toujours. C’est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d’autre il pourrait ressembler.